Activisme et Hacktivisme sur Internet

José Goulã - CC by-saUn billet très court qui s’interroge furtivement sur l’efficacité réelle ou supposée de l’activisme sur Internet.

Lorsque d’un simple clic, vous décidez d’adhérer au groupe de l’apéro Facebook de votre ville, non seulement cela ne vous engage pas à grand-chose mais en plus l’action proposée est plutôt vide de sens. D’autant que rien ne nous dit que vous vous rendrez bien le jour J sur le lieu du rendez-vous.

Est-ce de l‘activisme ?

Non.

En revanche lorsque vous mettez les pieds dans un projet de logiciels libres, vous voici embarqué dans une aventure riche et complexe tendant vers un objectif commun : l’amélioration collective du code[1]. Il y a un cadre, une finalité, des outils techniques et des modes opératoires bien précis pour y arriver.

Et si les mouvements de résistance aux brevets logiciels, à l‘ACTA , à DADVSI, à Hadopi… ont pu rencontrer quelques succès, c’est aussi voire surtout parce qu’ils se sont fortement inspirés des modèles d’organisation et de développement du logiciel libre.

Est-ce que cette fois-ci c’est de l’activisme ?

Oui, mais c’est surtout de l’hacktivisme.

Tout ça pour dire qu’à l’ère du réseau, mettre un peu d’hacktivisme dans son activisme participe à augmenter vos chances de réussite 😉

À quoi bon être hacktiviste ?

What’s the Point of Hacktivism?

Glyn Moody – 5 juin 2010 – Open…
(Traductions Framalang : Olivier Rosseler)

Grâce à l’Internet, rien de plus aisé que de participer à de grands débats ; crise environnementale, oppression, injustice. C’est même trop simple : d’un clic votre e-mail s’en va, on ne sait où, d’un clic voilà votre avatar affublé de ce magnifique bandeau de protestation. Si vous pensez que ça a un quelconque effet, lisez le blog Net Effect tenu par Evgeny Morozov, vous changerez rapidement d’avis (d’ailleurs, lisez-le tout court, il est très bien rédigé).

Alors, à quoi bon ? En fait, ce genre d’hacktivisme peut avoir des effets, Ethan Zuckerman en parle très bien dans son article Overcoming apathy through participation? – (not)my talk at Personal Democracy Forum (NdT : Vaincre l’apathie par la participation ? ma présentation (pas de moi) au Personal Democracy Forum). Il y développe une idée qui me parle tout particulièrement :

Si l’on émet l’hypothèse que l’activisme, comme la majorité de ce qui se fait en ligne, est caractérisé par une distribution de Pareto, on peut alors supposer que pour 1000 sympathisants plutôt passifs on a 10 activistes vraiment engagés et 1 meneur qui émerge. Et si l’assertion « la participation engendre la passion » est vraie, cette longue traine (NdT : de la distribution de Pareto) pourrait être un terrain glissant ascendant d’où émergent plus de meneurs que dans les mouvements classiques.

Les lecteurs les plus attentifs auront fait le lien avec le succès des modèles open source qui permettent aux meneurs naturels de se démarquer de tous les participants. Cette méthode a déjà fait ses preuves, tous ceux à qui on n’aurait pas donné leur chance autrement et qui ont pu ainsi prouver leur valeur en sont témoins. Pour moi, cela justifie amplement la nécessité d’encourager l’hacktivisme, dans l’espoir de faire émerger quelque chose de similaire dans d’autres sphères.

Notes

[1] Crédit photo : José Goulã (Creative Commons By-Sa)




Code is Law – Traduction française du célèbre article de Lawrence Lessig

Chiara Marra - CC byLe 5 mars dernier, Tristan Nitot se pose la question suivante sur Identi.ca : « Je me demande s’il existe une version française de Code is Law, ce texte sublime de Lessig ».

Monsieur Nitot qui évoque un texte sublime de Monsieur Lessig… Mais que vouliez-vous que nos traducteurs de Framalang fassent, si ce n’est participer à modifier favorablement la réponse de départ étonnamment négative !

