Liberté pour les utilisateurs, pas pour les logiciels, par Benjamin Mako Hill

Un article fort intéressant de Benjamin Mako Hill (que nous traduisons souvent) qui apporte un éclairage nouveau à la différence importante entre « logiciel libre » et « open source ».

C’est bien la question de la liberté des utilisateurs qui est fondamentale ici. À mesure que la technologie avance et que de plus en plus de domaines expérimentent « le Libre », elle rejoint tout simplement la liberté des citoyens…

Remarque : C’est d’ailleurs pourquoi nous regrettons « l’abus d’open source » dans les premiers États Généraux de l’Open Source qui se déroulent actuellement à Paris (cf ce tweet ironique).

David Shankbone - CC by

Liberté pour les utilisateurs, pas pour les logiciels

Freedom for Users, Not for Software

Benjamin Mako Hill – 23 octobre 2011 – Blog personnel
(Traduction : Munto, VifArgent, aKa, KarmaSama, Lycoris, aaron, PeupleLa, bruno + anonymous)

En 1985, Richard Stallman a fondé le mouvement du Logiciel Libre en publiant un manifeste qui proposait aux utilisateurs d’ordinateurs de le rejoindre pour défendre, développer et diffuser des logiciels qui garantissent aux utilisateurs certaines libertés. Stallman a publié la « Définition du Logiciel Libre » (Free Software Definition ou FSD) qui énumère les droits fondamentaux des utilisateurs concernant les logiciels.

  • La liberté d’exécuter le programme, pour n’importe quel usage ;
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ;
  • la liberté d’en redistribuer des copies pour aider les autres ;
  • la liberté d’améliorer le programme et de rendre publiques les améliorations, afin que la communauté entière puisse en bénéficier.

Stallman est informaticien. Il avait compris que la manière dont les programmeurs concevaient les logiciels pouvait influer sur les possibilités des utilisateurs à interagir avec eux. Par exemple, des programmeurs pourraient concevoir des systèmes qui espionnent les utilisateurs, vont à leur encontre ou créent des dépendances. Dans la mesure où les ordinateurs occupent une place de plus en plus importante dans la communication des usagers, et dans leur vie toute entière, leur expérience est de plus en plus sous le contrôle de la technologie, et par conséquent de ceux qui la maîtrisent. Si le logiciel est libre, les utilisateurs peuvent désactiver les fonctionnalités cachées ou abusives et travailler ensemble à l’amélioration et au contrôle de leurs technologies. Pour Stallman, le logiciel libre est essentiel à une société libre.

Hélas, beaucoup de personnes qui entendent « logiciels libres » (NdT : free software en anglais) pensent que le mot libre (free) veut dire qu’il peut être distribué gratuitement – une confusion bien naturelle puisque les logiciels libres peuvent être, et sont le plus souvent, partagés sans permission expresse ni paiement. Dans des tentatives concertées pour démêler cette confusion, le slogan « free as in free speech not as in free beer » (free comme dans la liberté de parole et non comme une bière gratuite), et la référence à la distinction que l’on fait en français entre libre et gratuit, sont devenus des clichés dans la communauté du logiciel libre. Une biographie de Stallman est d’ailleurs intitulée « Free as in Freedom » (NdT : Libre comme dans Liberté, biographie traduite et publiée par Framasoft dans sa collection Framabook).

À la fin des années 90, un groupe de passionnés de logiciels libres a suggéré un nouveau terme : « open source ». À l’instar de Stallman, ce groupe était agacé par l’ambiguïté autour du mot « free ». Cependant, la principale préoccupation du groupe open source était l’utilité du logiciel libre pour les entreprises.

Plutôt que de mettre en avant la « liberté », qui pouvait, selon eux, rebuter des entreprises commerciales, les promoteurs de l’open source décrivaient les bénéfices techniques que l’« ouverture » du développement de logiciels libres pourrait apporter, grâce à la collaboration de nombreux utilisateurs mis en réseau. Ces appels ont trouvé un écho au sein des entreprises high-tech à la fin du millénaire au moment où le système d’exploitation libre GNU/Linux gagnait en popularité et où le serveur web Apache dominait un marché bondé de concurrents propriétaires. Le concept « open source » prit un nouvel élan en 1998 quand Netscape rendit public le code source de son navigateur web Navigator.

Malgré des différences rhétoriques et philosophiques, les logiciels libres et les logiciels open source font référence aux mêmes programmes, aux mêmes communautés, aux mêmes licences et aux mêmes pratiques. La définition de l‘open source est presque une copie conforme des directives du logiciel libre publiées par la communauté Debian qui sont elles-mêmes une tentative de redéfinir la déclaration de Stallman sur la Définition du Logiciel Libre. Stallman a décrit cette distinction entre « logiciel libre » et « logiciel open source » comme étant le contraire d’un schisme. Dans un schisme, deux groupes religieux auront des cultes séparés, souvent à cause de désaccords mineurs sur des points de liturgie ou de doctrine. Dans le logiciel libre et l‘open source, les deux groupes se sont articulés autour de philosophies, de principes politiques et de motivations qui sont fondamentalement différentes. Et pourtant les deux parties continuent de travailler en étroite collaboration au sein des mêmes organisations.

Les conversations autour du libre et du gratuit dans les communautés du logiciel libre et de l‘open source ont occulté un second niveau d’ambiguïté dans le terme « logiciel libre », bien moins discuté : le terme a conduit à croire qu’il fallait interpréter les quatre libertés comme des déclarations sur les qualités que les programmes eux-mêmes devraient posséder. Stallman se fiche du logiciel libre en tant que tel, ce qui lui importe c’est la liberté des utilisateurs. Les slogans « free as in freedom » et « free speech not free beer » n’aident en rien à résoudre ce second type d’ambiguïté, et créent même de la confusion. « Free as in freedom » ne dit rien sur ce qui devrait être libre, tandis que « free speech not free beer », reproduit un problème similaire : les défenseurs de la liberté de parole ne défendent pas tant la liberté d’expression en tant que telle que la liberté des individus dans leur parole. Quand pour l’essentiel le discours des promoteurs du logiciel libre insiste sur les caractéristiques des programmes, certains en viennent à considérer la liberté de l’utilisateur comme un problème de second ordre – c’est tout simplement ce qui se produit lorsque le logiciel est libre.

Quand le logiciel est libre, mais pas les utilisateurs

La liberté de l’utilisateur ne découle pas toujours de la liberté du logiciel. En effet, le logiciel libre a pris de l’importance dans les domaines économique et politique : cela a suscité l’intérêt de certaines personnes qui souhaitaient en récolter les bénéfices tout en maintenant l’action et l’indépendance des utilisateurs dans des limites.

Google, Facebook, et autres titans de l’économie du Web ont bâti leur entreprise sur les logiciels libres. En les utilisant ils n’agissent pas seulement en passagers clandestins, dans de nombreux cas ces firmes partagent gratuitement, au minimum, une partie du code qui fait fonctionner leurs services et investissent des ressources conséquentes dans la création ou l’amélioration de ce code. Chaque utilisateur d’un réseau basé sur des logiciels libres peut posséder une copie du logiciel qui respecte les quatre libertés de la FSD. Mais à moins que ces utilisateurs n’exécutent le service web eux-mêmes- ce qui peut s’avérer techniquement ou économiquement infaisable – ils restent sous la coupe des firmes qui, elles, font bel et bien fonctionner leurs copies. Le « Logiciel en tant que Service » (Software as a Service, ou SaaS) – ou logiciel fourni via « le cloud » – est à priori entièrement compatible avec le principe d’un logiciel libre. Toutefois, du fait que les utilisateurs du service ne peuvent pas changer le logiciel ou l’utiliser comme ils le souhaitent sans l’autorisation et la surveillance de leur fournisseur de service, les utilisateurs de SaaS sont au moins aussi dépendants et vulnérables qu’ils le seraient si le code était fermé.

