Geektionnerd : Le Permis Internet (selon Axa)

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Mozilla détourne le net

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : ThePirateBay.GL

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Safari pourrait bien devenir le cauchemar Internet Explorer 6 de la navigation mobile

Tristant Nitot écrivait récemment sur son blog dans un joli billet dédié aux 15 ans de Mozilla :

Pourtant, l’avenir numérique n’est pas tout rose. La nouvelle frontière est dorénavant celle du mobile, et l’ouverture du Web est bien loin d’être d’être la norme dans ce nouvel univers. Le Web a offert à tous la liberté de créer et de diffuser sans demander la permission; la liberté d’apprendre en faisant un simple “View Source”; la liberté de faire une application qui tournera partout, avec une technologie qui n’est pas la propriété d’un acteur en particulier.

Mozilla s’est lancé le défi de s’attaquer à ce problème, de faire du Web un citoyen de premier rang sur le mobile. Première étape : Firefox pour Android. Deuxième étape : Firefox OS.

Comme il y a 15 ans, il s’agit de fabriquer l’Internet (mobile) qu’on veut, pas celui qu’on veut bien nous laisser. Comme il y a 15 ans, cela peut sembler à certains un objectif délirant. Ca l’est peut-être. Sûrement. Mais pour ceux qui entrevoient le potentiel de cette idée, l’attrait est irrésistible. Je vois le potentiel de cette grande idée. Et vous ?

Une belle et optimiste introduction à la (plus inquiétante) traduction ci-dessous.

Babak Farrokhi - CC by

Le cauchemar d’IE6 pourrait être de retour

The IE6 nightmare might be back soon

James Creixems – Avril 2013 – Blog personnel
(Traduction : Fly, ProgVal, aKa, Sphinx, Léo, fcharton, Moosh + anonymes)

J’y réfléchissais ces derniers temps, et je pense que j’ai trouvé le nouvel IE6 et oui… je suis terrifié.

Chaque développeur web se souvient des années d’horreur d’IE6. Un navigateur, qui était fourni par défaut sur un système utilisé par 90% des gens (Windows) a fini par avoir une telle part de marché que ses développeurs se moquaient d’améliorer le produit, de respecter les standards, ou même de mettre à jour le produit.

Ainsi, pendant des années, les développeurs web ne pouvaient profiter des avantages qui étaient apportés par l’amélioration des standards (PNG transparents, flottants CSS, etc.). Tout le monde devait « supporter » IE6 et c’était un vrai et terrible cauchemar.

Actuellement, les navigateurs sont mis à jour par intervalles de quelques semaines, ajoutant de nouvelles fonctionnalités et supportant de nouveaux standards, encore plus vite que précédemment. Et avec un système de mises à jour automatiques qui est encore plus transparent pour l’utilisateur.

Mais il y a une exception à cet âge d’or que nous vivons. C’est un navigateur, qui se met à jour seulement une fois par an sur une plateforme qui n’accepte pas d’autre navigateur et qui a 50% de parts de marché. Oui, je parle de Safari Mobile.

Safari Mobile pourrait devenir le nouvel IE6.

Dans la mesure où iOS n’autorise aucun autre moteur de rendu, il n’y a aucune réelle alternative à Safari Mobile. Par exemple, Chrome sur iOS ajoute de nouvelles fonctionalités en surcouche, (synchronisation des onglets, etc), mais au final, il s’agit toujours du rendu de Safari Mobile. Pas de moteur V8, pas de support sur mesure des nouveaux standards.

Et avec l’adoption par Chrome d’un nouveau moteur de rendu dans les prochaines semaines, la divergence entre Chrome sur ordinateur (et sur Android) et Chrome sur iOS sera bientôt beaucoup plus évidente.

Mozilla ne propose pas Firefox sur iOS par ce qu’ils ne peuvent pas utiliser leur moteur Gecko. Donc, sur iOS, nous sommes coincés avec le moteur de rendu de Safari mobile.

Si Safari Mobile était magiquement mis à jour à la même vitesse que les autres navigateurs avec les dernières spécifications WebKit, ce serait un moindre mal. Mais il se met à jour seulement une fois par an, et commence à avoir l’air « dépassé » quand on le compare aux derniers navigateurs.

Par exemple, prenez le support CSS Flexbox. La spécification a changé de manière significative au cours des derniers mois. Chrome embarque déjà la dernière implémentation, Firefox aussi ; mais Safari et Safari Mobile… eh bien non car ils n’ont pas été mis à jour.

Or en tant que développeurs, nous devons supporter Safari Mobile. Cela représente environ 61% du marché des mobiles. On ne peut l’ignorer. Bienvenue à nouveau dans l’enfer IE6.

C’est pour l’instant à peine visible, mais alors que Chrome passe à Blink et que Firefox continue à innover rapidement, Safari Mobile va probablement devenir l’IE6 de la course. Nous détesterons tous devoir le supporter et être incapable d’utiliser les dernières spécifications parce que Safari Mobile ne les supporte pas.

Je ne pense pas cependant que ce sera aussi horrible que dans les années d’IE6. iOS a une part de marché beaucoup plus petite que celle qu’avait IE6, ils sont en concurrence avec Android et Chrome qui s’amélioreront certainement beaucoup plus rapidement ; et Safari Mobile est construit à partir d’un moteur open source, ce qui garantit que chaque mise à jour effectuée par Apple obtiendra les trucs les plus récents.

