Le Libre, entre marxisme et capitalisme ?

Entre les biens communs et le communisme, y aurait-il davantage qu’une parenté lexicale ? Le logiciel libre libère-t-il plus que le code ? Est-il l’instrument d’une lutte contre le capitalisme monopolistique, ou bien une ressource développée en marge du temps salarié et qu’il est pratique de piller dans une logique de marché ?

Des questions de ce type, et d’autres bien plus brutales encore, sont depuis longtemps posées par toutes sortes de personnes et pas seulement dans le milieu de l’informatique ou de sa culture. Voyez par exemple les réflexions avancées sur ce forum de marxistes révolutionnaires, cette autre analyse politico-philosophique déjà ancienne qui pose justement la problématique du Libre au-delà du logiciel en essayant « d’interpréter Marx dans le contexte du logiciel libre ». Ou encore ce texte d’Ernest Everhard qui analyse assez bien les limites politiques du logiciel libre, lequel ne peut suffire à transformer à lui seul la société — une prise de position dont la conclusion est la suivante : « il est nécessaire d’exproprier les grands éditeurs de logiciels ».

Bref, voilà bien un serpent de mer qui donne lieu à beaucoup d’approximations, de conjectures et de théories. Ou plutôt, que l’on tente fréquemment de rapprocher plus ou moins judicieusement de théories ou idéologies aussi variées que contradictoires, comme c’est le cas dans l’article de Jonathan Roberts.

Posons cependant l’hypothèse que ce débat est fertile car il oblige les libristes à se positionner et réfléchir au-delà de leurs mantras stallmanniens. Et peut-être à cerner mieux ce que le mouvement du logiciel libre n’est pas. « Ni de droite ni de gauche » prétendent constamment tous ceux qui refusent de reconnaître dans quel contexte politique il se déploie ou non. « Ni marxiste ni capitaliste » vont peut-être nous expliquer doctement certains commentateurs. Mais encore ? « Ni libertaire ni libertarien » ?

Ne prenez pas trop au sérieux les rapprochements forcément discutables que vous lirez ci-dessous, voyez-y plutôt une invitation à débattre. Librement.

La philosophie du logiciel libre

d’après Jonathan Roberts The philosophy of free software (Tech Radar)

Traduction Framalang ga3lig, peupleLa (relectures), KoS, brandelune, 4nti7rust, Amine Brikci-N, Goofy

Beaucoup de gens adorent se lancer dans un bon débat. Nous leur avons demandé (un peu comme une boutade) s’il était plus facile d’appréhender Linux sous l’angle du marxisme ou sous celui du capitalisme.

Les réponses qui nous sont parvenues étaient très drôles, mais la plupart étaient aussi plutôt élaborées et nous ont invités à réfléchir : comment Linux et le mouvement du logiciel libre trouvent-ils leur place dans les vastes débats philosophiques, économiques, éthiques et religieux qui passionnent les êtres humains depuis des siècles.

En constatant que même Linus Torvalds s’était lancé dans des spéculations aussi oiseuses, comme on peut le voir dans l’interview qu’il a donnée l’été dernier à la BBC, nous avons pensé qu’il serait amusant de poursuivre la conversation.

Nous allons aborder Linux et le logiciel libre selon une perspective cavalière, en l’examinant sous l’angle de quelques-uns de ces débats sans fin. Nous jetterons un coup d’œil à quelques théories pour savoir dans quelle mesure elles pourraient s’appliquer à notre système d’exploitation favori.

Tout d’abord cet avertissement : selon nous, ce qui est le plus important avec Linux et le logiciel libre, c’est qu’il s’agit d’une réalité pratique. C’est tout simplement sympa que ce truc fonctionne bien, c’est gratuit et les gens peuvent prendre beaucoup de plaisir à l’utiliser et à l’élaborer, certains peuvent même gagner un peu d’argent par la même occasion. Tout le reste n’est que littérature, donc ne soyez pas trop bouleversé par ce que vous allez lire !

Puisque nous avons mentionné l’interview de Linus Torvald à la BBC, commençons par là. Il y déclare : « …l’open source ne marche vraiment que si chacun y contribue pour ses propres raisons égoïstes… la propriété fondamentale de la GPL2 c’est sa logique de simple donnant-donnant : je te donne mes améliorations si tu promets que tu me feras profiter des tiennes ».

Ce qui rend l’observation de Torvalds intéressante c’est qu’on peut la mettre en rapport avec des discussions en philosophie, éthique, biologie, psychologie et même mathématiques qui remontent à Platon (au moins). Dans La République, Platon examine les notions de justice et de morale en posant la question : sont-elles des constructions sociales ou un Bien abstrait ?

Au cours du dialogue, Glaucon, un des protagonistes, évoque l’histoire de l’anneau magique de Gygès qui rend invisible celui qui le porte. Il présume que, juste ou injuste, tout homme qui porterait cet anneau agirait de la même façon : en prenant ce qui lui plaît sur les étals du marché, en s’introduisant dans les maisons pour y coucher avec qui lui plaît ou encore en tuant ses ennemis.

Il déclare :

« Si quelqu’un recevait ce pouvoir d’invisibilité et ne consentait jamais à commettre l’injustice ni à toucher au bien d’autrui, il paraîtrait le plus insensé des hommes à ceux qui auraient connaissance de sa conduite, (…) car tout homme pense que l’injustice est plus profitable que la justice. » (Platon, La République, II, 360d, traduction Robert Baccou)

Quelle vision déprimante de la nature humaine !

Que vous vous accordiez ou non avec Glaucon, il est évident que Torvalds soulève ce même point : sans contraintes sociales telles que la GPL v2, je ne serais pas en mesure de croire qu’en échange de mes améliorations du code, vous me donneriez les vôtres en retour.

Pourquoi le feriez-vous ? Après tout, si vous vous contentez de prendre mon code pour améliorer votre logiciel, vous aurez un avantage sur moi : moins de travail pour un meilleur résultat — et les gens sont égoïstes !

Il semble que même Platon, comme l’a fait plus tard Torvalds, ait au moins considéré que le monde ne tourne pas avec des gens qui disent : « asseyons-nous tous en rond autour d’un feu de camp pour chanter “Si tous les gars du monde…” et le monde sera meilleur ».

Les rapaces et la sécurité

Bruce Schneier traite du même problème dans son dernier ouvrage Liars and Outliers http://www.schneier.com/book-lo.htm… ; il met en évidence à quel point ce débat est courant, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monde de la technologie. Dans son livre, il décrit un processus appelé le jeu du Faucon-Colombe, inspiré de la théorie des jeux.

La théorie c’est que dans une population d’oiseaux sauvages en compétition pour la même quantité limitée de nourriture, certains sont des faucons et d’autres des colombes. Les faucons sont agressifs et vont se battre pour leur nourriture : quand ils rencontrent un autre faucon, ils vont tous les deux se combattre, et l’un obtiendra la nourriture tandis que l’autre sera blessé voire tué. Les colombes, au contraire, sont passives, et lorsqu’elles sont deux devant la même nourriture, elles choisissent de la partager entre elles. Si un faucon et une colombe sont confrontés, alors c’est toujours le faucon qui aura la nourriture et la colombe va choisir de se retirer.

Bien que vous puissiez tirer bien des conclusions de l’analyse de ce jeu, l’observation la plus importante que fait Schneier est la suivante : quel que soit le scénario envisagé, il y aura toujours au moins quelques faucons dans le lot.

Si la population au départ était composée à 100% de colombes, quelques-unes s’arrangeraient rapidement pour avoir pas mal de nourriture supplémentaire pour elles seules, en se comportant comme des faucons, sans trop de risques d’affronter d’autres colombes qui se comporteraient elles aussi comme des faucons. Bien entendu, à mesure que la population de faucons s’accroît, arrivera un moment où les conséquences en seront dommageables à l’ensemble de la population. Il n’y aura plus assez de nourriture pour les colombes, qui mourront lentement après s’être retirées de tous les combats sans nourriture, et les faucons auront de plus en plus d’affrontements avec leurs semblables, courant des risques plus grands d’être tués.

