Des Livres en Communs lance son appel à publication 2024
Rappelez-vous, il y a deux ans (déjà !) nous vous avions annoncé le lancement de notre maison d’édition version 2 qui succède à Framabook. Des Livres en Communs avait alors lancé deux propositions : un modèle alternatif radical (et anticapitaliste) à l’édition, basé sur l’expérience acquise avec dix ans de Framabook, et son premier appel à publication.
Plusieurs points d’étape ont été publiés dans l’infolettre de Framasoft et surtout sur ce blog, comme cette interview des deux auteur·ices du projet en cours : L’Amour en Commun.
À la veille de la publication cette œuvre tant attendue, Des Livres en Communs lance son second appel ! accrochez-vous, la phrase est un peu longue (et la date limite est fixée au 30/04/2024) :
Artistes, Durabilistes, Solidaristes, Libristes : dépasser la tragédie des silos et vivre l’archipellisation de nos luttes pour l’émancipation vers un monde de justice sociale et écologique
Pour rappel, Des Livres en Communs ne propose pas qu’un modèle alternatif d’édition théorique, c’est très concrètement que nous agissons pour créer des communs culturels pertinents et de qualité :
d’abord en accompagnant les auteur·ices tout au long du processus de création, car nous n’attendons pas que l’œuvre nous arrive toute cuite pour commencer notre travail éditorial ;
en mobilisant des fonds : dès le début du processus de création, les auteur·ices sont rémunérés pour leur travail, et non pas en attendant d’hypothético-faméliques émoluments basé sur un nombre de ventes (nous considérons qu’une œuvre versée dans les communs culturels n’est pas un capital rentier).
Pour comprendre notre démarche, en savoir plus sur le règlement et lire notre appel 2024, voici quelques liens :
La tragédie des communs est désormais bien dépassée. Il a été démontré que l’autogestion des ressources communes est un pilier de l’expérimentation sociale humaine et dans bien des cas souhaitable. Face aux logiques marchandes, concurrentielles et extractivistes du né(cr)olibéralisme, d’autres imaginaires sont proposés et des actions sont réalisées par des collectifs engagés sur différents fronts qui se recoupent souvent.
Ressources culturelles, environnementales, sociales et numériques sont néanmoins les sujets indirects d’une autre tragédie, celle des silos qui fractionnent le commun et compromettent ses conditions d’existence. En effet, parler d’autres formes de vies souhaitables ne signifie pas que tous les groupes en parlent effectivement entre eux et partagent leurs pratiques. Pourtant, de tels échanges seraient nécessaires non seulement pour permettre d’inventer les moyens d’action, mais aussi pour mieux munir conceptuellement et parfois pratiquement ces imaginaires que nous tâchons tous de préfigurer.
Les propositions que nous attendons dans le cadre de cet appel devront donc être de nature transversale et si possible avoir une dimension pratique. Comme à l’accoutumée chez Des Livres en Communs, nous n’imposons pas de structure formelle : toutes les propositions seront les bienvenues, y compris les plus innovantes, pourvu qu’elles ne perdent pas de vue les objectifs de l’appel.
Artistes, Durabilistes, Solidaristes, Libristes : dépasser la tragédie des silos et vivre l’archipellisation de nos luttes pour l’émancipation vers un monde de justice sociale et écologique.
« Sortilèges & Syndicats », un Framabook quitte le nid
En janvier 2018, le dessinateur Gee, bien connu du Framablog, sortait de son domaine habituel pour nous proposer un roman… Une aventure fantastique transposée dans un monde moderne, où les elfes et orques s’affrontent désormais dans une lutte des classes opposant le grand capital orquogobelinesque aux syndicats elfogauchistes.
L’histoire s’appelait alors Working Class Heroic Fantasy et avait été publiée par Framabook dès juin 2018. Cinq ans après, le petit Framabook quitte son nid et va s’envoler vers PVH Éditions pour devenir « Sortilèges & Syndicats » !
Le pitch
L’action se passe dans un monde un peu comme le nôtre, avec des open-space, des divorces et des syndicats… Mais aussi avec des elfes, mages, orques et gobelins. Imaginez que nos meilleurs romans de Fantasy soient en fait le chapitre Moyen-Âge de leurs livres d’histoire… Vous y êtes ?
Voilà : c’est la Terre de Grilecques, le monde où vit Barne Mustii, petit employé de bureau chez Boo’Teen Corp, une entreprise qui vend des bottes. Barne est un humain un peu résigné qui subit les brimades de son gobelin de patron, jusqu’au jour où c’est l’insulte de trop. Et si un simple tour à la permanence du syndicat l’entraînait dans une épique lutte des classe contre l’oligarchie orquogobelinesque… ?
Ne ratez pas ce roman féroce et drôle, qui rebondit dans tous les sens comme une balle magique : dystopie et gaudriole, anarchie et fantasy, non-binarité et lutte des classes. Ce livre, c’est peu comme si Marx et Tolkien avaient eu un enfant qui aimerait bien se poiler avec Pratchett.
PVH Éditions, c’est quoi ?
PVH Éditions est une maison qui édite des ouvrages issus de la littérature de l’imaginaire – science-fiction, fantasy, fantastique, anticipation, contes et légendes. Une de ses particularités qui parlera sans aucun doute au lectorat du Framablog est d’avoir libéré sa collection Ludomire sous licence libre CC By Sa. Une collection dans laquelle on trouve notamment nos camarades Ploum et Thierry Crouzet.
PVH Éditions est basée en Suisse et dirigée par Lionel Jeannerat, qui a récemment été invité dans l’émission Libre à vous ! de l’April, émission dont nous vous conseillons fortement l’écoute pour en apprendre plus sur l’aventure Ludomire.
Comment ça se réédite, un livre sous licence libre ?
Beaucoup plus simplement qu’un livre sous droit d’auteur classique ! Lorsque Framabook a publié Working Class Heroic Fantasy, Gee a signé un contrat de cession de droits… non-exclusive. Un détail qui a une importance capitale pour la suite. Car les contrats d’édition classique comportent généralement une cession de droits exclusive, ce qui prive l’auteur de l’opportunité d’aller se faire republier ailleurs.
Oui, j’ai déjà été publié chez La Louve éditions, avec qui j’avais un contrat traditionnel. (…) J’ai demandé à l’éditeur de mes romans s’il serait d’accord pour me redonner les droits sur mes textes (car, comme habituellement, il en détenait l’intégralité exclusive jusqu’à 70 ans après ma mort) et il a accepté. Je tiens à l’en remercier car ce n’est pas toujours si simple et amical. Cela a malgré tout demandé quelques mois pour se finaliser.
Si la licence libre permet en théorie a une maison d’édition de rééditer le livre sans demander l’avis de Gee ni sans lui verser le moindre centime, en pratique, les personnes enthousiasmées par le Libre ont en général l’élégance de chercher un arrangement qui soit bénéfique pour toutes les parties impliquées.
Ainsi, Gee a pu signer un nouveau contrat d’édition avec PVH Éditions, prévoyant des versements d’honoraires issues des ventes du livre avec une avance de 950 € (enfin… 900 CHF, évidemment) versée dès la publication. Le travail éditorial réalisé par les bénévoles de Framabook n’a pas non plus été oublié, puisque le livre est estampillé « Commun Culturel Framasoft » et qu’un petit texte continue de remercier l’association en début de livre.
Comme quoi, plus que jamais, Libre ne veut pas dire « gratuit » : une économie du livre libre, éthique et équitable, est possible. La collection Ludomire de PVH Éditions en est un bon exemple : souhaitons à « Sortilèges & Syndicats » le même succès. Car de l’autre côté, dans le monde de l’autoédition, tout n’est pas tout rose.
Les limites de l’autoédition
Pour ses nombreuses publications, Gee a monté sa petite maison d’autoédition, Ptilouk.net Éditions, et passe par de l’impression à la demande : d’abord par Lulu, qui a longtemps été utilisé par Framabook à l’époque où des livres imprimés étaient proposés.
Évidemment, qui dit autoédition dit bien souvent absence d’un réseau de distribution : ainsi, sans moyens de promotion ni de disponibilités en librairie, les ventes de livres de Gee restent très faibles. En un peu plus de 2 ans d’existence, Ptilouk.net Éditions n’a vendu que 550 exemplaires en comptant l’intégralité des 15 publications disponibles, la majorité des ventes ne se passant pas sur Internet mais sur les stands des Capitoles du Libre et autres JDLL.
Ajoutons à cela les tarifs sur lesquels les imprimeurs à la demande se gavent allégrement, bien souvent avec des systèmes opaques et des coûts cachés. Gee raconte :
Je suis assez convaincu, par exemple, que Lulu s’ajoute une confortable marge dans les frais de livraison. Ces frais sont incroyablement élevés et n’ont aucune cohérence par rapport au coût de transport, car ils sont proportionnels au nombre de livres, peu importe la taille. Donc si je commande 50 exemplaires de ma BD Superflu de 50 pages, ils m’envoient un carton pour la bagatelle de 80 € de frais de port. Si je commande 50 exemplaires de mon autre BD GKND, 360 pages, il faut 8 cartons, et on m’annonce… 80 € de frais de port. Ça sent un tout petit peu le foutage de gueule.
Gee propose également ses livres sur Amazon depuis un an. Un choix étrange pour un libriste comme lui, plutôt hostile aux GAFAM (dont Amazon est l’un des A), mais qui s’en explique sur son blog :
Il me semblait nécessaire d’y être. De la même manière que je suis aussi sur Twitter ou Facebook : avant tout pour aller chercher les gens là où ils sont. (…) Je garde les mêmes principes qu’avec Twitter et cie : rien d’inédit n’y est publié, et je conserve d’autres alternatives pour ne pas encourager les gens à passer par là (Lulu pour le papier, et le téléchargement direct pour les livres numériques à prix libre). J’ajoute même une « taxe Amazon » : les bouquins y sont 4,95 € plus chers (les numériques aussi, les versions Kindle y sont donc à 4,95 € 😛).
Il faut arrêter de croire que des gens vont vous découvrir et vous acheter sur des sites comme Lulu ou Amazon. En réalité, personne ne se balade sur ces sites comme ils pourraient flâner en librairie à la recherche d’une pépite. De plus, ces plateformes renferment des millions de livres et leur algorithme ne mettront en avant que les best-sellers (et leurs propres publications pour Amazon). Ils mettent parfois en évidence des succes-stories qui cultivent l’illusion qu’ils vous sont utiles.
