Microsoft et la bio-informatique open source : c’est pas encore ça !

Mikelo - CC by-saRien à faire, la culture propriétaire est dans l’ADN de Microsoft.

Quand bien même, avec sa nouvelle Microsoft Biology Foundation, la société décide de montrer a priori patte blanche, ou plutôt « patte open source » à une communauté scientifique (ici la bio-informatique) de plus en plus consciente de ce qui est bon pour elle.

Espérons du coup qu’elle ne sera pas dupe. C’est ce qui vient nous rappeler avec causticité Glyn Moody sur son blog[1].

Les implants biologiques de Microsoft

Microsoft’s Biological Implants

Glyn Moody – 6 novembre 2009 – Open…
(Traduction Framalang : Julien et Cheval boiteux)

Microsoft se montre à la hauteur de ses vieilles ficelles consistant à offrir de jolies babioles aux naïfs avec la Microsoft Biology Foundation :

La communauté bio-informatique a développé une solide tradition de développement ouvert, de partage de code et de support multi-plateforme, et un certain nombre de boîtes à outils (NdT : toolkits) spécifiques à chaque langage sont désormais disponibles. Ces boîtes à outils sont précieuse à la la communauté, en promouvant le partage du code et en établissant des standards de fait.

La Microsoft Biology Foundation (MBF) est une boîte à outils générique pour la bio-informatique construite comme une extension pour le framework .NET. Actuellement, il met en oeuvre une gamme d’analyseurs syntaxiques pour les formats de fichiers communs dans la bio-informatique ; une série d’algorithmes permettant de manipuler des séquences d’ADN, d’ARN et de protéines; et un ensemble de connecteurs à des services Web de biologie comme NCBI BLAST. MBF est disponible sous une licence open source, et les exécutables, le code source, les applications de démonstration ainsi que la documentation sont téléchargeables gratuitement depuis le lien ci-dessous.

J’aime beaucoup la transition de « solide tradition de développement ouvert, de partage de code et de support multi-plateforme » à « tenez, allez faire mumuse avec ces joujoux du framework .NET remplis de brevets ».

Le problème étant, évidemment, qu’une fois que vous avez consciencieusement installé le framework .NET, avec tous les brevets que Microsoft prétend détenir dessus, et que vous vous y retrouvez enfermé par les usages et habitudes qui y sont liés, vous faites partie de l’écosystème contrôlé par Microsoft. Et vous allez probablement y rester, étant donné que Microsoft n’essaye même pas de promettre que cette camelote sera portée sur d’autres plateformes.

Parce que, sous le titre trompeur « multi-plateforme et interopérabilité », il est dit :

MBF fonctionne bien sur le système d’exploitation Windows et avec un éventail de technologies Microsoft.

Ouais ? Et qu’en est-il des technologies et systèmes d’exploitation non-Microsoft ?

Nous avons l’intention de travailler avec la communauté de développeurs pour profiter de l’extensibilité de MDF et supporter un nombre croissant d’outils Microsoft et non-Microsoft à mesure que le projet se développe.

Bien, mais ça n’a aucun rapport avec le fait d’être multi-plateforme : ils disent juste que ça va fonctionner avec d’autres outils – la belle affaire.

Si j’étais un biologiste, je me sentirais insulté par cette tentative à peine déguisée de faire rentrer de tels logiciels remplis de brevets au sein de la communauté bio-informatique, qui a une longue et glorieuse tradition d’usage et de soutien au logiciel libre, qui est réellement libre et réellement multi-plateforme, ce qui signifie tenter d’enfermer l’une des communautés les plus florissantes et dynamiques du monde logiciel.

Notes

[1] Crédit photo : Mikelo (Creative Commons By-Sa)




Le logiciel libre est mort, longue vie à l’open source ?

Squacco - CC by-saVous n’êtes pas un familier du Framablog et de ses thèmes de prédilection ? Alors ce billet risque de vous sembler destiné à une chapelle de spécialistes, susceptibles et pointilleux, toujours prompts à s’enflammer pour d’obscures querelles de clochers[1] (autrement appelés trolls dans le milieu).

Or, c’est peut-être plus significatif que cela.

En effet, ceux qui découvrent « le logiciel libre », en ayant déjà eu du mal à saisir toute la finesse du concept, sont parfois étonnés de constater la présence d’une autre expression, qu’ils jugent de prime abord synonyme : « l’open source ».

Par exemple, l’Open World Forum 2009, qui se déroule en ce moment même à Paris, est ainsi présenté en accueil du site : « Au coeur de la révolution de l‘Open Source, l’Open World Forum 2009 permettra de cross-fertiliser les initiatives pour favoriser la croissance économique : Les logiciels libres au coeur de la relance économique ». Quant à son président, il évoque, rien que ça, un « Davos des logiciels libres et de l’innovation ouverte »[2].

Les deux expressions semblent ici interchangeables. Et pourtant, pour paraphraser Wikipédia : « La principale critique issue du Mouvement du Logiciel Libre (de Richard Stallman) est le fait que l’open source ne communique presque exclusivement que sur les caractéristiques techniques des logiciels (la liberté d’accès au fonctionnement du logiciel) en occultant les motivations premières dont elles sont issues, au risque de les perdre. Ils accusent l’open source d’être mû par une dynamique économique et commerciale, l’opposant au logiciel libre mû par des idéaux d’ordre philosophique et politique. »

Critique renforcée par cet article de Richard Stallman : Pourquoi l’« open source » passe à coté du problème que soulève le logiciel libre.

Avec cette grille de lecture, on pourrait reprendre l’exemple de l’Open World Forum et en conclure qu’il aurait été peut-être plus pertinent et cohérent de permuter les associations : « révolution du logiciel libre », « Davos de l’open source ».

Or le titre de mon billet laisse à penser que la donne a changé puisque l’un l’emporterait désormais clairement sur l’autre, jusqu’à prendre acte de sa disparition. C’est en tout cas la thèse de Matt Asay qui a réveillé les antagonismes dans un récent article intitulé justement : Free software is dead. Long live open source.

Réponse immédiate de Glyn Moody dans un autre article, qui est celui que nous avons choisi de traduire ci-dessous.

Parce que si le pragmatisme et le compromis ont leurs vertus, il serait dommage que le souci de « suivre le courant dominant » en vienne à sacrifier la liberté sur l’autel de l’open source.

