Le gouvernement britannique affiche sa volonté de soutenir l’Open Source

Steve Punter - CC byLe Framablog en témoigne dans de nombreux récents articles, « ça bouge » en ce moment en Angleterre.

Dernier évènement en date en non des moindres, l’annonce d’un plan gouvernemental d’action en faveur de l’Open Source (que l’on aurait aimé traduire par « Logiciel Libre » mais c’eût été d’après nous en modifier le sens).

Ce document intitulé Open Source, Open Standards and Re-Use: Government Action Plan est actuellement entre les mains de notre équipe Framalang, mais en attendant voici comment il est évoqué sur le site de la BBC[1].

Le gouvernement anglais soutient l’Open Source

UK government backs open source

25 février 2009 – BBC News
(Traduction Framalang : Vincent)

Le gouvernement anglais a déclaré qu’il allait accélérer l’utilisation de logiciels libres dans les services publics.

Tom Watson, MP (Ndt : Membre du Parlement), ministre de l’économie numérique, a déclaré que le logiciel libre serait considéré au même titre que le logiciel propriétaire, tel que Windows.

Le logiciel libre sera adopté « quand il apporte le meilleur rapport qualité/prix », a déclaré le gouvernement.

Il a ajouté que les services publics devraient autant que possible éviter d’être « enfermés dans des logiciels propriétaires ».

Les licences d’utilisation de logiciels libres sont généralement gratuites et adoptent des standards ouverts, et le code qui constitue les programmes peut être modifié sans crainte d’enfreindre les copyrights ou la propriété intellectuelle.

D’après certains représentants de l’industrie des logiciels libres, la migration depuis les standards propriétaires pourrait faire économiser à l’état 600 millions de £ (NdT : environ 670 millions d’euros) par an.

Simon Phipps, patron de la stratégie Open Source chez Sun Microsystems, a dit que la déclaration du gouvernement britannique faisait partie d’un « mouvement global » de reconnaissance de l’Open Source dans les gouvernements.

« Nous perdons une fortune dans le logiciel propriétaire car nous payons des licences et des promesses, et nous n’exigeons pas de valeur », a-t-il dit.

M. Phipps a dit que les écoles, les ministères et les services publics auraient une « liberté cruciale » à savoir s’ils allaient payer pour le support et la formation en utilisant les logiciels Open Source.

Le plan d’action du gouvernement pourrait voir une vague de logiciels libres déployés dans des domaines tels que les applications bureautiques (traitement de texte et tableurs), la gestion documentaires et les infrastructures de bases de données, la colonne vertébrale de nombreux systèmes informatiques importants.

Plus d’ampleur

Steve Shine, vice-président Europe de Ingres, un vendeur de support Open Source, a dit que le plan d’action du gouvernement avait plus d’ampleur que les politiques adoptées dans d’autres pays, car le plan était lié aux politiques d’approvisionnement des nouveaux logiciels pour les responsables TIC.

Il a déclaré que ce mouvement avait été en partie entamé suite à une série d’échecs retentissants de projets informatiques dans les dernières années, qui reposaient sur des logiciels propriétaires.

Il a dit : « L’Open Source peut aider à éviter de nombreux coûts cachés des logiciels propriétaires, comme ceux qui font que les organisations paient à nouveau des licences s’il veulent utiliser une option logicielle à la place d’une autre. Ceci est hors de propos dans le monde du logiciel libre. »

En annonçant son plan d’action en faveur de l’Open Source et des standards ouverts, le gouvernement a déclaré qu’il voulait :

  • s’assurer que le gouvernement adopterait des standards ouverts et les utiliserait pour communiquer avec les citoyens et les entreprises qui auront adopté des solutions Open Source ;
  • s’assurer que les solutions Open Source seraient considérées convenablement et, si elles apportaient la meilleure valeur, seraient sélectionnées comme solutions pour le gouvernement ;
  • renforcer les compétences, l’expérience et les capacités au sein du gouvernement et des ses fournisseurs pour utiliser l’Open Source au mieux de son avantage ;
  • implanter une culture Open Source du partage, de la ré-utilisation et du développement collaboratif entre le gouvernement et ses fournisseurs ;
  • s’assurer que les intégrateurs systèmes et les fournisseurs de logiciels propriétaires démontreraient la même flexibilité et la capacité à réutiliser leurs solutions et produits, comme cela se fait dans le monde de l’Open Source.

Les ministères seront requis d’adopter les logiciels libres lorsqu’il « n’y a pas de différence significative de coût entre des produits Open Source ou non », à cause de sa « flexibilité intrinsèque ».

Vive réaction attendue

MM. Phipps et Shine pensent qu’on peut s’attendre à une vive réaction de la part des éditeurs de logiciels propriétaires.

« Je suis absolument certain qu’il y a eu des contacts significatifs entre les fournisseurs de logiciels propriétaires et des personnes haut-placées dans le gouvernement », a dit M. Shine.

M. Phippe a ajouté : « A court terme, les fournisseurs traditionnels vont baisser leurs prix, approcher de plus près leurs contacts et faire tout ce qu’ils peuvent pour apparaître moins chers. Mais la vraie valeur ajoutée du logiciel libre vient de sa capacité à donner une nouvelle flexibilité aux utilisateurs. »

Il a dit que l’adoption généralisée de logiciels libres dans les services publics pourrait également avoir des implications sur les usages domestiques.

« C’est déjà en train d’arriver en Angleterre. Beaucoup de particuliers utilisent Firefox et OpenOffice.org. Cela devient non seulement acceptable mais attendu. »

Notes

[1] Crédit photo : Steve Punter (Creative Commons)




Le débat britannique traversera-t-il la Manche ?

Hamed Masoumi - CC byL’article que nous vous proposons aujourd’hui n’a rien d’original en soi. Il doit en exister de similaires partout dans le monde sachant qu’en plus le mouvement ne fait que commencer. Il nous a semblé pourtant intéressant de le traduire dans un contexte où la France semble prendre du retard sur le sujet.

Nous sommes en Angleterre, pays que le Framablog visite souvent en ce moment, le parti conservateur, dans l’opposition, demande aux travaillistes au pouvoir de réduire (voire plafonner) ses dépenses publiques en matière de TIC et d’envisager des solutions « Open Source » pour y arriver.

Il est bien sûr question de jeu politique et, surtout, d’économies de gros sous en période de crise. Mais la question de l’interopérabilité est évoquée (se donner un « langage commun ») ainsi que celle de l’accès des petites sociétés de services en logiciels libres aux marchés publics jusqu’ici l’apanage des grands groupes.