Chrome OS de Google est une tentative pour construire un système d’exploitation qui pousse les utilisateurs à être constamment en ligne et à utiliser des services comme Google Docs pour réaliser la plupart de leurs tâches informatiques. Quand Google a annoncé Chrome OS, nombreux étaient ceux qui ont applaudi dans la communauté du logiciel libre ; Chrome OS est en effet basé sur GNU/Linux, il s’agit presque entièrement de logiciel libre, et il avait l’appui de Google. Mais le but réel de Chrome OS est de changer l’endroit où les utilisateurs réalisent leurs tâches informatiques, en remplaçant les applications que l’utilisateur aurait fait tourner sur sa machine par des SaaS sur Internet. Chaque fois qu’on remplace un logiciel libre du bureau par un SaaS, on passe d’une situation où l’utilisateur avait le contrôle sur ses logiciels à une situation où il n’a pratiquement plus aucun contrôle. Par exemple, l’utilisation que fait Google des logiciels libre dans les services SaaS lui permet de surveiller tous les usages et d’ajouter ou retirer des fonctionnalités selon son bon vouloir. Ainsi, en se concentrant sur la liberté des logiciels et non sur celle des utilisateurs, bien des partisans du logiciel libre n’ont pas su anticiper cette inquiétante dynamique.

TiVo – le pionnier des magnétoscopes numériques – présentait un défi différent. Son système se basait sur GNU/Linux et, conformément à la licence « copyleft » sous laquelle sont distribués la plupart des logiciels libres, la société TiVo autorisait l’accès complet à son code source. Mais TiVo utilisait le chiffrage pour verrouiller son système afin qu’il ne s’exécute que sur des versions approuvées de Linux. Les utilisateurs de TiVo pouvaient étudier et modifier le logiciel TiVo, mais ils ne pouvaient pas utiliser ce logiciel modifié sur leur TiVo. Le logiciel était libre, les utilisateurs ne l’étaient pas.

Les SaaS, Chrome OS et la Tivoisation sont des sujets qui continuent de remuer le milieu des logiciels libres et open source et mettent à jour des lignes de fracture. Il n’est guère surprenant que les partisans de l‘open source ne voient aucun problème avec les SaaS, Chrome OS et la Tivoisation ; ils ne sont pas engagés dans la liberté des utilisateurs ou du logiciel. Toutefois chacun de ces exemples a été facteur de division, y compris parmi les personnes qui pensaient que le logiciel devrait être libre. La Fondation du Logiciel Libre (Free Software Foundation, FSF) a pris explicitement position contre chacun des sujets ci-dessus. Mais il a fallu du temps avant d’identifier chacune de ces menaces et ce fut laborieux de réussir à faire passer le message aux sympathisants. Aujourd’hui, il semble probable que Google et son modèle d’entreprise orienté service représentent une plus grande menace pour la liberté des futurs utilisateurs d’ordinateur que ne l’a été Microsoft. Mais comme Google se conforme scrupuleusement aux termes de la licence du logiciel libre et contribue aux projets de logiciels libres par une grande quantité de code et d’argent, les partisans du logiciel libre ont mis du temps à l’identifier comme une menace et à réagir.

Même la Free Software Foundation continue à se battre avec sa propre mission axée sur le logiciel. Stallman et la FSF ont travaillé ces dernières années pour déplacer du code non-libre qui s’exécute sur les périphériques internes des ordinateurs (par exemple, une carte wifi ou une carte graphique intégrée à l’intérieur d’un portable) depuis le disque dur principal de l’ordinateur vers les sous-processeurs eux-mêmes. L’idée derrière ces efforts est d’éliminer le code non-libre en le basculant vers les composants matériels. Mais les utilisateurs des logiciels sont-ils plus libres si les technologies propriétaires, qu’ils ne peuvent changer, existent dans leur ordinateur sous une forme plutôt qu’une autre ?

La clé pour répondre à cette question – et à d’autres -, c’est de rester concentré sur ce qui distingue libre et ouvert. Les promoteurs du logiciel libre doivent revenir à leur objectif premier : la liberté des personnes, et non celle des logiciels. L’apport fondamental de Stallman et du mouvement libre a été de relier les questions de la liberté et de l’autonomie personnelle à d’autres considérations, quoique ce lien ne soit pas évident pour beaucoup. La manière dont les utilisateurs resteront libres évoluera avec les changements de nature de la technologie. Et alors que certains adaptent les principes du logiciel libre à de nouveaux domaines, ils vont se retrouver confrontés à des problèmes de traduction comparables. Selon le soin que portera notre communauté à distinguer entre les différents mode d’ouverture et à mettre en évidence les questions de contrôle, de politique et de pouvoir, la philosophie du logiciel libre restera pertinente dans toutes ces discussions plus générales autour des nouveaux et différents biens communs – dans les logiciels et au delà.

Crédit photo : David Shankbone (Creative Commons By)




Un logiciel libre n’est pas toujours collaboratif et de qualité

Voici un titre étrange pour un blog comme le nôtre.

Oui il existe des logiciels libres de mauvaise qualité qui ne souffrent pas la comparaison avec leurs concurrents propriétaires ! Et oui encore la majorité des logiciels libres sont uniquement développés par un seul et unique contributeur : leur créateur !

Face à de tels logiciels, les partisans de l’open source pleurent car ils détruisent aussi bien leur argumentaire pratico-technique que le mythe de la collaboration spontanée. Les partisans de logiciel libre envisagent quant à eu les choses différemment car ce qu’ils voient avant tout c’est que le logiciel est libre.

Le logiciel libre n’est pas meilleur en pratique mais il est libre en théorie et c’est bien ça le plus important…

Remarque : Cette traduction est le fruit d’une coopération entre Framasoft (et son énergie plurielle présente sur Framalang et les réseaux sociaux) et l’April (via son équipe de traduction du site GNU.org)

James Rickwood - CC by

Quand le logiciel libre n’est pas meilleur, en pratique

When Free Software Isn’t (Practically) Better

Benjamin Mako Hill – GNU.org
Licence Creative Commons By-Nd – Version du 6 octobre 2012
(Traduction : Framalang et l’équipe Trad-GNU de l’April)

Les objectifs affichés par l‘Open Source Initiative sont les suivants : « L’open source est une méthode de développement logiciel qui exploite la puissance d’une évaluation décentralisée, par les pairs, et la transparence des processus. Les promesses de l’open source sont une meilleure qualité, une plus grande fiabilité, davantage de flexibilité, un moindre coût et la fin d’une situation permettant à des fournisseurs rapaces de verrouiller leurs produits. »

Depuis plus de dix ans maintenant, la Free Software Foundation ne cesse d’argumenter contre la qualification d’« open source » dont on affuble le mouvement du logiciel libre. Si nous, les partisans du logiciel libre, réfutons ce qualificatif d’« open source », c’est surtout parce que nous considérons qu’il s’agit d’un effort volontaire pour réduire la portée de notre message de liberté et masquer le rôle de notre mouvement dans le succès du logiciel que nous avons bâti. Si nous disons que le terme « open source » est mauvais, c’est fondamentalement parce qu’il tente d’éviter toute discussion à propos de la liberté du logiciel. Mais il y a une autre raison pour laquelle nous devrions nous méfier du cadre « open source ». L’argument fondamental de l’open source, tel qu’il est défini dans la déclaration ci-dessus, est souvent incorrect.

