30 ans de GNU – Extrait du framabook sur la biographie de Stallman

Comme il est dit sur le site d’April[1] : Le 27 septembre 1983, Richard Stallman diffusait l’annonce initiale du projet GNU, projet fondateur du mouvement du logiciel libre.

Nous avons donc fêté récemment les 30 ans du projet GNU.

Pour participer nous aussi à l’hommage, nous vous proposons un court extrait de notre framabook Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, une biographie autorisée qui est une excellente ressource pour aller plus loin dans la genèse et l’historique du mouvement 😉

Pour rappel ce livre est sous licence libre, vous pouvez librement (et gratuitement) le télécharger dans son intégralité sur le site Framabook mais vous pouvez aussi l’acheter dans notre boutique EnVenteLibre.

GNU fête ses 30 ans

Extrait de « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée »

Chapitre 7 : Une morale à l’épreuve (pages 119 à 121)
Auteurs : R. Stallman, S. Williams, C. Masutti
Licence : GNU Free Documentation License

Le 27 septembre 1983, les programmeurs se connectant au groupe de discussion Usenet net.unix-wizards reçurent un message peu habituel. Posté aux premières heures du jour, à minuit et demi exactement, et signé rms@mit-oz, l’objet du message était laconique mais attirait l’attention. « Nouvelle implémentation d’Unix », pouvait-on lire.

Pourtant, au lieu de présenter une version fraîchement disponible d’Unix, le premier paragraphe du message était en fait un appel à contribution :

Dès le Thanksgiving prochain, je commencerai à écrire un système logiciel complet, compatible Unix, appelé GNU (pour GNU N’est pas Unix), et le distribuer librement à tous ceux qui souhaitent l’utiliser. Je fais appel à toute contribution en temps, en argent, en programmes et en matériel pour faire avancer ce projet.

Pour un développeur Unix expérimenté, le message traduisait un mélange d’idéalisme et d’orgueil démesuré. Non content de s’engager à repartir de zéro dans la reconstruction du système d’exploitation Unix déjà abouti, l’auteur proposait en plus de l’améliorer par endroits. Le nouveau système GNU, prédisait-il, intégrerait tous les composants essentiels : un éditeur de texte, un shell pour lancer des applications compatibles Unix, un compilateur, « et diverses autres choses ». À cela s’ajouteraient de nombreuses fonctions particulièrement séduisantes, pas encore disponibles dans les autres systèmes Unix : une interface graphique basée sur le langage de programmation Lisp, un système de fichiers résistant aux pannes et des protocoles réseaux prenant modèle sur ceux du MIT.

« GNU sera capable d’exécuter des programmes Unix, mais ne sera pas identique à Unix, écrivait l’auteur. Nous ferons toutes les améliorations utiles, d’après notre expérience au contact d’autres systèmes d’exploitation. »

Prévoyant une réaction sceptique de la part de certains lecteurs, l’auteur poursuivait l’exposé de son ébauche de système d’exploitation avec une brève note biographique intitulée « Qui suis-je ? » :

Je suis Richard Stallman, l’inventeur de l’éditeur Emacs si souvent imité, et je travaille actuellement au Laboratoire d’intelligence artificielle du MIT. J’ai beaucoup travaillé sur des compilateurs, des éditeurs, des débogueurs, des interpréteurs de commandes, ainsi que sur l’ITS et le système d’exploitation des machines Lisp. J’ai été le premier à mettre au point un affichage indépendant du terminal pour ITS. De plus, j’ai mis en place un système de fichiers résistant aux pannes et deux systèmes de fenêtrage pour machines Lisp.

Le destin a finalement voulu que le projet fou de Stallman…

La suite sur Framabook 😉

Notes

[1] L’April a invité Stallman à Paris pour l’occasion le 21 septembre dernier (cf prises audio et vidéo de la conférence)




Quand l’Inde montre l’exemple en éducation (et en France ?)

Le gouvernement indien a inauguré cet été une plateforme de ressources éducatives.

Nous en avons aussi en France, comme par exemple l’Académie en ligne. Sauf que, comme il a été dit dans ces mêmes colonnes à son lancement, cette dernière plateforme est totalement verrouillée par le choix de sa licence (lire les Conditions d’utilisation du site pour comprendre d’un seul coup d’oeil où se situe le problème).

En Inde, par contre, on a tout compris. On a fait le choix par défaut de la licence Creative Commons By-Sa et on demande explicitement des formats ouverts pour les documents déposés.

Longue vie au National Repository of Open Educational Resources et ses ressources éducatives vraiment libres. Quant à nous, on va continuer à pousser pour qu’il en aille de même un jour en France, sachant que l’espoir fait vivre et que la route est longue mais la voie est libre.

On pourra également lire sur le Framablog (en faisant le rêve que nos décideurs tombent dessus) :

NROER logo

L’Inde lance un dépôt national de ressources éducatives libres

India launches National Repository of Open Educational Resources

Jane Park – 14 août 2013 – Creative Commons Blog
(Traduction : lamessen, pol, ProgVal, Asta)

L’Inde a lancé un nouveau dépôt d’apprentissage destiné à accueillir les ressources éducatives libres (RÉL). Le ministère de l’Éducation et de l’alphabétisation, le ministère du Développement des ressources humaines, le gouvernement indien, l’Institut central des technologies de l’éducation et le Conseil national de la recherche et de la formation pour l’éducation (NCERT) se sont associés pour développer le Dépôt national des ressources éducatives libres (NROER). Pallam Raju, ministre indien du Développement des ressources humaines, a lancé ce dépôt mardi. Shashi Tharoor, ministre d’État indien en charge des ressources et du développement humain, a annoncé que la licence par défaut de toutes les ressources du dépôt serait la Creative Commons Attributions-Partage à l’identique (CC BY-SA).

Ce dépôt contient actuellement des vidéos, de l’audio, des médias interactifs, des images et des documents. Il vise à « rassembler toutes les ressources numériques et numérisables pour le système éducatif indien, pour toutes les classes, toutes les matières et toutes les langues ».

D’après l’annonce du ministre Sashi Tharoor,

Cette initiative est également une étape importante vers une éducation inclusive. Ouvrir l’accès à tous nécessite un débat sur la question de la propriété, du copyright, des licences et un équilibrage des objectifs avec les intérêts commerciaux légitimes. C’est particulièrement important pour les institutions publiques et les projets financés sur fonds publics. Je suis heureux que le NCERT ait pris l’initiative de déclarer que le NROER utiliserait la licence CC BY-SA… Cette décision du NCERT est en accord avec la déclaration de Paris sur les ressources éducatives libres de l’Unesco et permettra de garantir que les ressources seront librement accessibles à tous. Pour le dire dans les termes des Creative Commons — pour réutiliser, réviser, modifier et redistribuer.

Pour contribuer au dépôt, chacun devra garantir qu’il « accepte de placer ces ressources sous licence Creative Commons » (CC BY-SA) et « que les documents chargés sont encodés en utilisant des standards ouverts, non privatifs ».

Pour en savoir plus sur la manière de contribuer au projet avec vos ressources éducatives libres, visitez http://nroer.in/Contribute/.




La musique peut-elle être libre ?

Michael Tiemann est vice-président de Red Hat mais il est aussi impliqué dans un ambitieux projet autour de la musique, The Miraverse qui propose notamment un studio d’enregistrement (fonctionnant, en toute logique, à l’aide de logiciels libres).

Il nous livre ici le fruit de ses réflexion en s’appuyant sur des citations de Glenn Gould et un projet dont nous vous reparlerons à la rentrée car Framasoft en sera le partenaire francophone : The Open Goldberg Variations.

La première édition du projet avait donné lieu à l’enregistrement directement dans le domaine public des Variations Goldberg de Bach. Il s’agira cette fois-ci d’enregistrer ensemble Le Clavier bien tempéré.

MusicRoom1b.jpg

La musique peut-elle être open source ?

Can there be open source music?

Michael Tiemann – 20 août 2013 – OpenSource.com
(Traduction : goofy, Sky, sinma, Asta, audionuma)

De l’eau a coulé sous les ponts depuis que les logiciels « open source » ont été baptisés ainsi en 1998. Le livre La cathédrale et le bazar a contribué à expliquer ce nouveau paradigme de la création des logiciels, et, avec le temps, les conséquences importantes et crédibles que Raymond avait prévues dans son essai s’avèrent aujourd’hui évidentes. Et il est possible qu’en raison de l’impressionnante liste des succès de la communauté du logiciel open source, ceux qui travaillent en dehors du domaine du développement de logiciels commencent à se demander : est-ce que de nouveaux paradigmes fondés sur les principes de l‘open source pourraient bouleverser aussi notre secteur ?

