La liberté sur Internet : certains en parlent, d’autres la font… Rejoignez-nous !

Le mouvement du logiciel libre a la chance de posséder deux grands tribuns de l’autre côté de l’Atlantique : Richard Stallman, que l’on ne présente plus, et Eben Moglen.

Ils n’ont pas le même style, dans le fond comme dans la forme, mais ils sont tous deux bigrement efficaces et efficients lorsqu’il s’agit de porter la bonne parole, en la rendant accessible au plus grand nombre dans un anglais simple, clair et percutant. Quand on sort de l’une de leurs conférences, on s’en trouve souvent comme revigoré pour ne pas dire galvanisé 🙂

Nous avions fait l’effort de sous-titrer une longue mais pasionnante et magistrale intervention d’Eben Moglen il y a quelques temps de cela : 1 heure de votre temps pour écouter Eben Moglen.

Donnée en février dernier dans le cadre d’un évènement autour du journalisme et des nouveaux médias, voici une conférence du même acabit et du même auteur qui n’a pas son pareil pour donner l’impression que la somme de tout ce que nous, modestes petites fourmis, faisons chacun dans notre coin du Web fait sens commun et nous dépasse.

Il y évoque notamment l’un des projets qui lui tient hacker et nous avec puisque nous lui avions consacré un enthousiaste et prometteur billet : La Freedom Box ou la petite boîte qui voulait que l’Internet restât libre.

En 2012, c’est décidé, je vote Eben Moglen !!

PS : Le sous-titrage provient de l’excellent projet Mozilla Universal Subtitles. Merci à Eric Verdier pour la traduction. Et si vous la jugez perfectible, suivez le même lien ci-avant pour l’amélioration 🙂

Navigating the Age of Democratized Media

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Transcript

Merci Tom, c’est un grand plaisir d’être ici.

Je suis très heureux d’avoir l’occasion de parler des questions qui me préoccupent le plus dans un contexte qui nous permet de parler un peu du journalisme et un peu de l’ignorance et un peu de l’abus de pouvoir.

Le problème que représente la presse c’est-à-dire la machine de communication depuis le début de l’industrialisation de la communication et de la lutte contre l’ignorance en Europe, au 15e siècle. Le problème posé par la presse est sa soumission incroyable au pouvoir. Presse et Pouvoir sont difficiles à séparer plus difficiles à séparer que le beurre d’arachide et la gelée, plus difficile à séparer que la nuit et le jour. Presse et Pouvoir sont liés l’un à l’autre depuis le début parce que dès le début il a été clair que l’alternative à une étreinte entre la presse et le pouvoir est une constante révolution alimentée par le désir des gens à connaître et à s’autoriser à agir dans leur propre intérêt, indépendamment de l’intérêt du pouvoir.

Notre adoption de la presse dans le monde européen après l’effondrement de l’unité de la chrétienté et la fin du système pour le contrôle de l’esprit qu’ a été l’Église catholique universelle, dans cette grande révolution intellectuelle, morale et politique que nous avons appelé la Réforme. La réponse à la Réforme fut l’apprentissage par toutes les sociétés européennes, protestantes et catholiques à la fois, que la presse ne pouvait pas être autorisée à être libre, et le résultat a été la censure presque partout pendant des centaines d’années.

Dans de rares endroits en Europe, en Hollande et au Royaume-Uni, en fait en Angleterre après 1650, puis à nouveau après 1695, dans les rares endroits où la presse était libre d’imprimer sans contrôle, le résultat a été le révolution intellectuelle, politique et morale que nous appelons les Lumières et la Révolution française, qui est une preuve de plus que permettre aux gens de savoir, d’apprendre, de s’éduquer les uns les autres et de partager entraînera la décentralisation du pouvoir et une menace pour tous les « Ancien Régime ».

Mais à l’âge des médias capitalistes dans lequel nous sommes en train de passer le mariage entre la presse et le pouvoir a été une fois de plus une question d’attraction magnétique. La presse, qui est la production industrielle et la diffusion de l’information organisée, la presse est devenue la bonniche de la classe possédante.

Liberté de la Presse. Le grand critique de presse américain A. J. Liebling a écrit: « La liberté de la presse appartient à celui qui en possède une » et à travers le 20e siècle tant à l’égard de la presse que de son proche cousin, la diffusion ça a été encore plus vrai.

Nous sommes en train de sortir de l’ère de la presse comme nous passons de l’idée qu’il y a une machine qui transforme l’information du local et temporaire à l’universel et permanent. A la place, nous avons commencé de vivre à l’intérieur d’un système nerveux numérique qui relie chaque être humain sur la planète à tout autre être humain sur la planète actuellement ou potentiellement sans intermédiaires

À la fin de la prochaine génération quelques soient les horreurs ou victoires qui arriveront dans l’intervalle d’ici la fin de la prochaine génération nous allons vivre dans ce monde de l’interconnexion généralisée sociale de l’homme qui est ce que nous voulons dire lorsque nous parlons de l’Internet.

Chaque fax, heu, les quelques-unes restantes, tous les scanners, chaque imprimante, chaque téléphone, chaque appareil, chaque caméra vidéo, ai-je dit par téléphone… téléphone… téléphone… téléphone ? Chaque objet avec une alimentation électrique sera une collecteur d’informations et un système de distribution contrôlée par certains êtres humains quelque part, à une extrémité ou à l’autre.

S’il est contrôlée au final là où sont les êtres humains, où ils luttent, où ils cherchent à vendre leurs légumes, où ils sont offensés par un policier refusant de leur permettre de vendre leurs légumes où ils agissent dans la rue pour aider un vendeur de légumes empêché de vendre ses légumes par un policier offensant partout nous aurons des informations réalisées par des personnes pour se libérer.

Considérez ceci : des Indiens maintenant les plus pauvres des pauvres ont des téléphones mobiles et sur ce téléphone mobile, sur le mobile de chacun, chaque livre, chaque morceau de musique chaque vidéo, chaque carte, chaque expérience scientifique, tout type d’information utile ou belle pourra être mis à disposition de chacun s’il n’y avait pas de règles contre le partage.

Tout ce que nous ont laissé dans ce grand système nerveux de l’humanité, tout ce que nous ont laissé que fait obligatoire l’ignorance sont les règles contre le partage.

Lorsque les lois contre le partage auront disparues, et ça va venir, l’ignorance, pour la première fois dans l’histoire de la race humaine, pourra être évitée partout. En ce moment, on voit à travers le monde les jeunes montrer qu’ils sont prêts à tenir debout devant les balles pour la liberté. Plus tard dans ce siècle, vous verrez les jeunes à travers le monde montrer qu’ils sont prêts à tenir devant des balles afin d’avoir la liberté d’apprendre.

Lorsque cela se produira, la race humaine traversera la révolution la plus importante depuis 1789, et un « ancien régime », qui mérite de périr périra dans le monde entier ici nous discutons aujourd’hui de quelques-unes, simples, premières pièces de cette immense révolution. Le démembrement des systèmes de production de l’information contrôlée et de sa distribution qui existent depuis le matin après Gutenberg.

Mais on est le lendemain du matin après Gutenberg.

C’est le moment où les disparités de pouvoir et les disparités d’accès commencent à céder la place et de l’autre côté, en ce moment, sont presque tous les gouvernements et presque toute la presse et presque tous les privilégiés qui ne veulent pas que le monde change.

Je dînais avec un gouvernement officiel à Washington, DC plus tôt cette semaine et je lui ai dit « Vous savez, environ la moitié des réseaux de télévision en Europe cherchent à m’avoir pour un interview pour discuter de l’hypocrisie du gouvernement américain sur la politique de la liberté sur Internet », J’ai dit « et si la moitié des réseaux de télévision au Europe veulent me parler de l’hypocrisie de la politique américaine sur la liberté de l’Internet, ça fait penser que le Département d’État a un problème ». Il a dit « Oui, ils savent qu’ils ont un problème, et ils veulent faire quelque chose. »

Et ils devraient, mais tous les gouvernements de la Terre ont du mal à parler de l’Internet libre, parce que tous les gouvernements de la Terre font partie d’une structure de pouvoir qui perdront quelque chose à des flux d’information libre, tout comme les grandes institutions économiques dominant notre époque, comme les institutions de surveillance qui vous offrent leur moteur de recherche tant que vous partagez tout ce que vous cherchez, et un e-mail gratuit, tant que vous les laisser les lire, et des appels téléphoniques gratuits, tant qu’ils peuvent les écouter, juste pour les besoins de la publicité, vous surveille.