Écrit il y a plus de dix ans, cet article majeur a non seulement fort bien vieilli mais se serait même bonifié avec le temps et l’évolution actuelle du « cyberespace » où neutralité du net et place prise par les Microsoft, Apple, Google et autres Facebook occupent plus que jamais les esprits et nos données[1].

Bonne lecture…

Le code fait loi – De la liberté dans le cyberespace

Code is Law – On Liberty in Cyberspace

Lawrence Lessig – janvier 2000 – Harvard Magazine
(Traduction Framalang : Barbidule, Siltaar, Goofy, Don Rico)

À chaque époque son institution de contrôle, sa menace pour les libertés. Nos Pères Fondateurs craignaient la puissance émergente du gouvernement fédéral ; la constitution américaine fut écrite pour répondre à cette crainte. John Stuart Mill s’inquiétait du contrôle par les normes sociales dans l’Angleterre du 19e siècle ; il écrivit son livre De la Liberté en réaction à ce contrôle. Au 20e siècle, de nombreux progressistes se sont émus des injustices du marché. En réponse furent élaborés réformes du marché, et filets de sécurité.

Nous sommes à l’âge du cyberespace. Il possède lui aussi son propre régulateur, qui lui aussi menace les libertés. Mais, qu’il s’agisse d’une autorisation qu’il nous concède ou d’une conquête qu’on lui arrache, nous sommes tellement obnubilés par l’idée que la liberté est intimement liée à celle de gouvernement que nous ne voyons pas la régulation qui s’opère dans ce nouvel espace, ni la menace qu’elle fait peser sur les libertés.

Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.

Cette régulation est en train de changer. Le code du cyberespace aussi. Et à mesure que ce code change, il en va de même pour la nature du cyberespace. Le cyberespace est un lieu qui protège l’anonymat, la liberté d’expression et l’autonomie des individus, il est en train de devenir un lieu qui rend l’anonymat plus difficile, l’expression moins libre et fait de l’autonomie individuelle l’apanage des seuls experts.

Mon objectif, dans ce court article, est de faire comprendre cette régulation, et de montrer en quoi elle est en train de changer. Car si nous ne comprenons pas en quoi le cyberespace peut intégrer, ou supplanter, certaines valeurs de nos traditions constitutionnelles, nous perdrons le contrôle de ces valeurs. La loi du cyberespace – le code – les supplantera.

Ce que contrôle le code

Le code élémentaire d’Internet est constitué d’un ensemble de protocoles appelé TCP/IP. Ces protocoles permettent l’échange de données entre réseaux interconnectés. Ces échanges se produisent sans que les réseaux aient connaissance du contenu des données, et sans qu’ils sachent qui est réellement l’expéditeur de tel ou tel bloc de données. Ce code est donc neutre à l’égard des données, et ignore tout de l’utilisateur.

Ces spécificités du TCP/IP ont des conséquences sur la régulabilité des activités sur Internet. Elles rendent la régulation des comportements difficile. Dans la mesure où il est difficile d’identifier les internautes, il devient très difficile d’associer un comportement à un individu particulier. Et dans la mesure où il est difficile d’identifier le type de données qui sont envoyées, il devient très difficile de réguler l’échange d’un certain type de données. Ces spécificités de l’architecture d’Internet signifient que les gouvernements sont relativement restreints dans leur capacité à réguler les activités sur le Net.

Dans certains contextes, et pour certaines personnes, cette irrégulabilité est un bienfait. C’est cette caractéristique du Net, par exemple, qui protège la liberté d’expression. Elle code l’équivalent d’un Premier amendement dans l’architecture même du cyberespace, car elle complique, pour un gouvernement ou une institution puissante, la possibilité de surveiller qui dit quoi et quand. Des informations en provenance de Bosnie ou du Timor Oriental peuvent circuler librement d’un bout à l’autre de la planète car le Net empêche les gouvernements de ces pays de contrôler la manière dont circule l’information. Le Net les en empêche du fait de son architecture même.

Mais dans d’autres contextes, et du point de vue d’autres personnes, ce caractère incontrôlable n’est pas une qualité. Prenez par exemple le gouvernement allemand, confronté aux discours nazis, ou le gouvernement américain, face à la pédo-pornographie. Dans ces situations, l’architecture empêche également tout contrôle, mais ici cette irrégulabilité est considérée comme une tare.

