Une voix pour la neutralité du Net

…et pas n’importe quelle voix ! Vous le savez sans doute, le combat pour la neutralité du Net est mené avec constance et détermination par la Quadrature du Net qui lui consacre une section entière et des dossiers très fouillés sur son site.

Aujourd’hui les institutions européennes sont la proie des groupes de pression très puissants qui s’activent ouvertement pour remettre en cause le principe de neutralité pourtant acté clairement par le Parlement européen en avril de l’année dernière.

Qu’appelle-t-on au juste la neutralité du Net ? En quoi est-ce important pour chaque citoyen ?

Pour comprendre simplement l’enjeu, nous vous proposons ici une claire et brève intervention de celui qui a inventé le Web.

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La neutralité du Net est un enjeu décisif pour l’avenir de l’Europe.

par Sir Tim Berners-Lee, fondateur et directeur de la fondation World Wide Web

Article original publié sur le blog d’Andrus Ansip, membre du Parlement européen.
Traduction Framalang : Simon, Goofy, r0u, Framasky, panini, Narcisse, audionuma

En tant qu’inventeur du World Wide Web, on me demande souvent : « Et ensuite ? Quelle sera la prochaine révolution sur le Web ? »
Eh bien la vérité c’est que je n’en sais rien. Pourquoi ? Lorsque j’ai créé le Web, je l’ai conçu intentionnellement pour qu’il soit un espace neutre de création et de collaboration, qui repose sur l’ouverture offerte par Internet. Selon la vision que j’en avais, n’importe qui n’importe où dans le monde pourrait partager des connaissances et des idées sans avoir besoin d’acheter une licence ni de demander la permission, ni à moi ni à un quelconque PDG, ministère ou comité. Cette ouverture a déclenché un raz de marée d’innovations et continue de provoquer de nouvelles percées dans les sciences, le commerce, la culture et bien d’autres domaines encore.

Pourtant, aujourd’hui, un élément clé de l’ouverture qui sous-tend le Web et plus largement Internet, est menacé. Je suis en train de parler de la « neutralité d’Internet » — le principe suivant lequel chaque paquet de données doit être traité équitablement par le réseau. En pratique, cela signifie qu’il ne devrait pas y avoir de censure : l’État ne devrait pas restreindre le contenu légal créé par les citoyens, comme le garantit l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Cela veut dire aussi qu’il ne devrait pas y avoir de restrictions motivées par des intérêts économiques. Un paquet de données — un courriel, une page web ou un appel vidéo — doit être traité de la même manière, peu importe qu’il soit envoyé par une petite ONG à Ljubljana ou une entreprise londonienne cotée au FTSE 100.

Maintenir la neutralité du Net est crucial pour l’avenir du Web et celui des droits humains, de l’innovation et du progrès en Europe. Une étude commandée par le gouvernement des Pays-Bas en juin 2013 a montré que la neutralité du Net stimule un cercle vertueux entre plus de compétitivité, des prix plus bas, une meilleure connexion et de plus grandes innovations, bénéficiant à tous les citoyens, ainsi qu’aux petites et grandes entreprises d’Internet.

Et pourtant, certaines entreprises et gouvernements prétendent que l’on devrait abandonner le principe de neutralité du Net. Jusqu’à maintenant, on a largement pu se passer de lois explicites pour protéger la neutralité du Net, mais comme Internet évolue, la situation a changé. Si on veut maintenir et développer Internet comme un moteur pour la croissance, on doit s’assurer que les fournisseurs d’accès ne soient pas capables de bloquer, étrangler ou restreindre le contenu légal et les services en ligne de leurs utilisateurs, que ce soit pour des raisons politiques ou économiques. Bien entendu, il ne s’agit pas seulement du blocage et du ralentissement réseau. Il s’agit aussi de d’arrêter la « discrimination positive », comme lorsque un opérateur Internet favorise un service particulier par rapport à un autre. Si nous n’interdisons pas explicitement cela, nous laissons un immense pouvoir entre les mains des opérateurs téléphoniques et fournisseurs de services en ligne. En effet, il pourront devenir des gardiens vigiles — capables de choisir les gagnants et les perdants du marché et de favoriser leurs propres sites, services et plateformes par rapport à tous les autres. Cela supprimera la compétition et éliminera de nouveaux services avant même qu’ils n’aient vu la lumière du jour. Imaginez qu’une nouvelle start-up ou un fournisseur de services doive demander la permission ou payer une redevance à un concurrent avant d’avoir pu attirer des clients ! Cela ressemble fort à de la corruption ou à de l’abus de position dominante — mais il s’agit exactement du type de scénario qui nous attend si nous abandonnons la neutralité du Net.

Ces inquiétudes ne sont pas imaginaires — la neutralité du Net est déjà attaquée. La Web Foundation a récemment sorti son Web Index 2014, une étude portant sur 86 pays. 74 % des pays répertoriés par le Web Index manquent de règles claires et efficaces sur la neutralité du Net ou montrent une discrimination tarifaire. Dans 95 % des pays étudiés où il n’existe pas de lois sur la neutralité du Net, on voit émerger des signes de discrimination du trafic — signe que la tentation pour les entreprises ou les gouvernements d’interférer semble irrésistible.
Le paysage actuel de la neutralité du Net dans les pays de l’Union européenne est assez hétéroclite. Certains états membres, comme les Pays-Bas (qui obtiennent le score élevé de 8 sur les 10 points possibles du Web Index), ont déjà inscrit ce principe dans leur législation. La République Tchèque, la Norvège et le Danemark sont également bien placés dans l’Index, avec un score de 7, alors que d’autres, comme la Pologne ou l’Italie, atteignent seulement 2 sur 10. Sanctuariser la neutralité du Net dans l’Union européenne tout entière pourrait augmenter le niveau de performance des pays de rang secondaire, pour finalement permettre à l’Europe de récolter le plein potentiel de l’Internet ouvert comme moteur de croissance et de progrès social.
Soumettre des règles fixant la neutralité du Net aux délibérations de l’Union européenne (dans le cadre d’un bouquet de propositions de lois intitulé Telecoms Single Market Regulation (Marché unique des télécommunications) permettrait de faire exactement cela. Le Parlement européen a pris clairement position en faveur de la neutralité du Net dans sa version de la loi du printemps 2014. C’est maintenant au tour du Conseil de l’Union européenne de déterminer sa position.

Le Conseil a prévu de conclure la phase de débats vers le mois de mars 2015, mais seulement si elle reste une priorité dans l’ordre du jour de la prochaine présidence lettonne. Pour que la neutralité du Net demeure une priorité haute sur l’agenda politique, tweetez-le à la présidence lettonne (@eu2015lv) et dites-leur que les citoyens et le monde des affaires de l’Union européenne ont besoin de la neutralité du Net maintenant, avant que la discrimination en ligne ne devienne la norme.

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Pour voir une excellente animation vidéo (de 3 minutes trente) sur la neutralité du Net, cliquez sur cette image :


Vidéo « Neutralité, j'écris ton nom » sur Youtube

Crédit photo




Geektionnerd : Dépêches Melba XV

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Sources sur Numerama :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Neutralité des réseaux : Neelie Kroes s’affiche dans le camp des agresseurs

Le 16 janvier dernier, Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la société numérique, publiait dans Libération une tribune intitulée Internet et applications de filtrage : une histoire de choix et de recettes.

Une tribune jugée assez révélatrice et dangeureuse pour que notre ami François Pellegrini décide d’y répondre point par point ci-dessous.

Et de conclure ainsi : « Mme Kroes est entrée en guerre ouverte contre la neutralité des réseaux et contre Internet. En tant que Commissaire chargée de la stratégie numérique, elle a perdu toute légitimité, et son remplacement s’avère nécessaire. »

Thomas Belknap - CC by-sa

Neutralité des réseaux : Neelie Kroes s’affiche dans le camp des agresseurs

URL d’origine du document

François Pellegrini – 23 janvier 2013 – Blog personnel

Le filtrage autoritaire par Free de l’accès aux publicités, dans le bras de fer qui l’oppose à Google sur la rémunération des infrastructures de réseau, a eu de nombreux mérites. Un premier a été de faire prendre conscience au grand public que filtrer la publicité était possible, bien au delà du petit nombre d’utilisateurs ayant activé le greffon AdBlock sur leur navigateur Firefox. Un deuxième a été de faire sortir du bois un certain nombre d’intérêts privés, pour lesquels la mise en œuvre de ce filtrage, au moyen d’une mise à jour autoritaire de la FreeBox v6, a représenté une véritable déclaration de guerre.