S’il vous plaît, apportez un demi-million de personnes ici et vivez votre vie sociale à l’intérieur de mon système de surveillance. Je vais prendre soin de vous. Bien sûr, sauf si vous êtes dans la rue protestant contre la dictature, dans ce cas, ce que nous allons vous dire, c’est : notre grand service de réseau social est complètement neutre entre les dictateurs et les les gens dans la rue se combattant… pas notre préoccupation ici à whatchamacallit.

Il s’agit d’une phase de transition, vous comprenez ? Je vous ai dit où nous allons. Maintenant, la question est de savoir comment allons-nous y arriver ?

Voici comment nous allons y arriver : le monde va se remplir de bon marché, petits, dispositifs de faible puissance qui vont remplacer la plupart des ordinateurs auxquels vous êtes habitués.

Tous ces gros ordinateurs sur les bureaux et dans les placards, et dans des chambres pleines de serveurs quelque part, remplacés par des choses pas beaucoup plus grosses qu’un chargeur de téléphone portable, et beaucoup, beaucoup plus capables que le premier ordinateur que vous avez possédé, quel qu’il ai été ou peut-être même l’ordinateur que vous utilisez maintenant.

Ces dispositifs ne coûteront à peu près rien et il y en aura partout, et nous allons créer un logiciel qui s’exécutera dans chacun d’eux, qu’un enfant de 12 ans pourra installer et qu’un de 6 ans pourra utiliser qui permettra aux gens de communiquer librement partout, tout le temps, sans contrôle de l’État, sans contrôle d’un businessman, sans contrôle, ce seront des Freedom Box. Elles feront la liberté.

Nous n’avons pas à faire les boîtes, les boites vont remplir le monde. Nous avons juste besoin de créer le logiciel. Et la bonne nouvelle est que nous n’avons pas besoin de créer les logiciels, nous l’avons déjà créer. Tout le monde dans cette salle avec un téléphone Android l’utilise déjà. Tout le monde dans cette salle qui a été sur Facebook aujourd’hui, s’en est servi de l’autre côté.

Tout le monde qui a utilisé une banque ou un supermarché ou une compagnie d’assurance ou une gare, la semaine dernière a utilisé notre logiciel. Il est partout. Nous l’avons fait pour être partout. C’est libre et gratuit. Cela signifie que nous pouvons la copier, modifier, et le redistribuer librement. Cela signifie aussi que cela fonctionne pour les personnes, pas pour les entreprises.

Tout cela est déjà fait. C’est le résultat de 25 ans d’efforts de notre part.

Maintenant, en ce moment, dans la rue, à l’heure actuelle, nous commençons à montrer pourquoi il protège la liberté et pourquoi les gens en ont besoin. Et nous commençons à préparer à leur livrer.

A. J. Liebling, le critique de presse dont j’ai déjà parlé, a écrit une fois : « La presse américaine me fait penser à l’état d’une conserverie de poissons de 12 milliards de dollars en surchauffe, du dernier cri, comptant pour son approvisionnement sur six gars dans une barque en mauvais état. »

Le fait est, bien sûr, que le bloc monolithique de la presse industrielle du 20e siècle faisait tout bien sauf du reportage, ce qu’elle a mal fait, parce que le reportage a été le déjeuner gratuit dans le saloon, et à tout moment le gardien du saloon pouvait le couper, ce qu’il a fait. Je n’ai pas besoin de vous dire que ce processus s’est accélérée depuis A. J. Liebling qui mourut en 1975.

Donc, nous vivons désormais dans un monde où nous sommes sur le point de combler une lacune dans les reportages. Vous savez ce qui comble une lacune dans l’information – on en a déjà parlé – c’est tous ces téléphones, toutes ces caméras vidéo, tous ces tweets. En d’autres termes, nous avons déjà démocratisé le système de reportage.

Ce qui est effrayant pour le Système dans Wikileaks est que Wikileaks est pour la collecte d’informations ce que la Craig’s List est pour les petites annonces. Il modifie la gestion des fuites.

Je déteste corriger tout le monde sur n’importe quel point, mais je tiens à souligner que Wikileaks n’a pas publié les 250.000 câbles du Département d’État. Il possède 250.000 État câbles du ministère et a publié environ 2.000 d’entre eux. Ce qui est le nombre de câbles diplomatiques montrés aux correspondants diplomatiques à travers le monde travaillant pour les principaux journaux, chaque jour.

Mais personne ne dit que c’est de la trahison, parce que c’est le commerce officiel des fuites, à partir de laquelle les représentants du gouvernement, des seigneurs de presse et des propriétaires à travers le monde tirent du bénéfice tous les jours.

Le pouvoir économique, politique et le pouvoir de garder les gens dans l’ignorance.

Qu’est-ce qui se passe dans le Net, maintenant, dans les téléphones, dans les nœuds de sortie Tor, et ce qui se passera dans le monde multiplié par cent, dans peu de temps, dans toutes ces Freedom Box c’est, des informations libres pour le bénéfice de ceux qui en ont besoin.

Demandez-vous ce qui arrivera quand tous ceux qui en ont besoin pourront les avoir et tous ceux qui en ont, pourront les fournir. Qu’est-ce qui va se passer dans les quartiers ? Qu’est-ce qui se passera dans les postes de police. Ce qui va se passer, c’est ce qu’il se passe quand il y a un incendie ou un tremblement de terre, ce qui arrive quand un tyran chute.

Ces mêmes petites boîtes de peu dont je parle seront également en mesure de créer un réseau maillé wifi c’est-à-dire que si quelqu’un coupe le réseau de télécommunications dans un quartier le quartier va continuer à fonctionner.

Ce que M. Moubarak et ses conseillers ont mal compris. C’est pourquoi il est à Charm el Cheikh, avec l’espoir d’acheter un appartement dans l’une des tours en construction à La Mecque, sans doute. Parce que M. Moubarak et ses conseillers pensaient que si vous éteignez l’Internet, vous éteignez la génération Internet.

C’est une erreur. Car, en fait, ce n’est pas un système particulier de télécommunications, ou une structure de réseau social, une base de données particulière de « twatts » … ou twuts… ou twoots, ou quel que soit la façon dont ils les appellent. Ce n’est pas la technologie qui les font marcher c’est que les êtres humains ont compris quelque chose sur la société s’ils ont grandi dans le Net.

La plupart des êtres humains, la plupart du temps, dans la plupart des contextes sociaux, croient que le réseau social le plus précieux pour eux, c’est les gens qu’ils voient tous les jours, et les gens avec qui ils ont de forts rapports émotionnels. Voilà comment la plupart des gens,depuis toujours, pensent le monde social. C’est parce que nous avons évolué pendant des millions d’années pour penser de cette façon.

Comme parties de petits groupes de quelques dizaines de primates vivant au sol. Nos neurones ont évolués pour que nos heuristiques sociales évoluent pour que nous pensions que le réseau social assez solide pour nous soutenir, c’est le peuple que nous voyons autour de nous et que les gens dont nous nous soucions sont ceux qui se soucient de nous en retour.

Mais la génération des gens qui grandissent à l’intérieur du Net le sait maintenant, le sait viscéralement, le sait tout le temps comme une question d’habitude, c’est que le réseau social qui est suffisamment robuste pour changer le monde autour de vous comprend des milliers de personnes auprès desquelles vous ne vivez pas, et avec qui vous n’avez pas de lien émotionnel direct, mais que ce sont les gens qui croient ce que vous croyez, et veulent faire quelque chose, eux-aussi.