Pour rappel le système politique britannique actuel est fondé sur le bipartisme, avec à droite les Conservateurs (appelés aussi « Tories ») et à gauche les Travaillistes (ou « Labor Party ») actuellement au pouvoir avec Gordon Brown, successeur de Tony Blair[1].

Le parti conservateur britannique envisage de plafonner les dépenses TIC du gouvernement

Tories consider IT contract cap

27 janvier 2009 – BBC News
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Le parti conservateur britannique envisage sérieusement d’imposer un plafond de 100 millions de livres au buget TIC du gouvernement afin d’éviter les gouffres financiers comme celui qu’a connu le système informatique du National Health Service (NdT : le système de santé public).

Au lieu de confier des contrats de longue durée à de grosses entreprises de TIC, les députés Tories souhaitent ouvrir les appels d’offres à de plus petites sociétés proposant des logiciels « Open Source ».

Un rapport rédigé à l’intention du Shadow Chancellor George Osborne (NdT : membre de l’opposition chargé des questions économiques au sein de son parti) avance que les économies potentielles pourraient atteindre 600 millions de livres.

D’après les Tories, les Travaillistes auraient dilapidé des milliards dans des projets TIC « catastrophiques ».

Le Shadow Chancellor est en train d’examiner ce rapport, que lui a remis le docteur Mark Thompson, professeur de la Judge Business School à l’université de Cambridge, dans le cadre des préparatifs détaillés du projet de gouvernement auquel travaillent les conservateurs.

« Moderniser le gouvernement »

« Le parti conservateur est tourné vers l’avenir », a déclaré Mr. Osborne. C’est nous qui avons ouvert le débat sur l’utilisation des logiciels libres au sein du gouvernement, et je me réjouis que le docteur Mark Thompson nous ait soumis ces recommandations détaillées.

« Ces propositions n’ont pas pour seul objectif la limitation des dépenses. Il est surtout question de moderniser le gouvernement, de rendre les services publics plus novateurs et de les améliorer. »

Il a déclaré vouloir recueillir les avis du public et de l’industrie des TIC sur ces propositions.

Les conservateurs accusent le gouvernement d’avoir dilapidé des milliards de livres dans des projets TIC calamiteux, comme par exemple le système de dossiers médicaux informatisé du National Health Service, dont le coût initialement prévu à 2 milliards de livres a explosé pour en atteindre 12, et qui depuis le début accumule les retards.

Le Committee on Public Accounts (NdT : équivalent de la Cour des comptes) a récemment émis des doutes quant au respect de la date butoir, fixée à 2015.

Ces dernières années, le gouvernement a revu à la baisse certains projets TIC. En 2006, il a mis au rancart un projet de plusieurs milliards de livres visant à déployer un nouveau système centralisé pour le registre national d’identité, préférant le laisser en l’état et conserver l’ensemble des renseignements sur trois bases de données séparées déjà existantes.

Mais selon les conservateurs, on pourrait économiser des millions supplémentaires en abandonnant les pratiques actuelles du gouvernement consistant à confier les projets TIC à un petit nombre de grosses entreprises.

« Ouvrir la concurrence »

Dans son rapport, le docteur Thompson plaide en faveur d’un système d’appels d’offres TIC « ouvert », où l’on consulterait un plus grand nombre d’entreprises, y compris des start-ups innovantes.

Il recommande l’adoption des formats de données ouverts et standards au sein du gouvernement, afin de créer un « langage » commun pour les systèmes TIC de l’État.

Cela aurait pour conséquence de réduire les coûts des acquisitions de licences et d’affranchir les corps gouvernementaux de contrats monopolistiques de longue durée, indique-t-on dans le rapport.

« Cela signifie que le gouvernement du Royaume-Uni n’aurait plus jamais contraint à signer un contrat pour des logiciels dépassant les 100 millions de livres. Finis les gouffres financiers informatiques », y ajoute-t-on.

D’après le docteur Thompson, son rapport « explique comment le gouvernement peut économiser des centaines de millions de livres chaque année en instaurant un processus plus ouvert de passation de marchés publics pour les TIC, ce qui impliquerait de donner leur chance aux logiciels libres. »

Et d’ajouter : « Cela n’a rien de sorcier. Il s’agit de créer un système de passations de marchés publics moderne et efficace. Partout dans le monde, des gouvernements et des entreprises utilisent des logiciels libres, et nous-même ici au Royaume-Uni pourrions faire beaucoup plus que ce que nous faisons actuellement. »

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Masoumi (Creative Commons)




La loi Création et Internet, le chant du cygne et le maquis

Tempo no tempo - CC byCette loi « Création et Internet » s’apparente de plus en plus au chant du cygne d’une industrie culturelle totalement dépassée par les événements et qui s’arc-boute sur ce qu’il lui reste encore de privilèges hérités du siècle dernier. Associée avec la politique web 1.0 d’un Sarkozy, tout est réuni pour casser la société numérique en deux et voir les éléments les plus progressistes du pays prendre le maquis virtuel pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être tant que la neutralité du Net sera garantie.

Un peu emphatique ce premier paragraphe non ? Allez, tant, pis, je le garde quand même 😉

En fait il s’agissait juste d’introduire cet article du collectif Libre Accès, qui fait justement partie de ceux qui sont bien décidés à ne pas s’en laisser compter[1].

Edit : Dans un autre registre, on pourra également lire cette gore mais assez désopilante BD de Flock.

La libre circulation de l’Art est la garantie de notre liberté

Libre Accès – Lettre d’information – février 2009
Article sous Licence Art Libre

La préface de La crise de la culture d’Hannah Arendt commence par cette citation d’un poème de René Char : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », faisant référence à son choix d’entrer en résistance, à la prise de conscience que lutter contre la tyrannie restitue à chacun, au sein de l’espace public, sa liberté.

La circulation des œuvres de l’esprit a toujours été un enjeu majeur ; les amateurs du totalitarisme ont une forte passion morbide pour brûler des livres et imposer leur pensée unique aux masses. Le hacker Soljenitsyne en a su quelque chose : la parution de L’Archipel du Goulag, qui arriva en Europe de l’Ouest sous la forme d’un microfilm, est un des premiers exemples de l’enjeu que représente la numérisation des livres pour notre civilisation.