Bon, arrêtons là avec les faucons et les colombes. Quels rapports avec le logiciel libre et la GPL ? Eh bien on pourrait en déduire que sans la GPL « qui nous permet d’être égoïstes », comme le dit Torvalds, nous pourrions nous trouver dans la situation où trop de faucons s’emparent du code sans contribuer en échange, ce qui dégraderait progressivement la confiance et la participation, et finirait par détruire notre population de programmeurs open source.

Dans le reste de l’ouvrage, Schneier propose divers « mécanismes de sécurité » pour nous aider à avoir confiance dans les actions des autres, et nous permettre de travailler de façon collaborative même si nous ne pouvons pas forcément adhérer aux motivations (égoïstes) des autres. Tandis que Schneier signale des facteurs tels que la loi, l’évolution des neurones miroirs, etc., la GPL pourrait également être considérée selon cet angle ,à savoir comme un mécanisme de sécurité destiné à renforcer la confiance mutuelle et la collaboration. Et c’est aussi très malin.

Le logiciel libre et l’économie

En plus d’être un cas d’étude intéressant pour ceux qui s’intéressent à la coopération, le logiciel libre a reçu beaucoup d’attention pour ses similarités avec divers systèmes économiques. Un bon exemple en est Bill Gates, qui en 2005 disait : « Il y a des communistes des temps modernes qui voudraient se débarrasser des primes pour les (…) éditeurs de logiciels de diverses façons »

Maintenant, bien sûr, il est possible que l’intérêt de Gates ait moins été de tirer un bilan économique sérieux que d’effrayer le marché des entreprises américaines capitalistes qui aiment le libre-échange en les dissuadant d’utiliser des logiciels libres ; c’est une observation qui revient assez fréquemment pour mériter qu’on la prenne en considération.

Le premier point à noter est que le logiciel libre a peu à voir avec le communisme soviétique, dont les principales caractéristiques étaient la planification centralisée et un état policier imposant, complétés par des camps de prisonniers et de travail forcé. Ceux qui ont suivi le logiciel libre depuis suffisamment longtemps savent que la planification centralisée ne se produit que rarement, sinon jamais : la multiplication des formats logiciels, des distributions, suites bureautiques, environnements de bureau, serveurs web et de courriels en est une preuve suffisante.

Qui plus est, personne n’est obligé de travailler sur du logiciel libre ou de l’utiliser. En fait, étant donné que tous les formats de fichier sont implémentés avec un code ouvert, n’importe qui peut les ré-implémenter dans un programme concurrent sans sourciller. Beaucoup se sont emparés de ces arguments pour suggérer que – pour la plus grande frustration de Bill Gates, on peut bien l’imaginer – le logiciel libre a moins en commun avec le communisme soviétique que les pratiques de nombreuses entreprises propriétaires.

Des entreprises comme Apple et Microsoft sont réputées et même félicitées pour leur planification verticale ; elles sont aussi tristement célèbres par la façon dont elles enchaînent les utilisateurs à leurs logiciels et matériels informatiques en créant par défaut des formats de fichiers fermés et propriétaires que les programmes concurrents ne sont pas en mesure d’implémenter facilement eux-mêmes.

Le marxisme

Si le logiciel libre a peu de rapport avec le communisme soviétique, peut-être a-t-il davantage en commun avec le marxisme.

L’une des idées centrales dans cette vision du monde est qu’en détenant les moyens de production, que ce soit les machines, le savoir ou quoi que ce soit d’autre, les classes dominantes peuvent exploiter les classes dominées; tant qu’ils ne possèdent pas les moyens de production, les travailleurs doivent céder « volontairement » leur force de travail contre un salaire pour acheter les biens nécessaires à leur survie : un toit, des vêtements, de la nourriture et des loisirs. Ils ne peuvent véritablement choisir de travailler, et ils ne peuvent jamais avoir vraiment leur mot à dire sur leurs salaires ou la redistribution des profits.

Une des idées constantes chez Marx, c’est son espoir que la situation pourra être améliorée, avec des travailleurs qui conquièrent leur liberté au sein d’une société sans classes dans laquelle les moyens de production seront détenus en commun.

Puisque, dans le monde contemporain, l’un des principaux moyens de production est le logiciel, le logiciel libre correspond assez bien au système de Marx. Le code est effectivement un bien commun. Tout le monde est libre de le lire, de l’étudier, de le partager, de le remixer et le modifier. De ce fait, il est impossible que les travailleurs soient enchaînés par ceux qui les dominent dans le système de classes, puisque à tout instant chacun peut choisir d’utiliser les moyens de production, c’est-à-dire le code, à ses propres fins.

Liberté de pensée

Eben Moglen plaide en faveur de l’influence que la propriété commune du code peut avoir sur notre société, dans un discours prononcé aux Wizards of OS 3, intitulé « Les pensées sont libres : le logiciel libre et la lutte pour la liberté de pensée ».

Dans son discours, il a soutenu que « perpétuer l’ignorance, c’est perpétuer l’esclavage » (il sait vraiment tourner une phrase !). Son argument est que sans la connaissance de l’économie, sans la connaissance de l’ingénierie, de la culture et de la science – toutes ces choses qui font tourner le monde, les classes dominées ne pourront jamais espérer améliorer leur situation, ni espérer s’emparer des moyens de production.

Les logiciels libres, ainsi que le matériel libre, la culture libre et tout ce qui gravite autour du Libre, libèrent des moyens qui mettent la liberté de pensée et d’information à portée de main, si elle n’est déjà atteinte.

Les serveurs web ne sont pas limités seulement à ceux qui possèdent les moyens de production, parce que le code est libre, donc n’importe qui peut partager à sa guise n’importe quelle création culturelle de son choix. Ce peut être une simple chanson, mais ça peut aussi être le moyen de créer une monnaie mondiale, décentralisée, comme le Bitcoin, ou les plans de toutes les machines nécessaires pour construire votre propre petite ville, comme dans le Global Village Construction Set.

Ce qui importe, c’est que tout cela a été rendu possible par la propriété commune du code.

L’ordre spontané

Si vous n’êtes pas trop convaincu que le logiciel libre est un mouvement qu’aurait pu soutenir Marx, vous pourriez être surpris d’apprendre que vous disposez d’un bon argument : c’est une excellente illustration du libre-échange, cette théorie tellement chérie des capitalistes et tellement haïe des marxistes et militants anti-mondialisation sur toute la planète. Bon, peut-être pas le libre-échange, mais du moins c’est l’illustration d’une des idées majeures qui le sous-tend, celle de l’ordre spontané.

Une des principales idées du libre-échange c’est que, guidées par la main invisible du marché, les fluctuations de prix s’ajustent en fonction des efforts individuels d’une manière qui favorise le bien commun. Cette idée est étroitement associée à Adam Smith et Friedrich von Hayek, qui ont utilisé le terme d’ordre spontané pour la décrire, mais elle remonte en fait à David Hume, l’un des plus grands philosophes du mouvement des Lumières écossais.

Hume croyait qu’en l’absence d’autorité centralisée, les conventions et les traditions ressortent pour minimiser et résoudre les conflits et pour réguler les activités sociales. Contrairement à Smith et Hayek cependant, Hume croyait que les passions humaines vont au-delà du simple appât du gain et que de ces passions peuvent découler règles et conventions.

Quel rapport avec les logiciels libres ? Eh bien, c’est plutôt évident, non ? Le logiciel libre est un exemple d’ordre spontané dans le sens où l’entend Hume. Puisque les personnes qui y travaillent ne peuvent en retirer qu’un maigre profit et qu’il est distribué gratuitement, l’argent y tient peu de place. Dans le logiciel libre les communautés s’associent librement et travaillent ensemble à la création de logiciels auxquels la société dans son ensemble accorde de la valeur.