Qu’est-ce que nous avons appris à la fin du 20ème siècle d’abord en Pologne, puis dans d’autres endroits, c’est que ce qui fait la révolution, c’est la solidarité. La capacité qu’ont des personnes ne vivant pas à proximité les unes des autres dans l’espace social ou géographique, n’ayant pas de liens personnels immédiats les liant entre elles, de percevoir la capacité à s’auto-organiser pour la réalisation soudaine de profondes fins sociales

Ce que le réseau fait, ce que la vie avec le réseau fait, est d’enseigner aux humains que le coût de la solidarité a baissé. Qu’il est plus facile et plus rapide d’être solidaire qu’il ne l’a jamais été auparavant, et si vous prenez un tas de gens qui le savent, et vous coupez le réseau, ils vont être solidaires de la meilleure façon qu’ils connaissent. Ils jettent des tracts dans la rue, ils se servent de pigeons voyageurs, du téléphone arabe.

Ils font tout ça, parce que la vraie compétence acquise par l’humanité est possibilité l’auto-organisation, et ce que nous voyons maintenant, aujourd’hui, dans le Maghreb, à l’heure actuelle, aujourd’hui, dès maintenant, c’est que la solidarité par auto-organisation est plus forte que les balles des mitraillettes.

Partout dans le monde, la tyrannie aime dire : « L’alternative à mon pouvoir, c’est le chaos », et tout autour du monde, tout le monde peut voir que ce n’est pas vrai.

Donc, ce que nous allons faire, c’est que nous allons fabriquer des objets bon marché, et nous allons les équiper de logiciels libres, et nous allons les mettre entre toutes les mains, et nous allons dire: « Ici. Cela fabrique la solidarité. Utilisez-le. Soyez bien. Soyez libre » Ça va marcher.

Il n’y a pas de raison d’être du côté de la presse, comme il n’y a aucune raison d’être du côté du pouvoir. C’est simple, maintenant. Le pouvoir a été déplacé à la périphérie du réseau, et ca va continuer pour la génération à venir.

Ce sera une grande révolution, et ça va changer le sort de milliards d’êtres humains. Ça rendra l’ignorance obsolète, et quand çà aura rendu obsolète l’ignorance, ca va changer l’avenir de la condition humaine.

La presse ne va pas le faire. Le pouvoir ne va pas le faire. Les gens vont le faire. La technologie pour permettre aux gens de le faire existe déjà. Tout ce dont il y a besoin, c’est un peu de l’affiner. Nous sommes les gens qui vont l’affiner. Nous ne cherchons pas de l’argent. Nous ne cherchons pas le pouvoir. Nous voulons seulement partager.

Tout le monde veut parler de la liberté sur Internet, sauf nous. Nous ne voulons pas parler de la liberté sur Internet, nous voulons juste la faire.

Rejoignez-nous !

Je vous remercie beaucoup.




Google Chrome deviendra-t-il un nouvel IE6 ?

Denis Dervisevic - CC byBon ben voilà, c’est fait, le navigateur Google Chrome est passé devant Firefox au niveau mondial la semaine dernière. En France cela résiste plutôt bien, mais pour combien de temps encore ?

Ce qui avait été prédit ici-même il y a deux ans, alors que Chrome n’avait à peine que 6% du marché, s’est malheureusement révélé exact : Google Chrome m’a tuer ou le probable déclin de Firefox si nous n’y faisons rien (avec plus de 200 commentaires à la clé).

Dans cet article on pouvait lire en outre ce passage : « Pour ne rien arranger, rappelons également la situation schizophrénique et paradoxale des ressources de la Mozilla Foundation apportées à plus de 90% par l’accord avec… Google ! Quand vous dépendez financièrement d’un partenaire qui se transforme jour après jour en votre principal concurrent, vous vous sentez légèrement coincé aux entournures ! »

Or justement, nous y sommes, car une grosse inquiétude plane actuellement sur la reconduction du partenariat, rendant plus compliquée encore la situation[1].

Mais il y a pire. Comme relatée dans la traduction ci-dessous, Google, conforté par sa position de plus en plus dominante, commence à tomber dans le côté obscur de la force pour proposer des services « optimisés » pour Chrome (comprendre qui marche mieux ou qui marche tout court dans Chrome et uniquement dans Chrome). Gmail, Google Docs, Google Maps, etc. et si un jour vous vous retrouviez contraint de surfer sous Chrome pour utiliser pleinement ces services ?

Ce serait une belle régression et une belle menace pour un Web libre, neutre et ouvert. Et alors la comparaison avec le tristement célèbre Internet Explorer 6 n’est pas si exagérée que cela !

Pour aller plus loin et continuer à prendre garde, on pourra parcourir les articles du tag Chrome du Framablog.

Google Chrome est-il le nouveau IE6 ?

Is Google Chrome the New IE6?

Michael Muchmore – 2 décembre 2011 – PC Mag
(Traduction Framalang : Poupoul, Goofy, Pandark, Marting, Duthils, Toufalk et Deadalnix)

Laissez moi vous parler d’un navigateur. Un navigateur innovant qui fut le premier à implémenter de nouvelles technologies Web permettant une meilleure interactivité. Un navigateur avec une nouvelle interface étonnante. Chrome ? Non, Internet Explorer 6.

Il y a une raison pour laquelle le navigateur de Microsoft prit 95 pour cent du marché des navigateurs Web à Netscape (l’ancêtre de Firefox) : IE6 pouvait faire des choses dont ses prédécesseurs étaient incapables. Il y avait le HTML dynamique, le langage CSS, et même (oui, oui) de nouvelles fonctionnalités en matière de sécurité.

Mais d’années en années, ces fonctionnalités uniques ont montré un tout autre visage. Tous les principaux sites web ont cherché à s’optimiser pour IE, à tel point que ces sites ne fonctionnaient plus correctement avec d’autres navigateurs.

Avançons rapidement jusqu’en 2011. Le nouveau navigateur à la mode s’appelle Google Chrome, qui, d’après StatCounter, vient juste de dépasser l’ex-favori indépendant Firefox en part de marché globale. Chrome peut faire des choses dont les autres navigateurs sont incapables, et Google ne connaît plus que Chrome, ce qui signifie que certains des sites de Google ne fonctionnent intégralement que dans Chrome. Même aujourd’hui, vous pouvez lire sur le blog de Google qu’il existe de nouveaux niveaux d’Angry Birds qui ne fonctionnent que dans Chrome.

C’est perturbant, quand on considère tout ce que Google a fait pour l’ouverture du Web ; Google n’existerait pas si de vrais standards ouverts n’existaient pas sur le Web. Mais de plus en plus, Chrome devient un portail vers les services Google, jusqu’à la mise au ban d’autres navigateurs.

Bien sûr, tout le monde peut faire un site web qui fonctionne sous Chrome, donc il est, d’une certaine façon, ouvert. Mais si ces sites fonctionnent uniquement sous Chrome et plus sous les autres navigateurs, nous avons un manque d’ouverture dans l’écosystème du Web. De même, tout le monde pouvait produire un site qui fonctionnait parfaitement avec IE6, mais nous avons aussi le même problème : le site ne fonctionnera pas complètement dans les autres navigateurs.

Des cas de services Google utilisables uniquement avec Chrome sont en train d’apparaitre. Très récemment, avec la sortie de Chrome 15, le leader de la recherche sur Internet a changé juste une petite fonctionnalité de l’interface — la page d’un nouvel onglet. Et il l’a fait de manière à promouvoir le « Chrome Web Store » de l’entreprise. Cet « app » store — les apps étant en fait tout simplement des sites Web — ne fonctionne qu’avec Chrome. Avant ça, la société annonçait enfin la possibilité d’utiliser le service de webmail Gmail hors-ligne. Et devinez quoi ? Ça ne fonctionne que si vous utilisez Chrome.

Ce ne sont pas les seuls exemples de services de Google à ne fonctionner que sous Chrome ; il y a aussi, parmi tant d’autres, Google Instant Page, Google Cloud Print, le glisser-déposer et l’upload de dossiers dans Google Docs, les notifications des évènements du calendrier et des emails de Google Apps.

