Matériel libre ou matériel ouvert ? Open Source Hardware ou Open Hardware ?

Tout libriste digne de ce nom connaît le classique débat entre le logiciel libre et le logiciel Open Source (cf ce lien qui marque notre préférence : Pourquoi l’expression « logiciel libre » est meilleure qu’« open source »)[1].

Va-t-on assister à la même foire d’empoigne pour le secteur en plein développement actuellement du matériel libre ? ou ouvert, ou les deux à la fois, enfin c’est vous qui voyez…

Windell Oskay - CC by

Du matériel ouvert ou du matériel libre ?

Open hardware, or open source hardware?

Andrew Katz – 22 août 2011 – Commons Law (ComputerWorld.uk)
(Traduction Framalang : Lamessen, Loïc, Penguin, kabaka, Antoine)

Allons nous assister à une réédition des débats sémantiques qui traversent le monde logiciel ?

Bruce Perens (co-fondateur de l’Open Source Initiative) s’est récemment interrogé lors d’une conférence sur les différences qu’il pouvait y avoir entre le matériel libre (Open Source Hardware) et le matériel ouvert (Open Hardware). De nombreuses personnes ont comparé ce débat à la classique nuance (ou opposition, c’est selon) entre le logiciel libre (free software) et le logiciel Open Source, en s’inquiétant qu’il puisse diviser tout autant. Je n’en suis pas si sûr. Je pense que les deux sont différents et qu’ils peuvent co-exister pacifiquement.

Selon mon point de vue, un matériel libre est un matériel fourni avec les schémas pour qu’on puisse le reproduire nous-même, alors qu’un matériel ouvert est un matériel qui est fourni avec des spécifications complètes de manière à ce que vous puissiez interagir avec lui sans mauvaises surprises mais sans nécessairement savoir ce qui se passe à l’intérieur.

Le matériel libre est meilleur (du point de vue de l’utilisateur), mais le matériel ouvert est sans aucun doute une avancée dans la bonne direction.

Le matériel libre dépend la plupart du temps inévitablement de matériel ouvert : par exemple, vous pouvez avoir toutes les spécifications d’un circuit intégré simple comme un NE555, sans avoir besoin de toutes les informations nécessaires à sa construction.

Pour du matériel plus complexe, les spécifications d’un boulon (pas de vis, diamètre, longueur, type de tête, résistance à la traction, résistance générale à la corrosion…) peuvent être disponibles, mais il est peu probable que la composition exacte de l’alliage utilisé pour le fabriquer, sa trempe, etc… le soient. La plupart des composants électroniques simples seront donc du matériel ouvert.

Le seul point sur lequel il faut être un peu plus prudent quand on parle de matériel libre est que, contrairement au logiciel, il est plus difficile de tracer la frontière entre la source et l’objet. Par exemple, je dirais qu’une voiture est libre si la documentation complète sur sa conception est disponible tant que les spécifications des moteurs sont suffisantes pour l’utilisation qu’on souhaite en faire et qu’elles font ce qu’elles sont censées faire sans mauvaises surprises, quand bien même certaines pièces soient individuellement propriétaires ou non sourcées.

Si vous suivez une approche maximaliste, et que vous voulez les instructions nécessaires et suffisantes à la fabrication complète d’une voiture à partir d’un amas d’atomes, alors vous serez malheureusement déçus la plupart du temps. Heureusement, je n’ai rencontré personne d’aussi extrêmiste dans le monde du logiciel Open Source, oups, pardon, dans celui du logiciel libre 🙂

Notes

[1] Crédit photo : Windell Oskay (Creative Commons By)




Comment je suis tombé dans la marmite de l’open source quand j’étais petit

Les règles d’un jeu, les règles du jeu, ne sont pas inscrites dans le marbre. Et il est toujours possible, pour les plus audacieux, de faire un pas de côté pour les améliorer.

Telle est l’expérience fondatrice de Jeremy enfant au contact de son ami Bruce, véritable petit hacker en herbe[1].

On pourra certes objecter que cet état d’esprit bidouilleur et inventif n’a pas attendu l’open source pour exister mais il s’en trouve fortement stimulé par les potentialités nouvelles qu’offre Internet.

Jeremy Mates - CC by

Le jour où mon esprit devint open source

The day my mind became open sourced

Phil Shapiro – 20 avril 2012 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Adrien Dorsaz, e-Jim et Goofy)

Je me souviens très bien du jour exact où mon esprit est devenu open source. C’était un jour frais et ensoleillé de novembre 1973. Après les cours de l’école primaire, j’ai appelé mon meilleur ami, Bruce Jordan, et je lui ai demandé : « Est-ce que je peux passer jouer maintenant ? ». Bruce m’a répondu : « Bien sûr ! ». J’ai chevauché ma bicyclette rouge Schwinn (qui n’avait qu’une vitesse) et j’ai roulé comme un fou sur les trois kilomètres jusque chez Bruce. Je suis arrivé avec le souffle coupé, mais très heureux.

C’était plaisant de jouer avec Bruce, parce qu’il était toujours en train d’inventer de nouveaux jeux à jouer à l’intérieur et également à l’extérieur. Chez lui, on ne s’ennuyait jamais une seconde. C’est ainsi que, quand nous nous sommes assis pour jouer au Scrabble ce jour-là, Bruce a spontanément suggéré : « Prenons chacun 10 lettres au lieu de 7. Ça va beaucoup améliorer le jeu ». J’ai protesté : « Mais les règles écrites sur la boîte du jeu disent qu’on est censé prendre 7 lettres. »

Bruce a rapidement répondu : « Ce qui est imprimé sur la boîte, c’est pas des règles. C’est juste des suggestions de règles du jeu. Toi et moi, on est libres de les améliorer ». J’étais un peu stupéfait. Je n’avais jamais entendu une telle idée auparavant. Je lui ai rétorqué : « Mais les règles sur la boîte ont été écrites par les adultes qui sont plus intelligents que nous, non ? ».

Bruce m’a alors expliqué avec aplomb : « Ceux qui ont inventé ce jeu ne sont pas plus intelligents que toi ou moi, même si ce sont des adultes. Nous pouvons trouver de meilleures règles qu’eux pour ce jeu. De bien meilleures règles. »

J’étais un peu sceptique, jusqu’à que Bruce me dise « écoute, si ce jeu n’est pas beaucoup plus amusant dès les 5 premières minutes, nous retournons aux règles écrites sur la boîte ». Cela m’a semblé un bon moyen de procéder.

Et les règles du Scrabble de Bruce rendaient effectivement le jeu bien plus amusant. En pleine partie, je ne pus m’empêcher de lui demander : « si les règles du Scrabble peuvent être améliorées, est-ce que les règles d’autres jeux peuvent aussi être améliorées ? ».

Bruce me répondit « Les règles de tous les jeux peuvent être améliorées. Mais ce n’est pas tout. Tout ce que tu vois autour de toi et qui a été conçu par l’esprit humain peut être amélioré. Tout peut être amélioré ! »

À ces mots, un éclair m’a traversé l’esprit. En quelques secondes, mon esprit a basculé vers l’open source. À ce moment précis, j’ai su quels étaient le but de ma vie et ma destinée : chercher autour de moi les choses qui peuvent être améliorées, puis les améliorer.

Lorsque je suis remonté sur mon vélo Schwinn pour rentrer à la maison ce soir-là, mon esprit était enivré d’idées et de possibilités. J’ai plus appris de Bruce ce jour-là que je n’avais appris durant toute une année d’école. Vingt-cinq ans avant que l’expression Open Source ne soit formulée pour la première fois, Bruce Jordan a ouvert les sources de mon esprit. Je lui en serai éternellement reconnaissant.

Et alors que je roulais vers chez moi, je pris la résolution que durant ma vie, je concentrerai mon énergie à élargir les possibilités d’apprendre en dehors du cadre scolaire, parce que les apprentissages et les réalisations les plus significatives surviennent hors de l’enceinte de l’école.

Actuellement, je travaille dans une bibliothèque publique dans la région de Washington DC, et chaque jour, je discute avec des enfants. De temps en temps, je croise des élèves dont l’esprit est réceptif aux grandes idées. Lorsque cela m’arrive, je plante de petites graines dans leur esprit, et les laisse tracer leur route. Il leur revient de cultiver ces graines. Mon rôle se limite à planter des graines d’idées dans leur esprit. Le leur, c’est d’observer les germinations de ces graines, et de choisir de les arroser ou non.

