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Pouhiou balance les hashtags #danstaface

Avec la publication de Smartarded la collection Framabook s’enrichit d’un feuilleton capricant et croquignolet, dont l’écriture rigoureusement fantaisiste surprendra agréablement plus d’un libriste. Une lecture jouissive, on vous dit. Que les thuriféraires de Paulo Coelho passent leur chemin, ici pas de spiritualité pour enfant de chœur prépubère, mais de la pure idée biscornue distillée dans l’alambic d’un Ariégeois dopé aux blogs, aux zachetagues et à la création Libre. Il s’agit de Pouhiou, avec lequel vous allez faire connaissance avant de pouvoir le rencontrer en chair et en os samedi prochain…quand il est sérieux (quatre minutes par semaine en moyenne) il peut évoquer de façon bien intéressante sa trajectoire de libriste…


Comment as-tu connu Framasoft ?

Quand j’ai commencé à passer d’Internet Explorer à Firefox, j’ai découvert le logiciel libre. Assez vite, je suis tombé sur cet annuaire formidable de logiciels et de modes d’emploi. J’ai pas l’impression d’être “un vrai” libriste : je suis encore sous OS privateur, enfermé chez google, exposé sur facebook… Mais j’ai toujours cru au fait que des passionnés partageant leur ouvrage feront mieux que quelques pros commercialisant leur boulot. C’est pour ça que j’ai été fan-subber ! Quoi qu’il en soit, à chaque nouvel ordi, je faisais un petit framapack. Régulièrement j’y ai découvert des solutions libres.

De là à faire un Framabook… comment ça s’est passé au juste ?

En Juin 2012, juste après avoir achevé le dernier épisode du livre I sur mon blog, je vais à une conférence sur le libre à Toulouse. Une conférence donnée par Alexis Kauffmann. Et là je retourne sur Framasoft. Je vois le Framablog, les Framabooks. Je me décide à les contacter… Mais pas pour être édité. Non… en vérité, je voulais juste qu’ils me fassent de la pub ! J’ai fait un pauvre email genre “bonjour, j’ai écrit/blogué ce roman chaque jour les 4 derniers mois, je me suis rendu compte que ce que j’écris est libre, donc je l’ai mis sous CC0. Si ça vous amuse ou si vous voulez en parler, je suis là. Bisous.”

Là-dessus, Christophe Masutti me répond que la collection FramaBook cherche à éditer un roman. Moi j’étais déjà parti dans un trip d’auto-édition en crowd-funding juste pour les potes et les quelques lecteurs du blog qui n’en voulaient… Du coup ça perturbait tout ! Mais on a proposé le roman au comité de lecture et on s’est lancés dans l’aventure.

Tu as manifestement pris plaisir au défi quotidien de l’écriture en ligne pour le premier tome des NoéNautes, est-ce que ce plaisir ne s’est pas émoussé en affrontant le temps plus long des révisions avant publication en Framabook. Ce n’est pas un peu frustrant pour un créateur libre ?

Ce plaisir là ne s’est pas émoussé : il a laissé la place à un plaisir tout autre ! L’écriture est un moment assez solitaire. Là, en plus, il y avait la tenue du blog, la recherche et le travail de fichiers d’illustrations, trouver des idées pour que les lecteur-trice-s partagent, faires des fichiers epub à chaque chapitre, faire le community manager, etc… Et même si pleins de gens m’ont aidé, même si tout le long on a soutenu et diffusé le projet… J’ai un peu fait tout seul, avec mes mimines. Et je m’apprêtais à faire de même pour un petit tirage papier…

C’est là qu’arrive Framabook et son équipe. Ils s’emparent de ce roman. Le questionnent. Le corrigent. Le tiraillent. Lui proposent d’autres directions, parfois pour au final faire marche arrière, parfois pour aller plus loin… Et tout cela prend du temps. Des discussions, des réflexions, des moments où on oublie tout pendant quelques jours histoire de se repencher dessus avec la tête froide…

Ça m’a fait un bien fou. Le fait de prendre le temps et le recul, de ne pas être dans l’urgence. Le fait de nourrir ce roman des regards auxquels il se confronte. C’est pour moi un rôle-clé de l’éditeur. Renvoyer la balle à l’auteur. Le pousser dans ses retranchements ou le faire monter au filet. L’avantage, c’est qu’avec Framabook, on travaille en équipe. On bosse avec des gens qui ne tiennent pas à faire reluire leur égo, mais juste à améliorer sincèrement l’ouvrage commun.

Mais bon en abandonnant tes droits tu ne gagnes rien, tu ne te considères pas comme un auteur à part entière ?

C’est drôle comme en France, on relie le statut artistique au copyright. Tu n’es auteur QUE si tu touches des droits. Moi je croyais qu’il fallait écrire, mais non. Si tu “abandonnes” tes droits, il doit y avoir un piège. Déjà c’est plus commercialisable. C’est que ton œuvre ne vaut pas grand chose. Et par extension, toi non plus…
C’est formidable comme tout cela est faux !
Tu sais que mon contrat de 15 % avec Framabook fait que je touche mieux que n’importe quel jeune auteur (contrats entre 5 et 8 %) voire qu’un Marc Lévy ou une Amélie Nothomb (entre 10 et 12 %) ?  Alors bien entendu, on n’a pas les mêmes volumes de vente. Mais ça, il ne tient qu’à la communauté de faire connaître et soutenir notre initiative. Et pour que ça arrive, c’est à nous, vrai éditeur ou pas vrai éditeur ; vrai auteur ou pas vrai auteur… C’est à nous de faire les meilleurs bouquins possibles. Un livre que tu aies envie de partager, tout simplement.

Vous retrouverez Pouhiou et son univers sous amphétamines ce samedi pour une séance de dédicace à Paris… Cliquez sur l’image ci-dessous pour l’agrandir.

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Crédit Photo Pouhiou Noelle-Ballestrero (CC-BY)




Benjamin Jean, guide dans la jungle des licences libres

Depuis sa parution l’an dernier, le Framabook de Benjamin Jean « Option libre » s’est imposé comme un ouvrage de référence, à la fois par son caractère didactique et documenté et parce qu’il s’avère un bon guide dans le maquis touffu des licences libres. Il permet en effet de définir sa propre stratégie pour choisir la licence libre la mieux adaptée à chaque projet. D’ailleurs son titre est judicieusement complété par « Du bon usage des licences libres »…

Ce n’est pas une mince qualité par ailleurs d’avoir rendu accessibles des notions juridiques dont Benjamin est un fin connaisseur, c’est un ouvrage qu’on peut saluer pour son souci de vulgarisation. En cela, il est parfaitement dans l’esprit des Framabooks qui prétendent partager le savoir, et bien au-delà du seul domaine du logiciel, apporter leur contribution à une éducation populaire.

Retour sur la petite histoire de ce livre et les valeurs dont il témoigne…

Pourquoi as-tu choisi de diffuser largement un essai qui semble destiné d’abord aux spécialistes du droit de la propriété intellectuelle dont tu fais partie ? Ça nous concerne vraiment ?

— Premier point, l’ouvrage n’est pas destiné aux spécialistes de la propriété intellectuelle (même si on y retrouve effectivement des réflexions qui ont fait l’objet de publications dans des revues spécialisées), mais bien à tous ceux que la propriété intellectuelle touche de près ou de loin — ce qui est beaucoup plus large 🙂

En effet, je trouve paradoxal qu’un droit aussi présent sur internet, dans le numérique, etc. soit si peu accessible au grand public. Cela pour au moins deux raisons :

  1. Le droit est un outil destiné à gérer (entendre « faciliter») les relations sociales, les liens entre les personnes : à ce titre, l’intérêt de diffuser très largement toutes les connaissances le concernant m’est paru évident (ce qui permet par ailleurs — peut-être — de redorer l’image du juriste qui, en « spécialiste du droit », en ferait son monopole) ;
  2. la place du public, des utilisateurs, au sein de la propriété intellectuelle (disons de la multitude des droits composants ce que l’on nomme propriété intellectuelle) est primordiale puisque la légitimité de cette propriété (sur l’« immatériel ») dépend de l’équilibre qu’elle formalise entre les intérêts des auteurs/créateurs et de la société. Il est donc important que le public prenne conscience du rôle actif qui lui incombe (et ne s’enferme pas dans l’image du pirate qu’on veut parfois lui donner).

