Le discours de Fleur Pellerin dans les nouveaux locaux Mozilla à Paris

Vibrante allocution en faveur du logiciel libre, la ministre Fleur Pellerin a prononcé un discours remarqué lors de l’inauguration des nouveaux locaux Mozilla le 13 juin dernier à Paris.

Ira-t-on plus loin que ses belles paroles ? Seront-elles véritablement suivies de faits et d’effets ?

Une vidéo tournée par Roberto Di Cosmo. et éditée par Stéfane Fermigier

Transcript

(Merci à Goofy, aKa, Z, Asta, Peekmo)

Madame la présidente, chère Mitchell, madame la vice-présidente, chère Debbie,

Mesdames et messieurs, il y a vingt ans un grand chercheur a, je le cite, « pris le principe d’hypertexte et l’a relié au principe du TCP et du DNS, et alors boom, ce fut le World Wide Web. »

Et en 1993, donc, le CERN, cet organisme de recherche européen qui avait inventé le Web a décidé de donner cette invention au monde, en la distribuant sous ce qu’on n’appelait pas encore une « licence libre ». Ce choix, anodin en apparence, a changé la face du monde.

Il y a 10 ans, la fondation Mozilla naissait et quelques mois plus tard, cher Tristan Nitot, vous fondiez sa branche européenne. J’imagine combien cela doit vous faire plaisir d’être ici 10 ans après, dans ce magnifique hôtel particulier du XVIIIe siècle, ancienne demeure de l’ambassadeur d’Autriche, m’avez-vous dit tout à l’heure. Mozilla Firefox, construit sur l’ancien Netscape, et œuvrant inlassablement pour promouvoir les standards du Web, a aussi changé le Web et par là la manière dont nous nous informons et dont nous innovons.

Je suis donc très fière d’inaugurer ce soir les nouveaux bureaux de la fondation Mozilla à Paris. Pourquoi être venue inaugurer ces nouveaux locaux ?

D’abord en raison des valeurs de la fondation Mozilla, et du logiciel libre. Ces valeurs, ce sont l’accès à la connaissance pour tous, la confiance ou encore l’amplification des aspects d’intérêt publics d’internet. Ce sont aussi les valeurs sociales qui portent un modèle de société vertueux, ouvert, participatif, où toute donnée est d’abord considérée comme un bien accessible au plus grand nombre, et une source de connaissances que chacun peut utiliser, améliorer, partager. Le logiciel libre, les formats ouverts, c’est enfin une communauté de personnes qui constitue un véritable patrimoine de connaissances qu’est le code, sans cesse inachevé, toujours à enrichir. Au-delà des innovations et des technologies permises par le Web, des acteurs comme Wikimedia ou la fondation Mozilla ont démontré que l’innovation et le progrès peuvent aussi passer par le partage, l’absence de propriété. C’est une victoire essentielle sur les esprits qui nous permet aujourd’hui d’avancer dans d’autres domaines : je pense à l’open innovation ou à l’open data. Je sais que Mozilla n’est pas une formation politique, mais toutes ces valeurs résonnent particulièrement doux à une ministre de gauche comme moi, et je pense que le monde politique a des choses à apprendre de cette réussite.

Par ailleurs le logiciel libre est aussi un atout décisif pour notre économie. À plus d’un titre il permet d’abord de lutter contre les phénomènes de dépendance technologique envers tous ces acteurs qui sont propriétaires de nos outils informatiques quotidiens, et est donc un véritable garant de la souveraineté numérique. De plus comme on le voit aujourd’hui, et contrairement à certaines idées reçues, le libre et l’open source sont créateurs d’emploi. Des modèles d’affaire originaux ont été créés et c’est un facteur important de productivité et de compétitivité pour les entreprises et les administrations. En effet elles peuvent ainsi mieux maîtriser leurs patrimoines respectifs et concentrer leurs efforts sur ce qui représente pour elles la valeur ajoutée. Enfin le logiciel libre remet en cause les rentes de situation, peu favorables à l’innovation, et par là-même aide à l’émergence de nouveaux champions économiques. L’émergence de Firefox et des navigateurs est emblématique de cette capacité.

La France est souvent citée comme un des pays les plus actifs au monde dans le domaine du logiciel libre. La croissance soutenue dans ce secteur le confirme. Les chiffres sont éloquents : ce marché représentait en 2011 plus de 2 milliards d’euros, soit plus de 6% de la demande de logiciels et de services informatiques. Par ailleurs, il y a là un formidable levier d’emplois, environ 10 000 supplémentaires dans les 3 ans à venir, si les estimations de croissance du marché sont confirmées. Bref, ce sont des enjeux extrêmement importants. La décision de Mozilla, un acteur mondial de référence sur le logiciel libre, de s’implanter dans ces locaux, confirme l’attractivité de Paris comme place incontournable du numérique. Elle confirme l’excellence des formations françaises dans le domaine informatique et je suis certaine que les développeurs du monde entier seront attirés par les conditions d’accueil ici, dans ces magnifiques locaux.

Mon objectif est bien sûr de renforcer encore ces atouts avec notamment le projet de quartiers numériques que nous allons créer dans une quinzaine de villes. Enfin, nous avons en France une communauté parmi les plus dynamiques dans le monde pour la conception et l’utilisation des logiciels libres, un atout à évidemment ne pas négliger. Avec les Assises de l’Entreprenariat, nous avons souhaité aller encore plus loin pour renforcer notre attractivité en mobilisant notamment toutes les compétences de France et d’ailleurs. C’est pour accompagner ce mouvement que le gouvernement travaille ardemment à la création d’un visa entrepreneur et d’un visa talent, car il est impératif d’attirer les talents créateurs du monde entier en leur offrant des conditions d’installation très rapides et simplifiées. Je dois aussi rappeler que le gouvernement prête une attention toute particulière à l’utilisation des logiciels libres. Par notre action nous visons à la renforcer. Le recours au logiciel libre est un levier d’action pour moderniser et rationaliser l’action publique.

Le Libre n’est pas toujours la bonne ou la seule solution mais la circulaire du Premier Ministre de septembre 2012 concernant l’utilisation des logiciels libres dans l’administration fixe une ligne claire sur les cas où ces types de logiciels doivent être privilégiés. Les atouts du logiciel libre sont notamment, je cite, « un moindre coût, une souplesse d’utilisation, et un levier de discussion avec les éditeurs ». Il s’agit là d’une avancée majeure pour le logiciel libre dans les systèmes d’information de l’État, qui permet d’engager de véritables politiques publiques en matière de logiciel libre et d’open source.