Sans le logiciel libre, l’open source perdrait tout son sens

Without Free Software, Open Source Would Lose its Meaning

Glyn Moody – 28 septembre 2009 – LinuxJournal.com
(Traduction Framalang : Claude)

Je suis un grand fan des écrits de Matt Asay sur le logiciel libre. Il associe une fine intelligence analytique avec cette chose rare : une longue expérience de terrain dans le monde du business open source. Mais alors que j’attendais généralement avec intérêt la lecture de ses billets, je redoutais particulièrement l’apparition de celui qu’il, je le savais, écrirait un jour… car il aurait tort. Voilà, ce billet est maintenant écrit, et avec un titre pour le moins explicite : « Le logiciel libre est mort, longue vie à l’open source ».

Matt précise dans son premier paragraphe quel est le problème principal :

L’une des choses les plus exaltantes, à laquelle j’ai assisté pendant plus de dix années dans l’open source, est son adhésion progressive au pragmatisme. Par « pragmatisme », je ne veux pas dire « capitulation » au sens où l’open source en vienne à ressembler au monde propriétaire qu’il chercherait à remplacer. Plus précisément, je sous-entends que, plus l’open source suit le courant dominant (NdT : going mainstream), plus il apprend à faire des compromis : compromis qui le rendent plus fort, pas plus faible.

Quand j’ai interviewé Richard Stallman en 1999, voici ce qu’il avait à dire à ce sujet :

Si nous avons aujourd’hui un système d’exploitation entièrement libre, c’est grâce au Mouvent du Logiciel Libre qui affirmait que nous voulions un système d’exploitation entièrement libre, et non libre à 90%.

L’open source existe parce que des créateurs de programmes libres ont refusé tout compromis. Le « pragmatisme » exalté par Matt est une option pour l’open source uniquement parce que ceux qui firent tout le travail difficile de création du logiciel libre, ont refusé initialement toute compromission.

Il y a dix ans, Stallman stigmatisait les dangers de la compromission :

Si vous n’avez pas la liberté pour principe, vous trouverez toujours une bonne raison de faire une exception. Il y aura toujours des moments où, pour une raison ou pour une autre, vous trouverez un avantage pratique à faire une exception.

La compromission est une pente glissante : une fois que vous commencez à la descendre, il n’existe pas d’endroit précis où s’arrêter. C’est alors un bel instrument entre les mains d’un Microsoft : sa stratégie actuelle est de diluer le sens « d’open source », la classique stratégie « adopte, étend et étouffe » (NdT : « embrace, extend and extinguish »), jusqu’à ce qu’il devienne une nouvelle expression marketing à la mode, systématiquement employée , ayant perdu toute sa substance et au bout du compte sans réelle valeur.

Et alors ? pourriez-vous demander. Si, comme l’écrit Matt, toute la question est de « suivre le courant dominant », alors un telle dilution de la ligne séparant logiciel libre et non-libre n’est sûrement qu’un faible prix à payer pour parvenir à un usage plus large de l’open source. Ceci pourrait être vrai à court terme, mais je ne pense pas que ce soit une stratégie judicieuse à long terme, même d’un point de vue purement pragmatique.

Par exemple les compromissions actuelles, incluant le travail sur des technologies développées par Microsoft (dont elle pourrait détenir les brevets sous certaines conditions juridiques), signifient qu’en fin de compte les développeurs open source prennent des risques et fragilisent leur autonomie et pouvoir d’autodétermination futur.

Qui plus est, si le terme « open source » perd de sa valeur, de nombreux codeurs et utilisateurs deviendront désabusés et commenceront à l’abandonner. Ceux-ci trouveront le partage de plus en plus asymétrique, leurs contributions n’ayant que peu de retour en échange (ce qui pourrait très bien arriver aux sociétés Open Source utilisant la licence GNU/GPL si elles demandent, comme cela arrive de plus en plus souvent, aux contributeurs de céder leurs droits d’auteurs). De la même manière, les utilisateurs découvriront que certaines de ces nouvelles et « troubles » applications open source ne fournissent plus les bénéfices promis de contrôle, personnalisation et réduction du coût.

Or la question n’est pas de « suivre le courant dominant » mais, comme le rappelle Stallman, d’avoir la « liberté comme principe ». Diffuser du logiciel libre concerne la diffusion de logiciel libre pas la libération du logiciel : le programme n’est que le moyen, pas la fin. C’est ce que disait déjà Stallman, il y a dix ans :

Il y a des problèmes de liberté plus importants. Des problèmes de liberté dont tout le monde a entendu parlé et qui sont bien plus importants que cela : la liberté de parole, la liberté de la presse, la liberté de se réunir.

Mais pourquoi donc Stallman se préoccupe-t-il autant du logiciel libre ?

Je ne vois pas comment je pourrais faire quelque chose de plus important dans un autre domaine.

Stallman continue farouchement sa croisade pour la liberté par le biais du logiciel libre car, comme il le reconnaît humblement, c’est là qu’il peut apporter sa plus grande contribution.

Puique c’est cette absence de compromission qui caractérise sa manière de lutter pour la liberté, il est prêt à faire et dire des choses (NdT : comme d’accuser récemment Miguel de Icaza de traîtrise) que les gens du monde pragmatique de l’open source trouvent regrettables voire choquantes. Et comme Stallman contrarie ainsi leur souhait de « suivre le courant dominant », ils en éprouvent souvent un grand ressentiment à son égard. Mais ils oublient que les combattants de la liberté (puisque c’est ainsi que se définit Stallman lui-même ) ont toujours été si concentrés sur leurs objectifs essentiels, que les affaires triviales comme le confort ou les bonnes manières ont tendance à être mises de côté.

En fin de compte, la raison pour laquelle le logiciel libre ne peut se compromettre, est que toute compromission liée à la liberté se fait à nos dépends : il n’y a rien de libre à 50%. Comme nous l’apprend l’histoire, la liberté n’est pas obtenue en « suivant le courant dominant », mais par une infime minorité de monomaniaques têtus, souvent agaçants qui refusent toute compromission tant qu’ils n’ont pas eu ce qu’ils souhaitent. Chose merveilleuse, nous pouvons tous partager les libertés qu’ils ont gagnées, que nous les ayons ou pas aidé, que nous soyons ou pas à la hauteur de leurs exigences de rigueur.

De la même manière, sans leur obstination, leurs efforts constants et leurs éventuelles victoires, nous perdrions toutes ces libertés, car elles sont toutes temporaires et doivent être en permanence reconquises. En particulier, sans la question précise de l’intégrité du logiciel libre , l’open source se diluerait vite d’elle-même dans un courant inconsistant qui ne trouverait plus de sens.

Notes

[1] Crédit photo : Squacco (Creative Commons By-Sa)

[2] Davos de l’open source et/ou Porto Alegre du logiciel libre ? Telle pourrait d’ailleurs être l’ironique question ! Ou encore : Les RMLL sont au logiciel libre ce que l’Open World Forum est à l’open source !