Nous avons vu cela arriver dans le monde du contenu créatif avec les Creative Commons. Larry Lessig, suivant une lecture simple de la constitution des États-Unis d’Amérique et s’appuyant sur beaucoup des intuitions publiées des années auparavant par Lewis Hyde dans le livre The Gift (NdT Le cadeau), a réalisé que bien qu’il n’y ait rien de mal en soi à commercialiser du contenu, il y avait quelque chose de terriblement mal à traiter les ressources culturelles comme privées, comme des propriétés aliénables à jamais. Lessig croyait, et je l’approuve, qu’il y a un bénéfice à donner au public des droits sur les contenus qui définissent leur culture, tout comme l‘open source donne à d’autres développeurs — et même aux utilisateurs — des droits sur les logiciels qu’ils possèdent. Regardez comment le public a utilisé ce droit pour créer Wikipédia, une collection phénoménale de l’un de nos artéfacts culturels qui ont le plus de valeur : la connaissance humaine.

Mais des limites à la portée de Wikipédia et ce qui est possible d’y être référencé sont apparues, notamment parce que beaucoup de créations culturelles qui auraient pu être des biens communs sont au contraire captives de copyrights pour une durée presque perpétuelle. La musique est une pierre angulaire de la culture, dans la mesure où les nations, les peuples, les époques, les mouvements politiques, idéologiques et culturels y font tous référence pour se définir, tout comme les individus se définissent eux-mêmes selon leurs gouts musicaux. Compte tenu de l’importance de la musique pour définir notre identité culturelle, dans quelle mesure devrions-nous en avoir la maîtrise, en particulier pour tout ce qui est censé relever du domaine public ?

Glenn Gould apporte une réponse étonnante à cette question dans deux essais écrits en 1966. Même si vous n’êtes pas un grand connaisseur de musique classique, vous avez sûrement déjà entendu les Variations Goldberg de JS Bach. Et dans ce cas, vous pouvez probablement remercier Glenn Gould car à l’âge de 22 ans, il a commencé sa carrière en signant un contrat et en six jours il a enregistré : Bach: The Goldberg Variations, en dépit du refus d’au moins un directeur de label. À l’époque, l’œuvre était considérée comme ésotérique et trop éloignée du répertoire pianistique habituel. Gould n’a pas cédé, et comme le mentionne Wikipédia : « Sa renommée internationale débute lors de son célèbre enregistrement des Variations Goldberg de juin 1955 dans les studios CBS de New York. Cette interprétation d’une vélocité et d’une clarté de voix hors du commun, et hors des modes de l’époque, contribuera notablement à son succès. ». Sans compter que dès lors les Variations Goldberg sont devenues un classique du piano.

Lorsque Gould a décidé en 1964 qu’il ne se produirait jamais plus en public pour se consacrer aux enregistrements en studio, le monde de la musique en a été très perturbé, parce que les concerts étaient considérés comme le summum de la culture musicale et les enregistrements comme une culture de seconde zone. Gould a répondu avec moults arguments à ces critiques sans chercher à en débattre mais en changeant le paradigme.

Ce qui n’a fait qu’irriter davantage les tenants de la musique institutionnelle. Voici l’essentiel du changement de paradigme tel que l’explique Gould dans The participant Listener :

Au centre du débat sur les technologies, il existe donc un nouveau type de public — un public qui participe davantage à l’expérience musicale. L’apparition de ce phénomène au milieu du vingtième siècle est le plus grand succès de l’industrie du disque. Car l’auditeur n’est plus seulement en position d’analyser passivement, c’est un partenaire dont les goûts, les préférences et les tendances modifient encore maintenant de façon latérale les expériences musicales qui retiennent son attention. C’est lui dont l’art de la musique à venir attend une participation bien plus grande encore.

Bien sûr, il représente également une menace, il peut vouloir s’arroger un pouvoir, c’est un invité indésirable au festin artistique, quelqu’un dont la présence met en péril la hiérarchie de l’institution musicale. Ce public participatif pourrait émerger, libéré de cette posture servile à laquelle on le soumet lors des concerts, pour, du jour au lendemain, s’emparer des capacités décisionnelles qui étaient jusqu’ici l’apanage des spécialistes ?

Il y aurait beaucoup à tirer des deux paragraphes ci-dessus, mais essayons un peu : considérez ce qui précède comme une allégorie dans le domaine musical du transfert de paradigme proposé par le logiciel open source. Cela semble difficile à imaginer aujourd’hui, mais quand j’ai proposé l’idée de lancer une entreprise qui fournirait un service de support commercial aux logiciels libres, une des objections majeures a été : « qu’il soit libre ou non, les utilisateurs ne veulent pas du code source. Ils ne veulent pas y toucher. Ils veulent payer pour la meilleure solution, un point c’est tout. ». Dans la logique de production du logiciel propriétaire, il était impossible d’envisager un seul instant que la meilleure solution pouvait fort bien inclure l’utilisateur devenu un contributeur du développement. Impossible alors de tolérer l’idée que des utilisateurs puissent assumer des capacités de décision qui étaient jusqu’alors le privilège de spécialistes. mais Cygnus Solutions a démontré que l’industrie du logiciel à venir attendait vraiment que les utilisateurs participent pleinement. Et il en va de même pour la création musicale, ce que Gould avait visiblement anticipé :

Le mot-clé ici est « public ». Ces expériences où l’auditeur rencontre de la musique transmise électroniquement ne font pas partie du domaine public. Un axiome bien utile, qui peut être appliqué à toute expérience dans laquelle la transmission électronique intervient, peut être exprimé à travers ce paradoxe : la possibilité d’avoir en théorie un public en nombre jamais atteint jusqu’à présent conduit à un nombre sans limites d’écoutes privées. En raison des circonstances que ce paradoxe suscite, l’auditeur est capable d’exprimer ses préférences et, grâce aux modifications par des moyens électroniques avec lesquels il ajoute son expérience, il peut imposer sa personnalité sur une œuvre. Ce faisant, il la transforme, de même que la relation qu’il entretient avec elle. Il fait d’une œuvre d’art un élément de son environnement sonore personnel.

Gould touche un point philosophique fondamental, qu’il est facile de mal interpréter en raison de la terminologie qu’il emploie. Il ne prétend pas que la transmission électronique aléatoire entraîne automatiquement que le contenu originel soit considéré comme un bien commun appartenant à tout le monde. Il dit plutôt que lorsque un signal électronique devient une expérience humaine, celle-ci n’est pas générique mais unique pour chaque individu. Et que l’avenir de l’art de la musique dépend de la façon dont on respectera le caractère individuel de cette expérience, au lieu de contraindre la transmission artistique à l’uniformité (à titre de note latérale, regardez un peu à quelles contorsions juridiques se livre l’industrie musicale actuelle pour prétendre que les téléchargements de fichiers numériques ne sont pas des « achats », par conséquents soumis aux règles de la vente, mais plutôt des « transactions », c’est-à-dire ne conférant aucun autre droit que celui d’être des récepteurs passifs, n’autorisant aucune autre posture que soumise).

Gould a écrit cela 20 ans avant que Lewis Hyde ne publie The Gift et 20 ans avant que Stallman n’écrive le Manifeste GNU. 30 ans avant que Lawrence Lessig n’écrive Code and other laws of Cyberspace et 30 ans avant que Eric Raymond n’écrive La cathédrale et le bazar. 40 ans avant que je ne commence à imaginer comment The Miraverse pourrait faire coïncider les idées des Creative Commons et de l’open source pour créer un futur nouveau et viable pour la musique. Mais maintenant, l’idée la plus audacieuse qu’il ait proposée (dans The Prospects of Recording) peut se réaliser :

Il serait relativement simple, par exemple, de fournir à l’auditeur la possibilité d’éditer les enregistrements à son gré. Bien entendu, un pas décisif dans cette direction pourrait bien résulter de ce processus par lequel il est désormais possible de dissocier la vitesse du tempo et en faisant ainsi (quoique avec une certaine détérioration de la qualité du son comme inconvénient) découper divers segments d’interprétations d’une même œuvre réalisée par différents artistes et enregistrées à différents tempos. Ce processus pourrait, en théorie, être appliqué sans restriction à la reconstruction d’un concert. Rien n’empêche en fait un connaisseur spécialisé de devenir son propre éditeur de bande sonore et, avec ces dispositifs, de mettre en œuvre son interprétation de prédilection pour créer son concert idéal personnel (…)

Il est vrai qu’à l’époque de Gould la technologie n’était pas disponible pour offrir au public de telles interactions : de son temps l’enregistrement multi-piste était incroyablement coûteux et disponible seulement dans quelques studios d’enregistrement commerciaux qui en avaient l’exclusivité. Mais aujourd’hui, les choses sont différentes, au moins sur le plan technologique. Ardour est une excellente station de travail audionumérique libre qui permet à n’importe quel ordinateur portable de devenir un puissant éditeur audio multipiste et un dispositif d’enregistrement. Et c’est ce que veulent les auditeurs participatifs. Mais les outils logiciels les plus puissants dans le monde ne peuvent pas créer un concert enthousiasmant à partir de rien, il doit y avoir un artiste qui est prêt à créer la trame sonore qui peut ensuite être mélangée et remixée selon les goûts de chacun. Et bien sûr, il doit y avoir un cadre de droits commerciaux qui ne mette pas toute l’entreprise par terre. C’est ce qui rend le projet Open Goldberg Variations si intéressant : il est la réponse au défi que Gould lançait il y a plus de 40 ans. C’est la prochaine étape de l’évolution de l’héritage musical qui va de JS Bach à nos jours en passant par Gould. Il invite chaque auditeur à devenir un participant à l’avenir de l’art de la musique.