Par ailleurs, et j’aurais pu commencer par là, la propriété intellectuelle est un domaine qui me passionne, certainement parce que j’aime l’exercice du droit, sa logique, ainsi que l’objet de la propriété intellectuelle : l’art, la musique, les NTIC, etc.) — et le partage d’une passion est naturel…

Donc oui, cet ouvrage concerne toute personne sensibilisée à la création et l’innovation à l’ère du numérique — du néophyte à l’expert, sachant que je suis dans l’attente de tout commentaire qui me permettrait de le perfectionner. L’objet initial (les licences libres) a rapidement été étendu au regard du cruel manque de bases (ouvrages notamment) sur lesquelles développer une réflexion sur les licences libres (et ça n’avait, à mes yeux, aucun sens de parler des licences libres sans les resituer au regard du système traditionnel et des différents courants de pensée qui le parsèment). J’ai déjà identifié quelques axes de perfectionnement (et la correction de coquilles), mais je crois qu’« Option Libre » constitue une bonne base de réflexion sur laquelle il est possible de rédiger des ouvrages plus techniques (ou “métiers”).

On reproche parfois aux licences libres leur démultiplication qui les rend difficilement « lisibles » pour qui ne s’est pas penché avec soin sur chaque particularité. Comment selon toi peut-on justifier leur foisonnement ?

— La réponse la plus courte serait certainement de renvoyer à l’ouvrage sur l’histoire du Libre qui devrait être publié au sein de la collection Framabook dès la fin de cet hiver. J’y contribue notamment au travers d’un article sur l’histoire des licences libres dans lequel j’essaie de peindre une fresque suffisamment large pour que les différentes motivations — plus ou moins bonnes — ayant emporté ces nouvelles licences s’y retrouvent.

Tout ce que je peux dire actuellement — et pour résumer les 20 pages —, c’est qu’une telle étude historique de l’apparition, mais surtout de l’évolution, des licences libres permet de mettre en avant l’intérêt de la licence comme « contrat social favorisant le travail communautaire ». La licence est donc le contrat qui relie les contributeurs d’une communauté et, à cet égard, on comprend facilement que des communautés aient cherché à formaliser leur propre contrat — certainement mieux adapté à leurs besoins. Il faut ensuite ajouter l’aspect politique (et parfois marketing) qui a conduit de nombreuses entreprises (et acteurs publics) à privilégier la rédaction de nouvelles licences, sans nécessairement que ce choix soit stratégiquement pertinent.

On se retrouve au final avec des centaines de licences libres, voire des milliers si on compte les variantes, mais — honnêtement — le travail de lecture (et de compréhension) est souvent beaucoup plus simple que pour une licence commerciale classique (puisque chacune est spécifique). Ainsi, le livre donne quelques clés (et notamment une “grille de lecture”) pour faciliter l’appréhension des licences libres (qui, en dépit de toutes ces différences, partagent énormément de points communs).


Tu as choisi une publication Framabook, quel intérêt y vois-tu, par rapport à d’autres supports d’édition numérique ?

— Le choix a été très simple puisque j’étais déjà impliqué dans Framasoft lors de la publication des premiers Framabooks et qu’Alexis m’avait mis au défi de rédiger un ouvrage sur les licences libres…. Un certain nombre d’années auront été nécessaires pour que je trouve le temps nécessaire à l’ouvrage — bien 5-6 ans, j’ai d’ailleurs publié entre-temps le Guide Open Source, mais le pari est tenu. Ayant été sensibilisé aux problématiques des développeurs au travers de la Framagora (ce qui avait mené, un peu plus tard, à la création de l’association Veni, Vidi, Libri), la publication d’un ouvrage sur les licences libres était à mes yeux une évidence puisqu’il s’agissait certainement de la contribution la plus utile que j’étais en mesure de produire.

Tu vas samedi à la rencontre de véritables lecteurs en chair et en os, tu ne redoutes pas d’être pris à parti par un trolleur de licences ;-) ?

— Pour la petite histoire, c’est l’image qui m’avait accueilli lors de mes premiers posts sur LinuxFr.
    Je dois avouer que les premières fois n’étaient pas des plus agréables (d’autant plus que je produisais un travail relativement conséquent sur les sujets sur lesquels je m’exprimais), mais j’ai finalement vite appris à relativiser (la première page de mon mémoire de DEA sur les compatibilités entre licences était d’ailleurs illustrée par un énorme troll poilu…) et les commentaires qui visent les juristes sont aujourd’hui beaucoup moins virulents qu’auparavant. On a tous à apprendre des autres et je suis toujours aussi content de partager autour d’une passion commune.
    Donc aujourd’hui, je ne saurai pas tout à fait expliquer ce qui a changé (mon discours certainement, mais les communautés aussi me semble-t-il) mais je n’ai plus cette crainte. Le juriste n’est plus le diable.

Vous retrouverez Benjamin et sa passion pour le Libre ce samedi pour une séance de dédicace et troll en live… Cliquez sur l’image ci-dessous pour l’agrandir.

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Crédit photo Benjamin Jean : teemu-mantynen (CC BY-SA 2.0)




Rencontre dédicace avec 3 auteurs de la collection Framabook le 8 décembre à Paris

Pouhiou - Toulouse - Capitole du Libre 2012

Le saviez-vous ? On trouve désormais l’intégralité de notre collection de livres libres Framabook dans les rayons d’une sympathique librairie parisienne au nom fort bien choisi : « A Livr’Ouvert » qui se situe 171 bis boulevard Voltaire.

Pour fête dignement cela, nous vous invitons samedi 8 décembre entre 16h et 18h30 à une rencontre dédicace avec trois auteurs de la collection : Simon Gee Giraudot (ci-dessous sur la photo), Benjamin Jean et Pouhiou (ci-dessus sur la photo).

Ils partagent le même engagement en faveur du Libre mais leurs ouvrages respectifs s’inscrivent ici dans la diversité puisqu’on a une BD, un essai et un roman.

Alexis Kauffmann (aKa) et d’autres membres de la dream team Framasoft seront également présents, sans oublier quelques chatons fraîchement sauvés du Pack Liberté.

Dernier argument : un apéro sera offert pour l’occasion 😉

Important : Si vous comptez en être merci de remplir ce framadate qui nous permettra de nous compter afin de mieux nous organiser.

  • Rencontre Framabook à la Libraire « A Livr’Ouvert »
  • Samedi 8 décembre de 16h à 18h30
  • 171 bis boulevard Voltaire 75011 Paris (Métro Charonne)
  • OpenStreetMap

Gee - Festival BD engagée

Crédit photos : Pierre Selim et aKa (Creative Commons By)




Nouveau Framabook : « Au temps pour moi » tome 4 de la série BD Geektionnerd

Nous sommes tellement contents de vous présenter ce nouvel opus Framabook que nous allons le faire trois fois :

En mode « BD à la cool »

(par son auteur même, c’était bien le moins)

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

En mode « communiqué de presse »

(parce qu’on sait aussi être sérieux parfois)

Des journées portes-ouvertes dans un laboratoire de mathématiques fondamentales, ça n’a rien de très excitant. Sauf lorsqu’on y découvre un mystérieux modem temporel qui pourrait bien amener les trois amis bien plus loin qu’ils n’auraient pu l’imaginer…

Pour cette 4e aventure, Gee (Simon Giraudot) met sa verve et son humour au service d’un conte retourverslefuturiste à la morale joyeusement libertaire. Au programme : voyage dans le temps over-clocké, redémarrage de systèmes totalitaires, et compilation de piques sur les brevets et la propriété intellectuelle !

Depuis 3 ans qu’il tient le blog geektionnerd.net (sans oublier sa chronique hebdomadaire ici-même), Gee a eu le temps d’affiner sa plume. Sur son site, il alterne des planches de courtes définitions, et les longs récits publiés dans la collection Framabook. Cette 4e histoire est forte de cette expérience. Les références geeks sont présentes et pointues, tout en restant accessibles pour l’internaute lambda. Trouvant un bel équilibre entre narration et humour, le récit de Gee sort ses héros de leur quotidien, et séduit par son audace. Une BD libre à lire pour réfléchir, pour rire et pour le plaisir.