Mozilla 1.0 : 7 ans déjà !

Nicubunu - CC by-saNée libre sous les cendres de Netscape le 5 juin 2002, la version 1.0 de l’application Mozilla souffle donc en ce moment sa septième bougie (cf le billet de Tristan Nitot).

Sept ans de bons et loyaux services qui ont fait de ce projet ce qu’il est devenu aujourd’hui, à savoir un pilier du Web et du Libre, ayant remis de l’innovation (et un peu de « morale ») dans le monde si particulier des navigateurs. Âge de raison mais intacte passion.

L’occasion d’un petit retour en arrière sous la plume de Glyn Moody, où l’on constatera que pari était loin d’être gagné d’avance, quand bien même on avait une vision claire, pour ne pas dire prémonitoire, de l’avenir[1].

Joyeux Anniversaire à Mozilla, et merci d’être là !

Happy Birthday, Mozilla – and Thanks for Being Here

Glyn Moody – 5 juin 2009 – ComputerWorld.uk
(Traduction Framalang : Tyah, Goofy et Don Rico)

Il y a sept ans était lancé Mozilla 1.0 :

Mozilla.org, l’organisation qui coordonne le développement Open Source de Mozilla tout en offrant ses services d’assistance à la communauté Mozilla, a annoncé aujourd’hui le lancement de Mozilla 1.0, la première version majeure du logiciel Mozilla. Navigateur complet basé sur les derniers standards Internet doublé d’une trousse à outils multiplateforme, Mozilla 1.0 cible la communauté des développeurs et permet la création d’applications basées sur Internet. Mozilla 1.0 a été développé dans un environnement Open Source et a été produit en exploitant la puissance créatrice de milliers de programmeurs et de dizaines de milliers de testeurs sur Internet, qui lui intègrent leurs meilleures améliorations.

(…) « Mozilla.org a l’immense plaisir de présenter le code de Mozilla 1.0 et les outils de développement à la communauté Open Source, en permettant aux développeurs d’utiliser ces sources pour créer librement et présenter le résultat de cette création sur le Web », a déclaré Mitchell Baker, Lizard Wrangler en chef (general manager) chez Mozilla.org. « Comme le navigateur est devenu l’interface majeure entre les utilisateurs et le Web ces dernières années, le but du projet Mozilla est d’innover et de permettre la création de technologies respectueuses des standards pour que les contenus présents sur le Web restent libres. Étant donné que de plus en plus de programmeurs et de sociétés adoptent Mozilla comme technologie stratégique, Mozilla 1.0 prépare l’avènement d’une plus grande diffusion ainsi que l’adoption de l’Open Source et des logiciels basés sur certains standards du Web. »

On relève plusieurs points remarquables dans ce texte. Premièrement, le projet Mozilla était à l’origine un programme de type suite intégrée, qui outre le navigateur comportait un client de messagerie et un client de chat. Ce qui n’était pas sans évoquer l’ancienne suite Netscape Navigator, sur lequel il reposait.

Il est aussi intéressant de noter que Mitchell Baker était déjà à la tête de Mozilla, elle l’est toujours. C’est dire le rôle central qu’elle a pu jouer dans le succès de Mozilla mais aussi de l’Open Source. Car comme le second paragraphe le prévoit avec clairvoyance, le navigateur est devenu « l’interface principale entre l’utilisateur et le Web ». Et en effet, c’est de nos jours l’interface majeure de l’informatique, de par l’augmentation des services en ligne qui fonctionnent entièrement dans le navigateur. Voilà qui rend le succès de Mozilla d’autant plus remarquable.

Il est aussi louable de se souvenir que le succès de Mozilla était loin d’être assuré. Dans les premiers jours, le projet enchaînait les retards. Jamie Zawinski, celui qui enregistra le domaine mozilla.org, a décrit ce temps à la perfection dans un essai cinglant mais brillant intitulé nomo zilla :

Le premier avril 1999 sera mon dernier jour comme employé de la division Netscape Communication d’America Online, et mon dernier jour de travail pour mozilla.org.

Depuis pas mal de temps, Netscape reste pour moi une grande déception. Au lancement de cette entreprise, nous avions pour mission de changer le monde. Et nous l’avons fait. Sans nous, le changement serait sans doute arrivé de toute façon, peut-être six mois ou un an plus tard, et qui sait si les choses ne se seraient pas passées de façon tout à fait différente. Mais c’est à nous qu’on le doit. Les adresses Internet (les www…) sur les sacs de courses, les panneaux de publicité, l’arrière des camions, au générique des films juste avant le logo du studio… c’est à nous que vous le devez. Nous avons mis l’Internet entre les mains du grand public. Nous avons démarré le moteur d’un nouveau canal de communication. Nous avons changé le monde.

Ça, c’était en 1994 et 1995. Ce que nous avons fait de 1996 à 1999 s’inscrivait dans cette continuité, surfait sur la vague que nous venions de créer.

Il dépeint ensuite le contexte de la genèse de Mozilla :

En juin 1998, Netscape connut l’une de ses périodes les plus noires – sa première série de licenciements. Ce fut comme un signal d’alarme. Netscape, l’enfant chéri de l’industrie informatique, l’entreprise à la plus forte croissance au monde, n’était pas invincible.

Plus concrètement, c’est à cette époque que nous avons compris que nous avions définitivement perdu la "guerre des navigateurs". Microsoft avait réussi à détruire ce marché. Il n’était plus possible pour personne de gagner de l’argent en vendant un navigateur. Notre premier produit, notre produit phare, fonçait droit dans le mur.

Puis l’inattendu se produisit : l’équipe dirigeante décida de libérer le code source. Je ne rabâcherai pas l’historique de la création du projet mozilla.org, mais vous comprendrez aisément que, cela s’étant produit seulement deux semaines après les licenciements, ce fut pour moi une vive lueur d’espoir. On venait de redonner un coup de fouet au projet : nos dirigeants opéraient un changement de stratégie que je ne les croyais pas capable de réitérer. Un acte de désespoir ? Peut-être, mais tout de même diablement intéressant et inattendu. C’était tellement fou que le miracle était possible. Sans me faire prier, j’ai enregistré le nom de domaine le soir-même, conçu la structure de l’organisation, écrit la première version du site Web et, avec mes co-conspirateurs, expliqué aux employés et aux cadres de Netscape, en passant d’un bureau à l’autre, comment fonctionnait le logiciel libre, et ce qu’il fallait faire pour que cela marche.

(…) Je voyais mozilla.org comme une chance de jeter un canot de sauvetage à la mer, de donner au code, sur lequel nous avions tous travaillé d’arrache-pied, une chance de vivre au-delà de la mort de Netscape, une chance d’avoir encore un rôle à jouer.