Variations en open source majeure

Kimiko Ishizaka est l’artiste qui a franchi le pas de façon courageuse en tant que pianiste de concert pour transmettre une ressource culturelle en libérant à la fois le code source de l’œuvre de Bach (transcription professionnelle des partitions avec le logiciels libre MuseScore) et les données du concert lui-même (sous la forme d’un enregistrement audio) pour donner au public des expériences sans précédent à la fois de plaisir musical et du sentiment de liberté qui vient d’une action authentique. C’est-à-dire : l’action à créer ; l’action de manipuler à son gré ; l’action d’augmenter les biens communs en partageant ce dont on est passionné.

Revenons donc à la question initiale : la musique peut-elle être open source ? Ou plutôt, que peut-il advenir de la musique open source ? Les rencontres OHM 2013 viennent de conclure une semaine de « Observer, Modifier, Créer ». Un hacker qui s’y trouvait nous a proposé ses réflexions :

Un morceau de musique peut être considéré comme libre s’il y a un enregistrement de bonne qualité disponible sous une licence permissive (équivalent d’un binaire précompilé dans une distribution), et une partition de également bonne qualité, contenant toutes les instructions et les commentaires du compositeur original, disponible dans un format éditable et réutilisable, accompagné elle aussi d’une licence libre. Pensez-y comme si c’était le code source d’un logiciel que vous pourriez utiliser, compiler, interpréter, modifier, copier etc.

Le premier projet important destiné à mettre les œuvres de Jean-Sébastien Bach en open source a été Open Goldberg Variations (« Bach to the future ») avec l’aide du financement participatif. Vous pouvez télécharger les enregistrements audio sans perte de qualité réalisés par Kimiko Ishizaka, et la partition aux formats MuseScore ou XML, tout cela étant dans le domaine public.

C’est un très bon début. Ce qui en ferait un encore meilleur début serait que ça soit une communauté active qui l’accomplisse. Une communauté de personnes de divers horizons qui jouent chacun des rôles importants, qui travaillent ensemble pour créer ce que personne ne peut faire seul. Et un excellent environnement qui permette de publier sur une base fiable des œuvres commercialement rentables et approuvées par la critique.

Un tel environnement est The Miraverse, qui constitue l’essence de l’expérience des studios de Manifold Recording. D’un côté de la vitre de la cabine de mixage se trouve le studio (photo d’ouverture du billet ci-dessus), et de l’autre côté une console analogique API Vision qui peut enregistrer jusqu’à 64 pistes avec Ardour (ci-dessous).

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Ces environnements sont complétés par un troisième, le « Studio Annex », qui met à disposition une console Harrison Trion (qui tourne sous Linux) et permet de produire divers formats de son multicanal, avec jusqu’à 96 canaux audio à 96 kHz.

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Dans ces studios, de la musique open source peut être enregistrée, auditionnée, et mixée avec le meilleur équipement audio, le meilleur environnement acoustique, et des logiciels open source. L’auditeur participant peut faire l’expérience d’un enregistrement (processus stupéfiant en lui-même) et des choix créatifs qui sont possibles une fois que le processus de mixage commence.

Souhaitez-vous devenir un auditeur participatif ? Kimiko Ishizaka s’apprête à faire une tournée en Europe et en Amérique du nord en prévision de son enregistrement du « Clavier bien tempéré ». Le premier concert aura lieu au festival Beethoven de Bonn en Allemagne le 24 septembre ; puis Mme Ishizaka se produira à Prague (25 et 26 septembre), Munich (30 septembre), Vienne, Hambourg, puis Bonn etc. (calendrier complet à lire au bas de la page http://opensource.com/life/13/8/open-music-open-goldberg).

Comme n’importe quel autre projet open source, votre intérêt et votre participation peuvent en faire non seulement un succès, mais un exemple pour l’industrie. C’est notre but. En participant à une de ces représentations, en participant à la campagne KickStarter Twelve Tones of Bach (ce qui est une façon d’acheter des tickets pour ces représentations), en participant à la tournée (le 3 novembre), vous pouvez pleinement profiter de votre propre expérience de la musique et des perspectives de l’enregistrement, tout en aidant le projet et ses acteurs à atteindre des objectifs plus ambitieux. Nous espérons vous voir cet automne… et encore souvent à l’avenir !




Le projet qui peut tout changer dans le monde de la musique libre ?

Cultural Commons Collecting Society

L’association Musique Libre ! nous a proposé de reproduire un article de son blog, histoire d’élargir le cercle des lecteurs potentiels. Nous le faisons avec d’autant plus de plaisir que le sujet abordé est d’importance : la création (et le soutien) d’une société collective de gestion des droits où ceux qui font de la « musique non SACEM sous licence libre ou ouverte » se retrouveraient enfin. D’abord en Allemagne mais peut-être ensuite dans toute l’Europe.

L’occasion également pour nous de prendre des nouvelles de cette association qui a pour priorité première de mettre à jour le site Dogmazic, comme expliqué dans la vidéo ci-dessous (disponible également au format Ogg) :

Bon vent à l’un comme à l’autre…

C3S, le projet qui change tout

URL d’origine du document

Par Tumulte, le 30 juillet 2013

On vous en avait déjà parlé, le voici lancé : la « Cultural Commons Collecting Society » sera officiellement créée le 30 septembre sous la forme d’une société coopérative européenne ! Pour bien mesurer la portée de la nouvelle, il s’agit de créer un concurrent à la GEMA (équivalent de la SACEM en Allemagne), brisant ainsi un monopole de près de 80 ans !

Non content d’entreprendre ce projet pharaonique, le C3S envisage à terme d’être pan-européen, et de de venir la société de gestion de droits de l’ère numérique ; la société de gestion des musiques libres.

Faire table rase…

Les sociétés collectives de gestion des droits sont fondamentalement une bonne idée. S’allier permet à la fois d’être une force de négociation (face aux industries culturels, institutions,…) tout en se mutualisant les tâches comptables fastidieuses. En théorie les SACEM ou autres GEMA devraient garantir cela (n’oublions pas que ce sont des organismes d’intérêt général !), mais au lieu de répartir les gains équitablement, elles ont contribué à mettre en place une petite caste de rentiers ; au détriment de la quasi-totalité des autres. Enfin, ces organismes sont réputés pour avoir des frais de fonctionnements exorbitants, comme en témoigne le récent scandale sur la rémunération du patron de la SACEM (qui choque jusqu’à l’UMP).

Les probabilités que cela change sont nulles étant donné que les seuls votants, sont les membres de cette caste qui profite du système. Il ne reste donc qu’une option viable.

…Pour construire une alternative juste

Au départ, la nécessité d’une autre société de gestion vient d’un constat aussi simple qu’accablant : lorsqu’il s’agit de droits, un artiste libre n’existe, à l’heure actuelle, purement et simplement pas. Pour une radio commerciale, diffuser un artiste libre équivaut à diffuser du silence. Les artistes sous licences libres ne peuvent ni adhérer à une société de gestion ni bénéficier d’un cadre juridique lui assurant une rémunération.

Il fallait donc créer ce cadre, mais quitte à le faire, autant le faire bien et bâtir une structure qui puisse éviter les écueils que l’on reproche aux sociétés de gestions depuis trop d’années.

Quelques exemples qui font la différence :

  • Tous les membres sont votants
  • Dépôt œuvre par œuvre (contrairement à la SACEM qui oblige à ce que toutes les œuvres y soient déposées)
  • Rémunération dégressive dans le temps et en fonction du nombre de diffusion (les nouveaux et les « petits » sont favorisés, et la rente limitée)
  • Commission progressive (le C3S ne touche rien sur les premières diffusions)
  • Possibilité de retirer ses œuvres à tout moment (contre 3ans pour la GEMA et 10ans pour la SACEM !)

Et j’en passe et des meilleures !

Une société de communs

N’oublions pas le plus important : le deuxième C , « commons » ! Au lieu de lutter contre le partage, il s’agit de l’encourager, et de favoriser les collaborations et remixes. Un accompagnement est prévu pour que les usagers comprennent bien ce qu’il est possible de faire ou non avec telle ou telle licence !

Soutenez l’initiative !

À l’heure où j’écris il manque une poignée d’euros pour que le crowdfunding soit complet, mais il y a plus important ! Le C3S a besoin de membres et d’œuvres pour pouvoir démarrer convenablement. L’adhésion coûte 50€ (onglet « Investment ») et permet de déposer ses œuvres dès que l’organisme obtiendra sa licence. Bien entendu cela donne aussi le droit de vote. Il est également possible d’adhérer en tant que non musicien ou de simplement faire un don.