Donc, ça ne sera pas aussi horrible que IE6 mais je pense que dans les prochaines années, Safari Mobile va devenir le navigateur que tous les développeurs web vont détester devoir supporter.

J’espère vraiment qu’Apple va autoriser d’autres navigateurs (avec d’autres moteurs de rendu) sur iOS 7. Cela réglerait tout automagiquement, ou au moins qu’ils décident d’aller vers un système de mises à jour silencieuses de Safari Mobile. Mais oui, je sais que c’est d’Apple dont je parle… un développeur peut toujours rêver.

Crédit photo : Babak Farrokhi (Creative Commons By)




L’exemplaire et très instructive aventure libre d’un éditeur indien pour enfants

Un employé de l’éditeur Pratham Books nous raconte ici une bien jolie histoire : celle de la mise à disposition de livres sous licence Creative Commons, en commençant par la (controversée) CC BY-NC-SA pour finalement adopter la plus libre CC BY.

L’histoire ne s’arrête pas là puisque parmi ces livres seule la moitié a été mise en libre disposition sur Internet. Et quelle moitié s’est finalement mieux vendue ? Vous devinerez aisément la réponse, puisque vous êtes un fidèle lecteur du Framablog 😉

On se gardera de toute généralisation hâtive et par trop enthousiaste. C’est en Inde avec de la littérature pour enfants et un faible échantillon analysé. Il n’empêche que cela va à l’encontre de certaines (fausses) idées reçues et que cela fait plaisir à lire, à fortiori quand on a fait le choix d’un modèle similaire avec notre propre maison d’édition Framabook.

Pratham Books

C’est publication « ouverte » chez Pratham Books !

Pratham Books is “Open” for Publishing

John Gautam – 7 mars 2013 – Pratham Books (Blog)
(Traduction : Framartin, RyDroid, Peekmo, lordgun, AXL, Garburst, goofy, lamessen + anonymes)

J’ai rejoint Pantham Books en septembre 2007 pour un stage de six mois et il est vite devenu évident que j’allais y rester bien plus longtemps. Leur objectif « Un livre pour chaque enfant », les personnes et l’organisation étaient géniaux. J’ai donc fini par y travailler pendant cinq ans. En ce moment, je suis conseiller chez Pantham Books.

Au cours de ma première année, j’ai été fasciné par la mission et les moyens qu’on pouvait mettre en œuvre pour atteindre le niveau nécessaire, sans forcément que l’organisation s’accroisse en proportion. Nous avons rejoint par de multiples canaux et réseaux, des organisations partenaires potentielles qui pouvaient utiliser nos contenus, ainsi que la branche népalaise du projet One Laptop Per Child et l’Open Learning Exchange. Les Népalais ont été les premiers à nous écrire pour nous demander si nous pouvions fournir du contenu pour leur projet sous de multiples formes : pour leurs ordis à bas coût diffusés pour l’usage des enfants, pour leur bibliothèque d’eBooks, et traduit en népalais pour l’usage local.

Il y avait de multiples possibilités très intéressantes. Mais rapidement nous avons pris conscience des limitations des lois traditionnelles du « copyright » et les complexités administratives nécessaires aux négociations bi/multilatérales pour utiliser ou réutiliser du contenu sous licence. Nous n’avions ni l’envergure ni les ressources nécessaires pour nous engager dans ce type de négociations. Les licences Creative Commons nous apparurent comme un moyen de contourner ce problème et en novembre 2008 nous avons fait le grand saut et passé 6 livres sous licence Creative Common, la CC BY-NC-SA India 2.5 (ceci est le billet du blog annonçant le saut).

Notre idée était de tâter le terrain et de voir ce qu’il adviendrait de ce contenu sous licence ouverte. One Laptop Per Child project, the Open Learning Exchange et le Népal ont été les partenaires les plus enthousiastes et ont distribué notre contenu à des enfants qui n’auraient jamais eu accès à nos livres dans des langues qu’on ne publie pas autrement. Notre incursion novatrice dans les licences ouvertes fut un petit succès.

Cependant, alors que c’était un grand saut pour nous en tant qu’éditeur, il y a eu une résistance d’une grande partie de la communauté comme les commentaires de Philipp Schmidt le démontrent : « … l’option non commerciale rend les choses compliquées de façon inutile, mais je suppose que la peur de l’inconnu de la maison-mère pesa sur le choix de cette clause particulière des licences Creative Commons ».

Simultanément, je me rendis compte que, grâce à la puissance d’Internet, les licences ouvertes devenaient une tendance importante. Elles ouvrent les communautés et permettent de nouvelles plateformes et usages. Il était évident qu’une révision fondamentale des modèles existants de publication était possible et même nécessaire depuis longtemps. J’étais aussi curieux de la nature du modèle social de publication qui pourrait être construit en connectant des communautés collaborant autour d’un contenu sous licence ouverte.

Pendant l’année 2009, nous avons débattu en interne de l’idée d’utiliser les plus libres des licences Creative Commons et le conseil de Pratham Books a largement encouragé l’idée de licencier une sous-partie de notre catalogue sous la licence Creative Commons Attribution (CC BY). Nous avons décidé de placer sous cette licence environ 400 livres, de les rendre disponibles sur le site Scribd, et de placer les illustrations chez Flickr ; le téléversement a commencé en octobre 2009. Toutefois, pour diverses raisons, nous n’avons réussi qu’à téléverser environ 173 de ces livres, tandis que les 227 restants n’ont jamais été mis sur Scribd et Flickr ; c’est une procédure que nous n’avons reprise que récemment.