Et il ne s’agit pas seulement des discours nazis et de pornographie enfantine. Les principaux besoins de régulation concerneront le commerce en ligne : quand l’architecture ne permet pas de transactions sécurisées, quand elle permet de masquer facilement la source d’interférences, quand elle facilite la distribution de copies illégales de logiciels ou de musique. Dans ces contextes, le caractère incontrôlable du Net n’est pas considéré comme une qualité par les commerçants, et freinera le développement du commerce.

Que peut-on y faire ?

Nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’y a rien à faire : l’irrégulabilité d’Internet est définitive. Il n’est rien que nous puissions faire pour y remédier. Aussi longtemps qu’il existera, Internet restera un espace incontrôlable. C’est dans sa nature même.

Mais rien n’est plus dangereux pour l’avenir de la liberté dans le cyberespace que de croire la liberté garantie par le code. Car le code n’est pas figé. L’architecture du cyberespace n’est pas définitive. L’irrégulabilité est une conséquence du code, mais le code peut changer. D’autres architectures peuvent être superposées aux protocoles de base TCP/IP, et ces nouvelles couches peuvent rendre l’usage du Net fondamentalement contrôlable. Le commerce est en train de construire une architecture de ce type. Le gouvernement peut y aider. Les deux réunis peuvent transformer la nature même du Net. Il le peuvent, et le font.

D’autres architectures

Ce qui rend le Net incontrôlable, c’est qu’il est difficile d’y savoir qui est qui, et difficile de connaître la nature des informations qui y sont échangées. Ces deux caractéristiques sont en train de changer : premièrement, on voit émerger des architectures destinées à faciliter l’identification de l’utilisateur, ou permettant, plus généralement, de garantir la véracité de certaines informations le concernant (qu’il est majeur, que c’est un homme, qu’il est américain, qu’il est avocat). Deuxièmement, des architectures permettant de qualifier les contenus (pornographie, discours violent, discours raciste, discours politique) ont été conçues, et sont déployées en ce moment-même. Ces deux évolutions sont développées sans mandat du gouvernement ; et utilisées conjointement elles mèneraient à un degré de contrôle extraordinaire sur toute activité en ligne. Conjointement, elles pourraient renverser l’irrégulabilité du Net.

Tout dépendrait de la manière dont elles seraient conçues. Les architectures ne sont pas binaires. Il ne s’agit pas juste de choisir entre développer une architecture permettant l’identification ou l’évaluation, ou non. Ce que permet une architecture, et la manière dont elle limite les contrôles, sont des choix. Et en fonction de ces choix, c’est bien plus que la régulabilité qui est en jeu.

Prenons tout d’abord les architectures d’identification, ou de certification. Il existe de nombreuses architectures de certification dans le monde réel. Le permis de conduire, par exemple. Lorsque la police vous arrête et vous demande vos papiers, ils demandent un certificat montrant que vous êtes autorisé à conduire. Ce certificat contient votre nom, votre sexe, votre âge, votre domicile. Toutes ces informations sont nécessaires car il n’existe aucun autre moyen simple pour établir un lien entre le permis et la personne. Vous devez divulguer ces éléments vous concernant afin de certifier que vous êtes le titulaire légitime du permis.

Mais dans le cyberespace, la certification pourrait être ajustée beaucoup plus finement. Si un site est réservé aux adultes, il serait possible – en utilisant des technologies de certification – de certifier que vous êtes un adulte, sans avoir à révéler qui vous êtes ou d’où vous venez. La technologie pourrait permettre de certifier certains faits vous concernant, tout en gardant d’autres faits confidentiels. La technologie dans le cyberespace pourrait fonctionner selon une logique de « moindre révélation », ce qui n’est pas possible dans la réalité.

Là encore, tout dépendrait de la manière dont elle a été conçue. Mais il n’est pas dit que les choses iront dans ce sens. Il existe d’autres architectures en développement, de type « une seule carte pour tout ». Dans ces architectures, il n’est plus possible de limiter simplement ce qui est révélé par un certificat. Si sur un certificat figure votre nom, votre adresse, votre âge, votre nationalité, ainsi que le fait que vous êtes avocat, et si devez prouver que vous êtes avocat, cette architecture certifierait non seulement votre profession, mais également tous les autres éléments vous concernant qui sont contenus dans le certificat. Dans la logique de cette architecture, plus il y a d’informations, mieux c’est. Rien ne permet aux individus de faire le choix du moins.

