Brian Eno n’aime pas les NFT – Open Culture (5)

Le 5e numéro de notre mini-série de l’été, qui vagabonde librement d’un article de openculture.com à l’autre, vous propose aujourd’hui de lire quelques propos assez vifs sur les NFT que l’on peut définir grossièrement comme des titres de propriété, enregistrés dans une sorte de « grand livre » numérique public et décentralisé (en savoir plus avec ces questions/réponses). Leur apparition ces dernières années suscite autant d’engouement spéculatif que de critiques acerbes.

Voici par exemple le point de vue de Brian Eno, un musicien, producteur, compositeur dont la carrière et la notoriété dans le monde de la musique sont immenses : les plus grands ont bénéficié de son talent, on lui doit le développement et la popularisation d’un genre musical et nombreuses sont ses expérimentations artistiques, pas seulement musicales..

 

Article original : Brian Eno Shares His Critical Take on Art & NFTs: “I Mainly See Hustlers Looking for Suckers”

Traduction : Goofy

Brian Eno expose son point de vue critique sur l’art et les NFT : « Je vois surtout des arnaqueurs qui cherchent des pigeons »

par Josh Jones

Image via Wikimedia Commons

Dans notre monde marqué par les inégalités, on peut avoir l’impression que nous n’avons plus grand-chose en commun, qu’il n’y a pas de « nous », mais seulement « eux » et « nous ». Mais les multiples crises qui nous séparent ont aussi le potentiel d’unir l’espèce. Après tout, une planète qui se réchauffe rapidement et une pandémie mondiale nous menacent tous, même si elles ne nous menacent pas de la même manière.

Les solutions existent-elles dans la création de nouvelles formes de propriété privée, de nouvelles façons de déplacer le capital dans le monde ? Les sous-produits de la marchandisation et du gaspillage capitalistes, à l’échelle de l’extinction, peuvent-ils être atténués par de nouvelles formes ingénieuses de financiarisation ? Tels semblent être les arguments avancés par les zélateurs des crypto-monnaies et de NFT, un acronyme signifiant jetons non fongibles et – si vous ne l’avez pas encore remarqué – qui semble la seule chose dont tout le monde parle aujourd’hui dans le monde de l’art.

Brian Eno a exprimé son opinion sur le sujet de manière assez abrupte dans une interview récente. « Les NFT me semblent juste un moyen pour les artistes d’obtenir une petite part du gâteau du capitalisme mondial », a-t-il dit sur le site The Crypto Syllabus. « Comme c’est mignon : maintenant les artistes peuvent aussi devenir de petits trous du cul de capitalistes ». Il désapprouve évidemment l’utilisation de l’art uniquement pour générer des profits, car si nous avons appris quelque chose de la théorie de la créativité et de l’influence d’Eno au cours des dernières décennies, c’est bien que selon lui le moteur principal de la création artistique est… de générer davantage d’art.

« Si j’avais voulu gagner de l’argent avant tout, j’aurais eu une carrière différente, comme n’importe qui d’autre. Je n’aurais probablement pas choisi d’être un artiste ».

Il est tout à fait inutile d’essayer de cataloguer Eno comme technophobe ou déconnecté, c’est tout le contraire. Mais les produits financiers fictifs qui ont envahi toutes les autres sphères de la vie n’ont pas leur place dans les arts, affirme-t-il.

Lorsqu’on lui demande pourquoi les NFT sont présentés comme un salut pour les artistes et le monde de l’art par les visionnaires des crypto-monnaies, parmi lesquels figurent nombre de ses amis et collaborateurs, Eno répond :

Je peux comprendre pourquoi les personnes qui en ont profité sont satisfaites, et il est assez naturel dans un monde libertarien de croire que quelque chose qui vous profite doit automatiquement être « bon » pour le monde entier. Cette croyance est une version de ce que j’appelle « l’automatisme » : l’idée que si vous laissez les choses tranquilles et que vous laissez une chose ou l’autre – le marché, la nature, la volonté humaine – suivre son cours sans entrave, vous obtiendrez automatiquement un meilleur résultat qu’en intervenant. Les personnes qui ont ce genre de croyances n’ont aucun scrupule à intervenir elles-mêmes, mais veulent simplement une situation où personne d’autre ne peut intervenir. Surtout pas l’État.