Bruce Jordan m’a enseigné une autre leçon importante. La même année, il m’a demandé si je voulais jouer au Frisbee Baseball. « C’est quoi le Frisbee Baseball ? » demandai-je avec curiosité. Bruce répondit alors : « je ne sais pas, mais ça a l’air d’être un jeu génial. Nous allons créer les règles en marchant vers le terrain de baseball ».

Sans surprise, Bruce inventa les règles du Frisbee Baseball alors que nous parcourions le bloc qui nous séparait du terrain. Et nous avons joué avec grand plaisir, jusqu’à ce que l’obscurité nous empêche de voir le Frisbee. Ce que j’ai appris de Bruce ce jour-là, c’est de ne pas avoir peur d’aller là où mon instinct me dit qu’il y a de bonnes choses. Bruce était persuadé que nous allions nous éclater en jouant au Frisbee Baseball. Et il avait raison.

Le mouvement Open Source concerne les logiciels, mais il est loin de se limiter à ce domaine. Il s’agit de considérer les créations et les idées qui naissent du génie humain avec optimisme. Tout peut être amélioré, de fond en comble. Tout ce qu’il nous faut, c’est une dose de créativité et la volonté de consacrer notre esprit à une tâche donnée.

On se lance ? Au départ, les règles de tous les jeux sont imprimées sur la boîte, mais ces règles ne sont que des suggestions. On peut les améliorer, et il faudrait les améliorer à chaque fois que c’est possible.

Notes

[1] Crédit photo : Jeremy Mates (Creative Commons By)




Regarde le capitalisme tomber à l’ère de la production Open Source

« Le logiciel libre, l’innovation partagée et la production collaborative menacent le capitalisme tel que nous le connaissons. » C’est ainsi que Michel Bauwens résume son propos dans les colonnes du site d’Aljazeera.

Le menace vient du fait qu’à l’aide d’Internet nous créons beaucoup plus de valeur d’usage (qui répond à nos besoins) que de valeur d’échange (qui se monétise facilement[1]).

Menace pour les uns, opportunité et espoir pour les autres…

Nick Ares - CC by-sa

La question à 100 milliards de dollars de Facebook : Le capitalisme survivra-t-il à « l’abondance de valeur » ?

The $100bn Facebook question: Will capitalism survive ‘value abundance’?

Michel Bauwens – 29 février 2012 – Aljazeera

(Traduction Framalang/Twitter/Fhimt.com : Lambda, vg, goofy, fcharton, btreguier, HgO, Martin, bu, pvincent, bousty, pvincent, deor, cdddm, C4lin, Lamessen et 2 anonymous)

Le logiciel libre, l’innovation partagée et la production collaborative menacent le capitalisme tel que nous le connaissons.

Facebook exploite-t-il ses utilisateurs ? Et d’où vient la valeur estimée à 100 milliards de dollars de la société ?

Ce débat n’est pas nouveau. Il ressurgit régulièrement dans la blogosphère et dans les cercles universitaires, depuis que Tiziana Terranova a inventé le terme de « travail libre/gratuit » (NdT : Free Labour) pour qualifier une nouvelle forme d’exploitation capitaliste du travail non rémunéré – faisant d’abord référence aux téléspectateurs de médias audiovisuels traditionnels et maintenant à une nouvelle génération d’utilisateurs de médias sur des sites comme Facebook. Cet avis peut se résumer très succinctement par le slogan : « Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ».

Ce terme a été récemment relancé dans un article de Christopher Land et Steffen Böhm, de l’Université de l’Essex, intitulé « Ils nous exploitent ! Pourquoi nous travaillons tous pour Facebook gratuitement ». Dans ce court essai, ils affirment haut et fort que « nous pouvons placer les utilisateurs de Facebook dans la catégorie des travailleurs. Si le travail est considéré comme une activité productive, alors mettre à jour son statut, cliquer sur j’aime en faveur d’un site internet, ou devenir ami avec quelqu’un crée la marchandise de base de Facebook. »

Cette argumentation est toutefois trompeuse, car elle mélange deux types de créations de valeurs qui ont déjà été reconnues différentes par les économistes politiques au XVIIIe siècle. La différence se trouve entre la valeur d’usage et la valeur d’échange. Pendant des milliers d’années, dans le cadre de production non capitalistes, la majorité des travailleurs produisait directement de la « valeur d’usage » – soit pour subvenir à leurs propres besoins, soit sous forme de contributions pour la classe dirigeante du moment. C’est seulement avec l’arrivée du capitalisme que la majorité de la population active a commencé à produire de la « valeur d’échange » en vendant son travail aux entreprises. La différence entre ce que nous sommes payés et ce que les gens payent pour le produit que nous faisons est la « plus-value ».

Mais les utilisateurs de Facebook ne sont pas des travailleurs produisant des marchandises pour un salaire, et Facebook ne revend pas ces marchandises sur le marché pour créer de la plus-value.

Bien sûr, les utilisateurs de Facebook ne créent pas directement une valeur d’échange, mais plutôt une valeur de communication. Ce que fait Facebook, c’est permettre le partage et la collaboration autour de sa plateforme. En autorisant, encadrant et « contrôlant » cette activité, on crée des profils et des centres d’intérêt. Et ce sont ces profils et ces centres d’intérêt qui sont par la suite vendus aux publicitaires, pour un montant estimé de 3,2 milliards de dollars par an (NdT : environ 2,4 milliards d’euros), soit une recette publicitaire par utilisateur d’à peine 3,79 dollars (NdT : 2,85 euros).

En fait Facebook fait beaucoup plus que vendre de votre attention et disponibilité (NdT : temps de cerveau disponible ?). Leur connaissance de notre comportement social, individuel et collectif, a une importance stratégique indiscutable aussi bien pour les politiques que pour les sociétés commerciales. Mais cette plus-value vaut-elle réellement 100 milliards de dollars ? Cela reste un pari spéculatif. Pour le moment, il est probable que le quasi milliard d’utilisateurs de Facebook ne trouve pas les 3,79 dollars de recettes publicitaires très exploitables, d’autant plus qu’ils ne payent pas pour utiliser Facebook, et qu’ils utilisent le site volontairement. Ceci étant dit, il y a un prix à payer à ne pas utiliser Facebook : un certain isolement social par rapport à ceux qui l’utilisent.

Créer de la rareté

Il est néanmoins important de noter que Facebook n’est pas un phénomène isolé, mais fait partie d’une tendance bien plus large et lourde de nos sociétés connectées : l’augmentation exponentielle de la création de valeur utile par des publics productifs, ou « productilisateurs » (NdT « produsers »), comme Axel Bruns aime à les appeler. Il faut en effet bien comprendre que cela crée un problème de taille pour le système capitaliste, mais aussi pour les travailleurs tels qu’on les conçoit traditionnellement. Les marchés sont définis comme des moyens d’attribution de ressources rares, et le capitalisme n’est en fait pas simplement un système « d’attribution » de la rareté mais aussi un système de création de la rareté, qui ne peut accumuler du capital qu’en reproduisant et développant les conditions de cette rareté.

Sans tension entre l’offre et la demande, il ne peut y avoir de marché ni d’accumulation de capital. Or ce que font actuellement ces « productilisateurs », c’est créer des choses, avant tout immatérielles comme de la connaissance, des logiciels ou du design, aboutissant à une abondance d’information facile à reproduire et à exploiter

Cela ne peut se traduire directement en valeur marchande, car ce n’est pas du tout rare ; c’est au contraire surabondant. De plus, cette activité est exercée par des travailleurs du savoir (NdT knowledge workers) dont le nombre augmente régulièrement. Cette offre surabondante risque de précariser l’emploi des travailleurs du savoir. Il en découle un exode accru des capacités de production en dehors du système monétaire. Par le passé, à chaque fois qu’un tel exode s’est produit, les esclaves dans l’Empire Romain en déclin, ou les serfs à la fin du Moyen Age, cela a coïncidé avec l’avènement de conditions pour des changements économiques et sociétaux majeurs.

En effet, sans le support essentiel du capital, des biens et du travail, il est difficile d’imaginer la perpétuation du système capitaliste sous sa forme actuelle.

Le problème est là : la collaboration via Internet permet une création massive de la valeur d’usage qui contourne radicalement le fonctionnement normal de notre système économique. D’habitude, les gains de productivité sont en quelque sorte récompensés et permettent aux consommateurs d’en tirer un revenu et d’acheter d’autres produits.