Ils essaient de faire croire que grâce à eux, le travail de diffusion et de libraire n’est plus utile. Mais c’est faux… Aucun livre ou aucun talent ne trouve son public par hasard, et encore moins par l’impartialité des algorithmes.
Un an après, Lionel et Gee s’associent donc pour une nouvelle expérience : « Sortilèges & Syndicats » !
« Sortilèges & Syndicats », un livre libre bientôt en librairie !
Pour l’heure, la version imprimée du livre est uniquement disponible sur la boutique en ligne de PHV Éditions. Les délais de distribution étant ce qu’ils sont, le livre ne sera disponible en librairie qu’à partir de mars 2024. En attendant, vous pouvez le commander en ligne, avec une offre spéciale de Noël : si vous y achetez Sortilèges & Syndicats accompagné d’au moins un autre livre, et pour un total de plus de 35€, vous aurez une réduction de 5 % et les frais de port offerts (code promo : noeldegee).
Les Connards Pro™, le système qui enferme les cons–
–sommateurs. Qui enferme les consommateurs. Ce dernier épisode inédit des Connards Professionnels™ vous explique les forces du capitalisme de surveillance, mais aussi ses faiblesses, et comment les consommateurs pourraient s’en émanciper (ce qui fait très très peur à nos chers Connards™).
L’ultime épisode inédit des Connards Pros™ sur le framablog !
Toute bonne chose a une fin, nous publions donc aujourd’hui le dernier des 4 épisodes inédits de ce travail… de connards, il faut bien le dire !
Le Guide du Connard Professionnel est un livre-BD scénarisé par Pouhiou et dessiné par Gee, placé dans le domaine public volontaire. Nos comparses viennent d’ailleurs de le publier en un joli livre, qui se télécharge librement mais s’achète aussi dans sa version papier si vous voulez soutenir les auteurs.
Réservez votre place pour la conf théâtralisée (8 déc. à Paris)
L’épisode que vous allez voir aujourd’hui est une adaptation de la conférence théâtralisée où les Connards Professionnels vulgarisent le Capitalisme de Surveillance et l’économie de l’attention.
Depuis cette captation, Gee et Pouhiou ont intégralement retravaillé le texte de cette conférence théâtralisée, afin de le rendre moins dense, plus entraînant, bref : plus facile à aborder pour des personnes qui ne se passionnent pas forcément pour le numérique éthique !
Si les comparses comptent faire tourner cette conférence théâtralisée, nous n’avons pour l’instant que deux dates de programmées pour cette version Deluxe, Remasterisée, avec 13,37 % de connardise en plus garantie. Cela se passera sur Paris :
Nous espérons qu’il y aura des captations vidéos mais surtout d’autres représentations de cette conférence théâtralisée.
En attendant, voici le dernier épisode du guide, intitulé :
22. Conclusion : le SWOT de la connardise
Si vous regardez bien le capitalisme de surveillance, vous devez vous dire que ce système que j’ai peaufiné depuis des années est parfait.
Et vous avez raison, merci.
Pourtant, ce n’est pas parce qu’il est parfait qu’il est éternel. Pour qu’un système soit durable et résilient, il n’est pas inutile de revenir aux outils transmis en première année d’école du commerce, et de lui appliquer un bon vieux SWOT des familles.
Analysons donc ensemble les forces et faiblesses intrinsèques au capitalisme de surveillance (Strenghts and Weaknesses) ainsi que les opportunités et les menaces extérieures (Opportunities and Threats) dont nous devons nous préoccuper.
Une des grandes forces de ce système, c’est qu’il est très systémique : c’est-à-dire que tout se tient.
Ainsi, le pognon permet d’acheter de nouvelles technologies, pour capter plus de comportements, pour augmenter son influence culturelle et politique ce qui in fine rapporte plus de pognon.
C’est le cercle vertueux du capitalisme : tant qu’il y a des cons à essorer, y’a du liquide à se faire.
Or avec la surveillance par le numérique, l’essorage atteint des vitesses record. Parce que bon, mon papy, du temps béni de la Stasi, il gagnait déjà sa vie honnêtement en fichant ses congénères. Mais papy (respect et dividendes à lui ✊🤌) il fichait à la main, à l’ancienne : il faisait dans l’artisanal.
Si on compare son travail avec le fichage réalisé par la NSA aujourd’hui, on se rend compte que les services secrets des champions de la liberté sont beaucoup plus efficaces que ceux de la RDA.
L’autre force de ce système, c’est qu’il a désormais l’allure d’une évidence, d’une fatalité, d’une des lois naturelles qui régissent notre monde.
Car si l’informatique est partout et que ce que l’on code fait force de loi, alors pour contrôler le monde, il suffit de contrôler les petits cons qui codent.
Du coup, dès qu’on a un peu de pognon, on peut les acheter, les gamins. Et si vous ne voulez pas qu’ils se posent trop de questions sur les conséquences de ce qu’ils sont en train de coder, j’ai un secret : la méthode Agile.
Une des faiblesses qui existent dans notre beau système, ce sont ces va-nu-pieds en sandales bio qui prônent « l’hygiène numérique ».
Quand on leur donne le choix de la liberté entre Google Chrome, Apple Safari ou Microsoft Edge… ces salopiauds répondent « Firefox, parce que c’est pas fait pour le pognon ».
Quand on fait en sorte que leur téléphone Android ne soit plus qu’un gros capteur Google avec option agenda, ces malotrus répondent « non, j’ai un téléphone dégooglisé grâce à Murena ».
Heureusement qu’ils ne sont que quelques poignées d’hurluberlus, car ne nous cachons rien : c’est dégoûtant, l’hygiène numérique.
Une autre faiblesse que l’on doit éradiquer au plus vite : les bloqueurs de pub. Car la pub, c’est la base, c’est notre gagne-pain ! Sans la pub, tout le beau système de connard que j’ai construit s’effondre.
Or j’ai fait des efforts contre les bloqueurs de pubs. D’abord j’ai fait de la pédagogie pour bien faire rentrer dans le crâne des cons que bloquer la pub, c’est méchant. Que ça enlève le pain de la bouche des gratte-papier, qu’il faut que monde accepte de se javelliser le cerveau, sinon c’est tirer une balle dans le ventre creux des pauvres journaleux…
Puis j’ai carrément connardisé Adblock Plus. Pour bien expliquer aux cons : vous voulez bloquer la pub, prenez notre bloqueur de connards, c’est celui qui est le plus marketé, et promis : il ne laissera passer que la gentille pub.
Mais non : il se trouve toujours des hygiénistes dégoûtants pour dire aux cons d’installer Ublock Origin.
Heureusement, il reste de belles opportunités dans ce système de connard. Ainsi, la position de monopole permet de réécrire ce que doit être le numérique dans la tête des cons.
Ainsi, si vous dites « je veux une plateforme de diffusion de vidéos » à un informaticien, il pensera à PeerTube : un outil efficace pour faire un site où on peut créer des comptes, y mettre ses vidéos et les partager avec le reste du monde, sans avoir besoin d’une ferme de serveurs.
Mais si vous dites la même chose à un consommateur, il pensera monétisation, publicité, recommandations, suite du programme, émissions régulières… Bref, il pensera à une chaîne de télé, parce que c’est comme ça que fonctionnent les monopoles du domaine, à savoir YouTube et Twitch.
Une autre opportunité, c’est d’exploiter encore plus le petit personnel politique. Non parce qu’ils y prennent goût, à mes gros jeux de données. Ils ont bien compris que cela augmente la taille de leur petit pouvoir.
Car le pouvoir, c’est un peu comme le pognon : plus on en a, plus on en veut.
De fait le petit personnel politique, ça fait quelques piges qu’ils nous pondent deux lois sécuritaires par an. À vouloir copier mon beau modèle, ils finissent par le légitimer, et nous ouvrir la fenêtre des possibles.
Cependant, le Capitalisme de Surveillance est sous le coup de plusieurs menaces qui pourraient égratigner mon beau système : il s’agit donc de ne pas les ignorer.
En gros, ces menaces, ce sont tous les paltoquets, saligauds et autres pignoufs d’hygiénistes du logiciel libre, de l’anti-pub ou l’anti-surveillance… mais quand ils se multiplient entre eux.
Non parce que moi les libristes, tant qu’ils sont 15 dans leur slip en raphia, à se battre entre eux pour savoir si « Vim ou Debian », « Ubuntu ou chocolatine »… ça ne m’affole pas le pacemaker.
D’ailleurs, j’ai même essayé de récupérer leur mouvement d’un coup de rebranding. J’ai viré tous leurs bons sentiments politiques de « ouiiiii il faut que l’humain maîtrise l’informatique, il faut partager le savoir sous forme de communs », j’ai gardé la méthode de production, et j’ai collé un nom angliche qui pète bien : l’open source.
Alors ça a bien réussi, mon coup : l’open source est partout, le logiciel libre n’a plus une thune et est exsangue… Malgré ces efforts, tu as toujours des faquins de bisounours du code qui essaient de sortir du droit chemin des plateformes géantes.
Et voilà qu’ils te codent des PeerTube, des Mastodon, des Mobilizon, des NextCloud… des logiciels décentralisés que n’importe quel excité du clavier peut installer sur un serveur pour créer un cloud autonome, auto-géré, et synchronisé avec le reste de leur univers fédéré.
Non mais si ça prend leurs bêtises, les cons vont fuir les belles plateformes centralisatrices des géants du web pour aller héberger leurs vies numériques chez plein de petits hébergeurs à qui ils font confiance.
Une autre menace potentielle au capitalisme de surveillance, ce sont les associations qui s’organisent pour montrer les conséquences et les rouages de mon beau système.
Et que je peux pas vendre mes drones de surveillance à la police sans que La Quadrature du Net ne s’en mêle, et que je peux pas signer un contrat juteux entre Microsoft et l’Éducation Nationale sans que l’April ne gueule…
Or le capitalisme de surveillance est pudique : si l’on montre ses dessous, il devient timoré et peut presque (j’en frémis…) s’enfuir.
Alors certes, ces menaces sont réelles, mais pour qu’elles commencent à me faire peur, il faudrait que les cons se renseignent, se prennent en main, et rejoignent par milliers les zigotos qui font des associations d’utopistes : bref, faute de lutte collective à lui opposer, mon système de connard a de beaux jours devant lui.