Pour plus d’informations, visitez la page de startnext : http://www.startnext.de/en/c3s




Six outils pour faire vivre les biens communs, par Pablo Servigne

Nous reproduisons ici un article paru initialement dans la revue du projet (belge) Barricade, avec l’aimable autorisation de son auteur (« bien sûr, tu peux reprendre l’article, c’est de l’éducation populaire, on reçoit des subventions pour écrire cela, et plus il y a de diffusion mieux c’est »).

Parce que le logiciel libre fait partie des biens communs. Parce que ces outils sont autant d’obstacles à lever pour une plus grande participation de tous.

Remarque : Pour une lecture plus confortable de l’article, vous pouvez lire et/ou télécharger sa version PDF jointe en bas de page.

Eneas - CC by

Six outils pour faire vivre les biens communs

URL d’origine du document

Pablo Servigne – 30 mai 2013 – Barricade 2013

Le concept de bien commun a l’air évident : est commun ce qui appartient à tous. Mais en réalité, il est loin d’être simple car il heurte nos plus profondes convictions. Qu’est-ce qu’« appartenir » ? Qui est « tous » ? Finalement qu’est-ce que le « commun » ? Voici les moyens de franchir six obstacles mentaux à l’entrée dans l’univers des biens communs.

Le concept de bien commun a pris une place importante dans le champ médiatique depuis l’attribution en 2009 du prix (de la Banque royale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred) Nobel à la politologue étatsunienne Elinor Ostrom[1].

Cette dernière a produit une œuvre scientifique immense démontrant magistralement que de nombreux biens communs (des ressources naturelles et des ressources culturelles) peuvent être bien gérées localement par des communautés très diverses qui se fabriquent des normes ad hoc pour éviter l’effondrement de leurs ressources (autrement appelé « la tragédie des biens communs »).

Ostrom montre qu’il n’y a pas de recette toute faite, mais qu’il y a bien des principes de base récurrents[2]. C’est une véritable théorie de l’auto-organisation. Elle montre surtout que la voie de la privatisation totale des ressources gérées par le marché ne fonctionne pas et, plus gênant, elle montre que les cas où la ressource est gérée par une institution centralisée unique (souvent l’Etat) mène aussi à des désastres. Cela ne veut pas dire que le marché ou l’Etat n’ont pas de rôle à jouer dans les biens communs.

Elle invite à se rendre compte des limites de ces deux approches, et à plonger dans le cas par cas, le local, les conflits, les aspérités du terrain, et l’insondable complexité des institutions et des comportements humains (par opposition aux équations et aux théories). Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est le simplisme, la solution unique et le prêt-à-penser.

Tentons d’entrer dans la matière à reculons. L’idée de faire une liste d’obstacles est venue bien tard, suite à de nombreuses discussions, ateliers, débats et conférences. Lâcher le terme de bien commun dans une salle fait l’effet d’une petite bombe… qui explose différemment dans la tête de chaque personne. On se retrouve systématiquement avec un débat en kaléidoscope où la seule manière de démêler les incompréhensions est d’aller voir au plus profond de nos croyances et de nos imaginaires politiques.

On se situe donc bien sur le terrain de l’imaginaire, ou de l’épistémè[3] dirait le philosophe, avec toute la subjectivité que cela implique. J’ai recensé six « obstacles » que je trouve récurrents et importants, mais ils ne sont pas classés suivant un quelconque ordre et sont loin d’être exhaustifs. Le travail d’investigation pourrait aisément continuer.

Obstacle 1 : on ne les voit pas

Comment se battre pour quelque chose dont on ignore l’existence ? L’économie dans laquelle nous avons été éduqués est celle de la rareté. Tout ce qui est rare a de la valeur. On apprend donc à prendre soin de ces ressources rares et on se désintéresse de tout ce qui est abondant. L’abondance est une évidence, puis disparaît de notre champ de vision.

On ne voit plus l’air que l’on respire. On ne voit (presque) plus l’eau, puisqu’elle tombe du ciel abondamment. On ne voit plus le silence car personne n’en parle. On ne voit plus les langues, les chiffres, les fêtes traditionnelles, le jazz, la possibilité d’observer un paysage, la sécurité, la confiance, la biodiversité ou même internet. Nous n’avons pas été éduqués à les voir, et encore moins à les « gérer ».

Les trois affluents des biens communs

Les trois affluents du fleuve des biens communs. Illustration d’après Peter Barnes[4]

Tout l’enjeu du mouvement des biens communs est donc d’abord de les rendre visibles ; de leur donner, non pas un prix, mais de la valeur à nos yeux. Montrer leur utilité, leur existence, leur fragilité et surtout notre dépendance à leur égard. Rendre visible implique d’avoir aussi un langage commun, savoir désigner les choses.

La question de la définition des biens communs est bien évidemment cruciale, mais elle passe d’abord par un tour d’horizon des cas concrets, et par un émerveillement. Les communs pourraient être une fête permanente. C’est une première étape à faire ensemble, avant toute discussion théorique.

Obstacle 2 : le marché tout puissant

Bien sûr, certaines ressources abondantes deviennent rares. On pense aux poissons, à certaines forêts, à l’air pur, à des animaux ou des plantes, à l’eau propre… On utilise alors deux types d’outils pour les « sauver » : le droit et l’économie. En général, la main gauche utilise les lois et la protection juridique, alors que la main droite leur colle un prix, les fait marchandises et utilise volontiers le marché pour réguler les stocks et les flux. Ce sont les mains gauche et droite d’une doctrine de philosophie politique appelée libéralisme et dans laquelle nous baignons depuis plus de deux siècles.

Le problème est que la main droite a pris le pouvoir durant ces dernières décennies et impose ses méthodes. La vague néolibérale des années 80 n’a pas fini de privatiser tous les domaines de la société et de la vie. Cette attaque frontale aux biens communs se passe généralement de manière silencieuse à cause justement de leur invisibilité. Sauf dans certains cas trop scandaleux (l’eau en Bolivie, les gènes dans les laboratoires pharmaceutiques, etc.) où une partie de l’opinion publique réagit ponctuellement (on pense à toutes les luttes autour de l’AMI[5] menées entre autres par l’association ATTAC dans les années 2000).

L’idéologie du marché débridé est corrosive pour les biens communs. Malheureusement, elle est bien implantée dans l’imaginaire collectif de nos sociétés, et en particulier dans la tête des élites financière, politique et médiatique, qui imposent leurs méthodes au reste du monde et contribuent à maintenir invisible les biens communs… jusqu’à ce qu’ils soient privatisés et rentables pour l’actionnaire !

Obstacle 3 : le réflexe de l’Etat

Face à cette colonisation massive et inexorable, les personnes indignées se tournent le plus souvent vers la figure de l’Etat. Un Etat protecteur et régulateur, garant de la chose publique (la res publica). Publique ? Mais ne parlait-on pas de commun ?

C’est bien là le problème. Car le public est différent du commun. La chose publique appartient et/ou est gérée par l’Etat : c’est le cas de la sécurité sociale, des infrastructures routières, de l’école, du système de santé, etc. Mais réfléchissez bien : l’Etat gère-t-il l’air, la mer, le climat, le silence, la musique, la confiance, les langues ou la biodiversité ? Oui et non. Il essaie parfois de manière partielle, tant bien que mal, face aux assauts des biens privés. Mais selon le nouveau courant de pensée des biens communs, il n’a pas vraiment vocation à le faire. En tout cas pas tout seul.

Il y a plus de 1500 ans, déjà, le Codex Justinianum de l’Empire romain proposait quatre types de propriété : « Les res nullius sont les objets sans propriétaire, dont tout le monde peut donc user à volonté. Les res privatae, par contre, réunissent les choses dont des individus ou des familles se trouvent en possession. Par le terme res publicae, on désigne toutes les choses érigées par l’Etat pour un usage public, comme les rues ou les bâtiments officiels. Les res communes comprennent les choses de la nature qui appartiennent en commun à tout le monde, comme l’air, les cours d’eau et la mer. »[6] Ainsi classées, les choses prennent une toute autre tournure !

Le problème vient du fait que les pratiques de gestion des biens communs ont disparu au fil des siècles (par un phénomène appelé les enclosures[7]) et que ce vide tente d’être comblé tant bien que mal par la seule institution qui nous reste et que nous considérons comme légitime, l’Etat.

Or, non seulement il est totalement inefficace dans certains cas (le climat par exemple), mais comme l’a observé Elinor Ostrom, une organisation centralisatrice et hiérarchique est loin d’être le meilleur outil pour gérer des systèmes complexes (ce que sont les biens communs), et il peut faire beaucoup de dégâts.