Mais ce n’est plus le cas désormais. Les utilisateurs de Facebook et Google créent de la valeur commerciale pour ces plateformes, mais de façon très indirecte, et surtout ils ne sont pas du tout récompensés pour leur propre création de valeur. Leur création n’étant pas rémunérée sur le marché, ces créateurs de valeur n’en tirent aucun revenu. Les médias sociaux sont en train de révéler un important défaut dans notre système économique.

Nous devons relier cette économie sociale émergente, basée sur le partage de la création, avec les plus authentiques expressions de la production collaborative orientée vers le bien commun, comme en témoignent déjà l’économie de l’Open Source et de l’usage équitable des contenus libres (dont la contribution est estimée à un sixième du PIB américain). Il ne fait pas de doute sur le fait qu’un des facteurs clés du succès actuel de la Chine réside en une savante combinaison de l’Open Source, tel que l’exemple de l’économie locale à Shanzaï, avec une politique d’exclusion des brevets imposée aux investisseurs étrangers. Cela a offert à l’industrie chinoise une innovation ouverte et partagée en boostant son économie.

Même si l’économie de l’Open Source devient le mode privilégié de création des logiciels, et même si elle permet de créer des entreprises qui génèrent des chiffres d’affaires de plus d’un milliard d’euros, comme Red Hat, la conséquence globale est plutôt la déflation. Il a en effet été estimé que l’économie du libre réduisait annuellement de quelque 60 milliards de dollars le volume d’affaires dans le secteur des logiciels propriétaires.

Ainsi, l’économie de l’Open Source détruit plus de valeur dans le secteur propriétaire qu’elle n’en crée. Même si elle engendre une explosion de la valeur d’usage, sa valeur d’échange, monétaire et financière décroît.

La fabrication Open Source

Les mêmes effets surviennent quand le partage de l’innovation est utilisé dans la production physique, où il combine à la fois l’approche Open Source des moyens de distribution et l’affectation de capitaux (en utilisant des techniques comme la production communautaire, ou crowdfunding, et des plateformes dédiées comme Kickstarter).

Par exemple, la Wikispeed SGT01, une voiture qui a reçu cinq étoiles en matière de sécurité et peut atteindre 42,5 km/litre (ou 100 miles par gallon), a été developpée par une équipe de bénévoles en seulement trois mois. La voiture se vend au prix de 29.000 dollars, environ un quart du prix que pratiquerait l’indutrie automobile traditionnelle, et pour laquelle il aurait fallu cinq années de R&D ainsi que des millards de dollars.

Local Motors, une entreprise automobile ayant fait le choix du crowdsourcing et connaissant une croissance rapide, annonce qu’elle produit des automobiles 5 fois plus rapidement que Detroit, avec 100 fois moins de capitaux, et Wikispeed a réussi à mettre en place des temps de design et de production encore plus rapides. En ayant fait le pari de l’intelligence distribuée, la voiture Wikispeed a été pensée pour être modulaire, en utilisant des techniques de programmation logicielle efficaces et sophistiquées (telles que la méthode agile, Scrum et Extreme Programming), un design ouvert ainsi qu’une production effectuée par des PME locales.

Et Arduino, un simple petit circuit imprimé de prototypage electronique Open Source, fonctionnant sur le même principe que Wikispeed, provoque une baisse des prix dans son secteur et une extraordinaire effervescence dans les toujours plus nombreux fab labs (NdT : cf l’histoire d’Arduino). Si le projet de Marcin Jakubowsky Open Source Ecology rencontre le succès alors nous aurons à disposition de tous 40 différents types de machines agricoles bon marché rendant un village auto-suffisant. Dans tous les domaines où l’alternative de la production Open Source se developpe – et je prédis que cela affectera tous les domaines – il y aura un effet similaire sur les prix et les bénéfices des modèles économiques traditionnels.

« Consommation collaborative »

Une autre expression de l’économie du partage est la consommation collaborative, ce que Rachel Botsman et Lisa Gansky ont démontré dans leurs récents livres respectifs What’s Mine Is Yours: The Rise of Collaborative Consumption et The Mesh: Why The Future of Business is Sharing. Il se développe rapidement une économie du partage autour du secteur des services affectant même les places de marché et les modes de vie des gens.

Par exemple, il a été estimé qu’il y a environ 460 millions d’appartements dans le monde développé, et que chaque foyer possédait, en moyenne, une valeur de 3000 dollars disponibles en biens inutilisés. Il y aurait un intérêt économique manifeste à utiliser ces ressources qui dorment. Pour la plus grande part d’ailleurs, elles ne seront pas rentabilisées, mais échangées ou troquées gratuitement. Le modèle même du partage payant aura un effet de dépression sur la consommation de produits neufs.

De tels développements sont bénéfiques pour la planète et bons pour l’humanité, mais globalement sont-ils bons pour le capitalisme ?

Qu’arrivera-t-il à ce dernier à l’heure du développement croissant des échanges via les médias sociaux, de la production et de la consommation collaborative des logiciels et des biens ?

Qu’arrivera-t-il si notre temps est de plus en plus dédié à la production de valeur d’usage (une fraction de ce qui crée la valeur monétaire) sans bénéfices substantiels pour les producteurs de valeur d’usage ?

La crise financière commencée en 2008, loin de diminuer l’enthousiasme pour le partage et la production par les pairs, est en fait un facteur d’accélération de ces pratiques. Ce n’est plus seulement un problème pour des masses laborieuses de plus en plus précarisées, mais également pour le capitalisme lui-même, qui voit ainsi s’évaporer des opportunités d’accumulation et d’expansion.

Non seulement le monde doit faire face à une crise globale des ressources, mais il fait également face à une crise de croissance, car les créateurs de valeur ont de moins en moins de pouvoir d’achat. L’économie de la connaissance se révèle être un miroir aux alouettes, car ce qui n’est pas rare mais abondant ne peut pas soutenir la dynamique des marchés. Nous nous retrouvons donc face à un développement exponentiel de la création de valeur qui ne s’accompagne que d’un développement linéaire de la création monétaire. Si les travailleurs ont de moins en moins de revenus, qui pourra acheter les biens qui sont vendus par les sociétés ? C’est, pour simplifier, la crise de la valeur à laquelle l’Humanité doit faire face. C’est un challenge aussi important que le changement climatique ou l’accroissement des inégalités sociales.

La débâcle de 2008 était un avant-goût de cette crise. Depuis l’avènement du néolibéralisme, les salaires ont stagné, le pouvoir d’achat a été maintenu artificiellement par une diffusion irraisonnée du crédit dans la société. C’était la première phase de l’économie du savoir, au cours de laquelle seul le capital avait accès aux réseaux qu’il utilisait pour créer de gigantesques multinationales.

Avec la croissance continue de cette économie du savoir, une masse de plus en plus importante des valeurs échangées est constituée de biens intangibles et non plus physiques (NdT : cf capital immatériel). Le marché des changes néolibéral et ses excès spéculatifs peut être vu comme un moyen de tenter d’évaluer la part de valeur intangible, virtuelle, qui est ajoutée à la valeur réelle par la coopération. Il fallait que cette bulle explose.

Nous nous trouvons dans la seconde phase de l’économie du savoir, au cours de laquelle les réseaux sont en train d’être étendus à toute la société, et qui permet à tout un chacun de s’engager dans une production collaborative. Ce qui crée de nouveaux problèmes et engendre de nouveaux défis. Ajoutons à cela la stagnation des revenus, la diminution de la masse du travail salarié que cette production collaborative de valeur entraîne, et il évident que tout ceci ne peut être résolu dans le paradigme actuel. Y a-t-il dès lors une solution ?

Il y en a une mais elle sera pour le prochain cycle : elle implique, en effet, une adaptation de l’économie à la production collaborative, ouvrant par là-même les portes à un dépassement du capitalisme.

Michel Bauwens est théoricien, écrivain ainsi qu’un des fondateurs de la P2P (Peer-to-Peer) Foundation.

Notes

[1] Crédit photo : Nick Ares (Creative Commons By-Sa)




7 qualités de l’Open Source, entre mythes et réalités

UGArdener - CC by-nc« Nous avons tous intérêt à défendre l’Open Source contre les forces qui l’affaiblissent », nous affirme ici Matthew But­t­er­ick, juriste et passionné de typographie[1].

Constatant que de nombreux projets se disent open source alors qu’ils n’en possèdent pas les caractéristiques, il nous propose ici de le définir en sept points, distinguant la réalité de ce qu’il appelle sa dilution.

