Les conseils de Ray Bradbury à qui veut écrire – Open Culture (4)
Dans le 4e épisode de notre mini-série de l’été, nous recueillons les conseils d’écriture de Ray Bradbury (oui, celui des Chroniques martiennes et Fahrenheit 451, entre autres) qu’il expose au fil d’une conférence résumée pour vous dans cet article d’openculture.com, un portail très riche en ressources culturelles.
Ah, au fait, profitons-en pour vous rappeler que le Ray’s Day c’est lundi 22 août : en hommage au grand Ray, c’est l’occasion de lire des tas de textes en tous genres et de faire connaître les vôtres et même de les mettre en ligne. Rendez-vous sur le nouveau site du Ray’s Day qui sert de socle à cette initiative.
À l’instar de l’icône du genre Stephen King, Ray Bradbury est parvenu à toucher un public bien plus large que celui auquel il était destiné en offrant des conseils d’écriture à tous ceux qui prennent la plume. Dans ce discours prononcé en 2001 lors du symposium des écrivains organisé par l’université Point Loma Nazarene à By the Sea, Ray Bradbury raconte des anecdotes tirées de sa vie d’écrivain, qui offrent toutes des leçons pour se perfectionner dans l’art d’écrire.
La plupart d’entre elles ont trait aux pratiques quotidiennes qui constituent ce qu’il appelle « l’hygiène de l’écriture ».
En regardant cette conférence divertissante et pleine de digressions, vous pourriez en tirer un ensemble de points totalement différents, mais voici, sous forme de liste, comment j’interprète le programme de Bradbury :
Ne commencez pas par vouloir écrire des romans. Ils prennent trop de temps. Commencez plutôt votre vie d’écrivain en rédigeant « un sacré paquet de nouvelles », jusqu’à une par semaine. Prenez un an pour le faire ; il affirme qu’il est tout simplement impossible d’écrire 52 mauvaises nouvelles d’affilée. Il a attendu l’âge de 30 ans pour écrire son premier roman, Fahrenheit 451. « Ça valait le coup d’attendre, hein ? »
On peut les aimer, mais on ne peut pas les égaler. Gardez cela à l’esprit lorsque vous tenterez inévitablement, consciemment ou inconsciemment, d’imiter vos écrivains préférés, tout comme il a imité H.G. Wells, Jules Verne, Arthur Conan Doyle et L. Frank Baum.
Examinez des nouvelles « de qualité ». Il suggère Roald Dahl, Guy de Maupassant, et les moins connus Nigel Kneale et John Collier. Tout ce qui se trouve dans le New-Yorker d’aujourd’hui ne fait pas partie de ses critères, car il trouve que leurs histoires sont « dépourvues de métaphores ».
Bourrez-vous le crâne. Pour accumuler les blocs de construction intellectuelle de ces métaphores, il suggère un cours de lecture à l’heure du coucher : une nouvelle, un poème (mais Pope, Shakespeare et Frost, pas les « conneries » modernes) et un essai. Ces essais devraient provenir de divers domaines, dont l’archéologie, la zoologie, la biologie, la philosophie, la politique et la littérature. « Au bout de mille nuits », résume-t-il, « bon Dieu, vous saurez plein de trucs ! ».
Débarrassez-vous des amis qui ne croient pas en vous. Se moquent-ils de vos ambitions d’écrivain ? Il suggère de les appeler pour les « virer » sans tarder.
Vivez dans la bibliothèque. Ne vivez pas dans vos « maudits ordinateurs ». Il n’est peut-être pas allé à l’université, mais ses habitudes de lecture insatiables lui ont permis d’être « diplômé de la bibliothèque » à 28 ans.
Tombez amoureux des films. De préférence des vieux films.
Écrivez avec joie. Dans son esprit, « l’écriture n’est pas une affaire sérieuse ». Si une histoire commence à ressembler à du travail, mettez-la au rebut et commencez-en une qui ne l’est pas. « Je veux que vous soyez jaloux de ma joie », dit Bradbury à son public.
Ne prévoyez pas de gagner de l’argent. Avec son épouse, qui « a fait vœu de pauvreté pour l’épouser », Ray a atteint l’âge de 37 ans avant de pouvoir s’offrir une voiture (et il n’a toujours pas réussi à passer son permis).