Comme nous l’avons écrit dans notre étude de cas, le modèle de mise sous licence Creative Commons est celui qui a permis à Pratham Books d’atteindre plusieurs de ses objectifs de flexibilité et d’évolutivité ainsi que sa mission de mettre un livre dans les mains de chaque enfant. Nous avons été capables de puiser dans un modèle de valeurs communes de partage et d’ouverture avec une croissante communauté d’utilisateurs. Cela a augmenté l’échelle et la portée de nos efforts. Nous avons aussi été capables de publier le contenu de multiples organisations et particuliers, à la fois connus et inconnus, par un effort unique de parution sous licence Creative Commons, à l’opposé d’un modèle traditionnel de publication qui implique du temps pour négocier et discuter avec chaque organisme ou particulier connu qui voudrait utiliser notre matériel.

Cela a constitué une base solide pour notre modèle social de publication.

Nous avons été encouragés de voir des communautés créer des œuvres dérivées aussi différentes que des applications iPad et iPhone, un portage de ces applications vers des ordinateurs OLPC (« One laptop Per Child »), jusqu’à la création de livres entièrement nouveaux à partir des illustrations existantes[1], ou des versions de leurs livres pour les personnes en difficulté face à la lecture — des livres audio au format DAISY ou en braille, jusqu’à des livres en audio enrichi — de sorte que nous sommes maintenant près d’accomplir notre mission d’atteindre chaque enfant.

Nous continuons à suivre ces efforts et sommes toujours épatés de ce que les communautés peuvent créer, et nous avons été abasourdis par l’expansion que certaines ont atteinte. Par exemple, nos livres sur Scribd ont été lus près d’un million de fois, nous avons été vus plus d’un demi-million de fois sur la bibliothèque internationale numérique pour les enfants, et ils ont été téléchargés sur les différentes applications plus de 250 000 fois. Au Népal, où tout a commencé, nos livres ont été déposés sur les serveurs de 77 écoles et environ 20 000 enfants ont accès à ces livres. Nous sommes aussi tout à fait certains qu’ils ont été utilisés ailleurs et de diverses manières (par exemple, téléchargés, imprimés et distribués — nous l’avons vu faire mais nous n’avons aucun moyen de tracer de tels usages).

Le modèle Creative Commons a étendu la mission Pratham Books d’une manière que nous n’aurions jamais pu imaginer. Une question se posait cependant : savoir si mettre nos livres sous licence CC BY en ligne avait un impact négatif sur les ventes. Alors que nous pensions empiriquement que cela n’avait que peu d’impacts sur les ventes, nous manquions jusqu’à maintenant de données pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.

Étant donné que nous avions un ensemble d’environ 400 livres sous licence CC BY, parmi lesquels la moitié environ avait été téléversée, et que la sélection de ceux qui l’étaient ou pas s’était faite par hasard, nous avons pensé qu’il était opportun de comparer les chiffres de vente pour les livres sous licence CC BY disponibles sur Scribd et ceux qui n’y étaient pas.

Ventes de chaque livre, en ligne par opposition hors ligne, par mois :

Pratham Books - Stats

Nous avons d’abord regardé au niveau des livres individuels pour voir les modèles de vente à travers le temps, et il semblerait que les livres sur Scribd se vendent mieux que ceux qui n’y sont pas, mais il était difficile d’en déduire une marge de différence significative entre les deux lorsque l’on regarde uniquement au niveau des livres individuels.

Ventes de tous les livres en ligne contre tous ceux hors ligne, par mois :

Pratham Books - Stats

Nous avons ensuite regardé les ventes cumulées des livres qui sont, et qui ne sont pas sur Scribd au fil du temps, et il est clair que les livres sur Scribd semblaient mieux se vendre que les livres qui n’y étaient pas.

Ventes cumulées de livres, en ligne vs hors ligne :

Pratham Books - Stats

Finalement, quand nous avons étudié les données des ventes cumulées pour les livres sous licence CC BY qui étaient disponibles sur Scribd par rapport à ceux qui ne l’étaient pas, nous avons été ébahis de voir que les premiers se vendaient bien mieux que les seconds, dans un rapport extraordinaire de presque 3 contre 1. Même si nous hésiterions à dire, étant donné les aspects spécifiques de notre marché et de notre modèle, que mettre les livres sous licence libre et disponibles en ligne augmente les ventes, nous pouvons affirmer que cela ne semble pas faire baisser leurs ventes. Et savoir cela est en soi une leçon importante pour nous, comme ce devrait l’être pour le reste de l’industrie de l’édition.

À défaut d’autre chose, rendre une partie de votre catalogue disponible en ligne est une façon puissante de construire votre communauté, votre marque et d’attirer des visiteurs, parce que le contenu est en lui-même un argument promotionnel. Nous avons eu la chance que cela nous aide aussi à nous rapprocher de notre souhait de mettre un livre dans les mains de chaque enfant, et cela nous étonne encore. Les manifestations de la Journée internationale de l’alphabétisation de l’an dernier en sont un bon exemple.

Nous espérons que notre expérience et son résultat encourageront d’autres éditeurs à mettre leur contenu à disposition en ligne, totalement, et même à considérer de choisir une licence libre pour tout ou partie de leur catalogue.

Notes

[1] Nous avons nous aussi repris des illustrations de chez Pratham sous licence CC BY : le dessin des deux enfants Angie and Upesh qui apparaissent sur la couverture de notre FramaDVD école 😉




La guerre du copyright menace la santé d’Internet, par Cory Doctorow

La situation est grave et tout le monde n’en a pas forcément pris conscience.