Vous ne serez pas forcément d’accord, surtout si vous êtes plus « logiciel libre » (version canal historique Richard Stallman) que « Open Source ». Mais on devrait pouvoir en discuter sereinement dans les commentaires 🙂


Sept qualités essentielles à l’Open Source

Seven essential qualities of open source

Matthew But­t­er­ick – Janvier 2012 – TypographyForLawyers.com
(Traduction Framalang : Goofy, OranginaRouge, antistress)


Les citations tronquées déforment les propos. Beaucoup connaissent la fameuse citation de Stew­art Brand selon laquelle « l’information veut être gratuite » (NdT : « infor­ma­tion wants to be free. »). Cette phrase, prise isolément, est souvent citée à l’appui de thèses selon lesquelles toute contrainte sur l’information numérique est futile ou immorale.

Mais peu ont entendu la deuxième partie du propos, rarement citée, qui prend le contrepied de la première partie : « l’information veut être hautement valorisée » (NdT : « infor­ma­tion wants to be expen­sive. »). Lorsque l’on reconstitue le propos dans son entier, il apparait que Brand veut illustrer la tension centrale de l’économie de l’information. Lorsque le propos est tronqué, sa signification en est changée.

Les citations tronquées ont aussi déformé le sens de « Open Source ». Au fur et à mesure que le monde de l’Open Source prenait de l’ampleur, il a attiré davantage de participants, depuis les programmeurs individuels jusqu’aux grandes entreprises. C’était prévisible. Tous ces participants ne sont pas d’accord sur le sens donné à l’Open Source. Ça aussi c’était prévisible. Certains participants influents ont tenté de diluer l’idée de l’Open Source, usant d’un raccourci réducteur pour décrire une démarche méthodique. Ça aussi, on pouvait s’y attendre.

Mais même si cela était à prévoir, il est toujours payant de combattre cette dilution. Sur le long terme, cela est néfaste à l’Open Source. Et pas seulement pour des raisons éthiques ou morales mais aussi pour des raisons pratiques et de viabilité. Si on laisse l’Open Source se diluer en acceptant de revoir à la baisse les attentes, ceux d’entre nous qui jouissent des avantages de l’Open Source seront perdants à terme. De la même façon, ceux qui contribuent à des projets pseudo-Open Source risquent de dépenser leur énergie au profit de causes douteuses. C’est pourquoi nous avons tous intérêt à défendre l’Open Source contre les forces qui l’affaiblissent.

Dans le même esprit, voici sept qualités que je considère comme essentielles pour définir l’identité de l’Open Source, par opposition aux formes diluées que revêt généralement ce mouvement. L’objectif de cet exercice n’est pas d’offrir une caractérisation univoque de l’Open Source. Ce serait à la fois présomptueux et impossible. L’Open Source est hétérogène par essence, comme tout ce qui apparaît sur la place publique.

Pourtant, le fait que nous puissions parler de l’Open Source en général signifie qu’il doit y avoir des caractéristiques irréductibles. Des gens raisonnables, par exemple, peuvent avoir des conceptions différentes de l’art. Mais qui irait contester la qualité de Mona Lisa ? De la même façon, s’il n’est pas raisonnable de parler de l’Open Source comme d’un bloc monolithique, il est tout aussi déraisonnable de prétendre que c’est un concept complètement subjectif. L’Open Source doit pouvoir être défini sinon le terme lui-même n’a pas de sens.

Pourquoi rédiger un essai sur l’Open Source sur un site Web traitant de typographie ? Premièrement parce que les outils open source prennent une part de plus en plus importante dans la conception des polices (citons par exemple Robo­Fab). Deuxièmement parce que des polices soi-disant open source sont en train d’être produites à une cadence accélérée. Troisièmement parce que l’approche utilisée pour l’Open Source est de plus en plus appliquée aux projets issus des domaines du design ou du droit. Quatrièmement parce que je m’intéresse personnellement de longue date à l’Open Source, ayant par exemple travaillé pour Red Hat (ajoutons que ce site tourne avec Word­Press, un moteur de blog open source).

Qualité essentielle n°1

  • Dilution : L’Open Source émane d’un esprit de liberté et de coopération.
  • Réalité : L’Open Source émane d’un esprit de compétition capitaliste.

L’Open Source, en tant que méthode de conception d’un logiciel, permet l’émergence de produits compétitifs sans les besoins en capitaux et main-d’œuvre inhérents aux méthodes traditionnelles de développement des logiciels propriétaires. La plupart des projets open source à succès sont conçus comme des substituts de logiciels propriétaires à succès. Il n’y a pas de coïncidence. La demande en logiciels propriétaires est aussi ce qui créée la demande pour des alternatives open source.

De plus, le succès d’un projet open source dépend de sa capacité à rivaliser avec l’alternative propriétaire. Le temps, c’est de l’argent. Les logiciels open source qui ne remplissent pas leur office ne font pas des bonnes affaires au final. Bien que certains choisiront le logiciel open source pour des raisons purement politiques, les clients rationnels se prononceront sur la base d’un bilan coûts/avantages.

Qualité essentielle n°2

  • Dilution : Les développeurs de logiciels open source travaillent gratuitement.
  • Réalité : Les développeurs de logiciels open source sont rémunérés.

Personne ne travaille sur des projets open source gratuitement. Peut-être un petit groupe de développeurs contribue t-il à des projets open source pour se distraire au lieu de collectionner des timbres par exemple. Il s’agit là d’une minorité. La plupart du travail open source est réalisé par des développeurs professionnels qui sont rémunérés à un tarif professionnel.

C’est forcément vrai, et ce pour deux raisons.

Premièrement, les développeurs ne sont pas altruistes. Comme n’importe qui d’autre sur le marché du travail, ce sont des acteurs rationnels, et bien payés avec ça. Il n’y a aucune raison pour que ces développeurs se consacrent au développement de logiciels open source moyennant un salaire de misère alors qu’il existe plein d’entreprises qui accepteraient de les payer pour le même travail.

Deuxièmement, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, le logiciel open source ne peut réussir que s’il a les moyens de rivaliser avec les alternatives propriétaires. Et il ne peut rivaliser avec les logiciels propriétaires que s’il parvient à attirer des développeurs de même niveau. Et la seule façon d’attirer ces développeurs est de les rémunérer au prix du marché. De la même façon qu’il n’y a pas de déjeuner gratuit, il n’y a pas d’avantage de logiciel gratuit.

Qualité essentielle n°3

  • Dilution : L’Open Source rend les choses gratuites.
  • Réalité : L’Open Source redéfinit ce qui a de la valeur.

Les développeurs de logiciels open source ne travaillent pas gratuitement, mais il existe un corollaire à cette affirmation : les projets open source bénéficient, pour une valeur équivalente, à ceux qui financent ce travail de développement — habituellement les employeurs des développeurs.

Si vous croyez que les entreprises de technologies sont des acteurs rationnels de l’économie, vous avez certainement raison. Une société investira son capital dans les activités les plus rentables qu’elle pourra trouver. Si une entreprise finance des projets open source, elle en espère un retour sur investissement supérieur aux autres options.

Alors que les défenseurs des logiciels libres ou open source tentent parfois d’en illustrer l’idée avec ces comparaisons : libre comme dans « entrée libre » ou comme dans « expression libre » (NdT : « free as in beer » et « free as in speech », deux images souvent utilisées en anglais pour distinguer les deux sens du mot « free », respectivement gratuit et libre), un ingénieur de Red Hat me l’a un jour plus exactement décrit de cette façon : « gratuit comme un chiot ». Certes vous ne payez pas les logiciels open source. Mais vous ne bénéficiez pas des avantages habituels des logiciels propriétaires : facilité d’installation, support d’utilisation, documentation, etc. Soit vous payez avec votre temps, soit vous payez quelqu’un pour ces services. Le résultat est que le coût des services liés au logiciel est déplacé à l’extérieur du logiciel lui-même au lieu d’être inclus dans son prix. Mais ce coût est seulement déplacé, et non supprimé.

Qualité essentielle n°4

  • Dilution : Il n’y a pas de barrière pour participer à l’Open Source.
  • Réalité : L’Open Source s’appuie sur la méritocratie.

L’Open Source ne pourrait pas fonctionner sans un filtrage méritocratique. Ce principe découle de l’idée que l’Open Source est une méthode pour créer des produits compétitifs. Pour obtenir des résultats de haute qualité, les projets open source doivent mettre l’accent sur les contributions de haute qualité, et rejeter le reste. Les projets open source sont ouverts à tous dans le sens où n’importe qui peut suggérer des changements dans le code source. Mais ces changements peuvent toujours être rejetés ou annulés.