Faites une liste de dix choses que vous aimez et de dix choses que vous détestez. Puis écrivez sur les premières, et « tuez » les secondes – également en écrivant à leur sujet. Faites de même avec vos peurs. Tapez tout ce qui vous passe par la tête. Il recommande l' »association de mots » pour lever tout blocage créatif, car « vous ne savez pas ce que vous avez en vous avant de le tester ».
N’oubliez pas qu’avec l’écriture, ce que vous recherchez, c’est une seule personne qui vienne vous dire : « Je vous aime pour ce que vous faites. » Ou, à défaut, vous cherchez quelqu’un qui vienne vous dire : « Vous n’êtes pas aussi fou que tout le monde le dit ».
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Ray’s Day 2016, la nouvelle choisie par le Framablog
Chez Framasoft, on adore le Ray’s Day et on s’efforce d’y participer à notre manière. Aujourd’hui nous avons publié nos contributions :
Mais c’est aussi l’occasion de découvrir des textes malicieux comme celui que nous republions ici, puisqu’il est sous licence CC-BY-SA… C’est Framasky qui l’a repéré et nous l’avons trouvé sympa. Bravo à Snædis Ika pour sa nouvelle, que nous vous invitons à déguster.
Et si dans la vraie vie aussi, il y avait des cookies, comme ceux qui nous suivent un peu partout sur le net ? C’est sur la base de cette idée que j’ai écrit le petit texte qui suit.
Bonne lecture
* * *
Je jette un coup d’œil à la vitrine de cette toute nouvelle boutique de fringue qui habille toutes les filles qui ont un minimum de goûts. Les vêtements ont l’air de bonne qualité, ils sont colorés et les vendeuses ont l’air aussi sympathiques qu’elles sont squelettiques. Et soudain, je me fige. J’aperçois une robe, non, LArobe. Elle est rouge, ni trop courte ni trop longue, elle est superbe. Aucune chance qu’elle ne m’aille.
Peu importe, il me la faut, j’inspire un grand coup et je franchis le pas de la porte. Une clochette électronique n’a pas le temps de signaler mon entrée que déjà se tient devant moi une vendeuse dont le sourire rouge vif mange la moitié du visage, l’autre étant dévorée par des yeux d’un vert pomme peu naturel qu’une épaisse couche de maquillage rend démesurés. C’est à se demander comment un corps aussi frêle peut soutenir ces deux yeux et cette bouche.
« – Bonjour Madame ! Bienvenue dans notre magasin, prenez un cookie s’il vous plaît ! » m’accueille la vendeuse avec une affreuse voix nasillarde.
D’un geste élégant de la main, elle m’indique un petit panier sur le comptoir dans lequel sont disposés sur une serviette en papier rose des cookies fort appétissants. Je trouve l’accueil tout à fait agréable, et l’attention envers les clientes plus que charmante. Je me dois cependant de décliner son offre, aussi alléchante soit-elle.
« – Bonjour ! Non merci, je suis au régime, et si je veux rentrer dans cette magnifique robe que j’aperçois derrière vous sans être trop boudinée, je crains de devoir me passer de cookies pendant quelques temps. » je réponds à contrecœur.
Et pourtant les cookies, j’adore ça ; le biscuit qui craque sous la dent, les pépites de chocolat fondantes. Toute le monde aime ça. La seule condition pour les apprécier c’est de ne pas être trop regardant quant à la quantité de beurre qu’ils contiennent. Et je ne suis habituellement pas du genre trop regardante quant à ce genre de choses.
« – Excusez-moi, Madame, mais je me permets d’insister », reprend la vendeuse
« – Je vais insister aussi, Madame, je vous ai dit que je ne voulais pas de cookie. Je n’en prendrai pas. » je rétorque d’un ton ferme, fière de moi.
« – C’est la politique du magasin, Madame ! Désormais vous ne pouvez pas rentrer si vous ne prenez pas un cookie. » Le ton de la vendeuse se fait presque menaçant derrière son immuable sourire.
« – C’est quoi pour une politique ! Le but, c’est de faire grossir les clientes ?
— Je vous laisse le choix, vous n’êtes obligée à rien, Madame. Si vous n’acceptez pas les conditions du magasin, vous êtes libre de partir.