La différence entre ces deux conceptions est que l’une garantit la vie privée, alors que l’autre non. La première inscrit le respect de la vie privée au cœur de l’architecture d’identification, en laissant un choix clair à l’utilisateur sur ce qu’il veut révéler ; la seconde néglige cette valeur.

Ainsi, le fait que l’architecture de certification qui se construit respecte ou non la vie privée dépend des choix de ceux qui codent. Leurs choix dépendent des incitations qu’ils reçoivent. S’il n’existe aucune incitation à protéger la vie privée – si la demande n’existe pas sur le marché, et que la loi est muette – alors le code ne le fera pas.

L’identification n’est qu’un exemple parmi d’autres. Prenons-en un deuxième, concernant la confidentialité des informations personnelles. RealJukebox est une technologie permettant de copier un CD de musique sur un ordinateur, ou de de télécharger de la musique sur le Net pour la stocker sur un disque dur. Il est apparu en octobre que le système était un peu trop curieux : il inspectait discrètement le disque dur de l’utilisateur, puis transférait à l’entreprise le fruit de ses recherches. Tout ceci en secret, bien entendu : RealNetworks n’avait prévenu personne que son produit collectait et transférait des données personnelles. Quand cet espionnage a été découvert, l’entreprise a tout d’abord tenté de justifier cette pratique (en avançant qu’aucune donnée personnelle n’était conservée), mais elle a fini par revenir à la raison, et a promis de ne plus recueillir ces données.

Ce problème est dû, une fois de plus, à l’architecture. Il n’est pas facile de dire qui espionne quoi, dans le cyberespace. Bien que le problème puisse être corrigé au niveau de l’architecture (en faisant appel à la technologie P3P, par exemple), voici un cas pour lequel la loi est préférable. Si les données personnelles étaient reconnues comme propriété de l’individu, alors leur collecte sans consentement exprès s’apparenterait à du vol.

Dans toutes ces circonstances, les architectures viendront garantir nos valeurs traditionnelles – ou pas. À chaque fois, des décisions seront prises afin de parvenir à une architecture d’Internet respectueuse de ces valeurs et conforme à la loi. Les choix concernant le code et le droit sont des choix de valeurs.

Une question de valeurs

Si c’est le code qui détermine nos valeurs, ne devons-nous pas intervenir dans le choix de ce code ? Devons-nous nous préoccuper de la manière dont les valeurs émergent ici ?

En d’autres temps, cette question aurait semblé incongrue. La démocratie consiste à surveiller et altérer les pouvoirs qui affectent nos valeurs fondamentales, ou comme je le disais au début, les contrôles qui affectent la liberté. En d’autres temps, nous aurions dit « Bien sûr que cela nous concerne. Bien sûr que nous avons un rôle à jouer. »

Mais nous vivons à une époque de scepticisme à l’égard de la démocratie. Notre époque est obsédée par la non-intervention. Laissons Internet se développer comme les codeurs l’entendent, voilà l’opinion générale. Laissons l’État en dehors de ça.

Ce point de vue est compréhensible, vu la nature des interventions étatiques. Vu leurs défauts, il semble préférable d’écarter purement et simplement l’État. Mais c’est une tentation dangereuse, en particulier aujourd’hui.

Ce n’est pas entre régulation et absence de régulation que nous avons à choisir. Le code régule. Il implémente – ou non – un certain nombre de valeurs. Il garantit certaines libertés, ou les empêche. Il protège la vie privée, ou promeut la surveillance. Des gens décident comment le code va se comporter. Des gens l’écrivent. La question n’est donc pas de savoir qui décidera de la manière dont le cyberespace est régulé : ce seront les codeurs. La seule question est de savoir si nous aurons collectivement un rôle dans leur choix – et donc dans la manière dont ces valeurs sont garanties – ou si nous laisserons aux codeurs le soin de choisir nos valeurs à notre place.