Pour lutter contre le piratage et préserver les intérêts d’une infime minorité d’artistes mais surtout les leurs, l’industrie culturelle est prête à tout. Tout c’est-à-dire ici profondément altérer l’Internet que nous connaissons ou avons connu.

C’est ce que nous rappelle ici l’écrivain Cory Doctorow qui avoue lui-même faire partie de cette infime minorité, ce dont il n’en a cure si cela doit se faire au détriment du citoyen que nous sommes tous…

Mike Seyfang - CC by

Les guerres de droits d’auteur mettent en péril la santé d’Internet.

Copyright wars are damaging the health of the internet

Cory Doctorow – 28 mars 2013 – The Guardian Technology
(Traduction : Ouve, Tr4sK, Calou, emmpiff, Calou, GuGu, Marc15, fcharton, goofy, maxlath, Neros, lamessen, Penguin, Lycoris, Asta, MarcFerrand + anonymes)

Ceux qui veulent trouver à tout prix des « solutions » contre le piratage risquent d’altérer l’intégrité et la liberté du réseau par la surveillance, la censure et le contrôle.

J’ai assisté à plus de présentations sur la façon de résoudre les guerres de droits d’auteur que je n’ai eu de repas chauds, mais elles sont toutes loin du compte. C’est parce que la plupart de ceux qui ont une solution aux guerres de droits d’auteur se soucient des revenus des artistes, alors que pour ma part je me soucie de la santé d’Internet.

Oh, bien sûr, je m’inquiète aussi des revenus des artistes, mais c’est une préoccupation secondaire. Après tout, la quasi totalité des personnes qui ont voulu vivre de leur art ont échoué. En effet, une part non négligeable de ceux qui ont essayé ont perdu de l’argent dans l’affaire. Ça n’a rien à voir avec Internet : l’art est un business épouvantable, où la majorité des revenus revient à une portion statistiquement insignifiante de ceux qui les produisent — une longue queue effilée avec une très grosse tête. Il se trouve que je suis l’un des chanceux gagnants de cet étrange et improbable loto — je fais vivre ma famille avec ce travail de création — mais je n’ai pas l’esprit assez étroit pour penser que mon avenir et l’avenir de 0,0000000000000000001 pourcent de mes congénères soit le vrai problème ici.

Quel est le vrai problème ici ? Pour faire simple, c’est la santé d’Internet.

Les guerres de droits d’auteur ont érodé la résistance inhérente à Internet à un moment où elle était terriblement nécessaire. L’Internet d’aujourd’hui est intriqué dans nos vies d’une manière qui a surpassé les pronostics les plus fous des années 1980 — c’est le moyen principal pour inscrire vos enfants aux cours de danse du soir ; pour payer votre facture de gaz ; pour poster des vidéos de violences policières ; pour verser de l’argent à des proches éloignés ; pour être autorisé à construire un abri de jardin ; pour faire une réservation ; pour découvrir si vous avez ou non besoin d’aller aux urgences ; pour écrire un article ou un essai qu’on vous demande à l’école ; pour toucher son salaire — et de plus en plus pour tout le reste, comme acheter de la nourriture, choisir une assurance, obtenir un diplôme ou une attestation, et toutes les autres activités qui relèvent de notre participation à la vie publique. Aucune de ces choses n’est liée à l’industrie du divertissement, mais aucune d’elles n’est prise en compte quand les responsables politiques de cette industrie dressent leurs plans pour combattre le « piratage ». Tout ce que nous faisons aujourd’hui fait appel à Internet, tout ce que nous ferons demain le nécessitera.

Internet est important, mais les guerres de droits d’auteur le traitent comme une banalité : comme une télévision câblée 2.0 ; comme une évolution du téléphone ; comme le plus grand système de distribution de contenu pornographique. Des lois comme le « Digital Economy Act » permettent de déconnecter des familles entières d’Internet sans suivre aucune procédure, simplement parce que quelqu’un du quartier est accusé de regarder la télévision d’une mauvaise manière. Ce serait déjà totalement incorrect si Internet n’avait été qu’un simple réseau de distribution de contenu. Mais Internet est en plus un lien vital pour la famille, et le fait que des entreprises offshore du divertissement aient le droit de vous en retirer l’accès parce qu’ils vous suspectent de leur causer du tort, c’est comme donner à Brita le pouvoir de couper l’eau de la famille s’ils pensent que vous usez mal le filtre ; comme donner à Moulinex le pouvoir de débrancher l’électricité de votre maison s’ils pensent que vous utilisez votre mixeur d’une manière non autorisée.

Internet est le meilleur endroit — et souvent le seul — pour publier toutes sortes d’informations, et pourtant les juges de la Haute Cour de Justice ont décidé que l’industrie du divertissement pourrait lister les sites qu’elle n’aime pas et obtenir une décision de justice demandant aux fournisseurs d’accès de les bloquer sans audience, et encore pire, sans procès.

Internet fonctionne seulement lorsqu’il est connecté à des périphériques, et de ce fait, les périphériques connectés à Internet ont proliféré. Il n’y a pas que le téléphone dans votre poche — depuis la caméra de surveillance de votre sonnette jusqu’au dernier jouet de vos enfants, la catégorie des « périphériques autonomes » est rapidement en train de disparaître. Le futuriste Bruce Sterling a souligné, dans sa récente allocution « South By Southwest », qu’un ordinateur personnel de 1995 est parfaitement capable de traiter vos écrits et de lancer vos tableurs, mais vous aurez du mal à trouver quelqu’un de suffisamment intéressé pour vous le reprendre. Sans réseau, la valeur relative de la majorité des objets est réduite à zéro.