Il existe cependant quelques signes susceptibles d’influencer les projets sur lesquels les développeurs décident de travailler. Par exemple, si les utilisateurs d’un logiciel libre trouvent une meilleure alternative, ils vont probablement migrer vers celle-ci. Les développeurs, peu désireux de coder des logiciels qui risquent de n’être utilisés par personne, pourraient bien eux aussi aller voir ailleurs et travailler sur de nouveaux projets que les gens trouveront plus utiles.

De cette façon, et sans incitation au profit, les développeurs de logiciels libres concentrent réellement leurs efforts dans les domaines qui seront les plus utiles au plus grand nombre, c’est-à-dire pour le plus grand bien de la société dans son ensemble.




Pour que le Libre aille vers l’Université (Libres conseils 6/42)

Université et communauté

Kevin Ottens

Kevin Ottens est un « hacker » de longue date au sein de la communauté KDE[1]. Il a largement contribué à la plateforme KDE, en particulier à la conception des API et frameworks. Diplômé en 2007, il est titulaire d’un doctorat en informatique qui l’a amené à travailler, en particulier, sur l’ingénierie des ontologies[2] et les systèmes multi-agents. Le travail de Kevin au KDAB inclut le développement de projets de recherche autour des technologies KDE. Il vit toujours à Toulouse, où il est enseignant à mi-temps dans son université d’origine.


Introduction

Les communautés du Libre sont principalement animées par l’effort de bénévoles. De plus, la plupart des personnes qui s’impliquent dans ces communautés le font lors de leur cursus universitaire. C’est la période idéale pour s’engager dans de telles aventures : on est jeune, plein d’énergie, curieux et l’on veut probablement façonner le monde à son image. Voilà tous les ingrédients d’un bon travail bénévole.

Mais, en même temps, être étudiant ne laisse pas forcément beaucoup de temps pour s’engager dans une communauté du Libre. En outre, la plupart de ces communautés sont assez vastes et les contacter peut faire peur.

Cela soulève évidement une question dérangeante : si les communautés du Libre ne réussissent pas à attirer la nouvelle génération de contributeurs talentueux, est-ce parce qu’elles ne cherchent pas activement à étendre leur activité dans les universités ? Cette question pertinente, nous avons essayé d’y répondre dans le contexte d’une communauté qui produit des logiciels, à savoir KDE. Dans cet article, nous nous concentrerons sur les aspects auxquels nous n’avions pas initialement pensé mais qu’il nous a fallu aborder pour répondre à cette question.

Construire un partenariat avec une université locale

Tout commence, réellement, par le contact avec les étudiants eux-mêmes. Et pour ça, rien de mieux que de se rendre directement dans leur université et de leur montrer à quel point les communautés du Libre peuvent être accueillantes. À cet effet, nous avons construit un partenariat avec l’université Paul Sabatier de Toulouse  plus précisément, avec l’un de ses cursus – nommé IUP ISI (NdT : Ingénierie des Systèmes Informatiques) – axé sur le développement logiciel.

L’IUP ISI était très orienté sur les connaissances « pratiques » et avait à ce titre un programme pré-établi pour les projets étudiants. Un point particulièrement intéressant de ce programme est le fait que les étudiants travaillent en équipe « inter-promotions ». Des étudiants de troisième et quatrième années, généralement en équipes de 7 à 10, apprennent à collaborer autour d’un objectif commun.

La première année de notre expérience, nous nous sommes raccrochés à ce programme en proposant de nouveaux sujets pour les projets, et en nous concentrant sur des logiciels développés au sein de la communauté KDE. Henri Massie, directeur du cursus, a très bien accueilli cette idée, et nous a laissés mettre cette expérience en place. Pour cette première année, nous nous sommes vu attribuer deux créneaux horaires pour les « projets KDE ».

Pour créer rapidement un climat de confiance, nous avons décidé, cette année-là, d’offrir quelques garanties concernant le travail des étudiants :

  • Aider les professeurs à avoir confiance dans les sujets abordés : les projets sélectionnés étaient très proches des sujets enseignés à l’IUP ISI (c’est pourquoi, pour cette année, nous avons ciblé un outil de modélisation UML et un outil de gestion de projet) ;
  • donner un maximum de visibilité aux professeurs : nous avons mis à leur disposition un serveur, sur lequel étaient régulièrement compilés les projets étudiants, accessible à distance à des fins de test ;
  • faciliter la participation des étudiants à la communauté : les responsables des projets étaient désignés pour jouer le rôle du « client », soumettre leurs exigences aux étudiants et les aider à trouver leur chemin dans le dédale de la communauté ;
  • enfin, pour mettre le pied à l’étrier aux étudiants, nous leur avons donné un petit cours sur « Comment développer avec Qt et les autres frameworks produits par KDE ».

Au moment de l’écriture de ces pages, cela fait cinq ans que nous menons de tels projets. De petits ajustements dans l’organisation ont été apportés ici et là, mais la plupart des idées sous-jacentes sont restées les mêmes. La majorité des changements ont été le résultat d’un intérêt grandissant de la communauté, désireuse d’établir un partenariat avec les étudiants, et d’une plus grande liberté pour nous quant aux sujets que nous pourrions couvrir dans nos projets.

De plus, tout au long de ces années, le directeur nous a donné une aide et des encouragements constants, attribuant effectivement plus de créneaux pour les projets de la communauté du Libre et prouvant que notre stratégie d’intégration était juste : établir de la confiance dès le début est la clé d’un partenariat entre la communauté du Libre et l’Université.

Comprendre que l’enseignement est un processus interactif

Durant ces années à tisser des liens entre la communauté KDE et la filière IUP ISI, nous nous sommes retrouvés en situation d’enseignement afin d’assister les étudiants dans des tâches liées à leurs projets. Quand vous n’avez jamais enseigné à une classe pleine d’étudiants, vous avez sans doute encore une image de vous, il y a quelques années, assis dans une classe. En effet, la plupart des enseignants ont un jour été étudiants… Parfois même, pas le genre d’étudiant très discipliné ni attentif. Vous aviez sans doute l’impression d’être submergé : l’enseignant entrait dans la salle, faisait face aux étudiants, et déversait sur vous ses connaissances.

Ce stéréotype est ce que la plupart gardent à l’esprit de leurs années d’études et la première fois qu’ils se retrouvent en situation d’enseigner, ils veulent reproduire ce stéréotype : arriver avec un savoir à transmettre.

La bonne nouvelle, c’est que rien n’est plus éloigné de la vérité que ce stéréotype. La mauvaise nouvelle, c’est que si vous essayez de reproduire ce stéréotype, vous allez très probablement faire fuir vos étudiants et ne ferez face qu’à un manque de motivation pour participer à la communauté. L’image que vous donnez de vous est la toute première chose dont ils vont se souvenir de la communauté : la première fois que vous entrez dans la salle de classe, vous êtes, pour eux, la communauté.

Pour éviter de tomber dans le piège de ce stéréotype, il vous faut prendre un peu de recul et réaliser ce que signifie réellement d’enseigner. Ce n’est pas un processus à sens unique où l’on livre la connaissance aux étudiants. Nous sommes arrivés à la conclusion que c’est en fait un processus à double sens : vous êtes amené à créer une relation symbiotique avec vos étudiants. Les étudiants et les enseignants doivent tous sortir de la salle de classe avec de nouvelles connaissances. Il vous faut livrer votre expertise, bien sûr, mais afin de le faire efficacement, vous devez en permanence vous adapter au cadre de référence de vos étudiants. C’est un travail qui rend très humble.

Cette prise de conscience génère pas mal de changements dans la manière d’entreprendre votre enseignement.

  • Vous allez devoir comprendre la culture de vos étudiants. Ils ont probablement des expériences assez différentes des vôtres et vous allez devoir adapter votre discours à eux ; par exemple, les étudiants que nous avons formés font tous partie de la fameuse « génération Y » qui, en matière de leadership, loyauté et confiance, présente des caractéristiques assez différentes de la génération précédente.
  • Vous allez devoir réévaluer votre propre expertise, puisque vous allez devoir adapter votre discours à leur culture. Vous aborderez vos propres connaissances selon un angle très différent de celui dont vous avez l’habitude, ce qui vous mènera inévitablement à des découvertes dans des domaines que vous pensiez maîtriser.
  • Enfin, vous allez devoir vous forger des compétences en présentation ; l’enseignement consiste réellement à sortir de votre zone de confort afin de présenter vos propres connaissances tout en les gardant intéressantes et divertissantes pour votre audience. Cela fera de vous un meilleur présentateur.