C’est pourquoi, cher apprenti connard (et, ne nous interdisons aucune modernité : « chère apprentie connasse ») mon dernier mot sera pour toi : la balle est dans ton camp. Moi, c’est bon, j’ai construit mon bunker pour trinquer au frais lorsque le monde va cramer. Je te confie donc mon beau système.
C’est à toi désormais de prendre la relève. Ta mission, c’est de te sortir les doigts du fion, et de connardiser le digital pour que perdure le capitalisme de surveillance.
Les Connards Pro™, exploiter les données des cons–
–sommateurs. Les données des consommateurs. Ce nouvel épisode inédit des Connards Professionnels™ vous explique à quoi cela sert de capter un maximum de données, comment manipuler les masses, et ainsi comment gagner au grand jeu du capitalisme de surveillance.
Le retour des Connards Pros™ avec des épisodes inédits !
Afin de fêter leur retour, le Framablog souhaite publier, chaque semaine pendant un mois, un des épisodes inédits de ce travail… de connards, il faut bien le dire !
Le Guide du Connard Professionnel est un livre-BD scénarisé par Pouhiou et dessiné par Gee, placé dans le domaine public volontaire. Nos comparses viennent d’ailleurs de le publier en un joli livre, qui se télécharge librement mais s’achète aussi dans sa version papier si vous voulez soutenir les auteurs.
Pour réussir à votre tour dans la profession de consultant en connardise, vous pouvez :
lire les 22 épisodes du guide (dont 4 inédits) sur le site connard.pro, remis à neuf pour l’occasion ;
Réservez votre place pour la conf théâtralisée (6 & 8 déc. à Paris)
L’épisode que vous allez voir aujourd’hui est une adaptation de la conférence théâtralisée où les Connards Profesionnels vulgarisent le Capitalisme de Surveillance et l’économie de l’attention.
Depuis cette captation, Gee et Pouhiou ont intégralement retravaillé le texte de cette conférence théâtralisée, afin de le rendre moins dense, plus entraînant, bref : plus facile à aborder pour des personnes qui ne se passionnent pas forcément pour le numérique éthique !
Si les comparses comptent faire tourner cette conférence théâtralisée, nous n’avons pour l’instant que deux dates de programmées pour cette version Deluxe, Remasterisée, avec 13,37 % de connardise en plus garantie. Cela se passera sur Paris :
Nous ignorons s’il y aura des captations vidéos, donc nous vous conseillons vivement de réserver en signalant votre présence sur les événements Mobilizon ci-dessus (ou de les contacter, par email : leur pseudo chez connard point pro, pour voir à quelles conditions les faire venir près de chez vous !)
En attendant, voici un nouvel épisode du guide, intitulé :
21. Que faire de l’attention des cons ?
La pensée de connard systémique a ceci de beau qu’elle permet d’exprimer sa connardise à tous les niveaux.
Qu’il s’agisse de manipuler le langage en faisant passer des comportements sociaux pour des « données personnelles », de manipuler les consommateurs pour qu’ils nous offrent leurs interactions sur un plateau et se mettent à haïr le respect de leur consentement… Tout cela demande un soin du détail que seul un maître connard peut offrir.
Si vous réussissez cette première étape, bravo, vous êtes devenu Éleveur-Entrepreneur, responsable d’une belle usine qui gère 15 bestiaux au mètre carré. Et les cons dans tout ça…? Ben c’est le bétail !
En bon éleveur, vous l’avez gavé de votre foin attentionnel, produit localement par d’autres bestiaux (les créateurs de contenus), et enrichi à la pub. C’est ainsi que vous le trayez régulièrement pour avoir de bon gros jeux de données comportements tout frais.
Cependant, chacun son métier : vous êtes fermier, pas boucher ni fromager. Donc ces comportements tout frais, vous allez les confier au Marché. Ça tombe sous le sens.
Dans le milieu, ceux qui transforment les datas, ce sont les courtiers de données. Et si vous les regardez attentivement, ils ont tous une tête à s’appeler Adam. Ne me demandez pas pourquoi : c’est la loi du Marché.
Avoir de beaux jeux de données croisés entre plusieurs sources, c’est donc avoir des informations très précises sur les cons, leurs futurs votes, leurs futurs crédits, leurs futures baises, leurs futurs achats…
Alors qu’est-ce qu’on leur fourgue à tous ces consommateurs qu’on connaît si bien, comme si on les avait espionnés ? C’est quoi la base, le pain quotidien de tout connard digital ? C’est quoi le gras qui huile les rouages de notre système et arrondit nos ventres insatiables, hein…? C’est… la publicité.
La publicité, tout le monde y goûte, tout le monde en dépend. On a aiguisé les esprits, on a filé des arguments à gauche comme à droite, bref : la publicité, c’est inattaquable.
Alors la publicité c’est bien, mais ce n’est qu’une base à partir de laquelle on va commencer à élever le niveau de la connardise.
Ainsi, si on veut sortir des techniques de gagne petits de la data, ce qui marche bien en ce moment c’est d’aller vendre du consommateur aux banques et aux assurances.
Il faut dire que vu le pognon qu’elles brassent, ces entreprises n’aiment pas beaucoup le risque. Donc quand nous on se pointe devant elles avec des comportements tout frais, tout croisés, tout prédictibles… Pour elles c’est les moissons, Noël et la chandeleur en même temps… bref : c’est la fête du blé.
Quand votre niveau de pognon engrangé commence à faire honneur à votre niveau de connardise, et qu’au passage vous vous êtes faits quelques amis dans la finance… c’est le moment de passer aux choses sérieuses.
Par exemple en commençant à vous faire ami-ami avec les états en leur vendant vos services. Alors ils appellent ça « partenariat public-privé », mais pour nous c’est juste un moyen de leur vendre à prix d’or de quoi mieux espionner leurs cons à eux (ils appellent ça des contribuables, mais en bons connards nous ne jugeons pas : chacun ses perversions).
L’objectif, ici, c’est d’arriver à augmenter votre degré de connardise, améliorer votre influence et vos connaissances dans les services de l’État, pour finir par aller prendre le pognon chez ceux qui le captent le mieux : les politiques.
On l’a vu avec Cambridge Analytica, influencer des élections, telles que le Brexit ou l’accession de Trump au trône, c’est simple comme une pub Facebook. Encore faut-il trouver des laquais pour rémunérer pour notre connardise.
Or, les hommes et femmes politiques, c’est en quelque sorte notre petit personnel à nous. Un qui l’a bien compris, c’est le milliardaire Steve Bannon (respect et dividendes à lui ✊🤌), qui a commandité à Cambridge Analytica des expériences scientifiques pour trouver comment manipuler en masse les étatsuniens, puis qui a appliqué les résultats avec ses sites de propagande tels que BreitBartNews.
De moindres connards s’arrêteraient là, satisfaits d’avoir influencé des états, et la conscience politique de nations entières. Mais ce serait louper le coche, le point d’orgue, l’apogée d’une carrière de connard professionnel : la capacité d’influencer une culture toute entière.
Les champions sur la question, c’est Google. À l’époque où « blogosphère » était un mot moderne, ils ont inventé le score des blogs, le « blog rank », qui te permet de grimper dans les recherches Google. Pour faire grimper ton blog rank, il fallait faire grimper toutes les statistiques… mises en avant par Google.
Bref, il fallait souscrire à la course au clic. C’est ainsi que tout le monde s’est mis à écrire de la même manière, le fameux « web rédactionnel », qui fait que vous pouvez pas lire deux paragraphes tranquille sans qu’un truc vous saute aux yeux.
Le blog rank, et plus tard les affichages des visites avec Google Analytics, c’est au cœur de la méthode de Google. Donner des outils statistiques aux personnes qui créent et publient du contenu, et leur afficher bien en gros les courbes des statistiques qui intéressent Google et ses annonceurs.
Il n’en faudra pas plus à un homo numéricus normalement constitué : il n’aura plus d’autre envie que de voir les chiffres grossir.
C’est ce qu’il s’est passé avec le phénomène des YouTubers. Grâce à ses manipulations statistiques, Google a transformé une bande de joyeux drilles qui se croyaient revenus au temps des radios libres, en de jolies marionnettes, bien soumises au sacro-saint algorithme.
–sommateurs. Les données des consommateurs. Cet épisode inédit des Connards Professionnels™ vous invite à découvrir le monde merveilleux du capitalisme de surveillance, où l’on donne ce qui nous est le plus personnel : notre attention.
Le retour des Connards Pros™ avec des épisodes inédits !
Afin de fêter leur retour, le Framablog souhaite publier, chaque semaine pendant un mois, un des épisodes inédits de ce travail… de connards, il faut bien le dire !
Le Guide du Connard Professionnel est un livre-BD scénarisé par Pouhiou et dessiné par Gee, placé dans le domaine public volontaire. Nos comparses viennent d’ailleurs de le publier en un joli livre, qui se télécharge librement mais s’achète aussi dans sa version papier si vous voulez soutenir les auteurs.
Pour réussir à votre tour dans la profession de consultant en connardise, vous pouvez :
lire les 22 épisodes du guide (dont 4 inédits) sur le site connard.pro, remis à neuf pour l’occasion ;
réserver votre soirée sur une des deux représentations d’une version remaster deluxe edition de leur masterclass « Capter et exploiter l’attention des cons– »
En attendant, voici un nouvel épisode du guide, intitulé :
20. Capter l’attention des cons
Ce que l’on apprend lorsqu’on expérimente sur les humains, c’est que ce n’est qu’une première étape. C’est un marchepied, en quelque sorte, qui vous le mettra à l’étrier d’une aventure à laquelle tout Connard dans l’âme se doit d’aspirer : manipuler une culture, une civilisation entière.
Pour ce faire, il vous faudra œuvrer à façonner un système si complexe, si ingénieux, si empreint de tout votre art que tout apprenti connard ne pourra que vous considérer comme un Maître.
Le chef-d’œuvre qui m’a pris tout mon temps, durant ces quelques années de hiatus, a été nommé par des spécialistes le : « Capitalisme de surveillance ».
Il va de soi qu’un système aussi raffiné se doit d’être exhaustif et intègre. Il est ici nullement question de créer une mécanique dont moi et les miens serions exempts. Cela indiquerait aux rouages de ce système qu’ils pourraient s’en extraire, rendant tout le système caduc dès le départ.
Or, si l’on pense en bon connard, un bon système est un système où l’on se soustrait à toutes les contraintes, souffrances et autre pénibilités… en les faisant ruisseler sur autrui. Dans un système de type capitaliste, l’astuce consiste à être riche, pour se nicher au sommet de la pyramide, quitte à chier sur les épaules de ceux d’en dessous.