Pour conclure, je voudrais juste insister sur un point important que j’ai déjà évoqué mais que je tiens à marteler : l’open source est avant tout un vecteur d’innovation et de changement, un véritable gisement de productivité et de compétitivité pour les entreprises, et garantit la pérennité et l’indépendance de l’État. C’est pour cela que je souhaite que la France continue de jouer un rôle moteur dans le développement de ce secteur, et je suis sûre que la présence de Mozilla à Paris nous y aidera. J’ai parlé de 1993, de 2003, quoi de neuf en 2013 ? Cette année Mozilla lance son système d’exploitation pour mobiles et tablettes, Firefox OS, sur le même constat : promouvoir les formats ouverts et empêcher les systèmes fermés de contrôler notre environnement informatique. C’est une ambition un peu folle, mais probablement pas plus folle que de s’attaquer au marché des navigateurs qui était contrôlé à 95% par un seul acteur. Je vous souhaite donc le même succès que Firefox, et comme il sera en partie développé ici, je n’ai pas de doute sur la réussite de ce projet. Merci à tous.




Éducation : priorité au logiciel libre ou respect de la « neutralité technologique » ?

On commence à connaître la chanson et elle est emblématique de l’époque actuelle : le privé qui s’alarme et demande au public de le soutenir sur le dos des biens communs.

Ici nous sommes dans le secteur sensible de l’éducation et pour refuser la priorité aux logiciels libres on est prêt à tout, comme sortir du chapeau la notion pour le moins vague et floue de « neutralité technologique » (sans oublier le FUD sur l’innovation, la croissance, la destruction d’emplois, toussa…)

Le Sénat a en effet examiné cette semaine le projet de loi sur la refondation de l’école de la République. Parmi les dispositions introduites par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, on trouve une modification apportée à l’article 101 qui donne la priorité au logiciel libre et aux formats ouverts dans le futur service public du numérique éducatif.

Pour ceux (comme l’April ou l’Aful) qui se battent depuis des années, voire des décennies, pour qu’il en soit ainsi, c’est déjà un grand pas en avant.

Un pas en avant clairement non partagé par le Syntec Numérique et l’AFINEF (Association Française des Industriels du Numérique dans l’Education et la Formation) qui ont publié dans la foulée un communiqué de presse que nous avons reproduit ci-dessous.

Dans la mesure où les communiqués de l’April, de l’Aful et du Syntec ne proposent pas d’espace de discussion sous article, nous invitons toutes celles et ceux que le sujet intéresse à intervenir dans les commentaires.

PS : Rappelons à l’occasion l’article de Richard Stallman : Pourquoi les écoles devraient utiliser le logiciel libre et l’enseigner.

Sashomasho - CC by-sa

Numérique éducatif et pédagogique : les professionnels du numérique interpellent le Gouvernement sur le respect de la neutralité technologique

CP du Syntec Numérique et l’AFINEF (22 mai 2013)

URL d’origine du document

Syntec Numérique et l’AFINEF interpellent le Gouvernement sur la mention favorisant de manière prioritaire l’utilisation de logiciels libres pour le service public du numérique éducatif, dans le projet de loi en débat ce mercredi 22 mai au Sénat sur la Refondation de l’Ecole de la République. Syntec Numérique, le syndicat professionnel des industries et métiers du numérique, et l’Association Française des Industriels de l’Education et de la Formation (AFINEF) interpellent le Gouvernement sur les dispositions modifiées du Projet de Loi de Refondation de l’Ecole de la République issues du travail en commission au Sénat, donnant la priorité à l’utilisation de logiciels libres pour le service public du numérique éducatif.

Malgré un avis défavorable du Gouvernement en commission, la rédaction retenue à l’alinéa 7 de l’article 10, « Ce service public utilise en priorité des logiciels libres et des formats ouverts de documents », porte atteinte au principe de neutralité technologique qui est la règle notamment pour la commande et l’achat publics.

Par ailleurs, le rapport annexé à la Loi à l’article 1er, définissant les moyens et les orientations de la refondation de l’école de la République mentionne que « L’incitation au développement de ressources numériques se fera notamment en faveur de contenus et de services numériques dits « libres » ».

Les professionnels du numérique regrettent que ces deux dispositions contredisent la circulaire du premier ministre du 19 septembre 2012 sur les modalités de l’utilisation des logiciels libres dans l’administration tout en portant atteinte au pluralisme des ressources informatiques.

En effet, au moment où le Gouvernement engage une politique d’aide à la création d’une filière d’acteurs français du numérique éducatif et pédagogique, ces dispositions, si elles sont définitivement adoptées, handicaperont gravement les efforts de développement de la plupart des entreprises déjà présentes sur cette filière qui n’a pas encore trouvé sa consolidation et dissuaderont de nouveaux acteurs innovants de s’y engager.

Pour les acteurs du numérique, le pluralisme et la neutralité technologique, adossés à l’interopérabilité, sont les conditions sine qua none afin de s’engager dans le développement des produits et supports technologiques pour répondre à l’enjeu essentiel de la modernisation du service public éducatif et à l’accompagnement des enseignants dans leur investissement pédagogique.

Ils souhaitent par ailleurs alerter les pouvoirs publics sur les conséquences que ces dispositions auraient sur la lisibilité de l’offre e-éducative française à l’international, notamment en direction de continents où le pluralisme et la neutralité technologique conditionnent la pénétration des marchés.

Ils soulignent enfin que ces dispositions évidement inconstitutionnelles, augmenteront le risque de recours contentieux entre les opérateurs privés du secteur et les administrations. En effet, ces dispositions rentrent en contradiction avec les principes d’égalité de traitement et de liberté d’accès à la commande publique, rappelés à l’article 1er du Code des marchés publics et qui ont acquis valeur constitutionnelle (Cons. Const. 26 juin 2003) : « Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en œuvre conformément aux règles fixées par le présent code ».

Force est de constater que ces dispositions vont en effet à l’encontre du principe de neutralité du droit des marchés publics, qui ne permet aucunement de favoriser des opérateurs économiques au détriment d’autres. Au contraire, les règles de la commande publique ont pour objet de permettre au pouvoir adjudicateur de sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse, correspondant à ses besoins, après une mise en concurrence. Ainsi, écarter la fourniture de certaines solutions, en imposant un type de logiciels, violerait les principes fondamentaux de la commande publique consacrés tant au niveau français qu’européen et jamais démentis.

Syntec Numérique et l’AFINEV en appellent ainsi à la sagesse de la Haute Assemblée et au respect de la feuille de route numérique du Gouvernement, afin de soutenir une filière qui a besoin d’être stimulée par un environnement législatif et juridique stable, et non par des mesures discriminatoires infondées, pour donner la mesure de tout son potentiel, en termes d’innovation, de croissance et de création d’emplois.

Crédit photo : Sashomasho (Creative Commons By-Sa)




L’exemplaire et très instructive aventure libre d’un éditeur indien pour enfants

Un employé de l’éditeur Pratham Books nous raconte ici une bien jolie histoire : celle de la mise à disposition de livres sous licence Creative Commons, en commençant par la (controversée) CC BY-NC-SA pour finalement adopter la plus libre CC BY.