— Donc mon seul choix, c’est manger un cookie ou d’aller voir ailleurs ?
— Vous avez bien compris, Madame.
— OK. Raboule le cookie, il me faut cette robe ! »
Je tends la main sous l’imposant regard et saisis un cookie, un pas trop gros. La vendeuse me fixe toujours et je comprends que je ne dois pas juste prendre un cookie comme elle me l’a si gentiment proposé imposé mais quelle attend que je le mange. Je m’exécute et ses mâchoires semblent se relâcher, agrandissant encore son sourire. Histoire de faire part de mon agacement, j’ouvre grand la bouche et tire la langue pour lui montrer que je n’ai pas fait semblant, que je l’ai bien mangé, son cookie. Elle n’en fait pas cas et s’écarte joyeusement. Je suis à peine passée devant elle, toujours un peu perplexe face à cette histoire de biscuits que la vendeuse s’attaque déjà à la cliente suivante. Celle-ci ne se laisse pas prier et gobe sagement son cookie, visiblement habituée à cette situation.
Et moi qui croyais naïvement que tout à l’heure au supermarché, on m’avait offert un cookie pour essayer de m’en vendre un paquet. Je ne vais tout de même pas manger un cookie dans chaque magasin dans lequel je rentre, c’est absurde !
Je décide de me changer les idées et commence à faire un tour. Je regarde LA robe du coin de l’œil, je n’ose pas m’approcher tout de suite. Mon intérêt se porte sur un t-shirt orange basique. Je le prends à la main.
« – Bonjour ! Est-ce que je peux vous renseigner, Madame ? »
Cette question qui me fait sursauter me vient d’une vendeuse que je découvre juste à côté de moi. Je crois d’abord avoir affaire à la même que tout à l’heure. Mais j’aperçois que la première vendeuse se trouve toujours à l’entrée à distribuer ses biscuits. En regardant bien, je remarque que celle qui s’adresse à moi a un grain de beauté sur la joue. Ce grain de beauté est d’ailleurs beaucoup trop bien placé pour être vrai.
« – Non merci, je regarde seulement. Je réponds de la manière la plus polie possible. » J’aime bien qu’on me fiche la paix quand je fais du shopping. Et le reste du temps aussi.
« – Très bien, Madame. »
Je détourne les yeux de la vendeuse et commence à feindre de me passionner pour le t-shirt orange comme s’il s’agissait d’une poterie rare de la plus grande finesse en attendant qu’elle ne s’en prenne à quelqu’un d’autre. Du coin de l’œil, je vois qu’elle reste plantée à côté de moi. Souriante.
« – Madame, sachez tout de même que le vêtement le plus acheté en ce moment par les clientes ayant un profil similaire au vôtre est cette superbe robe à froufrous roses. »
Je me retourne à nouveau pour lui faire face et vois que d’un délicat signe de la main, elle caresse une robe à froufrous rose qu’elle tient dans l’autre main par le cintre. Je suis certaine qu’elle ne l’avait pas en main quand elle m’a adressé la parole il y a quelques secondes. Et j’ai beau jeter un œil autour de nous, je ne vois pas d’où elle a bien pu la sortir. Elle est apparue, c’est tout. De nulle part.
« – Ah non, il y a erreur, je réponds, clairement pas des gens qui ont le même profil que moi. Jamais je ne mettrai une horreur pareille ! Je pense que je vais me passer de vos conseils et me faire mon propre avis. Merci.
— Très bien, Madame. »
J’allais reprendre mon minutieux examen du t-shirt, mais quelque chose me turlupine et je ne peux m’empêcher de poser la question.
« – Simple curiosité, qu’est-ce que vous entendez par clientes ayant un profil similaire au mien ?
— Eh bien, Madame, il s’agit de clientes exigeantes, entre 25 et 30 ans, qui regardent la robe rouge sans oser l’essayer et mesurant moins d’un mètre soixante.
— C’est plutôt précis. Et pas vraiment flatteur.