En mode « Marketing TF1 »

(avec la participation de quelques membres de Locaux Motiv’)

Locaux Motiv' - Geektionnerd Tome 4

-> Pour vous procurer l’ouvrage

-> Retrouvez toute la collection Framabook




Oppikirjamaraton ou comment écrire un manuel scolaire libre en un week-end !

Je suis professeur de mathématiques et à l’initiative de Framasoft. Un tel projet ne pouvait me faire plus plaisir. Vous verrez qu’un jour de plus en plus de manuels seront rédigés ainsi…

Imaginez un groupe d’enseignants qui se retrouvent le week-end pour rédiger ensemble et de A à Z un manuel scolaire sous licence libre ! (La licence libre est la Creative Commons By, d’où mention sur leur blog, d’où notre traduction ci-dessous).

Il n’ont pas tout à fait achevé l’entreprise dans le temps imparti puisque le livre se trouve aujourd’hui en version 0.92 (et en LaTeX) sur GitHub. Vous pouvez de suite vous rendre compte du résultat actuel en cliquant directement sur le PDF (dont les premières pages vous proposent de soutenir le projet via Flattr et Bitcoin !).

Au delà de son ô combien utile finalité ce fut également une belle et libre aventure humaine

Vapaa Matikka

Oppikirjamaraton : comment écrire un manuel scolaire libre en un week-end

Oppikirjamaraton: How to Write an Open Textbook in a Weekend

Elliot Harmon – 31 octobre 2012 – Creative Commons Blog
(Traduction : Cyrille L., Kodoque, Nyx, kamui57, Naar, pac)

Il y a quelques semaines de cela nous avons vu passer ce tweet surprenant :

Il nous fallait en savoir plus. J’ai donc contacté Joonas Mäkinen pour avoir davantage d’informations, et il m’expliqua qu’il a participé à monter une équipe pour écrire un manuel scolaire de mathématiques de cycle secondaire tout le long d’un week-end, lors d’un évènement appelé Oppikirjamaraton (marathon du livre scolaire). Le choix de la licence du livre s’est porté sur la Creative COmmons BY, pour que chacun puisse le réutiliser, le modifier et le traduire, en Finlande et dans le reste du monde.

Le texte, désormais en version 0.91 sur GitHub, s’intitule Vapaa Matikka. Le titre se traduit par « Mathématiques libres et gratuites », mais sachant que matikka signifie également lotte en finlandais, on peut aussi le lire comme du « Poisson libre ». Et son slogan, Matikka verkosta vapauteen, devient alors soit un cri de ralliement pour garder les ressources éducatives libres et gratuites, soit un mode d’emploi pour libérer un poisson d’un filet ! (d’où la forme suggérée du poisson sur la couverture du livre)

Mais au delà des jeux de mots mathématico-finlandais, je souhaitais comprendre comment la rédaction express de ce livre s’était déroulée, ce que l’équipe prévoyait de faire du manuel, et quels conseils ils pouvaient donner à d’autres personnes organisant un évènement similaire.

Oppikirjamaraton - Joonas Mäkinen - CC byQue couvre le livre comme concepts mathématiques ?

C’est un manuel pour le premier cours de mathématiques de niveau avancé du collège finlandais. Bien que les élèves débutant ce cursus viennent en général de finir l’école primaire obligatoire, nous avons décidé d’avoir une approche « pour les nuls » en essayant de minimiser les prérequis.

Nous introduisons l’arithmétique, les nombres rationnels, les nombres réels en général. Viennent ensuite les règles de priorité et les racines qui mènent aux bases de la résolution d’équation puis au concept de fonction. Puis leurs mises en application concernent la proportionnalité et le calcul de pourcentages. Nous nous devions de respecter le programme scolaire.

Dites-m’en plus sur les exigences du programme. Sont-elles les mêmes pour toute la Finlande ?

Il y a un programme national en Finlande et tout le monde le suit. Du coup tous les manuels se ressemblent même s’ils approchent les sujets dans un ordre légèrement différent les une des autres. Mais le seul test standardisé est l’examen de fin d’année et donc Il y a un peu de flexibilité, ce qui a facilité les choses.

Oppikirjamaraton - Vesa Linja-Aho - CC byQui a participé ? Étaient-ils tous des formateurs ? Les participants avaient-ils déjà écrit ou édité des manuels scolaires ?

Environ 20 personnes ont participé à l’écriture du manuel durant le week-end. Nous avions des professeurs ordinaires du secondaire, des étudiants à l’université (mathématiques et informatique), un professeur d’électronique pour automobile, mes propres étudiants et quelques professeurs d’université travaillant sur place ou à distance. Nous avions même notre propre petit cercle d‘intégristes de la grammaire et de l’orthographe pour nous aider à rédiger de meilleurs contenus formels que ceux que l’on peut habituellement trouver dans le devanture des grosses maisons d’édition. La diversité des participants s’est révélée être une très bonne chose pour produire une variété de problèmes et de perspectives.

Seules quelques personnes avaient l’expérience de l’écriture et publication d’un manuel classique, commercial et à l’ancienne, mais cela n’a pas été clivant quand nous avons commencé à travailler.

Comment vous êtes-vous organisés ? Les rôles des participants avaient-ils été déterminés en amont du week-end ?

Vesa Linja-aho, qui a eu l’idée de ce book sprint (ou livrathon) était de facto notre coordinateur et s’occupait de la logistique, de l’administratif et de la communication. Lauri Hellsten s’est engagé à prendre le rôle principal pour la maquette et la création de graphiques indispensables à l’ensemble. Mais eux mis à part, aucun auteur n’avait d’assignation prédéfinie. Quelques uns d’entre nous avaient bien leurs sujets de prédilection, mais dans l’ensemble le processus d’écriture fut très spontané et dynamique.

Y a-t-il eu beaucoup de préparation à l’avance ? Avez-vous commencé le week-end avec un plan du livre ? Un emploi du temps ?

Le projet était ambitieux. Nous avons attendu que nos amis et les amis de nos amis remplissent un sondage Doodle pour savoir quel week-end réserver (NdT : ils ne connaissaient pas Framadate). J’avais préparé une table des matières pour avoir un point de départ, mais elle a été passablement modifiée vendredi et samedi. Juhapekka Tolvanen nous avait concocté un modèle LaTeX, et on a aussi eu une réunion préalable pour planifier les choses, choisir les outils techniques (quel système de contrôle de versions utiliser, etc.), mais rien sur le contenu en tant que tel. Il s’agissait également de trouver d’éventuels sponsors, écrire un communiqué de presse, trouver un local, vérifier si nous avions assez d’ordinateurs…

Une anecdote sur le droit d’auteur : nous avions réuni plus ou moins tous les livres disponibles sur le sujet. Pour voir un peu comment les autres avaient expliqué ceci ou cela. mais aussi parce que, dans l’enseignement mathématique (et manifestement dans d’autres disciplines aussi), il y a beaucoup d’exemples et d’exercices pathologiques qu’il est bon de faire mais qui finissent par être excessivement récurrents. Et Vesa Linja-aho avait reçu une décision écrite du conseil local confirmant que les exercices ne sont pas des travaux soumis au droit d’auteur. Or un enseignant qui avait écrit un des livres que nous avions nous a laissé un commentaire sur Facebook pour nous rappeler que ce n’est pas bien de copier le travail des autres. Cela nous a bien fait rire 🙂

Oppikirjamaraton - Lauri Hellsten - CC byQue retirez-vous de cette expérience ? Qu’est ce qui a été plus difficile que prévu ? Quels conseils donneriez vous à d’autres envisageant un projet similaire ?

Le principal conseil est de bien mettre en place l’aspect technique avant de commencer. Cela évitera d’inutiles moments de tension pour vous consacrer pleinement et exclusivement à la rédaction du contenu. On a utilisé LaTeX pour le texte et sa mise en forme et GitHub pour gérer les versions, mais on a connu des soucis qui nous ont retardés. Tout le monde n’était pas forcément familiarisé avec ces outils et les ordinateurs pas toujours bien préparés et optimisés pour leurs usages. Ceci nous a malheureusement fait perdre du temps.

De plus certains étaient encore en train de discuter pour savoir si nous devions ajouter ceci ou cela le samedi voire le dimanche, et c’est quelque chose qu’il faut éviter. Dans un tel projet, c’est toujours mieux de simplement continuer à écrire davantage de contenu pour éventuellement le commenter ou le modifier plus tard. On a même connu quelques discussions houleuses, peut-être liées au manque de sommeil. Restez calmes et n’oubliez pas d’y prendre plaisir !