Malgré la suggestion de l‘Open Source Initiative, que « la promesse de l’open source est une meilleure qualité, une plus grande fiabilité, plus de flexibilité », cette promesse n’est pas toujours honorée. Bien que nous ne le mettions pas souvent en avant, tout utilisateur d’un logiciel libre aux premiers stades de son développement peut expliquer que ce logiciel n’est pas toujours aussi pratique, sur le plan purement fonctionnel, que ses concurrents privateurs[1] Un logiciel libre est parfois de piètre qualité. Il n’est pas toujours très fiable. La souplesse lui fait parfois défaut. Si les gens prennent les arguments en faveur de l’open source au sérieux, ils doivent expliquer pourquoi l’open source n’a pas tenu ses « promesses » et conclure que des outils privateurs seraient un meilleur choix. Il n’y a aucune raison pour que nous fassions de même.

Richard Stallman parle de cela dans son article « Pourquoi l’open source passe à côté du problème que soulève le logiciel libre » lorsqu’il explique : « L’open source repose sur l’idée qu’en permettant aux utilisateurs de changer et redistribuer le logiciel, celui-ci en sortira plus puissant et plus fiable. Mais cela n’est pas garanti. Les développeurs de logiciels privateurs ne sont pas forcément incompétents. Parfois ils produisent un programme qui est puissant et fiable, même s’il ne respecte pas la liberté de l’utilisateur. »

Pour l’open source, la mauvaise qualité d’un logiciel est un problème à analyser ou une raison de fuir ce logiciel. Pour le libre, c’est un problème à résoudre. Pour les partisans du libre, les bogues et les fonctionnalités manquantes ne sont jamais une raison d’avoir honte. Tout logiciel qui respecte la liberté de ses utilisateurs possède un avantage inhérent sur son concurrent privateur. Même s’il a ses propres problèmes, un logiciel libre a toujours la liberté.

Bien évidemment, tout logiciel libre doit commencer quelque part. Un nouveau programme, par exemple, a peu de chances d’offrir plus de fonctionnalités qu’un programme privateur déjà établi. Un projet commence avec de nombreux bogues et s’améliore avec le temps. Alors que les partisans de l’open source peuvent argumenter qu’un projet deviendra utile avec du temps et un peu de chance, un projet libre représente pour les partisans du logiciel libre une importante contribution, dès le premier jour. Chaque logiciel qui donne aux utilisateurs le contrôle sur leur technologie est un pas en avant. L’amélioration en qualité due à la maturation d’un projet n’est que la cerise sur le gâteau.

Un second point, peut-être plus accablant encore, est que le processus de développement collaboratif, distribué, évalué par les pairs, qui est au cœur de la définition de l’open source, ne ressemble que de loin à la manière dont sont développés en pratique la plupart des projets sous licence libre (ou « open source »).

Plusieurs études universitaires menées sur les sites d’hébergement de logiciels libres SourceForge et Savannah ont démontré ce que beaucoup de développeurs de logiciels libres ayant mis en ligne une base de code savent déjà : la grande majorité des projets libres ne sont pas particulièrement collaboratifs. Le nombre médian de contributeurs à un projet de logiciel libre sur SourceForge ? Un. Un développeur solitaire. Les projets de SourceForge du quatre-vingt-quinzième centile en termes de nombre de participants n’ont que cinq contributeurs. Plus de la moitié de ces projets libres, et même la plupart des projets qui ont fait plusieurs versions à succès et ont été téléchargés fréquemment sont l’œuvre d’un seul développeur avec un peu d’aide de l’extérieur.

En insistant sur la puissance du développement collaboratif et de « l’évaluation décentralisée par les pairs », l’approche open source semble ne pas avoir grand chose à dire, dans la majorité des cas, sur les raisons pour lesquelles on devrait contribuer à un projet libre ou se servir d’un logiciel en développement. Puisque les avantages supposés de la collaboration ne peuvent être constatés quand il n’y a pas de collaboration, la grande majorité des projets de développement libres n’ont pas d’avantage technique sur leurs concurrents privateurs.

Pour les partisans du logiciel libre, ces mêmes projets sont tous vus comme des succès importants. Comme chaque logiciel libre respecte la liberté de ses utilisateurs, les partisans du libre peuvent argumenter qu’il possède au départ un avantage éthique intrinsèque sur les concurrents privateurs – même sur ceux qui proposent plus de fonctionnalités. En insistant sur la liberté plutôt que sur les avantages pratiques, la défense du logiciel libre est ancrée dans la réalité technique d’une façon qui manque souvent à l’open source. Quand le logiciel libre est meilleur, nous pouvons nous en réjouir. Quand il ne l’est pas, nous n’avons pas à considérer cela comme une attaque dirigée contre lui ni même comme un argument valable contre l’utilisation du logiciel en question.

Les partisans de l’open source doivent défendre leur thèse selon laquelle le logiciel développé librement devrait, ou devra avec le temps, être meilleur que le logiciel privateur. Les militants du logiciel libre peuvent quant à eux demander : « Comment peut-on rendre le logiciel libre meilleur ? » Dans le cadre du libre, les logiciels de haute qualité existent comme un moyen plutôt que comme une fin en soi. Les développeurs de logiciels libres doivent s’efforcer de créer des logiciels fonctionnels, flexibles, qui servent bien leurs utilisateurs. Mais ceci n’est pas le seul moyen de progresser vers la réalisation d’un objectif qui est à la fois plus simple et bien plus important : respecter et protéger leurs libertés.

Bien sûr, nous ne cherchons pas à nier que la collaboration joue un rôle important dans la création de logiciels de haute qualité. Dans la plupart des projets libres ayant réussi, ce fut d’ailleurs le cas. Il faut comprendre, soutenir et développer la collaboration, plutôt que de considérer dogmatiquement qu’elle va de soi, quand bien même les faits sont là pour montrer le contraire.

Crédit photo : James Rickwood (Creative Commons By)

Notes

[1] Autre traduction de proprietary : propriétaire




De la question des marques dans le logiciel libre

Le navigateur Firefox étant libre, vous pouvez l’adaptez à vos besoins, le modifier et le distribuer mais vous n’aurez plus nécessairement le droit, sauf autorisation de la Fondation Mozilla, de l’appeler Firefox. Dans le cas contraire il faudra lui trouver un autre nom.

Même chose s’il vous prend l’envie de vendre des tee-shirts avec le célèbre logo du panda roux entourant la terre. Sans autorisation de la fondation cela ne vous sera pas légalement possible.

On pourrait presque dire que dans le logiciel libre tout est libre sauf sa marque (nom, logo…).

Cela se conçoit bien car il est important de savoir qui fait quoi, mais c’est souvent une surprise pour l’utilisateur.

Ce billet de Benjamin Mako Hill évoque donc de cette question du branding qui doit être au service du projet et non mettre des bâtons dans les roues de sa communauté.

Roadsidepictures - CC by-nc-nd

Open Brands

Open Brands

Benjamin Mako Hill – 2 septembre 2012 – Copyrighteous (blog personnel)
(Traduction : GPif, ehsavoie, Fe-lor, goofy_chromium, Louson, JoKoT3, Penguin, pwetosaurus, Giant Jack)

Fin juillet, les membres de l’Awesome Foundation m’ont invité à participer, lors de leur conférence, à une interessante discussion au sujet des marques ouvertes (NdT : Open Brands). Awesome est un jeune regroupement d’organisations qui s’interroge pour savoir s’il faut, et si oui comment, controler ceux qui utilisent le terme Awesome dans leur nom. Ils m’ont demandé d’intervenir pour présenter comment la communauté du logiciel libre abordait ce problème.

La gouvernance d’un logiciel libre est souvent étonnamment floue sur le sujet. J’ai assisté et participé a des discussions houleuses sur cette question de la marque, dans chaque projet de logiciel libre (réussi) où j’ai travaillé. Plusieures années en arrière, Greg Pomerantz et moi avons écrit, autour de quelques bières, un brouillon de politique de marque déposée pour la distribution Debian. J’ai également travaillé avec le responsable du projet Debian, Stefano Zacchiroli et un avocat de du Software Freedom Law Center afin d’aider à la rédaction d’un brouillon pour la politique de marque déposée du projet Debian dans son ensemble.