Ainsi, seuls les pauvres seront affectés par la pénibilité du système. Or, ne nous le cachons pas, ils l’ont bien mérité : ils (ou, pour user de leur argot vernaculaire : « iels ») sont pauvres.
Tout comme il est inutile de deviner qui de la poule ou de l’œuf… Ne perdons pas de temps à savoir qui était là en premier : la pauvreté ou la bêtise. Le fait est qu’il s’agit d’un cycle naturel où l’un entraîne l’autre.
C’est en profitant de ce cercle vertueux que j’ai pu imposer à la populace mes termes, mon vocabulaire. C’est ainsi grâce à ma connardise que l’on parle communément de « données personnelles ».
C’est intéressant d’appeler nos comportements des données. Cela fait penser à quelque chose que l’on donne. Comme si le commun des consommateurs avaient le pouvoir. Le choix. La responsabilité de leurs données.
En tant que connards professionnels, il ne faut jamais laisser nos cibles penser avec leurs propres mots : cela pourrait leur donner des idées. Ainsi, n’oublions pas que dans « données personnelles », j’ai ajouté le mot personnelles.
Voilà que le consommateur moyen va se dire que ses comportements sont ses données à lui, presque sa propriété. D’un simple mot, j’isole cette personne, je le condamne à être un individu, séparé des autres individus, ne pouvant plus s’allier à eux pour remettre collectivement en cause mon beau système.
Or, si l’on regarde d’un pur point de vue technique, le web a été fait par et pour des animaux sociaux, et n’existe que pour faire du lien. Aucun de vos comportements ne concerne que vous, ils racontent votre rapport aux autres, aux choses, au monde.
De votre date de naissance (qui indique ce que faisaient, ce jour-là, les corps qui vous ont fait naître), à votre géolocalisation (qui indique qui vous allez voir, avec qui, et souvent pourquoi), vos comportements sont quasi exclusivement sociaux.
De ces comportements sociaux, on peut très vite déduire un portrait assez fin de chaque personne dans sa relation aux autres. Dans le jargon, on appelle cela un « graphe social ».
Vous avez certainement, sur votre smartphone, des applications qui ont accès à votre carnet de contact (elles vous remercient, d’ailleurs). Ce qui signifie que si vous tournez autour d’un nouveau crush, cette application saura quand vous rentrez son 06 dans vos contacts.
Si, par ailleurs, j’ai accès à un autre fichier qui note la géolocalisation de téléphones identifiés par leur numéro, je peux donc savoir qui tourne autour de qui, quand est-ce que les téléphones passent la nuit ensemble et donc à quel moment leur faire afficher des publicités pour des sous-vêtements affriolants, des préservatifs ou des pilules du lendemain.
C’est bien là l’avantage des comportements sociaux : on peut noter ce que l’on veut sur qui l’on veut, car même les personnes qui n’ont pas de smartphone ou de comptes sur les plateformes ont des amis qui en ont.
Notez bien cependant qu’il est important de respecter la loi comme un connard. Ainsi, puisqu’en France il est interdit de ficher les opinions politiques ou orientations sexuelles, je m’interdis scrupuleusement de ficher quiconque comme « votant à droite » ou comme « pédé comme un sac à dos ». Par contre, j’ai beaucoup de monde dans les cases « souhaite la réduction de ces charges qui nous étouffent » et « intéressé par la culture gaie ».
Ne désespérons pas : la route est longue mais la loi change, et même un pas après l’autre : on avance. Récemment, le fichage des opinions politiques et orientations sexuelles a été autorisé à la police française. C’est là un signe d’espoir qui nous permet de rêver.
Il faut dire que, à l’instar de la délation et de la collaboration, le fichage est une tradition culturelle forte. Pour le web, cela a commencé avec les cookies. Le principe de base était simple : des nerds et des gratte-papier faisaient des sites web qui attiraient l’attention de gens, qui consommaient les contenus.
Les premiers connards du web s’en sont rendu compte, et sont allé à la source. Tiens petit nerd qui se dit webmestre, tu veux des belles statistiques pour savoir ce qui est lu ? Voici Bastards Analytics, tu le mets sur ton site web et ça ajoute juste un petit cookie. Et toi, gratte-papier, tu veux des jolies polices d’écriture pour ton blog ? Alors utilise mes Bastards fonts, y’aura juste un cookie, mais ce sera tellement joli.
Et puis… puis ça a explosé. Les cookies de mes copains installaient mes cookies, les pisteurs se partageaient des données entre eux… Ah, ça ! Quand on a pas connu on ne se rend pas compte, mais aux débuts du web marchand, y’en avait partout, c’était beau, c’était… hyper communautaire, en fait.
Et c’est là qu’est arrivée la tuile. LE truc que nos lobbyistes n’ont pas pu dérailler.
RGPD.
Il fallait demander aux consommateurs leur consentement, comme s’ils savaient ce qui est bon pour eux ! Alors oui, bien sûr, au début c’était la tuile, mais cela fut en fait un bon défi de connard. Comment faire en sorte que les consommateurs détestent le consentement au moins autant que nous ?
On peut vous dire que pour arriver à un tel résultat, y’a des années d’expérience et (oui, osons le mot) du talent.
Les Connards Professionnels nous reviennent après des années d’absence. Découvrez aujourd’hui un épisode qui parodie et explicite le fonctionnement de Facebook, écrit en 2015 et pourtant jamais publié avant maintenant.
Les Connards Pros™ vous forment au capitalisme de surveillance !
Entre 2014 et 2015, Gee et Pouhiou ont écrit un OWNI (objet webesque non identifiable) mi roman, mi BD et mi guide managérial parodique, intitulé Le Guide du connard professionnel. Le principe est de former le lectorat au design de la malveillance, une activité hautement lucrative. Des ouvertures « faciles » rageantes aux dark patterns en passant par l’argent-dette : tout est de la faute des Connards™ !
Afin de fêter leur retour, le Framablog souhaite publier, chaque semaine pendant un mois, un des épisodes inédits de ce travail… de connards, il faut bien le dire !
19. Donner de l’exercice à ses cobayes
Les expérimentations sur les animaux n’ont plus bonne presse, au grand dam des industries cosmétiques qui se sont vues obligées d’inventer le rouge à lèvres virtuel, le mascara pour bactérie ou la crème de jour pour cadavre… Par chance, pratiquer des tests sur les humains reste encore possible, pour peu que vous le fassiez dans une posture socialement acceptable. Sociologie, anthropologie, ethnologie : les sciences sociales nous offrent ce plaisir mais demandent un investissement coûteux (sous forme d’harassantes études) pour une rémunération de gagne-petit. Un bon connard préférera donc monter sa start-up du web.
On ne le répétera jamais assez, un bon connard est un flemmard intelligent (voir notre 6e leçon : Ne faites plus, faites faire). Votre travail ne doit consister, en somme, qu’à créer les règles du jeu, le code faisant Loi. Une application de réseau-sociotage fluide, belle, réactive ne suffit pas : il faut qu’elle attire le chaland. Si votre code-concept de base consiste à mettre en valeur les egos dans un positivisme aussi forcé que le sourire d’une hôtesse de l’air en plein crash aérien ; vous avez déjà fait beaucoup. Reposez-vous donc, et laissez les autres travailler pour vous en leur ouvrant votre outil, comme tout internaute débonnaire le ferait.
Parler avec des astérisques est un talent réservé aux connards professionnels de haut vol. Peu d’entre nous savent présenter leurs arguments sans qu’on n’y voie les conditions écrites à l’encre antipathique et lisibles au microscope atomique. Le jour où vous pouvez inclure l’intégralité du texte de Mein Kampf dans des Conditions Générales d’Utilisation et voir votre clientèle cliquer sur « je suis d’accord et j’accepte », c’est que vous êtes parvenu à une telle maîtrise de votre position dominante. Vous n’avez plus qu’à changer les conditions pour virer les projets extérieurs (ceux qui vous ont aidé à appâter le chaland) et garder les cobayes dans votre labyrinthe de plus en plus
Dès lors que vos cobayes sont piégés dans votre labyrinthe, libre à vous de les exploiter comme bon vous semble. Bien entendu, vous placerez de la publicité à chaque cul-de-sac et leur demanderez de plus en plus de données à chaque tournant… Mais, outre ce pré-requis de base, c’est là que vos expériences peuvent vraiment commencer. Par exemple, vous prenez deux groupes de cobayes identiques, et montrez des infos positives aux uns tandis que les autres ne verront que le pire des infos qui les entourent…
L’avantage d’avoir des cobayes piégés dans cette avalanche incessante d’informations nivelées et formatées, dans votre infinite scrolling, c’est que tôt ou tard ils participeront au bruit ambiant. Ainsi, leur moindre clic et statut vous permettra de récolter les données du résultat de votre expérimentation sociale.
« Du pain et des jeux… » voilà les besoins du bas-peuple, comme nous l’expliquait un antique Connard. Maintenant que nous sommes civilisés et connectés, on peut mettre à jour l’adage : « si vous avez assez de jeux, oubliez le pain ». Avoir le monde entier au creux de votre main n’est pas une responsabilité, c’est un hobby. Une fois leurs êtres et états bien rangés dans votre ferme de serveurs, vous n’avez plus qu’a vous assurer de repeindre régulièrement les murs de votre prison dorée afin qu’ils n’aient plus jamais besoin d’en sortir. Médias, infos, vidéos, sorties, articles, musiques, dialogues et coup de fil… pourquoi utiliser internet quand on a populr.com ?
Mais où sont les livres universitaires open-source ?
Où sont les livres universitaires libres, ceux qu’on pourrait télécharger gratuitement à la façon d’un logiciel open-source ? Les lecteurs et lectrices du Framablog qui étudient ou travaillent à l’université se sont probablement posé la question.
Olivier Cleynen vous soumet ici quelques réponses auxquelles nous ouvrons bien volontiers nos colonnes.
Les manuels universitaires libres, j’en ai fabriqué un : Thermodynamique de l’ingénieur, publié en 2015 au sein du projet Framabook. Cette année, alors que Framabook se métamorphose en Des livres en commun et abandonne le format papier, je reprends le livre à mon nom et j’expérimente avec différentes formes de commercialisation pour sa troisième édition. C’est pour moi l’occasion de me poser un peu et de partager avec vous ce que j’ai appris sur ce monde au cours des sept dernières années.