De plus, à notre époque, les Etats entretiennent des rapports de soumission aux marchés. « Dans bien des cas, les véritables ennemis des biens communs sont justement ces Etats qui devraient en être les gardiens fidèles. Ainsi l’expropriation des biens communs en faveur des intérêts privés — des multinationales, par exemple — est-elle souvent le fait de gouvernements placés dans une dépendance croissante (et donc en position de faiblesse) à l’égard des entreprises qui leur dictent des politiques de privatisation, de consommation du territoire et d’exploitation. Les situations grecque et irlandaise sont de ce point de vue particulièrement emblématiques. »[8]

Nous aurons bien sûr toujours besoin de l’instrument public, il n’est nullement question de l’ignorer ou de le remplacer, mais de l’utiliser pour enrichir les biens communs et leur gestion communautaire. L’enjeu est de recréer ces espaces et ces collectifs propices à la gestion des communs, et de construire des interactions bénéfiques entre commun et public. L’Etat comme garant du bien public et comme pépinière des biens communs.

Une vision en trois pôles est définitivement née : privé, public, commun.

Obstacle 4 : la peur du goulag

Bien plus facile à expliquer, mais bien plus tenace, il y a cette tendance chez beaucoup de personnes à considérer toute tentative d’organisation collective comme une pente (forcément glissante) vers le communisme, puis le goulag. Dans les discussions, il arrive que l’on passe rapidement un point Godwin « de gauche »[9].

L’imaginaire de la guerre froide est encore tenace, et le communisme a mauvaise réputation (à juste titre d’ailleurs). Mais il est abusivement assimilé à l’unique expérience soviétique. Or, l’important est de se rendre compte, comme invite à le faire Noam Chomsky, que l’expérience soviétique a été la plus grande entreprise de destruction du socialisme de l’histoire humaine[10]. Ça libère ! Penser et gérer les communs n’est pas synonyme de goulag, bien au contraire.

Obstacle 5 : « l’être humain est par nature égoïste »

Il est une autre croyance bien tenace et profondément ancrée dans nos esprits, celle d’un être humain naturellement égoïste et agressif. Cette croyance s’est répandue après les interminables guerres de religions que l’Europe a subie au Moyen-Age.

Las de ces conflits, les philosophes politiques de l’époque (dont Hobbes) ont alors inventé un cadre politique à l’éthique minimale qui pourrait servir à organiser les sociétés humaines. Un cadre le plus neutre possible qui permette de cohabiter sans s’entre-tuer : le libéralisme était né.

Cette doctrine s’est donc constituée sur cette double croyance que seul l’Etat pouvait nous permettre de sortir collectivement de notre état de bestialité agressive, baveuse et sanglante ; et que seul le marché (neutre et protégé par l’Etat) pouvait nous permettre de satisfaire les besoins de tous en favorisant nos instincts naturellement égoïstes[11].

Nous savons aujourd’hui que ces croyances ne sont pas basées sur des faits. L’être humain possède bien évidemment des instincts égoïstes, mais également coopératifs, voire altruistes. Il développe très tôt dans l’enfance et tout au long de sa vie des capacités à coopérer avec des inconnu-es, à faire confiance spontanément, à aider au péril de sa vie, à favoriser les comportements égalitaires, à rejeter les injustices, à punir les tricheurs, à récompenser les coopérateurs, etc.

Tous ces comportements ont été découverts par des expériences et des observations simultanément dans les champs de l’économie, la psychologie, la sociologie, la biologie, l’éthologie, l’anthropologie, et les sciences politiques.

En économie, par exemple, presque tous les modèles sont basés sur l’hypothèse d’un humain calculateur, égoïste et rationnel, l’Homo oeconomicus. Or, sur le terrain, les recherches anthropologiques se sont avérées infructueuses : il n’existe pas. Les peuples, partout dans le monde, coopèrent bien plus que ne le prédisent les modèles économiques. Les faits et les observations accumulées depuis plusieurs décennies sont peu connues mais incontestables[12].

Nous avons désormais les moyens de savoir que l’humain est l’espèce la plus coopérative du monde vivant, mais … disposons-nous des moyens d’y croire ? Ce sera pourtant la condition nécessaire (mais pas suffisante) à la construction d’une nouvelle épistémè favorable à l’auto-organisation, la création et la préservation des biens communs.

Obstacle 6 : se reposer sur les institutions

Il est inutile d’insister sur le fait que l’école ne nous enseigne pas à cultiver l’esprit démocratique et nous maintient dans une état d’inculture politique grave. L’école n’est pas la seule fautive, presque toutes les institutions publiques et privées que nous côtoyons tout au long de notre vie ne stimulent guère notre imagination politique.

En fait, quand il s’agit de s’organiser, nous avons tendance à nous reposer sur des institutions déjà en place (gouvernement, lois, cours de justice, commissariat de police, etc.) dont les règles sont (presque) incontournables. Ces institutions existent en tant qu’entités indépendantes de nous-mêmes, elles nous surplombent et imposent des normes sociales difficilement discutables par le citoyen lambda, et dont seule une minorité tente de les faire évoluer.

La facilité incite à « se laisser vivre » passivement sous leur tutelle, sans trop les discuter, en étant certains qu’elles nous survivront. Nous avons pris l’habitude de nous reposer sur les institutions existantes, à les considérer comme stables et acquises d’avance.

Pour les biens communs, c’est précisément l’inverse. Il nous faudra sortir de cette facilité. Leur gestion est une affaire d’effort démocratique et de citoyens émancipés et actifs. Les biens communs sont des pratiques qui naissent de la confrontation d’une communauté avec des problèmes locaux et particuliers.

Les « parties prenantes » (les différents acteurs concernés) doivent se forger eux-mêmes des normes (récompenses, quotas, sanctions, etc.) dans un processus créatif et sans cesse renouvelé. La gestion des biens communs ne se décrète pas, elle se pratique. Ce n’est pas un statut, c’est un processus dynamique.

Si les acteurs arrêtent de « pratiquer leur bien commun », alors il s’éteint, car il n’y a pas (ou peu) d’institution qui le soutienne. Les anglais ont inventé un verbe pour cela, commoning. C’est en marchant que le bien commun se crée, il suffit de s’arrêter pour qu’il disparaisse. Cela nécessite un engagement et un devoir constant.

Mais comme disait Thucydide[13], « il faut choisir : se reposer ou être libre ».

Pour aller plus loin
  • Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Etopia/DeBoeck, 2010.
    • Un livre-clé mais assez difficile d’accès, très touffu et à la prose scientifique. De plus, il date de 1990, et depuis, Ostrom a écrit de nombreux livres et articles, non encore traduits en français. Indispensable… pour curieux motivés.
  • Silke Helfrich, Rainer Kuhlen, Wolfgang Sachs et Christian Siefkes. Biens communs – La prospérité par le partage. Rapport de la Fondation Heinrich Böll, 2009. Disponible gratuitement ici.
    • Cette brochure, pédagogique et originale, est une très bonne introduction aux biens communs. Bien plus digeste que le livre d’Ostrom. Vivement recommandée !
  • Collectif. Les biens communs, comment (co)gérer ce qui est à tous ? Actes du colloque Etopia du 9 mars 2012, Bruxelles. Disponible en pdf.
    • Tour d’horizon rapide et complet (mais pas ennuyeux) de la galaxie des biens communs. A lire d’urgence car il est complémentaire du rapport de la fondation Heinrich Böll.

Crédit photo : Eneas (Creative Commons By)

Notes

[1] Pour aller plus loin : L’entretien d’Alice Le Roy avec Elinor Ostrom, prix de la Banque royale de Suède en 2009 pour son travail sur les biens communs.

[2] Pour une introduction à l’oeuvre d’Elinor Ostrom, lire l’article « La gouvernance des biens communs », Barricade, 2010. Disponible sur www.barricade.be

[3] Ensemble des connaissances scientifiques, du savoir d’une époque et ses présupposés.

[4] Silke Helfrich, Rainer Kuhlen, Wolfgang Sachs et Christian Siefkes. Biens communs – La prospérité par le partage. Rapport de la Fondation Heinrich Böll, 2009.

[5] Accord Multilatéral sur les Investissements. L’AMI est un accord économique international négocié dans le plus grand secret à partir de 1995 sous l’égide de l’OCDE. Il donnait beaucoup de pouvoir aux multinationales (contre les Etats) et ouvrait le champ de la privatisation de tous les domaines du vivant et de la culture. Suite aux protestations mondiales, l’AMI fut abandonné en octobre 1998.

[6] Silke Helfrich et al., ibidem.

[7] Enclosures (anglicisme) fait référence à l’action de cloisonner un espace commun par des barrières ou des haies. Le terme fait surtout référence à un vaste mouvement qui a eu lieu en Grande-Bretagne au début de l’ère industrielle, imposé par le gouvernement pour mettre fin à la gestion communautaire des biens communs naturels (forêts, pâtures, etc.) au bénéfice de grands propriétaires terriens privés. Cela s’est fait par la violence et a permis l’essor de l’agriculture industrielle capitaliste.