Il reste encore des hommes et des femmes dans le monde pour qui les actes de création constituent autant d’actes de résistances à la tyrannie. Actes de dignité où écrire, filmer, peindre, peut constituer un véritable crime passible de la peine de mort. Il est important de garder cette idée présente à l’esprit et de ne pas oublier qu’Internet représente rien de moins que de notre liberté de créer, d’échanger et de partager.

L’essence et l’avantage d’Internet est sa décentralisation. C’est l’outil rêvé de tous les amoureux de la liberté, encyclopédistes des Lumières, amis de l’éducation populaire et de l’art, leur permettant de diffuser leurs idées et les conserver. Bibliothèque-monde de toutes les cultures, lieu de production et de circulation de la pensée, l’art pour tous accessible, outil de pair à pair par excellence, Internet est un idéal des Lumières. C’est un espace d’expression, de réciprocité, de critique et donc de création.

En termes économiques, il serait temps de prendre conscience de faits essentiels qui se dessinent depuis son apparition :

  • l’ancien modèle des médias était basé sur la diffusion et la consommation, tandis que le nouveau modèle s’est développé sur la participation et l’expression;
  • l’élément critique de l’ancienne chaîne de valeur reposait sur la distribution, tandis que la nouvelle chaîne de valeur est centrée sur la découverte et la propagation;
  • il faut porter son attention là où l’argent s’est déplacé, là où les gens dépensent leur argent, sans occulter dans le même temps que les circuits financiers et produits dérivés se sont globalisés, hors de tout contrôle des Etats-nations et des territoires.

Ce sont là des données de base, familières à tout acteur informé de l’économie numérique. Il est donc particulièrement inquiétant pour nos démocraties de constater que ces mêmes lobbies financiers n’ont de cesse de vouloir contrôler Internet par des méthodes non seulement arbitraires et irrationnelles mais également tout à fait dépassées.

Les arguments justifiant la mise sous contrôle du réseau se réclament paradoxalement de la défense de la culture, alors que c’est justement elle qui est attaquée ; au même titre qu’ils invoquent des raisons pseudo-économiques, alors que par essence l’économie numérique refuse radicalement un contrôle central. Ce paradoxe a d’ailleurs été brillamment dénoncé par les situationnistes qui écrivaient dès 1967 : « la fin de l’histoire de la culture se manifeste par deux côtés opposés : le projet de son dépassement dans l’histoire totale, et l’organisation de son maintien en tant qu’objet mort, dans la contemplation spectaculaire »

Ces objets morts, stars télévisuelles qui ont l’odeur des icônes des églises mais sans leur efficacité, sont mis en avant pour justifier tous les abus du contrôle d’Internet. La mort de notre liberté est préparée dans une tentative vaine et pitoyable de conjurer la mort de l’artiste télévisé.

La loi « Création et Internet » souhaiterait que l’on installât un logiciel sur chacun de nos ordinateurs pour prouver que nous ne sommes pas des copieurs d’œuvres numériques interdites. Absurdité fondamentale : l’informatique, Internet, sont intrinsèquement copie, comme le rappelait Intel Corporation dans son Amicus brief lors du procès MGM vs Grokster.

L’argument de la culture en danger, servi à satiété, est un mensonge. La culture foisonne, les créateurs, de plus en plus nombreux, ne cessent de créer. Le public a soif d’œuvres auxquelles il accède de plus en plus en amateur, participant, co-créateur, et non plus en consommateur. La dissémination et l’accès de tous et par tous à la culture, voilà ce qui est en danger.
Et il est déconcertant de voir que c’est au nom du droit d’auteur, pour défendre la création, que l’on s’apprête à faire voter le projet de loi « Création et Internet », loi liberticide par excellence. Les comités de censure sont-il en train d’être remplacés par les Majors à qui le gouvernement français veut déléguer des pouvoirs arbitraires de police de l’Internet ?
Le pouvoir oligopolistique des Majors renforcé par la puissance publique pourrait contrôler l’ensemble des diffusions culturelles par une intégration verticale anti-économique et anti-concurrentielle : des tuyaux Internet, des radios, des télévisions, des journaux, des salles de concert…

C’est donc bien la liberté de l’auteur et son indépendance qui sont attaquées. Il n’est guère étonnant que de plus en plus d’auteurs et d’interprètes, voulant expérimenter d’autres dispositifs de création, quittent la SACEM (dans la musique) et les circuits classiques de distribution, pour mieux maîtriser leurs créations. Tout le monde n’est pas un adepte de la chanson à 2 minutes 30. La SACEM, influencée par les Majors ne sait pas rémunérer équitablement les auteurs occasionnellement diffusés sur les radios, par exemple. Ses modèles de répartitions sont basés sur des données partielles, accordant une prime aux plus gros diffusés. La production de la création doit correspondre au moule marketing de l’industrie culturelle ou ne pas exister.

De fait, il y a de plus en plus d’artistes qui, pour être en accord avec leur processus créatif, s’auto-produisent et s’auto-diffusent via Internet. Pour protéger leurs œuvres et garantir le partage de celles-ci, ils utilisent différentes licences telles la Licence Art Libre ou les Creative Commons.
Ils retrouvent ainsi leurs libertés premières d’auteurs : choisir les possibilités de modification de leurs œuvres, d’utilisation, de collaboration, de rémunération. Certains auteurs souhaitent privilégier la diffusion et la pérennisation de leurs œuvres, plutôt que leur rétribution financière.

Antoine Moreau, fondateur de la Licence Art Libre écrit : « Je crois pouvoir dire alors que le copyleft participe bien de ce récit des rêves ou des visions qui va à contre-temps de tout ce qui prétend dominer le cours de la création. C’est une liberté intempestive qui ne se soumet pas à l’injonction de l’actualité mais envisage un temps élargi, qui va très loin dans le passé, très loin dans l’avenir et très profondément dans le présent ».

Un musicien qui vient de terminer la création d’une œuvre musicale peut en un clic être écouté d’Afrique en Asie. Internet offre aux artistes un moyen de propagation inédit auquel les Majors ne s’étaient pas préparés. La plupart des plateformes de téléchargement d’œuvres sont multilingues. Il n’est plus rare qu’un artiste qui ne trouve pas son public localement le trouve à l’autre bout du monde.

C’est une vraie chance pour les auteurs, et pour l’humanité. Des groupes de musique comme Nine Inch Nails sont en passe de démontrer que la libre diffusion des œuvres n’empêche pas les artistes de trouver des modes de rémunérations concrets via la vente de places de concert ou de disques, avec toute une gamme possible de services et de produits dérivés.