Le relais de ces intérêts par la voix de Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la stratégie numérique, n’a guère surpris, tant la majorité de la Commission européenne est connue pour sa soumission aux intérêts privés. Néanmoins, sa tribune dans le journal Libération est un document méritant toute notre attention, parce qu’il reflète la stratégie construite par ces intérêts pour mettre la main sur Internet. En voici un décryptage, paragraphe par paragraphe.

La semaine dernière, une polémique a surgi lorsque Free a bloqué la publicité sur les services internet transitant par sa Freebox. Les fournisseurs de contenu internet qui dépendent de la publicité pour proposer du contenu gratuit aux consommateurs étaient furieux. Cette polémique illustre la complexité de l’économie de l’internet. Le fragile équilibre entre choix et facilité d’usage, entre transparence et contrôle effectif, entre commerce et intérêt public.

Ce premier paragraphe a le mérite de poser le cadre dès sa dernière phrase, avec une candeur presque touchante. Car effectivement, ce dont il sera question ici, c’est bien de la lutte de certains intérêts commerciaux contre l’intérêt public.

Mon principe de base consiste à dire que les consommateurs devraient être libres de faire de vrais choix quant à leur abonnement à l’internet et à leur activité en ligne. Les contrats standard et les paramètres par défaut des services internet peuvent être pratiques et efficaces, mais ils sont soumis à des limites d’intérêt public, que ce soit dans la législation générale sur la protection des consommateurs ou dans des règles spécifiques. Par exemple, les consommateurs ont le droit, lorsqu’ils naviguent sur un site web, de choisir s’ils souhaitent utiliser des «cookies», qui pistent leur utilisation de l’internet. Ils devraient également comprendre les coûts et les avantages de leur choix.

Ce deuxième paragraphe introduit les arguments qui seront avancés pour justifier le filtrage d’Internet, et en particulier la notion de «choix», qui lui servira de paravent.

Du fait de la complexité et de l’évolution rapide de l’économie en ligne, de nouvelles questions surgissent constamment en ce qui concerne l’intérêt public. Par exemple, depuis 2009, la législation de l’Union européenne favorise la possibilité pour les consommateurs d’accéder à l’éventail complet des applications, du contenu et des services légaux en ligne. Selon moi, l’intérêt public ne s’oppose cependant pas à ce que les consommateurs s’abonnent à des offres internet limitées, plus différenciées, éventuellement pour un prix moins élevé.

Comme nous le verrons plus bas, une offre différenciée d’accès limité à Internet, ce n’est pas une offre d’accès à Internet. Avoir un accès limité, différencié, à la liberté, ce n’est pas être libre.

La liberté n’est pas une affaire de choix. L’État se doit de protéger les hommes d’eux-mêmes, en ne leur permettant pas de s’engager dans la servitude, fut-elle volontaire. Légaliser un système permettant à certains, en majorité les moins aisés, de renoncer aux droits essentiels que constituent à la liberté d’expression et à la liberté d’accès à l’information, en échange d’une réduction sur leur abonnement, ne fait pas honneur à la rédactrice de cette tribune.

Existe-t-il un intérêt public à ce que les parents disposent d’outils efficaces pour contrôler le matériel auquel leurs jeunes enfants peuvent accéder en ligne? La plupart des gens répondraient oui, et l’Union partage ce point de vue. De même, la plupart des gens aimeraient pouvoir choisir de recevoir ou non de la publicité parallèlement au contenu et aux services en ligne, mais tant les consommateurs que les entreprises en ligne semblent ne pas vouloir laisser ce choix entre les mains d’obscurs paramètres par défaut.

Où l’on retrouve ici l’un des camouflages typiques des agresseurs d’Internet : l’utilisation de la protection des ‘tizenfants pour justifier la mise en place de filtrages dans des buts bien moins louables. Cette ficelle sera utilisée à plusieurs reprises au cours de la tribune de Mme Kroes.

S’agissant de questions de cette nature, transparence et contrôle effectif par le consommateur feront presque toujours partie de la solution.

Avec celui du «choix», l’argument de la «transparence» est le deuxième paravent des agresseurs d’Internet. L’emploi de ce terme indique sans ambigüité le camp choisi par Mme Kroes. Il avait déjà été utilisé par les opérateurs de télécommunication en 2009, du temps où Mme Kroes était Commissaire à la concurrence, lors des débats sur le «Paquet Télécom». Il s’agissait d’un ensemble de cinq directives européennes portant sur la régulation et l’accès aux réseaux (et donc pas seulement Internet) et devant être renégociées. Ce processus avait été l’occasion, pour ces opérateurs ainsi que pour les grands industriels du divertissement, de tenter d’introduire des amendements autorisant l’écoute des communications et le filtrage, au nom de la lutte contre les «contenus illicites».

Alors que les représentants des usagers demandaient que soit garantie la neutralité des réseaux, les opérateurs souhaitaient ne s’engager que sur des garanties de « transparence » : ils auraient le droit de porter atteinte à la neutralité des réseaux, pourvu qu’ils en informent leurs abonnés. Ils arguaient qu’ainsi les internautes choisiraient les opérateurs sans filtrage, contraignant par la loi de l’offre et de la demande les opérateurs à ne pas filtrer.

La ficelle était un peu grosse. Les usagers n’ont en général qu’un choix limité entre quelques opérateurs en situation d’entente, comme on l’a bien vu dans le secteur de la téléphonie mobile en France, dont les prix étaient maintenus anormalement hauts. Ceux qui proposent de garantir la «transparence» au lieu de la neutralité sont ceux qui ne veulent pas de la neutralité. Ils souhaitent juste pouvoir la violer impunément.

Cela ne signifie pas encore plus de pages dans votre contrat qui en compte déjà une centaine! La Commission encourage depuis un certain temps le secteur de la publicité à faire en sorte que les utilisateurs se voient proposer un choix clair concernant les cookies, sur la base d’informations concises et digestes. Elle collabore aussi avec une grande variété d’acteurs en ligne pour élaborer une norme «Do Not Track» («Ne pas pister»), afin que les consommateurs qui font ce choix puissent être certains qu’il sera respecté.

Dormez, braves gens, la gentille Commission veille sur vous. Vu comment ma boîte courriel est submergée en dépit de la loi imposant aux publicitaires de n’envoyer des courriels qu’à ceux ayant accepté de les recevoir («opt-in»), je n’ai qu’une confiance limitée dans le respect des chartes Bisounours™, sans sanctions juridiques, auxquelles semble croire si fort Mme Kroes.

En ce qui concerne la neutralité de l’internet, les consommateurs doivent avoir un choix effectif quant au type d’abonnement internet qu’ils souscrivent. Cela veut dire une vraie clarté, dans un langage non technique. Doivent figurer les vitesses effectives dans des conditions normales et toute restriction imposée au trafic, ainsi qu’une option réaliste permettant de passer à un service «complet», dépourvu de telles restrictions. Un tel choix devrait également stimuler l’innovation et les investissements des fournisseurs internet. Je prépare actuellement une initiative de la Commission visant à garantir ce choix en Europe.

C’est dans ce paragraphe que la commissaire se dévoile. Pour le comprendre, un petit rappel est nécessaire.

Les réseaux tels qu’Internet sont construits en trois couches : infrastructure, opérateurs et services. Les infrastructures, ce sont les moyens matériels de transmettre l’information : fibres optiques, relais hertziens, satellites, etc. Les opérateurs ont vocation à utiliser ces infrastructures pour offrir un service de connexion à leurs abonnés. Les services s’appuient sur les couches précédentes pour offrir des prestations, payantes ou gratuites (ou d’apparence gratuite car, premièrement, rien n’est gratuit à part l’air qu’on respire – et encore !– et deuxièmement, comme le dit l’adage, «si le service est gratuit c’est que c’est vous la marchandise»). Pour prendre une analogie automobile, on pourrait dire que l’infrastructure, ce sont les routes, que les opérateurs sont les différents vendeurs de voitures qui vous permettent d’emprunter le réseau routier et que les services sont les différents magasins que vous pourrez trouver à certaines adresses.

La première manœuvre de Mme Kroes consiste à mettre sur le même plan la question des vitesses et celle du filtrage des contenus, qui sont de natures complètement différentes.