Ainsi, vous deviendrez un meilleur enseignant. De plus, vous remplirez mieux vos objectifs : des étudiants bien formés, dont certains s’engageront dans la communauté du Libre.

Conclusion

Au bout du compte, pourquoi feriez-vous tous ces efforts pour établir une relation de confiance avec une université et sortir de votre zone de confort en améliorant votre manière d’enseigner ? Eh bien, cela se résume vraiment à la question initiale à laquelle nous avons tenté de répondre : 

Si les communautés du Libre ne réussissent pas à attirer de nouveaux contributeurs venus des universités, est-ce simplement dû à leur inaction ?

D’après notre expérience, la réponse est oui. Au cours de ces cinq années passées à bâtir un partenariat avec l’IUP ISI, nous avons attiré deux étudiants par année en moyenne. Certains d’entre eux nous ont quittés après quelque temps, mais certains sont devenus des contributeurs très actifs. Les autres gardent encore une certaine nostalgie de cette période de leur vie et continuent de nous soutenir même s’ils ne contribuent pas directement. En ce moment même, nous avons une équipe locale KDE qui a réussi à organiser efficacement une conférence de deux jours pour notre dernière « release party » (NdT : soirée de lancement).

Parmi ces anciens étudiants, pas un seul ne se serait impliqué dans le projet KDE sans ces projets universitaires. Nous serions passés complètement à côté de ces talents. Par chance, nous n’avons pas été inactifs.

[1] http://www.kde.org

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ontologie_(informatique)

Université et communauté

Kevin Ottens

Kevin Ottens est un « hacker » de longue date au sein de la communauté KDE[1]. Il a largement contribué à la plateforme KDE, en particulier à la conception des API et frameworks. Diplômé en 2007, il est titulaire d’un doctorat en informatique qui l’a amené à travailler, en particulier, sur l’ingénierie des ontologies[2] et les systèmes multi-agents. Le travail de Kevin au KDAB inclut le développement de projets de recherche autour des technologies KDE. Il vit toujours à Toulouse, où il est enseignant à mi-temps dans son université d’origine.


Introduction

Les communautés du Libre sont principalement animées par l’effort de bénévoles. De plus, la plupart des personnes qui s’impliquent dans ces communautés le font lors de leur cursus universitaire. C’est la période idéale pour s’engager dans de telles aventures : on est jeune, plein d’énergie, curieux et l’on veut probablement façonner le monde à son image. Voilà tous les ingrédients d’un bon travail bénévole.

Mais, en même temps, être étudiant ne laisse pas forcément beaucoup de temps pour s’engager dans une communauté du Libre. En outre, la plupart de ces communautés sont assez vastes et les contacter peut faire peur.

Cela soulève évidement une question dérangeante : si les communautés du Libre ne réussissent pas à attirer la nouvelle génération de contributeurs talentueux, est-ce parce qu’elles ne cherchent pas activement à étendre leur activité dans les universités ? Cette question pertinente, nous avons essayé d’y répondre dans le contexte d’une communauté qui produit des logiciels, à savoir KDE. Dans cet article, nous nous concentrerons sur les aspects auxquels nous n’avions pas initialement pensé mais qu’il nous a fallu aborder pour répondre à cette question.

Construire un partenariat avec une université locale

Tout commence, réellement, par le contact avec les étudiants eux-mêmes. Et pour ça, rien de mieux que de se rendre directement dans leur université et de leur montrer à quel point les communautés du Libre peuvent être accueillantes. À cet effet, nous avons construit un partenariat avec l’université Paul Sabatier de Toulouse  plus précisément, avec l’un de ses cursus – nommé IUP ISI (NdT : Ingénierie des Systèmes Informatiques) – axé sur le développement logiciel.

L’IUP ISI était très orienté sur les connaissances « pratiques » et avait à ce titre un programme pré-établi pour les projets étudiants. Un point particulièrement intéressant de ce programme est le fait que les étudiants travaillent en équipe « inter-promotions ». Des étudiants de troisième et quatrième années, généralement en équipes de 7 à 10, apprennent à collaborer autour d’un objectif commun.

La première année de notre expérience, nous nous sommes raccrochés à ce programme en proposant de nouveaux sujets pour les projets, et en nous concentrant sur des logiciels développés au sein de la communauté KDE. Henri Massie, directeur du cursus, a très bien accueilli cette idée, et nous a laissés mettre cette expérience en place. Pour cette première année, nous nous sommes vu attribuer deux créneaux horaires pour les « projets KDE ».

Pour créer rapidement un climat de confiance, nous avons décidé, cette année-là, d’offrir quelques garanties concernant le travail des étudiants :

  • Aider les professeurs à avoir confiance dans les sujets abordés : les projets sélectionnés étaient très proches des sujets enseignés à l’IUP ISI (c’est pourquoi, pour cette année, nous avons ciblé un outil de modélisation UML et un outil de gestion de projet) ;
  • donner un maximum de visibilité aux professeurs : nous avons mis à leur disposition un serveur, sur lequel étaient régulièrement compilés les projets étudiants, accessible à distance à des fins de test ;
  • faciliter la participation des étudiants à la communauté : les responsables des projets étaient désignés pour jouer le rôle du « client », soumettre leurs exigences aux étudiants et les aider à trouver leur chemin dans le dédale de la communauté ;
  • enfin, pour mettre le pied à l’étrier aux étudiants, nous leur avons donné un petit cours sur « Comment développer avec Qt et les autres frameworks produits par KDE ».

Au moment de l’écriture de ces pages, cela fait cinq ans que nous menons de tels projets. De petits ajustements dans l’organisation ont été apportés ici et là, mais la plupart des idées sous-jacentes sont restées les mêmes. La majorité des changements ont été le résultat d’un intérêt grandissant de la communauté, désireuse d’établir un partenariat avec les étudiants, et d’une plus grande liberté pour nous quant aux sujets que nous pourrions couvrir dans nos projets.

De plus, tout au long de ces années, le directeur nous a donné une aide et des encouragements constants, attribuant effectivement plus de créneaux pour les projets de la communauté du Libre et prouvant que notre stratégie d’intégration était juste : établir de la confiance dès le début est la clé d’un partenariat entre la communauté du Libre et l’Université.

Comprendre que l’enseignement est un processus interactif

Durant ces années à tisser des liens entre la communauté KDE et la filière IUP ISI, nous nous sommes retrouvés en situation d’enseignement afin d’assister les étudiants dans des tâches liées à leurs projets. Quand vous n’avez jamais enseigné à une classe pleine d’étudiants, vous avez sans doute encore une image de vous, il y a quelques années, assis dans une classe. En effet, la plupart des enseignants ont un jour été étudiants… Parfois même, pas le genre d’étudiant très discipliné ni attentif. Vous aviez sans doute l’impression d’être submergé : l’enseignant entrait dans la salle, faisait face aux étudiants, et déversait sur vous ses connaissances.

Ce stéréotype est ce que la plupart gardent à l’esprit de leurs années d’études et la première fois qu’ils se retrouvent en situation d’enseigner, ils veulent reproduire ce stéréotype : arriver avec un savoir à transmettre.

La bonne nouvelle, c’est que rien n’est plus éloigné de la vérité que ce stéréotype. La mauvaise nouvelle, c’est que si vous essayez de reproduire ce stéréotype, vous allez très probablement faire fuir vos étudiants et ne ferez face qu’à un manque de motivation pour participer à la communauté. L’image que vous donnez de vous est la toute première chose dont ils vont se souvenir de la communauté : la première fois que vous entrez dans la salle de classe, vous êtes, pour eux, la communauté.