Un autre « standard », SPDY, pourrait transformer le Web en Google Wide Web (NdT : référence au World Wide Web). SPDY est un remplacement à HTTP qui compresse les données d’en-tête et permet des connexions persistantes entre le serveur et les navigateurs. Il s’avère que certains sites de Google utilisent déjà SPDY lorsque vous naviguez avec Chrome. De même que pour les Instant Pages, la technologie est disponible à l’implémentation pour les éditeurs Web, mais encore une fois, Google lui-même est le seul acteur majeur à le supporter. Un bon truc, des interactions Web plus rapides, mais n’oublions pas qu’un accès universel avec n’importe quel logiciel est la raison première pour laquelle le Web a décollé.

Cette stratégie prend l’exemple de Microsoft pour IE6 et l’étend à une échelle beaucoup plus grande. Le client Web Outlook (premier exemple majeur de site utilisant massivement Ajax, proche d’une app) ne permettait d’utiliser la fonctionnalité de recherche dans votre boîte de réception que si vous utilisiez Internet Explorer. C’est exactement ce que Google a commencé à faire : offrir un service Web qui fonctionne presque dans tous les navigateurs, mais nécessite le navigateur de l’entreprise pour fonctionner complètement. Heureusement, Microsoft a abandonné ces fonctionnalités réservées à IE. Espérons que Google en fera de même.

Lors d’une discussion que j’ai eu récemment avec Hakum Lie, directeur technique du développeur de navigateur Opera Software, le scandinave s’est inquiété de la démarche de Google.

« Il arrive souvent que Google lance des services sans les tester dans tous les navigateurs. On se réveille parfois un matin avec un nouveau service Google dont certains bugs auraient pu être corrigés s’ils avaient travaillé avec nous pendant la phase de developpement » a dit Lie. « Maintenant qu’ils ont leur propre navigateur, ils pensent moins à s’assurer que tout marche pour tout le monde, ce qui est préoccupant parce que Google n’aurait pas existé sans des standards ouverts. Nous serions probablement restés dans le giron de Microsoft ».

Mais Lie reconnaiît que Google a contribué aux standards du Web, « Certaines de ces expériences sont géniales », dit-il. « Nous avons besoin d’expérimentations de ce genre et on ne peut pas exiger que tout fonctionne avec tous les navigateurs. Mais vous devriez tester avec les navigateurs les plus populaires ».

Les Chromebook sont encore plus verrouillés et privateurs de liberté puisque ce ne sont quasiment que des navigateurs dans des boîtes vides. « Ce que nous reprochons au Chromebook c’est qu’il s’agit d’une plateforme très fermée », dit Lie. « Nous avons râlé après Microsoft pendant toutes ces années, mais avec Windows, vous pouviez au moins créer un navigateur concurrent ».

On pourrait dire la même chose pour les machines Apple tournant sous iOS, comme les iPads. Mais bien que les Chromebooks ne soient pas aussi populaires que les iPad, si un jour tous les ordinateurs sont des Chromebooks, le choix du navigateur et l’ouverture seront des concepts appartenant au passé.

Comme toutes les multinationales, Google veut être le premier partout où elle le peut. Elle a déjà réussi dans la recherche en ligne. Ne vous méprenez pas, Google a fait un boulot fantastique. Chrome ne serait pas aussi populaire si ce n’était pas le cas. C’est mon choix en tant qu’éditeur de PCMag parce qu’il est beaucoup plus rapide que ses prédecesseurs. L’arrivée de Chrome sur la scène a obligé tous les autres navigateurs à s’améliorer. J’espère seulement que ces améliorations n’entraveront pas l’ouverture et l’interopérabilité.

Notes

[1] Crédit photo : Denis Dervisevic (Creative Commons By)




Geektionnerd : DePiraatBaai.be

Pour en savoir plus sur le blocage de The Pirate Bay en Belgique, voir Le Monde ou Numérama.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




La promotion du Web Ouvert a bien changé mais Mozilla est toujours là

SCA Svenska Cellulosa Aktiebolaget - CC byPromouvoir le Web ouvert est l’une des missions de Mozilla.

Mission parfaitement assumée et réussie il y a quelques années avec l’avènement de Firefox qui obligea Internet Explorer à quitter son arrogance pour rentrer dans le rang et se montrer plus respectueux des standards et donc des internautes.

Sauf qu’aujourd’hui la donne a sensiblement changé.

Avec la mobilité, les stores, les apps, les navigateurs intégrés, etc. c’est en effet un Web bien plus complexe qui se présente devant nous. Un Web enthousiasmant[1] mais plein d’embûches pour ceux qui sont attachés à son ouverture et à sa neutralité.

C’est tout l’objet de ce très intéressant récent billet du développeur Mozilla Robert O’Callahan.

Des changements dans la façon de promouvoir le Web Ouvert

Shifts In Promoting The Open Web

Robert O’Callahan – 30 septembre 201 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Antistress et Goofy)

Historiquement Mozilla a dépensé pas mal d’énergie pour promouvoir l’usage du « Web ouvert » plutôt que de plateformes propriétaires et de code spécifique à des navigateurs non standards (IE6). Cette évangélisation reste nécessaire mais le paysage s’est modifié et je pense que notre discours doit s’adapter.

Les plateformes dont nous devons nous préoccuper ont beaucoup changé. Au lieu de WPF, Slivertlight and Flash, les outils propriétaires pour développeurs avec lesquelles il faut rivaliser dorénavant sont iOS et Android. En conséquence, les fonctionnalités que le Web doit intégrer sont à présent orientées vers la mobilité. Nous devons abattre les barrières qui incitent les développeurs d’applications mobiles à écrire des applications natives plutôt que des applications Web, et nous devons promouvoir (et c’est ce que nous faisons !) le développement et l’usage d’applications Web au lieu d’applications natives. Les démonstrations qui ne fonctionnent que sur les navigateurs des micro-ordinateurs sont moins importantes.

Le Web ouvert doit également faire face à de nouvelles plateformes rivales intéressantes : des plateformes qui sont conçues sur les standards du Web mais qui brident l’installation d’applications pour créer une plateforme entièrement contrôlée par le fabricant. L’app store (plateforme de téléchargement d’applications) de Chrome et celle du futur Windows 8 Metro en sont des exemples. J’ai été très déçu de voir que les versions hors connexion de Gmail et Google Calendar n’étaient proposées que sous la forme d’applications pour Chrome. Et même si Angry Birds fonctionne très bien sur Firefox, son affiliation commerciale à Chrome laisse certainement croire qu’il ne fonctionne que sur Chrome. Pour contrer cela nous devons nous assurer que la compétition entre navigateurs reste forte et offre aux développeurs des app stores indépendants des navigateurs. Mozilla travaille dessus, bien sûr :-). Nous devons également exprimer clairement que les app stores dédiés à un navigateur vont à l’encontre d’un Web ouvert.

Une forme de compétition moins évidente résulte de développeurs d’applications se focalisant sur un seul navigateur ou un seul moteur de rendu. Google demande explicitement à ses développeurs de cibler uniquement Chrome avant de penser aux autres navigateurs. C’est compréhensible, mais ça reste perturbant. Une autre préoccupation est de constater que beaucoup de sites pour appareils mobiles ne ciblent que WebKit (parfois implicitement en codant en fonction des bogues de WebKit, le plus souvent explicitement en codant des fonctions propres à WebKit). Beaucoup de développeurs de sites pour appareils mobiles, y compris des développeurs de sociétés renommées comme Google, sont réticents à changer de comportement. C’est un immense problème pour le Web ouvert. Nous avons besoin d’une campagne de promotion des standards du Web ouvert à destination des développeurs de sites pour appareils mobiles. Nous devons être clairs sur le fait que proposer des applications qui ne tournent que sur un seul moteur de rendu, quel que soit ce moteur, va à l’encontre d’un Web ouvert.