L’idée de l’Open Source est mal employée quand elle est appliquée à des projets qui n’ont pas ce filtrage méritocratique et auxquels n’importe qui peut contribuer. Ces projets sont plutôt décrit comme du « partage de fichiers ». Ce qui distingue la méthode open source est son appui sur une communauté de développeurs pour trouver les meilleures idées. Cela signifie donc que la plupart des idées sont rejetées.

Qualité essentielle n°5

  • Dilution : L’Open Source est démocratique.
  • Réalité : L’Open Source s’appuie sur des dictateurs bienveillants.

Les projets open source sont menés par des développeurs qui sont parfois appelés des « dictateurs bienveillants ». Habituellement il s’agit de ceux qui ont démarré le projet et qui sont considérés comme détenant la vision de l’avenir du projet.

Ils ne sont pas élus mais, d’un autre côté, il ne sont autorisés à rester au pouvoir que tant que les autres participants y consentent. C’est le principe de l’Open Source : n’importe qui peut récupérer le code source et l’utiliser pour démarrer un nouveau projet (cette pratique a pour nom le « forking »).

Cela arrive rarement. En fin de compte, les participants à un projet open source ont davantage à gagner à conserver le projet intact sous la direction d’un dictateur bienveillant plutôt que le fragmenter en de multiples projets. (notons ici encore l’influence des incitations rationnelles). De même, le dictateur a intérêt à rester bienveillant puisque le projet pourrait à tout moment se dérober sous ses pieds.

Qualité essentielle n°6

  • Dilution : Un projet open source peut n’avoir qu’un développeur.
  • Réalité : Un projet open source nécessite plusieurs développeurs.

Cette exigence découle de l’idée que l’Open Source est une méritocratie. Il ne peut y avoir de filtrage méritocratique si toutes les contributions viennent d’une seule personne. Parfois certains publieront leur projet personnel et annonceront « Hé, c’est maintenant open source ».

Cela ne le rend pas pour autant open source, pas plus qu’acheter un pack de bières et des chips suffisent à faire une soirée. Vous aurez toujours besoin d’invités. De même pour créer une pression méritocratique, les projets open source ont besoin de plusieurs développeurs (pour créer une émulsion d’idées) et d’un dictateur éclairé (pour choisir parmi ces idées). Sans cette pression, on a affaire à du partage de fichiers, pas de l’Open Source.

Qualité essentielle n°7

  • Dilution : Un projet logiciel peut devenir open source à tout moment.
  • Réalité : L’Open Source est inscrit dans l’ADN du projet ou ne l’est pas.

Comme l’Open Source rencontre un succès grandissant, de plus en plus de projets de logiciels propriétaires ont été « convertis » en logiciels open source. Cela revient à greffer des ailes à un éléphant dans l’espoir qu’il volera.

L’Open Source est une manière de produire des logiciels (entre autres). Cela inclut certaines valeurs et en exclut d’autres. Cela n’est ni intrinsèquement meilleur que le développement de logiciels propriétaires ni applicable à tous les projets. Mais la décision de développer un projet open source n’a du sens qu’au démarrage du projet. De cette manière, le dirigeant, la communauté des développeurs et le code pourront évoluer autour des ces principes.

Un projet propriétaire démarre avec des principes radicalement différents et évolue autour de ces principes. Et il ne pourra pas devenir plus tard un projet open source, pas plus qu’un éléphant ne peut devenir un aigle. Néanmoins, ceux qui convertissent des projets propriétaires en projets open source suggèrent le plus souvent que cela offre le meilleur des deux mondes : une manière de partager les bénéfices d’un développement propriétaire avec une communauté open source.

Mais cela offre presque toujours le pire des deux mondes : l’ouverture des sources n’est qu’une manière cynique d’exporter les problèmes d’un projet propriétaire. Malheureusement c’est ce qui se produit la plupart du temps car des projets propriétaires qui fonctionnent n’ont rien à gagner à devenir open source. Les développeurs n’adoptent pas votre technologie propriétaire ? Ramenez son prix à zéro et renommez le « Open Source ». Votre logiciel propriétaire est rempli de mystérieux bogues insolubles ? Rendez le « Open Source » et peut-être que quelqu’un d’autre résoudra ces problèmes. Votre technologie est sur le point de devenir obsolète car vous avez été trop lent à la mettre à jour ? Peut-être que la rendre open source allongera sa durée de vie. Les entreprises refourguent leurs logiciels à la communauté open source quand elles n’ont plus rien à perdre.

Cependant cette technique n’a jamais payé. Les projets open source qui fonctionnent ont appliqué cette méthodologie très tôt et s’y sont tenu. Le simple engagement en faveur de l’open source n’est pas un gage de succès bien qu’il soit nécessaire.


La plupart de mes explications ci-dessus ont été formulées en termes de développement logiciel. Mais ce message a une portée qui va au delà du simple logiciel. Je pense que « l’Open Source » vient du monde du logiciel, et restera certainement plutôt adapté à ce type de projet, mais il n’y a aucune raison à ce qu’il ne convienne pas à d’autres types de projets. C’est déjà ce qui se passe.

La principale difficulté est d’appliquer de façon méticuleuse et réfléchie le modèle open source. Au fur et à mesure que l’Open Source s’étend et s’éloigne de ses racines traditionnelles, il va devoir faire face à un risque grandissant de dilution. Encore une fois, je ne prêche pas une définition canonique de l’Open Source. Peut-être que le meilleur que nous pouvons espérer est que ceux qui souhaitent qualifier leur projet d’open source apprendront d’eux-mêmes les caractéristiques qui font le succès de ce type de projet. Si vous n’aimez pas mon résumé de ces qualités essentielles, alors apprenez-en suffisamment à propos de l’Open Source pour venir avec le vôtre. Et ne vous sentez pas obligé, ne prenez pas cela comme un devoir à la maison — faites cela dans votre propre intérêt.

Ça ne peut pas faire de mal de se pencher sur les autres projets open source pour comprendre comment ils ont réussi. Une fois cet examen réalisé, si vous voulez modifier les grands principes pour votre propre projet, allez-y ! Je ne m’en plaindrai pas.

Et accordez-moi une faveur : n’appelez pas cela Open Source.

Notes

[1] Crédit photo : UGArdener (Creative Commons By-Sa)




Le XXIe siècle sera libre ou ne sera pas

OpenSourceWay - CC by-saLa courte traduction ci-dessous se résume en une idée simple (simpliste ?) : le XXe siècle était industriel et fermé, le XXIe siècle sera informationnel et ouvert en suivant « The Open Way ».

Et effectivement le « open » surgit de partout aujourd’hui, le Framablog n’est pas le dernier à en témoigner[1].

Sauf si ceux du passé, visiblement dépassés, nous enferment dans un monde orwellien. C’est cette période de transition sous haute tension que nous traversons actuellement. Et comme le sens de l’Histoire n’est jamais écrit d’avance, on a besoin de vous.

Il n’y a pas de raison de ne pas y arriver puisque nous sommes les 99% 🙂

Quel est le rôle du mouvement du Logiciel Libre dans la société actuelle ?

What is the Role of the ‘Open Source’ Movement in Society Today?

Peter Groen – 5 janvier – GovLoop.com
(Traduction Framalang/Twitter : Amo, HgO, VVillenave, brieuc, Gatitac, Bl0fish)

Nous sommes en pleine transition entre l’ère industrielle du siècle passé et l’ère de l’information du XXIe siècle. Beaucoup ont conscience de cela mais ne saisissent pas vraiment ce que cela signifie. Nous sommes en train de passer d’un système de protection « fermé », qui fonctionnait bien dans l’ère industrielle, vers un nouveau système, une approche « ouverte » plus efficace qui est la marque de l’ère de l’information. Nous sommes en train de passer à une nouvelle manière de faire les choses : la « Voie Libre » (NdT : The Open Way).

Pensez-y. L’Ère industrielle était principalement caractérisée par des organisations qui concentraient principalement leurs efforts sur le développement de solutions propriétaires et protégeaient leurs produits avec le copyright. Partager des idées, des données, de l’information, de la connaissance ou des ressources ne rentrait pas dans les pratiques courantes. L’Ère industrielle était caractérisée par des organisations structurelles hiérarchiques, des styles de gouvernance à fort contrôle, des processus de production linéaires, le développement de systèmes d’information en interne, et beaucoup d’autres pratiques fermées de management.