Pour éviter de tomber dans le piège de ce stéréotype, il vous faut prendre un peu de recul et réaliser ce que signifie réellement d’enseigner. Ce n’est pas un processus à sens unique où l’on livre la connaissance aux étudiants. Nous sommes arrivés à la conclusion que c’est en fait un processus à double sens : vous êtes amené à créer une relation symbiotique avec vos étudiants. Les étudiants et les enseignants doivent tous sortir de la salle de classe avec de nouvelles connaissances. Il vous faut livrer votre expertise, bien sûr, mais afin de le faire efficacement, vous devez en permanence vous adapter au cadre de référence de vos étudiants. C’est un travail qui rend très humble.

Cette prise de conscience génère pas mal de changements dans la manière d’entreprendre votre enseignement.

  • Vous allez devoir comprendre la culture de vos étudiants. Ils ont probablement des expériences assez différentes des vôtres et vous allez devoir adapter votre discours à eux ; par exemple, les étudiants que nous avons formés font tous partie de la fameuse « génération Y » qui, en matière de leadership, loyauté et confiance, présente des caractéristiques assez différentes de la génération précédente.
  • Vous allez devoir réévaluer votre propre expertise, puisque vous allez devoir adapter votre discours à leur culture. Vous aborderez vos propres connaissances selon un angle très différent de celui dont vous avez l’habitude, ce qui vous mènera inévitablement à des découvertes dans des domaines que vous pensiez maîtriser.
  • Enfin, vous allez devoir vous forger des compétences en présentation ; l’enseignement consiste réellement à sortir de votre zone de confort afin de présenter vos propres connaissances tout en les gardant intéressantes et divertissantes pour votre audience. Cela fera de vous un meilleur présentateur.

Ainsi, vous deviendrez un meilleur enseignant. De plus, vous remplirez mieux vos objectifs : des étudiants bien formés, dont certains s’engageront dans la communauté du Libre.

Conclusion

Au bout du compte, pourquoi feriez-vous tous ces efforts pour établir une relation de confiance avec une université et sortir de votre zone de confort en améliorant votre manière d’enseigner ? Eh bien, cela se résume vraiment à la question initiale à laquelle nous avons tenté de répondre : 

Si les communautés du Libre ne réussissent pas à attirer de nouveaux contributeurs venus des universités, est-ce simplement dû à leur inaction ?

D’après notre expérience, la réponse est oui. Au cours de ces cinq années passées à bâtir un partenariat avec l’IUP ISI, nous avons attiré deux étudiants par année en moyenne. Certains d’entre eux nous ont quittés après quelque temps, mais certains sont devenus des contributeurs très actifs. Les autres gardent encore une certaine nostalgie de cette période de leur vie et continuent de nous soutenir même s’ils ne contribuent pas directement. En ce moment même, nous avons une équipe locale KDE qui a réussi à organiser efficacement une conférence de deux jours pour notre dernière « release party » (NdT : soirée de lancement).

Parmi ces anciens étudiants, pas un seul ne se serait impliqué dans le projet KDE sans ces projets universitaires. Nous serions passés complètement à côté de ces talents. Par chance, nous n’avons pas été inactifs.

[1] http://www.kde.org

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ontologie_(informatique)




« Libres conseils », une, première !

Qui n’a pas son projet libre ?

Plus qu’une mode ou un engouement passager, c’est un véritable mouvement de fond depuis quelques années : toute une communauté qui crée, échange, élabore, donne et reçoit des contributions, enfourche de nouveaux projets…

Fort bien, mais…

SourceForge récemment et Github aujourd’hui sont de véritables cimetières de projets libres et open source qui n’ont jamais trouvé d’audience, d’équipe de développement, de communauté active. Rien de bien tragique là-dedans. On peut estimer que ces plateformes sont pour beaucoup de libristes une sorte de terrain de jeu, de laboratoire, d’incubateur où le code et sa documentation s’expérimentent par à-coups, avec l’enthousiasme et l’énergie de ceux qui s’emparent d’un outil pour le mettre au service de leur créativité. Un excellent moyen d’apprendre en faisant finalement, à code ouvert. Et qu’importe alors l’absence d’aboutissement dans 80% des cas puisque c’est la démarche qui a été formatrice.

Cependant vous pouvez avoir envie de dépasser le stade du hobbyiste sympathique qui va bricoler son génial projet dans son coin. Vous pouvez avoir le désir de mettre toutes le chances de votre côté pour que le projet libre aboutisse vraiment, gagne en notoriété, entre dans une logique commerciale, vous procure amour, gloire et beauté.

C’est précisément l’intérêt du feuilleton dont vous allez déguster les épisodes semaine après semaine.

42 auteurs vous feront partager leur expérience, avec sérieux et humour, vous raconteront leurs ratages et leurs succès, vous diront comment éviter les uns et atteindre les autres. Des principes, des recommandations mais aussi des trucs et des ficelles, bref une ribambelle chatoyante de libres conseils.

Chaque semaine ou presque, l’équipe framalang vous proposera un nouvel épisode traduit du livre électronique en anglais Open Advice.

Chaque semaine — top départ chaque jeudi soir à 21h — une ou deux tranches du gâteau seront proposées à la traduction collaborative sur un framapad, donc en libre accès pour tous ceux qui souhaitent y contribuer. Participez à l’aventure !

La version que nous publierons ensuite ici même, comme dans le premier échantillon ci-dessous qui est une sorte de préambule, est un premier état de la traduction (donc évidemment perfectible), l’étape suivante sera une révision générale de tous les articles pour les joindre en un Framabook à venir.

Eh oui ça se passe comme ça chez Frama !

Les traducteurs de ce premier round d’échauffement :

peupleLa, Astalaseven, Hideki, Vilnus Atyx, liu qihao, Cyrille L., Khyvodul, jcr83, Slystone, schap2, 4nti7rust, Goofy, Antoine, lamessen + 4 anonymes

Libres Conseils

Logiciels libres et open source : ce que nous aurions aimé savoir avant de commencer

Open Advice est une base de connaissances provenant d’une grande variété de projets de logiciels libres. Elle répond à des questions dont 42 contributeurs majeurs auraient aimé connaître les réponses lorsqu’ils ont débuté. Vous aurez ainsi une longueur d’avance quelle que soit la façon dont vous contribuez et quel que soit le projet que vous avez choisi.

Les projets de logiciels libres modifient le paysage du logiciel de façon impressionnante grâce à des utilisateurs dévoués et une gestion innovante. Chacun apporte quelque chose au mouvement à sa façon, avec ses capacités et ses connaissances. Cet engagement personnel et la puissance du travail collaboratif sur Internet donnent toute leur force aux logiciels libres et c’est ce qui a rassemblé les auteurs de ce livre.

Ce livre est la réponse à la question « Qu’auriez-vous aimé savoir avant de commencer à contribuer ? » Les auteurs offrent un aperçu de la grande variété de talents qu’il faut rassembler pour réussir un projet de logiciel : le codage bien sûr, mais aussi le design, la traduction, le marketing et bien d’autres compétences. Nous sommes là pour vous donner une longueur d’avance si vous êtes nouveau. Et si ça fait déjà un moment que vous contribuez, nous sommes là pour vous donner un aperçu d’autres domaines et projets.

pour les géants et ceux qui se tiendront sur leurs épaules [1] 

Avant-propos

Ce livre parle de communauté et de technologies. Il est le fruit d’un travail collectif, un peu comme la technologie que nous construisons ensemble. Si c’est votre première rencontre avec notre communauté, vous pourrez trouver étrange de penser qu’une communauté puisse être le moteur qui propulse la technologie. La technologie n’est-elle pas l’œuvre des grands groupes industriels ? En fait, pour nous c’est presque l’inverse. Les auteurs de ce livre sont tous membres de ce que vous pourriez appeler la communauté du logiciel libre. Un groupe de personnes qui partagent l’idée fondatrice que les logiciels sont plus puissants, plus utiles, plus flexibles, mieux contrôlables, plus justes, plus englobants, plus durables, plus efficaces, plus sûrs et finalement simplement meilleurs quand ils sont fournis avec les quatre libertés fondamentales : la liberté d’utiliser, la liberté d’étudier, la liberté de partager et la liberté d’améliorer le logiciel.