Car c’est une évidence : quand l’État se retire, la place ne reste pas vide. Les intérêts privés ont des objectifs qu’ils vont poursuivre. En appuyant sur le bouton anti-Étatique, on ne se téléporte pas au Paradis. Quand les intérêts gouvernementaux sont écartés, d’autres intérêts les remplacent. Les connaissons-nous ? Sommes-nous sûrs qu’ils sont meilleurs ?

Notre première réaction devrait être l’hésitation. Il est opportun de commencer par laisser le marché se développer. Mais, tout comme la Constitution contrôle et limite l’action du Congrès, les valeurs constitutionnelles devraient contrôler et limiter l’action du marché. Nous devrions examiner l’architecture du cyberespace de la même manière que nous examinons le fonctionnement de nos institutions.

Si nous ne le faisons pas, ou si nous n’apprenons pas à le faire, la pertinence de notre tradition constitutionnelle va décliner. Tout comme notre engagement autour de valeurs fondamentales, par le biais d’une constitution promulguée en pleine conscience. Nous resterons aveugles à la menace que notre époque fait peser sur les libertés et les valeurs dont nous avons hérité. La loi du cyberespace dépendra de la manière dont il est codé, mais nous aurons perdu tout rôle dans le choix de cette loi.

Lawrence Lessig est professeur de droit des affaires au Centre Berkman de la Harvard Law School. Son dernier livre, « Le code, et les autres lois du cyberespace » (Basic Books), vient d’être publié (voir http://code-is-law.org). Le site du Centre Berkman pour l’Internet et la Société est http://cyber.law.harvard.edu.

Notes

[1] Crédit photo : Chiara Marra (Creative Commons By))




Le Dividende Universel : valorisation de la couche libre et non marchande de la société

Zieak - CC byIl peut y avoir quelques nuances entre les différentes expressions, mais qu’on l’appelle Revenu citoyen, Revenu de vie, Allocation universelle ou Dividende Universel, l’idée principale consiste à verser tout au long de sa vie un revenu unique à tous les citoyens d’un pays, quels que soient leurs revenus, leur patrimoine, et leur statut professionnel. Ce revenu permettant à chaque individu de satisfaire ses besoins primaires tels que se nourrir, se loger, se vêtir, voire acquérir certains biens culturels de base.

À priori cela semble totalement fou. Mais quand on se penche sur les sites spécialisés, comme CreationMonetaire.info d’où est issu le billet reproduit ci-dessous, on réalise que c’est peut-être moins utopique qu’on ne le croit.

Du reste, nous pouvons témoigner : GNU/Linux, Wikipédia, OpenStreetMap… les projets utopiques existent, nous en avons rencontrés 😉

Et puis, reconnaissons surtout que c’est l’économie actuelle qui est devenue complètement folle et qui va finir par tous nous mettre à genoux. Alors folie contre folie…

En tout cas il n’est pas anodin de voir le logiciel libre et sa culture fournir des arguments aux partisans de cette idée folle. Et inversement, imaginez qu’on assure un jour à tous les membres de la communauté du Libre un revenu minimum pour vivre, ce serait à n’en pas douter une explosion d’enthousiasme et de projets !

Parce que c’est bien moins l’argent[1] qui nous manque que le temps. Un temps trop souvent occupé à devoir survivre…

PS : Comme ce n’est pas le premier article du Framablog qui tourne autour du sujet, je viens de créer un tag dédié pour l’occasion.

Les 4 arguments du Dividende Universel

URL d’origine du document

Stéphane Laborde – 17 mai 2010 – CreationMonetaire.info
Licence Creative Commons By

Depuis quelques semaines, je reçois des demandes d’arguments concernant le Dividende Universel, par des personnes connaissant le sujet, mais qui se trouvent confrontées à des interlocuteurs ignorants de la question. Il y a bien sûr la multitude de liens, d’explications et de justifications qui se trouvent sur l’article Wikipedia qui le concerne, mais je vais résumer ici les points fondamentaux nécessaires à l’introduction dans le sujet pour un novice :

1. L’argument massue de la propriété de la zone EURO (remplacer EURO par la monnaie de son choix).

La Zone EURO est une construction fondamentalement Citoyenne. Chaque Citoyen via son Etat respectif est co-propriétaire de la Zone Euro, et il est régulièrement convié à voter pour élire ses représentants tant locaux que continentaux, directement ou indirectement.