C’est malheureux de constater que, parmi les principaux concepteurs de navigateurs, seul Mozilla (et peut-être Opera) n’a pas d’intérêt particulier au succès d’une plateforme Web non ouverte. Je suis content de travailler ici.

Une chose formidable concernant le Web actuellement est l’explosion de nouvelles fonctionnalités et standards pour les développeurs Web. Pourtant nous devons distinguer avec soin les bons standards ouverts des imitations poussées unilatéralement. Toutes les propositions de standards ne sont pas bonnes pour le Web, même si elles sont accompagnées d’une implémentation open-source. Maciej Stachowiak désigne quelques projets de Google – VP8, SPDY, Pepper, and Native Client – qui, bien qu’étant peut-être de bonnes idées, échouent plus ou moins à être de véritables standards ouverts (le manque d’une bonne spécification pour VP8 est un problème que nous pouvons et devrions régler nous-mêmes à Mozilla). Il y a aussi des cas où, même si une bonne spécification collégiale existe et est attendue par certains développeurs, la fonctionnalité n’est pas bonne pour le Web et doit être repoussée. C’est pourquoi je pense que, lorque nous faisons la promotion du Web ouvert, nous devons faire très attention aux spécifications que nous mettons en avant. Ce n’est pas parceque quelqu’un lance une ébauche de spécification avec « CSS » (ou « HTML » ou « Web ») dans le nom en même temps qu’une implémentation embryonnaire, que cette spécification fait partie ou devrait faire partie du Web ouvert. Les gens doivent se demander : est-ce que cette fonctionnalité est bonne pour le Web ? Est-ce qu’il existe une ébauche exhaustive de la spécification qui ne nécessite pas de rétro-ingénierie sur une implémentation existante ? Existe t-il plusieurs implémentations ? Est-ce que la spécification est activement mise à jour pour tenir compte des retours des concepteurs de navigateurs et des développeurs Web ?

C’est une période stimulante et excitante. En dépit des menaces que je viens d’évoquer, c’est super de constater l’investissement massif dans l’amélioration des technologies du Web ouvert. C’est super de voir Microsoft abandonner Silverlight pour une plateforme basée sur les standards. Nous avons remporté quelques batailles, mais la guerre pour les standards du Web ouvert n’est pas finie et nous devons poursuivre le combat, sur les fronts correctement choisis.

Notes

[1] Crédit photo : SCA Svenska Cellulosa Aktiebolaget (Creative Commons By)




Geektionnerd : Internet illimité (mise à jour)

En référence à cette première planche, mais aussi à une nouvelle saillie de la mascotte d’Internet qu’est Frédéric Lefebvre.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Traducthon, tradaction, tradusprint… Pour un Web ouvert !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-saDepuis plus de deux ans, plus précisément depuis un samedi de mai 2009 à l’occasion d’une Ubuntu party, je participe aux traductions collaboratives dans la vraie vie initiées par Framalang, le groupe de traducteurs gonzos du Framaland. Et je ne suis pas le seul à y avoir pris goût.

Nous avons récidivé à Bordeaux pour traduire Un monde sans Copyright, chez Mozilla Europe à Paris pour le manuel Thunderbird et en juillet dernier à Strasbourg à l’occasion des RMLL, pour vous proposer aujourd’hui Pour un Web ouvert.

J’ai traduit, aidé à traduire, relu et révisé des dizaines de textes de toutes sortes. Participer aux traductions d’articles avec Framalang depuis un certain temps déjà n’a fait que multiplier les occasions de pratiquer le petit jeu de la traduction. Mais participer à un traducthon est une tout autre expérience dont voici certaines caractéristiques.

Des traducteurs en chair, en os et en vie

Antoine Turmel - CC by-saCommençons par le plus flagrant : un traducthon c’est une rencontre physique de personnes qui ne se connaissaient pas forcément, qui n’étaient que des pseudos en ligne ou bien que l’on ne retrouve qu’à quelques occasions. C’est donc d’abord un temps convivial, où l’on échange des propos par-dessus le travail en cours, des plaisanteries de mauvais goût qui déclenchent le fou-rire, des considérations trollesques qui partent en vrille, mais aussi des projets, des questions, des réponses, des contacts, de la bière l’eau ferrugémineuse, des pizzas et des petits plats du restau du quartier. En somme c’est une petite bande de gens qui deviennent copains (au moins), une bande dont la géométrie est variable d’une session à l’autre suivant la disponibilité de chacun ou son libre désir de participer.

Le milieu des traducteurs libristes n’est pas si vaste, mais il est relativement compartimenté, généralement en fonction des tâches et projets. Un traducthon représente la possibilité de mettre un peu de liant dans cet émiettement des activités. Je suis assez content par exemple de voir se rencontrer sur une traduction partagée des copains de frenchmozilla et ceux de framalang. Ah mais j’entends aKa dans l’oreillette… ah oui, d’accord il faut employer au moins une fois le mot « synergie ». C’est fait.

Inconvénient ? C’est sûr, on découvre les vrais gens : Julien mange toute la tablette de Milka, Adrien est trop bavard, Goofy est un vieux et Simon ne devrait pas se laisser pousser la barbe.

Un défi, un enjeu, un grand jeu

La concentration dans le temps (un week-end, trois ou quatre jours dans le meilleur des cas…), la concentration dans un lieu de travail (une salle de cours de faculté plus ou moins équipée, un hall de la Cité des sciences, les locaux de Mozilla Europe…) sont bien sûr associées au défi que l’on se donne de terminer au moins un premier jet tout simplement parce qu’après le traducthon chacun reprend sa vie quotidienne et d’autres activités, il faut donc terminer « à chaud ». L’ensemble pourrait créer un stress particulier, mais le plus souvent il ne s’agit que d’une tension positive parce que nous sommes un groupe. Chacun sait que tout près un autre participant est animé lui aussi du désir d’atteindre le but commun. La collaboration crée en réalité l’émulation, chacun met un point d’honneur à faire au moins aussi bien et autant que ses voisins.

L’enjeu d’un traducthon est particulier car il s’agit d’un ouvrage d’un volume important et pas seulement d’un article de presse électronique qui est une denrée périssable, comme nous en traduisons régulièrement pour le Framablog. Dans un traducthon, nous nous lançons le défi de traduire vite un texte qui devrait pouvoir être lu longtemps et dont le contenu lui aussi est important. Nous avons le sentiment d’avoir une sorte de responsabilité de publication, et la fierté de mettre à la disposition des lecteurs francophones un texte qui contribue à la diffusion du Libre, de sa philosophie et de ses problématiques.

Reste que la pratique a heureusement une dimension ludique : les outils en ligne que nous partageons pour traduire, que ce soit la plateforme Booki ou les framapads, même s’ils ne sont pas parfaits, offrent la souplesse et l’ergonomie qui les rendent finalement amusants à pratiquer. Tous ceux qui ont utilisé un etherpad pour la première fois ont d’abord joué avec les couleurs et l’écriture simultanée en temps réel. Même au cœur du rush des dernières heures d’un traducthon, lorsque nous convergeons vers les mêmes pages à traduire pour terminer dans les temps, c’est un plaisir de voir vibrionner les mots de couleurs diverses qui complètent un paragraphe, nettoient une coquille, reformulent une tournure, sous le regard de tous.

Traduction ouverte, esprit ouvert

N’oublions pas tous ceux qui « passent par là » et disent bonjour sous la forme d’un petit ou grand coup de pouce. Outre ceux qui ont décidé de réserver du temps et de l’énergie pour se retrouver in situ, nombreux sont les contributeurs et contributrices qui collaborent sur place ou en ligne. Beaucoup découvrent avec intérêt la relative facilité d’accès de la traduction, qui demande plus de qualité de maîtrise des deux langues (source et cible) que de compétences techniques. Quelques phrases, quelques pages sont autant de contributions tout à fait appréciées et l’occasion de faire connaissance, voire d’entrer plus avant dans le jeu de la traduction en rejoignant framalang.