Bon, je vais commencer par prendre le problème à l’envers. Un manuel universitaire, c’est d’abord un livre et comme tout autre livre il faut qu’il parte d’un désir fort de la part de l’auteur/e, car c’est une création culturelle au même titre qu’une composition musicale par exemple. Et d’autre part c’est un outil de travail, il faut qu’il soit très cohérent, structuré, qu’il justifie constamment l’effort qu’il demande au lecteur ou à la lectrice, en l’aidant à accomplir quelque chose de précis. Ces deux facettes font qu’il doit être le produit du travail d’un nombre faible de personnes très impliquées. On le voit bien avec les projets Wikibooks et Wikiversity par exemple, qui à mes yeux ne peuvent pas décoller, par contraste avec Wikipédia où le fait que certains articles soient plus touffus que d’autres et utilisent des conventions de notation différentes ne pose aucun problème.
Pour écrire un livre comme Thermodynamique de l’ingénieur j’estime (à la louche) qu’il faut un an de travail à quelqu’un de niveau ingénieur. En plus de ça il faut au moins deux personne-mois de travail pour mettre le tout en page et avoir un livre prêt à l’impression.
Je n’aime pas beaucoup ce genre de calculs qui ont tendance à tout réduire à des échanges mercantiles, mais dans un monde où l’équipe d’en face loue l’accès à un PDF en ligne à 100 euros par semestre, on peut se permettre d’écrire quelques nombres au dos d’une enveloppe, pour se faire une idée. Un an de travail pour une ingénieur médiane coûte 58 k€ brut en France. Pour deux personnes-mois de mise en page, on peut certainement compter 5 k€ de rémunération brute, soit au total: 63 000 euros.
Maintenant en partant sur la base de 1000 livres vendus on voit qu’il faudrait récolter 63 euros par livre pour financer au “prix du marché”, si je peux me permettre, le travail purement créatif. C’est une mesure (très approximative…) de ce que les créateurs choisissent de ne pas gagner ailleurs, lorsqu’ils/elles font un livre en accès gratuit ou en vente à prix coûtant, comme l’a été le Framabook de thermodynamique.
Bien sûr, si l’on reprend le problème à l’endroit, le prix d’un livre acheté par un étudiant ou une universitaire n’est pas du tout calculé sur cette base, car il faut aussi et surtout rémunérer les autres acteurs entre l’auteure et la lectrice.
La part du lion est assurément réservée aux distributeurs, et parmi eux Amazon, qui sont passés progressivement de purs agents logistiques à de véritables plateformes éditoriales. Les distributeurs ont ainsi dépassé leur rôle initial (être une réponse à la question : « où vais-je me procurer ce livre qui m’intéresse ? ») et saturé le niveau d’au-dessus, en proposant de facto toutes les réponses les plus pertinentes à la question : « quel est le meilleur livre sur ce sujet ? ».
Au milieu de tout ça, il y a les éditeurs. Un peu comme les producteurs dans le monde de la musique, leur rôle est de résoudre l’équation qui va lier et satisfaire tous les acteurs impliqués dans l’arrivée du livre entre les mains de la lectrice. Ils sont ceux qui devraient le mieux connaître les particularités de ce produit pas tout à fait comme les autres, et pourtant…
Dans notre exploration du monde des manuels universitaires, je vais choisir de diviser les éditeurs en trois groupes.
tout un patrimoine est rendu légalement inaccessible.
Au centre, nous avons les petits. Ils sont écrasés par tous les autres, mais je peux dire d’emblée qu’ils n’ont que ce qu’ils méritent. Leurs outils et méthodes de travail sont désuets voire archaïques, et ils saisissent très mal les mécanismes du succès éditorial. Donc, ils se contentent de sortir beaucoup de livres pour espérer en réussir quelques-uns. Contactez-les avec votre projet, et ils vous proposeront un contrat dans lequel vous renoncez ad vitam à tout contrôle, et à 93% des revenus de la vente. Faites le calcul : même avec un prix de vente élevé, disons 40€, ce qu’ils vous présenteront sans sourciller comme un succès (mille livres vendus) ne vous rapportera même pas 3000 euros bruts, étalés sur dix ans.
Vous me direz que ce n’est pas bien grave, qu’avoir une haute rentabilité, une haute efficacité, n’est pas un but en soi : tout le monde ne veut pas être Jeff Bezos, et le monde a bien besoin de petits acteurs, de diversité éditoriale, de tentatives risquées, tout comme le secteur de la musique. Certes ! Mais voyons les conséquences en aval. Lorsque le contrat est signé, le copyright sur l’œuvre passe irréversiblement dans les mains de l’éditeur, qui ne l’exploitera vraisemblablement que dix ans. Que se passe-t-il après ? Le livre n’est plus imprimé, il sort de la sphère commerciale, et… il est envoyé en prison. Il rejoint la montagne de livres abandonnés, qui attendent, sous l’œil du gendarme copyright, le premier janvier de la 71ème année après la mort de leur auteur, que l’on puisse les réutiliser. Un siècle de punition ! Quelle bibliothèque en aura encore un exemplaire en rayon lorsqu’ils en sortiront ?
Et voilà comment nous entretenons cette situation absurde, dans laquelle une masse de travail faramineuse, sans plus aucune valeur commerciale, est mise hors d’accès de ceux qui en ont besoin. Il y a des manuels universitaires par centaines, parfaitement fonctionnels, dont le contenu aurait juste besoin d’un petit dépoussiérage pour servir dans les amphis après une mise à jour. Ils pourraient aussi être traduits en d’autres langues, ou bien dépecés pour servir à construire de nouvelles choses. Au lieu de ça, en thermodynamique les petits éditeurs sortent chaque année de nouveaux manuels dans lesquels les auteurs décrivent une nouvelle fois l’expérience de Joule et Gay-Lussac de 1807, condamnés à refaire eux-mêmes le même schéma, les mêmes diagrammes pression-volume, donner les mêmes explications sans pouvoir utiliser ce qui a déjà été fait par leurs prédécesseurs. Certes, d’autres disciplines évoluent plus vite que la mienne, mais partout il y a des fondamentaux qu’il n’est pas nécessaire de revisiter très souvent, et pour lesquels tout un patrimoine est rendu légalement inaccessible. Quel gâchis !
des pratiques difficiles à accepter pour ceux pour qui un livre doit aussi être un outil d’émancipation.
Grimpons maintenant d’un étage. Au dessus des petits éditeurs, les gros ; eux résolvent l’équation autrement, en partant du point de vue qu’un manuel universitaire est un outil de travail professionnel : un produit pointu, hyper-spécialisé et qui coûte cher. Aux États-Unis, ce sont eux qui mènent la course. Pour pouvoir suivre un cours de thermodynamique ou de chimie organique, l’étudiant/e lambda est forcée d’utiliser un manuel qui coûte entre 100 et 300 euros par le/la prof, qui va baser tous ses cours, diapositives, sessions d’exercices et examens dessus. Nous parlons de pavés de 400 pages, écrits par plusieurs auteur/es et illustrés par des professionnels, des outils magnifiques qui non seulement attisent votre curiosité, mais aussi vous rassasient d’applications concrètes et récentes, en vous permettant de progresser à votre rythme. On est loin des petits aides-mémoire français avec leurs résumés de cours abscons !
Ces manuels sont de véritables navires, conduits avec soin pour maximiser leur potentiel commercial, avec des pratiques pas toujours très éthiques. Par exemple, les nouvelles éditions s’enchaînent à un rythme rapide, et les données et la numérotation des exercices sont souvent modifiés, pour rendre plus difficile l’utilisation des éditions antérieures. Pour pouvoir capter de nouveaux marchés, en Asie notamment, les éditeurs impriment pour eux des versions beaucoup moins chères, dont ils tentent après par tous les moyens d’interdire la vente dans les autres pays.
Le prix de vente des livres est en fait tel que pour les étudiants, la location devient le moyen d’accès principal. Les distributeurs (comme Amazon US ou Chegg) vous envoient l’enveloppe de retour affranchie directement avec le livre. Vous pouvez tout de même surligner et annoter l’intérieur du livre : il ne sera probablement pas reloué plus d’une fois. Après tout, le coût de fabrication est faible au regard des autres sommes en jeu : il s’agit surtout de pouvoir contrôler le nombre de livres en circulation (lire : empêcher la revente de livres récents et bon marché).
Les éditeurs tentent aussi de ne pas louper le virage (très lent…) de la dématérialisation, en louant l’accès au contenu du livre via leur site Internet ou leur appli. Pensiez-vous que l’on vous donnerait un PDF à télécharger ? Que nenni. Nos amis francophones au Canada ont déjà testé pour vous : « Les étudiants sont pris en otage avec une plateforme difficile d’utilisation à un prix très élevé. Difficile de faire des recherches, difficile de naviguer, difficile de zoomer, difficile d’imprimer. Difficile de toute. En plus, on perd l’accès au livre après un certain temps, alors qu’on paie presque la totalité du prix d’un livre physique. Il y a un problème. »
En bref, cet étage combine le meilleur et le pire : des outils pédagogiques de très bon niveau, empaquetés dans des pratiques difficiles à accepter pour ceux pour qui un livre doit aussi être un outil d’émancipation.
l’émergence de créateurs et créatrices de biens culturels plus indépendants et plus justement rétribués
En dessous de ces deux groupes, il y a tout un ensemble désordonné d’entreprises qui proposent aux auteurs potentiels de court-circuiter les voies d’édition traditionnelles (j’expérimente en ce moment avec plusieurs de ces acteurs pour mon livre). On peut mentionner Lulu, qui fournit un service d’impression à la demande (Framabook l’a longtemps utilisé), mais aussi Amazon qui accepte de plus en plus facilement dans son catalogue physique et immatériel (Kindle) des livres auto-édités. En marge, il y a un grand nombre d’acteurs qui facilitent la rémunération des créateurs et créatrices en tout genre, par exemple en permettant la vente de fichiers informatiques, de services en ligne, et le financement ponctuel ou régulier de leur travail par leur audience. Ces choses étaient très difficiles à mettre en pratique il y a quinze ans ; maintenant ces entreprises érodent par le bas les piliers financiers de l’édition traditionnelle. Elles permettent, d’une part, l’émergence de créateurs et créatrices de biens culturels plus indépendants et plus justement rétribués, qui ne se feront pas manger tout/es cru/es par les machines de l’édition traditionnelle. Elles permettent aussi, et c’est plus regrettable, la monétisation d’échanges qui auraient dû rester non-commerciaux ; par exemple on ne peut que grincer des dents en voyant des enseignants fonctionnaires de l’éducation nationale, sur une plateforme quelconque, se vendre les uns aux autres l’accès à leurs fiches de travaux pratiques de collège. Dans l’ensemble toutefois, je pense que la balance penche franchement dans le bon sens, et je me réjouis de savoir que de plus en plus de personnes se voient offrir la possibilité de se demander : « tiens, et si j’en faisais un livre ? ».