L’histoire ne s’arrête pas là puisque parmi ces livres seule la moitié a été mise en libre disposition sur Internet. Et quelle moitié s’est finalement mieux vendue ? Vous devinerez aisément la réponse, puisque vous êtes un fidèle lecteur du Framablog 😉

On se gardera de toute généralisation hâtive et par trop enthousiaste. C’est en Inde avec de la littérature pour enfants et un faible échantillon analysé. Il n’empêche que cela va à l’encontre de certaines (fausses) idées reçues et que cela fait plaisir à lire, à fortiori quand on a fait le choix d’un modèle similaire avec notre propre maison d’édition Framabook.

Pratham Books

C’est publication « ouverte » chez Pratham Books !

Pratham Books is “Open” for Publishing

John Gautam – 7 mars 2013 – Pratham Books (Blog)
(Traduction : Framartin, RyDroid, Peekmo, lordgun, AXL, Garburst, goofy, lamessen + anonymes)

J’ai rejoint Pantham Books en septembre 2007 pour un stage de six mois et il est vite devenu évident que j’allais y rester bien plus longtemps. Leur objectif « Un livre pour chaque enfant », les personnes et l’organisation étaient géniaux. J’ai donc fini par y travailler pendant cinq ans. En ce moment, je suis conseiller chez Pantham Books.

Au cours de ma première année, j’ai été fasciné par la mission et les moyens qu’on pouvait mettre en œuvre pour atteindre le niveau nécessaire, sans forcément que l’organisation s’accroisse en proportion. Nous avons rejoint par de multiples canaux et réseaux, des organisations partenaires potentielles qui pouvaient utiliser nos contenus, ainsi que la branche népalaise du projet One Laptop Per Child et l’Open Learning Exchange. Les Népalais ont été les premiers à nous écrire pour nous demander si nous pouvions fournir du contenu pour leur projet sous de multiples formes : pour leurs ordis à bas coût diffusés pour l’usage des enfants, pour leur bibliothèque d’eBooks, et traduit en népalais pour l’usage local.

Il y avait de multiples possibilités très intéressantes. Mais rapidement nous avons pris conscience des limitations des lois traditionnelles du « copyright » et les complexités administratives nécessaires aux négociations bi/multilatérales pour utiliser ou réutiliser du contenu sous licence. Nous n’avions ni l’envergure ni les ressources nécessaires pour nous engager dans ce type de négociations. Les licences Creative Commons nous apparurent comme un moyen de contourner ce problème et en novembre 2008 nous avons fait le grand saut et passé 6 livres sous licence Creative Common, la CC BY-NC-SA India 2.5 (ceci est le billet du blog annonçant le saut).

Notre idée était de tâter le terrain et de voir ce qu’il adviendrait de ce contenu sous licence ouverte. One Laptop Per Child project, the Open Learning Exchange et le Népal ont été les partenaires les plus enthousiastes et ont distribué notre contenu à des enfants qui n’auraient jamais eu accès à nos livres dans des langues qu’on ne publie pas autrement. Notre incursion novatrice dans les licences ouvertes fut un petit succès.

Cependant, alors que c’était un grand saut pour nous en tant qu’éditeur, il y a eu une résistance d’une grande partie de la communauté comme les commentaires de Philipp Schmidt le démontrent : « … l’option non commerciale rend les choses compliquées de façon inutile, mais je suppose que la peur de l’inconnu de la maison-mère pesa sur le choix de cette clause particulière des licences Creative Commons ».

Simultanément, je me rendis compte que, grâce à la puissance d’Internet, les licences ouvertes devenaient une tendance importante. Elles ouvrent les communautés et permettent de nouvelles plateformes et usages. Il était évident qu’une révision fondamentale des modèles existants de publication était possible et même nécessaire depuis longtemps. J’étais aussi curieux de la nature du modèle social de publication qui pourrait être construit en connectant des communautés collaborant autour d’un contenu sous licence ouverte.

Pendant l’année 2009, nous avons débattu en interne de l’idée d’utiliser les plus libres des licences Creative Commons et le conseil de Pratham Books a largement encouragé l’idée de licencier une sous-partie de notre catalogue sous la licence Creative Commons Attribution (CC BY). Nous avons décidé de placer sous cette licence environ 400 livres, de les rendre disponibles sur le site Scribd, et de placer les illustrations chez Flickr ; le téléversement a commencé en octobre 2009. Toutefois, pour diverses raisons, nous n’avons réussi qu’à téléverser environ 173 de ces livres, tandis que les 227 restants n’ont jamais été mis sur Scribd et Flickr ; c’est une procédure que nous n’avons reprise que récemment.

Comme nous l’avons écrit dans notre étude de cas, le modèle de mise sous licence Creative Commons est celui qui a permis à Pratham Books d’atteindre plusieurs de ses objectifs de flexibilité et d’évolutivité ainsi que sa mission de mettre un livre dans les mains de chaque enfant. Nous avons été capables de puiser dans un modèle de valeurs communes de partage et d’ouverture avec une croissante communauté d’utilisateurs. Cela a augmenté l’échelle et la portée de nos efforts. Nous avons aussi été capables de publier le contenu de multiples organisations et particuliers, à la fois connus et inconnus, par un effort unique de parution sous licence Creative Commons, à l’opposé d’un modèle traditionnel de publication qui implique du temps pour négocier et discuter avec chaque organisme ou particulier connu qui voudrait utiliser notre matériel.

Cela a constitué une base solide pour notre modèle social de publication.

Nous avons été encouragés de voir des communautés créer des œuvres dérivées aussi différentes que des applications iPad et iPhone, un portage de ces applications vers des ordinateurs OLPC (« One laptop Per Child »), jusqu’à la création de livres entièrement nouveaux à partir des illustrations existantes[1], ou des versions de leurs livres pour les personnes en difficulté face à la lecture — des livres audio au format DAISY ou en braille, jusqu’à des livres en audio enrichi — de sorte que nous sommes maintenant près d’accomplir notre mission d’atteindre chaque enfant.

Nous continuons à suivre ces efforts et sommes toujours épatés de ce que les communautés peuvent créer, et nous avons été abasourdis par l’expansion que certaines ont atteinte. Par exemple, nos livres sur Scribd ont été lus près d’un million de fois, nous avons été vus plus d’un demi-million de fois sur la bibliothèque internationale numérique pour les enfants, et ils ont été téléchargés sur les différentes applications plus de 250 000 fois. Au Népal, où tout a commencé, nos livres ont été déposés sur les serveurs de 77 écoles et environ 20 000 enfants ont accès à ces livres. Nous sommes aussi tout à fait certains qu’ils ont été utilisés ailleurs et de diverses manières (par exemple, téléchargés, imprimés et distribués — nous l’avons vu faire mais nous n’avons aucun moyen de tracer de tels usages).

Le modèle Creative Commons a étendu la mission Pratham Books d’une manière que nous n’aurions jamais pu imaginer. Une question se posait cependant : savoir si mettre nos livres sous licence CC BY en ligne avait un impact négatif sur les ventes. Alors que nous pensions empiriquement que cela n’avait que peu d’impacts sur les ventes, nous manquions jusqu’à maintenant de données pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.