Pourtant, même cet espoir se révéla illusoire :

Pour une raison quelconque, le projet ne reçut pas l’écho attendu. Il demeura un projet Netscape. Certes, cela restait un changement positif. Cela signifiait que Netscape avait développé ce projet sans se cacher, à la vue de tous, et on lui renvoyait de partout des retours aussi nombreux que constructifs. Grâce à eux, Netscape prenait de meilleures décisions.

Mais cela ne fut pas suffisant.

En fait, les contributeurs du projet Mozilla ayant inclus une centaine de développeurs Netscape à plein temps, et environ une trentaine d’intervenant extérieurs à temps partiel, le projet restait l’entière propriété de Netscape, car seuls ceux qui écrivent le code contrôlent véritablement le projet.

Telle était la situation au bout d’un an. Et nous n’avions toujours pas lancé de version bêta.

Sa conclusion donne une précieuse leçon que beaucoup n’ont toujours pas retenue :

Ma plus grande peur, qui explique en partie pourquoi je me suis accroché autant que j’ai pu, c’est que les gens vont considérer les échecs de mozilla.org comme emblématiques de l’Open Source en général. Je peux vous assurer que, quels que soient les problèmes que rencontre le projet Mozilla, ce n’est pas parce que l’Open Source ne fonctionne pas. L’Open Source fonctionne, mais n’est certainement pas une panacée. S’il y a une morale à cette histoire c’est que l’on ne peut prendre un projet moribond, le toucher avec la baguette magique de l’Open Source, et attendre que la magie opère. Le logiciel, c’est quelque chose de complexe. Il n’est pas si facile que cela de résoudre les problèmes.

On pense encore naïvement que saupoudrer les projets morts ou à l’agonie avec la poudre magique de l’Open Source les fera revenir à la vie. Trop souvent, libérer le code est le dernier refuge des désespérés. Et pourtant, en dépit de ce fait décourageant, l’incontestable succès que connut finalement Mozilla montre aujourd’hui, sept ans plus tard, que la méthode de développement Open Source peut fonctionner, prendre le dessus sur des acteurs historiques propriétaires et l’emporter. Plus important peut-être, cela démontre que même s’ils semblent bien mal engagés à leurs débuts, les projets de logiciels libres peuvent survivre et amener assez de gens déterminés à faire tout leur possible pour qu’ils aboutissent.

Suivez-moi sur Twitter : @glynmoody ou identi.ca.

Notes

[1] Crédit photo : Nicubunu (Creative Commons By-Sa)




J’ai mal à mon mail lu dans Thunderbird

Pandemia - CC byÀ Framasoft, nous sommes attachés au client de messagerie Thunderbird de la Fondation Mozilla. Ainsi nous lui avons consacré notre tout premier framabook et nous l’avons diffusé par centaine de milliers d’exemplaires via notre projet d’applications portables Framakey.

Mais comme nous l’expose ici Glyn Moody, Thunderbird[1] se trouve aujourd’hui dans la difficulté pour ne pas dire dans la tourmente.

Il y a tout d’abord des facteurs internes : Firefox privilégié par la Fondation, version 3.0 qui tarde à voir le jour (avec non intégration de l’agenda), etc. Il y a également des facteurs externes comme la concurrence des webmails dont en tout premier lieu Gmail. Mais il y a aussi et surtout une situation actuelle de plus en plus défavorable à la messagerie en général, tiraillée d’un côté par le spam et de l’autre par les nouveaux usages symbolisés par Facebook et Twitter. Jusqu’à se demander si le mail n’est pas en train de décliner voire de mourir !

Dans un tel contexte, peut-on encore sauver le soldat Thunderbird ? Telle est la question…

Comment peut-on sauver Thunderbird alors que le courrier électronique se meurt ?

How Can We Save Thunderbird Now Email is Dying?

Glyn Moody – 6 avril 2009 – ComputerWorld
(Traduction Framalang : Xavier, Yonnel et Goofy)

J’aime Thunderbird. Je l’utilise depuis des années, même si je l’utilise dorénavant davantage pour sauvegarder mon compte Gmail que comme client de messagerie principal. Il a toujours été considéré comme le Cendrillon de la famille Mozilla, délaissé par rapport à sa grande sœur beaucoup plus populaire qu’elle, Firefox.

La création de Mozilla Messaging, filiale de la fondation Mozilla signifie que des efforts ont été déjà consentis pour y remédier. Mais Thunderbird doit également faire face à un problème beaucoup plus sérieux.

Afin d’augmenter le nombre d’utilisateurs de Thunderbird à court terme, on peut décider d’un certain nombre de mesures. La plus simple consiste sans doute à encourager et promouvoir les extensions pour Thunderbird. Le système d’extension de Firefox est devenu un des arguments qui fait pencher la balance en sa faveur – et qui permet de ne pas être séduit par des nouveaux joujoux qui brillent comme Chromium/Chrome.

J’entends souvent des gens dire qu’ils ne pourraient pas vivre sans une extension particulière de Firefox mais je n’ai jamais entendu dire la même chose pour Thunderbird. Cela doit changer si le client courriel de Mozilla veut gagner la même place de choix – et la même cote d’amour – que son navigateur.

En outre, il reste beaucoup à faire pour le site SpreadThunderbird, qui est en coma dépassé. Une des principales raisons du succès de Firefox a été l’implication d’une communauté d’utilisateurs enthousiastes pour faciliter l’adoption du logiciel, notamment grâce au site SpreadFirefox.

Simplement, cela ne fonctionne pas avec Thunderbird. Il n’est donc pas étonnant qu’en termes d’adoption, il soit un ton en-dessous. Si l’Open Source nous a appris quelque chose, c’est que la communauté des utilisateurs est incroyablement créative et capable de multiplier les pains.

Il y a des choses relativement faciles à essayer. Cependant, Thunderbird doit faire face à un problème plus grave et pas si facile à résoudre. Le courrier électronique se meurt. Je vois de plus en plus de gens qui abandonnent leur boîte de courrier électronique en se débarrassant simplement de leurs messages.

C’est ce qui a contribué au fléau du spam, qui représente maintenant 94% du total des courriers envoyés, selon Postini, la filiale de Google. Résultat, une véritable « tragédie des biens communs » (NdT : c’est le titre d’un article de Garrett Hardin, paru dans le magazine Science en 1968), où quelques individus égoïstes exploitent et finissent par épuiser une ressource disponible pour tous.