Et désormais, la directive européenne sur le droit d’auteur ainsi que des lois américaines comme le « Digital Millennium Copyright Act » font qu’il est littéralement criminel de débrider des appareils, d’installer vos propres logiciels sur ceux-ci, de faire de la rétro-ingénierie sur leurs logiciels embarqués et de découvrir des vulnérabilités cachées qui pourraient vous mettre en danger. Chaque semaine apporte son nouveau lot d’exemples d’appareils moins sécurisés qu’ils n’auraient dû l’être – plus récemment, une présentation à « ShmooConsecurity » a montré comment les caméras connectées en Wi-Fi « DSLR » peuvent être piratées sur Internet et ainsi se transformer en caméras de surveillance qui diffusent à de mauvaises personnes les vidéos secrètes de leurs propriétaires. Une politique demandant à changer le logiciel de ces périphériques connectés dans le seul but de vous assurer que vous ne passiez pas outre les contrôles régionaux ou que vous ne détourniez pas « l’App Store » est complètement dingue.

Revenons-en aux « solutions ». Il y a beaucoup d’esprits bien-pensants qui ont expliqué que ce blocage autour des droits d’auteurs peut être « résolu » en utilisant des moyens qui rendraient le paiement des artistes, et des sociétés qui les soutiennent, plus facile. Dans ce contexte, les solutions de micro-paiement ont gagné en notoriété grâce à Bitcoin. Puisque vous pouvez échanger une fraction de Bitcoin gratuitement, il peut être pratique d’échanger une sorte d’argent contre des miettes de divertissement, ouvrant des solutions de paiement qui étaient fermées jusqu’à maintenant. Il reste encore les « frais de transaction mentale » pour décider si un petit instant de divertissement vaut ne serait-ce qu’une minuscule somme, mais ça c’est un autre problème.

Cependant, même si les micro-transactions quintuplaient les fonds dans les caisses de l’industrie du divertissement, je crois que cela ne calmerait en rien les appels à plus de censure, plus de surveillance, et plus de contrôle. Les spécialistes en psychologie expérimentale ont longuement documenté « l’aversion à la perte » pathologique – où nous voyons plus ce que nous avons perdu que ce que nous avons gagné. L’industrie du divertissement est la tête d’affiche pour l’aversion à la perte – comment expliquer autrement les gémissements et les grincements de dents sur des pertes engendrées par le piratage alors que chaque année les chiffres du box-office sont élogieux ? « C’est sûr, on a fait plus au box-office que l’année précédente, mais pensez combien on aurait pu faire en plus s’il n’y avait pas le piratage ! »

Il en va de même pour les boycotts. Je suis d’accord pour soutenir des médias sans DRM et sous licence Creative Commons, mais même si nous focalisions tous 100% de notre budget divertissement et de notre attention sur des alternatives au Grand Contenu qui soient libres, ouvertes et bonnes pour Internet, cela ne distrairait pas pour autant l’industrie du divertissement de sa demande d’action pour résoudre le « problème du piratage ».

Regardez, je suis dans l’industrie. C’est mon pain et mon beurre. Si vous achetez mes adorables livres sous licence CC, je gagne de l’argent, et ça me rend heureux. En vérité, ma dernière sortie en Grande-Bretagne est « Pirate Cinema », un roman de science-fiction pour jeunes adultes sur ce même sujet qui a été fortement acclamé lors de sa sortie aux États-Unis l’automne dernier. Mais je ne suis pas juste un écrivain : je suis aussi un citoyen, un père et un fils. Je souhaite davantage vivre dans une société libre que dans une société où je peux vivre des improbables revenus de l’art. Et si le prix pour « sauver » mon industrie est la liberté et l’ouverture d’Internet, eh bien, je suppose que je vais devoir démissionner du club des 0,0000000000000000001 pour cent.

Heureusement, je ne pense pas que ça doive arriver. Le fait est que lorsque nous nous autorisons à réfléchir selon ces termes : « Comment fait-on pour que l’artiste soit payé ? », on se retrouve avec des solutions à mes problèmes, les problèmes du 0,0000000000000000001 pour cent, et nous laissons derrière nous les problèmes du monde entier.

Les campagnes anti-piratage soulignent le risque qui existerait pour la société si les gens acceptaient l’idée qu’il n’y a pas de problème à prendre sans demander (« Vous ne voleriez pas une voiture… » (NdT : c’est une référence à une célèbre vidéo propagande dans les DVD), mais le risque qui m’inquiète réellement est que les gouvernements vont penser que les dégâts collatéraux de la régulation, qui toucheront Internet, sont un prix acceptable pour accomplir des buts politiques « importants ». Comment expliquer autrement que le gouvernement inclue sans faire attention les petits blogueurs et amis ayant leur propre groupe Facebook dans le cadre de la régulation de la presse Leveson ? Comment expliquer autrement la détermination de Teresa May, dans le cadre du projet de loi sur les communications, à espionner tout ce que l’on fait sur Internet ?