Grâce à ces réflexions, j’en suis venu à élaborer trois principes, qui, à mon avis, mènent à des discussions plus claires pour déterminer si la culture libre et le logiciel libre doivent enregistrer une marque déposée et, s’ils le font, comment ils doivent concevoir d’accorder ou non l’utilisation de la marque à d’autres (et sous quelles conditions). J’ai listé, ci-dessous, ces principes par ordre d’importance.

1. Nous voulons que les gens utilisent nos marques.

Les discussions concernant les marques déposées semblent tourner à un exercice consistant à imaginer tous les abus possibles de l’image de la marque déposée. C’est à la fois idiot et erroné. Il faut être très clair sur ce point : Notre problème n’est pas que les gens n’utilisent pas correctement nos marques, mais qu’ils ne sont pas assez nombreux à les utiliser. Le but primordial d’une politique de protection des marques devrait être d’en rendre possible et facile son utilisation légitime.

Nous voulons que les gens fabriquent des tee-shirts avec nos logos. Nous voulons que les gens écrivent des livres sur nos logiciels. Nous voulons que les gens créent des groupes d’utilisateurs et tiennent des conférences. Nous voulons que les gens utilisent, parlent, et fassent la promotion de nos projets, commercialement ou non.

Or le branding peut limiter la diffusion de notre marque et va ainsi nuire à nos projets. Parfois, après avoir soigneusement considéré ces inconvénients, nous pensons que ces compromis en valent la peine. Et c’est parfois le cas. Cependant, les projets sont souvent trop prudents, et en conséquence font l’erreur de trop vouloir contrôler. Je pense que le désir des projets libres de contrôler leur marque a fait plus de dommage que tous les mauvais usages des marques mis bout à bout.

2. Nous voulons que nos projets soient capables d’évoluer.

La création d’une marque déposée donne le pouvoir légal de contrôler une marque dans les mains d’un individu, d’une firme ou une organisation à but non lucratif. Même si ça n’a pas l’air d’être si important, ce pouvoir est, fondamentalement, la capacité à déterminer ce que le projet est, et ce qu’il n’est pas.

J’ai entendu dire que dans le monde politique américain, il n’y a aucune marque déposée pour les termes Républicain ou Démocrate et qu’aucune permission n’y est requise pour créer une organisation affirmant appartenir à l’un ou l’autre parti. Et cela n’implique pourtant pas de confusion générale. À travers les structures sociales et organisationnelles, on voit clairement qui en fait partie ou non, et qui est à la marge.

Plus important, cette structure permet à de nouvelles branches et des groupes extérieurs à la ligne officielle de grandir et se développer en marge. Les deux partis se disputent depuis le XIXe siècle, ont changé de position dans le spectre politique sur un grand nombre de questions, et ont été le lieu d’importantes divergences idéologiques internes. La plupart des organisations devraient aspirer à une telle longévité, à de tels débats internes et à une telle flexibilité.

3. Nous ne devrions pas troubler nos communautés.

Bien qu’ils soient souvent sources d’abus, les marques sont foncièrement en faveur des consommateurs. Le but des marques légalement déposées est d’aider les consommateurs à ne pas être induits en erreur sur la source d’un produit ou d’un service. Des utilisateurs peuvent aimer un logiciel du projet Debian, ou peuvent le détester, mais il est agréable pour eux de savoir qu’ils ont la Qualité Debian lorsqu’ils téléchargent une distribution.

Bien évidemment, protéger des marques légalement n’est pas le seul moyen pour atteindre ce but. Les noms de domaine, les politiques internes et les lois contre la fraude et l’usurpation d’identité servent également ce but. L’Open Source Initiative a fait une demande de marque déposée pour le terme open source, et leur demande a été heureusement rejetée. L’absence d’enregistrement d’une marque ne les a pas empêchés de contrôler l’utilisation de ce terme. Si certaines personnes tentent de donner le terme open source à leurs produits open source alors qu’ils ne le sont pas, elles sont rappelées à l’ordre par une communauté de personnes qui savent de quoi ils parlent.

Et puisque les avocats sont rarement dans la boucle, il est difficile de savoir si déposer une marque aiderait dans la grande majorité des cas. Il est également vrai que la plupart des structures du libre manquent d’argent, de conseils juridiques ou de temps, pour obliger à une utilisation correcte de la marque. Il est effectivement très important que votre communauté d’utilisateurs et de développeurs sache précisément ce qu’est, et ce que n’est pas, votre produit et votre projet. Mais comment nous décidons d’arriver à cela n’est pas quelque chose que nous devons considérer comme acquis et tout le monde doit être impliqué dans les décisions.

Crédit photo : Roadsidepictures (Creative Commons By-Nc-Nd)




Tout est libre dans le logiciel libre, sauf sa maison !

Pranav - CC byPar nature décentralisés et collaboratifs, les logiciels libres ont besoin d’être hébergés sur Internet dans des forges qui en assurent leur développement (en offrant de nombreux services comme la gestion des versions ou le suivi des bugs).

SourceForge est certainement la plus célèbre d’entre elles et abrite en son sein plusieurs centaines de milliers de logiciels libres. Google, encore lui, n’est pas en reste avec son Google Code qui accueille de plus en plus d’applications.

Or si ces forges sont bien gratuites et très pratiques (puisque l’on crée et gère son projet en quelques clics), la plupart ne sont paradoxalement pas libres ! Il n’est ainsi pas possible de récupérer le code qui les fait tourner pour installer sa propre forge sur son propre serveur.

On comprend aisément qu’un site comme Facebook garde jalousement son code puisque son objectif est de concentrer au même endroit un maximum d’utilisateurs et surtout pas de les voir partir pour y faire leur petit Facebook personnel dans leur coin. Mais on comprend moins que les développeurs de logiciels libres se retrouvent un peu dans la même situation en acceptant de placer leur code sur des plateformes propriétaires. C’est une question de principe mais aussi de l’avenir incertain d’un code qu’il est alors difficile de déplacer[1].

C’est tout l’objet de cette mise en garde de notre ami Benjamin Mako Hill dont c’est déjà la quatrième traduction.

Il faut des outils libres pour faire des logiciels libres

Free Software Needs Free Tools

Benjamin Mako Hill – 4 juin 2010 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Misc, Cheval boiteux, Siltaar et Goofy)

Au cours des dix dernières années, les développeurs de logiciels libres ont été régulièrement tentés par des outils de développement qui offrent la capacité d’élaborer des logiciels libres de façon plus efficace et productive.

Le seul prix à payer, nous dit-on, est que ces outils eux-mêmes ne sont pas libres ou s’exécutent comme des services réseaux avec du code que nous ne pouvons pas voir, ou lancer nous-mêmes. Dans leurs décisions d’utiliser ces outils et services (tels que BitKeeper, SourceForge, Google Code et GitHub), les développeurs de logiciels libres ont décidé que « la fin justifie les moyens » et ont en quelque sorte vendu la liberté de leur communauté de développeurs et d’utilisateurs. Cette décision d’adopter des outils de développement non libres et privés a entamé notre crédibilité dans la promotion des libertés logicielles et a compromis notre liberté comme celle de nos utilisateurs d’une façon que nous devrions rejeter.

En 2002, Linus Torvalds a annoncé que le noyau Linux utiliserait le systéme de gestion de version distribué BitKeeper. Bien que la décision ait généré beaucoup de craintes et de débats, BitKeeper a permis aux codeurs du noyau de travailler de manière décentralisée avec une efficacité qu’il n’aurait pas été possible d’obtenir avec les outils libres de l’époque. Certains développeurs Linux ont décidé que les bénéfices obtenus justifiaient la perte de liberté des développeurs. Trois ans plus tard, les sceptiques prirent leur revanche quand le proprétaire de BitKeeper, Larry McVoy, a retiré la licence gratuite d’utilisation de plusieurs développeurs importants du noyau, car Andrew Tridgell avait commencé à écrire un remplaçant libre de BitKeeper. Les développeurs furent forcés d’écrire leur propre outil libre pour le remplacer, un projet connu maintenant sous le nom de Git.