Plus on participe, plus on participe. Il existe une sorte d’effet addictif aux sessions de traduction collective, de sorte que d’une fois à la suivante, on retrouve avec plaisir quelques habitués bien rodés et d’autres plus récemment impliqués qui y prennent goût et y reviennent. Participer à un traducthon, c’est appréhender de près et de façon tangible la puissance du facteur collaboratif : de l’adolescent enthousiaste à l’orthographe incertaine au retraité venu donner son temps libre pour le libre en passant par le développeur qui apporte une expertise technique, chacun peut donner et recevoir.

Enfin, et ce n’est pas là un détail, la pratique du traducthon apprend beaucoup à chacun. Certains découvrent qu’ils sont à la hauteur de la tâche alors qu’ils en doutaient (nulle contrainte de toutes façons, on choisit librement ce que l’on veut faire ou non), mais pour la plupart d’entre nous c’est aussi une leçon de partage du savoir : nos compétences sont complémentaires, l’aide mutuelle est une évidence et la modestie est nécessaire à tous. Voir par exemple son premier jet de traduction repris et coloré par un traducteur professionnel (Éric, reviens quand tu veux ?!), se faire expliquer une tournure de slang par un bilingue et chercher avec lui un équivalent français, découvrir une thèse audacieuse au détour d’un paragraphe de la version originale, voilà quelques exemples des moments enrichissants qui donnent aussi sa valeur à l’exercice.

Le mot, la chose

Une discussion trolloïde de basse intensité est engagée depuis le début sur le terme à employer pour désigner le processus de traduction collaborative dans la vraie vie en temps limité. Quelques observations pour briller en société :

  • C’est un peu l’exemple des booksprints initiés par Adam Hyde et la bande des Flossmanuals qui nous a inspiré l’idée de nos sessions, on pourrait donc adopter tradusprint, surtout dans la mesure où c’est une sorte de course de vitesse…
  • En revanche lorsque une traduction longue demande plusieurs jours et un travail de fond (ne perdons pas de vue le travail indispensable de révision post-traduction), il est assez cohérent de parler plutôt de traducthon.
  • Pour être plus consensuel et « couvrir » tous les types de session, le mot tradaction a été proposé à juste raison

Ci-dessous, reproduction de l’affichette amicalement créée par Simon « Gee » Giraudot pour annoncer le traducthon aux RMLL de Strasbourg. À noter, Simon a également contribué à la traduction d’un chapitre !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Et le Web ouvert alors ?

C’était justement le fruit d’un booksprint à Berlin l’année dernière, le voilà maintenant en français. Ce qui est assez frappant pour aller droit à l’essentiel, c’est la rhétorique guerrière qui en est le fil rouge. Au fil des pages on prend conscience de l’enjeu et de l’affrontement déjà en cours dans lequel nous pouvons jouer un rôle décisif. C’est maintenant et peut-être dans les deux ans qui viennent pas plus qu’il y a urgence à ce que nos pratiques de la vie numérique maintiennent et étendent un Web ouvert.

Le Web n’est pas un amoncellement de données, ni un amoncellement d’utilisateurs, le Web ouvert existe quand l’utilisateur propose librement des données et s’en empare librement. Le Web n’a pas d’existence tant que ses utilisateurs ne s’en emparent pas.

Nous voulons un Web bidouillable, libre et ouvert. Nous voulons des navigateurs Web extensibles, d’une plasticité suffisante pour répondre à nos goûts et nos besoins. Nous voulons contrôler nos données et en rester maîtres, non les laisser en otages à des services dont la pérennité et les intentions sont suspectes. Nous ne voulons pas que notre vie numérique soit soumise ni contrôlée, filtrée, espionnée, censurée.

Le Web n’appartient pas aux fournisseurs d’accès, ni aux états, ni aux entreprises.

Le Web n’appartient à personne, parce que nous sommes le Web.

Au fait, si vous voulez parcourir Pour un Web ouvert, c’est… ici en HTML et là en PDF.

Antoine Turmel - CC by-sa

Bonus track

Une interview au cours du traducthon de Strasbourg pour la radio québécoise La Voix du Libre.

Crédit photos : Antoine Turmel et Antoine Turmel (Creative Commons By-sa)




Librologie 3 : User-generated multitude

Bonjour à tous, bonjour à toutes,

Après deux premières Librologies en forme de portrait, je vous propose aujourd’hui de commencer à aborder le domaine des pratiques culturelles Libres, qui est la motivation d’origine de ces chroniques.

C’est l’occasion de revenir sur quelques thématiques évoquées précédemment avec l’épisode rms, mais également d’introduire d’autres problèmes que nous serons amenés à retrouver au fil des semaines.

Bonne lecture, et à la semaine prochaine…

Librologie 3 : User-generated multitude

La chronique que je vous propose aujourd’hui a déjà été écrite pour moi, au moins en partie, par l’enseignant-chercheur Olivier Ertzscheid, qui a récemment été frappé, tout comme moi (et des millions d’internautes), par le diagramme suivant :

In 60 seconds - Go-Globe.com

Son commentaire, brillamment intitulé L’imaginaire numéraire du numérique, mérite d’être lu en entier. En voici quelques fragments (où l’on notera d’ailleurs une allusion à Roland Barthes) :

Le vertige des grands nombres est constitutif de la statistique du web, formidable écosystème facilitateur et multiplicateur de la moindre interaction, de la moindre navigation, de la moindre publication, de la moindre attention portée. Les chiffres de Facebook sont donc pareillement vertigineux, comme sont vertigineux ceux de Google, de Youtube et de l’ensemble de ces mégalopoles virtuelles dans lesquelles se croisent, chaque jour, deux milliards d’internautes. (…)

Ces chiffres contribuent également à nourrir un imaginaire collectif qui, incapable de littéralement se représenter « ce que représente » le traitement computationnel de 57 milliards d’interactions comme on est incapable, dans l’instant, de se représenter « ce que représente » la fortune de Liliane Bettancourt à l’échelle de notre salaire mensuel, ces chiffres, disais-je, contribuent également à nourrir un imaginaire collectif réduit à choisir l’extase statistique comme seul argumentaire de la construction de son horizon critique. (…)

2 milliards d’internautes mais 6 miliards d’êtres humains. Or avez-vous vu récemment une infographie sur le nombre de véhicules circulant chaque jour sur le périphérique parisien ou new-yorkais ? Voit-on se multiplier les infographies sur le nombre de coups de fils passés chaque jour dans le monde ? Sur le nombre de litres d’essence consommés chaque jour dans chaque pays ? Sur le nombre de feuilles de papier sortant chaque jour des imprimantes domestiques ? On sait que là aussi les chiffres seraient vertigineux. Mais ces chiffres là ne nous fascinent plus. L’écosystème qu’ils décrivent est « tangible », lourdement, tristement et désespérement tangible. (…)

Le chiffre, les chiffres de l’internet renvoient donc à des effets de sidération qui participent d’une atténuation de l’effet de réel des entités qu’ils décrivent en même temps qu’ils renforcent le pouvoir symbolique des grandes firmes du web. (…) La mythologie de l’internet – au sens des mythologies de Barthes – est construite sur ces chiffres renvoyant à une nouvelle Babel statistique.

Puisqu’Olivier Ertzscheid nous y invite, relisons les Mythologies de Barthes, et tentons par exemple de mettre en balance ce nouvel imaginaire vertigineux des très grands nombres auquel donne lieu Internet, avec la rhétorique de la computabilité et de la quantifiabilité que Roland Barthes observait chez la petite-bourgeoisie poujadiste de son temps (état d’esprit dont nous avons vu qu’il est toujours à l’œuvre aujourd’hui) : « l’infini du monde est conjuré, écrit-il dans son texte sur Poujade déjà cité, (…) toute une mathématique de l’équation rassure le petit-bourgeois, lui fait un monde à la mesure de son commerce ».