Les caractéristiques de la nouvelle Ère de l’information sont fort différentes. Regardez autour de vous ; vous verrez de plus en plus de structures se tourner vers la « Voie Libre ». Où que vous regardiez, vous verrez des gens qui promeuvent et développent des standards ouverts, des communautés ouvertes, du Logiciel Libre, un accès ouvert aux données, à l’information, à la connaissance. Vous verrez de la collaboration, du partage, des solutions ouvertes, et des styles de management plus participatifs et moins “interventionnistes”.

Nous sommes encore en pleine transition, et de nombreuses structures sont toujours gouvernées par les anciennes règles adaptées à l’Ère industrielle sur le déclin. Beaucoup de propriétaires, gestionnaires et ouvriers n’ont pas saisi ou compris les changements qui ont lieu autour d’eux. Le mouvement Tea Party est mécontent et lutte pour garder de vieilles façons de faire. Le mouvement Occupy Wall Street est mécontent parce que les anciens systèmes et les façons de faire ne fonctionnent plus dans cette nouvelle ère de l’information.

Résultat des courses : la guerre est terminée, mais beaucoup de structures et de gens ne s’en rendent pas compte. Nous laissons derrière nous l’Ère Industrielle pour entrer dans celle de l’Information. Malheureusement, nous traverserons une période quelque peu chaotique dans la prochaine décennie, le temps que les changements s’implantent. Il est temps d’accepter l’avènement de cette « Ère de l’Information » et cette « Voie Libre » qui conduira le XXIe siècle.

Je continuerai à chroniquer régulièrement cette révolution Libre qui est en cours. Mais laissez-moi terminer sur la note suivante. Pendant des siècles, notre société a été dominée par trois types principaux d’institutions – les gouvernements, les entreprises, et les organisations non-gouvernementales. Les nouvelles technologies, l’accélération de l’innovation, et la prolifération d’énormes défis mondiaux, associés aux nouvelles technologies de l’information, aux réseaux sociaux et à la « Voie Libre » utilisés par les 99%, sont en train de conduire à un changement majeur dans la manière dont nos sociétés sont organisées et fonctionnent. Les 99% sont en train d’apprendre comment utiliser les nouvelles technologies et de trouver des approches nouvelles pour créer et développer la quatrième institution qui manquait et qui est en train de s’installer : le peuple.

OpenSourceWay - CC by-sa

Notes

[1] Crédit photos : OpenSourceWay (Creative COmmons By-Sa)




L’hindouisme : la plus libre des religions ?

Jean-Pierre Dalbéra - CC byL’hindouisme serait-elle la plus libre des religions au sens du… logiciel libre ?

Telle est l’hypothèse originale de Josh Schrei qui y voit des caractéristiques d’ouverture et un processus de développement que ne posséderaient pas les religions monothéistes[1].

Remarque : Cette traduction a été proposée sur Twitter/Identica et gentiment relayée par certains grands comptes a été bouclée collectivement dans la joie et la bonne humeur. Si vous souhaitez participer et être au courant des prochaines translations parties follow me 🙂

Le Projet Divin : l’Hindouisme comme croyance open source

The God Project: Hinduism as Open-Source Faith

Josh Schrei – 4 mars 2010 – Huffington Post
(Traduction Framalang/Twitter : Aa, Jeff, Petit, Greg, Goofy, Lapetite, Petit, Zdeubeu, 0gust1, Gatitac, Spartition, Albahtaar, Luc)

Tenter d’expliquer les croyances qui sont au cœur de l’hindouisme à un observateur intéressé représente, pour le moins, un vrai défi. On dit souvent que le terme hindouisme lui-même est totalement impropre, car il ne fait qu’agglomérer fondamentalement les pensées et pratiques religieuses qui ont pris place sur le sous-continent indien au cours des 5 000 dernières années. Et l’on peut dire que ces 5 000 années ont été plutôt actives.

La masse de littérature spirituelle, de doctrine, la quantité de dieux distincts qui sont adorés (plus de 30 millions, suivant certaines sources), l’éventail de philosophies et de pratiques distinctes ayant émergé, et la transformation totale au cours du temps de nombre d’enseignements et apprentissages hindous fondamentaux peuvent être déconcertants pour ceux qui ont été élevés au sein d’une culture monothéiste, dans la mesure où nous sommes habitués à ce que chaque foi comporte un jeu de croyances bien définies qui, à l’exception de certains schismes confessionnels au cours des siècles, restent assez cohérentes avec le temps. Cependant, la différence fondamentale entre l’hindouisme et les autres fois n’est pas le polythéisme/monothéisme. La différence clé est que l’hindouisme est open source alors que la plupart des autres fois ont des sources fermées (NdT : Closed Source).

« L’open source est une approche de la conception, du développement et de la distribution de logiciels offrant un accès au code source. »

Si nous considérons Dieu, le concept de dieu, les pratiques qui amènent quelqu’un à Dieu, et les idées, pensées et philosophies autour de la nature de l’humain comme étant le code source, alors l’Inde fut l’endroit où les portes ont été grandes ouvertes et où on a donné aux développeurs la liberté de s’en occuper, de les inventer, réinventer, redéfinir, imaginer et réimaginer au point que chaque variété de l’expérience spirituelle et cognitive a été précisément explorée, célébrée et documentée.

Les athées et ceux qui vénèrent des déesses, les hérétiques qui ont cherché Dieu dans l’alcool, le sexe et la consommation de viande, les ermites couverts de cendre, les dualistes et les non-dualistes, les nihilistes et les hédonistes, les poètes et les chanteurs, les étudiants et les saints, les enfants et les parias… tous ont apporté leurs lignes de code à l’ensemble de la spiritualité hindoue.

Les résultats du Projet Divin indien, c’est ainsi que j’aime qualifier l’hindouisme, ont été absolument stupéfiants. Le corpus de connaissances (scientifiques, spirituelles et empiriques) qui a été accumulé sur la nature de l’esprit, la conscience et le comportement humain, ainsi que le nombre d’applications pratiques, spécifiquement identifiées pour travailler sur l’esprit, est sans égal. La langue sanskrite, elle même, comporte un nombre important de mots, bien plus que n’importe quelle langue ancienne ou moderne, qui se rapportent spécifiquement aux états mentaux de la cognition, de la perception, de la conscience et de la psychologie du comportement.

Les Vedas sont au cœur du code source hindou, qui établit immédiatement la primauté du questionnement dans la pensée hindoue. Dans le Rig-Véda, le plus ancien de tous les textes hindous (peut-être le plus ancien de tous les textes religieux sur la planète), Dieu, ou Prajapati, se résume en une grande et mystérieuse question, nous les hommes étants invités à y répondre ;

« Qui sait vraiment ?
Qui ici le proclamera ?
D’où cela a été produit ?
D’où vient cette création ?
Les dieux sont venus après, avec la création de cet univers.
Alors qui sait d’où cela a surgi ? »

Pendant que le dieu de l’Ancien Testament dictait ses commande(ment)s, Prajapati demandait : « Qui suis-je ? »

Depuis l’ouverture des vannes sur la question divine, la pensée hindoue a suivi une glorieuse évolution depuis le chamanisme, le culte de la nature et le sacrifice jusqu’à des théories sublimes et complexes sur la cognition mentale, la nature de la conscience et la physique quantique.

En retraçant les relations du sous-continent avec les divinités des Vedas, on peut suivre le cours de la pensée hindoue à travers les siècles. Une des premières choses que l’on remarque est que non seulement la relation des gens à dieu change au cours des siècles, mais que les dieux eux-mêmes changent. Par exemple, Shiva apparaît dans les Vedas en tant que Rudra, le hurleur, dieu des tempêtes, bref une sorte de divinité mineure. Réapparaissant au fil des siècles comme Bhairava, celui qui inspire la crainte, Pashupati, seigneur des bêtes, le dieu des yogis, et le destructeur, Shiva obtient enfin, vers le IXème siècle au Cachemire, le statut de bloc de construction énergétique fondamental de l’univers entier. Astuce élégante.

Mais, au fur et à mesure que les dieux changent et que l’évolution de la pensée hindoue nous amène à une vision moderne puis post-moderne de la nature de la réalité, les vieux codes Védique restent toujours centraux et fondamentaux. Une caractéristique déterminante de l’hindouisme est que la vision ancienne de Dieu, la dévotion à la nature et le chamanisme ont perduré ; ainsi la divinité telle que vénérée actuellement existe simultanément, comme symbole ou archétype, et comme incarnation. Le fait que Shiva, par exemple, puisse simultanément être la lumière de la conscience ultime et un illuminé couvert de cendre qui fréquente les sites de crémation est un délice pour nous, anarchistes spirituels, tandis que cela ennuie profondément la plupart des théologiens occidentaux.