Bien sûr, les relations entre logiciels libres et outils non libres vont au-delà du cas de BitKeeper. Le code source des logiciels du service SourceForge était jadis disponible pour ses utilisateurs, mais les auteurs sont revenus à un modèle totalement fermé. Bien que SourceForge soit construit sur des briques libres, les utilisateurs interagissent avec le logiciel uniquement via le Web sur l’unique site SourceForge. Comme les utilisateurs n’ont pas de copie du logiciel de Sourceforge, ils ne peuvent pas en demander le code source. Des projets similaires comme le service Tigris.org de CollabNet, Google Code et GitHub ont tous des buts similaires, et gardent leur code pour eux de la même façon. Les services sont souvent fournis gratuitement et promeuvent le développement de logiciel libre, mais leur dévouement ne s’étend pas aux logiciels qui font tourner leur plateforme de développement. Le code source de chacun de ces services reste privé et non modifiable par les développeurs utilisant ces services.

Ces outils de développement proprietaires posent un dilemme à de nombreux développeurs de logiciels libres. Le but de chacun de ces services est de permettre le succès des logiciels libres et l’obtention de plus de libertés grâce à l’utilisation d’outils plus efficaces. CollabNet, Google et GitHub annoncent chacun qu’ils veulent que le logiciel libre progresse et qu’ils veulent l’aider à avancer. Pour certaines raisons, ces entreprises ont choisi de soutenir les libertés logicielles par des moyens moins en phase avec les éthiques du mouvement que celle qu’ils cherchent à créer. Le résultat est que les développeurs sont dépossédés. La liberté du code logiciel que produisent ces hackers est dépendante d’une restriction inacceptable.

Tout d’abord, l’utilisation d’outils non libres envoie un message irrecevable pour les utilisateurs du logiciel libre produit. « La liberté des logiciels est importante pour vous », semblent dire les développeurs, « mais pas pour nous ». Un tel comportement sape l’efficacité basique du fort engagement éthique au cœur du mouvement du logiciel libre. À tous ceux qui ont déja fait le choix du logiciel libre, nous devons montrer que nous pouvons réussir – et prospérer – en utilisant des logiciels libres. Nous devons soutenir les alternatives libres face aux systèmes propriétaires, comme Savane qui peut remplacer SourceForge ou Google Code, et qui est à la base de GNU Savannah, ou encore Gitorious, pour remplacer GitHub, en les utilisant et en les améliorant dans les domaines où ils peuvent être améliorés.

Deuxièmement, nous devrions comprendre en nous projetant plus en avant que le logiciel que nous produisons n’est libre qu’en fonction des logiciels dont il dépend pour son usage, sa distribution et son évolution.

La licence GNU GPL et le code source ne signifient pas grand-chose pour un utilisateur qui veut modifier un programme sans avoir un accés libre au logiciel requis pour permettre cette modification. Il ne s’agit pas que de mettre les libertés des développeurs dans la balance, mais aussi finalement celles des utilisateurs et de tous les développeurs qui prendront le relais. Ceux qui choisissent d’utiliser des logiciels non libres placent tout le monde à la merci des groupes et des individus qui produisent les logiciels dont ils dépendent.

Tandis que les outils de développement propriétaires peuvent aider les développeurs de logiciels libres à produire de meilleurs logiciels à court terme, le prix à payer est inacceptable. Dans le débat controversé des logiciels privés et des services réseaux, les développeurs de logiciels libres devraient se placer du côté de « l’excès » de liberté. Compromettre nos principes afin d’obtenir plus de liberté est auto-destructeur, instable et au final injuste envers nos utilisateurs et la communauté des développeurs de logiciels libres dans son ensemble.

Tout comme les premiers mainteneurs du projet GNU se sont d’abord concentrés sur la création d’outils libres pour la création de logiciel libre, nous devons nous assurer que nous pouvons produire des logiciels sans entrave et utiliser des outils incontestablement ouverts. Si nous échouons, les logiciels seront indirectement moins libres. Nous devons refuser l’utilisation de logiciels qui ne nous garantissent pas les libertés que nous tentons de donner à nos utilisateurs par le développement de logiciels, et nous devons faire pression en ce sens sur les producteurs de nos outils de développement. Le logiciel libre n’a pas réussi en compromettant nos principes. Nous ne serons pas bien servis d’un point de vue technique, pragmatique ou éthique en compromettant la liberté des outils que nous utilisons pour constuire un monde libre.

Benjamin Mako Hill
Creative Commons By-Sa

Notes

[1] Crédit photo : Pranav (Creative Commons By)




Pourquoi soutenir la Free Software Foundation – Benjamin Mako Hill

Soulfish - CC by-saBenjamin Mako Hill n’a pas encore trente ans mais cela ne l’empêche pas d’avoir un CV qui force déjà l’admiration.

Chercheur au MIT Media Lab, développeur Debian puis Ubuntu, membre des bureaux de la FSF et Wikimedia, impliqué dans le projet OLPC et dans la définition des Free Cultural Works… Excusez du peu ![1]

Après nous avoir expliqué dans ces mêmes colonnes pour il fallait soutenir Wikipédia, il récidive ici avec la Free Software Foundation, non sans enthousiasme et éloquence[2].

PS : Pour info, Framasoft est Associate Membership #7234 de la FSF.

Appel à soutenir la Free Software Foundation

Benjamin Mako Hill

Benjamin Mako Hill – 19 janvier 2010 – FSF Appeals
(Traduction Framalang : Don Rico et Mathieu Adoutte)

L’essence du logiciel libre est selon moi de permettre aux utilisateurs de micro-informatique d’être maître de leur machine et de leurs données. Dans la mesure où nos logiciels définissent notre rapport au monde et aux autres, la liberté logicielle est une part importante de ce qui nous permet de déterminer notre façon de vivre, de travailler et de communiquer.

Mako siège au comité directeur de la FSF.

En matière de logiciels libres, le programme créé n’est pas une fin en soi ; ce qui importe c’est d’apporter la liberté aux utilisateurs.

Avec l’immense succès que rencontre le Libre depuis vingt ans, nombreux sont ceux qui ont perdu de vue ce point pourtant simple. Nous avons créé un ensemble incroyable d’applications, d’outils et de bibliothèques. Nous avons mis sur pied des communautés d’entraide et de développement bouillonnantes. Nous avons mis au point de nouvelles méthodes de développement, de puissantes licences copyleft et d’immenses projets collaboratifs. Pourtant, tous ces éléments ne sont qu’une façon de conférer plus de liberté à ceux qui s’en servent. Ils ne forment pas la liberté en soi. Ils ne constituent pas notre réel objectif. Ce sont nos outils, et non notre but.

Dans un monde où la technologie est en mutation perpétuelle, cette distinction devient centrale. Car c’est bien dans un monde qui change en permanence que nous vivons. Alors que nombre de personnes font du téléphone portable leur ordinateur principal, et que beaucoup d’entre elles s’en servent principalement pour accéder à des services en réseau d’un genre nouveau, les anciennes applications, communautés, méthodes de développement et licences du Libre peuvent se révéler inadaptées ou inefficaces pour protéger la liberté de l’utilisateur.