[8] Ugo Mattei, “Rendre inaliénables les biens communs”, Le Monde Diplomatique, décembre 2011.

[9] Normalement, le point Godwin est l’instant d’une conversation où les esprits sont assez échauffés pour qu’une référence au nazisme intervienne (Wiktionnaire, mai 2013). Dans notre cas, la référence au goulag joue le même rôle.

[10] Noam Chomsky. The Soviet Union Versus Socialism. Our Generation, Spring/Summer, 1986. Disponible

[11] Pour une histoire critique du libéralisme, voir les formidables livres de Jean-Claude Michéa. En particulier Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, Climats, 2002. Réédition Champs-Flammarion, 2006 ; L’Empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale, Climats, 2007. Réédition Champs-Flammarion, 2010 ; et La double pensée. Retour sur la question libérale, Champs-Flammarion, 2008.

[12] Nous n’avons pas la place de le montrer ici, et il manque encore un ouvrage qui en fasse la synthèse. Cependant, le lecteur curieux pourra trouver quelques réponses dans Frans De Waal. L’Age de l’empathie. Leçons de nature pour une société plus solidaire (Les liens qui libèrent, 2010). Ou encore Jacques Lecomte. La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité (Odile Jacob, 2012).

[13] Homme politique grec qui vécut au IVième siècle av. J.-C.




Framanews : libérez vos flux ! (RIP Google Reader)

Framanews - Copie d'écran

Le 1er juillet prochain (J-4, donc !), Google Reader fermera ses portes.

Lancé en 2005, ce service permettait aux utilisateurs d’organiser et de lire des flux d’actualités (appelés « flux RSS ») issus de multiples sites en un seul endroit.

Plusieurs dizaines (centaines ?) de milliers d’utilisateurs se retrouvent donc « victimes » de cette fermeture annoncée il y a trois mois. Cela nous amène à nous poser deux questions :

  • Quelle confiance accorder à Google[1], qui centralise vos données en ligne ?
  • Quelle réponse le monde du logiciel libre a-t-il à proposer aux utilisateurs « mis à la porte » par Google Reader ?

De nombreuses applications libres permettant de lire des flux RSS ont vu leur développement s’accélérer ces derniers mois. Certaines nous ont semblé être d’excellentes alternatives à Google Reader. Mais comment les faire connaitre au grand public ? Comment inciter les utilisateurs a tester et valider une solution libre, plutôt que de foncer tête baissée dans la gueule grande ouverte d’un autre service privé ? Feedly, Digg, Yahoo!, et même … AOL (!) sont sur les rangs pour exploiter vos données sous forme de publicité classique ou de revente à des tiers. Pour au final fermer le service dans quelques mois ?

À sa modeste échelle, Framasoft annonce donc la mise en place de Framanews, un service de lecture de flux RSS basé sur le logiciel libre Tiny Tiny RSS. Il ne s’agit pas ici d’en faire un « concurrent » de Google Reader, qui ne résoudrait pas la question de la centralisation des données, mais bien de proposer à tout un chacun de pouvoir évaluer une alternative libre et gratuite, sans publicité, sans exploitation de vos données personnelles et que vous pouvez vous-même installer (pour une académie, un centre de recherche, etc.).

Notez bien que le projet est en bêta, que les inscriptions s’ouvrent peu à peu (afin de nous permettre de dimensionner l’infrastructure technique), et que nous prévoyons d’améliorer la documentation sur l’installation[2].

Pour vous faire patienter, nous vous proposons ici une interview de Luc, le sympathique et dynamique bénévole[3] qui est en charge de la mise en place de ce service.

Google Reader

Bonjour Luc, peux-tu te présenter ?

Bonjour. Mmh, c’est toujours dur de se présenter, mais je vais tenter quand même. Je suis un geek libriste de pas loin de 30 ans, grand fan des manchots, du Dr Who, de livres (romans, bds), du nombre 42 et des vannes pourries. On me connaît parfois sous le pseudo Sky sur le grand Ternet mais c’est plutôt rare (en dehors de LinuxFr ou de framalang, je ne sors pas beaucoup de mon lecteur de flux RSS)

Mon parcours fut assez mouvementé : 2 facs, 3 DUT, 1 Licence, clerc d’huissier, assistant de sénateur et maintenant administrateur systèmes et réseaux dans l’équipe Lothaire de l’Université de Lorraine… C’est moi qui ai appris à Jean-Claude Van Damme à faire le grand écart 🙂

Mon premier contact (sans le savoir) avec les logiciels libres date de l’époque où Free envoyait un cd contenant divers logiciels dont un truc qui s’appelait “Suite Mozilla” si je me souviens bien. Quand est sortie la première version de Firefox, j’y ai tout de suite adhéré, mais je n’étais pas encore prêt. C’est en 2005 qu’un ami d’enfance m’a dit « Essaye Linux, c’est vachement bien ! », ce qui m’a poussé à acheter un magazine contenant un cd d’installation d’OpenSuse. Là-dessus mon ami m’a dit « Pff, mais prends donc une Debian, ça déchire[4] ! ». Et là c’était fini, j’étais pris au piège et je n’ai plus quitté Debian, ni tout ce qui a rapport au libre. 3 ans plus tard, j’entrais en DUT d’info. Encore 5 ans de plus et j’organisais les Journées Perl 2013 (qui ont eu lieu à Nancy les 14 et 15 juin dernier).

Je fais actuellement partie de Lorraine Data Network, FAI associatif issu de l’essaimage de FDN qui milite pour un Internet Libre Décentralisé et Neutre en encourageant les gens à héberger eux-même leurs services, ou tout du moins à le faire chez des personnes de confiance… un peu comme quand Framasoft propose Framadate, Framapad, Framacalc et tous les autres Framaservices, non ? 😉

Tu t’es proposé pour mettre en place et animer le projet Framanews. Mais qu’est-ce donc que Framanews ?

Framanews est un lecteur de flux RSS en ligne. Un flux RSS est un fichier contenant les articles du site du flux dans un format normalisé qui permet d’afficher ces articles dans un lecteur, sans tout l’« emballage » du site. Cela permet de suivre l’actualité du site en question, sans y aller, ou parfois d’avoir juste un résumé des articles, ce qui permet de choisir si ça vaut le coup d’aller faire un tour sur le site. Si un certain nombre de médias du Web parlent de la fin du flux RSS car dépassé par Twitter, Google+ et consorts, je trouve qu’au contraire, c’est un excellent moyen de choisir ses sources d’informations plutôt que se laisser enfermer dans un bulle constituée de « on sait mieux que toi ce qu’il te faut ». Je ne suis certainement pas le seul à penser ainsi, vu le tollé qu’a soulevé l’annonce de la fermeture de Google Reader et le nombre de lecteurs de flux libres qu’on a vu (re)surgir ça et là : Kriss Feed, Miniflux, Leed, etc. Et surtout Tiny Tiny RSS (ttrss pour les intimes) qui a vu son développement repartir de plus belle et qui sert de base à Framanews.

J’ai légèrement forké Tiny Tiny Rss pour le franciser au maximum (mais il y a encore des bouts de texte qui m’ont échappé), certains textes comme les emails ne passant pas par le module d’internationalisation.

Mais Framanews, c’est aussi un projet « éducatif », pour (re)faire découvrir les flux RSS et présenter une alternative aux sites propriévateurs (merge de propriétaire et privateur, pour dérouter les trolls) comme (bientôt feu) Google Reader, Feedly et consorts. Le pourquoi du flux RSS, les spécificités de ttrss (interface mobile, partage de flux…), un mode d’emploi, tout ça est expliqué sur la page d’accueil du projet (surtout dans la FAQ).

Pourquoi avoir choisi ce projet-là, dans tous les framacartons[5] possibles ?

Parce que j’aime les flux RSS et que je suis un peu opportuniste : je me suis dit que la fermeture de GReader était une bonne occasion de prêcher la bonne parole du Libre. Aussi parce que je connais plutôt pas mal ttrss pour l’avoir installé pendant longtemps sur mon serveur. Je me sers de Framanews maintenant, pour voir les problèmes tout de suite et être encore plus motivé à les résoudre : vos problèmes sont aussi mes problèmes, soyez sûrs que je m’en occupe 😉

Ah ! Non ! C’est un peu court jeune homme !
On pouvait dire… oh ! Dieu ! … bien des choses en somme…
En variant le ton, —par exemple, tenez :
Agressif : « moi, monsieur, si j’avais un tel etherpad,
Il faudrait sur le champ que je le mette à jour[6] ! »
Amical : « mais il n’y a pas de css framasoft :
laissez-moi donc vous faire un boilerplate ! »

Et puis, il faut bien commencer quelque part 😀

Techniquement, la mise en place a été plutôt difficile, peux-tu nous en dire plus sur les coulisses de ce projet ?