M. Ertzscheid n’a pas tort de parler d’une « extase statistique » (d’ailleurs souvent en forme d’auto-congratulation), cependant il s’en faut de peu pour que l’extase cède le pas (en particulier dans certains milieux traditionnellement légitimés) à un sentiment de terreur. Un chiffre concevable fait un argument publicitaire efficace, un chiffre inconcevable effraie. On peut nous vendre, sur des affiches de vingt mètres carrés, tel grand concert dans un stade sportif, avec « 500 musiciens, 200 artistes sur scène », mais on a renoncé depuis longtemps à nous vendre tel film comme ayant nécessité « 200 millions de dollars, 50 000 figurants » et ainsi de suite.

Lorsqu’il cesse d’être concevable pour devenir « sidérant », lorsqu’il ne réduit plus le monde à une donnée appréhensible mais évoque au contraire son ampleur, le chiffre n’est plus un nombre, mais une image : on ne s’appuie plus dessus pour argumenter, mais pour frapper les esprits. Cela n’a pas échappé à un autre enseignant-chercheur, André Gunthert, qui rebondit sur l’analyse de Ertzscheid pour critiquer un ouvrage de Patrice Flichy intitulé Le Sacre de l’amateur, et dont les premières lignes donnent (mal ?) le ton :

Les quidams ont conquis Internet. Cent millions de blogs existent dans le monde. Cent millions de vidéos sont visibles sur YouTube. En France, Wikipédia réunit un million d’articles, et dix millions de blogs ont été créés. Un quart des internautes a déjà signé une pétition en ligne. Ces quelques chiffres illustrent un phénomène essentiel : le web contemporain est devenu le royaume des amateurs.

Ce qui définit l’amateur, c’est donc sa multitude indéterminée (par opposition, imagine-t-on, à la singularité du « professionnel » — j’y reviens à l’instant). Dans un autre ouvrage plus ancien au titre similaire (Le Culte de l’Amateur, également remarqué par Gunthert), l’entrepreneur américain Andrew Keen est même nettement plus vindicatif :

Voici l’ère où la musique que nous écouterons viendra de groupes amateurs dans des garages, les films que nous verrons viendront d’un YouTube amélioré, et les actualités, faite de potins mondains survitaminés, nous seront servies comme une garniture autour de la pub. Voilà ce qui arrive lorsque l’ignorance se joint à l’égoïsme qui se joint lui-même à la loi de la foule.

Les invasions barbares, réactualisation d’un mythe. Cependant, est-ce vraiment là la seule attitude possible ? Autre entrepreneur américain, Chris Anderson a montré avec ses travaux sur la « longue traîne » et l’économie de la gratuité que l’avènement des « multitudes » sur le Web pouvait permettre l’émergence de modèles éminement rentables.

À condition, évidemment, de savoir quoi vendre. Nous parlions récemment de ce glissement linguistique qui consiste à désigner les œuvres de l’esprit sous l’appellation de « contenu », glissement critiqué aussi bien par Stallman que Doctorow : jamais sans doute n’aura-t-il été aussi révélateur que dans l’expression User-Generated Content, « contenu produit par les utilisateurs », dont l’avènement dans les années 2000 a été décrit comme signe d’une « marchandisation du Web ».

Ainsi, le regard que porte le système idéologique dominant sur les multitudes d’internautes me semble osciller entre mépris et avidité, entre terreur et intérêt financier. Nous ne nous appesantirons pas ici sur l’oxymore « user-generator », retournement par lequel le public autrefois passif, devient aujourd’hui actif ; de spectateur, devient acteur ; de consommateur, devient producteur. Beaucoup s’en sont émerveillés (à juste titre), souvent avec cette tonalité d’auto-congratulation que nous évoquions plus haut ; d’autres ont fait remarquer combien l’internaute producteur de richesse intellectuelle devient force de travail volontaire, sans toujours en être conscient ; d’autres enfin soulignent que certaines formes de cette production de richesse sont à même de remettre en cause l’intégrité de notre citoyenneté — autant de critiques pertinentes et valides.

Le point sur lequel j’aimerais m’arrêter ici plus longuement est la dichotomie amateur/professionnel et l’idéologie qui la sous-tend. (C’est là un thème sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, et que j’ai déjà tenté d’évoquer ailleurs.) Outre son arbitraire simpliste, cette division me semble révélatrice d’un Ordre social conservateur, par lequel les auteurs se voient figés dans une marginalité clairement identifiée. Un signe de ce processus (sur lequel je reviendrai prochainement) est sans doute à lire dans l’emploi immodéré du terme « artiste » parmi les discours d’industriels ou de politiques : « défendre les artistes », « aimer les artistes »… Or, là où des termes comme « musicien », « écrivain » ou « peintre » évoquent une profession, le mot « artiste » renvoie à un statut social. Ce même « statut prestigieux, comme le relèvait Barthes dans sa mythologie de l’Écrivain en vacances, que la société bourgeoise concède libéralement à ses hommes de l’esprit (pourvu qu’ils lui soient inoffensifs) ». Soyez « artistes », soyez « professionnels »… mais surtout ne sortez pas de votre case. L’on sait ce que le mot « amateur » peut avoir de méprisant ; c’est pourtant occulter le pouvoir assujettissant du mot « professionnel ».

L’amateur d’un côté, le professionnel de l’autre : les deux termes sont d’ailleurs interdépendants, et nous verrons plus bas que leur définition même, dans le dictionnaire, relève de la tautologie. Un ordre bien délimité, bien intelligible, presque « naturel » pour ainsi dire… ce même naturel, note Barthes dans l’avant-propos déjà cité, « dont la presse, l’art, le sens commun affublent une réalité qui, pour être celle dans laquelle nous vivons, n’en est pas moins parfaitement historique ». Nous avons déjà eu l’occasion de nous arrêter sur le mythe du « créateur » ; nous pourrions l’examiner d’un point de vue historique et montrer combien des concepts tels que la singularité et l’unicité de l’auteur (pour ne rien dire de la propriété) sont bien moins universels, immémoriels et impérissables qu’on ne nous le laisse accroire. Dans de nombreuses cultures (et durant une très large part de l’histoire de l’Occident chrétien) les pratiques artistiques sont d’essence rituelle et le fait même de prétendre signer une œuvre semblerait incongru, l’auteur s’estompant devant la tradition ou les divinités ; inversement, même certains auteurs (peintres, compositeurs) qui passent aujourd’hui, à juste titre, pour des individualités exceptionnelles (ou génies, pour employer un autre mythe) de ces quatre derniers siècles, travaillaient dans des conditions que je n’hésiterais pas à qualifier de proto-industrielles. En fin de compte, les pratiques culturelles de toute société ne sont qu’un épiphénomène de son Histoire.

D’un côté l’amateur, de l’autre le professionnel. Certes. Mais comment qualifier alors un citoyen qui, sans être statutairement identifié comme « créateur », s’empare d’une parole publique à laquelle il ne devrait pas « légitimement » prétendre ? On lui fabriquera un nom hybride sur mesure : ce sera le Pro-Am. Virginie Clayssen décrit ainsi cette mise à l’index, avec une jolie période : « Les Pro-Am, cible des contempteurs de blogs, des pourfendeurs de Wikipédia, des détracteurs du Crowdsourcing, cible de ceux qui disent `et voiià, maintenant, n’importe qui peut dire n’importe quoi.´ »

J’irai, pour ma part, plus loin : la simple terminologie pro-am me semble elle-même investie de l’idéologie d’ « ordre social » que j’évoquais à l’instant, délimitée d’un côté par ceux qui produisent, de l’autre par ceux qui consomment. Dans ce cadre il n’est pas anodin de souligner dans quel contexte social se produit l’avènement de l’Internet User-Generated : dans une époque où « nos » sociétés occidentales s’engoncent dans une morosité économique et où les classes sociales sont de moins en moins perméables, la figure de l’artiste est l’une des dernières images positives laissant entrevoir la possibilité d’une ascension sociale — du moins en termes de capital symbolique : les pratiques artistiques, et les possibilités de diffusion ouvertes par Internet, incarnent pour toute une classe moyenne ou défavorisée, l’espoir de « devenir quelqu’un ». (On pourra lire à cet égard un récent article du jeune auteur québecois Mathieu Arsenault, qui applique avec pertinence quelques notions de Pierre Bourdieu au paysage culturel actuel.)