Étant donné que nous avions un ensemble d’environ 400 livres sous licence CC BY, parmi lesquels la moitié environ avait été téléversée, et que la sélection de ceux qui l’étaient ou pas s’était faite par hasard, nous avons pensé qu’il était opportun de comparer les chiffres de vente pour les livres sous licence CC BY disponibles sur Scribd et ceux qui n’y étaient pas.

Ventes de chaque livre, en ligne par opposition hors ligne, par mois :

Pratham Books - Stats

Nous avons d’abord regardé au niveau des livres individuels pour voir les modèles de vente à travers le temps, et il semblerait que les livres sur Scribd se vendent mieux que ceux qui n’y sont pas, mais il était difficile d’en déduire une marge de différence significative entre les deux lorsque l’on regarde uniquement au niveau des livres individuels.

Ventes de tous les livres en ligne contre tous ceux hors ligne, par mois :

Pratham Books - Stats

Nous avons ensuite regardé les ventes cumulées des livres qui sont, et qui ne sont pas sur Scribd au fil du temps, et il est clair que les livres sur Scribd semblaient mieux se vendre que les livres qui n’y étaient pas.

Ventes cumulées de livres, en ligne vs hors ligne :

Pratham Books - Stats

Finalement, quand nous avons étudié les données des ventes cumulées pour les livres sous licence CC BY qui étaient disponibles sur Scribd par rapport à ceux qui ne l’étaient pas, nous avons été ébahis de voir que les premiers se vendaient bien mieux que les seconds, dans un rapport extraordinaire de presque 3 contre 1. Même si nous hésiterions à dire, étant donné les aspects spécifiques de notre marché et de notre modèle, que mettre les livres sous licence libre et disponibles en ligne augmente les ventes, nous pouvons affirmer que cela ne semble pas faire baisser leurs ventes. Et savoir cela est en soi une leçon importante pour nous, comme ce devrait l’être pour le reste de l’industrie de l’édition.

À défaut d’autre chose, rendre une partie de votre catalogue disponible en ligne est une façon puissante de construire votre communauté, votre marque et d’attirer des visiteurs, parce que le contenu est en lui-même un argument promotionnel. Nous avons eu la chance que cela nous aide aussi à nous rapprocher de notre souhait de mettre un livre dans les mains de chaque enfant, et cela nous étonne encore. Les manifestations de la Journée internationale de l’alphabétisation de l’an dernier en sont un bon exemple.

Nous espérons que notre expérience et son résultat encourageront d’autres éditeurs à mettre leur contenu à disposition en ligne, totalement, et même à considérer de choisir une licence libre pour tout ou partie de leur catalogue.

Notes

[1] Nous avons nous aussi repris des illustrations de chez Pratham sous licence CC BY : le dessin des deux enfants Angie and Upesh qui apparaissent sur la couverture de notre FramaDVD école 😉




Ouvert et fermé, par Evgeny Morozov

L’écrivain Evgeny Morozov n’aime pas les visions bisounours des nouvelles technologies.

On se souvient qu’il y a deux ans il avait vertement critiqué le soit-disant pouvoir libérateur d’Internet, ce qui lui avait valu réponse de Cory Doctorow traduite par nos soins.

Il s’en prend aujourd’hui à l’usage immodéré de l’expression « open » qui, à force d’être utilisé à tous les sauces, prend le risque d’être vidé de son (noble ?) sens.

Pumpkincat210 - CC by

Ouvert et fermé


Open and Closed

Evgeny Morozov – 17 mars 2013 – NewYorkTimes.com (Opinion)
(Traduction Framalang)


« L’impression 3D peut-elle être subversive ? » demande une voix dans la vidéo la plus terrifiante que vous puissiez trouver sur Internet ce mois-ci. Il s’agit de la bande-annonce pour Defcad.com, un moteur de recherche pour des modèles imprimables en 3D de choses que les « institutions et les industries ont pour intérêt commun de garder loin de nous », incluant des « appareils médicaux, médicaments, biens, pistolets ».

La voix appartient à Cody Wilson, un étudiant en droit du Texas qui a fondé l’année dernière Defense Distributer, une initiative controversée visant à produire une « arme wiki » imprimable. Avec Defcad, il s’étend au-delà des armes, autorisant, par exemple, des passionnés de drones à rechercher des pièces imprimables.


M. Wilson joue la carte de « l’ouverture » de Defcad jusqu’à dire qu’elle est l’opium des masses armées d’iPad. Non seulement le moteur de recherche Defcad sera placé sous le signe de l’« open source » — la bande-annonce le clame à deux reprises — mais également de « l’open data  ». Avec une telle ouverture, Defcad ne peut pas être le Mal, n’est-ce pas ?


Personne n’a besoin de voir des projets tels que Defcad pour constater que « l’ouverture » est devenue un terme dangereusement vague, avec beaucoup de sex-appeal mais peu de contenu un tant soit peu analytique. Certifiées « ouvertes », les idées les plus odieuses et suspectes deviennent soudain acceptables. Même l’Église de Scientologie vante son « engagement envers la communication ouverte ».


L’ouverture est aujourd’hui un culte puissant, une religion avec ses propres dogmes. « Posséder des gazoducs, personnes, produits, ou même la propriété intellectuelle n’est plus la clef du succès. L’ouverture l’est », clame l’éditorialiste Jeff Jarvis.

La fascination pour « l’ouverture » provient principalement du succès des logiciels open source, du code informatique publiquement accessible auquel tout le monde peut contribuer. Mais aujourd’hui ce principe est en train d’être appliqué à tout, de la politique à la philanthropie ; des livres intitulés « The Open-Source Everything Manifesto » (le Manifeste du Tout Open Source) et « Radical Openness » (L’Ouverture Radicale) ont récemment été publiés. Il existe même « OpenCola » — un vrai soda pour le peuple.


Pour de nombreuses institutions, « ouvert » est devenu le nouveau « vert ». Et de la même façon que certaines entreprises « verdissent » (greenwash) leurs initiatives en invoquant une façade écolo pour cacher des pratiques moins recommandables, un nouveau terme vient d’émerger pour décrire ce besoin d’introduire « l’ouverture » dans des situations et environnements où elle existe peu ou pas : « openwashing » (« ouvertisation »).

Hélas, « l’ouvertisation », aussi sympathique que cela puisse sonner, ne questionne pas l’authenticité des initiatives « ouvertes » ; cela ne nous dit pas quels types « d’ouverture » valent le coup, s’il en est. Toutes ces ouvertures, ou prétendues ouvertures, ne se valent pas et nous devons les différentier.


Regardez « l’ouverture » célébrée par le philosophe Karl Popper, qui a défini la « société ouverte » comme l’apothéose des valeurs politiques libérales. Ce n’est pas la même ouverture que celle du monde de l’open source. Alors que celle de Popper concernait principalement la politique et les idées, l’open source concerne avant tout la coopération, l’innovation, et l’efficacité — des résultats utiles, mais pas dans toutes les situations.