Le fait que la vente des NFT n’ait profité qu’à un très petit nombre de personnes – à hauteur de 69 millions de dollars en une seule vente dans une affaire récente très médiatisée – ne semble pas particulièrement gêner ceux qui insistent sur leurs avantages. Les créateurs des NFT ne semblent pas non plus gênés par l’énorme surcharge énergétique que nécessite cette technologie, « un système pyramidal de cauchemar écologique », comme le dépeint Synthtopia – dont Eno dit :

« dans un monde en réchauffement, une nouvelle technologie qui utilise de vastes quantités d’énergie comme « preuve de travail », c’est-à-dire simplement pour établir un certain âge d’exclusivité, est vraiment insensée. »

Eno répond volontiers aux questions sur les raisons pour lesquelles les NFT semblent si séduisantes – ce n’est pas un grand mystère, juste une nouvelle forme d’accumulation, de marchandisation et de gaspillage, une forme en particulier qui n’ajoute rien au monde tout en accélérant l’effondrement du climat. Les NFT sont le « readymade inversé », selon David Joselit : là où « Duchamp utilisait la catégorie de l’art pour libérer la matérialité de la forme marchandisable, les NFT déploient la catégorie de l’art pour extraire la propriété privée d’informations librement disponibles ».

Le discours autour des NFT semble également libérer l’art de la catégorie de l’art, et tout ce que cela a signifié pour l’humanité depuis des millénaires en tant que pratique communautaire, réduisant les productions créatives à des certificats numériques d’authenticité. « J’essaie de garder l’esprit ouvert sur ces questions », concède Eno. « Des personnes que j’apprécie et en qui j’ai confiance sont convaincues que [les NFT] sont la meilleure chose depuis l’invention du pain en tranches, alors j’aimerais avoir une vision plus positive, mais pour l’instant, je vois surtout des arnaqueurs qui cherchent des pigeons. »

Pour aller plus loin

(en français)

(en anglais)

L’auteur de l’article
Josh Jones est un écrivain et musicien de Durham, NC. Son compte twitter est @jdmagness


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Des bières avec Bukowski – Open Culture (3)

Aujourd’hui notre mini-série de l’été consacrée à la culture ouverte vous emmène sur le chemin zigzaguant et génial des poèmes de Charles Bukowski : voici de sa propre voix une célébration animée de sa boisson favorite grâce à un article traduit du site openculture.com


Avertissement : l’alcoolisme, la misanthropie et la misogynie de Bukowski étant notoires, le poème et la vidéo peuvent heurter votre sensibilité. Auquel cas il vous appartient de ne pas aller plus loin sur cette page.

Article original : Watch “Beer,” a Mind-Warping Animation of Charles Bukowski’s 1971 Poem Honoring His Favorite Drink

Traduction : Goofy

Une animation hallucinante pour illustrer un poème de Charles Bukowski en hommage à sa boisson préférée…

par

 

Je ne sais pas combien de bouteilles de bière
j’ai consommées en attendant que ça se remette au beau.
je ne sais pas non plus combien de vin
et de whisky
et de bière
plutôt de la bière d’ailleurs
j’ai consommé après toutes ces ruptures
en guettant la sonnerie du téléphone,
le bruit de leurs pas,
mais c’était toujours trop tard
que le téléphone sonnait
et c’était toujours aussi trop tard
qu’elles revenaient.
Alors que j’étais sur le point
de rendre mon âme
elles arrivaient, fraîches comme des primevères :
« Mais, Grands Dieux, t’avais besoin de te
mettre dans ces états ?
maintenant il va falloir que j’attende
3 jours avant que tu me baises! »

La femme s’use moins vite
elle vit sept ans et demi de plus
que l’homme, et elle boit très peu de bière
car elle sait le mal que ça fait à sa ligne.

Tandis que nous partons de la tronche
elles sont dehors
dansant et riant
avec des cow-boys en chaleur.