C’est pourquoi cette idéologie fonctionne aussi bien dans les deux sens : au mythe des hordes d’amateur déferlant sur les rivages de la civilisation numérique, répond en miroir celui du jeune artiste « révélé » par Internet. (Étant entendu que la cause finale de toute success story digne de ce nom n’est autre que de rentrer dans le rang : une fois « révélé », le pro-am devient pro tout court et l’Ordre est enfin confirmé.) Du « Sacre de l’amateur » comme horizon ultime.

L’anecdote qui suit me semble révélatrice de cette ambivalence. Comme nous le rapporte le blog américain Techdirt, la prestigieuse guilde des auteurs de romans policiers américains (Mystery Writers of America) se refuse encore aujourd’hui à accepter parmi ses membres des auteurs qui éditent eux-même leurs ouvrages. Cela agace particulièrement un auteur reconnu tel que J.A. Konrath, qui s’en plaint abondamment sur son blog.

Son (long) commentaire mérite d’être lu attentivement. Dans un premier temps, il décrit l’isolement et le besoin de reconnaissance d’un jeune auteur, les conditions (et tarifs) drastiques pour entrer dans cette association… puis sa déception lorsqu’il se rend compte que « La MWA, une structure qui était censée exister pour venir en aide aux auteurs, semblait n’exister que pour s’alimenter elle-même. » On est ici dans un cheminement classique, qui ne devrait étonner personne s’étant déjà trouvé en rapport avec une société dite « d’auteurs ».

Critique des intermédiaires, d’un système industriel dépassé : son texte reprend nombre d’arguments développés depuis longtemps dans le milieu Libriste. Cependant nous allons voir que son raisonnement diffère sensiblement des thématiques du mouvement Libre :

En fixant des conditions d’accès fondées sur les contrats passés avec des éditeurs traditionnels, cette association cherche à n’être composée que de professionnels.

Le fait est que la plupart des ouvrages auto-édités ne sont pas très bon, et n’auraient jamais été publiés dans le système traditionnel.

Mais les temps ont changé. Il est aujourd’hui possible pour les auteurs de contourner les gardiens du temple par choix (et non parce qu’ils n’auraient pas d’autre choix). Des auteurs auto-édités peuvent vendre beaucoup de livres et se faire un paquet d’argent. L’équivalent d’un salaire à temps plein.

Pour moi, être un professionnel n’est pas autre chose.

(…) Au demeurant, je suis entièrement d’accord pour protéger les auteurs d’éditeurs peu recommandables, et pour maintenir une qualité professionnelle élevée.

Mais ces règles font que même quelqu’un comme John Locke, qui a vendu près de 1 million de livres électroniques, ne pourrait prétendre s’inscrire à la MWA.

Combien de membres de la MWA tirent donc à 1 million d’exemplaires ?

J’ai vendu près de 300 000 livres électroniques auto-édités. Mais il semble que ça n’entre pas dans la définition de « qualité professionnelle » de la MWA.

Qualité professionnelle, apparemment, veut dire : « Vous ne valez rien tant que vous ne serez pas approuvé par l’industrie. »

(…) Dans toute structure, il existe une culture du « nous d’un côté, eux de l’autre ». C’est enraciné dans le génome humain. Disciplines sportives. Clubs d’étudiants. Sociétés secrètes. Syndicats. En tant que membre d’un lieu select, on se sent spécial. Dans le pire des cas, on se sent supérieur.

J’ai une info pour vous : aucun écrivain n’est supérieur à aucun autre. Certains peuvent avoir plus de talent. D’autres, plus de chance. Mais si l’on s’acharne, jour après jour, mois après mois, sur votre ordinateur et qu’on atteint enfin le mot magique « fin », on est un écrivain.

Vous voulez faire tourner un groupe d’écrivains ? Alors incluez tout le monde. Vous voulez faire tourner un groupe d’écrivains professionnels ? Ouvrez votre dictionnaire :

professionnel. Se dit de quelqu’un qui :
a. prend part contre rétribution à une activité souvent pratiquée par les amateurs
b. exerce une profession spécifique dans le cadre d’une carrière à long terme
c. est engagé par d’autres gens moyennant rémunération

D’après le dictionnaire, il me semble que beaucoup d’écrivains auto-édités pourraient être qualifiés de professionnels.

(…) Autrefois, il fallait être validé par les gardiens du temple (c’est-à-dire avoir le cul bordé de nouilles) pour se faire de l’argent.

Aujourd’hui on peut court-circuiter les intermédiaires et atteindre directement le lecteur, et se faire au passage une marge plus importante que jamais dans l’histoire de l’imprimerie.

Je me suis cassé le cul à essayer d’être édité. Mais je ne prétends pas que le succès m’est dû. Tout métier exige de travailler dur, et ça ne garantit rien.

Je me rends compte que j’ai eu de la chance de décrocher quelques contrats traditionnels, et encore plus de chance quand l’auto-édition est devenu aussi rentable.

Ça ne fait pas de moi quelqu’un d’estimable. Ça fait de moi quelqu’un de riche.

Si, un par un, les membres de la MWA réalisaient qu’il ne doivent leur carrière et leurs contrats qu’à un coup de chance, je doute qu’ils persisteraient à exclure l’auto-édition.

Au demeurant, je ne dis pas qu’il faudrait ouvrir les portes à tout le monde. Il devrait y avoir des standards de qualité. Une association d’écrivains devrait être composée d’écrivains, pas d’imposteurs.

Aussi, quels seraient mes critères d’admission si j’étais à la tête de la MWA ?

Je n’en aurais qu’un. Prouvez-moi que vous avez vendu 5000 livres. Et l’affaire est dans le sac.

Je dirais que tirer à 5000 témoigne d’une vraie motivation « professionnelle », sans que des dinosaures-gardiens du temple n’aient leur mot à dire. Laissons les lecteurs garder le temple : ce sont eux qui ont le dernier mot de toute façon.

(…) Chacun de nous travaille dur. Chacun de nous n’écrit qu’un mot à la fois. Certains d’entre nous réussissent, la plupart échouent.

Mais nous sommes tous écrivains. Nous pouvons tous apprendre des autres, et nous aider les uns les autres.

Et nous n’avons pas besoin d’une association pour nous dire qu’une avance sur droits de 500 dollars chez un éditeur traditionnel veut dire qu’on est un pro, mais pas un chiffre d’affaires de 500 000 dollars dans l’auto-édition.

Si les ouvrages de Konrath n’ont jamais été publiés sous licences Libres, l’on sait au moins qu’il est favorable à la diffusion gratuite sur Internet et à l’auto-publication.

Cependant cet extrait nous montre aussi combien il reste attaché à la distinction amateur/professionnel, et que son raisonnement s’appuie sur une quantification entièrement marchande (l’on pourra également se référer à ce calcul et cette discussion sur le même sujet, tous deux révélateurs) qui n’est pas sans rappeler la vision de Chris Anderson que nous évoquions plus haut.

Si l’avènement d’Internet et de « la multitude » marque les esprits et semble de nature à bouleverser l’ordre établi, il se contente finalement de perpétuer (dans le meilleur des cas, au prix d’une simple redistribution des rôles), sinon l’ordre social pré-existant, du moins ses valeurs et son idéologie. De même qu’un scenario de film hollywoodien joue avec l’idée de transgression et d’incertitude, pour finalement aboutir à une conclusion où sont restaurées les valeurs morales traditionnelles, le « vertige des grands nombres » que nous procure aujourd’hui le Web n’est autre que ce frisson délicieux d’extase, d’espoir ou de terreur qui nous saisirait devant un rebondissement inattendu : nous ne sommes, après tout, qu’au milieu du film.




Geektionnerd : Internet illimité

La semaine dernière un article d’Owni mettait le feu aux poudres. Depuis on a tenté de nous expliquer que oui mais non… Ils savent désormais en tout cas que c’est un sujet sensible qui peut très vite nous mobiliser.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)