Oppikirjamaraton - Siiri Anttonen - CC byEt après ? Y a-t-il une période de relecture/modification prévue ? Des professeurs pensent-ils utiliser d’ores et déjà votre manuel ?

Le sentiment général, unanime et immédiat après avoir fini le marathon dimanche était l’euphorie. Tout le monde était d’accord pour organiser un autre book sprint. Les retards techniques et le manque de graphistes ont fait que le livre n’a pas atteint le niveau de finition que nous voulions pour l’envoyer à l’impression. Mais c’est vivant maintenant : les gens nous envoient des rapports de bug sur Github et les participants ont continué à apporter des améliorations : corriger les coquilles, ajouter des exercices, corriger les incohérences…

Notre livre existe maintenant en version 0.9, et nous allons attendre quelques semaines avant de décider s’il est prêt à être imprimé et traduit. Cependant, on nous a déjà rapporté que le livre avait été utilisé comme manuel par quelques professeurs en proposant notamment à leurs élèves des exercices du livre. Bien entendu, d’autres auteurs et moi-même l’avons aussi utilisé pour enseigner à nos propres élèves. Lorsque nous l’aurons un peu peaufiné, nous sommes confiants quant à sa diffusion.

Le projet était si sympa et son accueil si bien reçu que nous ferons un autre book sprint très bientôt !

Oppikirjamaraton

Crédit photos : Senja Opettaa (Creative Commons By)




Grande première chez Framabook : la sortie d’un roman  ! (qui plus est #déjanté)

#Smartarded - Pouhiou - Framabook - CouvertureDes années que je présente ici la sortie d’un nouveau livre de notre libre collection Framabook. Je suis pour ainsi dire rôdé à l’exercice, pas une routine mais presque.

Sauf que là je cale un peu. Je ne sais pas trop par quel bout le prendre celui-là. Il faut dire que sa première phrase ne m’aide pas forcément : « Quand t’as eu des hémorroïdes, tu peux plus croire à la réincarnation ».

Grand moment de solitude…

J’apprends ensuite que ce roman-feuilleton a été écrit et blogué en direct. Chaque matin, il fallait écrire au moins 800 mots. Chaque soir, à 17h28, il fallait les publier. Un épisode par jour, quatre jours par semaine. Ce premier tome recueille les épisodes publiés entre le 6 février et le 7 juin 2012 sur le blog NoeNaute.

Soit.

Les journalistes ne me jetteront pas la pierre, mais, quand on manque d’inspiration, on a la tentation d’aller pomper de gros morceaux du Dossier de presse.

#Smartarded – Le cycle des NoéNautes, I est une fantaisie urbaine où on trouve pêle-mêle du Hello Kitty, du café à ouverture facile qui s’ouvre pas, des lézards qui shootent des chats, des coussins berlinois, une concierge hackeuse, des féministes malignes, du Babybel, des chatons, des hémorroïdes (on le saura !), une maladie mentale pénienne et mortelle et des SDF rebelles.

Nous voici donc bien plus avancés ! Enfin, si ça vous a déjà convaincu, c’est par ici.

Moi je préfère poursuivre en reproduisant ce qui ressemble (vaguement) à un résumé :

Smartarded est la contraction de Smart Ass (petit malin tête à claques) et Retarded (débile mental).

L’histoire, c’est celle d’Enguerrand Kunismos. Ce jeune homme de 25 ans avait une carrière prometteuse en tant qu’ingêneur. Une sorte de consultant en connardise qui gagne très bien sa vie en imaginant comment pourrir efficacement la nôtre. Mais un accident lui fait développer des capacités assez étranges… Celles de voir et d’intervenir dans les histoires qui se jouent dans nos têtes. Dans la noétie, la sphère des idées.

Enguerrand est un NoéNaute. Or, les NoéNautes sont peu nombreux. Et ils détestent savoir que d’autres sont, encore, en vie.

Enguerrand découvre le petit monde des NoéNautes et ses règles subtiles en essayant de sauver sa peau. Il nous blogue donc sa cavale avec Fulbert (énigmatique monsieur je-sais-tout au magnifique fessier) dans un road-movie livresque bourré de #hashtags cyniques, de références geek, d’amours LGBT. Et d’un héros qui se prend pour un méchant.

Soit, vous connaissez désormais le chemin vers la sortie (du livre), parce que, de mon côté, je continue encore un peu, d’autant que, prévoyant tout (et même le pire), on nous donne dix bonnes raisons de parler de #Smartarded :

1. Pour que l’auteur écrive la suite
2. Car c’est un livre gratuit qui peut s’acheter
3. Parce que c’est le 647e livre de la rentrée.
4. Pour y découvrir une Toulouse insoupçonnée
5. Car c’est le premier roman libre édité en France
6. Parce qu’un auteur libre est mieux payé qu’un auteur sous copyright
7. Pour frimer sur twitter avec des #hashtags
8. Car c’est le premier roman écrit sur tablette
9. Parce qu’il y a des chatons dedans.
10. Non mais sérieusement, quoi : des chatons !

PouhiouNotre auteur marque ostensiblement quelques points là (un peu moins de dix quand même). Plus précisément la licence choisie est la CC0 (Creative Commons Zéro) qui est une sorte d’offrande immédiate et volontaire au Domaine Public. Finalement, peut-être qu’il mérite qu’on clique (enfin) sur ce lien.

Tiens, justement, m’aperçois que je n’ai pas encore parlé de l’auteur !

Que dire sinon qu’il s’appelle Pouhiou et que ce n’est pas avec un pseudo pareil qu’on risque un jour d’avoir son article dédié sur Wikipédia.

On va cependant quand même signaler cet entretien sur le site Framabook, ne serait-ce que parce qu’il comporte des questions aussi subtiles que « Pourquoi ton roman est-il Gay & Geek friendly ? » ou encore « La licence libre, c’est parce que t’as pompé ? ».

Et si vous le croisez un jour, ne vous sentez surtout pas obligé(e) de lui dire : « Il faut que je lise ton livre » !




Condamné par Google pour avoir partagé son propre livre libre sur Internet !

Tu ne partageras point, même ce qui est à toi ! Pas un jour sans une nouvelle affaire #CopyrightMadness du « gang de la GAF » ! (Google, Apple, Facebook)

Cody Jackson, alors en service en Irak, rédige un livre sur le langage de programmation Python. Et pour remercier la communauté de tout ce qu’elle lui a apporté, il décide de le placer sous licence libre Creative Comons By-Sa (exactement comme notre projet Framabook en somme). Il vend la version papier, invite au don, met un peu de pub Google sur le site du projet et propose en libre téléchargement les versions numériques du livre.

Sauf que parmi les liens donnés de ses versions numériques, il a le malheur de proposer du P2P, en l’occurrence du torrent qui pointe directement vers The Pirate Bay ou encore Demonoid.

Quoi ? « Torrent » ! « Pirate Bay » ! C’en est trop pour le robot Mediabot, véritable police automatique du copyright Google. Nous sommes évidemment en présence manifeste de ressources illégales ! Et Google de désactiver illico sans autre forme de procès la pub sur le site de notre auteur. Et ne croyez surtout pas qu’il suffit de retirer les liens incriminés pour que Google remette tout en place. Non, non, le mal est fait.

Et pourtant de mal fait il n’y en eut jamais. Bien au contraire, on voulait juste partager et enrichir le bien commun…

Bien sûr, Google est sous la pression constante des ayants droit de l’industrie culturelle et du Grand Hollywood (qui scrute au quotidien ce qui se passe sur YouTube notamment). Mais avec cet absurde faux positif, Google, son service clientèle déshumanisée et son copyright de fer nous affirment avant tout ceci : puisqu’on ne les envisage même pas, puisqu’on condamne le contenant quel que soit son contenu, il n’y a pas de place actuellement pour les ressources libres sur Internet. Ou, plus généralement, et pour reprendre une expression à la mode, il n’y a pas de véritable place aujourd’hui pour les échanges non marchands.

Edit du 28 septembre : Il y a une suite (favorable) à cette histoire (mais une morale à en tirer ?) que nous vous proposons dans la foulée.