Or tout propriétaire d’une entreprise quelle qu’elle soit, reçoit, en proportion de sa détention du capital un Dividende annuel, généralement autour de 5% de la valeur de l’entreprise. La Zone Euro étant économiquement valorisable en proportion de sa Masse Monétaire en Circulation (voire du PIB, mais PIB et Masse Monétaire sont interdépendants).

Le Dividende Universel correspond donc simplement à la reconnaissance de la co-propriété de la zone économique par chaque Citoyen (présents et à venir, aucune génération n’a de droit privilégié de ce point de vue).

Cet argument conviendra à tout défenseur de la propriété et du droit économique.

2. L’argument de la création libre et non marchande

L’Art, les logiciels libres, les écrits libres de droit, le travail non marchand effectué par l’action associative ou individuelle etc… Que fournissent chaque citoyen de la zone euro, est une valeur, incommensurable, qui bénéficie au secteur marchand directement ou indirectement. (par exemple internet fonctionne avec une couche de logiciels libres qui ont été développés et distribués sans aucune reconnaissance monétaire).

Ces valeurs sont difficilement monnayables, parce que ce qui fait leur valeur, est justement l’adoption par le plus grand nombre, d’autant plus rapidement que c’est gratuit. Or sur ce substrat de valeur, se développent des valeurs marchandes, qui elles valorisent leurs produits raréfiés.

Le Dividende Universel est une valorisation de cette couche libre et non marchande de la société, qui est la juste compensation du droit d’usage de cette couche multi-valeur pour des activités marchandes.

Cet argument conviendra à tous ceux qui souhaitent travailler et créer pour autrui, sans contrainte marchande, en étant valorisé à minima, sans pour autant vouloir tirer un avantage économique de leur création (artistes, développeurs libres, auteurs libres, blogueurs, bénévoles associatifs, aides de voisinage etc…)…

3. L’argument anti-crises financières de la Création Monétaire neutre

La Création Monétaire par effet de levier est une dissymétrie qui accentue les écarts capitalistiques sans raison. Parce que X,Y ou Z ont un avantage capitalistique de départ, on leur permet de surévaluer cet avantage par un effet de levier de création monétaire, qui dévalue la monnaie existante, et leur permet à tout moment d’acheter ou de copier toute innovation par création de fausse monnaie momentanée (éventuellement détruite lors du remboursement de la fausse monnaie-dette émise, mais le mal est fait, et toute l’Histoire montre que jamais cette dette n’est réellement remboursée par les plus gros bénéficiaires, sommets de pyramides de Ponzi…).

Le Dividende Universel est une création monétaire neutre et symétrique dans le temps et dans l’espace, et rend à la monnaie tout sens sens premier : un Crédit Mutuel entre Citoyens, versé non pas en une fois, mais progressivement, tout le long de la vie, et de façon relative à la richesse mesurable (Proportionnelle à La masse monétaire / Citoyen), sans léser les générations futures.

Cet argument conviendra aux Scientifiques, Economistes et Ingénieurs, soucieux de justifications théoriques solides.

4. L’argument de la valeur fondamentale de toute économie

La valeur fondamentale de toute mesure est l’observateur lui même. En effet hors l’observateur il n’est point de mesure, alors que hors objet extérieur, l’observateur peut toujours se prendre lui même pour objet d’observation. C’est le point minimum et suffisant pour toute mesure.

L’homme est l’observateur de l’économie, autant que son acteur fondamental, et son service en est l’objectif premier. Or cette valeur fondamentale nécessite d’être valorisée sur une base éthiquement acceptable, afin que son potentiel de création, de travail pour autrui, de choix de développement économique, soit libre et non faussé.

En valorisant l’homme par un micro-investissement continu, tout le long de sa vie, c’est l’ensemble de l’économie qui investit dans chacune de ses composantes économiques fondamentales, le "risque" étant noyé dans la multitude.

Le Dividende Universel est un micro-investissement global et continu sur la valeur productive fondamentale de toute économie : l’homme.