Cette politique désastreuse vient d’une erreur commune : l’hypothèse que les dommages accidentels à Internet sont un prix acceptable pour servir vos propres buts. La seule possibilité pour que cela ait du sens est si vous baissez radicalement la valeur d’Internet — d’où toute la sympathie du gouvernement pour les écrivains anticonformistes qui veulent nous dire qu’Internet nous rend stupides, ou n’a joué aucun rôle dans le Printemps arabe, ou autres discours à trois sous. À chaque fois que vous entendez quelqu’un censurer Internet, demandez-vous en quoi cette personne pourrait bénéficier d’un Internet partiellement altéré en sa faveur.

Alors, quelle est la solution aux guerres de droits d’auteur ? C’est la même solution que pour les guerres contre la régulation de la presse, contre le terrorisme, contre la surveillance, contre la pornographie : il s’agit de reconnaître qu’Internet est le système nerveux de l’âge de l’information, et que préserver son intégrité et sa liberté contre les tentatives de surveillance, de censure et de contrôle est la première étape essentielle pour s’assurer du succès des autres objectifs politiques que l’on souhaite.

Quid de l’industrie du divertissement et du problème du « piratage » ? Eh bien, en 1939, l’écrivain de science-fiction Robert A. Heinlein publia son premier récit, « Ligne de vie », qui contenait sa prédiction la plus véridique :

« L’idée a mûri, dans les esprits de certains groupes de ce pays, que parce qu’un homme ou une entreprise a, pour un certain nombre années, tiré profit du public, le gouvernement et les tribunaux sont dans l’obligation de lui assurer un tel profit dans le futur, quand bien même les circonstances auraient changé et seraient devenues contraires à l’intérêt général. Cette étrange doctrine n’est fondée sur aucun statut ni par aucune loi du droit commun. Aucun individu, ni aucune entreprise n’a le moindre droit de venir en justice demander que l’on arrête le temps ou qu’on en inverse le cours. »




Ouvert et fermé, par Evgeny Morozov

L’écrivain Evgeny Morozov n’aime pas les visions bisounours des nouvelles technologies.

On se souvient qu’il y a deux ans il avait vertement critiqué le soit-disant pouvoir libérateur d’Internet, ce qui lui avait valu réponse de Cory Doctorow traduite par nos soins.

Il s’en prend aujourd’hui à l’usage immodéré de l’expression « open » qui, à force d’être utilisé à tous les sauces, prend le risque d’être vidé de son (noble ?) sens.

Pumpkincat210 - CC by

Ouvert et fermé


Open and Closed

Evgeny Morozov – 17 mars 2013 – NewYorkTimes.com (Opinion)
(Traduction Framalang)


« L’impression 3D peut-elle être subversive ? » demande une voix dans la vidéo la plus terrifiante que vous puissiez trouver sur Internet ce mois-ci. Il s’agit de la bande-annonce pour Defcad.com, un moteur de recherche pour des modèles imprimables en 3D de choses que les « institutions et les industries ont pour intérêt commun de garder loin de nous », incluant des « appareils médicaux, médicaments, biens, pistolets ».

La voix appartient à Cody Wilson, un étudiant en droit du Texas qui a fondé l’année dernière Defense Distributer, une initiative controversée visant à produire une « arme wiki » imprimable. Avec Defcad, il s’étend au-delà des armes, autorisant, par exemple, des passionnés de drones à rechercher des pièces imprimables.


M. Wilson joue la carte de « l’ouverture » de Defcad jusqu’à dire qu’elle est l’opium des masses armées d’iPad. Non seulement le moteur de recherche Defcad sera placé sous le signe de l’« open source » — la bande-annonce le clame à deux reprises — mais également de « l’open data  ». Avec une telle ouverture, Defcad ne peut pas être le Mal, n’est-ce pas ?


Personne n’a besoin de voir des projets tels que Defcad pour constater que « l’ouverture » est devenue un terme dangereusement vague, avec beaucoup de sex-appeal mais peu de contenu un tant soit peu analytique. Certifiées « ouvertes », les idées les plus odieuses et suspectes deviennent soudain acceptables. Même l’Église de Scientologie vante son « engagement envers la communication ouverte ».


L’ouverture est aujourd’hui un culte puissant, une religion avec ses propres dogmes. « Posséder des gazoducs, personnes, produits, ou même la propriété intellectuelle n’est plus la clef du succès. L’ouverture l’est », clame l’éditorialiste Jeff Jarvis.

La fascination pour « l’ouverture » provient principalement du succès des logiciels open source, du code informatique publiquement accessible auquel tout le monde peut contribuer. Mais aujourd’hui ce principe est en train d’être appliqué à tout, de la politique à la philanthropie ; des livres intitulés « The Open-Source Everything Manifesto » (le Manifeste du Tout Open Source) et « Radical Openness » (L’Ouverture Radicale) ont récemment été publiés. Il existe même « OpenCola » — un vrai soda pour le peuple.


Pour de nombreuses institutions, « ouvert » est devenu le nouveau « vert ». Et de la même façon que certaines entreprises « verdissent » (greenwash) leurs initiatives en invoquant une façade écolo pour cacher des pratiques moins recommandables, un nouveau terme vient d’émerger pour décrire ce besoin d’introduire « l’ouverture » dans des situations et environnements où elle existe peu ou pas : « openwashing » (« ouvertisation »).

Hélas, « l’ouvertisation », aussi sympathique que cela puisse sonner, ne questionne pas l’authenticité des initiatives « ouvertes » ; cela ne nous dit pas quels types « d’ouverture » valent le coup, s’il en est. Toutes ces ouvertures, ou prétendues ouvertures, ne se valent pas et nous devons les différentier.