Remarque : Il s’agit d’une nouvelle traduction et vous allez constater un nombre inhabituel de traducteurs dans le crédit ci-dessous. Nous sommes en phase de test pour améliorer Framapad et effectivement, hier soir, c’était spectaculaire, avec, au point culminant de la fête, près de 40 collaborateurs « colorés » travaillant en simultané dans la joie, la bonne humeur et le souci collectif d’un travail de qualité. C’est pourquoi, une fois n’est pas coutume, notre image d’illustration n’a rien à voir avec le font du sujet si ce n’est que dans la forme on l’a obtenu ainsi (cf ce tweet plus précis de @framaka). Ils méritaient bien ce petit hommage (quant à l’évolution du projet Framapad, nous venons d’ouvrir une liste de discussion pour là encore avancer ensemble).

Framapad - Test v2

Google et ses droits de copie restrictifs : un auteur condamné pour avoir partagé son propre livre

Google’s Copyright Crackdown Punishes Author For Torrenting His Own Book

Mike Masnick – 27 septembre 2012 – TechDirt.com
(Traduction : volent, metoo, Smonff, greygjhart, doc_lucy, L’gugus, Toerdas, Wan, Yan G., Evpok, goofy, Rouage, Aymerick, slb, peupleLa, 0gust1, Husi10, Mike, Hellow, Dominique, fredchat, fwix_, e-Gor, TheDarkDweller, minimoy, 5h3d0, lamessen)

Au fil des ans, nous avons souligné à de nombreuses reprises le talon d’Achille de Google : son épouvantable service client.

Essayer de communiquer avec Google s’apparente plus souvent à affronter un bloc de marbre inébranlable plutôt que faire face à un réel être humain. Plus récemment, nous nous sommes inquiétés de l’agressivité excessive de Google pour faire « appliquer » le copyright, dans l’espoir de tenir Hollywood (et ses soutiens au gouvernement) à distance. Combinez ces deux problèmes et vous obtenez une incroyable histoire… comme advenue à notre lecteur Cody Jackson.

Il y a quelques années, alors qu’il était en service actif en Irak, Jackson a écrit un livre sur Python (le langage de programmation) intitulé Start Programming with Python (NdT : Débutez la programmation avec Python). Il a décidé de distribuer le livre gratuitement, en guise de remerciements à la communauté du libre qui, d’après ses dires explicites, lui a énormément apporté. Il a toujours fait en sorte que le livre soit disponible en libre accès et donné les liens vers différentes sources à partir desquelles l’obtenir. Dans le même temps, il a proposé aux personnes de le soutenir via des dons. Et pour se faire un peu d’argent, il a également souscrit au service de publicités Google AdSense qu’il a placé sur son site.

La semaine dernière, il a été contacté par un bot (NdT Googlebot : robot d’exploration de Google), l’informant que AdSense avait été automatiquement désactivé. Pourquoi ? Parce que, affirme-t-on, il distribuait illégalement des contenus protégés par des droits d’auteur. Le courriel, que j’ai pu voir, mentionne que son compte a été désactivé pour la raison suivante :

Précisions au sujet de cette violation

CONTENUS SOUS COPYRIGHT : Comme il est stipulé dans nos conditions d’utilisation, les utilisateurs d’AdSense ne sont pas autorisés à placer des publicités Google sur des sites impliqués dans la distribution de contenus sous copyright. Ceci inclut l’hébergement de fichiers sous copyright sur votre site, ainsi que le fait de fournir des liens ou de rediriger le trafic vers des sites qui proposent des contenus protégés. Plus d’informations sur ces conditions d’utilisation sont à disposition sur la page de notre centre d’aide.

Honnêtement les conditions d’utilisation de Google n’ont ici aucun sens. Fondamentalement TOUT site Web « propose du contenu sous copyright ». Si l’on se réfère à ce que Google a envoyé à Jackson, personne ne pourrait plus faire aucun lien vers d’autres sites s’il souhaite utiliser Google AdSense. Google a une armée de très bons juristes spécialisés dans le copyright, mais ils ont du laisser filer ce point. Je suis sûr que Google voulait plutôt parler de « contenu non autorisé » ou « qui porte atteinte au copyright », mais ce n’est pas ce qui est écrit (NdT : Ou alors ils y sont obligés pour se protéger de tout).

Dans les deux cas, cela semble être ridicule et faire preuve d’un excès de zèle que de suggérer que tout lien vers un site qui, croit-on, véhicule, parmi d’autres, du contenu illicite, doit être considéré comme une violation des conditions de service, même si en l’occurrence le lien en question redirige vers du contenu tout à fait légitime. Le courriel donne un lien vers une « page exemple » justificative. Cette page est celle où Jackson annonce qu’il délivre un torrent de la seconde édition de son livre, et renvoie les gens vers The Pirate Bay et Demonoid pour le récupérer. Rappelez-vous, c’est son propre livre, qu’il a publié lui-même et qu’il distribue librement et gratuitement… intentionnellement !

On pourrait faire valoir que les conditions d’utilisation de Google sont ici volontairement trop générales et elles le sont assurément. Déclarer que vous ne pouvez pas créer de lien vers du contenu légal que vous avez vous-même publié sur The Pirate Bay et dont vous êtes le légitime propriétaire pourrait avoir un effet dissuasif négatif pour ceux qui choisiraient de mettre leurs propres œuvres sur des sites similaires.

Jackson a essayé de joindre Google pour obtenir de plus amples informations. Il leur a expliqué la situation et leur a indiqué qu’il en était l’auteur et l’éditeur et que l’œuvre était publiée sous la licence libre Creative Commons Paternité – Partage dans les mêmes Conditions (CC By-Sa), rendant ainsi toutes les copies se trouvant sur The Pirate Bay parfaitement légales et autorisées. Google lui a rétorqué qu’ils examineraient son argumentaire… avant de lui renvoyer le message suivant :

Merci de nous avoir fourni des informations complémentaires concernant votre site. Cependant, après avoir examiné de près le site python-ebook.blogspot.com et avoir pris votre réaction en considération, nous sommes dans l’incapacité de remettre en fonction notre service publicitaire sur votre site à l’heure actuelle, puisque votre site semble toujours violer nos conditions d’utilisation.

Si vous voulez que nous étudiions à nouveau la participation de votre site au programme Ad Sense, merci de consulter les conditions d’utilisation de notre programme et d’apporter les modifications nécessaires à vos pages web. Pour plus d’informations sur vos conditions d’utilisation, merci de visiter cette page.

Confus après lecture et sans sentiment d’avoir violé quoi que ce soit, il a cependant docile supprimé les liens vers les fichiers torrents en question, quand bien même pour lui il était tout à fait sensé de les conserver. Comme il me l’a dit dans son courriel : « BitTorrent a été l’un des premiers vecteurs de diffusion de mon livre, puisque c’est là que mes lecteurs spécialisés sont susceptibles de traîner. Il m’a semblé que déposer un fichier torrent sur le site de torrents le plus populaire coulait de source. »

Aussi a-t-il à nouveau répondu au Googlebot, après donc avoir cette fois supprimé les liens… Et il a reçu à nouveau le même message exactement ! Il avait bien supprimé les liens mais pas la mention explicite des noms « The Pirate Bay » et « Demonoid ». Cela a suffit, semble-t-il, pour que l’équipe de Google AdSense continue de prétendre qu’il viole leurs termes incompréhensibles. Ils refusent de s’en expliquer. Ils n’ont pas l’air de vouloir vraiment comprendre ce que dit Cody Jackson. Ils bloquent, c’est tout.

Ce qui vaut la peine d’être retenu, c’est que l’on entend constamment les gens qui détestent Google se plaindre de ce que ce dernier refuse en quelque sorte d’enlever ses publicités des « sites pirates ». Cet exemple suggère précisément le contraire : Google est d’une agressivité excessive dans sa manière de bloquer, sous toutes leurs formes, les publicités qui s’affichent a proximité de sites qu’il a jugé lui seul problématiques, même si le contenu est garanti 100% légal et autorisé. Ajoutez à cela l’horrible relation client robotisée de Google, et vous avez une situation malheureuse où un auteur est puni pour avoir fait quelque chose de parfaitement légal et ne semble pas pouvoir trouver chez Google une seule personne réelle, faite de chair et d’os, qui prenne réellement le temps de comprendre ce qu’il se passe.

Voilà pourquoi nous sommes si inquiets quand Google intensifie son « automatisation » sous la pression de Hollywood. Les dommages collatéraux ne sont que trop réels.