Alors toi, petit/e prof de l’enseignement supérieur, qui voudrais bien faire un livre de ce que tu as déjà construit avec tes cours, et qui regardes ce paysage, tu te demandes si tu ne devrais pas faire un manuel universitaire open-source, un truc que les étudiants et les autres profs pourraient télécharger et réadapter sans rien devoir demander. Qu’est-ce que je peux te recommander ?
Pour commencer, le plus important — fonce ! Tu ne le regretteras pas. Je partage volontiers avec toi quelques chiffres et quelques retours, sept ans après m’être lancé (mais sans avoir jamais travaillé sur la communication ou la diffusion). Une trentaine de personnes télécharge le PDF de mon livre depuis mon site Internet chaque jour, la moitié depuis les pays d’Afrique francophone, et une sur cinq-cent met la main à sa poche pour acheter un exemplaire imprimé. Après six ans, ça représente 250 livres vendus (250 kilos de papier !). Je retrouve des traces de mon livre un peu partout sur Internet, pour le meilleur et pour le pire. Il y a eu un gros lot de mauvaises surprises, parce qu’il y a beaucoup de dilution : le PDF du livre est repris, en entier ou en petits morceaux, par de nombreux acteurs plus ou moins bien intentionnés. Le plus souvent ce sont simplement des banques de PDFs et miroirs informes qui s’efforcent de bien se positionner dans les résultats des moteurs de recherche, puis génèrent un revenu en apposant de la publicité à côté du contenu qu’ils reproduisent. Il y a aussi des plateformes (par exemple Academia.edu pour ne pas les nommer) qui encouragent leurs utilisateurs à republier comme les leurs les travaux des autres, et mon livre fait partie de milliers d’autres qui sont partagés sous une nouvelle licence et en étant mal attribués. Le plus désagréable est certainement de voir mon travail occasionnellement plagié par des universitaires qui ont voulu croire que le livre était simplement déposé dans le domaine public et qu’il n’était pas nécessaire d’en mentionner l’auteur. Mais je pense que ces problèmes sont propres à tous les livres et pas seulement ceux que l’on diffuse sous licence Creative Commons.
Il y a aussi de bonnes surprises ! Recevoir un paquet de correctifs par quelqu’un qui a pris le temps de refaire tes exercices. Recevoir un compliment et un remerciement d’une consœur que tu n’as jamais pu rencontrer. Voir ton PDF téléchargé depuis des adresses IP associées à une ville au milieu du désert algérien, ou bien d’endroits où personne ne n’a jamais vu une librairie universitaire ou une camionnette Amazon. Ces moments à eux seuls font du projet un succès à mes yeux, et ils te porteront toi aussi dans tes efforts.
Dans tout cela, il faut bien voir que les quantités d’argent mises en jeu dans la circulation du livre sont dérisoires, à des années-lumières de la valeur que vont créer les étudiants ingénieurs avec ce qu’ils ont appris à l’aide du manuel. Et surtout, après avoir de bon cœur mis son livre en libre téléchargement et la version papier en vente à prix coûtant, l’auteur/e réalise un matin, comme certainement beaucoup de programmeurs libristes avant lui/elle, que des œuvres concurrentes objectivement bien moins bonnes et beaucoup plus chères se vendent bien mieux.
Où trouver notre place alors dans ce paysage compliqué ? Un livre sous licence Creative Commons peut-il être une bonne réponse au problème ?
Je pense qu’une bonne recette de fabrication pour livre universitaire doit en tout premier satisfaire trois groupes : les auteur/es, les enseignant/es et les étudiant/es. De quoi ont-ils/elles besoin ? Je propose ici mes réponses (évidemment toutes biaisées par mon expérience), en listant les points les plus importants en premier.
Ce que veulent les auteur/es :
Fabriquer une œuvre qui n’est pas cloisonnée, qui peut servir à d’autres si je disparais ou si le projet ne m’intéresse plus (donc quelque chose de ré-éditable, qu’on peut corriger, remettre à jour, traduisible en japonais et tout ça sans devoir obtenir de permission).
Une reconnaissance de mon travail, quelque chose que je peux valoriser dans un CV académique (donc quelque chose qui va être cité par ceux qui s’en servent).
De l’argent, mais pas cent-douze euros par an. Soit le livre contribue significativement à mes revenus, soit je préfère renoncer à gagner de l’argent avec (pour maximiser sa diffusion et m’éviter les misères administratives, la contribution à la sécu des artistes-auteurs ou à l’Urssaf etc).
Ce que veulent les enseignant/es :
Un contenu fiable (un livre bien ancré dans la littérature scientifique existante et dans lequel l’auteur/e n’essaie pas de glisser un point de vue « alternatif » ou personnel).
Un livre remixable, dont on peut reprendre le contenu dans ses diapos ou son polycopié, de façon flexible (ne pas devoir scanner les pages du livre ou bien tout redessiner).
Un livre dont le prix est supportable pour les étudiant/es.
Et enfin, ce que veulent les étudiant/es :
Un livre qui les aide à s’en sortir dans leur cours. C’est d’abord un outil, et il faut survivre aux examens ! Si le livre rend le sujet intéressant, c’est un plus.
Un livre très bon marché, ou encore mieux, gratuit.
Un livre déjà désigné pour elles et eux, et qui correspond bien au programme : personne n’a envie d’arpenter les rayons de bibliothèque ou le catalogue d’Amazon en espérant trouver de l’aide.
On le voit, finalement nous ne sommes pas loin du compte avec des livres sous licence Creative Commons ! Tous les outils importants sont déjà à portée de main, pour créer le livre (avec des logiciels libres en tout genre), l’encadrer (avec des contrats de licence solides) et le distribuer (avec l’Internet pour sa forme numérique et, si nécessaire d’autres plateformes pour sa forme physique). C’est peut-être un évidence, mais il est bon de se rappeler parfois qu’on vit une époque formidable.
Alors, que manque-t-il ? Pourquoi les livres libres n’ont-ils toujours pas envahi les amphis ? Quels sont les points faibles qui rendent l’équation si difficile à résoudre ? Je pense qu’une partie de la réponse vient de nous-mêmes, nous dans les communautés impliquées autour des concepts de culture libre, de partage des connaissances et de logiciels open-source. Voici quelques éléments de critique, que je propose avec beaucoup de respect et en grimaçant un peu car je m’identifie avec ces communautés et m’inclus parmi les responsables.
la monnaie de cette reconnaissance est la citation académique
Je voudrais d’abord me tourner vers les enseignant/es du supérieur. Confrères, consœurs, nous devons citer nos sources dans nos documents de cours, et les publier ! Je sais que construire un cours est un travail très chronophage, souvent fait seul/e et à la volée — comment pourrait-il en être autrement, puisque souvent seul le travail de recherche est valorisé à l’université. Mais trop de nos documents (résumés de cours, exercices, diapositives) ne citent aucune source, et restent en plus coincés dans un intranet universitaire, cachés dans un serveur Moodle, invisibles depuis l’extérieur. Sous nos casquettes de chercheurs, nous sommes déjà les premiers responsables d’une crise sans fin dans l’édition des publications scientifiques. Nous devons faire mieux avec nos chapeaux d’enseignants. Nous le devons à nos étudiants, à qui nous reprochons souvent de faire la même chose que nous. Et nous le devons à ceux et celles dont nous reprenons le travail (les plans de cours, les schémas, les exercices…), qui ont besoin de reconnaissance pour leur partage ; la monnaie de cette reconnaissance est la citation académique. Il faut surmonter le syndrome de l’imposteur : mentionner un livre dans la bibliographie officielle de la fiche descriptive du cours ne suffit pas. Il faut aussi le citer dans ses documents de travail, et les laisser en libre accès ensuite.
Quant aux institutions de l’enseignement supérieur (écoles, instituts, universités en tous genres), je souhaite qu’elles acceptent l’idée que la création de supports de cours universitaires est un processus qui demande de l’argent au même titre que la création de savoir par l’activité de recherche. Il faut y consacrer du temps, et il y a des frais de fonctionnement. Sans cela, on laisse les enseignants perpétuellement réinventer la roue, coincés entre des livres trop courts ou trop chers pour leurs étudiants. Il manque plus généralement une prise de conscience que l’enseignement supérieur a tout d’un processus industriel (il se fait à grande échelle, il a de très nombreux aspects qui sont mesurables directement etc.): nous devons arrêter d’enseigner avec des méthodes de travail qui relèvent de l’artisanat, chacun avec ses petits outils, ses méthodes et son expérience.
Un peu plus loin, au cœur-même des communautés libristes, il y a aussi beaucoup d’obstacles à franchir pour l’auteur/e universitaire : ainsi les défauts de la bibliothèque multimédia communautaire Wikimedia Commons, et du projet Creative Commons en général, pourraient faire chacun l’objet d’un article entier.
Ce que j’ai appris avec ce projet de livre, c’est que travailler à l’intersection de tous ces groupes consomme une certaine quantité d’énergie, parce que mon espoir n’est pas que le fruit de tout ce travail reste à l’intérieur. J’ai envie d’envoyer mon livre de l’autre côté de la colline, où il se retrouve en concurrence avec des manuels de gros éditeurs, parce que c’est ce public que je veux rencontrer — l’espoir n’est pas de faire un livre pour geeks libristes, mais plutôt d’arriver dans les mains d’étudiants qui n’ont pas l’habitude de copier légalement des trucs. Créer ce pont entre deux mondes est un travail en soi. En le réalisant, j’ai appris deux choses.
un travail de communication et de présence en amont.