Regardez « l’ouverture » célébrée par le philosophe Karl Popper, qui a défini la « société ouverte » comme l’apothéose des valeurs politiques libérales. Ce n’est pas la même ouverture que celle du monde de l’open source. Alors que celle de Popper concernait principalement la politique et les idées, l’open source concerne avant tout la coopération, l’innovation, et l’efficacité — des résultats utiles, mais pas dans toutes les situations.


Regardez comme George Osborne, le chancelier britannique a défini les « politiques open source » récemment. « Plutôt que de se baser sur le fait que des politiciens » et des « fonctionnaires aient le monopole de la sagesse, vous pouvez vous engager via Internet » avec « l’ensemble du public, ou du moins les personnes intéressées, pour résoudre un problème particulier ».

En tant qu’ajout à la politique déjà en place, c’est merveilleux. En tant que remplacement de la politique en place, en revanche, c’est terrifiant.

Bien sûr, c’est important d’impliquer les citoyens dans la résolution des problèmes. Mais qui décide des « problèmes particuliers » auxquels les citoyens doivent s’attaquer en premier lieu ? Et comment peut-on définir les limites de ce « problème » ? Dans le monde du logiciel open source, de telles décisions sont généralement prises par des décideurs et des clients. Mais en démocratie, les citoyens tiennent la barre (plutôt en délèguent la tenue) et rament simultanément. En politique open source, tout ce qu’ils font, c’est ramer.


De même, un « gouvernement ouvert » — un terme autrefois réservé pour discuter de la responsabilité — est aujourd’hui utilisé plutôt pour décrire à quel point il est facile d’accéder, manipuler, et « remixer » des morceaux d’informations du gouvernement. Ici, « l’ouverture » ne mesure pas si de telles données augmentent la responsabilité, mais seulement combien d’applications peuvent se baser dessus, et si ces applications poursuivent des buts simples. L’ambiguïté de l’ouverture permet au Premier Ministre britannique David Cameron de prôner un gouvernement ouvert, tout en se plaignant que la liberté d’expression « bouche les artères du gouvernement ».


Cette confusion ne se limite pas aux gouvernements. Prenez par exemple cette obsession pour les cours en ligne ouvert et massif (NdT : MOOC). Que signifie le mot ouvert dans ce cas? Eh bien, ils sont disponibles en ligne gratuitement. Mais il serait prématuré de célébrer le triomphe de l’ouverture. Un programme d’ouverture plus ambitieux ne se contenterait pas d’étendre l’accès aux cours mais donnerait aussi aux utilisateurs la possibilité de réutiliser, modifier et d’adapter le contenu. Je pourrais prendre les notes de conférence de quelqu’un, rajouter quelques paragraphes et les faire circuler en tant qu’élément de mon propre cours. Actuellement, la plupart de ces cours n’offrent pas cette possibilité : le plus souvent leurs conditions d’utilisation interdisent l’adaptation des cours.


Est-ce que « l’ouverture » gagnera, comme nous l’assurent ces Pollyanas numériques? Probablement. Mais une victoire pour « l’ouverture » peut aussi marquer la défaite de politiques démocratiques, d’une réforme ambitieuse et de bien d’autres choses. Peut-être faudrait-il mettre en place un moratoire sur le mot « ouvert ». Imaginez les possibilités que cela pourrait ouvrir !

Crédit photo : Pumpkincat210 (Creative Commons By)




Internet est (devenu) un État policier

Un article qui ne nous apprend à priori rien de nouveau mais dont les exemples et les arguments enchaînés aboutissent à quelque chose d’absolument terrifiant.

Ce n’est pas un cauchemar c’est la réalité. Une réalité, née d’un accord tacite entre le public (les États) et le privé (les multinationales), qui s’est mise en place sans véritablement rencontrer consciences ni oppositions.

Raison de plus pour soutenir tous ceux qui voient le monde autrement et participer à faire en sorte que nous soyons de plus en plus nombreux à réclamer une éthique et faire vivre le bien commun…

Mixer - CC by-sa

Internet est un État policier

The Internet is a surveillance state

Bruce Schneier – 16 mars 2013 – CNN Opinion
(Traduction : Antoine, Neros, Sky, guillaume, audionuma, Asta + anonymes)

Note de la rédaction : Bruce Schneier est un expert en sécurité et l’auteur de Liars and Outliers: Enabling the Trust Society Needs to Survive (NdT : Menteurs et Atypiques : mettre en œuvre la confiance dont la société à besoin pour survivre).

Je vais commencer par trois points factuels.

Un : certains des hackers militaires chinois qui ont été récemment impliqués dans une attaque d’envergure contre le gouvernement et des entreprises des États-Unis ont été identifiés car ils accédaient à leur compte Facebook depuis la même infrastructure réseau qu’ils utilisaient pour leurs attaques.

Deux : Hector Monsegur, un des dirigeants du mouvent hacker LulzSec, a été identifié et arrêté par le FBI l’année dernière. Bien qu’il prenait de fortes mesures de sécurité informatique et un relais anonyme pour protéger son identité, il s’est quand même fait prendre.

Et trois : Paula Broadwell, qui avait une relation extra-conjugale avec David Petraeus, le directeur de la CIA, a également pris de nombreuses mesures pour masquer son identité. Elle ne se connectait jamais à son service de courriel anonyme depuis le réseau de son domicile. À la place, elle utilisait les réseaux publics des hôtels lorsqu’elle lui envoyait un courriel. Le FBI a effectué une corrélation entre les données d’enregistrement de différents hôtels pour y trouver que son nom était le point commun.