Au cours des prochaines années, apporter la liberté aux utilisateurs d’informatique nécessitera une adaptation des logiciels et des discours. Il faudra de nouvelles licences et techniques pour les faire respecter. Il faudra renouveler notre façon de collaborer et de nous organiser. Pour atteindre son but, le logiciel libre doit rester concentré sur la liberté de l’utilisateur – sur la question de nos motivations à agir comme nous le faisons – puis se montrer créatif quant à la meilleure manière de respecter et préserver la liberté à laquelle nous aspirons. Si nous sommes trop axés sur ce que nous avons accompli par le passé, nous risquons de perdre de vue notre objectif fondamental : favoriser le contrôle qu’ont les utilisateurs sur leurs outils technologiques en général.

De nombreuses structures soutiennent le logiciel libre en s’attachant au « comment ». On trouve parmi elles des cabinets juridiques, des entreprises et des associations à but non lucratif, qui appuient divers projets associés au Libre.

La Free Software Foundation est de loin l’organisation la plus importante qui s’interroge sur le pourquoi – sur l’essence de la liberté logicielle. En tant que telle, elle a un rôle fondamental : celui de pousser notre communauté au sens le plus large à se focaliser sur les problèmes, les menaces et les défis les plus importants, lesquels ont une incidence sur la réussite de chaque projet de logiciel libre et sur chaque utilisateur de l’outil informatique, aujourd’hui et demain. En ces temps d’évolution rapide de la technologie, son action est plus vitale que jamais. Et les conséquences d’un échec seraient plus dramatiques.

Voici certains domaines dans lesquels je vais encourager la FSF à défendre le mouvement du Libre au cours de l’année à venir :

La téléphonie mobile

Dans un court billet, j’indiquais qu’il y avait aujourd’hui des milliards de téléphones portables dans le monde et que, même si ces appareils sont des ordinateurs de plus en plus puissants, ils constituent une des technologies les plus verrouillées, les plus privatrices et les moins libres parmi celles communément répandues.

Les conséquences de cette situation sont désastreuses quant au contrôle que les utilisateurs peuvent avoir sur leur technologie. Bien que certains modèles très répandus fonctionnent grâce à des logiciels libres, la plupart des appareils dits libres sont cadenassés, et leurs utilisateurs demeurent menottés, divisés et impuissants.

Nous devons informer les utilisateurs de mobiles des enjeux des logiciels libres, les avertir que les téléphones sont de puissants ordinateurs polyvalents, et leur expliquer que ces appareils ont des implications critiques pour l’autonomie de tout un chacun dans le futur. À cette fin, la FSF va lancer cette année une campagne de sensibilisation concernant la téléphonie mobile et la liberté informatique.

Les services en ligne

L’étendue et le taux de pénétration des services en ligne tels que Facebook, Google et autres n’ont cessé de croître au cours de l’année passée, et il en va de même pour la nécessité d’offrir des équivalents libres. Le lancement de produits réseau-centriques tels que le ChromeOS de Google offre un aperçu de ce à quoi une plate-forme informatique pourrait ressembler à l’avenir.

Les conséquences pour la liberté de l’utilisateur et l’efficacité de l’approche traditionnelle du logiciel libre sont effrayantes. Le fait que de nombreux services en ligne soient construits grâce à des logiciels libres ne rend pas moins catastrophique l’effet qu’ils auront sur l’autonomie et la liberté des utilisateurs.

Au cours de l’année à venir, la FSF compte publier la première annonce, qui je l’espère sera suivie par d’autres, sur la liberté informatique et les services en ligne. En s’appuyant sur les travaux du groupe Autonomous, que soutient la FSF, la Fondation fournira des conseils à ceux qui mettent en place des services en ligne, aux utilisateurs qui se demandent s’ils doivent ou pas s’inscrire à tel ou tel service, et aux développeurs souhaitant concevoir des services qui respectent davantage la liberté de leurs utilisateurs.

Communiquer au-delà de nos communautés habituelles

Pour lutter efficacement pour la liberté informatique, il va falloir s’adresser à des utilisateurs n’appartenant pas à la « base » historique de la FSF. C’est ce que fait la FSF par le biais de sa campagne anti-DRM Defective by Design et son action contre les brevets logiciels (End Software Patents). Cette année, la FSF a aussi cherché à toucher les plus jeunes avec sa campagne « GNU Generation » (NdT : soit « GNUvelle génération »), menée par et pour des lycéens. En outre, la FSF a organisé un colloque sur les femmes dans le logiciel libre. La FSF prévoit de cultiver ces réussites et de multiplier ce genre de projets d’ouverture.

Bien évidemment, promouvoir et défendre la liberté logicielle représente plus de travail que la FSF, avec ses ressources actuelles, ne peut en accomplir. Chacun des trois points mentionnés plus haut constitue une entreprise ambitieuse, mais ils ne représentent qu’une partie du pain que le personnel de la FSF a sur la planche. Poursuivre les projets existants exigerait déjà de la FSF qu’elle intègre des centaines de nouveaux membres avant la fin de cet exercice. Votre adhésion et vos dons nous aideront à atteindre ces objectifs.

C’est un mouvement du logiciel libre fort – et en particulier une FSF forte – attaché à défendre les principes de la liberté des logiciels, qui déterminera les libertés dont jouira la prochaine génération d’utilisateurs de l’outil informatique. Ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que l’autonomie de la génération qui nous suivra.

Je sais que ce n’est pas le premier appel aux dons qui vous est adressé depuis le début de l’année, et j’ai conscience qu’en cette époque de crise économique, donner se révèle délicat pour beaucoup. Je comprends qu’il sera plus difficile de consentir à la dépense que représente une adhésion ou un don. Mais à ce moment charnière dans le domaine technologique, il nous faut plus que jamais une FSF robuste.

Si vous n’êtes pas membre de la FSF, c’est le moment de le devenir. Si vous avez lu mes appels des années précédentes et choisi d’attendre, il est temps de vous lancer. La cotisation est de 120 dollars par an (60 dollars pour les étudiants), et elle peut être mensualisée. Si vous êtes déjà membre, je vous invite à faire comme moi un don généreux, ou à encourager un ami à adhérer. La FSF est une petite organisation composée de passionnés qui travaillent sans relâche pour notre liberté logicielle. Je sais d’expérience que même les contributions les plus modestes peuvent changer la donne.

Notes

[1] Et pour l’avoir rencontré aux RMLL d’Amiens en 2005, j’ajoute que le garçon est charmant. Si en plus il s’intéresse aux filles, je crois qu’il se rapproche du gendre idéal de ce nouveau siècle 😉

[2] Crédit photo : Soulfish (Creative Commons By-Sa)




Dossier OLPC : 4 Le souhait de Benjamin Mako Hill

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Après l’intervention de Stallman et la précision de Negroponte, Nous poursuivons aujourd’hui notre petit dossier sur l’OLPC qui se trouve clairement aujourd’hui à la croisée des chemins.

Il faut dire que, sauf erreur de ma part, les grands médias francophones ne semblent pas du tout s’y intéresser (et c’est bien décevant). Les seuls qui abordent le sujet sont les sites web spécialisés en informatique alors que c’est avant tout d’éducation qu’il s’agit. Ceci n’a pas échappé à Benjamin Mako Hill[1] dont je partage totalement le point de vue[2].

Une traduction que nous devons à Simon Descarpentries pour une relecture by myself.

OLPC - Barnaby - CC-By

Libération des ordinateurs portables

Laptop Liberation

Benjamin Mako Hill – mardi 29 avril 2008

Au cours de la semaine dernière, Nicholas Negroponte donna cette malheureuse entrevue décriant « l’intégrisme du logiciel libre » (ndt, open source fundamentalism), et indiquant la possibilité d’une relation plus chaleureuse avec Microsoft. Comme on pouvait s’y attendre, cela a suscité un flux ininterrompu de commentaires sur OLPC News et sur les listes de diffusion du projet OLPC.