Il y a bien un imaginaire défaillant dans les débats actuels sur la rémunération des auteurs et artistes-interprètes. Les moines copistes de l’industrie du DVD tentent d’imposer le même rapport de force que lors de la naissance de l’imprimerie, voulant casser une technologie brisant leur monopole. Frédéric Bastiat, économiste libéral français, les décrivit fort bien dans sa Pétition des Fabricants de Chandelles geignant contre la concurrence indue du soleil.

C’est l’auteur/artiste interprète à qui nous devons garantir une rémunération et non pas à l’industrie culturelle. La démocratisation des outils d’autoproduction et d’autodiffusion dans tous les Arts (cinématographique, musical, graphique, etc.) doit être prise en considération. Il appartient aux pouvoirs publics de savoir s’ils veulent soutenir les Majors ou les auteurs. N’en déplaise aux moines copistes de l’industrie du DVD et à leurs icônes télévisées, la création est foisonnante sur Internet et il est temps qu’elle soit reconnue.

S’il est fondamental de garantir cette liberté de choix de diffusion des œuvres et de leur circulation, nous devons être capables d’adapter le financement de l’art à l’heure d’Internet, sachant que sa défense ne peut être, ni en contradiction avec les valeurs démocratiques, ni avec les technologies actuelles. Comme le disait Michel Vivant en 2003 au Colloque de l’UNESCO ”Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information” : « Il ne s’agit pas de s’incliner devant le fait. Il s’agit de ne pas nier la réalité. ».

La libre circulation de l’Art garantit notre humanité, le pouvoir de se penser homme, voire humanité. On a besoin de se connaître à travers les grottes de Lascaux, dans les ruines de Babel. Antoine Moreau rappelle : « Il n’y a pas d’ouvrages de Platon et il n’y en aura pas. Ce qu’à présent l’on désigne sous ce nom est de Socrate au temps de sa belle jeunesse. Adieu et obéis-moi. Aussitôt que tu auras lu et relu cette lettre, brûle-la. La notion d’auteur, qui n’existe pas dans la Grèce Antique ni au Moyen-Âge où l’autorité émanait des dieux ou de Dieu, apparut. ». Garantir la libre circulation des œuvres d’Art, avec comme seul propriétaire, en dernier ressort, l’humanité, est donc essentiel. Pas de Copyright sur les œuvres de Lascaux, mais des amateurs d’Art archéologues entretenant notre patrimoine.

Le devoir de garantir la circulation de l’Art comme patrimoine de l’humanité oblige à penser sa préservation. Pas les salaires mirobolant des icônes télévisés mais de ceux qui, en premiers garantissent une pratique artistique : professeurs d’Art (plastique, musique, cinéma…), Maisons de la Culture, bibliothèques, espaces de pratique artistique, cinémas indépendants, universités… Il s’agit de multiplier les lieux ou les Artistes et les amateurs d’Art peuvent créer, échanger, écouter, pour maintenir à chaque Art les amateurs éclairés qui soutiendront toujours les Artistes/Auteurs.

Le financement de l’Art (pour les artistes souhaitant en bénéficier), doit être repensé par les puissances publiques. Préserver le seul intérêt des Majors, quand le statut des intermittents est menacé et le statut des artistes peintres est presque inexistant, démontre l’abandon de toute politique culturelle ambitieuse.
Si l’on songe que nous, citoyens, par les impôts, taxes et redevances que nous payons, sommes certainement le plus grand producteur culturel français, comment expliquer que l’on nous dénie toute participation aux débats en cours, et que l’on prétende privatiser et nous faire payer des œuvres que nous avons déjà financées? Est-il par exemple normal que l’Éducation Nationale, selon les accords sectoriels post-DADVSI, paye 4 millions d’euro par an pour n’avoir le droit, en ce qui concerne les œuvres audiovisuelles, que d’utiliser les chaînes hertziennes classiques ? Cela doit changer.
C’est en tant qu’amateurs d’Art et citoyens exigeants que nous devons être comptables des politiques culturelles et de leur diffusion. Il en va de nos identités et cultures plurielles, dont il faut empêcher l’uniformisation par une industrie culturelle qui, de TF1, à France 2 ou M6, montre les mêmes séries télévisées et les mêmes discours autistes du Président du tout nouveau Conseil de la création artistique.

Il incombe de défendre nos libertés concomitantes d’un accès à l’art pour tous. De ce point de vue, il est intéressant de noter que les Majors essaient d’imposer, comme les semenciers de Monsanto, un catalogue des œuvres dites protégées, au mépris du droit d’auteur censé protéger tout auteur d’une oeuvre de l’esprit. Il y a donc bien des logiques de domination économique qui sont à l’œuvre pour la privatisation des biens communs, contre lesquelles nous devons résister.

L’aboutissement des projets de Monsanto, comme le fameux « catalogue des semences » interdisant aux agriculteurs et jardiniers le droit de conserver, utiliser, échanger et vendre les semences ou du matériel de multiplication reproduits à la ferme, doit nous rendre vigilants sur les tentatives des Majors d’imposer le leur, fait du même petit nombre d’œuvres et rééditions formatées et sans risque.

Il y a un foisonnement d’Auteurs/Artistes talentueux qui autorisent la diffusion de leurs œuvres via la Licence Art Libre et les Creative Commons, plus de 30 000 œuvres musicales sur la plateforme Dogmazic, 10 000 œuvres littéraires sur le site de la maison d’édition InLibroVeritas, et dans le monde, d’après des estimations minimales, 130 millions d’œuvres et documents sous Creative Commons en juin 2008. Il est de notre devoir de les soutenir, car ils sont à l’avant-garde d’un mouvement de résistance, se livrant à la lutte pour la libre circulation de l’Art et donc notre liberté.

Pour Libre Accès, Jérémie Nestel (MACAQ, Radio du Ministère de la Crise du Logement), Bituur Esztreym (co-fondateur de Musique Libre ! et de dogmazic.net), Eric Aouanès (président de l’association Musique Libre ! et co-fondateur de la plateforme Dogmazic), Didier Guillon-Cottard (Festival Art is chaud) Mathieu Pasquini (gérant et fondateur de la maison d’édition InLibroVeritas).

Notes

[1] Crédit photo : Tempo no tempo (Creative Commons By)




YouTube adopte (enfin) les Creative Commons !