Mise à jour du 28 septembre ci-dessous : Un épilogue heureux mais une leçon à retenir…

Les annonces Google sont de retour

Google Ads are back

Mike Masnick – 28 septembre 2012 – TechDirt.com
(Traduction : Lamessen, Pascal, L’gugus, Metal-Mighty, Ag3m, ti_tux)

Grace au relais du site Techdirt, mon problème a été entendu par les robots de Google et mon compte Adsense a été réactivé.

En effet, cinq heures après la publication de l’article sur Techdirt, je recevais un e-mail de Google m’informant qu’ils avaient réétudié mon cas, et décidé finalement que je n’avais pas enfreint leur politique sur le copyright. Je pouvais donc faire apparaître à nouveau les publicités Google sur mon blog.

Je vais pouvoir, comme avant, mettre des liens directs vers mon fichier torrent, mais plus vers «The Pirate Bay» ou d’autres sites de torrents. Car ne veux pas me retrouver confronté à ce problème à nouveau (bien qu’il sot assez tentant voir ce qu’il arriverait si je le faisais).

Le bon côté de cette histoire, c’est que cela a attiré l’attention du public sur les problèmes de réglementation du copyright en général et des politiques d’entreprise en particulier. Lorsqu’une personne ne peut pas publier ses propres créations sur Internet parce qu’une autre a peur qu’il y ait infraction au droit d’auteur, il y a un véritable problème.

Certains commentaires sur Techdirt affirment que j’aurai dû prévoir cela en proposant des liens vers The Pirate Bay et Demonoid qui sont considérés comme des « bastions du piratage ». Et pourtant, avoir fait appel à eux pour aider les gens à trouver mon livre (sous licence libre) montre qu’on peut aussi les utiliser de manière tout à fait légale. Que certaines personnes y déposent illégalement des contenus protégés ne fait pas de ces sites le mal absolu. Ce sont simplement des outils et ils sont neutres en soi, un peu comme un couteau, qu’on peut utiliser à bon ou mauvais escient.




Les faiseurs de pluie : livre de Christophe Masutti sous CC by-sa

Peut-être encore moins « connu » que son historique fondateur Alexis Kauffmann ou son historique permanent Pierre-Yves Gosset, Christophe Masutti est le nouveau président de l’association Framasoft depuis le début de l’exercice 2012.

Il a néanmoins trouvé le temps pour sortir un livre issu de sa thèse : Les faiseurs de pluie, Dust Bowl, écologie et gouvernement (États-Unis, 1930-1940)

Et comme pour relier les deux, il a choisi de le publier sous la licence libre Creative Commons By-Sa.

Autant de bonnes raisons qui nous ont donné envie de partir à sa rencontre…

Les faiseurs de pluie - Couverture

Entretien avec Christophe Masutti

Bonjour Christophe, peux-tu te présenter rapidement ?

Ça va faire un peu d’auto-promotion, mais tant pis 🙂 Donc je préside depuis janvier 2012 la belle association Framasoft, mais comme j’ai le mauvais goût de travailler pour gagner ma vie, j’occupe deux fonctions. La principale est d’être en charge des Affaires européennes aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et la seconde est d’être chercheur associé au SAGE (Sociétés, acteurs, gouvernements en Europe[1]) à l’Université de Strasbourg.

Tu viens de sortir un livre possédant un fort joli titre, peux-tu nous en dire plus ?

En réalité, il s’agit d’un livre tiré de ma thèse soutenue en 2004. J’ai (enfin) pris le temps de tout récrire et de le publier. J’en avais déjà tiré pas mal d’articles dans des revues à comité de lecture, mais comme d’une part à quelques exceptions près ces articles sont désormais difficilement accessibles moins de 8 ans après leur sortie (à moins d’avoir un abonnement onéreux à des revues électroniques ou de bien chercher au fond des rayonnages des bibliothèques), et que d’autre part les aléas professionnels font que je me concentre sur d’autres thèmes plus ou moins voisins, j’ai tenu à diffuser une synthèse exhaustive de mes recherches doctorales.

Le titre est la traduction française de rainmakers, les faiseurs de pluie.

Ce terme a un double sens aux États-Unis. il fait d’abord référence à ces aventuriers qui sillonnaient les Grandes Plaines durant les périodes de sécheresse en promettant aux communautés, grâce à un dispositif fumeux (et explosif), de faire tomber la pluie moyennant quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Ils n’étaient pas vraiment considérés comme des charlatants. On peut voir sur ce point de film The rainmaker (1956) avec Katharine Hepburn et Burt Lancaster, où un de ces personnages vient dans un village et finalement redonne espoir et courage aux habitants. L’autre sens donné à ce terme est plus moderne et a un rapport avec le monde des affaires, où le rainmaker est celui qui sait saisir les bonnes opportunités et fait des affaires en un temps record (le Golden Boy des années 1980). Là il faut se tourner vers le Rainmaker de F. F. Coppola avec Matt Damon (1997).

Ainsi, c’est avec davantage d’ironie que de méchanceté que Franklin Roosevelt fut bien souvent surnommé The rainmaker par la presse américaine, en particulier celle du Midwest, alors que s’abattait sur le pays la plus grande vague de sécheresse jamais connue qui devait causer une des plus grandes catastrophes agricole du 20e siècle, le Dust Bowl. Il s’agit de l’érosion éolienne des sols agricoles, sur fond de crise économique, qui a jeté sur les routes des milliers de migrants et rendu les sols impropres à l’agriculture. On parle ici d’une extrême pauvreté et, dans certains cas, de famine. Aujourd’hui, le Dust Bowl est en réalité un phénomène récurrent, tant aux États-Unis, où l’on parvient tant bien que mal à jugguler les effets grâce à des techniques modernes, mais aussi aujourd’hui en Chine, et dans bien d’autres pays. L’érosion des sols est un problème mondial et basé sur la même recette que celle de l’épisode américain des années 1930 : industrialisation agricole, surproduction et conception ultra-libérale de l’agriculture, sécheresse, vent (changement climatique).

Les faiseurs de pluie interviennent alors à deux niveaux : d’abord du point de vue de la décision publique, en mettant en place une agriculture planifiée et respectueuse des sols, ce sont les planificateurs, des économistes qui entouraient Roosevelt et mirent en place une politique d’expertise. Ensuite, il s’agit des acteurs de la réhabilitation agricole proprement dite, non seulement ceux qui inventèrent de nouvelles pratiques agricoles, mais aussi ceux qui appliquèrent les résultats des recherches dans le domaine : des agronomes qui se définissaient comme des écologues. En effet, l’écologie avait commencée à être enseignée sous ce terme dans les années 1910 et les spécialistes commencaient alors à être reconnus comme les véritables experts de l’environnement. Par exemple, fondé sur les principes de la théorie de la succession végétale, un grand projet de plantation de ceintures forestières (windbreaks) pour lutter contre le vent a été lancé en 1935, de la frontière canadienne jusqu’au Texas. Ce projet était censé freiner l’érosion éolienne sur la moitié du territoire américain sur plusieurs années de reforestation. Après ca, il était facile d’identifier qui étaient les faiseurs de pluie, à l’échelle gouvernementale.

Qu’est-ce qu’un écologue et en quoi la lecture de ce livre peut nous aider à mieux comprendre la problématique écologique actuelle ?

Aujourd’hui, dans le domaine de l’écologie scientifique, c’est souvent le terme « écologiste » qui est employé pour désigner le scientifique qui fait de l’écologie. C’est un dérivé de l’anglais « ecologist ». Dans cette dernière langue, il n’y a pas le double sens que l’on connaît en français, car l’écologiste (le vert, l’écolo.) c’est l’environmentaliste anglais. Un écologue est donc une appellation un peu désuète mais qui permet au moins de faire la différence en français. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que l’écologie scientifique soit un sanctuaire où le politique n’entre pas. À cela s’ajoute le fait que l’écologie moderne, celle que tout le monde a entr’aperçu au collège en apprenant les cycles écologiques (manger et être mangé), date en fait des années 1940. Elle est dominée par le concept d’écosystème. Ce dernier concept est né en 1935 sous la plume du botaniste britanique Arthur Tansley, et s’est vu adapter les concepts de la thermodynamique par l’américain R. Lindeman entre 1939 et 1942.