Regardez comme George Osborne, le chancelier britannique a défini les « politiques open source » récemment. « Plutôt que de se baser sur le fait que des politiciens » et des « fonctionnaires aient le monopole de la sagesse, vous pouvez vous engager via Internet » avec « l’ensemble du public, ou du moins les personnes intéressées, pour résoudre un problème particulier ».

En tant qu’ajout à la politique déjà en place, c’est merveilleux. En tant que remplacement de la politique en place, en revanche, c’est terrifiant.

Bien sûr, c’est important d’impliquer les citoyens dans la résolution des problèmes. Mais qui décide des « problèmes particuliers » auxquels les citoyens doivent s’attaquer en premier lieu ? Et comment peut-on définir les limites de ce « problème » ? Dans le monde du logiciel open source, de telles décisions sont généralement prises par des décideurs et des clients. Mais en démocratie, les citoyens tiennent la barre (plutôt en délèguent la tenue) et rament simultanément. En politique open source, tout ce qu’ils font, c’est ramer.


De même, un « gouvernement ouvert » — un terme autrefois réservé pour discuter de la responsabilité — est aujourd’hui utilisé plutôt pour décrire à quel point il est facile d’accéder, manipuler, et « remixer » des morceaux d’informations du gouvernement. Ici, « l’ouverture » ne mesure pas si de telles données augmentent la responsabilité, mais seulement combien d’applications peuvent se baser dessus, et si ces applications poursuivent des buts simples. L’ambiguïté de l’ouverture permet au Premier Ministre britannique David Cameron de prôner un gouvernement ouvert, tout en se plaignant que la liberté d’expression « bouche les artères du gouvernement ».


Cette confusion ne se limite pas aux gouvernements. Prenez par exemple cette obsession pour les cours en ligne ouvert et massif (NdT : MOOC). Que signifie le mot ouvert dans ce cas? Eh bien, ils sont disponibles en ligne gratuitement. Mais il serait prématuré de célébrer le triomphe de l’ouverture. Un programme d’ouverture plus ambitieux ne se contenterait pas d’étendre l’accès aux cours mais donnerait aussi aux utilisateurs la possibilité de réutiliser, modifier et d’adapter le contenu. Je pourrais prendre les notes de conférence de quelqu’un, rajouter quelques paragraphes et les faire circuler en tant qu’élément de mon propre cours. Actuellement, la plupart de ces cours n’offrent pas cette possibilité : le plus souvent leurs conditions d’utilisation interdisent l’adaptation des cours.


Est-ce que « l’ouverture » gagnera, comme nous l’assurent ces Pollyanas numériques? Probablement. Mais une victoire pour « l’ouverture » peut aussi marquer la défaite de politiques démocratiques, d’une réforme ambitieuse et de bien d’autres choses. Peut-être faudrait-il mettre en place un moratoire sur le mot « ouvert ». Imaginez les possibilités que cela pourrait ouvrir !

Crédit photo : Pumpkincat210 (Creative Commons By)




Le plus vieux torrent de The Pirate Bay est une copie (illégale) de « Revolution OS »

Réalisé en 2001 par J.T.S. Moore, le documentaire « Revolution OS » retrace l’histoire des mouvements GNU, Linux, Open Source et des logiciels libres. Plusieurs personnalités de l’informatique sont interviewées, comme Richard Stallman, Linus Torvalds, Eric S. Raymond ou encore Bruce Perens.

Il n’est pas anodin de remarquer que c’est le plus vieux torrent encore activement partagé sur The Pirate Bay, avec la paradoxale ironie du partage illégal d’un film traitant d’un tel sujet !

PS : Nous avons choisi de faire comme si le lecteur était familier de Bittorrent et que les termes seeder, celui qui met à disposition le fichier, ou leecher n’avaient pas de secret pour lui (sinon c’est clic Wikipédia).

PS2 : Le film est également disponible dans son intégralité (anglais sous-titré anglais) en streaming sur YouTube (et toujours illégalement bien entendu).

Revolution OS

Le torrent le plus vieux de The Pirate Bay est « Revolution OS »

The Pirate Bay’s Oldest Torrent is “Revolution OS”

Ernesto – 17 mars 2013 – TorrentFreak.com
(Traduction : igor-d, Martin, Sakrecoer, Alpha, fcharton + anonymes)

Après presque 9 ans de distribution, le plus vieux torrent de The Pirate Bay disponible, est encore bien actif. Curieusement, ce torrent n’est ni un classique d’Hollywood ni un album de musique indémodable. La première place est attribuée à un exemplaire piraté de « Revolution OS », un documentaire qui traite de l’histoire de Linux, GNU et le mouvement du logiciel libre.

The Pirate Bay fêtera son dixième anniversaire un peu plus tard cette année. Une belle réussite, quand on sait que le site a fait l’objet de procès durant une bonne moitié de son existence.

Loin de tout ça, nous avons souhaité découvrir le plus vieux torrent ayant survécu à tous ces problèmes.

Après quelques recherches, nous avons trouvé que cette distinction revient à une copie pirate du documentaire « Revolution OS ». Le torrent en question fût mis en ligne le 31 Mars 2004.

A l’époque il n’y avait que quelques centaines de fichiers torrents stockés sur The Pirate Bay, comparé aux plus de 2 millions d’aujourd’hui. Année après année uniquement 15 personnes ont laissé un commentaire sur la page du torrent et il y a 27 seeders à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Il y a une certaine ironie dans le fait qu’une copie « piratée » d’un film à propos de Linux, GNU et le mouvement des logiciels libres soit le torrent le plus ancien à être encore seedé (c’est-à-dire disponible et partagé). Richard Stallman, une des figures clefs du documentaire, serait fier et heureux de l’apprendre 😉

J.T.S. Moore, le réalisateur de « Revolution OS » a des sentiments contradictoires au sujet de cette réussite quand on l’interroge :

« Il y a clairement un problème de copyright, mais d’une certaine manière ça fait plaisir de savoir que « Revolution OS » intéresse certaines personnes douze ans plus tard » a-t-il confié à TorrentFreak.

Revolution OS - Torrent - The Pirate Bay

Mais « Revolution OS » est-il le plus ancien torrent encore en vie tout site confondu ?

Non, cet honneur là revient à une autre production peu connue. Le fichier torrent qui existe depuis le plus longtemps à notre connaissance est The Matrix ASCII.

Nous l’avions déjà couronné plus vieux torrent en 2005, et à ce jour il est toujours actif avec quelques téléchargeurs et seeders. Le fichier torrent en question a été créé en décembre 2003 alors que The Pirate Bay n’était âgé que de quelques mois et que Facebook et YouTube n’existaient pas encore. Jusqu’à maintenant, ce fichier a survécu une durée ahurissante de 3 333 jours.

En parlant de records, on peut aussi signaler le plus gros et le plus petit torrent de The Pirate Bay. Le plus gros torrent actif est une archive du dernier Geocities.com, fermé par Yahoo en 2010. Le torrent de 641 Go est actuellement en train de lutter pour sa survie avec un seul seeder.