Et bien qu’il y ait maintenant un nombre croissant de communautés qui ont appris à se passer de la proximité géographique grâce aux moyens de communication virtuels, c’est cette communauté qui en a été le précurseur.

En fait, Internet et la communauté du logiciel libre[2] suivaient des développements mutuellement dépendants. Au fur et à mesure qu’Internet grandissait, notre communauté pouvait grandir en même temps. Mais sans les valeurs ni la technologie qu’apportait notre communauté, il ne fait aucun doute à mes yeux que jamais Internet n’aurait pu devenir ce réseau global reliant les personnes et les groupes du monde entier.

À ce jour, nos logiciels font fonctionner la majeure partie d’Internet, et vous devez en connaitre au moins quelques-uns, comme Mozilla Firefox, OpenOffice.org, Linux, et peut-être même Gnome ou KDE. Mais notre technologie peut aussi se cacher dans votre téléviseur, votre routeur sans fil, votre distributeur automatique de billets, et même votre radio, système de sécurité ou bataille navale. Elle est littéralement omniprésente.

Ils ont été essentiels dans l’émergence de quelques-unes des plus grandes sociétés que vous connaissez, comme Google, Facebook, Twitter et bien d’autres. Aucune d’entre elles n’aurait pu accomplir autant en si peu de temps sans le pouvoir du logiciel libre qui leur a permis de monter sur les épaules de ceux qui étaient là avant eux. Mais il existe également de nombreuses petites entreprises qui vivent de, avec, et pour le logiciel libre, dont la mienne, Kolab Systems. Le fait d’agir activement avec la communauté et dans un bon esprit est devenu un élément de succès essentiel pour nous tous. Et c’est aussi vrai pour les plus grosses, comme Oracle nous l’a involontairement démontré durant et après sa prise de contrôle de Sun Microsystems. Il est important de comprendre que notre communauté n’est pas opposée au commerce. Nous aimons notre travail, et beaucoup d’entre nous en ont fait leur métier pour gagner leur vie et rembourser leurs crédits. Donc quand nous parlons de communauté, nous voulons dire des étudiants, des entrepreneurs, des développeurs, des artistes, des documentalistes, des professeurs, des bricoleurs, des hommes d’affaires, des commerciaux, des bénévoles et des utilisateurs. Oui, des utilisateurs. Même si vous ne vous en êtes pas encore rendu compte ou n’avez jamais appartenu à une communauté, vous faites en réalité déjà partie de la nôtre. La question est de savoir si vous allez y participer activement. Et c’est cela qui nous différencie des poids lourds de la monoculture, des communautés fermées, des jardins clôturés de sociétés telles qu’Apple, Microsoft et d’autres. Nos portes sont ouvertes. Tout comme nos conseils. Et également notre potentiel. Il n’y a pas de limite à ce que vous pouvez devenir — cela dépend uniquement de votre choix personnel comme cela a été le cas pour chacun d’entre nous.

Donc si vous ne faites pas encore partie de notre communauté, ou si vous êtes simplement curieux, ce livre offre un bon point de départ. Et si vous êtes déjà un participant actif, ce livre pourrait vous offrir un aperçu de quelques facettes et de quelques perspectives qui seront nouvelles pour vous.

En effet, ce livre contient d’importantes graines de ce savoir implicite que nous avons l’habitude de construire et de transférer à l’intérieur de nos sous-communautés qui travaillent sur diverses technologies. Ce savoir circule généralement des contributeurs les plus expérimentés vers les moins expérimentés. C’est pourquoi il semble tellement évident et naturel à ceux qui fréquentent notre communauté. Ce savoir et cette culture de la collaboration nous permettent de créer d’extraordinaires technologies avec de petites équipes du monde entier au-delà des différences culturelles, linguistiques et de nationalité. Cette manière de fonctionner permet de surpasser des équipes de développement bien plus grandes de certaines des plus grosses sociétés au monde. Tous les contributeurs de ce livre ont une expérience solide dans au moins un domaine, parfois plusieurs. Ils sont devenus des enseignants et des mentors. Au cours des quinze dernières années, j’ai eu le plaisir d’apprendre à connaître la plupart d’entre eux, de travailler avec beaucoup, et j’ai le privilège de compter certains parmi mes amis.

Comme l’a dit judicieusement Kévin Ottens pendant le Desktop Summit 2011 à Berlin, « construire une communauté, c’est construire de la famille et de l’amitié ».

C’est donc en réalité avec un profond sentiment de gratitude que je peux dire qu’il n’y a aucune autre communauté dont je préférerais faire partie, et je suis impatient de vous rencontrer à l’une ou l’autre des conférences à venir.

— Georg Greve

Zürich, Suisse, le 20 août 2011

Georg Greve a fondé la Free Software Foundation Europe (FSFE) en 2000 et en a été le président fondateur jusqu’en 2009. Durant cette période, il a été responsable du lancement et du développement de nombreuses activités de la FSFE, telles que les alliances, la politique ou les travaux juridiques. Il a intensivement travaillé avec de nombreuses communautés. Aujourd’hui, il poursuit ce travail en tant qu’actionnaire et PDG de Kolab Systems AG, une société qui se consacre entièrement aux logiciels libres. Pour ses actions en faveur du logiciel libre et des standards ouverts, Georg Greve a été décoré de la croix fédérale du mérite (Bundesverdienstkreuz am Bande) par la République Fédérale d’Allemagne le 18 décembre 2009. Thank You! Merci !

Ce livre n’aurait pu voir le jour sans la participation de chaque auteur et des personnes suivantes, qui ont aidé à sa réalisation :

Anne Gentle (relecture)

Bernhard Reiter (relecture)

Celeste Lyn Paul (relecture)

Daniel Molkentin (mise en page)

Debajyoti Datta (site internet)

Irina Rempt (relecture)

Jeff Mitchell (relecture)

Mans Rullgard (relecture)

Noirin Plunkett (relecture)

Oregon State University Open Source Lab (hébergement du site internet)

Stuart Jarvis (relecture)

Supet Pal Singh (site internet)

Saransh Sinha (site internet)

Vivek Prakash (site internet)

Will Kahn-Greene (relecture)

* * * * * *

[1] Note des traducteurs : dédicace par allusion à « Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants. » Bernard de Chartres, XIIe siècle

[2] Note de l’auteur : pour moi, l’Open Source n’est que l’un des aspects de cette communauté. Cet aspect particulier a trouvé son articulation en 1998, c’est-à-dire quelque temps après l’arrivée d’Internet. Mais n’hésitez pas à dire « Open Source » au lieu de « logiciel libre » si vous préférez ce terme.

Crédits photo hellojenuine (CC-BY-SA)




Pouhiou balance les hashtags #danstaface

Avec la publication de Smartarded la collection Framabook s’enrichit d’un feuilleton capricant et croquignolet, dont l’écriture rigoureusement fantaisiste surprendra agréablement plus d’un libriste. Une lecture jouissive, on vous dit. Que les thuriféraires de Paulo Coelho passent leur chemin, ici pas de spiritualité pour enfant de chœur prépubère, mais de la pure idée biscornue distillée dans l’alambic d’un Ariégeois dopé aux blogs, aux zachetagues et à la création Libre. Il s’agit de Pouhiou, avec lequel vous allez faire connaissance avant de pouvoir le rencontrer en chair et en os samedi prochain…quand il est sérieux (quatre minutes par semaine en moyenne) il peut évoquer de façon bien intéressante sa trajectoire de libriste…


Comment as-tu connu Framasoft ?

Quand j’ai commencé à passer d’Internet Explorer à Firefox, j’ai découvert le logiciel libre. Assez vite, je suis tombé sur cet annuaire formidable de logiciels et de modes d’emploi. J’ai pas l’impression d’être “un vrai” libriste : je suis encore sous OS privateur, enfermé chez google, exposé sur facebook… Mais j’ai toujours cru au fait que des passionnés partageant leur ouvrage feront mieux que quelques pros commercialisant leur boulot. C’est pour ça que j’ai été fan-subber ! Quoi qu’il en soit, à chaque nouvel ordi, je faisais un petit framapack. Régulièrement j’y ai découvert des solutions libres.