Les confessions monothéistes de l’Occident et du Moyen-Orient n’ont tout simplement pas permis une interprétation aussi libre de leur Dieu. Elles continuent d’exister en tant que systèmes à source fermée.

« Généralement, source fermée signifie que seuls les exécutables d’un programme d’ordinateur sont distribués et que la licence n’autorise aucun accès au code source du programme. Le code source de tels programmes peut être considéré comme un secret industriel appartenant à l’entreprise. »

Un des facteurs déterminants de l’histoire chrétienne est que l’accès à Dieu a été vu, tout comme dans la plupart des systèmes à sources fermées, comme un secret industriel. La capacité de réinterprêter la Bible, ou les enseignements du Christ, ou l’Ancien Testament, ou de contester l’autorité basique et fondamentale de l’Église a été inexistante pour la majorité de l’histoire de l’Église. Ceux qui ont osé le faire ont très souvent été tués.

Dans la pensée hindoue, il n’y a aucun secret industriel. La base du yoga est que la clé vers Dieu, ou le macrocosme, ou l’Absolu… réside dans l’individu et peut être atteinte à travers un certain nombre de pratiques. C’est un concept magnifiquement simple mais finalement profond qui a été autorisé à se développer sans contrôle depuis des millénaires. Le processus de découverte et de réinvention du divin est entre vos mains. Le Projet Divin.

Notes

[1] Crédit photo : Jean-Pierre Dalbéra (Creative Commons By)




Le logiciel libre perd de son influence, la faute à la FSF de Stallman ?

Steve Winton - CC byVoici un billet un brin polémique qui affirme que le logiciel libre (et non l’open source) perd actuellement de son influence et que la Free Software Foundation de Richard Stallman en porte une lourde responsabilité.

Il est signé du chroniqueur Bruce Byfield que nous avons souvent traduit par le passé et qu’on ne peut soupçonner de troller pour troller. Il s’agit au contraire d’un réel et sincère amour déçu[1].

D’accord, pas d’accord ? Trop américano-centré ? En France, en Europe, il en va différemment ? Le logiciel libre se résume-t-il à la FSF ? etc. Il va sans dire que nous vous attendons dans les commentaires sinon c’est pas drôle 🙂

7 raisons qui expliquent pourquoi le logiciel libre perd de son influence

7 Reasons Why Free Software Is Losing Influence

Bruce Byfield – 22 Novembre 2011 – Datamation
(Traduction Framalang : Goofy)

Pourquoi les idéaux du logiciel libre sont-ils moins populaires qu’il y a cinq ans ? La réponse n’est pas évidente et un peu polémique.

Il y a cinq ans, quand la majeure partie du code Java a été publiée sous licence GPL (General Public License), Sun Microsystems a pris soin d’associer la FSF (Free Software Foundation) à l’annonce, d’obtenir une déclaration d’approbation de Richard Stallman, le président de la FSF, et d’Eben Moglen son conseiller juridique.

Aujourd’hui, on voit mal quelle entreprise serait susceptible de faire le même effort. Lentement mais sûrement, le logiciel libre a perdu l’influence qu’il exerçait au sein de la communauté qu’il a créée.

Pratiquement il est difficile d’employer l’expression FOSS (Free and Open Source Software) en espérant être compris. Dans la plupart des cas, l’expression « logiciel libre », que l’on n’entend pratiquement plus, a été remplacée par « open source ».

Que s’est-il donc passé ?

Je ne dispose pas de chiffres précis à l’appui mais je suggère ici au moins sept raisons possibles. Certaines externes à la FSF, d’autres résultant directement de ses prises de décision. Choix qui ont pu paraître sensés à une époque mais ont eu parfois des effets pervers à long terme, quand ils n’ont pas été effectués trop hâtivement…

1. Trop de bonnes causes, pas assez de ressources

La FSF fonctionne avec une équipe dirigeante de moins d’une douzaine de personnes, et avec des bénévoles. Ses revenus pour 2010 étaient de 1,23 million de dollars. Avec de telles ressources, elle soutient le projet GNU, aide des entreprises et des projets à se conformer aux licences libres, et lance une dizaine de campagnes, depuis la lutte contre les DRM et les initiatives anti-Windows jusqu’aux efforts pour convaincre le plus grand nombre d’utiliser des formats audio libres.

Tous ces efforts sont dignes d’intérêt en eux-mêmes, mais pour rarement mentionnés et relayés, ils ne trouvent que peu d’écho. Mais ce sont là des problèmes bien plus nombreux que ceux qu’a traités la FSF dans le passé, et elle le fait avec à peine quelques centaines de milliers de dollars de plus qu’en 2006, quand ses ressources lui permettent difficilement de mener à bien une seule de ces actions. Par conséquent la FSF finit par se révéler inefficace, et rares sont les campagnes qui captivent l’attention générale au sein de la communauté, plus rares encores celles qui atteignent leur objectif.

2. On ne trouve pas de nouveaux adeptes et on néglige les anciens

Ces cinq dernières années, la FSF s’est efforcée d’investir son activité sur les réseaux sociaux, pour atteindre un plus large public. Le mérite de ces efforts revient essentiellement aux actions du précédent directeur général Peter Brown, parce qu’il a une trajectoire personnelle d’activiste. C’est un pas en avant dont j’ai dit tout le bien que je pensais à l’époque, et je considère encore que c’est une bonne stratégie.

Malheureusement, cette tentative a largement échoué, certainement là encore victime de ressources trop limitées. Par ailleurs il s’agissait dans le mouvement d’établir une distinction entre la FSF et le plus technique projet GNU. J’ai entendu beaucoup de développeurs exprimer leur réticence quant aux positions activistes de la FSF en souhaitant qu’elle recentre ses activités sur le logiciel. Au final la FSF a aggravé son cas : échouant à gagner de nouveaux publics à sa cause, éloignant d’elle ses adeptes déjà existants.

3. Ubuntu a remplacé Debian

Nombreux sont ceux qui ne s’en souviennent plus aujourd’hui, mais il y a cinq ans, la communauté Debian était une référence pour le logiciel libre. Elle n’était pas toujours d’accord avec la FSF, en fait, Debian était réputé pour suivre son propre chemin, imposer sa propre définition du logiciel libre, et se faire un avis autonome sur des questions comme celle de savoir si la licence GNU Free Documentation est vraiment une licence libre (oui, c’est Debian qui décidait après un long débat, dans certaines occasions). Et encore récemment quand la FSF a créé la version 3 de la GPL, elle a pris soin de consulter les représentants de Debian.

Toute aigreur mise à part, en tant que distribution basée sur la communauté la plus répandue, Debian a donné une crédibilité supplémentaire à la reconnaissance du logiciel libre. Tout du moins Debian a-t-elle aidé à donner l’impression d’une communauté suffisamment grande pour avoir des différences. Aujourd’hui, cependant, alors que Debian est une distribution plus influente que jamais, une bonne part de la notoriété dont elle jouissait a été captée par sa dérivée Ubuntu. Et ce n’est pas la faute d’Ubuntu qui, soutenue par une entreprise commerciale qui doit rechercher le profit, n’hésite pas à renoncer à certains principes du logiciel libre par commodité

Avec cet allié et partenaire de la FSF qui devient moins influent, c’est toute la cause du logiciel libre qui s’est affaiblie. À défaut de mieux, la controverse et les débats avec Debian ont aidé à garder présents à l’esprit de la communauté les problèmes de principes.

4. Le défi des nouvelles technologies n’est pas relevé

De nouvelles technologies aient été introduites ces cinq dernières années. Or la stratégie majeure de la FSF a été de les dénoncer, puis de les ignorer. Ces derniers temps, Stallman a ainsi vilipendé l’informatique dans les nuages, les e-books, les téléphones mobiles en général et Android en particulier.

Dans chaque cas, Stallman a souligné à juste titre les problèmes concernant la vie privée et les droits du consommateurs, ce que les autres ont souvent oublié de mentionner. Le problème c’est qu’en continuant d’ignorer ces nouvelles technologies on ne résout rien, et que le mouvement du logiciel libre devient moins pertinent dans la vie des gens. Beaucoup sont attirés par ces nouvelles technologies, et d’autres sont contraints de les utiliser pour échanger, travailler et communiquer avec la majorité.