Oulà ! Alors, en ce moment, le ttrss tourne sur un des serveurs de Framasoft qui héberge d’autres services, avec la base de données sur un autre serveur, qui sert aussi à faire tourner le script de mise à jour des flux. Je n’avais au départ que le serveur Framasoft pour jouer. J’ai utilisé une base MySQL puisqu’elle était déjà installée dessus, mais avec l’ouverture progressive de la bêta, j’ai vu que ça n’allait plus du tout. Le serveur souffrait de surcharge, et pourtant c’est une bête de course. J’ai donc tuné la base MySQL, mais les problèmes sont revenus quelques jours après. J’ai ensuite tenté quelques essais infructueux de conversion des données MySQL au format PostgreSQL pour une migration en douceur, mais j’ai dû me résoudre à demander à nos courageux testeurs de migrer eux-mêmes leurs comptes, à coup d’export des flux et des préférences. Après quelques jours de répit, de divers essais de réglage des paramètres du script de mise à jours, le serveur était de nouveau en surcharge. C’est Nassim Kacha – un ami lui aussi sysadmin qui s’occupe de pas mal de base de données au boulot – qui m’a montré que la surcharge était due à des accès disques trop lents. Framasoft m’a donc fourni un nouveau jouet : un vps (Serveur Privé Virtuel) avec un disque en SSD. Tout allait bien jusqu’à ce que certains utilisateurs abusent un peu du nombre de flux : plus de 5% du total de flux pour UN utilisateur (représentant 0,5% du nombre d’utilisateurs)…

Dallas, à côté de la saga Framanews, c’est Martine à la plage !

Donc, pour l’instant, le service reste en “beta” ? Quelles sont les limitations ?

Malheureusement, oui. Suite au dernier épisode (trop de flux pour certains utilisateurs), nous avons décidé de limiter le nombre de flux par personnes (je suis en train d’écrire un système de quota de flux pour ttrss). Le système de cache de ttrss a été un peu modifié pour garder le cache plus longtemps (ce qui réduit la vitesse de mise à jour) et on ouvre les inscriptions au compte-goutte, pour nous permettre d’augmenter les capacités de la plateforme au fur et à mesure. Je n’ai pas envie que tout s’écroule de nouveau ! Une fois que j’aurais dimensionné correctement les besoins (un serveur = xxx utilisateurs), je vais tenter de transformer notre petite base de données en un cluster PostgreSQL, on repart pour des tests et on pourra enfin ouvrir les vannes en grand ! (ou pas)

Ceci dit, tant qu’on est en beta, je ne m’interdis pas de loucher vers d’autres applications de lecture de flux RSS en ligne qui pourraient mieux tenir la charge.

Si tout se passe bien au niveau technique, la prochaine limitation risque d’être le nombre de serveurs que Framasoft pourra louer. Rappelons-le, Framasoft est une association qui ne vit que par les dons de ses sympathisants. C’est pourquoi je vous invite à faire un petit tour sur http://soutenir.framasoft.org (je l’avais dit que j’étais opportuniste ! Hop, pub :D).

Au bout du compte, pourquoi utiliser Framanews plutôt que Feedly, Netvibes ou autre ?

C’te bonne blague ! Parce que c’est libre, tiens !

Mais aussi parce que Framasoft — et donc par définition Framanews aussi — cherche à libérer les internautes, en leur faisant découvrir des services qu’ils peuvent installer eux-mêmes, dans leur placard, sur leur serveur dédié, chez un hébergeur mutualisé associatif, sur un raspberry collé au dos de leur chat… De plus, nous respectons votre vie privée : la seule information dont on se sert, c’est votre adresse mail pour vous tenir au courant des évolutions du services et autres maintenances, et juste pour ça. Je pourrais aussi parler de la qualité de ttrss, de sa fonctionnalité qui permet de partager les articles que l’on aime sur un flux public[7], du superbe plugin que j’ai développé de mes blanches mains pour faciliter la navigation dans les flux (ok, c’est juste un fork d’un autre plugin)…

Je pense que la meilleure raison d’adopter Framanews, c’est de l’essayer et de comparer 🙂

Comment vois-tu l’avenir de ce projet ?

Moi et les autres membres de Framasoft sur une plage de sable blanc avec suffisamment d’argent pour racheter Google. Ah c’est pas payant ? Zut alors !

Je verrais bien un espace de partage des flux publics[8] des framanewseurs, un compteur des instances de ttrss que les gens auront montées parce qu’on leur en a donné envie…

Un petit mot pour la fin ?

Internet n’est pas compliqué, Internet est ce que vous en faites.


Rappel des principaux liens :

Crédit photo : Danny Sullivan (Creative Commons By)

Notes

[1] ou tout autre intermédiaire, Framasoft compris.

[2] Les utilisateurs sous Windows souhaitant tester le logiciel en standalone (sur leur poste de travail plutôt qu’en ligne) peuvent même télécharger notre WebApp TT-RSS, mise à jour pour l’occasion.

[3] S’il avait su dans quoi il mettait les doigts, il ne serait peut-être pas venu, d’ailleurs…

[4] Et c’est bien vrai !

[5] Les Framacartons ?! http://lite.framapad.org/p/framatools

[6] Oui, la mise à jour sur le champ a pris du retard à cause de Framanews, je sais, je sais.

[7] Twitter, c’est tellement 2012 !

[8] un flux public Framanews a une URL unique et tarabiscotée. Il faut que la personne vous la communique, sinon vous ne la trouverez jamais ! Par bonheur, les raccourcisseurs d’URLs existent, ce qui donne par exemple pour mon flux public : http://fiat-tux.fr/sh/LucPublRSS




Quand la connaissance rencontre le Libre ça donne un livre exemplaire

Un livre sur la théorie homotopique des types vient d’être publié par des mathématiciens. A priori ça ne concerne que les spécialistes du sujet…

Et pourtant ça concerne tout le monde, tant sa conception originale et les leçons qui en sont tirées ci-dessous ont valeur d’exemplarité.

Du Libre à tous les étages (LaTeX, Creative Commons By-Sa…) mais surtout dans son état d’esprit de partage et de collaboration. Un projet et un article passionnants, à faire lire dans la sphère académique et bien au-delà.

Remarque : Pour commencer, on pourra voir cette courte vidéo « making-of » du livre.

Homotopy Type Theory - The team

Le livre HoTT

The HoTT book

Andrej Bauer – 20 juin 2013 – Blog personnel
(Traduction : Lgodard, Ilphrin, tcit, Guillaume, igor_d, Yaf, ronanov, fif + anonymes)

Le livre HoTT est terminé !

Depuis le printemps, et même avant, j’ai participé à un super effort collaboratif pour écrire un livre à propos de la Théorie homotopique des types (NdT : HoTT en anglais pour Homotopy Type Theory). Il est enfin terminé et accessible au public. Vous pouvez obtenir le livre librement et gratuitement. Mike Shulman a écrit à propos du contenu de ce livre, donc je ne vais pas répéter cela ici. À la place, je voudrais commenter les aspects socio-technologiques de la création du livre, et en particulier de ce que nous avons appris de la communauté open source sur la recherche collaborative.

Nous sommes un groupe de deux douzaines de mathématiciens qui avons écrit un livre de 600 pages en moins de 6 mois. C’est assez impressionnant, d’autant que les mathématiciens n’ont pas l’habitude de travailler ensemble au sein de grands groupes. Dans un petit groupe ils peuvent s’en sortir en utilisant des technologies obsolètes, comme envoyer aux autres un fichier source LaTeX par email, mais avec deux douzaines de personnes, même Dropbox ou n’importe quel autre système de synchronisation de fichier aurait échoué lamentablement. Par chance, beaucoup d’entre nous sont des chercheurs en Informatique déguisés en mathématiciens, donc nous savions comment attaquer les problèmes de logistique. Nous avons utilisé git et github.com.

Au début, il a fallu convaincre les gens, et se faire à l’outil. Malgré tout, cela n’a pas été trop difficile. À la fin, le dépôt sur le serveur n’était pas seulement une archive pour nos fichiers, mais également un point central pour notre planification et nos discussions. Durant plusieurs mois j’ai consulté GitHub plus souvent que mes emails ou Facebook. Github était mon Facebook (sans les petits chats mignons). Si vous ne connaissez rien aux outils comme git mais que vous écrivez des articles scientifiques (ou que vous créez n’importe quel type de contenu numérique) vous devriez vraiment, vraiment vous renseigner sur des systèmes de gestion de versions. Même en tant que seul auteur d’un article, vous allez gagner à apprendre comment en utiliser un, sans même parler des belles vidéos que vous pouvez produire sur la manière dont vous avez écrit votre papier.

Mais de manière plus importante, c’est l’esprit collaboratif qui imprégnait notre groupe à l’Institute for Advanced Study (Princeton) qui était incroyable. Nous ne nous sommes pas éparpillés. Nous avons discuté, partagé des idées, expliqué certains éléments les uns aux autres, et avons totalement oublié qui avait fait quoi (à tel point que nous avons dû faire des efforts pour reconstruire un historique de peur que ce ne soit oublié pour toujours). Le résultat final a été une augmentation considérable de notre productivité.