Copie d'écran - YouTube Download - Creative CommonsBonne nouvelle pour la « Culture Libre ». YouTube vient d’annoncer sur son blog une nouvelle fonctionnalité de poids : la possibilité de télécharger les vidéos (testée pour le moment uniquement avec quelques organismes pilotes et partenaires de l’opération, principalement des universités).

C’est sans nul doute pratique, mais la véritable bonne nouvelle n’est que la conséquence de cette nouveauté.

En effet, à partir du moment où YouTube permet à l’utilisateur de télécharger les vidéos pour les stocker dans son ordinateur, nous quittons le monde du streaming et il se pose alors inévitablement la question des droits d’usage de ces vidéos, que vous pouvez potentiellement copier, modifier et partager avec qui bon vous semble.

Du coup, et pour la première fois, il est explicitement accolé une licence à ces vidéos téléchargeables, en l’occurrence les mieux adaptées à ce type d’échanges, à savoir celles du catalogue des Creative Commons, qui autorisent au minimum l’usage et la diffusion sans modification et exploitation commerciale (et au maximum les mêmes droits qu’un utilisateur de logiciels libres).

Quand bien même ce soit déjà une belle avancée, j’espère vivement que cette option ne restera pas réservée aux seuls partenaires de Google et sera vite proposée à tout un chacun (comme c’est déjà le cas depuis bien longtemps sur Blip.tv par exemple) mettant ainsi doucement mais surement (presque) fin aux problèmes des droits d’auteur de la plus emblématique plate-forme de vidéos en ligne.

Pour vous en rendre compte par vous-même, voir par exemple cette vidéo issue d’un cours de Standford et cliquer sur « Download this video » en bas à gauche de la fenêtre.




La migration OpenOffice.org vue par un proviseur de lycée

Snow Kisses Sky - CC byD’ordinaire ce sont les enseignants qui viennent à la barre témoigner de l’intérêt de substituer la suite propriétaire MS Office de Microsoft par la suite bureautique libre OpenOffice.org (sachant que tout est fait par la partie adverse pour ralentir le mouvement).

D’où l’intérêt d’avoir ici la chronique objective d’un proviseur de lycée[1], qui nous explique ses motivations et dresse un premier bilan de l’opération. Travaillant dans un établissement scolaire qui a effectué il y a deux ans la même migration, je me suis reconnu sans peine dans son récit.

Quant à la conclusion, elle est à graver dans le marbre : « Le poids des habitudes et du nombre pèse alors fortement, incitant par souci d’efficacité, dans un monde et dans un domaine où le temps l’emporte sur les principes, à une comparaison technique en défaveur des logiciels libres. Dans notre métier, le temps et la récurrence sont facteurs de réussite ; il convient, me semble-t-il, au regard de l’importance et de la légitimité des enjeux, d’attendre et de persévérer… »

Logiciels libres au Lycée Français International de Pékin

URL d’origine du document (EPI)

Stéphane Sachet – Pékin, le 14 janvier 2009

Paradoxe et pléonasme en deux mots, déjà toute la complexité de la relation à l’informatique s’impose à nous.

Mais restons plus pragmatique, pourquoi et comment avons-nous basculé, au Lycée Français International de Pékin, vers les logiciels libres.

Pour fixer rapidement le contexte, l’établissement en gestion directe de l’AEFE, scolarise environ 1 000 élèves, de la petite section à la terminale, répartis sur trois sites.

Préparant un plan de mise à niveau de l’équipement informatique sur 3 ans, nous avons réalisé en janvier 2008 une enquête auprès des personnels pour identifier et préciser leurs besoins et leurs attentes relatives à l’outil informatique. À cette occasion nous les avons interrogés sur leur capacité à utiliser, dans le cadre professionnel, des logiciels libres et si oui, avec quel accompagnement.

Ce questionnement pose à la fois la question de l’utilisation d’outils commerciaux au sein d’un établissement scolaire mais aussi celles de la compétence technique et de l’engagement des personnels par rapport au TICE.

Pour l’équipe de direction, trois objectifs étaient clairement identifiés : éthique, juridique et financier.

  • Éthique, il va de soi que notre mission et les valeurs de l’école française nous engagent à former des élèves, mais des élèves libres de choisir, on peut même aller jusqu’à espérer, que s’il y a choix il y a réflexion… prémisse de la pensée.
  • Juridique, car tout personnel de direction sait qu’à l’épreuve de la réalité, nos moyens limités et le développement rapide de l’informatique peuvent aboutir à des solutions pirates et par conséquent à un risque juridique bien réel.
  • Financier, le coût d’achat des licences pèse bien sûr et de manière significative sur notre budget.

75 % des personnels se déclaraient être prêts à utiliser des logiciels libres, sous réserve pour une partie d’entre eux de pouvoir bénéficier, en interne de formations à ces logiciels.

La décision fut donc prise au printemps 2008 de basculer vers les logiciels libres sur les trois sites et pour tous les personnels, enseignants, administratifs, en installant durant l’été et à l’occasion du remplacement et de l’extension de nos réseaux la suite open office comprenant entre autres, OpenOffice.org Writer, OpenOffice.org Cal et OpenOffice.org Base.

Six mois après cette mise en oeuvre, que peut-on en dire ? Quels sont les écueils et les contraintes ?

En premier lieu, de façon prévisible, une période d’adaptation technique s’impose. Celle-ci permettant d’appréhender et de maîtriser les différences fonctionnelles d’utilisation entre les logiciels Microsoft et OpenOffice, temps proportionnel à la fréquence d’utilisation et au degré d’autonomie des utilisateurs.

En second lieu, vient la nécessité de mettre à jour pour les enseignants leurs bases de documents et de supports informatiques en relation avec la découverte et la maîtrise progressive des compétences informatiques, compétences clairement définies à cet égard par le B2i.

Enfin, se posent les problèmes d’une part, de communication entre utilisateurs, les logiciels libres n’étant pas majoritairement partagés entre partenaires institutionnels et d’autre part, les problèmes de continuité de pratique, les personnels et les élèves utilisant bien souvent à la maison des logiciels Microsoft, logiciels qu’ils ont découverts et appris à utiliser… à l’école !

Sur le plan technique la conversion des fichiers est assez simple à résoudre, en modifiant quelques habitudes à l’enregistrement.

S’agissant de la comparaison, il me semble que du moins pour la suite OpenOffice.org l’ergonomie et les fonctions avancées souffrent d’une fonctionnalité un peu moins grande. J’en veux pour exemple le publipostage ou le suivi de corrections sous Open office.org Writer ou encore les formules et les renvois sur OpenOffice.org Cal encore peu opérationnels pour les utilisateurs souvent autodidactes que nous sommes dans l’éducation.