Cet argument conviendra aux humanistes, philosophes, constitutionnalistes, et juristes soucieux des Droits de l’Homme.

Notes

[1] Crédit photo : Zieak (Creative Commons By)




Pourquoi le gouvernement du Québec ne s’ouvre pas davantage aux logiciels libres ?

Telle est en résumé la question posée le 26 avril dernier par Marie Malavoy, députée de Taillon pour le Parti Québécois, lors d’un échange public à la Commission des finances du Québec.

Cet échange est exemplaire et révélateur.

Exemplaire parce qu’il interpelle un gouvernement sur sa timidité vis-à-vis du logiciel libre. Et révélateur parce que les réponses données demeurent prudentes pour ne pas dire confuses voire embarrassées.

Mais ce passage est également à situer dans le contexte particulièrement tendu d’un procès local dénonçant la décision d’accorder sans appel d’offres un contrat public de 722 848 $ à Microsoft Canada pour une migration à Windows Vista. Nous l’avions évoqué dans un précédent billet.

Pour en savoir plus nous vous invitons à vous rendre sur le site de l’association FACIL dont nous profitons de l’occasion pour témoigner de notre soutien.

PS : Il est fait allusion, en fin d’intervention, à un remboursement de frais exorbitant demandé à FACIL dans le cadre d’une autre procédure (mais dont la coïncidence est plus que troublante). Nous savons désormais que l’association n’aura pas à payer cette somme indigente qui menaçait son existence même.

—> La vidéo au format webm

Transcription

URL d’origine du document (extrait)

Mme Malavoy : Merci, M. le Président et bonjour. Moi, j’aimerais aborder, Mme la ministre, une question très précise. Je… J’entends la ministre parler des appels d’offres, j’entends la ministre parler d’une concurrence qui existerait malgré tout. Je l’entends, bien entendu, parler de l’impérieuse nécessité de réduire les coûts de tous nos systèmes d’exploitation. Mais il y a une chose dont elle ne parle pas, absolument pas, c’est d’ouvrir ces appels d’offres aux logiciels libres.

Et j’aimerais aborder cette question-là, cet après-midi. J’aimerais l’aborder d’abord parce que dans beaucoup de pays du monde, on a pris le virage des logiciels libres. On leur a permis de, non seulement, faire des soumissions, mais on leur a permis aussi de gagner un certain nombre de systèmes d’exploitation, et il s’agit de logiciels qui sont plus souples, plus efficaces, qui permettent de faire des choses qu’aucun logiciel propriétaire ne permet de…

Mme Malavoy : …mais on leur a permis aussi de gagner un certain nombre de systèmes d’exploitation, et il s’agit de logiciels qui sont plus souples, plus efficaces, qui permettent de faire des choses qu’aucun logiciel propriétaire ne permet de faire, ils sont mois coûteux pour les contribuables, et, à l’heure où on cherche désespérément de l’argent, j’aimerais comprendre pourquoi le gouvernement du Québec ne fait pas un virage important pour s’ouvrir aux logiciels libres.

Le Président (M. Bernier) : Merci, Mme la députée. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay : Alors, M. le Président, comme mon expertise n’est pas tellement poussée dans la matière, et j’aimerais que la députée ait véritablement la bonne réponse, si vous le permettez, je demanderais au secrétaire associé, M. Parenteau, si vous le souhaitez, de répondre à la députée pour lui donner la meilleure réponse possible.

Le Président (M. Bernier) : Est-ce qu’il y a consentement du côté de l’opposition officielle? Consentement. Allez-y, M. Parenteau, on vous écoute. La parole est à vous.

M. Parenteau (Alain) : Alors, bonjour aux membres de la commission. Écoutez, sur le plan de l’application ou de l’existence des logiciels libres, il y a déjà à des… c’est peut-être pas à une immense envergure, j’en conviens, mais le logiciel libre, au gouvernement du Québec, ça existe: le CSPQ, le MDEIE, le ministère des Services gouvernementaux, le MDEIE, c’est le ministère du Développement économique, là, bon, ont déjà pris en charge des logiciels libres au sein de l’organisation pour des applications peut-être un peu plus locales, mais ça existe.