Internet est un réseau qui a vocation à permettre l’échange d’informations entre tous ceux qui s’y connectent, à l’image du réseau routier qui permet à tous ceux qui y sont connectés de voyager d’un lieu à un autre. La liberté de circulation est un principe fondamental, de rang constitutionnel. Pour autant, chacun peut, selon ses désirs et ses moyens, s’acheter un véhicule plus ou moins rapide, ou de plus ou moins grande contenance. Il en est de même sur Internet : une personne qui souhaite un débit plus important peut avoir à le payer plus cher, car le trafic plus important qu’elle génèrera nécessite qu’elle contribue d’une façon plus importante aux infrastructures qui permettront son acheminement. Ceci est affaire de choix, en fonction de l’usage qu’elle compte faire de son accès. En revanche, toute restriction au trafic est injustifiable, justement parce qu’elle viole ce principe constitutionnel de libre circulation.

Rappelons ce qu’est la neutralité des réseaux. De façon simple, on pourrait dire qu’il s’agit de garantir le fonctionnement normal du réseau dans ses trois couches (infrastructures, opérateurs et services), en garantissant l’acheminement des flux d’informations qui y transitent sans discrimination sur leur provenance, leur destination, le service utilisé ou le contenu transmis.

La deuxième manœuvre de Mme Kroes consiste à suggérer que, pour avoir le droit d’utiliser certains services, les internautes aient à payer plus cher leur abonnement auprès de leur opérateur.

Ceci est incompréhensible, sauf à supposer une collusion entre opérateurs de réseau, seuls en capacité d’intervenir sur la gestion du trafic, et gestionnaires de services. Un exemple flagrant d’une telle collusion concerne les abonnements (prétendument) «à Internet» vendus par les opérateurs de téléphone mobile, qui interdisent majoritairement d’utiliser les services de «voix sur IP» (dits «VoIP», tels que Skype™). Ce filtrage abusif des protocoles VoIP est effectué par les opérateurs parce que de tels services portent atteinte à leurs propres services de communications vocales payantes. Il ne s’agit rien de moins que d’une vente liée et d’une atteinte à la liberté du commerce.

Au lieu de combattre de tels comportements, Mme Kroes, ancienne Commissaire à la concurrence, justifie et appelle de ses vœux des ententes verticales entre opérateurs de réseaux et gestionnaires de services. Connaissant la position traditionnelle de la Commission qui, sur les secteurs du ferroviaire comme de l’électricité, a toujours promu la séparation organisationnelle et stratégique entre gestionnaires d’infrastructures, opérateurs et fournisseurs de services (les rails, les trains, et les vendeurs de sandwiches), la volte-face est saisissante !

La troisième manœuvre de Mme Kroes consiste à justifier la nécessité du filtrage par l’investissement des fournisseurs Internet.

C’est le montant de l’abonnement au fournisseur d’accès qui permet la rémunération de celui-ci et, à travers lui, le développement et la maintenance des infrastructures, tout comme une fraction du prix d’un billet de train sert à financer les infrastructures ferroviaires. Les différents services peuvent être gratuits ou payants, selon le modèle économique qu’ils choisissent et mettent en œuvre vis-à-vis de leurs usagers, mais cela n’a aucunement à impacter les couches inférieures.

Des applications disponibles en ligne permettent déjà aux consommateurs de bloquer totalement ou partiellement les publicités, si bien que la distribution d’un logiciel de ce type par un fournisseur internet tel que Free n’est pas une révolution en soi. Elle nous amène néanmoins à envisager deux éléments.

Pas une révolution mais, comme on l’a dit, une menace par son ampleur. Sans cela, pourquoi le rappeler à longueur de tribune ?

D’une part, les consommateurs ne devraient pas oublier que tout choix comporte des conséquences. En optant pour le blocage des publicités ou en demandant la confidentialité («do not track»), on peut être privé de l’accès à du contenu gratuit. L’internet ne fonctionne pas par ses propres moyens. Le réseau, le contenu et l’accès à l’internet doivent tous être financés par quelqu’un. De nombreux petits opérateurs web existent grâce à des modèles publicitaires novateurs. Les consommateurs ont plusieurs façons de payer pour accéder à du contenu, notamment en voyant des publicités avant et pendant cet accès. Les entreprises devraient admettre que des consommateurs différents ont des préférences différentes, et concevoir leurs services en conséquence.

Ici encore, Mme Kroes entretient la confusion entre opérateurs et gestionnaires de services. Si l’accès au contenu (pseudo-)gratuit d’un site de service peut être limité à ceux qui n’acceptent pas d’être tracés au moyen de cookies, l’accès au réseau lui-même n’a aucune raison d’être limité en aucune manière.

D’autre part, nous avons vu l’importance commerciale et pratique des paramètres par défaut, mais notre réaction à un paramètre par défaut donné peut dépendre à la fois des valeurs défendues et de la manière dont il se matérialise. Par exemple, vu la valeur élevée attachée à la confidentialité, nous sommes moins choqués par des paramètres par défaut restrictifs que par des paramètres totalement ouverts, en particulier en ce qui concerne les utilisateurs plus vulnérables. C’est dans cet ordre d’idées que nous collaborons avec le secteur pour améliorer la façon dont les paramètres de confidentialité par défaut peuvent protéger nos enfants. D’un autre côté, la valeur élevée que nous attachons à l’internet ouvert signifie que nous favorisons l’installation de contrôles parentaux sur tous les appareils, mais pas leur activation par défaut. En pratique, cela pourrait en effet conduire de manière involontaire à limiter l’accès à l’internet pour de nombreux utilisateurs adultes. Mieux vaut donner un vrai choix aux parents, grâce à des outils clairement visibles et conviviaux dont l’existence est bien mise en évidence.

La lecture de ce paragraphe a fait naître en moi une hilarité certaine. Mme Kroes y soutient que, si le filtrage parental est une bonne chose, il ne faut pas l’activer par défaut afin de ne pas limiter l’accès à Internet aux adultes, et surtout bien expliquer aux gens comment s’en servir. Pour résumer : il ne faudrait pas que Monsieur et/ou Madame n’arrivent pas à se connecter à YouPorn™, surtout s’ils sont trop bêtes pour savoir désactiver le filtrage ; cela nuirait au petit commerce spécialisé.

Notons cependant comment, une fois de plus, le terme de «choix» est amené de façon bénéfique, vis-à-vis de la protection des ‘tizenfants par le filtrage.

Ici encore, Mme Kroes entretient délibérément la confusion entre le filtrage parental, qui peut ête réalisé sur le poste de l’usager et peut être désactivé par ce dernier, et le filtrage, par l’opérateur, des services qui feraient concurrence aux services avec lesquels cet opérateur serait lié par des accords commerciaux.

Nous voyons la difficile interaction entre ces deux intérêts – vie privée et ouverture – lorsqu’il s’agit d’examiner si le «Do Not Track» devrait être activé par défaut dans les navigateurs web. Microsoft a choisi de le faire dans son produit Internet Explorer. Cette décision a fait l’objet de critiques de la part des concurrents et des publicitaires. Néanmoins, compte tenu des intérêts publics concurrents – ainsi que de la concurrence entre les navigateurs et de l’existence d’un outil convivial permettant le libre choix de l’utilisateur à la fois pendant et après l’installation –, je ne partage pas les critiques montrant du doigt une décision commerciale destinée à séduire les internautes qui attachent une grande importance au respect de la vie privée. La décision de Free de bloquer par défaut les publicités a suscité de plus vives inquiétudes en matière d’intérêt public parce qu’elle combinait dans le même temps une portée plus large (touchant toutes les publicités sans exception) et la perception d’une difficile réversibilité pour les utilisateurs.

Une confirmation supplémentaire que la portée de l’action de Free a bien été l’élément déclencheur de cette riposte, du fait de son ampleur.

Nous voyons, dans ces exemples, que des décisions prises par une entreprise à titre individuel touchent à des intérêts publics sensibles. Des acteurs privés peuvent également contribuer collectivement à l’intérêt public. L’internet est une communauté mondiale, régie par une approche associant un grand nombre d’acteurs que l’Union a défendue avec fermeté lors d’une grande conférence des Nations unies à Dubaï le mois dernier. Des initiatives d’autorégulation peuvent compléter la législation. De telles initiatives sont en cours concernant la publicité et le pistage comportementaux ainsi que la protection des enfants en ligne. Toutefois, ces efforts collectifs doivent produire des résultats clairs, susceptibles d’être mis en œuvre et soumis à un suivi et à une évaluation. Et s’ils ne répondent pas à des objectifs d’intérêt public, l’autorité publique doit toujours se réserver le droit d’intervenir.

Mme Kroes, en bonne libérale, signale ici qu’elle ne souhaite nullement intervenir pour garantir la neutralité des réseaux de communication accessibles au public, et donc d’Internet. Bien au contraire, comme elle l’a précisé dans un paragraphe précédent, elle souhaite que la Commission, au titre du «choix» des usagers, autorise explicitement la collusion entre opérateurs de réseaux et fournisseurs de services, afin de légaliser le filtrage effectué par les premiers à l’avantage de certains des seconds.