Le poids des habitudes et du nombre pèse alors fortement, incitant par souci d’efficacité, dans un monde et dans un domaine où le temps l’emporte sur les principes, à une comparaison technique en défaveur des logiciels libres.

Dans notre métier, le temps et la récurrence sont facteurs de réussite ; il convient, me semble-t-il, au regard de l’importance et de la légitimité des enjeux, d’attendre et de persévérer…

Stéphane Sachet
Proviseur au Lycée Français International de Pékin

Notes

[1] Crédit Photo : Snow Kisses Sky (Creative Commons By)




Quand Serge Soudoplatoff nous parle d’Internet

Quand Serge Soudoplatoff nous parle d’Internet (et des mutations organisationnelles qu’il engendre) c’est non seulement accessible au grand public mais c’est surtout tout à fait passionnant.

Très à l’aise devant son auditoire, Serge Soudoplatoff réussit la gageure de partir un peu dans tous les sens (avec exemples, citations et anecdotes à l’appui) tout en restant cohérent avec sa ligne directrice.

Une intervention de 45 minutes donnée le 4 juillet 2008 au CEDAP et intitulée : « Comment Internet change nos organisations »

—> La vidéo au format webm

Pour en savoir plus sur l’auteur, rendez-vous sur son blog et en attendant voici une courte et caustique présentation telle qu’elle apparait sur AgoraVox.

Serge Soudoplatoff est vraiment né le 27 décembre 1954 par une longue nuit d’hiver. Les loups hurlaient dans la steppe. Sa mère, bretonne, lui apporta le goût du beurre et son père, russe, celui de la vodka. Cela perdure.

Après des études très primaires, qui devinrent vite secondaires, c’est en passant à Paris dans la rue de la Montagne Ste Geneviève en septembre 1973 que, la porte étant ouverte, il entra par hasard dans une prestigieuse école française. A sa sortie, trois ans plus tard, il se dirigea vers la cartographie, confondant dessiner le monde et le changer. Après 5 ans de recherches et de voyages à l’Institut Géographique National, il décida de quitter le traitement de l’image pour s’intéresser à celui de la parole dans un centre de recherche français, et américain, d’un grand constructeur d’ordinateurs. Après 5 ans de voyages et de recherches à IBM, il décida que la parole à une dimension ne valait pas mieux que l’image à deux, et se résigna à ne plus traiter que des problèmes ponctuels, en devenant directeur d’un centre de recherche en informatique dans une grande SSII. Après 5 ans à Cap Gemini Innovation, il alla mettre en réseau le monde de la recherche et celui des entreprises dans une association, le Cercle pour les projets Innovants en Informatique. C’est là qu’il comprit le passage de l’information à l’innovation, l’articulation entre l’informatique et la sociologie et la psychologie.

Ceci le fit bizarrement atterrir à la direction de l’innovation de France Telecom, où il s’est employé pendant trois ans à rendre concrètes les profondes mutations qu’engendre le monde Internet.

Il a finalement décidé de se muter lui-même en devenant fondateur d’une entreprise en essaimage de France Telecom, Highdeal, puis en créant Almatropie, dédiée à convaincre de l’importance d’Internet.




Écoquille et Grand Ménage : un peu d’écologie sous Creative Commons

Seier - CC byAu hasard de mes fils RSS, je suis tombé sur les « Écoquilles », un concept original de maisons écologiques, dont je vous invite à parcourir le site du projet pour en savoir plus et éventuellement vous faire une idée de sa viabilité. En gros il s’agit d’une sorte de coquille de bateau en bois renversé (à comparer avec les containers étudiants par exemple). Parmi les problèmes rencontrés, il y a la législation qui n’aime pas trop les toits arrondis à ce que j’ai compris. Nous leur souhaitons bonne chance en tout cas[1].

On peut lire ici que le concept de l’Écoquille est mis à disposition de tous selon les termes de la licence Creative Commons By-Nc-Sa. Quand il y aura des plans plus détaillés sur leur site (j’imagine que cela ne saurait tarder) on pourra donc potentiellement construire sa propre Écoquille si cela nous chante (et si cela chante aussi aux pouvoirs publics !).

J’ai également noté le guide Le Grand Ménage – Recettes écologiques et économiques pour l’entretien de la maison dont voici un extrait de la présentation.

Le but de ce livret est de nous faire partager une expérience. Partager. Voilà un bien joli mot.

Au mois de juin 2005, Raffa, écologiste convaincue, eut une merveilleuse idée : créer son propre « blog », pour transmettre ce qu’elle avait appris et nous donner envie, à nous aussi, de nous occuper de notre planète au quotidien.

Nous nous sommes penchés sur l’état de nos placards encombrés de produits chimiques, pour la plupart dangereux : un pour le lavage des sols, un pour le lavage des vitres, un pour les plaques de cuisson, un pour les WC, un pour la salle de bain, un pour… Ce douloureux inventaire à la Prévert sonnait comme un appel au secours, une urgence de premier plan. Il n’était plus possible de continuer ainsi.

Ce livret est disponible en téléchargement sur le site des auteurs mais également en livre. Il est placé sous licence Creative Commons By-Nc-Nd. Un peu dommage pour le coup cette clause de non modification qui interdit de s’emparer du guide pour le modifier, alors que c’est typiquement un sujet qui appelle amélioration au cours du temps. On notera également que seules les versions PDF sont disponibles et non les fichiers sources.

Il n’empêche que voilà deux exemples intéressants d’usage des Creative Commons dans le champ écologique. En connaissez-vous d’autres ?

Notes

[1] Crédit photo : Seier (Creative Commons By)




J’avais vingt ans, je voulais écrire un opéra et changer le monde

Takacsi75 - CC byJ’aurais pu intituler ce billet « Affaire étrangère, l’opéra très libre de Valentin Villenave » mais j’ai préféré garder la première phrase issue de l’article du blog de son auteur présentant le projet, article qui m’a tant séduit que je me suis permis de le reproduire en intégralité ci-dessous.

Pour ce qui est de changer le monde, nous attendrons encore un peu (mais nous acceptons d’ores et déjà bien volontiers de l’accompagner). Par contre il ne lui aura pas fallu plus de quatre ans pour voir le rêve se concrétiser puisque la ville de Montpellier vient tout récemment d’accueillir les premières représentations de son opéra (dont vous trouverez tous les détails dans ce document).