La première, c’est que nous dépendons toujours d’une plate-forme ou d’une autre. Comme beaucoup d’autres avant moi, je me suis hissé sur les épaules de géants depuis une chambre d’étudiant, en montant une pile de logiciels libres sur mon ordinateur et en me connectant à un réseau informatique global décentralisé. L’euphorie perdure encore jusqu’à ce jour, mais elle ne doit pas m’empêcher d’accepter qu’on ne peut pas toujours tout faire soi-même, et qu’une activité qui implique des transactions financières se fait toujours à l’intérieur d’un ou plusieurs systèmes. Quel que soit son métier, avocate, auteure, chauffagiste, restaurantiste, une personne qui veut s’adresser à un public doit passer par une plate-forme : il faut une boutique avec vitrine sur rue, ou un emplacement dans une galerie commerciale, ou une fiche dans un annuaire professionnel, ou bien un emplacement publicitaire physique ou numérique, ou encore être présent dans un salon professionnel. Chaque public a des attentes particulières. Pour que quelqu’un pense à vous même sans se tourner activement vers une plateforme (simplement en pensant silencieusement « bon il me faut un livre de thermodynamique » ou « bon il faut que quelqu’un répare cette chaudière ») il faut que vous ayez fait un travail de communication et de présence en amont. Toutes les plateformes ne sont pas équivalentes, loin de là ! Le web est certainement une des toutes meilleures, mais là aussi nous voulons trop souvent oublier qu’elle est de facto mécaniquement couplée à une autre, celle du moteur de recherche duquel émanent 92% des requêtes mondiales : c’est ce moteur qu’il faut satisfaire pour y grandir.
Autre plateforme, Amazon: l’utiliser pour distribuer ses livres, c’est participer à beaucoup de choses difficiles à accepter sociétalement. Framasoft a fait le choix de ne plus l’utiliser, et c’est tout à leur honneur, d’autant plus lorsqu’on voit le travail qu’ils abattent pour en construire de meilleures, des plateformes ! Personnellement, j’ai choisi de continuer à y vendre mon livre, car il y a des publics pour lesquels un livre qui n’est pas sur Amazon n’existe pas. Idem pour Facebook, sur lequel je viens bon gré mal gré de me connecter pour la première fois, parce que mon livre s’y partage que je le veuille ou non et que je voudrais bien voir ça de plus près. Ainsi, au cours des dernières années j’ai appris à observer les flux au delà de la connexion entre mon petit serveur et mon petit ordinateur.
La seconde chose que j’ai apprise, c’est que nous avons, nous au sein des communautés du logiciel et de la culture libres, une relation assez dysfonctionnelle à l’argent. Il nous manque globalement de l’argent, ça je le savais déjà (j’ai fondé et travaillé à plein temps pour une association sont les objectifs ressemblaient un peu à ceux de Framasoft il y a 15 ans), mais j’avais toujours attribué cela à de vagues circonstances extérieures. Maintenant, je suis convaincu qu’une grande part de responsabilité nous revient : il nous manque de la culture et de la sensibilité autour de l’argent et du commerce. Dès que l’on professionnalise son activité, on vient à bout du credo « il est seulement interdit d’interdire » que nous avons adopté pour encadrer le partage des biens communs culturels. Nos licences et nos organisations sont en décalage avec la réalité et nous faisons collectivement un amalgame entre « amateur », « non-commercial » et « à but non-lucratif ». — j’y reviendrai dans un autre article.
Voilà tout ce que j’ai en tête lors que je me demande où sont les livres universitaires libres. Qui sera là pour faire un pont entre tous ces mondes ? Il y a quelques années, le terme “Open Educationnal Resource” (OER ou en français REL) a pris de l’essor un peu comme le mot-clé “MOOC”, une idée intéressante pas toujours suivie d’applications concrètes. Plusieurs projets ont été lancés pour éditer des livres et cours universitaires libres. Aujourd’hui beaucoup on jeté l’éponge : Lyryx, Boundless, Flatworld, Tufts OpenCourseWare, Bookboon se sont arrêtés ou tournés vers d’autres modèles. Il reste, à ma connaissance, un seul éditeur avec un catalogue substantiel et à jour (je ne vous cache pas que je rêve d’y contribuer un jour) : c’est OpenStax, une organisation américaine à but non-lucratif, avec une quarantaine de manuels en anglais. Et dans la sphère francophone ? Un groupe de geeks de culture libre arrivera-t-il jamais à faire peur à tout le monde en mettant dans les mains des étudiants des outils qu’ils peuvent utiliser comme ils le veulent ?
Partagez l’inventaire de votre bibliothèque avec vos proches sur inventaire.io
Inventaire.io est une application web libre qui permet de faire l’inventaire de sa bibliothèque pour pouvoir organiser le don, le prêt ou la vente de livres physiques. Une sorte de méga-bibliothèque communautaire, si l’on veut. Ces derniers mois, Inventaire s’est doté de nouvelles fonctionnalités et on a vu là l’occasion de valoriser ce projet auprès de notre communauté. On a donc demandé à Maxlath et Jums qui travaillent sur le projet de répondre à quelques unes de nos questions.
Chez Framasoft, on a d’ailleurs créé notre inventaire où l’on recense les ouvrages qu’on achète pour se documenter. Cela permet aux membres de l’association d’avoir un accès facile à notre bibliothèque interne. On a aussi fait le choix de proposer ces documents en prêt, pour que d’autres puissent y accéder.
Salut Maxlath et Jums ! Pouvez-vous vous présenter ?
Nous sommes une association de deux ans d’existence, développant le projet Inventaire, centré autour de l’application web inventaire.io, en ligne depuis 2015. On construit Inventaire comme une infrastructure libre, se basant donc autant que possible sur des standards ouverts, et des logiciels et savoirs libres : Wikipédia, Wikidata, et plus largement le web des données ouvertes.
L’association ne compte aujourd’hui que deux membres, mais le projet ne serait pas où il en est sans les nombreu⋅ses contributeur⋅ices venu⋅es nous prêter main forte, notamment sur la traduction de l’interface, la contribution aux données bibliographiques, le rapport de bugs ou les suggestions des nouvelles fonctionnalités.
Vous pouvez nous en dire plus sur Inventaire.io ? Ça sert à quoi ? C’est pour qui ?
Inventaire.io se compose de deux parties distinctes :
D’une part, une application web qui permet à chacun⋅e de répertorier ses livres en scannant le code barre par exemple. Une fois constitué, cet inventaire est rendu accessible à ses ami⋅es et groupes, ou publiquement, en indiquant pour chaque livre si l’on souhaite le donner, le prêter, ou le vendre. Il est ensuite possible d’envoyer des demandes pour ces livres et les utilisateur⋅ices peuvent prendre contact entre elleux pour faire l’échange (en main propre, par voie postale, peu importe, Inventaire n’est plus concerné).
D’autre part, une base de données publique sur les auteurs, les œuvres, les maisons d’éditions, etc, qui permet à chacun⋅e de venir enrichir les données, un peu comme dans un wiki. Le tout organisé autour des communs de la connaissance (voir plus bas) que sont Wikipédia et Wikidata. Cette base de données bibliographiques permet d’adosser les inventaires à un immense graphe de données dont nous ne faisons encore qu’effleurer les possibilités (voir plus bas).
Inventaire.io permettant de constituer des bibliothèques distribuées, le public est extrêmement large : tou⋅tes celleux qui ont envie de partager des livres ! On a donc très envie de dire que c’est un outil pour tout le monde ! Mais comme beaucoup d’outils numériques, l’outil d’inventaire peut être trop compliqué pour des personnes qui ne baignent pas régulièrement dans ce genre d’applications. C’est encore pire une fois que l’on rentre dans la contribution aux données bibliographiques, où on aimerait concilier richesse de la donnée et facilité de la contribution. Cela dit, on peut inventorier ses livres sans trop se soucier des données, et y revenir plus tard une fois qu’on se sent plus à l’aise avec l’outil.
Par ailleurs, on rêverait de pouvoir intégrer les inventaires des professionnel⋅les du livre, bibliothèques et librairies, à cette carte des ressources, mais cela suppose soit de l’interopérabilité avec leurs outils existants, soit de leur proposer d’utiliser notre outil (ce que font déjà de petites bibliothèques, associatives par exemple), mais inventaire.io nous semble encore jeune pour une utilisation à plusieurs milliers de livres.
Quelle est l’actualité du projet ? Vous prévoyez quoi pour les prochains mois / années ?
L’actualité de ces derniers mois, c’est tout d’abord de nouvelles fonctionnalités :
les étagères, qui permettent de grouper des livres en sous-catégories, et qui semble rencontrer un certain succès ;
la mise en place de rôles, qui va permettre notamment d’ouvrir les taches avancées d’administration des données bibliographiques (fusions/suppressions d’édition, d’œuvre, d’auteur etc.) ;
l’introduction des collections d’éditeurs, qui permettent de valoriser le travail de curation des maisons d’édition.
Pas mal de transitions techniques sous le capot aussi. On n’est pas du genre à changer de framework tous les quatre matins, mais certains choix techniques faits au départ du projet en 2014 – CoffeeScript, Brunch, Backbone – peuvent maintenant être avantageusement remplacés par des alternatives plus récentes – dernière version de Javascript (ES2020), Webpack, Svelte – ce qui augmente la maintenabilité et le confort, voire le plaisir de coder.
Autre transition en cours, notre wiki de documentation est maintenant une instance MediaWiki choisie entre autres pour sa gestion des traductions.
Le programme des prochains mois et années n’est pas arrêté, mais il y a des idées insistantes qu’on espère voir germer prochainement :
la décentralisation et la fédération (voir plus bas) ;
les recommandations entre lectrices : aujourd’hui on peut partager de l’information sur les livres que l’on possède, mais pas les livres que l’on apprécie, recommande ou recherche. Même si une utilisation détournée de l’outil est possible en ce sens et nous met aussi en joie (oui, c’est marrant de voir des humains détourner une utilisation), on devrait pouvoir proposer quelque chose pensé pour ;
des paramètres de visibilité d’un livre ou d’une étagère plus élaborés : aujourd’hui, les seuls modes de partage possible sont privé/amis et groupes/public, or amis et groupes ça peut être des personnes très différentes avec qui on n’a pas nécessairement envie de partager les mêmes choses.
Enfin tout ça c’est ce qu’on fait cachés derrière un écran, mais on aimerait bien aussi expérimenter avec des formats d’évènements, type BiblioParty : venir dans un lieu avec une belle bibliothèque et aider le lieu à en faire l’inventaire.
C’est quoi le modèle économique derrière inventaire.io ? Quelles sont/seront vos sources de financement ?