Le plus petit torrent, à peine plus de 3 Ko, renvoie vers un crack d’Adobe Photoshop. Dans ce cas, le fichier du torrent prend plus d’espace disque à lui tout seul que le fichier qu’il permet de télécharger. Avec plus de 1000 seeders, ce fichier devrait rester encore disponible pour un petit moment 😉

L’an prochain, le torrent de « Revolution OS » devrait fêter ses 10 ans, et nul doute qu’il sera encore là pour souffler ses bougies.




Un salon de beauté conçu avec Blender et Cycles (en lieu et place de 3ds Max)

Dans le milieu du design et de la CAO, la part belle est encore trop souvent faite aux logiciels propriétaires.

Mais il n’y pas que 3ds Max & co dans la vie logicielle. On peut faire tout aussi bien, voire mieux, avec le libre Blender et son moteur de rendu Cycles.

C’est que ne nous prouve par l’exemple cet entretien du talentueux ukrainien Igor Shevchenko.

Backstage - Blender

Un salon de beauté conçu et visualisé grâce à Blender et Cycles

Beauty salon designed and visualized with Blender and Cycles

Alexandre Prokoudine – 25 février 2013 – LibreGraphicsWorld.org
(Traduction : Alpha, Max, KoS + anonymes)

Parmi toutes les choses intéressantes qui sont réalisables à l’aide de logiciels libres, ce que LGW aime faire le plus, c’est produire un travail commandé qui soit reconnu. Parlons d’un cas particulier, celui de l’utilisation de Blender et Cycles pour la visualisation d’architectures commerciales.

Je suis récemment tombé sur ce travail sur Behance (NdT : une plateforme de partage de projets de design pour les professionnels) et je n’ai pas pu résister à l’envie de contacter Igor Shevchenko, son auteur.

Igor travaille pour une entreprise ukrainienne appelée « Magis ». Il s’occupe de la modélisation, du texturage et du rendu d’intérieur. « Backstage », le salon de beauté en question, est un véritable établissement qui a ouvert à Kiev en septembre 2012.

Igor, s’agit-il de ton premier projet sérieux réalisé à l’aide de Blender ? Le reste de ton album sur Behance semble porter les étiquettes de 3DS Max, Adobe Photoshop et d’autres logiciels du même genre.

Oui, c’est vrai, c’est le premier vrai projet que l’on m’a commandé et que j’ai réalisé avec Blender. J’étais vraiment curieux de savoir s’il allait être possible de réaliser un tel projet uniquement avec un logiciel libre et de voir les difficultés auxquelles on pouvait s’attendre. Lorsque j’ai commencé à travailler sur le projet, j’ai eu peur que ma connaissance de Blender ne soit pas suffisante pour le mener à bien et de devoir retourner sous 3DS Max. Ça ne s’est pas produit.

Combien de temps cela a-t-il pris ?

Le travail sur le design intérieur a été fait en 3 mois. Mais les rendus du portfolio pour Behance ont été une toute autre affaire. Je suis parti de rien, surtout pour Behance.

Vraiment ?

L’année dernière, en novembre, notre administrateur système m’a demandé de lui envoyer quelques rendus de ce que j’avais fait avec Blender. Il souhaitait les montrer à un ami qu’il tentait de convaincre que Blender était en fait un outil très correct. J’ai donc fouillé parmi mes fichiers et je fus horrifié de constater que je n’avais aucun rendu lissé. J’ai alors décidé de repartir de zéro pour refaire les rendus du projet « Backstage ».

Attends, donc tu n’as pas fait ces visualisations pour le client ?

Le client ne voulait pas des rendus de haute qualité dans un premier temps. Nous avons juste fait le design et décrit le reste avec des mots.

OK, donc de combien de temps as-tu eu besoin pour réaliser la version portfolio du projet ?

Je n’avais aucune date limite, ça ne pressait donc pas, je l’ai fait pendant mon temps libre. Je pense qu’en m’y mettant et en ne faisant rien d’autre, ça m’aurait pris une journée pour faire la modélisation, une autre pour peaufiner les détails et encore une autre pour effectuer le rendu global.

Backstage - Blender

D’où vient ton intérêt pour Blender ?

Il y a environ trois ans, j’ai fini par en avoir marre d’utiliser 3DS Max, j’ai donc commencé à chercher des alternatives. J’ai d’abord essayé Maya et Cinema 4D et j’ai opté pour Maya. Cependant, je me suis rendu compte que soit je n’arrivais pas à trouver le temps pour apprendre à l’utiliser, soit il ne me convenait pas. Peut-être un peu des deux.

J’ai fini par revenir à 3DS Max, faute d’autre chose. Notre administrateur système, qui est un grand adepte du logiciel libre m’a suggéré d’utiliser Blender, mais il s’agissait de la version 2.49 que je n’ai vraiment pas appréciée.

Fin 2011, j’ai lu un article sur « Sintel » le film libre, je l’ai alors regardé. J’ai adoré à la fois l’histoire et les visuels, j’ai donc donné une seconde chance à Blender : j’ai téléchargé une version plus récente et je me suis mis à lire les tutoriels d’Andrew Price, j’ai alors commencé à comprendre comment ce logiciel fonctionnait.

Puis, Cycles est arrivé, et ça a achevé de me convaincre. Mi-2012, j’étais déjà en train de réaliser des petits projets avec Blender, puis « Backstage » est devenu le premier grand projet pour lequel je m’en suis servi. Ça n’a pas été facile, mais je ne suis pas déçu. Avant je considérais que les logiciels libres performants ne pouvaient pas exister. Blender est une exception remarquable dans ce domaine.

L’un dans l’autre, une expérience positive ?

Oui. Mes collègues ont remarqué que je travaillais plus rapidement. Blender a une logique réellement différente, pas comme dans 3DS Max :

  • manipulation d’objets,
  • personnalisation facile de l’interface,
  • approche différente de la modélisation de polygone,
  • paramétrage nodal des matériaux,
  • traitement « post-processing » intégré,
  • modificateurs (il n’y en pas beaucoup, mais ils sont très efficaces pour accélérer le processus de modélisation),
  • raccourcis clavier (il y en a beaucoup et ils améliorent grandement mon efficacité).

Blender possède des fonctionnalités sans lesquelles je ne m’imagine pas travailler aujourd’hui. 3DS Max n’en possède pas autant.

Cette liste pourrait s’allonger mais le plus important est que Blender est tout simplement mon type d’application.

Et Cycles ?

Cycles est un formidable moteur de rendu. J’ai récemment implémenté le matériau caoutchouc dans 3DS Max pour les pneus, et c’était vraiment la misère : paramétrage, rendu, paramétrage, rendu ainsi de suite… Dans Cycles, j’ai juste ajusté les paramètres et vu le résultat immédiatement.

Vois-tu une utilité au moteur de rendu interne de Blender dans ton travail quotidien ?

Non, c’est plutôt inutile en ce qui me concerne.