Malheureusement, la bataille contre le spam a l’air d’être perdue ; même si des services comme Gmail offrent selon moi un filtrage extrêmement efficace, ils sont loin de remplacer un service de messagerie qui suppose que vous voulez lire tout ce qui vous est envoyé, parce que seules les personnes qui vous intéressent ont le droit de vous contacter.

Plus Facebook et Twitter seront répandus, plus on se tournera vers ces réseaux sélectifs pour communiquer. La conséquence sera le déclin du courrier électronique, qui deviendra un genre de décharge numérique, peuplée en grande partie par ceux qui sont trop pauvres, trop mal informés ou trop paresseux pour faire le pas, et par les parasites spammeurs qui leur tomberont dessus. Je n’imagine pas que Thunderbird veuille devenir le logiciel favoris des uns ou des autres.

Les gens se tournent de plus en plus vers Twitter, Facebook et LinkedIn pour s’envoyer des courriers électroniques. La raison en est simple. Contrairement au courrier électronique, ce sont des services qui permettent d’être contacté uniquement par les gens que vous choisissez.

Ceci implique que Thunderbird doit passer du client courriel à l’application de messagerie qui inclura ces nouvelles formes de communications sélectives. Il faut trouver un moyen d’intégrer les tweets, les messages Facebook, les flux RSS et tout le reste de ce qui apparaîtra ces quelques prochaines années, dans un flux de messages cohérents et où l’on puisse naviguer.

Je m’attends à ce que cela exige de Thunderbird des capacités considérables, afin d’être capable d’afficher des messages en les hiérarchisant selon leur provenance, par exemple en donnant la priorité aux messages directs de Twitter par rapport aux flux RSS. De même, cette approche suppose à la fois que le client de messagerie interprète les actions quotidiennes de l’utilisateur, et qu’il soit extrêmement modulaire, parce que chacun aura ses préférences et ses besoins dans la gestion du flot de messages qui lui est destiné.

Certains s’attaquent déjà à cette fusion des flux de messages, comme Flock ou TwitterGadget, mais ce ne sont que des esquisses. Mozilla doit consacrer beaucoup d’énergie – et peut-être beaucoup d’argent – à des recherches sur la façon dont les utilisateurs souhaiteront recevoir et transmettre des messages.

Qui plus est, c’est un vrai défi, et pas tant une simple remise à niveau qu’une réinvention complète de la signification de la messagerie, à l’époque de Facebook et Twitter. Et ce ne sera pas une opération unique, mais un processus continu, en fonction des nouveaux services, des nouvelles habitudes – sans parler des nouvelles vulnérabilités que l’on trouvera dans le système, et dont il faudra s’occuper.

Parmi les autres problèmes qui devront être résolus, on trouve les questions de standards : un tel regroupement de messages amènera sans doute de nouvelles approches techniques qui se cristalliseront bientôt en standards. La Fondation Mozilla a clairement un grand rôle à jouer, pour s’assurer que ces standards soient ouverts, et non confisqués par une entreprise ou un groupe d’entreprises.

C’est maintenant qu’il faut se mettre à prévoir l’évolution, plutôt que d’attendre et ensuite de réagir face aux initiatives des autres, qui ne se soucient peut-être pas autant du bien-être durable des biens communs du Net.

Voilà donc ce que je pense. Et vous, que pensez-vous que Thunderbird doive devenir ? Quelqu’un qui aimerait avoir votre avis, c’est Mark Surman, directeur exécutif de la fondation Mozilla. Il aura bientôt un entretien avec le responsable de Mozilla Messaging, David Ascher, à propos de l’avenir de Thunderbird, et m’a demandé de vous encourager à faire part de vos idées dans les commentaires.

Notes

[1] Crédit photo : Pandemia (Creative Commons By)




Le logiciel libre est l’arme secrète de Google contre Microsoft

Google Search : Linux

« Quelle est la plus grande menace pour Microsoft : Google ou le logiciel libre ? Les deux mon capitaine, qui plus est lorsqu’ils travaillent main dans la main. » C’est peu ou prou ainsi que débute cette nouvelle traduction[1] issue, une fois n’est pas coutume, du RedmondMag.com (dont on peut saluer la liberté de ton).

Parce que si il est vrai que le logiciel libre fait de plus en plus vaciller le géant c’est peut-être son alliance avec Google qui portera le coup de grâce…

On comprendra au passage pourquoi Google ne serait pas Google sans le logiciel libre et pourquoi le logiciel libre est actuellement tant est si bien soutenu par Google qu’il lui est difficile de le critiquer objectivement.

Screenshot - RedmondMag.Com

L’arme secrète de Google

Google’s Secret Weapon

Glyn Moody – Janvier 2008 – RedmondMag.com

Tout en minimisant sa compétition directe avec Microsoft, le géant de la recherche continue à travailler en silence sur des projets open source pour mettre des bâtons dans les roues de son grand rival.

Quelle est la plus grande menace pour la domination de Microsoft : la firme Google ou l’open source ? La réponse est : les deux, particulièrement lorsqu’ils travaillent main dans la main.

"L’open source est l’outil suprême du capitalisme logiciel" affirme Matt Asay, vice président du développement commercial chez Alfresco Software Inc., une société spécialisée dans la gestion de contenu d’entreprises 1 open source. "Il permet aux fournisseurs de s’adapter finement à leurs clients et à leurs prospects tout en ruinant les efforts de leurs concurrents qui veulent faire payer les licences de leurs propres produits. C’est la tactique qu’a employée Google avec succès et qui a chamboulé le marché des logiciels au tournant du siècle."

Le géant de la recherche prend toujours soin d’apaiser la spéculation faite sur la menace pesante d’une guerre des titans. Lorsque Google a ajouté une application de présentation à sa suite bureautique en ligne, par exemple, le PDG Eric Schmidt a déclaré catégoriquement que ce n’était pas un concurrent de Microsoft Office.

D’autres, comme Raven Zachary, directeur de la recherche open source chez The 451 Group[2], expriment un avis différent. "Il est vital pour Google d’ébranler la domination de Microsoft Office pour promouvoir son offre de suite bureautique en ligne" dit-il. "C’est de la concurrence, point."

Google peut essayer de minimiser cette compétition autant qu’ils veulent en public, en coulisse ils savent très bien que Microsoft a dépensé 6 milliards de dollars pour faire l’acquisition de la société de publicité numérique aQuantive Inc. pour lancer une offensive musclée contre Google sur son propre terrain. Le passé montre que Microsoft ne s’arrête pas tant qu’il ne domine pas le secteur dans lequel il se lance, on peut donc difficilement dire qu’une cohabitation pacifique soit envisageable.

Face à ce problème complexe, la fourmilière de doctorants de chez Google a trouvé la solution parfaite : avoir un outil pour combattre Microsoft sans vraiment en avoir l’air. L’open source se trouve au coeur de leur stratégie.