Pourquoi évoquer cette œuvre sur le Framablog ? D’abord parce qu’il y a des outils et des licences libres dans les coulisses. En effet c’est sous l’éditeur musical LilyPond qu’ont été conçues les partitions de l’opéra[1]. Et puis surtout l’ensemble de l’opéra est placée sous une licence originale, créée m’a-t-il semblé pour l’occasion, la Libre Opera License v.0.2, savant mélange de GNU GPL et de Creative Commons By-Nc-Sa (on se retrouve avec cette double licence parce que, à ce que j’ai compris, LilyPond fonctionnant un peu comme LaTeX, les sources sont sous GPL mais les compilations sont sous CC By-Nc-Sa).

Mais au delà du choix des logiciels et des licences libres (ou ouvertes), c’est surtout l’état d’esprit de Valentin qui m’a impressionné. Je n’en ferai pas un quelconque porte-drapeau mais à 24 ans il témoigne je crois de cette nouvelle génération qui souhaite profiter des nouvelles technologies bien plus pour partager que pour consommer, n’en déplaise à ceux qui aujourd’hui se cramponnent aux rênes de toute l’industrie culturelle et musicale.

PS : Je crois savoir que Valentin Villenave est un lecteur assidu du Framablog. Autrement dit n’hésitez pas à l’encourager et/ou lui poser quelques questions dans les commentaires (par exemple sur son choix de la clause non commerciale), je suis certain qu’il se fera la gentillesse de venir y répondre.

Chronique d’une étrange affaire

URL d’origine de l’article

Alors, voilà.

J’avais vingt ans; je voulais écrire un opéra. Et changer le monde.

De l’influence déplorable du cinéma de René Clair sur une jeune âme trop imaginative.

Dans un de mes films préférés (Les Belles de nuit, René Clair, 1952), Gérard Philipe incarne un jeune professeur de piano, en décalage avec une société contemporaine bureaucratique, conformiste, inhumaine ; tout change subitement le jour où l’on apprend qu’il a écrit… un opéra. Comme par magie, le monde s’illumine alors, les regards se font respectueux, et le héros trouve enfin sa place parmi les personnages, unis dans une même allégresse.

Tel est pour moi l’opéra : un mot magique. Une légitimité, des lettres de noblesse : devenir quelqu’un.

À l’âge de vingt ans (c’était il y a quatre ans), j’avais écrit quelques pièces instrumentales d’envergure très modeste, et qui n’avaient pour ainsi dire jamais été jouées. Je gagnais ma vie – c’est encore le cas – en donnant des cours de piano dans une obscure banlieue parisienne, et j’écrivais chaque année, littéralement, des centaines de petits morceaux dans les cahiers de mes élèves, qui partaient ensuite à tous les vents.

Depuis des années, j’avais été pour ainsi dire adopté par une petite compagnie d’opéra, dont j’avais été le tourneur de pages puis l’accompagnateur en titre, et qui montait chaque année des pièces du grand répertoire, le plus souvent en partenariat avec les écoles du voisinage (où les écoliers, après avoir assisté à une répétition lyrique, posaient souvent des questions judicieuses telles que « pourquoi le monsieur crie comme ça ? »).

Sans vraiment y croire, je caressais l’envie de leur écrire un opéra, en signe de gratitude. Je m’étais mis à la recherche d’un livret qui soit percutant et rythmé – pas évident à trouver dans le théâtre contemporain.

Entrée en scène de Lewis Trondheim, et ce qui s’ensuivit.

Je connaissais l’œuvre de Lewis Trondheim depuis l’âge de dix ans, où j’écumais chaque semaine les rayons bande dessinée de la bibliothèque municipale. Des formidables aventures de Lapinot, qui revisitaient la bande dessinée animalière enfantine avec un humour absurde et satirique, j’étais passé à ses œuvres les plus avant-gardistes –- car Lewis n’était pas que drôle et accessible à tous, mais également en perpétuelle quête de renouveau et d’expérimentation formelle, toujours dans un esprit ludique.

Cet auteur complexe et attachant avait une propension à susciter chez ses fans un véritable culte, auquel je n’ai pas échappé. À vingt ans, j’avais méticuleusement lu la totalité de son œuvre, au besoin en téléchargeant ses albums illégalement sur Internet. Je poursuivais à l’époque, à tout hasard, une maîtrise de Lettres modernes consacrée à son œuvre ; un jour il m’apparut comme une évidence que je ne souhaitais pas tant travailler sur Lewis Trondheim que travailler avec lui.

Peu d’auteurs confirmés et reconnus répondraient à un jeune inconnu qui leur propose de participer à l’écriture d’un opéra ; c’est pourtant ce qui se produisit. Lewis Trondheim accepta immédiatement et avec enthousiasme, et me proposa de partir de l’album Politique étrangère qu’il avait réalisé en 2001 avec Jochen Gerner. Dans son œuvre, toujours influencée par la bande dessinée animalière, c’était une exception : les personnages étaient des êtres humains. De plus, cette histoire de château me renvoyait à toute une tradition opératique (La Clémence de Titus de Mozart, par exemple), entrecroisée en l’occurrence avec Jarry, Ionesco… et un tantinet des Marx Brothers.

Bref, nous nous retrouvions à pied d’œuvre, sans aucune certitude quant à une hypothétique concrétisation du projet, faute de moyens, et en tentant de limiter le nombre de décors et de personnages.

Le livret faisait l’objet d’un véritable ping-pong de courriers électroniques entre Lewis et moi-même (nous ne nous étions jamais rencontrés ni téléphoné). Ouvert à mes suggestions mais sans complaisance, il avait très vite compris la problématique bien particulière de l’opéra, genre tout aussi hybride que la bande dessinée : le texte et la musique participent de façon complémentaire à la construction du sens, et il faut constamment veiller à ce que l’un n’affaiblisse pas l’autre (soit parce que trop insignifiant, soit au contraire parce que trop chargé de sens).

En peu de temps, deux événements vinrent changer complètement la tournure du projet. Le premier fut le décès tragique, à l’été 2005, du metteur en scène de la compagnie, Michel Blin, à qui je dois tout ce que je sais sur l’opéra, et à qui cette œuvre est dédiée. Le second, plus insignifiant, fut que Lewis Trondheim se vit récompenser, début 2006, par le Grand Prix du festival de bande dessinée d’Angoulême.