En résumé, il y a la bière
des sacs et des sacs de bouteilles vides
et quand tu essaies d’en soulever un
le fond qui est mouillé et
qui est en papier
ne résiste pas et les bouteilles passent à travers
elles roulent sur le sol
et ça résonne partout
et en se renversant le peu de bière qui restait
se mélange à la cendre de cigarettes ;
quoi qu’il en soit, à 4 heures du matin
un sac qui crève
te procure l’unique sensation de la journée.

De la bière
des fleuves et des mers de bière
de la bière de la bière de la bière
la radio passe des chansons d’amour
et comme le téléphone reste muet
et que les murs de ta chambre
ne bougent pas
qu’y a-t-il d’autre que la bière ?

(Traduction © Gérard Guégan)

Charles Bukowski savait vraiment écrire. Et Charles Bukowski savait vraiment boire. Ces deux faits, sûrement les plus connus sur le « diplômé du caniveau », le poète et auteur de romans tels que Postier et Souvenirs d’un pas grand-chose (ainsi que de ce qu’on pourrait appeler la chronique de sa vie quotidienne, Journal d’un vieux dégueulasse), vont de pair. La boisson a fourni suffisamment de matière à sa prose et à ses vers – et, dans la vie, suffisamment de carburant pour l’existence qu’il a posée sur la page avec un art de l’évocation si brutal – que nous pouvons difficilement imaginer l’écriture de Bukowski sans sa boisson, ou sa boisson sans son écriture.

On s’attend donc naturellement à ce qu’il ait écrit une ode à la bière, l’une de ses boissons de prédilection. « La bière », qui figure dans le recueil de poésie de Bukowski de 1971, L’amour est un chien de l’enfer, rend hommage aux innombrables bouteilles que l’homme a bues « en attendant que les choses s’améliorent », « après des ruptures avec les femmes », « en attendant que le téléphone sonne », « en attendant le bruit des pas ».

La femme, écrit-il, sait qu’il ne faut pas consommer de la bière à l’excès à la manière des hommes, car « elle sait que c’est mauvais pour la silhouette ». Mais Bukowski, au mépris de sa silhouette, trouve dans cette boisson, la plus prolétaire de toutes, une sorte de réconfort.

La bière prend vie dans l’animation ci-dessus réalisée par NERDO. Quelques extraits des notes d’accompagnement :

« La composition est un manifeste du mode de vie de l’auteur, c’est pourquoi nous avons décidé de pénétrer dans l’esprit de l’auteur, et ce n’est pas un voyage sans danger […]

Un solo de cerveau sans filtre, un récit de folie ordinaire, montrant à quel point la solitude et la décadence peuvent se cacher à l’intérieur d’un esprit de génie.

Ce périple sauvage passe par ce que nous reconnaissons aujourd’hui comme de nombreux signifiants visuels de l’expérience bukowskienne : enseignes au néon, cigarettes, pâtés de maisons en décomposition, polaroïds clinquants – et, bien sûr, la bière, littéralement « des rivières et des mers de bière », que nul autre qu’Homer Simpson, autre amateur animé de la boisson, n’a un jour, tout aussi éloquemment, dépeinte comme « la cause et la solution à tous les problèmes de la vie »

Bière fait partie de notre collection de 1000 livres audio à télécharger gratuitement.

D’autres ressources (en anglais) à parcourir :

Quatre poèmes de Charles Bukowski animés

D’autres poèmes de Bukowski lus par lui-même,Tom Waits et Bono

Tom Waits lit deux poèmes de Charles Bukowski, « The Laughing Heart » et “Nirvana”.

Écoutez 130 minutes des toutes premières lectures enregistrées de Charles Bukowski (1968)

Charles Bukowski s’insurge contre les emplois de type « 9 à 5 » dans une lettre d’une brutale honnêteté (1986)

« Journal d’un vieux dégueulasse : Les caricatures perdues de Charles Bukowski dans les années 60 et 70.

L’auteur de l’article

Basé à Séoul, Colin Marshall écrit et diffuse des articles sur les villes, la langue et le style. Il travaille actuellement à la rédaction d’un livre sur Los Angeles, A Los Angeles Primer, à la série de vidéos The City in Cinema, au projet de journalisme financé par le crowdfunding Where Is the City of the Future ? et au Korea Blog de la Los Angeles Review of Books. On peut le suivre sur Twitter à @colinmarshall.

 


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