Rappelons pour conclure un ensemble de principes simples et de bon sens dans un État de droit respectueux tant des libertés fondamentales de ses citoyens que de la concurrence libre et non faussée parmi ses entreprises.

La neutralité des réseaux, et donc d’Internet, est le pendant dans le monde numérique de la liberté de circulation (d’accès) dans le monde physique. Elle doit donc être protégée de façon explicite et non ambigüe. Toute atteinte par un intermédiaire technique à la liberté d’expression ou à la liberté d’accès à l’information, qui ne serait pas motivée par des considérations techniques ou par une décision de justice, doit constituer un délit pénal grave.

La séparation entre les activités portant sur les infrastructures, la fourniture d’accès et les services, doit être dictée par la loi afin d’être effective. Les opérateurs investissent actuellement, de façon redondante, dans le fibrage des zones urbaines denses, supposées rentables, en délaissant les zones rurales. En imposant l’existence d’une infrastructure unique accessible à tous les opérateurs, comme c’est déjà le cas dans les secteurs ferroviaire et de l’énergie, le législateur permettrait qui plus est la mise œuvre d’une péréquation bénéfique génératrice d’économies conséquentes, tant pour l’usager que pour les collectivités isolées.

Mme Kroes est entrée en guerre ouverte contre la neutralité des réseaux et contre Internet. En tant que Commissaire «chargée de la stratégie numérique», elle a perdu toute légitimité, et son remplacement s’avère nécessaire.

Crédit photo : Thomas Belknap (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Il y a Wikipédia et Wikipédia par Orange

Quand l’article de Numérama Contribuer à Wikipédia c’est aussi enrichir Orange fait réagir notre ami Gee

La Wikipédia encapsulée par Orange est accessible en suivant ce lien,

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Censure du Net et DRM ne seront jamais la solution répond ESR à Hollywood

Bas les pattes !

Ancien homme politique démocrate, Chris Dodd est aujourd’hui le chef de la très puissante et influente Motion Picture Association of America, association qui défend les intérêts des grands studios américains (Paramount, Fox, Universal, Warner, Walt Disney…).

Il a récemment déclaré qu’Hollywood était en faveur des technologies et de l’Internet (Hollywood is pro-technology and pro-Internet), ce qui ne va pas de soi quand on a soutenu dur comme fer SOPA/PIPA et qu’on milite pour toujours plus de DRM.

C’est ce qui lui rappelle ici le technologue et pionnier du logiciel libre Eric S. Raymond[1] (ou ESR pour les intimes) dans cette lettre ouverte qui lui est directement adressée.

Opter pour la censure d’Internet et l’introduction massive de DRM pour résoudre un problème, quel qu’il soit, sont des solutions inacceptables et perdues d’avance.

Des solutions perdues d’avance qui, à choisir, nous feront toujours pencher du côté des pirates, parce que eux au moins ne mettent pas en péril cet extraordinaire mais fragile édifice que nous avons construit pour le bénéfice de tous.

Doc Searls - CC by

Lettre ouverte à Chris Dodd

An Open Letter to Chris Dodd

Eric S. Raymond – 23 février 2012 – Armed and Dangerous (blog personnel)
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, Lamessen, Wan, toufalk, FredB, Garburst, TFRaipont)

M. Dodd, je viens d’apprendre que vous avez tenu un discours dans lequel vous affirmez que « Hollywood est en faveur des technologies et de l’Internet » Il semblerait que vous soyez à la recherche d’interlocuteurs au sein de la coalition qui a récemment fait tomber SOPA et PIPA, afin d’aboutir à un compromis politique contre le problème du piratage tel que vous pensez le comprendre.

L’interlocuteur unique n’existe pas. Mais je peux parler en tant que membre d’un groupe de la coalition qui a bloqué ces deux projets de lois : les technologues. Désolé, je ne pensais pas ici à Google et aux entreprises technologiques, mais aux ingénieurs qui ont conçu Internet et le maintiennent en marche, ceux qui écrivent ces logiciels que vous utilisez tous les jours dans votre vie du XXIe siècle.

Je suis l’un de ces ingénieurs. Vous dépendez ainsi de mon code à chaque fois que vous utilisez un navigateur, un smartphone ou une console de jeu. Ils ne me considèrent pas comme une leader, au sens où vous l’entendez, car nous n’en avons pas et nous n’en voulons pas. Mais j’en suis, je crois, un pionnier et penseur reconnu (j’en nommerai deux autres plus tard dans cette lettre), souvent invité à s’exprimer en public. À la fin des années 90 j’ai aidé à fonder le mouvement Open Source.

Je vous écris pour vous faire part de nos inquiétudes, qui ne sont pas exactement les mêmes que celles des entreprises que vous considérez être celles de la « Silicon Valley ». Nous avons notre propre culture et notre propre agenda, qui ne convergent pas toujours avec ceux des hommes d’affaires de l’industrie des technologies.

La différence a son importance puisque les gestionnaires ont besoin de nous pour la partie technique. Et depuis l’origine d’Internet, si nous n’aimons pas la direction stratégique qu’une entreprise prend, elle a tendance à ne pas y aller. Les patrons, prudents, ont appris à composer avec nous autant que possible et à ne pas entrer en conflit avec leurs ingénieurs. Google, en particulier, a créé son immense capitalisation boursière en gérant cette symbiose mieux que personne.

Je ne peux pas mieux expliquer nos inquiétudes qu’en citant un autre de nos penseurs, John Gilmore. Il a déclaré : « Internet interprète la censure comme une menace et fait tout pour la contourner. »

Pour comprendre cela, vous devez intégrer le fait que « Internet » n’est pas seulement un réseau de câbles et de commutateurs, c’est aussi une sorte de corps social réactif composé de personnes qui font bourdonner ces câbles et basculer ces commutateurs. John Gilmore est l’un d’eux. J’en suis un autre. Et il y a certaines choses que nous n’accepterons pas sur notre réseau.

Nous n’accepterons pas la censure. Nous avons construit Internet comme un outil pour donner plus de liberté et de pouvoir à chaque individu sur Terre. Ce que les utilisateurs font d’Internet les regarde, mais pas Hollywood, pas les politiciens et même pas nous qui avons construit ce réseau. Quels que soient nos désaccords, nous, les geeks d’Internet, n’accepterons jamais que ce don du feu soit éteint par des dieux jaloux.

De la même façon que nous n’acceptons pas de censure d’Internet, nous sommes également fortement hostiles à toute tentative visant à imposer des contrôles qui pourraient aboutir au même résultat, que ce soit ou non l’objectif de ce contrôle. C’est pour cela que nous sommes absolument et unanimement opposés à SOPA et PIPA, et c’est l’une des principales raisons pour laquelle vous avez perdu ce combat.

Vous parlez comme si vous pensiez que l’industrie de la technologie avait stoppé SOPA/PIPA, et qu’en négociant avec eux vous pourriez réunir des éléments pour une seconde manche plus favorable. Cela ne fonctionne pas ainsi : le mouvement qui a stoppé SOPA/PIPA (et qui saborde maintenant l’ACTA) est beaucoup plus organique et issu de la base que cela. La Silicon Valley ne peut pas vous donner le feu vert politique et la couverture médiatique dont vous auriez besoin. Tout ce que vous obtiendrez, ce sont des tas de conférences de presse vides de sens, avec des chefs d’entreprises qui n’ont actuellement rien à gagner en vous aidant et qui aimeraient que vous alliez voir ailleurs pour qu’ils puissent reprendre leur travail.

Pendant ce temps, les ingénieurs de ces sociétés se feront un devoir de veiller avec d’autres à ce que vous perdiez à nouveau cette bataille. Parce que, quand bien même nous ne serions pas forcément si nombreux, la grande majorité des utilisateurs d’internet, qui votent en nombre suffisant pour influencer les élections, ont compris que nous sommes de leur côté et jouant le rôle d’une sorte de système de pré-alerte. Quand nous sonnons le tocsin, comme nous l’avons fait par exemple avec le blackout de Wikipédia, ils se mobilisent avec nous et vous perdez inexorablement.

En conséquence, l’une des règles essentielle pour n’importe quel politicien qui veut avoir une longue carrière dans la démocratie du XXIe siècle doit être de « ne pas brider internet ». Parce qu’alors vous pouvez être certain qu’il vous bridera en retour. Au moins deux des principaux soutiens à SOPA/PIPA sont revenus dans le droit chemin, ce qui ne serait pas arrivé sans l’indignation massive des internautes.