Internet est en état de surveillance. Internet est un état de surveillance. Que nous l’admettions ou non, et que cela nous plaise ou non, nous sommes traqués en permanence. Google nous trace, tant sur ses propres pages que sur celles auxquelles il a accès. Facebook fait de même, en traçant même les utilisateurs non inscrits chez lui. Apple nous trace sur nos iPhones et iPads. Un journaliste a utilisé un outil appelé Collusion (NdT : de Mozilla) pour déterminer qui le traçait : 105 entreprises ont tracé son usage internet sur une seule période de 36 heures !

De plus en plus, nos activités sur Internet sont croisées avec d’autres données nous concernant. La découverte de l’identité de Broadwell a nécessité de croiser son activité sur internet avec ses séjours dans des hôtels. Tout ce que nous faisons aujourd’hui implique l’usage d’un ordinateur, et les ordinateurs ont comme effet secondaire de produire naturellement des données. Tout est enregistré et croisé, et de nombreuses entreprises de big data font des affaires en reconstituant les profils de notre vie privée à partir de sources variées.

Facebook, par exemple, met en corrélation votre comportement en ligne avec vos habitudes d’achat hors-ligne. Et, plus encore, Il y a les données de localisation de votre téléphone portable, les enregistrements de vos mouvements par les caméras de surveillance…

C’est de la surveillance omniprésente : nous sommes tous surveillés, tout le temps, et ces données sont enregistrées de façon permanente. C’est ce à quoi un état de surveillance ressemble, et c’est plus efficace que dans les rêves les plus fous de George Orwell.

Bien sûr, nous pouvons agir pour nous y prémunir. Nous pouvons limiter ce que nous cherchons sur Google depuis nos iPhones, et utiliser à la place les navigateurs Web de nos ordinateurs, qui nous permettent de supprimer les cookies. Nous pouvons utiliser un alias sur Facebook. Nous pouvons éteindre nos téléphones portables et payer en liquide. Mais plus le temps passe et moins de gens s’en soucient.

Il y a simplement trop de façons d’être pisté. L’Internet, les courriels, les téléphones portables, les navigateurs Web, les sites de réseaux sociaux, les moteurs de recherche : ils sont devenus nécessaires, et il est fantaisiste d’attendre des gens qu’ils refusent simplement de s’en servir juste parce qu’ils n’aiment pas être espionnés, d’autant plus que l’ampleur d’un tel espionnage nous est délibérément cachée et qu’il y a peu d’alternatives commercialisées par des sociétés qui n’espionnent pas.

C’est quelque chose que le libre marché ne peut pas réparer. Nous, les consommateurs, n’avons pas de choix en la matière. Toutes les grandes sociétés qui nous fournissent des services Internet ont intérêt à nous pister. Visitez un site Web et il saura certainement qui vous êtes; il y a beaucoup de façons de vous pister sans cookie. Les compagnies de téléphones défont de façon routinière la protection de la vie privée sur le Web. Une expérience à Carnegie Mellon a pris des vidéos en temps réél d’étudiants sur le campus et a permis d’identifier un tiers d’entre eux en comparant leurs photos avec leurs photos publiques taguées sur Facebook.

Garder sa vie privée sur Internet est désormais presque impossible. Si vous oubliez ne serait-ce qu’une fois d’activer vos protections, ou si vous cliquez sur le mauvais lien, vous attachez votre nom de façon permanente à quelque service anonyme que vous utilisez. Monsegur a dérapé une fois, et le FBI l’a choppé. Si même le directeur de la CIA ne peut garder sa vie privée sur Internet, nous n’avons aucun espoir.

Dans le monde d’aujourd’hui, les gouvernements et les multinationales travaillent de concert pour garder les choses telles qu’elles sont. Les gouvernements sont bien contents d’utiliser les données que les entreprises collectent — en demandant occasionnellement d’en collecter plus et de les garder plus longtemps — pour nous espionner. Et les entreprises sont heureuses d’acheter des données auprès des gouvernements. Ensemble, les puissants espionnent les faibles, et ils ne sont pas prêts de quitter leurs positions de pouvoir, en dépit de ce que les gens souhaitent.

Résoudre ces questions nécessite une forte volonté gouvernementale, mais ils sont aussi assoiffés de données que les entreprises. Mis à part quelques amendes au montant risible, personne n’agit réellement pour des meilleures lois de protection de la vie privée.

Alors c’est ainsi. Bienvenue dans un monde où Google sait exactement quelle sorte de pornographie vous aimez, où Google en sait plus sur vos centres d’intérêt que votre propre épouse. Bienvenue dans un monde où votre compagnie de téléphone portable sait exactement où vous êtes, tout le temps. Bienvenue à l’ère de la fin des conversations privées, puisque vos conversations se font de plus en plus par courriel, SMS ou sites de réseaux sociaux.

Bienvenue dans un monde où tout ce que vous faites sur un ordinateur est enregistré, corrélé, étudié, passé au crible de société en société sans que vous le sachiez ou ayez consenti, où le gouvernement y a accès à volonté sans mandat.

Bienvenue dans un Internet sans vie privée, et nous y sommes arrivés avec notre consentement passif sans véritablement livrer une seule bataille…

Crédit photo : Mixer (Creative Commons By-Sa)