De là à faire un Framabook… comment ça s’est passé au juste ?

En Juin 2012, juste après avoir achevé le dernier épisode du livre I sur mon blog, je vais à une conférence sur le libre à Toulouse. Une conférence donnée par Alexis Kauffmann. Et là je retourne sur Framasoft. Je vois le Framablog, les Framabooks. Je me décide à les contacter… Mais pas pour être édité. Non… en vérité, je voulais juste qu’ils me fassent de la pub ! J’ai fait un pauvre email genre “bonjour, j’ai écrit/blogué ce roman chaque jour les 4 derniers mois, je me suis rendu compte que ce que j’écris est libre, donc je l’ai mis sous CC0. Si ça vous amuse ou si vous voulez en parler, je suis là. Bisous.”

Là-dessus, Christophe Masutti me répond que la collection FramaBook cherche à éditer un roman. Moi j’étais déjà parti dans un trip d’auto-édition en crowd-funding juste pour les potes et les quelques lecteurs du blog qui n’en voulaient… Du coup ça perturbait tout ! Mais on a proposé le roman au comité de lecture et on s’est lancés dans l’aventure.

Tu as manifestement pris plaisir au défi quotidien de l’écriture en ligne pour le premier tome des NoéNautes, est-ce que ce plaisir ne s’est pas émoussé en affrontant le temps plus long des révisions avant publication en Framabook. Ce n’est pas un peu frustrant pour un créateur libre ?

Ce plaisir là ne s’est pas émoussé : il a laissé la place à un plaisir tout autre ! L’écriture est un moment assez solitaire. Là, en plus, il y avait la tenue du blog, la recherche et le travail de fichiers d’illustrations, trouver des idées pour que les lecteur-trice-s partagent, faires des fichiers epub à chaque chapitre, faire le community manager, etc… Et même si pleins de gens m’ont aidé, même si tout le long on a soutenu et diffusé le projet… J’ai un peu fait tout seul, avec mes mimines. Et je m’apprêtais à faire de même pour un petit tirage papier…

C’est là qu’arrive Framabook et son équipe. Ils s’emparent de ce roman. Le questionnent. Le corrigent. Le tiraillent. Lui proposent d’autres directions, parfois pour au final faire marche arrière, parfois pour aller plus loin… Et tout cela prend du temps. Des discussions, des réflexions, des moments où on oublie tout pendant quelques jours histoire de se repencher dessus avec la tête froide…

Ça m’a fait un bien fou. Le fait de prendre le temps et le recul, de ne pas être dans l’urgence. Le fait de nourrir ce roman des regards auxquels il se confronte. C’est pour moi un rôle-clé de l’éditeur. Renvoyer la balle à l’auteur. Le pousser dans ses retranchements ou le faire monter au filet. L’avantage, c’est qu’avec Framabook, on travaille en équipe. On bosse avec des gens qui ne tiennent pas à faire reluire leur égo, mais juste à améliorer sincèrement l’ouvrage commun.

Mais bon en abandonnant tes droits tu ne gagnes rien, tu ne te considères pas comme un auteur à part entière ?

C’est drôle comme en France, on relie le statut artistique au copyright. Tu n’es auteur QUE si tu touches des droits. Moi je croyais qu’il fallait écrire, mais non. Si tu “abandonnes” tes droits, il doit y avoir un piège. Déjà c’est plus commercialisable. C’est que ton œuvre ne vaut pas grand chose. Et par extension, toi non plus…
C’est formidable comme tout cela est faux !
Tu sais que mon contrat de 15 % avec Framabook fait que je touche mieux que n’importe quel jeune auteur (contrats entre 5 et 8 %) voire qu’un Marc Lévy ou une Amélie Nothomb (entre 10 et 12 %) ?  Alors bien entendu, on n’a pas les mêmes volumes de vente. Mais ça, il ne tient qu’à la communauté de faire connaître et soutenir notre initiative. Et pour que ça arrive, c’est à nous, vrai éditeur ou pas vrai éditeur ; vrai auteur ou pas vrai auteur… C’est à nous de faire les meilleurs bouquins possibles. Un livre que tu aies envie de partager, tout simplement.

Vous retrouverez Pouhiou et son univers sous amphétamines ce samedi pour une séance de dédicace à Paris… Cliquez sur l’image ci-dessous pour l’agrandir.

framabook-rencontre-librairie

Crédit Photo Pouhiou Noelle-Ballestrero (CC-BY)




Benjamin Jean, guide dans la jungle des licences libres

Depuis sa parution l’an dernier, le Framabook de Benjamin Jean « Option libre » s’est imposé comme un ouvrage de référence, à la fois par son caractère didactique et documenté et parce qu’il s’avère un bon guide dans le maquis touffu des licences libres. Il permet en effet de définir sa propre stratégie pour choisir la licence libre la mieux adaptée à chaque projet. D’ailleurs son titre est judicieusement complété par « Du bon usage des licences libres »…

Ce n’est pas une mince qualité par ailleurs d’avoir rendu accessibles des notions juridiques dont Benjamin est un fin connaisseur, c’est un ouvrage qu’on peut saluer pour son souci de vulgarisation. En cela, il est parfaitement dans l’esprit des Framabooks qui prétendent partager le savoir, et bien au-delà du seul domaine du logiciel, apporter leur contribution à une éducation populaire.

Retour sur la petite histoire de ce livre et les valeurs dont il témoigne…

Pourquoi as-tu choisi de diffuser largement un essai qui semble destiné d’abord aux spécialistes du droit de la propriété intellectuelle dont tu fais partie ? Ça nous concerne vraiment ?

— Premier point, l’ouvrage n’est pas destiné aux spécialistes de la propriété intellectuelle (même si on y retrouve effectivement des réflexions qui ont fait l’objet de publications dans des revues spécialisées), mais bien à tous ceux que la propriété intellectuelle touche de près ou de loin — ce qui est beaucoup plus large 🙂

En effet, je trouve paradoxal qu’un droit aussi présent sur internet, dans le numérique, etc. soit si peu accessible au grand public. Cela pour au moins deux raisons :

  1. Le droit est un outil destiné à gérer (entendre « faciliter») les relations sociales, les liens entre les personnes : à ce titre, l’intérêt de diffuser très largement toutes les connaissances le concernant m’est paru évident (ce qui permet par ailleurs — peut-être — de redorer l’image du juriste qui, en « spécialiste du droit », en ferait son monopole) ;
  2. la place du public, des utilisateurs, au sein de la propriété intellectuelle (disons de la multitude des droits composants ce que l’on nomme propriété intellectuelle) est primordiale puisque la légitimité de cette propriété (sur l’« immatériel ») dépend de l’équilibre qu’elle formalise entre les intérêts des auteurs/créateurs et de la société. Il est donc important que le public prenne conscience du rôle actif qui lui incombe (et ne s’enferme pas dans l’image du pirate qu’on veut parfois lui donner).

Par ailleurs, et j’aurais pu commencer par là, la propriété intellectuelle est un domaine qui me passionne, certainement parce que j’aime l’exercice du droit, sa logique, ainsi que l’objet de la propriété intellectuelle : l’art, la musique, les NTIC, etc.) — et le partage d’une passion est naturel…

Donc oui, cet ouvrage concerne toute personne sensibilisée à la création et l’innovation à l’ère du numérique — du néophyte à l’expert, sachant que je suis dans l’attente de tout commentaire qui me permettrait de le perfectionner. L’objet initial (les licences libres) a rapidement été étendu au regard du cruel manque de bases (ouvrages notamment) sur lesquelles développer une réflexion sur les licences libres (et ça n’avait, à mes yeux, aucun sens de parler des licences libres sans les resituer au regard du système traditionnel et des différents courants de pensée qui le parsèment). J’ai déjà identifié quelques axes de perfectionnement (et la correction de coquilles), mais je crois qu’« Option Libre » constitue une bonne base de réflexion sur laquelle il est possible de rédiger des ouvrages plus techniques (ou “métiers”).