Hollywood veut que vous bridiez Internet, parce que Hollywood pense qu’il a des problèmes qu’il peut résoudre de cette façon. Hollywood veut aussi que vous pensiez que nous (les ingénieurs) sommes les ennemis de la « propriété intellectuelle » et de mèche avec les criminels, les pirates et les voleurs. Aucune de ces allégations n’est vraie, et il est important que vous comprenniez exactement à quel point c’est faux.

Nous sommes nombreux à gagner notre vie grâce à cette « propriété intellectuelle ». Il est vrai que certains d’entre nous (je n’en fais pas partie) y sont quasiment opposés par principe. Mais la plupart d’entre nous (moi inclus) sommes prêts à respecter les droits de la propriété intellectuelle. Il y a cependant un point où ce respect s’arrête brutalement. Il s’arrête exactement à l’endroit où les DRM menacent de paralyser nos ordinateurs et nos logiciels.

Richard Stallman, un de nos penseurs les plus radicaux, utilise l’expression « informatique déloyale » pour décrire ce qui se passe quand un PC, un smartphone, ou n’importe quel système électronique, n’est pas sous le contrôle absolu de son utilisateur. Les ordinateurs déloyaux bloquent à votre insu ce que vous pouvez voir ou entendre. Les ordinateurs déloyaux vous espionnent. Les ordinateurs déloyaux vous privent de leur plein potentiel de création, de communication, d’échange et de partage.

Après la censure, l’informatique déloyale est donc notre deuxième ligne jaune à ne pas dépasser. La plupart d’entre nous n’ont rien contre les DRM en soi ; c’est parce que les DRM sont devenus un véhicule pour la déloyauté que nous les haïssons. Ne pas être autorisé à passer outre la publicité introductive d’un DVD n’est qu’un petit exemple, ne pas avoir le droit de sauvegarder nos livres et notre musique en est un bien plus important. Et puis souvenons-nous de la symbolique et ironique histoire du livre 1984 ayant silencieusement disparu des liseuses électroniques des consommateurs d’Amazon qui l’avaient acheté…

Certaines entreprises vont même jusqu’à proposer, pour soutenir les DRM, de bloquer les ordinateurs afin qu’ils ne puissent exécuter que les systèmes d’exploitation approuvés. Les utilisateurs ordinaires peuvent ne pas s’en trouver gênés et passer à côté de l’enjeu, mais pour nous c’est une trahison absolument intolérable. Imaginez un sculpteur à qui l’on dit que son burin ne peut couper que des matières pré-approuvées par un comité de vendeurs de burins, et vous pourrez alors commencer à percevoir les profondeurs de notre colère.

Nous les ingénieurs avons en fait un problème avec Hollywood et l’industrie musicale, mais ce n’est probablement pas celui auquel vous pensez. Pour parler crûment (car il n’y a pas de méthode douce pour dire cela) nous pensons que « Big Entertainment » (NdT : surnom parfois donné à Hollywood) est largement dirigé par des menteurs et des voleurs qui pillent systématiquement les artistes qu’ils prétendent protéger avec leurs DRM, puis intentent des procès à leurs propres clients parce qu’ils sont trop stupides pour concevoir un moyen honnête et innovant pour gagner de l’argent.

Vous ne serez évidemment pas d’accord avec cette manière de voir les choses mais vous devez comprendre à quel point elle est répandue parmi les technologues comme moi, ce qui vous fera alors mieux prendre conscience du fait que vos revendications constantes à propos du « piratage » et du manque à gagner font face à une hostilité croissante de notre part. Défendre Internet et l’intégrité de nos machines était déjà compliqué avant mais voir des lois comme SOPA/PIPA/ACTA imposées au nom de groupes d’intérêt que nous considérons ne pas valoir plus que des gangsters ou des crétins ne fait qu’empirer les choses.

Certains d’entre nous pensent que votre comportement de gangsters justifie le piratage. La plupart d’entre nous ne partage pas le fait qu’une faute en excuse une autre, mais je peux vous dire ceci : si nous technologues avions à choisir entre les gangsters des grands médias et les pirates de contenu, nous irions tous actuellement nous ranger du côté des pirates de contenu car c’est le moindre des maux. Peut-être trouve-t-on des voleurs dans les deux camps, mais il n’y en a qu’un qui ne veut pas brider notre Internet ou handicaper nos ordinateurs. Ceci étant dit, nous préférerions vraiment ne pas avoir à choisir, notre sympathie dans ce désordre est acquise aux artistes se faisant escroquer par les deux camps.

Bas les pattes ! Ainsi pourrait se résumer cette lettre. Notre ordre du jour est de protéger notre liberté personnelle de création ainsi que celle de nos utilisateurs pour qu’ils jouissent de ces créations comme ils l’entendent. Nous ne ferons aucune concession ni aucun compromis sur ces deux points. Aussi longtemps qu’Hollywood restera en dehors de notre territoire (en s’interdisant définitivement tout tentative de verrouiller notre Internet ou nos ordinateurs) nous resterons en dehors de celui d’Hollywood.

Et si vous désirez discuter sérieusement de solutions pour lutter contre le piratage n’impliquant pas de nous écraser, nous et nos utilisateurs, nous avons quelques idées.

Notes

[1] Crédit photo : Doc Searls (Creative Commons By)




Il est temps de passer à l’offensive pour défendre la liberté d’expression

On peut se féliciter du spectaculaire succès de la récente action contre les lois SOPA et PIPA mais quelques part il était déjà trop tard. Il ne restait plus qu’à résister, ce qui fut fait et bien fait jusqu’à… la prochaine attaque !

Engagez-vous, comme dirait l’autre, pour casser ce cercle vicieux qui nous voit être trop souvent sur la défensive[1], pour proposer et mettre en place d’urgentes et salutaires alternatives.

Un article qui fait écho à une autre de nos traductions : Le jour d’après le blackout SOPA ou ce que j’aurais aimé entendre de Wikipédia & Co.

Petteri Sulonen - CC by

Il est temps de passer à l’offensive pour défendre la liberté d’expression

It’s Time To Go On The Offensive For Freedom Of Speech

Rick Falkvinge – 22 janvier 2011 – TorrentFreak – CC BY-SA
(Traduction Framalang/Twitter : skhaen, vinci, toto, e-Jim, quota)

L’action collective de la semaine dernière contre les lois PIPA et SOPA aux États-Unis était fabuleuse et sans précédent. Mais n’avez-vous pas remarqué que nous étions toujours sur la défensive ? Nous ne pourrons pas gagner ni même conserver notre liberté d’expression en continuant ainsi.

L’industrie du copyright est tenace et utilise, avec une grande efficacité il faut l’avouer, pour faire voter des lois, la technique dite du « Papa, je veux un poney ». Ils y reviennent sans cesse. Conséquence de cela, nous assistons à une érosion sans fin de nos droits civiques, et à l’enracinement du fait que cette industrie doive profiter de nos impôts.

La tactique dite de « Papa, je veux un poney » fonctionne à peu près comme suit :

La petite fille : Papa, Je veux un poney ! veux un poney ! je veux veux veux un poney !

Le père : Hum, non, hum, hum, non, pourquoi pas plutôt un chien ?

La petite fille : Non non NON ! Je veux un poney ! un PONEY ! … Heu, bon, un chien ? d’accord !

À ce moment là le père pense : « pfiou, je l’ai échappé belle ». Et la petite fille pense « wow, ce fut le chien le plus facile à avoir que j’ai jamais eu ». C’est la tactique « Papa, je veux un poney ».

Nous avons vu cette tactique à l’oeuvre avec le DMCA (NdT: Digital Millennium Copyright Act) aux États-Unis, lequel a largement restreint nos droits sur notre propriété privée, ainsi qu’avec son pendant Européen, la directive InfoSoc (NdT: Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information). Nous pouvons la voir en ce moment même avec ACTA qui, à nouveau, est une illustration de cette attitude « on peut retirer le plus choquant, le plus répugnant. », tout en laissant passer d’autres éléments qui n’en constituent pas moins un énorme pas en arrière en matière de droits de l’Homme. Nous l’avons vu également avec le Directive sur la Conservation des Données.

À chaque fois, nous nous défendons et réussissons à faire supprimer les pires morceaux, en brûlant à chaque fois davantage nos réserves d’activistes. Puis il y a une nouvelle attaque trois ans plus tard. Ajoutons qu’à chaque fois que nous nous battons contre un de ces maux, une dizaines d’autres passent discrètement en douce dans les coulisses du pouvoir.