Ouvert pour affaire

La plupart des gens savent que les vastes cheptels de serveurs de Google, on parle de centaine de milliers de machines, tournent sur des versions personnalisées de GNU/Linux. Moins nombreux sont ceux qui savent également qu’ils font un usage intensif de la principale base de données open source : MySQL.

(Google est) l’exemple d’une entreprise qui n’aurait concrètement pas pu exister telle qu’on la connait avant le développement de Linux ou de l’open source" d’après Jim Zemlin, directeur exécutif de la Linux Foundation, l’organisme qui rétribue Linus Torvalds pour son travail sur le noyau Linux. "S’ils avaient dû s’appuyer sur Microsoft ou Sun non seulement cela aurait été trop cher, mais surtout ils n’auraient pas pu réaliser les modifications nécessaires à la création de leurs services."

Ce dernier point est confirmé par le manager des programmes open source chez Google, Chris DiBona, qui a rejoint la compagnie en août 2004 pour superviser et coordonner les activités open source : "Ce qu’il y a de bien avec l’open source c’est que c’est un peu comme s’il était à vous. Dites vous bien que Google fournit un effort de développement de logiciel énorme, si nous devions nous plier aux restrictions que le code propriétaire nous impose nous ne serions pas capable de développer à ce rythme soutenu."

Google contribue à l’écosystème open source en employant certains de ses meilleurs codeurs.

"Nous les employons parce que les avoir dans nos équipes permet à nos projets d’avancer, ce qui est bon pour nous" ajoute DiBona, "et l’utilisation que nous faisons des projets trace parfois la voie qu’ils peuvent emprunter." Parmi les recrues on trouve de gros poissons comme Andrew Morton, numéro 2 dans le monde Linux, Greg Stein, l’un des directeurs de l’Apache Software Foundation et Jeremy Allison, l’un des leaders du projet Samba qui fournit les services de fichiers et d’impression open source aux clients SMB/CIFS dont Windows fait parti.

Un autre vétéran de l’open source ayant rejoint le vivier de Google est Ben Goodger, ingénieur en chef de Firefox. Les liens entre Google et ce concurrent de plus en plus sérieux d’Internet Explorer sont bien plus profond cependant. Google est le principal moteur de recherche de Firefox, à la fois dans le champ de recherche dédié et sur la page d’accueil par défaut au premier lancement de Firefox.

En octobre 2007 on a appris que l’organisation derrière Firefox, c’est-à-dire la Mozilla Foundation, a empoché 66 millions de dollars en 2006 grâce à ces partenariats avec les moteurs de recherche, ce qui représente une augmentation de 50 millions de dollars par rapport à l’année précédente. Cela signifie que Google, qui est de loin celui qui paie le plus pour ces requêtes, finance concrètement le développement de Firefox et de Thunderbird, le concurrent de Microsoft Outlook développé par Mozilla, et de ce fait affaiblit doucement l’hégémonie de Microsoft sur le marché des navigateurs et des clients de messagerie.

Google a aussi commencé à organiser des rencontres de haut-niveau où des personnes clés du logiciel libre travaillant sur un projet peuvent se réunir et se rencontrer en face à face, ce qui reste quelque chose qui ne se produit que rarement autrement. Par exemple en novembre 2006 des programmeurs importants travaillant sur la distribution Ubuntu (celle qu’installe Dell Inc. sur ces PC grand public tournant sous GNU/Linux) se sont réunis sur le campus de Google, le Collaboration Summit de la Linux Foundation s’y est tenu en juin 2007 et en septembre 2007 les développeurs responsables de Python se sont rencontrés pour travailler sur la version 3 du langage. Python est l’un des trois langages de programmation utilisé intensivement par Google (les deux autres étant Java et C++) et son créateur, Guido van Rossum, travaille également pour Google.

Un amour de vacances

Mais ce ne sont pas que les superstars de l’open source qui bénéficient de l’attention et des bien-faits de Google. En 2005, le géant de la recherche a démarré son programme "Summer of Code" grâce auquel des étudiants en informatique reçoivent un financement de Google pour travailler sur un projet open source pendant leurs vacances d’été. Ce programme donne un coup de pouce à ces projets et augmente leur viabilité en injectant du sang neuf.

Comme le dit Sebastian Kügler du projet d’environnement de bureau KDE (en cours de portage sur Windows) : "C’est la vraie idée derrière Summer of Code : inoculer aux étudiants le virus du logiciel libre, leur donner la chance de grandir dans une communauté comme la nôtre."

Comme l’explique DiBona il y a un autre avantage plus subtil. Grâce au Summer of Code, "Google connait désormais tous les gens travaillant sur les projets dont Google dépend" dit-il. "Ca nous est vraiment utile. Lorsque nous sortons une nouvelle API nous savons qu’il y aura des projets dans le monde open source soit pour l’utiliser soit pour en être client. On peut simplement les appeler et dire "Salut les gars, c’est Google, on est votre ami" et les laisser jeter un coup d’oeil.

Google soutient également les logiciels libres en mettant à disposition son code sous des licences open source (généralement la licence Apache comme c’est le cas par exemple pour la nouvelle plateforme mobile Android). Leur plus grosse contribution jusqu’à maintenant est peut-être Google Gears. "Gears est une extension open source pour votre navigateur qui permet aux développeurs de créer des applications Web qui peuvent fonctionner hors-ligne" explique DiBona. "On aurait pu se contenter de sortir l’extension pour nos applications, mais grâce à l’open source d’autres personnes peuvent l’employer sans crainte, ils savent que personne n’abandonnera cette technologie parce qu’ils la possèdent aussi."

La sortie de Gears dans un format open source encourage une adoption plus large dans la communauté des logiciels libres et au-delà. Si Gears trouve son public et que les utilisateurs ont la possibilité d’utiliser des applications Web hors ligne grâce à leur navigateur, alors le système d’exploitation sous-jacent devient moins important et la main mise de Microsoft sur l’environnement de bureau est affaiblie.

Se battre sur deux fronts

Le résultat de toutes ces initiatives discrètes et distinctes entreprisent par Google pour soutenir l’open source est que Microsoft ne se retrouve pas devant un seul concurrent sérieux mais devant deux qui fonctionnent en collaboration étroite.

"Je pense que cela met le pression sur Microsoft, ils s’y attendaient certes, mais pas aussi rapidement et pas aussi violemment" dit Eric Raymond, auteur d’une analyse des logiciels libres qui fait école "La Cathédrale et le Bazar".