Est-ce que l’aspect libre et gratuit, en plus de la faible taille du fichier à télécharger a joué un rôle ?

Tout à fait. À plusieurs reprises, j’ai eu besoin de télécharger Blender lors d’un rendez-vous avec un client sur son ordinateur (5 minutes), de le lancer (2 secondes) et de travailler sur un projet. Ça fait une grande différence.

Au vu de tout ça, est-ce que l’un de tes collègues a déjà eu envie d’utiliser Blender ?

Non, et je ne m’attends pas à ce qu’ils le fassent. Soyons réalistes, la seule façon pour que cela arrive, c’est de les forcer à l’utiliser, et rien de bon n’en sortira. En réalité, les gens n’ont soit pas le temps, soit pas l’envie d’apprendre de nouvelles choses, et certains ne savent même pas que des alternatives existent.

Quels types de difficultés as-tu rencontrés lorsque tu travaillais avec Blender sur le projet « Backstage » ?

Le principal défaut de Blender est que la phase de développement actif a commencé assez récemment et beaucoup de fonctionnalités de base ne sont pas encore présentes. Il y a aussi les problèmes de compatibilité avec les formats de fichiers : c’est difficile d’ouvrir des fichiers Blender dans AutoCAD et dans 3DS Max, c’est même quasiment impossible.

As-tu rencontré des problèmes purement techniques avec Cycles ? Quelque chose qui manque ?

J’ai un peu de mal à me rappeler ce qui manque. De manière générale, les fonctionnalités compatibles par défaut dans les autres moteurs de rendu. La gestion des fichiers IES (NdT : qui gèrent la répartition de la lumière) en faisait partie il y a peu, mais ça a été résolu.

D’un autre côté, j’ai trouvé des méthodes parfaitement fonctionnelles pour contourner la plupart — sinon toutes — des fonctionnalités manquantes. La seule chose que je n’arrive pas à contourner c’est que Cycles est plutôt inutile sans une carte graphique chère.

Penses-tu que la fréquence des mises à jour de versions interfère avec les méthodes de travail en entreprise ? Les studios seraient plus enclins à n’utiliser que des mises à jour importantes et à ne les mettre à jour que pour corriger les bugs, c’est assez connu.

La fréquence d’apparition des nouvelles versions semble être une des principales particularités des logiciels libres. Je pense qu’en réalité, Blender en tire profit, parce qu’il reste beaucoup de choses à faire.

En plus, Blender a une bonne compatbilité ascendante et, de cette manière, rien n’empêche un studio de se limiter à une version particulière et à l’utiliser pendant quelques années.

Backstage - Blender

La galerie complète du projet « Backstage » est disponible sur Behance.




10 propositions pour débuter dans le Libre (sans avoir rien à coder)

Il fut un temps ou débuter dans « le Libre » se résumait avant tout à coder ou plus modestement installer une distribution GNU/Linux. Aujourd’hui les choses ont bien changé et il existe de multiples autres façons d’y entrer. Framasoft est d’ailleurs là pour en témoigner 😉

Une invitation à venir nous rejoindre en somme…

Remarque : Il s’agit d’une traduction et donc les liens renvoient vers des ressources anglophones. Si vous avez des liens plus locaux à proposer, surtout ne pas hésiter.

Open Here - The Open Source Way - CC by-sa

10 façons de commencer dans l‘open source

10 ways to get started with open source

Jason Hibbets – 29 janvier 2013 – OpenSource.com
(Traduction : goofy, Tibo_R, XeO2, Steph, Alpha, Sylvie, jtanguy, aKa, Liaz, Norore + anonymes)

Par expérience, je sais qu’un grand nombre de personnes veulent découvrir et participer à l‘open source, mais ne savent pas par où commencer ; et l’idée que l’on est obligé d’écrire du code pour contribuer à un projet open source constitue une véritable barrière. J’ai donc esquissé 10 façons de commencer avec l‘open source et ce sans jamais écrire une seule ligne de code.

Je suis ouvert à toutes idées et ajouts ; il y a sans doute beaucoup plus que 10 façons de contribuer.

10 façons de commencer à utiliser l‘open source

1. Utiliser de l‘open source dans votre travail quotidien. Téléchargez et installez un navigateur web, un client de messagerie, ou une suite bureautique libres — peu importe le système que vous utilisez. C’est l’une des façons les plus simples de commencer à utiliser des logiciels libres. Je conseillerai Firefox pour la navigation internet et Thunderbird pour les emails. Utilisez LibreOffice pour votre traitement de texte, vos tableurs et vos diaporamas, vous aurez un équivalent de Microsoft Office gratuit ! J’appelle ces logiciels des applications porte d’entrée, parce qu’une fois que vous commencez à les utiliser, vous allez découvrir d’autres outils open source (et vous n’aurez pas envie de revenir en arrière !)

2. Rejoindre un projet open source. Je sais que rejoindre un projet open source peut faire peur, mais les contributeurs de tous niveaux sont les bienvenus. Les communautés open source utilisent des chefs de projets, des graphistes, des communicants, des commerciaux et beaucoup d’autres compétences dans leurs travaux. Si vous souhaitez présenter l’open source aux étudiants, voilà une très bonne façon de commencer. On ne sait jamais, s’impliquer et participer activement à un projet open source peut améliorer un CV et mener à un emploi.

3. Lire un livre à propos de l‘open source. Voici un choix de quelques titres auxquels vous pouvez jeter un coup d’oeil : Open Advice (NdT : que nous sommes en train de traduire), Coding Freedom, The Power of Open, ou l’un de nos livres numériques. (NdT : En français il y a évidemment tous les titres de la collection Framabook)

4. Apprendre à créer et nourrir des communautés de contributeurs. Parcourez le livre en ligne The Open Source Way, et partagez vos nouvelles connaissances en créant une communauté ou en en rejoignant une existante.

5. Commencer à utiliser les licences Creative Commons. Avant de créer votre nouvelle œuvre d’art, photographie, écrit ou musique, utilisez un copyleft au lieu d’un copyright. En utilisant des licences Creative Commons, vous pouvez partager votre travail avec le monde entier. Vous devrez d’abord choisir celle qui vous correspond, vous pourrez ensuite trouver intéressant de découvrir comment les Creative Commons sont utilisées dans des environnements aussi variés que les gouvernements, les entreprises ou le journalisme. (NdT : Voir aussi L’éducation utilise une licence Creative Commons défectueuse, par R. Stallman sur le Framablog)

6. Commencer l’exploration. Regardez le projet OpenROV et explorez l’océan ou un lac local. Si vous ne voulez pas être mouillé, enfilez une combinaison spatiale et regardez ce que ça fait d’explorer Mars.

7. Bricoler par soi-même et créer quelque chose. Les petites cartes Linux, comme la Raspberry Pi, font des choses incroyables. Découvrez les autres cartes électroniques de création comme les « Makey Makey » (cf cette vidéo) ou une variété de produits électroniques de « SparkFUN ». Si vous êtes dans l’impression 3D, assurez-vous de savoir comment vous pourriez utiliser Inkscape.