Les chanteurs de la compagnie eux-mêmes me pressèrent de profiter de cette occasion pour présenter mon projet à une structure plus officielle, et lui donner ainsi une nouvelle envergure. Un dimanche de février, j’envoyai sans trop y croire un mail à l’opéra de Montpellier (simplement parce que c’était la ville de mon librettiste) ; deux heures plus tard, M. René Koering me répondait que l’Opéra se ferait une joie de créer ce projet…

Éléments (en vrac) d’une esthétique (en chantier).

Je ne m’acquitterais pas du minimum syndical sans insérer ici quelques mots sur mon écriture, quitte à enfoncer pas mal de portes ouvertes. Suivant les (rares) personnes à qui j’ai pu la montrer, ma musique suscite les réactions les plus diverses, tantôt qualifiée de dissonante et inaudible, tantôt à l’inverse, de facile, insipide et réactionnaire. J’imagine que mon esthétique (s’il y en a une) se situe quelque part entre les deux – sans espoir de savoir où.

Les répertoires que j’ai joués et lus, certainement, transparaissent, à commencer par les opéras du XVIIIe siècle (Mozart), dont je me sens plus proche que ceux du XIXe siècle. En particulier, la rigueur formelle est pour moi une obsession ; toutes les structures de la pièce, du nombre de tableaux, de mesures, de temps, aux dispositions vocales et instrumentales, ont donné lieu à des contraintes et des jeux mathématiques.

La mise en valeur du texte est un travail avant tout rythmique : dégager de la prosodie les accents, les structures rythmiques, les gestes de tension et de détente (c’est la base de toutes les musiques parlées, de la mélopée antique au rap) ; je les ordonne ensuite suivant des principes très formels, puis les renforce par des motifs mélodiques et harmoniques, toujours suivant des contraintes arbitraires : modes, rapports d’intervalles, etc.

Un autre de mes soucis est de tout faire pour faciliter la vie des interprètes. À commencer par la notation : une partition doit faire sens au premier coup d’œil, sans nécessiter de mode d’emploi. Une certaine musique « contemporaine » arbore sa propre complexité avec fierté, et fait appel à des notations extrêmement complexes (en particulier d’un point de vue rythmique) ; même si je ne suis pas indifférent à la beauté étrange de tels objets, et que je ne nie aucunement leur apport au renouveau des langages musicaux, je crois qu’il est important que la musique « savante » n’en vienne point à se réduire à de telles écritures : faute de quoi elle cessera inéluctablement d’être pratiquée et appréciée par les « simples » citoyens, pour ne demeurer que l’apanage d’une poignée de spécialistes. L’idée d’« être compliqué pour être moderne » n’est ni sage, ni courageuse.

Où l’auteur se hasarde à quelques considérations coupablement politiques.

Je ne sais si je peux me prétendre compositeur ou même musicien ; mais je veux vivre et agir en citoyen.

Puisque j’en suis à accumuler les clichés, je veux mentionner qu’il m’a été donné d’avoir vingt ans à Paris en étant payé deux fois moins que le seuil de pauvreté ; il m’a été donné de chercher un logement des mois durant, en expliquant que j’étais prof de piano, ou bien étudiant, à tout hasard et sans plus de succès ; il m’a été donné de connaître de près notre beau pays où se fait chaque jour plus palpable la peur et la haine des uns à l’égard des autres : riches et pauvres, vieux et jeunes, et ainsi de suite.

De tous ces écartèlements, celui de la culture et de la création m’interpelle le plus. Les dichotomies arbitraires n’y manquent pas : culture du passé contre culture dite actuelle, pratique amateur contre prétendu professionnalisme, art contemporain contre art soi-disant populaire, j’en passe et des meilleures.

J’aimerais croire que de tels morcellements ne profitent à personne. Ce serait hélas ignorer les nombreux enjeux politiques, économiques et médiatiques ; la culture est un champ de bataille où toute initiative doit être défendue pied à pied contre les clichés, les entreprises de ringardisation ou de récupération.

En faisant appel à un auteur de bande dessinée, j’étais bien sûr mû par l’espoir mal dissimulé, sinon de faire sauter quelques barrières, d’amener à l’opéra (et à la musique contemporaine) des publics « non-initiés ». Mais cela ne suffisait pas.

Pour un renouveau des modèles de création.

Nous nous trouvons aujourd’hui face à une situation inédite et merveilleuse : les données immatérielles sont potentiellement accessibles à tous et en tous lieux. Cet immense progrès pourrait être pour les citoyens du monde la promesse de se réapproprier la culture et la connaissance ; au lieu de quoi une poignée d’intérêts privés font de la technologie un outil d’asservissement et de propagation des inégalités. En particulier, l’escroquerie baptisée Propriété Intellectuelle consiste à nous vendre des idées comme l’on vendrait des saucisses.

Hélas ; sans-doute suis-je d’une génération qui ne peut plus se satisfaire d’impostures, à commencer par le terrifiant processus qui conduit aujourd’hui les citoyens à se voir privés de leurs libertés fondamentales, au nom d’une prétendue « protection » des auteurs. Il importe d’agir, non seulement pour que la culture puisse continuer à vivre et à se diffuser, mais également pour préserver notre démocratie même.

Pour ces raisons, Lewis Trondheim et moi-même avons voulu faire un geste symbolique en publiant notre ouvrage sous une licence alternative, qui autorise tout un chacun non seulement à le reproduire, mais également à le diffuser et à le modifier à volonté. La partition est entièrement conçue au moyen du logiciel libre GNU LilyPond, développé depuis treize ans par une communauté de bénévoles enthousiastes, qui constitue pour les musiciens du monde entier l’espoir immense d’accéder librement à toutes les musiques écrites ; plus simplement, c’est pour moi la garantie que les partitions que j’écris sont et demeureront libres et adaptables par tous les interprètes, enseignants, élèves, qui y trouveront le moindre intérêt.

Une œuvre n’appartient à personne, pas plus qu’un enfant n’appartient à ses parents. On peut l’élever du mieux que l’on peut, puis vient un jour où il faut lui souhaiter une longue vie, et le regarder s’éloigner. Je crois que ce moment est venu pour moi.

À Lewis comme à moi-même, restera le souvenir d’une expérience grandiose, et la fierté d’être parvenus à réaliser un projet irréaliste.

Et puis, faut quand même dire qu’on s’est bien marrés.

Valentin Villenave, janvier 2009

Notes

[1] Crédit photo : Takacsi75 (Creative COmmons By)