"Ils se disaient sûrement qu’ils avaient le temps pour se préparer avant que Linux n’amène son environnement à maturité, un processus qui ne pouvait qu’être long et douloureux." dit-il. "Et bien ils n’ont pas eu ce luxe, leur main-mise est maintenant attaquée de deux côtés et Google restera une menace suffisamment sérieuse même si l’environnement Linux devait se planter."

De plus, les choses risquent de se corser encore plus à mesure que d’autres entreprises réalisent qu’une manière d’affaiblir Microsoft est de renforcer l’open source. C’est l’un des principaux axes de la stratégie d’IBM depuis presque une décennie, depuis qu’ils ont abandonné leur propre serveur Web et adopté le logiciel libre Apache en 1998.

Depuis ils ont adapté GNU/Linux pour tout leur hardware et fait don de plus de 40 millions de dollars de leur code pour lancer le projet Eclispe pour concurrencer Visual Studio de Microsoft. Plus récemment, l’autre grand rival de Microsoft sur la toile, Yahoo! Inc. s’est joint au club des défenseurs de l’open source en ouvrant les API de ses services, en lançant les Open Hack Days aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en Inde et en rachetant Zimbra Inc. qui développe des outils open source de messagerie et de collaboration pour la somme annoncée de 350 millions de dollars.

A l’instar de Google, Yahoo a également engagé certains de ses programmeurs open source les plus importants, comme l’expert de MySQL Jeremy Zawodny et Doug Cutting, l’un des chefs de file dans le domaine des technologies des moteurs de recherche. Cutting travaillera à plein temps sur son système open source Hadoop qu’il décrit sur son blog comme étant "un système de fichiers inspiré de celui de Google et un système de calcul distribué inspiré de celui de MapReduce, là encore de Google."

Tout comme Google a réussi son coup en redirigeant la puissance de l’open source contre Microsoft, Yahoo espère réussir la même chose avec Hadoop. Et évidemment la salve tirée par Yahoo offre en bonus la possibilité de prendre Google pour cible.

Notes

[1] Traduction Olivier et GaeliX pour une relecture Daria from Framalang.

[2] NdT: The 451 Group est un laboratoire d’analyse indépendant spécialisé dans les technologies de l’industrie, en particulier ce qui concerne l’innovation informatique.




Richard Stallman, le philosophe de notre génération ?

Une traduction d’un article de Richard Hillesley paru récemment sur Tux Deluxe et qui fait écho à la récente conférence de Stallman mis en ligne sur ce blog.

Le titre interrogatif de ce billet est directement inspiré d’une citation de Larry Lessig extraite de la traduction :

Chaque génération a son philosophe – un écrivain ou un artiste qui saisit l’imaginaire du moment. Parfois, ces philosophes sont reconnus en tant que tel ; souvent, il faut des générations pour faire le rapprochement. Mais reconnu ou non, une époque est marquée par les gens qui expriment leurs idéaux, que ce soit dans les murmures d’un poème, ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est pas un artiste, ou un écrivrain professionnel. C’est un programmeur.

J’en profite pour signaler que nous avons entamé un projet ambitieux, celui de traduire collectivement via Wikisource la biographie de Stallman par Sam Williams Free as in Freedom. Avis donc à tout traducteur qui souhaiterait participer[1].

Soyez réaliste. Demandez l’impossible

Be Realistic. Demand the Impossible

Richard Hillesley – 18 mars 2007
(Traduction Framalang : Penguin, Daria et Olivier)

Chrys - CC byUn des slogans favoris des Situationnistes, pendant les agitations sociales de Mai 68 en Europe, était « Soyez réaliste. Demandez l’impossible ». Vivez votre vie à fond, osez rêver, nagez à contre-courant, et vos rêves deviendront réalité. Ce slogan aurait pu être écrit pour décrire la mission de Richard Stallman, le père de GNU, de la licence GPL et du mouvement du logiciel libre, qui a consacré sa vie à réaliser le rêve d’un système d’exploitation qui soit écrit de A à Z et qui soit totalement libre.

Stallman est un esprit implacable, et a souvent été comparé à un prophète de l’Ancien Testament – « une sorte de Moïse geek portant les commandements GNU GPL, et essayant d’amener la tribu hacker à la terre promise de la liberté, qu’ils veuillent y aller ou non. Ses longs cheveux, tombant abondamment sur ses épaules, sa grosse barbe, et un regard intense contribuent évidemment à cet effet. » (Glyn Moody – Le Code du Rebelle p29)

Comme cela est suggéré, Stallman est un ascète qui ne tolère aucun compromis, et qui a consacré sa vie et sa fortune, notamment les 240.000 $ de la « bourse du génie » (« genius grant ») offert par la fondation MacArthur en 1990, pour parcourir le monde avec son portable exsangue, évangélisant et prêchant à qui veut l’entendre la nécessité du logiciel libre. « La seule raison pour laquelle nous avons un système d’exploitation totalement libre », a-t-il confié à Moody, « c’est grâce au mouvement qui a dit que nous voulions un système d’exploitation totalement libre, et pas libre seulement à 90%. Si vous n’avez pas la liberté pour principe, vous trouverez toujours une bonne raison de faire une exception. Il y aura toujours des moments où, pour une raison ou pour une autre, il y a un avantage pratique à faire une exception. »

Stallman clame que le plus grand effet de la bourse MacArthur a eu sur son style de vie, c’est qu’il lui a été plus facile de s’inscrire pour voter. Stallman vivait dans son bureau. Les autorités refusaient de croire que son bureau était aussi son lieu de résidence, jusqu’à ce qu’un article de journal concernant la bourse MacArthur confirma ses affirmations.

« Je vis vraiment à peu de frais. Je vis encore en gros comme un étudiant, car je n’ai jamais eu envie d’arrêter », déclara-t-il à Michael Gross en 1999[2]. « Les voitures, les grandes maisons ne m’attirent pas. Pas du tout. Je n’étais pas un esclave de la soif de l’argent, et cela m’a permis de faire quelque chose qui en valait la peine. C’est pourquoi, lorsque j’ai commencé le projet GNU, j’ai aussi commencé à faire pousser mes cheveux. J’ai fait cela parce que je voulais dire : Je suis d’accord avec un aspect du mouvement hippie : ne faites pas de la réussite matérielle un but dans la vie. »

La vision ascétique et sans compromis de Stallman n’est pas universellement populaire, même parmi les hackers qui ont bénéficié de son dévouement. Car l’objectif du logiciel libre ne commence ou ne finit pas avec GNU/Linux, GNU Hurd, ou n’importe quel autre système d’exploitation, langage ou application qui a été, ou qui pourra être, développé sur le modèle ouvert que la GPL favorise. Stallman accorde moins d’importance au fait qu’un logiciel libre fonctionne mieux et soit plus efficace qu’à son caractère libre.