Pendant les premières années, l’aspect « comment on gagne de l’argent » était une question volontairement laissée de côté, on vivait avec quelques prestations en micro-entrepreneurs, notamment l’année dernière où nous avons réalisé une preuve de concept pour l’ABES (l’Agence bibliographique pour l’enseignement supérieur) et la Bibliothèque Nationale de France. Peu après, nous avons fondé une association loi 1901 à activité économique (voir les statuts), ce qui devrait nous permettre de recevoir des dons, que l’on pourra compléter si besoin par de la prestation de services. Pour l’instant, on compte peu sur les dons individuels car on est financé par NLNet via le NGI0 Discovery Fund.
Et sous le capot, ça fonctionne comment ? Vous utilisez quoi comme technos pour faire tourner le service ?
Le serveur est en NodeJS, avec une base de données CouchDB, synchronisé à un Elasticsearch pour la recherche, et LevelDB pour les données en cache. Ce serveur produit une API JSON (documentée sur https://api.inventaire.io) consommée principalement par le client : une webapp qui a la responsabilité de tout ce qui est rendu de l’application dans le navigateur. Cette webapp consiste en une bonne grosse pile de JS, de templates, et de CSS, initialement organisée autour des framework Backbone.Marionnette et Handlebars, lesquels sont maintenant dépréciés en faveur du framework Svelte. Une visualisation de l’ensemble de la pile technique peut être trouvée sur https://stack.inventaire.io.
Le nom est assez français… est-ce que ça ne pose pas de problème pour faire connaître le site et le logiciel à l’international ? Et d’ailleurs, est-ce que vous avez une idée de la répartition linguistique de vos utilisatrices ? (francophones, anglophones, germanophones, etc.)
Oui, le nom peut être un problème au début pour les non-francophones, lequel⋅les ne savent pas toujours comment l’écrire ou le prononcer. Cela fait donc un moment qu’on réfléchit à en changer, mais après le premier contact, ça ne semble plus poser de problème à l’utilisation (l’un des comptes les plus actifs étant par exemple une bibliothèque associative allemande), alors pour le moment on fait avec ce qu’on a.
En termes de répartition linguistique, une bonne moitié des utilisateur⋅ices et contributeur⋅ices sont francophones, un tiers anglophones, puis viennent, en proportion beaucoup plus réduite (autour de 2%), l’allemand, l’espagnol, l’italien, suivi d’une longue traîne de langues européennes mais aussi : arabe, néerlandais, portugais, russe, polonais, danois, indonésien, chinois, suédois, turc, etc. À noter que la plupart de ces langues ne bénéficiant pas d’une traduction complète de l’interface à ce jour, il est probable qu’une part conséquente des utilisatrices utilisent l’anglais, faute d’une traduction de l’interface satisfaisante dans leur langue (malgré les 15 langues traduites à plus de 50%).
À ce que je comprends, vous utilisez donc des données provenant de Wikidata. Pouvez-vous expliquer à celles et ceux qui parmi nous ne sont pas très au point sur la notion de web de données quels sont les enjeux et les applications possibles de Wikidata ?
Tout comme le web a introduit l’hypertexte pour pouvoir lier les écrits humains entre eux (par exemple un article de blog renvoie vers un autre article de blog quelque part sur le web), le web des données ouvertes permet aux bases de données de faire des liens entre elles. Cela permet par exemple à des bibliothèques nationales de publier des données bibliographiques que l’on peut recouper : « Je connais cette auteure avec tel identifiant unique dans ma base. Je sais aussi qu’une autre base de données lui a donné cet autre identifiant unique ; vous pouvez donc aller voir là-bas s’ils en savent plus ». Beaucoup d’institutions s’occupent de créer ces liens, mais la particularité de Wikidata, c’est que, tout comme Wikipédia, tout le monde peut participer, discuter, commenter ce travail de production de données et de mise en relation.
Est-ce qu’il serait envisageable d’établir un lien vers la base de données de https://www.recyclivre.com/ quand l’ouvrage recherché ne figure dans aucun « inventaire » de participant⋅es ?
Ça pose au moins deux problèmes :
Ce service et d’autres qui peuvent être sympathiques, telles que les plateformes mutualisées de librairies indépendantes (leslibraires.fr, placedeslibraires.fr, librairiesindependantes.com, etc.), ne semblent pas intéressés par l’inter-connexion avec le reste du web, construisant leurs URL avec des identifiants à eux (seul le site librairiesindependantes.com semble permettre de construire une URL avec un ISBN, ex : https://www.librairiesindependantes.com/product/9782253260592/) et il n’existe aucune API publique pour interroger leurs bases de données : il est donc impossible, par exemple, d’afficher l’état des stocks de ces différents services.
D’autre part, recyclivre est une entreprise à but lucratif (SAS), sans qu’on leur connaisse un intérêt pour les communs (code et base de données propriétaires). Alors certes ça cartonne, c’est efficace, tout ça, mais ce n’est pas notre priorité : on aimerait être mieux connecté avec celleux qui, dans le monde du livre, veulent participer aux communs : les bibliothèques nationales, les projets libres comme OpenLibrary, lib.reviews, Bookwyrm, Readlebee, etc.
Cependant la question de la connexion avec des organisations à but lucratif pose un vrai problème : l’objectif de l’association Inventaire — cartographier les ressources où qu’elles soient — implique à un moment de faire des liens vers des organisations à but lucratif. En suivant l’esprit libriste, il n’y a aucune raison de refuser a priori l’intégration de ces liens, les développeuses de logiciels libres n’étant pas censé contraindre les comportements des utilisatrices ; mais ça pique un peu de travailler gratuitement, sans contrepartie pour les communs.
En quoi inventaire.io participe à un mouvement plus large qui est celui des communs de la connaissance ?
Inventaire, dans son rôle d’annuaire des ressources disponibles, essaye de valoriser les communs de la connaissance, en mettant des liens vers les articles Wikipédia, vers les œuvres dans le domaine public disponibles en format numérique sur des sites comme Wikisource, Gutenberg ou Internet Archive. En réutilisant les données de Wikidata, Inventaire contribue également à valoriser ce commun de la connaissance et à donner à chacun une bonne raison de l’enrichir.
Inventaire est aussi un commun en soi : le code est sous licence AGPL, les données bibliographiques sous licence CC0. L’organisation légale en association vise à ouvrir la gouvernance de ce commun à ses contributeur⋅ices. Le statut associatif garantit par ailleurs qu’il ne sera pas possible de transférer les droits sur ce commun à autre chose qu’une association poursuivant les mêmes objectifs.
Si je suis une organisation ou un particulier qui héberge des services en ligne, est-ce que je peux installer ma propre instance d’inventaire.io ?
C’est possible, mais déconseillé en l’état. Notamment car les bases de données bibliographiques de ces différentes instances ne seraient pas synchronisées, ce qui multiplie par autant le travail nécessaire à l’amélioration des données. Comme il n’y a pas encore de mécanisme de fédération des inventaires, les comptes de votre instance seraient donc isolés. Sur ces différents sujets, voir cette discussion : https://github.com/inventaire/inventaire/issues/187 (en anglais).
Cela dit, si vous ne souhaitez pas vous connecter à inventaire.io, pour quelque raison que ce soit, et malgré les mises en garde ci-dessus, vous pouvez vous rendre sur https://github.com/inventaire/inventaire-deploy/ pour déployer votre propre instance « infédérable ». On va travailler sur le sujet dans les mois à venir pour tendre vers plus de décentralisation.
A l’heure où il est de plus en plus urgent de décentraliser le web, envisagez-vous qu’à terme, il sera possible d’installer plusieurs instances d’inventaire.io et de les connecter les unes aux autres ?
Pour la partie réseau social d’inventaires, une décentralisation devrait être possible, même si cela pose des questions auquel le protocole ActivityPub ne semble pas proposer de solution. Ensuite, pour la partie base de données contributives, c’est un peu comme si on devait maintenir plusieurs instances d’OpenStreetMap en parallèle. C’est difficile et il semble préférable de garder cette partie centralisée, mais puisqu’il existe plein de services bibliographiques différents, il va bien falloir s’interconnecter un jour.
Vous savez sûrement que les Chevaliers Blancs du Web Libre sont à cran et vont vous le claironner : vous restez vraiment sur GitHub pour votre dépôt de code https://github.com/inventaire ou bien… ?
La pureté militante n’a jamais été notre modèle. Ce compte date de 2014, à l’époque Github avait peu d’alternatives… Cela étant, il est certain que nous ne resterons pas éternellement chez Microsoft, ni chez Transifex ou Trello, mais les solutions auto-hébergées c’est du boulot, et celles hébergées par d’autres peuvent se révéler instables.
Si on veut contribuer à Inventaire.io, on fait ça où ? Quels sont les différentes manière d’y contribuer ?
Il y a plein de manières de venir contribuer, et pas que sur du code, loin de là : on peut améliorer la donnée sur les livres, la traduction, la documentation et plus généralement venir boire des coups et discuter avec nous de la suite ! Rendez-vous sur https://wiki.inventaire.io/wiki/How_to_contribute/fr.
Est-ce que vous avez déjà eu vent d’outils tiers qui utilisent l’API ? Si oui, vous pouvez donner des noms ? À quoi servent-ils ? Readlebee et Bookwyrm sont des projets libres d’alternatives à GoodReads. Le premier tape régulièrement dans les données bibliographiques d’Inventaire. Le second vient de mettre en place un connecteur pour chercher de la donnée chez nous. A noter : cela apporte une complémentarité puisque ces deux services sont orientés vers les critiques de livres, ce qui reste très limité sur Inventaire.
Et comme toujours, sur le Framablog, on vous laisse le mot de la fin !
Inventaire est une app faite pour utiliser moins d’applications, pour passer du temps à lire des livres, papier ou non, et partager les dernières trouvailles. Pas de capture d’attention ici, si vous venez deux fois par an pour chiner des bouquins, ça nous va très bien ! Notre contributopie c’est un monde où l’information sur la disponibilité des objets qui nous entoure nous affranchit d’une logique de marché généralisée. Un monde où tout le monde peut contribuer à casser les monopoles de l’information sur les ressources que sont les géants du web et de la distribution. Pouvoir voir ce qui est disponible dans un endroit donné, sans pour autant dépendre ni d’un système cybernétique central, ni d’un marché obscur où les entreprises qui payent sont dorlotées par un algorithme de recommandations.
Merci beaucoup Maxlath et Jums pour ces explications et on souhaite longue vie à Inventaire. Et si vous aussi vous souhaitez mettre en commun votre bibliothèque, n’hésitez pas !