Quelques jours avant que la déclaration de Negroponte n’atteigne le presse, j’ai donné une conférence nommée Libération des ordinateurs portables au Penguicon où j’ai pu expliquer pourquoi je pensais que l’utilisation d’un système d’exploitation libre et l’adoption des principes du logiciel libre par le projet OLPC étaient essentiels pour le succès de l’initiative et de ces propres objectifs de réforme de l’éducation. Et cela fait un certain temps que je dit des choses similaires.

Mon propos peut se réduire à quelque chose, d’assez approprié, que Nicholas Negroponte aimait à dire quand le projet s’appelait encore le Portable à 100$ : un pc-portable extrêmement peu cher n’est pas une question de « si », mais de « quand » et « comment ». Cette technologie définira les modalités par lesquels les étudiants communiqueront, collaboreront, créeront et apprendront. Ces modalités sont dictées par ceux qui ont la capacité de changer les logiciels — ceux qui ont accès aux ordinateurs, aux sources nécessaires pour faire les changements et à la liberté de partager et de collaborer.

Le constructionnisme (la philosophie éducative de l’OLPC) consiste à mettre de puissants outils, et le contrôle sur ses puissants outils, dans les mains des étudiants. Il s’agit de l’apprentissage par l’exploration et la création, il s’agit également de façonner son propre environnement d’apprentissage. Les principes constructionnistes portent en eux des similarités non négligeables avec ceux du logiciel libre. En effet, l’engagement du projet OLPC auprès des logiciels libres ne s’est pas produit par accident. Le projet OLPC argumenta de manière convaincante qu’un système libre était essentiel à la création d’un environnement d’apprentissage qui puisse être utilisé, bidouillé et ré-inventé par ses jeunes utilisateurs. À travers ces processus, l’XO devient une force pour l’apprentissage de l’informatique, et un environnement via lequel les enfants et leur communautés peuvent utiliser la technologie suivant leurs choix, dans des conditions appropriées qu’ils auront eux-mêmes décidé.

Nous savons que les bénéficiaires d’ordinateurs portables seront avantagés de pouvoir réparer, améliorer et traduire les logiciels fournis avec leurs ordinateurs dans leur propres langues et contextes. Mais le plus important, c’est ce qui sera fait de ces ordinateurs, et que le projet OLPC n’a pas encore imaginé. L’OLPC est un puissant outil éducatif, mais le pouvoir ultime n’est que dans les mains de ceux qui peuvent librement utiliser, modifier et collaborer à la définition des modalités de leur environnement d’apprentissage. Par son engagement pour la liberté du logiciel, le projet OLPC fit le choix de ne pas être arrogant, en s’imaginant savoir comment ses bénéficiaires utiliseront leurs ordinateurs. Un environnement flexible, conçu pour l’apprentissage constructionniste, et une plate-forme de développement libre protègent de cette arrogance.

Le constructionnisme et le logiciel libre, implémentés et enseignés en classe, offrent un très fort potentiel d’exploration, de création et d’apprentissage. Si quelque chose te déranges, change-le. Si quelque chose ne fonctionne pas bien, répare-le. Le logiciel libre et le constructionnisme placent les élèves en situation d’appropriation de leur environnement d’apprentissage, de la manière la plus importante et la plus explicite possible. Ils créent une culture de l’autonomisation. La création, la collaboration et l’engagement critique deviennent la norme.

Le projet OLPC n’a pas à choisir si la technologie éducative arrive à maturité. Si nous travaillons dur pour ça, alors nous pourrons peut être influencer le « comment » et le « qui ». Les éditeurs de logiciels propriétaires tel que Microsoft veulent que le « qui » soit eux. Avec les logiciels libres, les utilisateurs peuvent être au pouvoir. L’enjeux n’est autre que l’autonomie. Nous pouvons aider à favoriser un monde où les technologies sont au service de leurs utilisateurs et où l’apprentissage se fait suivant les modalités des étudiants, un monde où tous ceux qui possèdent des ordinateurs portables sont libres car ils contrôlent la technologie qu’ils utilisent pour communiquer, collaborer, créer et apprendre.

Ceci est, pour moi, la promesse de l’OLPC et sa mission. C’est la raison pour laquelle je me suis engagé et que je supporte le projet depuis quasiment son premier jour. C’est la raison pour laquelle j’ai laissé Canonical et Ubuntu pour revenir à l’école au MIT, et être plus proche du projet indépendant qui naissait alors. C’est la raison pour laquelle l’engagement de l’OLPC dans la philosophie constructionniste est si importante à sa mission, et la raison pour laquelle sa mission a besoin de continuer à être menée avec des logiciels libres. C’est pourquoi le projet OLPC doit être sans compromis à propos de la liberté des logiciels.

En tant que conseiller et parfois contractant du projet OLPC, ce dernier n’est pas en devoir de m’écouter. Mais j’espère, pour notre bien à tous, qu’ils le feront.

Notes

[1] Pour mémoire nous avions traduit un autre article de Mako Hill : Pourquoi faire un don à Wikipédia ? (et soutenir la culture libre et ses utopies).

[2] Photographie : détail de Mexican Children with OLPC XOs par Barnaby sous licence Creative Commons By.




Pourquoi faire un don à Wikipédia ? (et soutenir la culture libre et ses utopies)

Hamed Masoumi - CC byLorsque j’ai lu cet appel au don de Benjamin Mako-Hill j’ai eu envie de le proposer à traduction à la Dream Team FramaLang. D’abord parce que soutenir Wikipédia en tant que tel est important. Mais également parce que l’angle adopté par Mako Hill me semblait intéressant et sujet à réflexion.

Dans ce mouvement de la culture libre, dont on ne trouve pas de réelle définition, et où Wikipédia représente à la fois la figure de proue et le cheval de Troie, il y aurait donc des utopistes et des pragmatiques. Un peu comme la dialectique révolutionnaires vs réformistes du siècle dernier. Les classiques oppositions Stallman et la Free Software Foundation vs l‘Open Source, les licences des logiciels libres vs les licences Creative Commons, et pourquoi pas GNU/Linux vs Linux, ne s’inscrivent-elles pas en effet dans cette dichotomie ?

Oui (à n’en pas douter) Wikipédia représente bien plus que Wikipédia et oui (peut-être ? sûrement ?) elle constitue un formidable espoir pour les utopistes (dont je suis)[1].

Wikimedia et le mouvement de la culture libre

Wikimedia and the Free Culture Movement

Benjamin Mako-Hill – 11 décembre 2007 – whygive.wikimedia.org
(Traduction Framalang : GaeliX et Daria)

En même temps que les technologies de communication créaient un raz-de-marée dans la connaissance, la créativité et la communication, les créations culturelles sont plus que jamais sévèrement contrôlées et restreintes.
Une évolution plus que rapide du régime du droit d’auteur, fait de l’utilisation, la modification ou la distribution de presque tout document, une propriété exclusive de son créateur. Le « copyright » aujourd’hui est automatisé, étendu et est valable sur plus d’un siècle. Notre culture, aujourd’hui, est propriétaire.

Pour contrebalancer cette tendance, des écrivains, des scientifiques, des musiciens, des artistes, et d’autres encore, ont uni leurs efforts pour demander l’accès à la connaissance et à la création d’un mouvement social pour la culture libre – culture qui est libre comme dans liberté, même si elle ne l’est pas nécessairement dans le prix. Dans la courte vie de la culture libre, Wikipedia s’est positionné comme étant le plus important et le plus méritant des projets de culture libre. Le projet Wikimedia, dont Wikipédia fait partie, offre à quiconque travaille dans un objectif de culture libre un exemple de ce à quoi pourrait ressembler une réussite, des conseils pour la meilleure façon d’y arriver, et l’inspiration pour continuer.