« Cela ne concerne pas l’argent », dit-il, « cela concerne la liberté. Si vous pensez que cela concerne l’argent, vous n’avez rien compris. Je veux utiliser un ordinateur librement, pour coopérer, pas pour restreindre ou interdire de partager. Le système GNU/Linux a obtenu du succès avec plus que cela. Le système est devenu populaire pour des raisons pratiques. C’est un bon système. Le danger réside dans le fait que les gens vont l’aimer parce qu’il est pratique et qu’il va devenir populaire sans que personne n’ait la plus vague idée des idéaux qui sont derrière, ce qui serait une manière ironique d’échouer. »

Stallman relate que lorsqu’il a fondé le projet GNU en septembre 1983, les gens disait, « Oh, c’est un boulot infiniment difficile; tu ne pourras tout simplement pas écrire un système comme Unix. Comment serait-il possible de faire tout cela ? Ce serait bien, mais c’est tout simplement sans espoir. »

La réponse de Stallman était qu’il allait le faire quand même. « C’est ici que je suis doué. Je suis doué à être très, très têtu et à ignorer toutes les raisons qui pourraient me faire changer de but, raisons qui pousseraient beaucoup d’autres personnes à le faire. Beaucoup de gens veulent être du côté gagnant. Je n’en avais rien à cirer. Je voulais juste être du côté de ce qui était bien, même si je ne gagnais pas, au moins, j’allais vraiment essayer. »

Neuf ans plus tard, Linus Torvalds annonçait sur comp.os.minix : « Je suis en train de faire un système (libre) d’exploitation (il s’agit juste d’un hobby, ce ne sera pas ambitieux ni professionnel comme GNU) pour les clones AT 386(486). » Du point de vue de Stallman, le noyau Linux est juste une partie du système d’exploitation. « Il n’existe pas de système d’exploitation appelé Linux. Le système d’exploitation appelé Linux est GNU. Linux est un programme – un noyau. Un noyau est une partie du système d’exploitation, le programme de niveau le plus bas du système qui surveille l’exécution des autres programmes et partage la mémoire et le temps de calcul du processeur entre eux. »

L’affirmation controversée de Stallman que Linux devrait correctement être connu sous le nom de GNU/Linux est motivé par son désir que « les gens comprennent que le système existe grâce une philosophie idéaliste. Si vous l’appelez Linux, vous allez à l’encontre de la philosophie. C’est un problème très grave. Linux n’est pas le système. Linux n’en est qu’une partie. (…) La vision idéaliste du projet GNU est la raison pour laquelle nous avons le système. »

La contribution particulière de Stallman au mouvement du logiciel libre a été de mettre en lumière les obstacles légaux et propriétaires de la libre distribution des logiciels et des idées. Le langage universel des contributeurs des projets open source (et de l’industrie du logiciel en général) a été influencé par les fondements philosophiques et politiques fournis par les écrits de Stallman, spécialement sa vision perspicace de la nature des lois concernant les copyrights et les brevets logiciels.

En introduction de Free Software, Free Society, une collection d’essais et de conférences de Richard Stallman, publiée par GNU press, Lawrence Lessig, professeur de droit à l’université de Stanford, déclare que « Chaque génération a son philosophe – un écrivain ou un artiste qui saisit l’imaginaire du moment. Parfois, ces philosophes sont reconnus en tant que tel ; souvent, il faut des générations pour faire le rapprochement. Mais reconnu ou non, une époque est marquée par les gens qui expriment leurs idéaux, que ce soit dans les murmures d’un poème, ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est pas un artiste, ou un écrivrain professionnel. C’est un programmeur. »

Stallman n’est pas seulement le philosophe et la conscience (peut-être accidentels) du mouvement du logiciel libre, mais il est aussi considéré comme le hacker ultime, ayant contribué à de nombreux outils de base sans lesquels Linux n’aurait pu exister. Le code de Stallman réprésente l’une des contributions individuelles les plus importantes des distributions Linux classiques. Beaucoup de développeurs considèrent Emacs, le premier grand logiciel créé par Stallman, comme le système d’exploitation ultime au sein d’un système d’exploitation. Les outils GNU écrits par Stallman et la FSF (en particulier le compilateur GNU gcc) étaient les pré-requis pour construire le noyau qui deviendra Linux.

La plus grande réalisation de Stallman, la licence publique générale GNU (GPL), a amené beaucoup de bénéfices tout autant aux utilisateurs qu’aux développeurs, certains n’ayant même pas été nécessairement prévus au moment de sa création. La licence et son préambule sont une présentation en profondeur du but poursuivi par Stallman, de libérer le logiciel de chaînes propriétaires qui l’entravent, et de permettre aux hackers (dans le sens premier du mot, « un programmeur enthousiaste qui partage son travail avec les autres ») d’avoir la liberté de développer, d’améliorer et de partager leur code.

L’ingrédient essentiel de la GPL est le concept de Copyleft, qui utilise la puissance du copyright pour garantir qu’un logiciel libre restera libre. Le Copyleft inverse la loi du copyright en déclarant qu’un logiciel adapté d’un logiciel GPL et distribué au public doit rester aussi libre que la version du logiciel dont il est l’adaptation. La beauté de la GPL, comme tout développeur logiciel chevronné le reconnaîtra, c’est que, comme un morceau de code élégamment écrit, elle possède une simplicité et une transparence intrinsèques. La licence remplit ses objectifs, de protéger et de promouvoir les principes du logiciel libre, sans ambiguïté ni compromis, et reflète en cela la détermination et la personnalité de Stallman, qui par sa volonte a crée GNU, la GPL et le mouvement du logiciel libre.

Pour mesurer la réussite de Stallman, il suffit de voir comment la GPL a fait évoluer les mentalités dans l’industrie du logiciel. A l’origine le logiciel libre, extension des idéaux de Stallman appris au laboratoire d’I.A. du MIT au début des années 70, a été rejeté comme étant improbable et impraticable – une aire de jeu pour hackers, hippies et geeks – mais contre toute attente, le logiciel libre est devenu un paradigme acceptable pour le développement de logiciel, et la communauté perdue et tourmentée des hackers a enfin trouvé une maison.

« Vous ne changez pas les choses en vous battant contre la réalité. Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rend l’ancien modèle obsolète » – R. Buckminster Fuller

Richard Hillesley

Notes

[1] Crédit photo : Chrys (Creative Commons By)

[2] Richard Stallman: High School Misfit, Symbol of Free Software, MacArthur-Certified Genius (Richard Stallman  : l’excentrique du lycée, Symbole du logiciel libre, Génie certifié par Mac-Arthur)