8. Devenir créatif. Remplacez Photoshop par GNU Image Manipulation Program (GIMP), InDesign par Scribus, ou utilisez d’autres outils comme MyPaint, Inskape, Audacity et Blender. Si cela vous intéresse, regardez notre présentation en 7 minutes des outils créatifs open source. Puis découvrez l’étendue des outils de design en 2012. Assurez-vous d’avoir pris connaissance de nos autres outils tels que Dream Studio, TuxPaint et KDEnlive pour vos besoins créatifs.

9. Apprendre la programmation. Remarquez que je n’ai pas dit « Apprendre à coder ». Différents outils sont pré-installés sur certains Raspberry Pi et sont utilisés pour apprendre aux enfants à programmer. J’aurais aimé avoir ce genre de choses quand j’ai appris la programmation au lycée.

10. Suivre un cours en ligne. Le mouvement OpenCourseWare, mené par MITOCW, est en train de changer notre mode d’apprentissage. Commencez par regarder ce Webcast sur le MIT OpenCourseWare. Il y a tellement d’événements open source dans le champ éducatif: « Moodle » et « School management software for teachers and students » sont deux de ces nombreuses ressources fantastiques. (NdT : Exemple en France la présentation du MOOC ITyPA)

Le fait est qu’il y a énormément de manières de commencer dans l‘open source. Vous souvenez-vous de la façon dont vous avez débuté ? Partagez l’histoire de votre première expérience avec l‘open source ou comment vous l’avez présentée à quelqu’un d’autre.




La promesse de Firefox OS

La promesse du système d’exploitation mobile libre Firefox OS réside moins dans Firefox OS lui-même que dans le parti pris Web (et ouvert) de ses applications.

C’est d’ailleurs plus qu’une promesse : c’est un défi et une nécessité si l’on souhaite conserver ici comme ailleurs l’ouverture et la liberté.

Un billet un peu technique, mais s’il peut contribuer à ce que les développeurs (et utilisateurs) d’applications mobiles se posent de bonnes questions…

Rob Hawkes - CC by-sa

La promesse de Firefox OS

The promise of Firefox OS

Sergi Mansilla – 9 février – Blog personnel
(Traduction : + anonymes)

« Mais comment va t-il faire pour battre Android ou iOS ? »

C’est la réaction qu’ont beaucoup de personnes quand je leur dis que je travaille sur Firefox OS, le nouveau système d’exploitation mobile de Mozilla. C’est une réaction logique. Après tout, nous vivons une période où toutes les grandes entreprises informatiques n’ont qu’un mot à la bouche : sortir un système mobile tout en s’efforçant d’attirer les développeurs pour qu’ils utilisent leur nouvel écosystème propriétaire, les APIS, les bibliothèques, etc. Et en effet, bon nombre de ces entreprises réussissent un peu, voire pas du tout.

Mais Firefox ne se battra pas directement contre les autres plateformes mobiles. Son objectif principal est de modifier la manière dont sont développées les applications mobiles, et même dans la triste éventualité où Firefox OS disparaîtrait durant le processus, si les web-apps devenaient dominantes sur le marché, ce sera un succès.

Le fait que n’importe quel site web puisse devenir une application ne doit pas être sous-estimé. En utilisant des technologies flexibles et populaires comme HTML5, CSS3 et javascript, Firefox OS a promu instantanément des millions de développeurs web et javascript en développeurs d’applications. Tout ce qu’ils ont à faire est de télécharger un module complémentaire de simulation gratuit (et ce n’est même pas nécessaire si votre application n’utilise pas les API des téléphones). Les développeurs connaissent déjà l’environnement du navigateur et ses outils, et il ne leur est pas nécessaire d’apprendre un nouveau langage ou une nouvelle architecture.

Je vous entends déjà. Juste quand vous veniez d’en finir avec le bazar que suppose la manipulation de DOM et de ce sournois de JavaScript. Juste quand vous aviez appris à aimer les classes et gestionnaires d’Android tellement hiérarchisés ou la magnifique méthode de nommage d’iOS, pourquoi retourneriez-vous au désordre qu’est l’écriture des applications web ? N’étions-nous pas d’accord pour dire que le HTML n’était pas, après tout, assez bien pour faire de vraies applications performantes ?

Bon, ça a peut-être été vrai il y a quelque temps, mais nous vivons désormais dans un monde meilleur. Pour que les développeurs conçoivent des applications web robustes et réellement fonctionnelles, plusieurs approches sont possibles, via des architectures de grande qualité. Chez Telenor/Comoyo, où je travaille, nous nous penchons sur l’utilisation de l’architecture AngularJS pour construire nos applications, néanmoins il existe de multiples architectures fiables et bien conçues qui s’appuient sur des années d’expérience dans le domaine du développement d’applications. Et si vous considérez que vous avez un problème avec JavaScript en tant que langage, vous pouvez d’ores et déjà utiliser une myriade de langages qui le compilent de manière fiable. Vous avez l’habitude de travailler avec Java ? Vous allez probablement apprécier Dart, de Google. Vous avez un style plus “fonctionnel” ? Pourquoi ne pas essayer ClojureScript qui est une implémentation de Clojure s’appuyant sur du JavaScript, qui est impressionnante, vraiment bien documentée et vraiment bien maintenue. Vous utilisez Ruby ? Vous vous sentirez comme à la maison avec CoffeeScript. Vous voyez ce que je veux dire[1].

Alors que d’autres constructeurs comme Blackberry fournissent eux aussi des moyens de développer des applications en HTML5 pour leurs systèmes, Mozilla va plus loin en encourageant la standardisation de la WebAPI par le W3C, garantissant ainsi que votre application fonctionnera sur n’importe quel appareil respectant le standard WebAPI.

À mon humble avis, cela rend les choses plus claires dans ce casse-tête qu’est devenu le développement pour appareils mobiles, pour lequel le développeur doit connaître plusieurs langages, architectures et APIs, sans oublier de payer des frais, dans certains cas, pour créer des applis. Cela ressemble à un grand pas en arrière de la philosophie actuelle de l’open web vers les années 90 infestées de verrous payants mais avec la bonne musique en moins.

Mozilla a fait ses preuves en tant que protecteur du web, et ses utilisateurs lui font confiance. Par le passé, l’entreprise a joué un rôle important dans l’initiation d’un mouvement pour de meilleurs standards web auquel se sont rattachés des navigateurs comme Chrome, contribuant à un web meilleur, plus rapide et plus accessible pour chacun. Nous devrions nous efforcer d’en faire de même pour ce qui est des environnements mobiles. Moins de remparts, plus de standards et d’ouverture.

Telle est la promesse faite par Firefox OS.

Crédit photo : Rob Hawkes (Creative Commons By-Sa)

Notes

[1] Après hein, ça ne vous fera pas de mal d’apprendre un peu de JS pour savoir ce qu’il y a sous le capot, parce qu’après tout, c’est un langage puissant qui le sera encore plus avec la sortie d’ES6.