Votre soutien à la Fondation Wikimedia durant la collecte de fonds cette année a donné plus de résultats que le simple financement de la fondation et de ses projets. Il a soutenu et ouvert la voie à un mouvement mondial en faveur de la culture libre qui est déjà beaucoup plus vaste que Wikipedia, Wikimedia, et autres wikis. Le mouvement de la Culture Libre, comme le démontre Wikipédia, offre une vision convaincante de comment nous pourrions améliorer la façon dont nous produisons et consommons l’information tout au long de notre vie.

Culture Libre

En vertu des lois de copyright actuelles, on ne peut pas légalement copier un article pour un ami, faire un remix d’une vidéo, ou chanter Happy Birthday dans un restaurant sans demander une autorisation et, dans la plupart des cas, de payer une licence. Plus embêtant, la plupart des oeuvres culturelles sont soumises au copyright, par défaut, au moment de leur création, à moins qu’il ne soit précisé explicitement que ces œuvres peuvent être utilisées, copiées et modifiées.
Par le biais du droit d’auteur, l’accès aux plus importantes ressources culturelles et universitaires sont bloquées par les « péages » et les restrictions. L’accès légal à la plupart des connaissances et à la culture est cher – et d’un coût prohibitif pour la plupart d’entre nous. La création d’œuvres s’inspirant d’un sujet, ou en étant dérivées – comme l’échantillonnage ou les remixes – est souvent purement et simplement interdite.

Outrés par cette situation, les créateurs et les consommateurs de culture exigent une plus grande liberté de distribuer et de modifier ces biens de consommation dans le cadre du mouvement de la culture libre. Bien que certains leaders du mouvement aient résisté à la déclaration d’objectifs explicites, ils ont constamment placé la culture libre en opposition à l’attitude "hautement protectionniste» du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle. La musique, l’art, les connaissances et la culture, nous disent les activistes de la culture libre, doivent être largement accessibles, flexibles dans les conditions et restrictions concernant leur utilisation, redistribution et modification.

Pour partie, le mouvement de la culture libre est constitué d’Utopistes qui imaginent, décrivent et épousent le monde de ce qu’ils ressentent comme étant vraiment la culture libre. Pour ces Utopistes, la culture libre est un aperçu du monde idéal où les connaissances peuvent être utilisées, étudiées, modifiées, construites, distribuées et partagées sans restriction. C’est un monde où les créateurs sont à leur juste valeur et universellement respectés, reconnus pour leur mérite, et rémunérés. Le principal problème que rencontrent ces Utopistes, est que, dans de nombreux cas, ils ne savent pas comment passer de la culture contemporaine – fondée sur l’économie, le droit d’auteur, la propriété, le contrôle et les demandes d’autorisations – à leur monde idéal.

Sentant que l’Utopie n’est pas viable, les pragmatiques de la culture libre préconisent d’essayer d’obtenir le plus possible en réformant le système actuel du copyright et de faire ensuite des améliorations progressives. En particulier, ces pragmatiques estiment que l’idéalisme utopique détruit l’exclusivité de la commercialisation qui aide à soutenir la production de nombreuses oeuvres créatives. Il vaut mieux, disent-ils, se mettre d’accord sur un usage non commercial ou de copie in extenso que de conserver le droit d’auteur par défaut c’est-à-dire «tous droits réservés»

Le mouvement de la culture libre est tiraillé entre le désir de créer un monde de connaissances vraiment libres et le fait, que dans cette optique, pour ces mêmes connaissances, ils ont éliminé tous les systèmes financiers et sociaux viables qui soutenaient la création des oeuvres. Les pragmatiques font des compromis avec cette vision utopique d’un monde libéré pendant que les Utopistes prônent ce qui semble être irréaliste pour beaucoup.

Wikimedia

Wikimedia est un projet de culture libre utopique. Son objectif n’est pas seulement de recueillir des connaissances, son objectif est de le faire librement. Wikipedia a été créée avant de savoir s’il était sûr qu’une encyclopédie libre pouvait exister, serait un succès ou si elle serait mieux que les solutions propriétaires existantes. Son objectif était d’être libre, ouverte et sans restriction. Ironiquement, c’est cet attachement idéaliste qui a conduit à la création d’alternatives et à redéfinir ce qui est possible et réaliste de faire. Dans le monde du Libre, rien ne le prouve mieux que Wikipedia. Rien ne donne, plus qu’elle, l’espoir aux Utopistes de la culture libre.

Wikimedia est importante tout simplement parce qu’elle existe et qui plus est parce qu’elle existe librement. Etant l’un des sites actifs les plus visités, Wikipedia est un endroit incontournable pour tout chercheur ou internaute. C’est souvent la réponse aux questions et à la curiosité de millions de personnes. Ce n’est pas simplement qu’elle a réponse à beaucoup de sujets, c’est plus que cela. Ce n’est plus trop un sujet controversé que de dire que Wikipedia est l’unique ouvrage de référence réellement impressionnant qui ait jamais été produit. Elle est l’un des plus importants ouvrages de culture existant dans le monde. Et qui plus est, elle est gratuite.

Au début de cette année, le comité exécutif de la Fondation Wikimedia a formulé un engagement explicite pour une interconnexion forte entre les objectifs de la culture libre. Par cette résolution, le conseil d’administration de la Fondation Wikimedia a précisé ce qui était évident pour les personnes impliquées dans le projet: Wikipédia a réussi, non pas en dépit du fait que l’encyclopédie est libre, mais justement parce qu’elle est libre. Les projets Wikimedia ont de la valeur précisément parce qu’ils ont aplani les obstacles à la contribution, l’utilisation et la réutilisation.

Fait tout aussi important pour le mouvement libre, Wikimedia a montré l’exemple et a dépeint comment une culture libre pouvait être atteinte. En grande partie à cause de Wikimédia, les wikis – autrefois outils marginaux utilisés par un petit nombre de geeks – sont la technologie de base de la production de culture libre, sur des milliers de wikis et sur des myriades de sujets. Les technologies, les modèles sociaux, les structures de communication, les politiques décisionnelles, les procédures et les systèmes, chacun contribue à l’inspiration et à donner des instructions aux autres personnes de la communauté libre élargie. Dans chacun de ces domaines, les projets Wikimédia fournissent un ensemble de modèles novateurs et de pratiques captivantes, qui ont réussi et qui sont bien documentés.

Faire un don à la Fondation Wikimedia

Alors que Wikipédia est libre d’utilisation et est écrite sans compensation directe pour la grande majorité des contributeurs, faire fonctionner Wikipedia n’est pas sans coûts. Wikipédia est libre comme dans le discours, mais pas gratuit comme dans bière – du moins pas pour la Fondation Wikimedia. Un soutien financier est nécessaire pour alimenter les serveurs, soutenir le développement technologique indispensable, lutter contre les menaces judiciaires, et assurer une communauté saine et productive. Ce travail essentiel est payé par les dons à la Fondation Wikimedia.

Et pourtant, alors que ces dons sont destinés au soutien de Wikimedia et aux membres de ses équipes projet, leur impact sur le mouvement libre est beaucoup plus grand et plus important. Comme symbole visible de la culture libre pour la grande majorité des gens qui n’ont jamais entendu ce terme, Wikimedia est intimement lié à la réussite de la culture libre. Wikipédia ne fournit pas seulement un exemple de la façon dont la culture libre est possible, elle montre comment cela peut être fait. elle montre également que la liberté de la culture – la culture vraiment libre – est meilleure que les solutions propriétaires. Wikipedia a déjà ouvert la voie à la réussite de centaines de projets de culture libre. Son succès dans ses luttes, y compris cet appel à la collecte de fonds, aidera ou pénalisera les perspectives immédiates de l’ensemble du mouvement pour la culture libre.

Alors, s’il vous plaît, rejoignez-moi en faisant un don à la Fondation Wikimedia cette année. Le sort de bien plus que Wikipedia est dépendant de notre générosité.

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Masoumi (Creative Commons By)