— Nos profils sont tout ce qu’il y a de plus pertinents, Madame. D’ailleurs, je tiens à vous préciser que les personnes qui ont acheté le t-shirt que vous tenez entre les mains ont également acheté en moyenne 5 articles supplémentaires, parmi lesquels figurent cette robe à pois, ces chaussettes rayées, ce t-shirt bariolé, ce jeans délavé et des sous-vêtements affriolants qui sont exceptionnellement en action jusqu’à ce soir. »
Alliant le geste à la parole, elle me montre un à un les vêtements alors qu’elle les énumère, ils apparaissent tour à tour dans l’une de ses mains et elle finit par être presque entièrement dissimulée derrière la pile de vêtements dont ne dépasse plus que ses yeux et son sourire.
« – Donc peu importe ce que je dis, vous allez continuer à me conseiller des trucs bidons que d’autres clientes – dont vous supposez qu’elles ont les mêmes goûts que moi parce qu’on a regardé le même vêtement ou qu’on n’a pas assez grandi à la puberté – ont soit disant acheté. Et je suis censée vous croire sur parole ?
— Je peux également vous conseiller ce que les personnes qui habitent dans votre région ont acheté, Madame. Et je vous rends attentive au fait qu’il se peut que ce t-shirt orange soit en rupture de stock dans approximativement 10 minutes et 13 secondes. »
De son index droit qui dépasse des sous-vêtements affriolants qu’elle vient de me présenter, la vendeuse désigne le t-shirt que je porte à la main. Je baisse les yeux et le regarde un instant, perplexe. Avant de remarquer :
« – Je l’ai entre les mains, personne ne va me le voler. S’il risque d’être en rupture de stock, c’est parce que je risque de l’acheter, non ?
— Je vois qu’il s’agit du dernier exemplaire en votre taille et qu’il n’en reste plus en rayon. Statistiquement, cela signifie qu’il ne sera plus disponible dans 10 minutes et 13 secondes, Madame. »
Ce magasin commence à me faire flipper. J’ai l’impression d’être dans un très mauvais film de science-fiction, ou dans une caméra cachée, quoique pas très cachée la caméra de surveillance. Je lui adresse un sourire charmeur, au cas où. La voix de la vendeuse me tire de cette pensée.
« – Et je vois que vous avez acheté une brique de lait au supermarché, Madame. Sachez que les personnes qui achètent du lait ont généralement une préférence pour les t-shirts bleus, par exemple comme celui-ci. »
Un nouvel habit vient rejoindre la pile derrière laquelle se dissimule chaque fois un peu plus la vendeuse. Je jette un regard vers le sac de course que j’ai posé à mes pieds. Effectivement une brique de lait en dépasse, ainsi qu’un sachet de noix et une tige de poireau. Pour quelqu’un qui prétend manger sainement sain, c’est pas si mal. Heureusement qu’on ne voit pas ce qui se cache dessous. Moi qui rechignais à prendre un cookie, quand je pense à ce que j’ai acheté… Je détourne l’attention de la vendeuse de mes achats, ne pouvant retenir une remarque ironique.
« – Et les personnes qui achètent des poireaux ? Elles préfèrent le vert ?
— C’est tout à fait faux, Madame. Les clientes qui achètent des poireaux, ainsi que celles qui consultent la météo tous les jours ont tendance à avoir une préférence pour les vêtements blancs », répond la vendeuse le plus sérieusement du monde.
« – C’est n’importe quoi ces histoires, je n’y crois pas une seconde. »
Je me défais de la vendeuse et file en cabine pour essayer le t-shirt et LA robe, mais surtout pour me mettre à l’abri et reprendre mes esprits quelques minutes. J’enfile la robe rouge et bien que le modèle n’ait clairement pas été dessiné pour d’aussi petites jambes, elle me plaît ! Je me change et prends mon courage à deux mains pour sortir de la cabine, satisfaite de ma journée.
La vendeuse au grain de beauté et aux conseils personnalisés m’attend derrière le rideau. Elle me tend déjà la robe à froufrous rose qu’elle me présente toujours avec le même sourire. Elle semble un peu perdue me voyant ressortir tout sourire et bien décidée à faire l’acquisition de la fameuse robe rouge. Je comprends vite que les personnes qui ont mon profil ne l’achètent pas d’habitude et je me dirige fièrement vers la caisse alors que la vendeuse reste plantée devant la cabine, sa robe à froufrous à la main.
Le reste de la pile de vêtements qui la dissimulait a disparu, tout comme son sourire.