On reproche parfois aux licences libres leur démultiplication qui les rend difficilement « lisibles » pour qui ne s’est pas penché avec soin sur chaque particularité. Comment selon toi peut-on justifier leur foisonnement ?

— La réponse la plus courte serait certainement de renvoyer à l’ouvrage sur l’histoire du Libre qui devrait être publié au sein de la collection Framabook dès la fin de cet hiver. J’y contribue notamment au travers d’un article sur l’histoire des licences libres dans lequel j’essaie de peindre une fresque suffisamment large pour que les différentes motivations — plus ou moins bonnes — ayant emporté ces nouvelles licences s’y retrouvent.

Tout ce que je peux dire actuellement — et pour résumer les 20 pages —, c’est qu’une telle étude historique de l’apparition, mais surtout de l’évolution, des licences libres permet de mettre en avant l’intérêt de la licence comme « contrat social favorisant le travail communautaire ». La licence est donc le contrat qui relie les contributeurs d’une communauté et, à cet égard, on comprend facilement que des communautés aient cherché à formaliser leur propre contrat — certainement mieux adapté à leurs besoins. Il faut ensuite ajouter l’aspect politique (et parfois marketing) qui a conduit de nombreuses entreprises (et acteurs publics) à privilégier la rédaction de nouvelles licences, sans nécessairement que ce choix soit stratégiquement pertinent.

On se retrouve au final avec des centaines de licences libres, voire des milliers si on compte les variantes, mais — honnêtement — le travail de lecture (et de compréhension) est souvent beaucoup plus simple que pour une licence commerciale classique (puisque chacune est spécifique). Ainsi, le livre donne quelques clés (et notamment une “grille de lecture”) pour faciliter l’appréhension des licences libres (qui, en dépit de toutes ces différences, partagent énormément de points communs).


Tu as choisi une publication Framabook, quel intérêt y vois-tu, par rapport à d’autres supports d’édition numérique ?

— Le choix a été très simple puisque j’étais déjà impliqué dans Framasoft lors de la publication des premiers Framabooks et qu’Alexis m’avait mis au défi de rédiger un ouvrage sur les licences libres…. Un certain nombre d’années auront été nécessaires pour que je trouve le temps nécessaire à l’ouvrage — bien 5-6 ans, j’ai d’ailleurs publié entre-temps le Guide Open Source, mais le pari est tenu. Ayant été sensibilisé aux problématiques des développeurs au travers de la Framagora (ce qui avait mené, un peu plus tard, à la création de l’association Veni, Vidi, Libri), la publication d’un ouvrage sur les licences libres était à mes yeux une évidence puisqu’il s’agissait certainement de la contribution la plus utile que j’étais en mesure de produire.

Tu vas samedi à la rencontre de véritables lecteurs en chair et en os, tu ne redoutes pas d’être pris à parti par un trolleur de licences ;-) ?

— Pour la petite histoire, c’est l’image qui m’avait accueilli lors de mes premiers posts sur LinuxFr.
    Je dois avouer que les premières fois n’étaient pas des plus agréables (d’autant plus que je produisais un travail relativement conséquent sur les sujets sur lesquels je m’exprimais), mais j’ai finalement vite appris à relativiser (la première page de mon mémoire de DEA sur les compatibilités entre licences était d’ailleurs illustrée par un énorme troll poilu…) et les commentaires qui visent les juristes sont aujourd’hui beaucoup moins virulents qu’auparavant. On a tous à apprendre des autres et je suis toujours aussi content de partager autour d’une passion commune.
    Donc aujourd’hui, je ne saurai pas tout à fait expliquer ce qui a changé (mon discours certainement, mais les communautés aussi me semble-t-il) mais je n’ai plus cette crainte. Le juriste n’est plus le diable.

Vous retrouverez Benjamin et sa passion pour le Libre ce samedi pour une séance de dédicace et troll en live… Cliquez sur l’image ci-dessous pour l’agrandir.

framabook-rencontre-librairie

Crédit photo Benjamin Jean : teemu-mantynen (CC BY-SA 2.0)




Culture wants to be free !

Timcowlishaw - CC by-saUne traduction un peu datée mais ô combien actuelle en France à l’heure où Monsieur Sarkozy souhaite simultanément démocratiser la culture et sauver l’industrie musicale (ce qui peut devenir antinomique si l’on s’y prend mal !).

Il s’agit d’un communiqué du Parti Libéral norvégien (que certains classent dans la gauche libérale et qui pesait 6% aux dernières élections locales)[1].

La culture veut être libre !

Culture wants to be free!

The Liberal Party – 16 avril 2007
(Traduction Framalang : VLI, Daria et Yostral)

Congrès du Parti Libéral, 14 avril 2007 : Le Congrès du Parti Libéral (Venstre) a déclaré que les cadres légaux actuels sur les droits d’auteurs ne sont pas adaptés à une société moderne. Les nouvelles technologies donnent aux artistes et aux consommateurs de vastes opportunités, mais créent aussi des défis. L’équilibre entre les demandes des consommateurs, le besoin de la société à l’ouverture et à l’accès à la culture, et le droit des artistes aux revenus et à l’attribution des oeuvres, doit s’améliorer.

La loi sur les droits d’auteurs est dépassée. Une société dans laquelle la culture et la connaissance sont libres et accessibles à tous en termes identiques est un bien commun. Les grands distributeurs et les détenteurs de droits d’auteurs détournent systématiquement et à grande échelle les copyrights, et de ce fait bloquent le développement artistique et l’innovation. Par conséquent, le Parti Libéral veut réintroduire l’équilibre dans la loi sur les droits d’auteurs avec différentes modifications :

Liberté du partage de fichiers : Le développement des techniques a permis la diffusion de la culture, qu’elle soit populaire ou de niche, au travers du globe, avec un coût minime. Nous avons besoin de nouvelles façons de dédommager les artistes et les détenteurs des droits d’auteur, pour rendre le partage de fichiers possible. Les lois et régulations, tant nationales qu’internationales, doivent être modifiées pour réguler uniquement les limitations d’utilisation et de distribution dans un contexte commercial.

Liberté d’échantillonage / reproduction : L’opinion du Parti Libéral est que les lois restrictives actuelles concernant les droits d’auteurs créent une situation difficile pour les musiciens, les producteurs de films, les écrivains et d’autres artistes lorsqu’ils veulent recréer ou retravailler d’anciennes oeuvres ou productions. En principe, ceci est illégal sans le consentement de tous les détenteurs des droits des oeuvres originales. Le Parti Libéral veut simplifier cette situation. La recréation d’anciennes oeuvres devrait être régulée comme un usage juste, et les lois existantes sur le plagiat sont plus que suffisantes pour protéger les droits des détenteurs des copyrights.

Durée de vie des droits d’auteurs plus courte : Actuellement, les droits d’auteurs en Norvège restent valides 70 ans après le décès du détenteur original des droits. Ceci est excessif ; les termes des droits d’auteur doivent être à un niveau qui équilibre mieux l’innovation et la diffusion de la culture. Le Parti Libéral voudrait une durée de vie plus courte sur les droits d’auteur.

Interdiction des DRM : Le Parti Libéral déclare que quiconque a acheté le droit d’utiliser un produit a besoin d’un moyen technologiquement neutre de l’utiliser. Ceci signifie que les distributeurs ne peuvent contrôler comment les citoyens peuvent jouer la musique numérique qu’ils ont légalement achetée. Le Parti Libéral veut prohiber les limitations techniques sur les droits légaux des consommateurs à utiliser librement et distribuer l’information et la culture, connues sous le nom de DRM. Au cas où une interdiction sur les DRM sortirait de la juridiction norvégienne, les produits qui utilisent des technologies de DRM devraient clairement mentionner le périmètre de leur utilisation avant d’être vendus.

Notes

[1] Crédit photo : Timcowlishaw (Creative Commons By-Sa)