La licence libre Affero GNU GPL de la FSF devait etre tout indiquée pour l’informatique dans le nuage. Pourtant, selon les statistiques de Black Duck, elle n’est dans le fait que trop rarement utilisée, seulement 401 logiciel sont sous cette licence alors qu’il existe des centaines de milliers de logiciels sous licence libre. En persistant à mettre l’accent sur l’ordinateur de bureau traditionnel, le logiciel libre se tient à distance des technologies actuelles pour lesquelles justement il serait le plus nécessaire.

6. La scission de la licence GPL

En juin 2007, la FSF a publié la version 3 de la GPL. Cette mise à jour s’efforçait de prendre en compte les nouvelles technologies et les moyens de contourner les clauses de la version 2. Cette nouvelle version a été le résultat d’une concertation sans précédent entre la communauté et les entreprises parties prenantes.

Toutefois, cette consultation demandait d’atteindre un consensus. Lorsque Linus Torvalds a décidé que le noyau Linux resterait sous la GPLv2, la FSF est allée de l’avant vers la GPLv3 sans en tenir compte.

Sur le moment, la décision a paru sensée pour éviter une impasse. Mais on se retrouve actuellement avec une GPLv2 utilisée par 42,5% des logiciels libres contre moins de 6,5% pour la GPLv3 selon Black Duck.

Avant cette révision majeure, la licence GPL contribuait à unifier la communauté, et la FSF, en tant que créateur, promoteur et défenseur de la GPL, avait une forte présence en son sein. Or aujourd’hui, la GPLv2 est considérée comme la version que privilégient les supporters de l’open source, et la GPLv3 celle des défenseurs du logiciel libre. Et non seulement l’ensemble de la philosophie du logiciel libre en apparaît affaiblie, mais encore le fossé s’élargit entre logiciel libre et open source.

Plus encore, comme si la situation n’était pas déjà assez mauvaise, il semble qu’il y ait une tendance à adopter des licences permissives qui n’exigent pas le partage du code, comme le font toutes le versions de la GPL.

6. On n’assiste pas aux conférences

Richard Stallman et beaucoup d’autres membres de la FSF refusent de participer à des conférences qui n’utilisent pas l’expression exacte « GNU/Linux » en lieu et place du simple « Linux » dans leur intitulé et leur promotion. En fait Stallman est connu pour refuser de s’exprimer devant un groupe de journalistes qui n’utiliseraient pas la bonne nomenclature, c’est-à-dire la sienne (NdT : cf la librologie Les mots interdits de Richard Stallman).

La principale exception à ma connaissance est Eben Moglen, dont le travail à la Software Freedom Law Center implique beaucoup de gens qui se revendiquent comme des supporters de l’open source.

Je comprends que ce refus soit une question de principe. Cependant, en dépit de tous les moyens de communication qu’offre Internet, le contact et la communication directs demeurent importants pour la communauté. En maintenant coûte que coûte leurs idéaux, les défenseurs du logiciel libre se sont rendus invisibles, se coupant des réseaux sociaux et autres associations informelles qui émergent lorsque les gens se parlent dans la vraie vie.

7. Richard Stallman fait des gaffes

En tant que fondateur et principal porte-parole de la FSF, Richard Stallman a joué un rôle décisif dans l’histoire du logiciel libre. Personne ne peut le contester et personne ne reviendra là-dessus

Mais l’entêtement de Stallman, qui a aidé la diffusion et l’essor des principes du logiciel libre, semble maintenant à beaucoup un handicap. Stallman affiche de façon continuelle son obsession des définitions qui détournent des principaux points pour lesquels la liberté logicielle est nécessaire. De plus, ces temps-ci, il semble ne vouloir jamais rater la moindre occasion de critiquer, pas toujours avec pertinence, la philosophie de l’open source,

Pire encore, Stallman a tout un passé de gaffeur, sans jamais admettre avoir eu tort. En juillet 2009, il a suscité la controverse en refusant de retirer une remarque sexiste qu’il avait faite au Desktop Summit à la Grande Canarie. Plus récemment, Stallman notait à propos de Steve Jobs « je ne suis pas content qu’il soit mort, mais je suis content qu’il soit parti », puis il a précisé son propos quelques semaines plus tard. Le problème ce n’est pas qu’il ait eu tort d’accuser Jobs de rendre populaires des technologies fermées, c’est que beaucoup de gens ont trouvé que ses déclarations étaient indélicates et inopportunes en parlant d’un homme qui venait de mourir, et qu’un responsable d’organisation aurait dû montrer plus de bon sens et ne pas faire de suite de telles remarques.

Stallman est loin de représenter à lui seul l’ensemble du logiciel libre, mais force est de constater que beaucoup de gens ont une mauvaise opinion de ce mouvement à cause de lui.

Renverser la vapeur

Aucune des raisons mentionnées ci-dessus ici n’est fatale en elle-même. Cependant, additionnées, elles forment une longue trame sur laquelle on peut expliquer pourquoi les idéaux de la FSF et des logiciels libres exercent moins d’influence qu’auparavant.

En tant que supporter du logiciel libre, je ne peux qu’espérer que ce manque d’influence pourra être renversé. Cinq ans c’est court, et je ne vois aucune raison qui pourrait empêcher le logiciel libre de récupérer le temps et le terrain perdus.

Le seul problème est de savoir si les membres influents du logiciel libre vont admettre les problèmes et les corriger… Je l’espère, mais je ne suis pas très optimiste quant à la réponse.

Notes

[1] Crédit photo : Steve Winton (Creative Commons By)




Lao Tseu l’a dit : il faut trouver la libre voie

Après avoir été longtemps réticent (crainte du burnout oblige), j’ai enfin activé mon compte Twitter/Identica personnel, il y a un mois de cela.

Je dois reconnaître que c’est un univers intéressant, même si l’on se prend un peu trop vite au jeu (au jeu de go, au jeu de l’ego) et que c’est nécessairement du temps pris sur autre chose, autre chose de plus collectif par exemple.

Toujours est-il que j’ai fait un test de tradaction éclair hier soir en plein milieu de la nuit et que j’ai été passablement étonné que tout soit bouclé quelques 20 minutes plus tard !

Comme quoi on peut facilement retrouver du collectif en faisant un petit détour individuel… (et merci à mes oiseaux de nuit !)

Vous me direz que l’article à traduire n’était pas bien long et vous aurez raison. Quant à savoir s’il était intéressant, je vous laisse seul(e) juge 🙂

Il s’agit en l’occurrence d’une sorte de profession de foi du site OpenSource.com[1].

Christina Hardison - CC by-sa

La voie de l’open source

The open source way

(Traduction Framalang : Valentin, Frédéric, Kamui57 et Fs)

Nous avons ouvert le site opensource.com parce que nous croyons que la voie de l’open source peut changer notre monde de même qu’elle a changé la production de logiciels. La voie de l’open source est définie par plusieurs principes, sur lesquels se fonde opensource.com :

1. Nous croyons en un échange libre.

Nous apprenons beaucoup plus les uns des autres lorsque l’information est ouverte. Il est crucial d’échanger librement ses idées pour créer un environnement dans lequel les gens peuvent apprendre et s’emparer d’informations existantes pour créer de nouvelles idées.

2. Nous croyons en la puissance de la participation.

C’est lorsque nous sommes libre de collaborer que nous créons. Nous pouvons résoudre des problèmes que personne ne serait capable de résoudre par lui-même.

3. Nous croyons en la mise en pratique rapide.

Mettre rapidement un prototype en pratique peut conduire à des échecs tout aussi rapides, mais c’est ainsi que l’on trouve de meilleures solutions plus rapidement. Lorsque l’on est libre d’expérimenter, on peut regarder les problèmes sous d’autres angles et chercher des réponses dans d’autres domaines. On peut apprendre en pratiquant.

4. Nous croyons en la méritocratie.

Dans une méritocratie, les meilleures idées l’emportent. Dans une méritocratie, tout le monde a accès à la même information. Seul un travail de qualité permettra à certains projets de décoller et de rassembler les efforts de la communauté.

5. Nous croyons en la communauté.

Les communautés se forment autour d’un objectif commun. Elles assemblent des idées diverses et mettent le travail en commun. Unie, une communauté globale peut produire davantage qu’un individu unique quel qu’il soit. Elle démultiplie l’effort et met en commun le travail. Ensemble, nous pouvons accomplir davantage.

Notes

[1] Crédit photo : Christina Hardison (Creative Commons By-Sa)