Ce qu’il faut savoir c’est que Tansley écrivait en réaction aux conceptions américaines de l’équilibre des communautés végétales, c’est à dire les recherches de Frederic Clements sur l’analyse statistique des formations végétales et qui a formé tous les écologues que l’on croise dans le livre. Ces derniers réfléchissaient en termes d’équilibre, l’idée selon laquelle les communautés végétales se succèdent vers un état stable, final (nommé climax). Par conséquent toute activité humaine peut soit résulter sur la rupture de cet équilibre, soit favoriser un équilibre temporaire (un champ de maïs est un système en équilibre relatif). Pour Tanley (et Lindeman) au contraire, il faut réfléchir en termes de fonctions des espèces, et envisager l’éco-système d’un point de vue énergétique. Il n’y a pas d’équilibre final, ni une sorte de nature idéalisée (ce que devrait être un système) mais des équilibres, des rapports entre biomasses et quantités d’énergie qu’il faut évaluer pour comprendre les changements dans les systèmes. En d’autres termes encore, le fameux « équilibre écologique » qu’on nous sert pour justifier telle ou telle idée écologiste, est en fait une très vieille idée de l’équilibre idéalisé entre les activités humaines et l’environnement non-humain. On fait alors appel alors à une éthique, voire une morale, là où le scientifique est plutôt censé s’occuper des faits.

Dans notre histoire du Dust Bowl, on a affaire à des écologues qui n’en sont pas encore à mettre en place une « éthique environnementale ». On voit en réalité se développer une nouvelle conception des politiques environnementales, l’idée que pour mettre en place une conservation des sols agricoles ou des parcs nationaux, il faut s’en remettre à des experts. Cette politique de l’expertise, dans le gouvernement Roosevelt, est la première dans l’histoire à identifier l’écologie comme une science que l’on dote de moyens d’applications à grande échelle (comme les fermes expérimentales), mais aussi à justifier la décision publique en référence aux recherches écologiques. La crise agricole américaine des années 1930, est alors devenue une « crise écologique », qui a une dimension complexe qui structure les relations sociopolitiques, institutionnelles (mise en place de départements et services exclusivement composés d’écologues et d’ingénieurs) et scientifiques. C’est sur ce modèle tridimentionnel que s’explorent toutes les crises écologiques ou environnementales jusqu’à aujourd’hui. Il était donc important de dé-construire celle-ci 🙂

Ce livre est sous licence Creative Commons ? Pourquoi ce choix ?

Comme dit précédemment, ce livre est le résultat de recherches menées sur fonds publics. L’État français a subventionné pendant 3 ans mon salaire, mes déplacements, et tous les coûts liés aux recherches, à commencer par me fournir un bureau et un ordinateur. La diffusion de ces résultats devrait donc profiter en premier lieu à tout le monde et il fait partie du devoir du chercheur que de diffuser ses recherches.

Aujourd’hui, le mode de production d’écrits scientifiques est quasi-exclusivement le format électronique. Quant à la diffusion (les correspondances entre scientifiques comme envers le public) elle passe par Internet. Cela signifie que modèle qui valait il y a encore une trentaine d’année, à savoir le cycle qui va exclusivement de la production-évaluation à la publication papier est obsolète. Dans ce modèle, les maisons d’éditions effectuaient un travail salutaire : elles assuraient la distribution et la diffusion des connaissances scientifiques sur un support de première qualité, le livre papier. Elles le font toujours, bien entendu, mais le prix de cette diffusion est la cession exclusive de droit d’auteur : l’auteur de l’oeuvre cède de manière exclusive sa production scientifique à un éditeur, en échange de quoi cet éditeur assure la mise en page, l’impression et la distribution. Dans le cas des petits éditeurs, l’évaluation scientifique est assurée par un comité de lecture qui n’est que rarement payé pour cela, et il existe des éditeurs, pas forcément les moins connus, qui n’assurent qu’une évaluation légère de la qualité scientifique des ouvrages et font davantage confiance aux auteurs, comme c’est le cas par exemple lorsqu’un groupe de chercheurs inclu dans son projet la publication finale d’un ouvrage collectif, acheté en quantité pour amortir l’investissement de départ de l’éditeur.

Dans tous les cas, un contrat de cession exclusive est signé et permet l’exploitation de l’oeuvre alors même que tout le jeu des éditeurs est, comme toute entreprise, d’effectuer des bénéfices intéressants. Dans leurs stratégies, les éditeurs déploient plusieurs moyens : la rationalisation du stock d’imprimés (la décision de la réédition dépend alors des bénéfices escomptés, ce qui est le plus souvent compromis dans les publications scientifiques sauf pour les « têtes d’affiche »), l’édition des formats électroniques affublés de DRMs, la revente des formats électroniques à de plus gros éditeurs (type Elsevier) qui effectuent alors d’autres formes de bénéfices via un système d’abonnement aux institutions… Tout cela limite fortement la diffusion d’une oeuvre scientifique, surtout dans le cas des sciences humaines où l’obsolescence est loin d’être évidente après 10, 20, 30, 100 ans…

Le choix de la licence libre, pour cet ouvrage, est le même que pour d’autres revues scientifiques qui font de plus en plus ce choix : privilégier la diffusion de l’oeuvre sur sa distribution, à plus forte raison lorsque celle-ci est réalisée grâce à des fonds publics. Il n’y a aucune raison d’attendre d’avoir la permission d’un éditeur pour diffuser l’oeuvre, au moins au format électronique. Pourquoi ne pas donner le droit aux lecteurs de photocopier l’ouvrage, ou dupliquer le fichier, notamment à des fins pédagogiques ? Après tout, le livre papier n’est aujourd’hui qu’un support parmi d’autres formats de diffusion envisageables.

Et plus précisément pourquoi le choix de la licence libre By-Sa parmi le panel de licence offert par les Creative Commons ?

La licence CC-By-Sa consiste à donner au lecteur la possibilité de partager, diffuser et communiquer l’oeuvre comme bon lui semble, à condition d’attribuer la paternité de l’oeuvre à son auteur. Pour les raisons évoquées ci-dessus, cela me semble être un minimum avec, pour seul prix à payer, le rappel que le droit d’auteur est aussi un droit moral.

Par ailleurs, la clause share alike (-Sa) est intéressante dans ce contexte, bien qu’elle ne soit pas nécessaire : il s’agit d’assurer la viralité de la licence dans un monde où le plagiat est de plus en plus à l’étude. En effet, des colloques et des groupes de veille se montent un peu partout à propos du plagiait scientifique, qui ne concerne pas seulement les étudiants, loin s’en faut. Le but de cette clause, ici, est plutôt pédagogique.

Enfin la possibilité de modifier l’oeuvre a surpris certains collègues. Je pars en effet du principe qu’un livre est avant tout un projet de construction scientifique. N’importe quel chercheur pourra vous dire que, plusieurs années après une publication, il arrive parfois d’avoir le regret de ne pouvoir corriger ou améliorer certaines choses. Mais est-ce que l’auteur peut-être le seul juge de ce qu’ill faudrait améliorer? Pourquoi d’autres chercheurs ne pourraient pas eux-mêmes améliorer l’oeuvre et éventuellement soumettre leurs modifications, suggestions et commentaires à l’auteur en vue d’une version ultérieure du livre? C’est la notion d’oeuvre-projet que je défends, l’idée qu’une oeuvre est toujours améliorable et que le processus peut être collectif, à l’image (humaniste) qu’on se fait des sciences.

Quant à la question du droit d’auteur, il est inutile ici de préciser que le droit moral de l’auteur est inaliénable et que par conséquent toute modification de l’oeuvre qui porterait préjudice à l’auteur (par exemple un détournement des propos ou l’appropriation usurpée de l’oeuvre) est punie par la loi, à laquelle ne se substitue pas la licence libre.

A-t-il été compliqué de convaincre un éditeur d’adopter cette licence ?