Le truc, c’est que tant que nous nous bornerons à défendre nos droits, nous aurons en permanence un coup de retard, et nous perdrons toujours. L’industrie du copyright a l’initiative, et le mieux que nous puissions faire est de résorber le retard que nous avons, ou de limiter les dégats déjà provoqués. Cela n’est pas suffisant.

Et il y a pire. L’industrie du copyright a également obtenu le droit de percevoir des taxes sur le commerce de produits sans liens directs avec le droit d’auteur, notamment les médias vierges (NdT : cf la taxe sur la copie privée) mais également des objets ayant à priori peu à voir avec la copie d’œuvres telles que les consoles de jeux, parce qu’elles peuvent théoriquement être utilisées comme support pour copier des ressources de manière tout à fait légale. Vous comprenez ça, vous ? Copier ainsi ne viole pas le monople instauré par le copyight, mais l’industrie du copyright reçoit quand même cette compensation.

Reprenons.

Le monopole du copyright, bien qu’étant très étendu, ne recouvre pas tout acte de copie imaginable. Il y a beaucoup de manières de copier qui sont parfaitement légales et non couvertes par ce monopole. Mais dans le sens du copyright tel que l’entendent les industriels, il ont demandé – et obtenu – une compensation concernant les domaines où le monopole du copyright ne s’étend pas. Une compensation de la poche du contribuable, versée à une industrie privée. Pour n’avoir pas de monopole. Vous y croyez ?

Dans ce schéma de compensation, ils collectent des sommes d’argent faramineuses chaque année sans avoir besoin de faire quoi que ce soit. Beaucoup de cet argent est directement reversé dans la guerre contre nos droits civiques, et dans toujours plus de lobbying pour d’obtenir encore plus d’argent du contribuable, avec de nouveaux schémas de type : « Papa, je veux un poney ». Pour nous, c’est un cercle vicieux. N’importe qui, connaissant un peu les différents moyens de motiver quelqu’un, sait que la pire manière d’optimiser la production consiste à donner de l’argent à une industrie sans tenir compte de ce qu’ils sont en train de faire avec cet argent, que ce soit en bien, en mal, ou en rien du tout.

Donc, pour résumer, l’industrie du copyright s’est mise elle-même dans une position où elle gagne des sommes incroyables en ne faisant absolument rien, et utilise cet argent pour acheter des lois qui leur donneront encore plus d’argent, tout en réduisant notre liberté d’expression. Ce n’est pas seulement inacceptable. C’est répugnant.

C’est une surprise pour personne, je pense depuis longtemps que le monopole du copyright est dangereux (ou au moins inutile) dans son ensemble, et que la créativité, le business et les libertés civiles s’en porterait bien mieux s’il n’existait pas. Pour avoir étudié le sujet pendant 6 ans d’affilée, je découvre toujours plus d’indicateurs qui me confortent dans ma position.

Mais je suis également assez pragmatique pour comprendre que si vous visez la lune et insistez pour ne pas avoir d’étape intermédiaire entre le départ et l’arrivée, non seulement vous n’arriverez jamais à l’atteindre, mais vous risquez en plus de ne pas faire un seul pas en avant. S’engager ne serait-ce que partiellement vers la lune peut déjà vous apporter satisfaction. 99% des problèmes avec le copyright d’aujourd’hui peuvent être résolus avec une réforme réaliste et raisonnable.

Lorsque l’enjeu est d’envergure, on ne peut pas changer toutes les règles du jeu en un jour. Donc visons à établir une proposition équilibrée et raisonnable qui restaure nos libertés civiles tout en conservant certains aspects des investissements qui incitent au développement de la culture.

J’emprunte ce plan au groupe des Verts du Parlement Européen (et plus précisément à la délégation du Parti Pirate qui l’abrite). Essayons de faire passer cette nouvelle législation en Europe, aux USA, en Australie, et partout où l’on pourra :

  • Il faut impérativement mettre au clair que le monopole du copyright ne peut s’étendre à ce qu’une personne ordinaire peut faire avec un équipement ordinaire, chez lui, et sur son temps libre ; ce monopole doit ne réguler que l’activité commerciale, dans le but de faire du profit. En particulier, le partage de fichiers est toujours légal.
  • Échantillons gratuits. Il doit exister des exceptions qui rendent légale la création de remixes et de mashups. Les droits de citation tels qu’ils existent pour le texte, doivent être étendus aux sons et aux vidéos.
  • Les outils de restriction des droits numériques (DRM) devraient être rendus illégaux, car c’est une escroquerie qui nie les droits des consommateurs et des citoyens, à défaut il doit au moins être possible de les contourner légalement.
  • Le monopole du copyright commercial basique est ramené à cinq ans à dater de la publication, extensible à vingt ans si l’oeuvre a été enregistrée dans une base de données appartenant au monopole du copyright.
  • Le domaine public doit être renforcé.
  • La neutralité du Net doit être garantie.
  • La levée d’impôts sur des médias vierges est mise hors-la-loi.
  • De manière générale, la limite doit toujours être très clair. Les déclaration du genre « la justice en décidera » ne sont pas acceptables et sont équivalents à la mise hors-la-loi.

Cette proposition raisonnable, équilibrée, réalisable et réaliste résoudrait 99% des problèmes actuels, tout en maintenant l’ensemble des quatre aspects du monopole instauré par le copyright.

Cela mettait un terme à la chasse aux sorcières contre les ados qui téléchargent des séries télé. Cela résoudrait le problème des oeuvres orpheline, et nous rendrait l’accès à l’héritage culturel du XXème siècle. Et cela résoudrait le problème des contribuables payant l’industrie du copyright sans raison.

Par contre, cela maintiendrait un monopole commercial d’une durée maximale de 20 ans pour les investissements dans des productions culturels, battant en brêche l’argument avancé par l’industrie du copyright selon lequel l’établissement d’un monopole est nécessaire pour encourager la création culturelle.

Même si je ne suis pas d’accord avec les monopoles sur les brevets, il convient de noter que si les companies pharmaceutiques peuvent se contenter d’un monopole commercial de 20 ans (sur les brevets), alors cette durée devrait certainement convenir à Disney et Elvis aussi.

Ceci, ou quelque chose s’en approchant, est ce que nous devons faire. Nous devons reprendre l’offensive pour défendre notre liberté d’expression.

Notes

[1] Crédit photo : Petteri Sulonen (Creative Commons By)




Blackout de la Wikipédia en anglais pour protester contre SOPA le 18 janvier 2012

« Chers étudiants, faites vos devoirs à la maison avant mercredi car Wikipédia sera coupé du Net ce jour-là ». Tel est le tweet ironique envoyé par Jimmy Wales pour annoncer la fermeture totale de la version anglophone de Wikipédia demain, mercredi 18 janvier 2012, pour protester contre les mortifères lois SOPA et PIPA.

Ce n’est évidemment pas lui seul qui a pris cette grave et sans précédente décision mais l’ensemble de la communauté, comme l’explique le message de la directrice générale de la Wikimedia Foundation Sue Gardner traduit ci-dessous par nos soins.

Signalons que Framasoft se joindra également au mouvement, non seulement en guise de solidarité mais aussi voire surtout parce que nous pensons que ces lois américaines (à l’influence internationale) sont susceptibles d’impacter négativement l’ensemble d’Internet. Nous avions consacré une série d’articles à SOPA en décembre dernier (voir aussi le dossier de La Quadrature).

À priori les wikipédias italiennes et allemandes participeront également, ne serait-ce que par un bandeau informatif, mais pas la francophone. Il semblerait que la communauté se soit réveillée trop tard pour en discuter, que pour certains ces lois sont lointaines et cet engagement « politique » en désaccord avec « le principe de neutralité ».

C’est respectable mais pour ainsi dire dommage car il s’agit là d’un signal fort (et une bonne manière de sensibiliser d’un coup un grand nombre de personnes), sans oublier pragmatiquement que la majorité des serveurs sont aux USA et que ces lois peuvent brutalement couper les accès de la Wikipédia francophone aux Américains.

Wikipédia Blackout

Blackout anti SOPA de la Wikipedia en anglais le 18 janvier

English Wikipedia anti-SOPA blackout

Sue Gardner, 16 janvier 2012 – Wikimedia Foundation
(Traduction Framalang : Clochix, Poupoul2, DonRico)

Aujourd’hui, la communauté Wikipedia a décidé de fermer la version anglophone de Wikipedia pour vingt-quatre heures, dans le monde entier, à partir de 5h UTC le mercredi 18 janvier. Cette fermeture est un acte de protestation contre deux propositions de loi aux USA – le Stop Online Piracy Act (SOPA) présentée à la Chambre des représentants, et le PROTECTIP Act (PIPA) au Sénat – qui, si elles étaient votées, endommageraient gravement l’Internet libre et ouvert, dont Wikipedia.