Il y a une leçon à en tirer (mis à part le fait que l’Institute for Advanced Study est évidemment le meilleur institut de recherche au monde), à savoir que les mathématiciens ont à gagner à devenir un peu moins possessifs vis-à-vis de leurs idées et leurs résultats. Je sais, je sais, une carrière académique dépend de la juste répartition des mérites de chacun et ainsi de suite, mais ce sont seulement les idiosyncrasies de notre époque. Si nous pouvons faire en sorte que les mathématiciens partagent des idées à moitié développées, ne s’inquiètent pas de savoir qui a apporté quelle contribution à un article, ou même qui en sont les auteurs, alors nous atteindrons un nouveau niveau de productivité encore jamais imaginé. Le progrès est le fait de ceux qui osent enfreindre les règles.

Les milieux de recherche vraiment ouverts ne peuvent être gênés par le copyright, les éditeurs qui s’accaparent le profit, les brevets, les secrets commerciaux, et les programmes de financement qui sont basés sur des outils de mesures de réussite défectueux. Malheureusement nous sommes tous coincés dans un système qui souffre de ces maux. Mais nous avons fait un premier pas dans la bonne direction en mettant le code source du livre disponible librement sous une licence permissive Creative Commons (la CC-By-Sa). N’importe qui peut prendre le livre et le modifier, nous envoyer des améliorations et des corrections, le traduire, ou même le vendre sans même nous donner le moindre sou (si cette dernière phrase vous a quelque peu crispé c’est que vous avez été conditionné par le système).

Homotopy Type Theory - Couverture

Nous avons décidé de ne pas faire publier le livre par un éditeur académique pour le moment car nous voulions qu’il soit accessible à tous, rapidement et sans frais. Le livre peut être téléchargé gratuitement, ou bien acheté à peu de frais avec une couverture rigide ou souple sur lulu.com (quand avez-vous pour la dernière fois payé moins de 30$ pour une monographie de 600 pages à couverture rigide ?). Une fois de plus, j’entends déjà certaines personnes dire : « oh mais un vrai éditeur universitaire est synonyme de qualité ». Cette façon de penser rappelle les arguments opposant Wikipédia et Britannica, et nous savons tous comment cette histoire s’est terminée. Oui, la bonne qualité de la recherche doit être assurée. Mais une fois que nous acceptons le fait que n’importe qui peut publier n’importe quoi sur Internet permettant au monde entier de le consulter et en faire un livre bon marché à l’air professionnel, nous réalisons rapidement que la censure n’est plus efficace. À la place, nous avons besoin d’un système décentralisé d’approbation qui ne pourrait pas être manipulé par des groupes d’intérêts spéciaux. Les choses sont en train de bouger dans cette direction, avec la création récente du Selected Papers Networks (Réseaux d’écrits sélectionnés) et d’autres projets similaires. J’espère qu’ils auront un bel avenir.

Cependant, il y a quelque chose d’autre que nous pouvons faire. C’est plus radical, mais aussi plus utile. Plutôt que de laisser les gens se contenter d’évaluer les articles, pourquoi ne pas leur donner une chance de participer et aussi d’améliorer ces articles ? Mettez tous vos articles sur GitHub et laissez les autres en discuter, poser des questions, les utiliser comme bases pour leur travail (fork), les améliorer, et vous envoyer des corrections. Est-ce que cela paraît fou? Bien sûr que oui, l‘open source paraissait également une idée folle lorsque Richard Stallman a lancé son manifeste. Soyons honnêtes, qui va vous voler votre code source LaTeX ? Il y a bien d’autres choses de valeur susceptibles d’être volées. Si vous êtes un professeur titulaire vous pouvez vous permettre d’ouvrir le chemin. Faites-vous enseigner git par vos thésards et mettez vos trucs dans un endroit public. N’ayez pas peur, ils vous ont titularisé pour que vous fassiez des choses comme ça.

Donc nous invitons tout le monde à améliorer le livre en participant sur GitHub. Vous pouvez laisser des commentaires, signaler des erreurs, et même mieux, faire des corrections par vous-même ! Nous n’allons pas nous inquiéter de savoir qui vous êtes et combien vous contribuez et qui devrait recevoir les honneurs. La seule chose qui importe est de savoir si vos contributions sont bonnes.

Ma dernière observation est à propos de la formalisation des mathématiques. Les mathématiciens aiment imaginer que leurs publications peuvent en principe être formalisées dans la Théorie des Ensembles. Ceci leur donne un sentiment de sécurité, qui n’est pas différente de celui ressenti par un croyant entrant dans une cathédrale d’âge canonique. C’est une forme de foi professée par les logiciens. La Théorie homotopique des types est un fondement alternatif à la Théorie des Ensembles. Nous revendiquons nous aussi que les mathématiques ordinaires peuvent en principe être formalisées en Théorie homotopique des types . Mais devinez quoi, vous n’avez pas à nous croire sur parole ! Nous avons formalisé les parties les plus complexes du livre HoTT et vérifié les preuves avec des assistants de preuve électroniques. Pas une fois mais deux. Et nous avons formalisé en premier lieu, puis nous avons écrit le livre car c’était plus simple de formaliser. Nous sommes gagnants sur tous les plans (s’il y a une compétition).

J’espère que le livre vous plaira, il contient une impressionnante quantité de mathématiques inédites.

Homotopy Type Theory - Tor




Prothèse de main : de dix mille à cent cinquante dollars grâce à l’impression 3D

Quand l’association de l’impression 3D et de l’esprit Libre donnent des choses extraordinaires…

Robohand - MakerBot

Des prothèses de main open source peuvent être imprimées en 3D pour 150$

Open Source Prosthetic Hand Can Be 3D Printed For $150

John Pugh – 26 mai 2013 – psfk.com
(Traduction : Goofy, Calou, nicolas, MatElGran, GPif, Asta, Pascal, audionuma)

Robohand est une main mécanique à bas coût qui peut être fabriquée avec une imprimante MakerBot3D.

Pour les patients souffrant d’une blessure traumatique ayant entraîné la perte d’un membre, ou les enfants nés avec un handicap tel que le syndrome des brides amniotiques (dont la conséquence est souvent que l’enfant naît avec un ou plusieurs doigts manquants), une nouvelle prothèse a le potentiel de changer littéralement leur vie quotidienne. Cependant, les technologies actuelles de prothèse sont très compliquées et onéreuses, pouvant coûter jusqu’à 10 000 $ pour une prothèse de doigt basique. Imaginez qu’au lieu d’avoir recours à des produits complexes et coûteux, nous puissions simplement imprimer une prothèse complète confortablement à la maison !

Robohand est une main mécanique qui peut être imprimée en 3D avec une imprimante MakerBot. À l’origine de l’idée, Richard Van As, un menuisier sud-africain qui a perdu quatre doigts lors d’un accident en 2011. Suite à cet accident, il commença à travailler avec le designer de mains mécaniques Ivan Owen (Seattle) pour concevoir un modèle de prothèse peu coûteux et capable de fonctionner aussi convenablement qu’une main ou que de doigts réels. Se basant sur leur concept, MakerBot a fait don d’une imprimante 3D Replicator 2 Desktop[1] à leur équipe, accélérant ainsi la création de prototypes fonctionnels, tout en réduisant les coûts de production.

Au total, le coût des pièces de la Robohand fabriquées avec l’imprimante MakerBot3D s’élève seulement à 2,50$ de matériel et on obtient une prothèse fonctionnelle complète, incluant le matériel non imprimable, pour environ 150$. En plus d’une économie importante, Van As a compris à quel point cette méthode lui permet d’affiner rapidement sa conception en fonction des besoins spécifiques d’un individu. Suite à la diffusion de son histoire, il a reçu des courriels et des messages sur Facebook de parents d’enfants atteints du syndrome des brides amniotiques voulant explorer le potentiel d’une conception par impression 3D. Cette technologie est d’autant plus décisive pour les enfants que leur croissance est rapide, ils nécessitent de multiples prothèses au cours de leur croissance. À la suite de ces conversations sur le réseau social, au moins trois enfants ont été sélectionnés et ont reçu leurs nouvelles mains.

Le projet est entièrement open source, ce qui signifie que n’importe qui ayant accès à une imprimante 3D peut télécharger le fichier de conception gratuitement et créer sa propre main robotique. Alors que ce projet est toujours en cours de finalisation, les équipements d’impression 3D montrent un vaste potentiel pour notre santé. En facilitant l’accès à tous et en réduisant fortement le coût de production, ces équipements vont permettre à des patients qui s’en sortent difficilement, du fait d’un manque d’accès aux prothèses, de pouvoir vivre un vie normale.

Notes

[1] À propos de cette nouvelle imprimante, et sans vouloir troller, on pourra lire : Polémique : la nouvelle imprimante 3D de MakerBot a-t-elle trahi l’open hardware ?