Par curiosité, j’ai démarché exactement cinq éditeurs (c’est peu) assez connus dans le domaine et deux m’ont répondu négativement d’emblée parce que le livre n’entrait pas dans les clous de leurs collections. Les trois autres ont entammé un dialogue qui n’a finalement pas abouti à une entente. Je l’ai fait sans réelle conviction car j’avais déjà l’idée qu’aucun n’était de toute façon prêt à publier cet ouvrage pour deux raisons :

  • la raison pratique : l’ouvrage est une somme et entre dans des détails qui intéressent un lectorat qui, à la base, n’est pas très large. Ce type d’ouvrage se vend de moins en moins bien. Il y a encore 20 ans, certains éditeurs publiaient avec moins d’hésitation. Or, aujourd’hui, le rapport entre l’investissement d’un éditeur et les objectifs de ventes est primordial. Il aurait donc fallu faire des coupes franches sur les points de détails que, justement, je tenais à publier. Je ne voulais pas que l’intégrité de l’oeuvre soit sacrifiée sur l’autel de la rentabilité. De plus, si je voulais diffuser gratuitement le format électronique, l’un des éditeurs me proposait de publier directement en achetant un stock d’exemplaires suffisants pour rentrer dans ses frais (l’investissement de départ pour produire quelques 300 exemplaires). Je trouve cela non seulement anti-écologique mais le système d’impression à la demande permet d’éviter ce genre de surproduction. Quant à acheter moi-même un stock de livres pour que l’éditeur puisse rentabiliser ses propres ventes, autant aller voir moi-même l’imprimeur. Je précise enfin que dans tous les cas il n’a été nullement question de rétribution des droits d’auteurs, sous-entendu : zéro ou quelques centimes 🙂
  • la raison économique : pour les éditeurs avec qui j’ai pu échanger plus profondément, publier sous licence libre, avec en plus la volonté de diffuser gratuitement la version électronique était suicidaire. Pour eux, le don de la version électronique est synonyme de perte de marché. C’est peut-être vrai du point de vue de l’éditeur (quoique cela reste à prouver), mais il n’empêche que le principe est inacceptable : si quelqu’un me demande la version électronique du livre, je la lui envoie sans hésiter, contrat d’exclusivité ou pas, car c’est mon devoir de scientifique. Par ailleurs que dire des exemplaires disponibles en bibliothèque? et la version électronique ne permet-elle pas un usage plus complet, comme par exemple la recherche de mots, un accès direct à cerains passages, etc.? C’était le principal point de clivage et j’ai même eu des échanges tendus à ce propos. Il s’agit de deux conceptions différentes de l’objet-livre : une conception monolithique (un livre est une oeuvre aboutie, finie une fois pour toutes) et basée sur la notion de propriété / exclusivité, et l’autre conception du livre-projet qui implique de laisser au lecteur une série de droits que s’approprient injustement les éditeurs. Partant de ce constat, la messe était dite.

Qu’en est-il également du droit d’auteur concernant les illustrations de l’ouvrage ?

Il y a deux types d’illustrations. En premier viennent les photographies de la Farm Security Administration que l’on trouve aujourd’hui à la Bibliothèque du Congrès. Ils s’agit de photographies réalisées par de grands photographes célèbres qui étaient alors embauchés par le gouvernement Roosevelt : Dorothea Lange, Walker Evans, Arthur Rothstein… Toutes ces photographies sont dans le domaine public (à condition de mentionner le numéro de référence) et le fait de mentionner l’auteur est plus un soucis d’exactitude. Concernant les 3 cartes climatiques du premier chapitre, elles sont elles aussi dans le domaine public (produites par un institut public).

Cet ouvrage est une publication scientifique ayant fait le choix de l’impression à la demande, cela aussi c’est assez rare dans le milieu ?

L’impression à la demande est peu pratiquée dans la communauté scientifique et pourtant elle mériterait de l’être. Après tout, pourquoi encombrer les sous-sols universitaires de stocks d’invendus et occuper les secrétaires de labo à la gestion des ventes par correspondance? Une revue ou une collection pourrait très simplement, tout en conservant un système d’évaluation par comité de lecture, se contenter de produire le PDF à imprimer à la demande. Plus besoin de débourser alors de l’argent public auprès d’un imprimeur, fut-il l’imprimeur officiel de l’université. Quant à la vente et les revenus, il s’agit la plupart du temps d’associations de type loi 1901, donc un compte en banque suffit.

Le modèle Framabook utilise ce système et je compte d’ailleurs le cloner avec un universitaire de mes amis, pour monter une collection sur le même modèle.

Reprenons ta casquette Framasoft, comment vont les framabooks ?

Parlons-en, justement. Les Framabooks vont bien et la communauté est de plus en plus active. J’en profite d’ailleurs pour les remercier tous pour le travail fourni en relecture, édition des formats, etc. Nous venons de sortir un premier roman, intitulé #Smartarded, par Pouhiou : c’est une nouveauté à double titre, d’abord pour son caractère inédit, mais aussi parce que nous n’avons a priori aucune idée sur la réception du livre par les lecteurs, ou même la nature du lectorat que nous aurons. C’est un domaine encore inconnu, tout comme l’élaboration du modèle de publication Framabook, grâce auquel les arcanes de l’édition commencent à nous être familières. C’est cela qui est stimulant 🙂

Après des années de « dictature bienveillante » de la part d’aKa, tu a récemment pris le relais en tant que président de l’association Framasoft. Pas trop dur, expérience enrichissante ?

Ce n’est pas ma première présidence d’association mais celle-ci est vraiment passionnante. J’en retiens surtout qu’un président-fondateur n’est pas un président comme les autres, et que la transition n’est pas évidente du point de vue du public (les membres, eux, me connaissent depuis assez longtemps, bien que par rapport à certains je fais figure de petit nouveau). J’assure donc la première présidence tournante de Framasoft. Cela demande du temps bien sûr mais nous avons tellement à construire ! La première raison à cela, c’est justement que le fondateur intervient depuis septembre 2012 en tant que salarié, avec une feuille de route qui permettra d’accroître les activités de Framasoft. En termes de productivité, l’arrivée de ce second permanent permet déjà significativement de multiplier les oportunités de partenariats, pour lesquelles il faudra faire attention de ne pas rester dans la phase consensuelle du Yakafokon. D’un autre côté, tout le monde est motivé pour cela et s’engage beaucoup dans ce tournant majeur dans l’histoire de Framasoft. De ce point de vue, la présidence n’est rien, l’engagement fait tout.

Un dernier mot ?

Pour rester dans le thème de ce billet, je tiens à signaler que sans Framasoft, je n’en serais pas arrivé à publier cet ouvrage sous licence libre. C’est bien parce qu’il existe des modèles comme Framabook que l’on voit clairement que le libre peut concerner bien d’autres secteurs que le logiciel. L’objectif de Framasoft est de promouvoir le logiciel libre et la culture libre, et cela implique d’être présent sur de multiples secteurs d’activité, en particulier envers le public. Après plus de vingt ans d’existence du noyau Linux, il faut attendre 2012 pour entendre que le logiciel libre dans l’administration publique est finalement une bonne idée, ce qui me laisse penser qu’on est encore bien loin d’adopter le Libre comme modèle de développement dans la société. Nous sommes convaincus qu’en promouvant le logiciel libre et qu’en montrant par l’exemple que le Libre est un bon modèle pour le développement de l’économie et des connaissances, nous nous dirigeons vers une meilleure société. C’est incroyable (et tellement positif) de voir à Framasoft le nombre de personnes capables de donner bénévolement de leur temps et motivés par le souci du partage (de code ou d’autres choses).

Pour cela, on pourra toujours les remercier mais je pense que la meilleure chose qu’on puisse leur donner, c’est un cadre d’activité, une structure, et c’est ce que propose Framasoft. Pour cela, il faut des moyens et là encore ce sont les dons de ceux qui nous font confiance qui nous permettent d’être efficaces.

La campagne de soutien à Framasoft va donc commencer mi-octobre. Elle est particulièrment importante cette fois car l’enjeu pour nous est de pouvoir envisager nos activités sur un plus long terme que seulement les prochains 6 mois. Il nous faut du temps pour développer des projets et trouver encore d’autres moyens de financement. Précisons encore deux choses : en tant qu’association reconnue d’intérêt général (et je pense que ce n’est plus à démontrer), les dons sont déductibles des impôts, par ailleurs il n’est nullement obligatoire d’attendre la campagne officielle de soutien, il suffit de vous rendre sur http://soutenir.framasoft.org/ 😉

Crédit photo : Violaine Masutti (Creative Commons By)

Notes

[1] Le SAGE n’existera qu’à partir de janvier 2013, il regroupera entre autre les membres de l’actuel département d’histoire des sciences de la vie et de la santé (dhvs), dont je fais partie.