Ce sera la première fois que la Wikipedia anglophone manifestera ainsi, et cette décision n’a pas été prise à la légère. Voici comment la présentent les trois administrateurs de Wikipedia qui ont animé la discussion de la communauté, au travers d’un extrait de la déclaration publique signée par NuclearWarfare, Risker et billinghurst :

La communauté de la Wikipedia anglophone estime que ces deux lois, si elles étaient votées, seraient dévastatrices pour le Web libre et ouvert.

Au cours des dernières soixante-douze heures, plus de 1.800 Wikipédiens ont participé à une discussion visant à définir les actions que la communauté pourrait vouloir entreprendre contre SOPA et PIPA. C’est de loin le plus fort niveau de participation à un débat jamais vu sur Wikipedia, et cela illustre combien les Wikipédiens se sentent concernés par ces propositions de lois. L’écrasante majorité des participants est favorable à une action de la communauté afin d”encourager une participation plus générale de la population contre ces deux lois. Parmi les propositions étudiées par les Wikipédiens, ce sont celles qui conduiraient à un « blackout » de la Wikipedia anglophone, conjointement avec des blackout similaires d’autres sites opposés à SOPA et PIPA, qui ont reçu le plus de soutien.

Après un passage en revue détaillé de ce débat, les administrateurs chargés de le clore constatent un soutien solide des Wikipédiens du monde entier, et pas seulement aux États-Unis, en faveur d’une action. L’opposition principale à un blackout généralisé du réseau Wikipedia venait de membres de la communauté préférant que le blackout se limite aux visiteurs américains, et que le reste du monde ne voie s’afficher qu’un simple bandeau d’explication. Nous avons néanmoins relevé qu’environ 55% des Wikipédiens en faveur du blackout préféraient une action mondiale, nombre d’entre eux faisant part d’inquiétudes concernant des lois similaires dans d’autres pays.

En prenant cette décision, les Wikipédiens essuieront des critiques pour avoir abandonné leur neutralité et pris un position politique. C’est une question justifiée et légitime. Nous souhaitons que les internautes accordent leur confiance à Wikipedia, et ne craignent pas d’être soumis à une quelconque propagande.

Mais bien que les articles de Wikipedia soient neutres, son existence ne l’est pas. Comme l’a écrit récemment Kat Walsh, qui appartient au conseil d’administration de la Wikimedia Foundation, sur une de nos listes de discussion :

Nous dépendons d’une infrastructure légale qui nous permet de publier nos sites. Et nous dépendons d’une infrastructure légale qui permet aussi à d’autres sites d’héberger du contenu produit par les utilisateurs, qu’il s’agisse d’information ou d’avis personnels. Le rôle principal des projets Wikimedia consiste à organiser et rassembler le savoir mondial. Nous l’intégrons dans son contexte et permettons à nos visiteurs de le comprendre.

Mais ce savoir doit être publié à un endroit où tout un chacun peut y accéder et l’utiliser. Si ce contenu pouvait être censuré sans autre forme de procès, cela serait néfaste pour qui veut exprimer son opinion, pour le public, et pour Wikimedia. Si l’on ne peut s’exprimer que si l’on a les moyens d’affronter des défis juridiques, ou si une opinion doit être approuvée au préalable par quelqu’un qui les a, on ne trouvera plus sur internet qu’un même ensemble d’idées consensuelles.

La décision d’éteindre la Wikipedia anglophone ne vient pas que de moi – elle a été prise collégialement par de nombreux éditeurs du réseau. Et je la soutiens.

Comme Kat et le reste du conseil d’administration de la Fondation Wikimedia, je considère de plus en plus la voix publique de Wikipedia et la bonne volonté que les gens ont pour Wikipedia comme une ressource qui doit être utilisée pour le bénéfice du public. Les lecteurs font confiance à Wikipedia parce qu’ils savent que malgré ses erreurs, Wikipedia a le cœur au bon endroit. Wikipedia n’a pas pour but de monétiser leurs visites ou de leur faire croire quoi que ce soit de particulier, ni même de leur vendre un produit. Wikipedia n’a pas de programme secret : elle veut seulement être utile.

C’est moins vrai pour d’autres sites. La plupart ont des motivations commerciales : leur objectif est de gagner de l’argent. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas le souhait de rendre le monde meilleur (beaucoup le font), mais que leurs positions et leurs actions doivent être envisagés dans un contexte d’intérêts contradictoires.

Je nourris l’espoir que, lorsque Wikipedia fermera le 18 janvier, les internautes comprendront que nous le faisons pour nos lecteurs. Nous soutenons le droit de chacun à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression. Nous estimons que tout le monde devrait avoir accès à du matériel éducatif pour un large éventail de sujets, même s’ils ne peuvent pas le payer. Nous croyons à un internet libre et ouvert où l’information peut être partagée sans entrave. Nous croyons que des propositions de loi telles que SOPA ou PIPA, ou d’autres lois similaires en cours de discussion à l’intérieur ou à l’extérieur des États-Unis, ne font pas avancer les intérêts du grand public. Vous pourrez prendre connaissance ici d’une liste de très bonnes raisons de vous opposer à SOPA et PIPA, proposée par l’Electronic Frontier Foundation.

Pourquoi une action globale, et pas limitée aux seuls États-Unis ? Et pourquoi maintenant, si certains législateurs américains semblent adopter une tactique de retrait vis à vis de SOPA ?

La réalité, à notre sens, c’est que le Congrès ne renoncera pas à SOPA, et que PIPA est toujours en pleine forme. Qui plus est, SOPA et PIPA ne sont que les indicateurs d’un problème bien plus important. Partout dans le monde, nous observons la mise en place de réglementations destinées à combattre le piratage et à réguler internet d’autres manières, avec pour effet de nuire aux libertés numériques. Notre inquiétude ne se limite pas à SOPA et PIPA, qui ne sont que des éléments du problème. Nous voulons que l’internet demeure libre et ouvert, partout dans le monde, et pour tous.

Le 18 janvier, nous espérons que vous partagerez notre engagement et que vous ferez tout votre possible pour faire entendre votre voix.

Sue Gardner




Stallman avait malheureusement raison depuis le début

Nur Hussein - CC by-saLe cauchemar paranoïaque et apocalyptique d’un geek psychorigide est en passe de devenir réalité.

Trente ans, trente ans que Stallman et la Free Software Foundation répètent inlassablement qu’il est fondamental que ce soit l’homme qui contrôle le logiciel, et donc la machine, et non l’inverse.

Le discours est peut-être radical sur le fond (car il ne souffre d’aucune compromission) et parfois excentrique dans la forme (le personnage Richard Stallman[1]) mais, comme Thom Holwerda ci-dessous, nous sommes de plus en plus nombreux à réaliser sa justesse et sa pertinence au fur et à mesure que le temps passe et les libertés s’amenuisent.

C’est d’ailleurs aussi voire surtout pour cela que nous avions traduit et enrichi avec lui sa biographie où figure en exergue cette citation de Lessig qui, cela dépend de nous, peut tout aussi bien être prémonitoire que tomber dans l’oubli :

« Chaque génération a son philosophe, écrivain ou artiste qui saisit et incarne l’imaginaire du moment. Il arrive que ces philosophes soient reconnus de leur vivant, mais le plus souvent il faut attendre que la patine du temps fasse son effet. Que cette reconnaissance soit immédiate ou différée, une époque est marquée par ces hommes qui expriment leurs idéaux, dans les murmures d’un poème ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est ni un artiste ni un écrivain. C’est un informaticien. »

Remarque : On notera que l’auteur fait référence à une récente et marquante conférence de Cory Doctorow qui affirme l’importance de gagner la guerre actuelle contre le copyright, prélude, ni plus ni moins selon lui, à une future éventuelle guerre totale contre le Net et donc les citoyens. Nous aurons l’occasion d’en reparler car notre fine équipe Framalang a prévu son sous-titrage.

Richard Stallman avait raison depuis le début

Richard Stallman Was Right All Along

Thom Holwerda – 2 janvier 2012 – OSNews.com
(Traduction Framalang : Lolo le 13, Goofy, Slystone, e-Jim, Pandark et Clochix)

À la fin de l’année dernière, le président Obama a signé une loi qui permet de maintenir indéfiniment en détention des gens soupçonnés de terrorisme sans la moindre forme de procès ou de jugement en bonne et due forme. Les manifestants pacifiques des mouvements Occupy du monde entier ont été qualifiés de terroristes par les autorités. Des initiatives comme SOPA promeuvent une surveillance constante de tous les canaux de communication.

Il y a trente ans, lorsque Richard Stallman a lancé le projet GNU, et pendant les trois décennies qui ont suivi, ses vues radicales et parfois extrêmes ont été raillées et méprisées comme étant de la paranoïa — mais nous y voici, en 2012, et ses suppositions paranoïaques sont devenues réalité.

Jusqu’à récemment, il était facile d’écarter Richard Stallman en le qualifiant de fanatique paranoïaque, quelqu’un qui avait depuis longtemps perdu le contact avec la réalité. Une sorte d’éternel hippie des ordinateurs, la personnification parfaite de l’archétype du nerd vivant retiré du monde dans le garage d’une maison. Sa barbe, ses cheveux, sa tenue — dans notre monde d’apparences, il était très facile de l’écarter.

Ses positions ont toujours été extrêmes. Son unique ordinateur est un netbook Lemote Yeelong, car c’est le seul ordinateur qui n’utilise que des logiciels libres — pas de binaires dans le firmware, pas de BIOS propriétaire ; il est complètement libre. Il refuse également de posséder un téléphone portable, car ils sont trop simples à pister. En attendant qu’il existe un téléphone mobile équivalent au Yeelong, Stallman ne veut pas en posséder.

En règle générale, tous les logiciels devraient être libres. Ou, comme le dit la Free Software Foundation :

À mesure que notre société devient plus dépendantes des ordinateurs, les logiciels que nous utilisons sont d’une importance critique pour sécuriser l’avenir d’une société libre. Le logiciel libre permet d’avoir le contrôle de la technologie que nous utilisons dans nos maisons, nos écoles, nos entreprises, là où les ordinateurs travaillent à notre service et au service du bien commun, et non pour des entreprises de logiciels propriétaires ou des gouvernements qui pourraient essayer de restreindre nos libertés et de nous surveiller.

J’ai, moi aussi, ignoré Richard Stallman que je jugeais trop extrême. Le logiciel libre pour combattre les gouvernements qui contrôlent et espionnent ? Des entreprises démoniaques prêtes à prendre le contrôle du monde ? Le logiciel comme outil pour surveiller les canaux de communication privés ? Ok, je suis d’accord, le logiciel libre est important, et je le choisis à chaque fois qu’il implémente les mêmes fonctionnalités que les solutions propriétaires, mais de là à croire et adhérer aux sornettes de Stallman et de la FSF…

Or nous y voici.

Nous sommes au début de 2012 et Obama a signé le NDAA, qui autorise la rétention indéfinie de citoyens américains sans aucune forme de jugement ou de procès, simplement parce qu’ils sont suspectés de terrorisme. Au même moment, nous avons la loi SOPA, qui, si elle passe, mettrait en place un système dans lequel les sites peuvent être débranchés du Web, une fois encore sans la moindre forme de jugement ou de procès, tout en autorisant également la surveillance du trafic Internet. Combinez cela avec la façon dont les autorités ont qualifié de terroristes les mouvements Occupy et vous pouvez voir où cela nous amène.

Au cas où ça vous rappelle la Chine et des régimes totalitaires similaires, vous n’êtes pas le seul. Même l’Association du Cinéma d’Amérique, la MPAA, clame fièrement que ce qui fonctionne en Chine, Syrie, Iran et dans d’autres pays devrait fonctionner aux États-Unis. La Grande Muraille pare-feu de Chine et les systèmes de filtrage similaires sont glorifiés et cités en exemple dans ce qui est supposé être le monde libre.

Le nœud du problème ici est qu’à la différence de jadis, à l’époque où les régimes répressifs avaient besoin de réseaux compliqués de police secrète et d’informateurs pour surveiller les communications, tout ce dont ils ont besoin à présent est de contrôle sur le logiciel et le matériel que nous utilisons. Nos ordinateurs de bureau, nos portables, nos tablettes, nos smartphones, et toutes sortes de terminaux jouent un rôle dans pratiquement toutes nos communications. Vous pensez être à l’abri lorsque vous communiquez en face-à-face ? Réfléchissez-y à deux fois. Comment avez-vous préparé la rencontre ? Au téléphone ? Via le Web ? Et qu’est-ce que vous avez dans votre poche ou votre sac, toujours connecté au réseau ?

C’est contre cela que Stallman nous a mis en garde pendant toutes ces années — et la plupart d’entre nous, moi compris, ne l’ont jamais réellement pris au sérieux. Cependant, à mesure que le monde change, l’importance de la possibilité de vérifier ce que fait le code dans vos terminaux — ou de le faire faire par quelqu’un d’autre si vous n’en avez pas les compétences — devient de plus en plus évidente. Si nous perdons la possibilité de vérifier ce que font nos ordinateurs, nous sommes foutus.

C’est au cœur de ce que croient la Free Software Foundation et Stallman : que le logiciel propriétaire enlève à l’utilisateur le contrôle sur la machine, ce qui peut avoir des conséquences désastreuses, en particulier à présent que nous dépendons des ordinateurs pour à peu près tout ce que nous faisons. Le fait que Stallman l’ait prévu il y a près de trois décennies est remarquable, et donne raison à son activisme.

Et en 2012, nous allons avoir plus que jamais besoin de logiciels libres. Au récent Chaos Computer Congress de Berlin, Cory Doctorow a donné une conférence intitulée La guerre à venir sur l’informatique généraliste (NdT : The Coming War on General Purpose Computation). À cette occasion, Doctorow nous informa que l’ordinateur dont le contrôle complet est accessible à l’utilisateur est perçu comme une menace pour l’ordre établi actuel. La guerre du copyright ? Rien de plus qu’un prélude à la vraie guerre.

« En tant que membre de la génération Walkman, j’ai accepté le fait que j’aurai sûrement bientôt besoin d’implants auditifs, et, bien sûr, il ne s’agira pas de prothèses au sens classique, mais bien d’un ordinateur implanté dans mon corps », explique Doctorow. « Donc, lorsque je rentre dans ma voiture (un ordinateur dans lequel j’insère mon corps) avec mes audioprothèses (un ordinateur que j’insère dans mon corps), je veux être certain que ces technologies n’ont pas été conçues de manière à me cacher des choses, ni à m’empêcher de mettre fin à des processus qu’elles exécutent et qui nuiraient à mes intérêts ».

Et ceci est vraiment le coeur de la problématique. À partir du moment où les ordinateurs s’occupent de choses comme l’audition, la conduite automobile, et bien d’autres choses encore, nous ne pouvons plus nous permettre d’être privés d’accès à leur code. Nous devons avoir un droit de regard sur leur fonctionnement interne et pouvoir comprendre ce qu’ils font, afin de nous assurer que nous ne sommes pas surveillés, filtrés ou manipulés. Il y a peu, j’aurais encore affirmé que tout ceci n’est que pure paranoïa, mais avec tout ce qui se passe ces derniers temps, ce n’est plus de la paranoïa. C’est la réalité.

« À l’avenir, la liberté exigera de nous que nous ayons la capacité de surveiller nos appareils, de leur imposer ce que nous voulons qu’ils fassent, de définir une politique éthique et sensée pour leur utilisation, d’examiner et de pouvoir choisir et mettre fin aux processus qu’ils exécutent, afin qu’ils restent nos fidèles serviteurs, et non des traîtres et des espions à la solde de criminels, de voyous et d’obsédés du contrôle, qu’ils soient individus, États ou multinationales », nous avertit Doctorow, « Nous n’avons pas encore perdu, mais il nous faut gagner la guerre du Copyright afin de garder Internet et nos ordinateurs libres et ouverts. Parce que ces derniers sont les armes des guerres à venir, nous serons incapables de nous battre sans eux. »

Voilà pourquoi vous devriez soutenir Android (pas Google, mais Android), même si vous préférez l’iPhone. Voilà pourquoi vous devriez soutenir Linux, même si vous utilisez Windows. Voilà pourquoi vous devriez soutenir le serveur Web Apache, même si vous utilisez Microsoft IIS. Il va arriver un moment où être libre et ouvert ne sera plus seulement un avantage amusant, mais une nécessité.

Et ce moment approche beaucoup plus rapidement que vous ne le pensez.

Notes

[1] Crédit photo : Nur Hussein (Creative commons By-Sa)