L’autre défi auquel on est confrontés, puis il faut bien l’admettre, pour des grosses infrastructures, par exemple, si on parle des logiciels propriétaires, on parle des Microsoft et compagnie, quand arrive le temps de faire des changements au niveau des processus informatiques, il y a un… il faut prendre en considération les dimensions du coût d’impact que ça peut avoir que de transformer l’ensemble des… ce n’est pas juste une question de logiciel, il y a toute la mutation et les coûts d’impact que ça va avoir pour faire cette mutation-là.

Le défi auquel on est confrontés actuellement, et sur lequel on travaille, je ne vous dis pas qu’on ne travaille pas, au contraire, on travaille très fort pour essayer de déterminer comment on peut mettre en concurrence justement des entreprises qui favorisent les logiciels libres et les logiciels propriétaires. Je vous dis juste qu’au moment où on se parle sur le plan de la mécanique contractuelle, rien ne s’oppose dans la réglementation à ce qu’on y aille, mais il y a des limitations technologiques auxquelles on est confrontés, dont notamment le fait que, dans certains cas, le besoin est de mettre à niveau certains logiciels existants. Et le gain d’aller en logiciel libre dans un contexte comme celui-là doit être évalué au cas par cas, ce n’est pas nécessairement la meilleure solution, la panacée.

Partir à zéro, puis dire qu’on va y aller… mettons qu’on part qu’une nouvelle entreprise, une nouvelle organisation, puis on repart en logiciel libre, il n’y en a pas de problème. Le problème se pose lorsque tu as déjà une infrastructure de bien établie, par exemple, je ne sais pas, moi, Microsoft de niveau Vista, puis qu’on veut upgrader, par exemple, un certain niveau de logiciel, la question de l’opportunité doit être considérée, et ça, dans ce niveau-là, il y a des coûts d’impact comme je le mentionnais tantôt.

Ce que vous voyez actuellement dans certains ministères qui décident d’aller en appel… en gré à gré, c’est justement à cause de cette difficulté à pouvoir amener la mise à niveau et de mettre en concurrence potentiellement des logiciels libres, puis dire: On fait fi de tout ce qui existe, puis on rentre du logiciel libre. Il faut voir un peu du cas par cas puis comment on peut l’amener. Mais je vous dis: Sérieusement, on travaille là-dessus. Le Président (M. Bernier): Merci, M. Parenteau. Mme la députée de Taillon.

Mme Malavoy : J’apprécie beaucoup les commentaires de M. Parenteau, mais il y a aussi une dimension politique à ma question. Et, à cette dimension-là, j’aimerais aussi que la ministre me réponde. Le problème des logiciels propriétaires, c’est qu’à chaque fois que vus voulez les mettre au niveau, vous devez tout racheter. Ça on n’a pas besoin d’être spécialiste pour comprendre ça. Vous êtes pris avec une suite Office, Microsoft Office, vous voulez la mettre à niveau, vous ne pouvez pas l’ajuster à vos besoins, vous devez la mettre de côté, en racheter une autre. Ce sont des coûts astronomiques.

L’avantage du logiciel libre, c’est qu’il a justement dans sa nature même la possibilité d’une évolution permanente en fonction de expertises qu’on a chez nous, mais en fonction des expertises qu’il y a dans le monde entier. Et je pense qu’il ne s’agit pas à ce moment-ci de regarder: Est-ce que l’on peut, cas par cas, à petite dimension, les introduire timidement? Je pense qu’il s’agit de voir si le gouvernement du Québec pourrait, comme par exemple, les 27 pays de l’OCDE, faire un virage et exprimer une volonté politique. Il y a des millions de dollars en cause dans cette aventure, et je pense qu’il est temps que le Québec prenne le tournant.

Le Président (M. Bernier) : Merci, Mme la députée. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay : Bien, écoutez, M. le Président, c’est qu’on n’est pas en défaveur, là, d’avoir des coûts ou d’essayer d’avoir des coûts moins élevés, au contraire, on est en faveur de ça. Mais, en même temps, il faut dire que c’est des logiciels propriétaires qu’on appelle. Alors, est-ce que, demain matin, on met tout à la porte et on recommence…

Mme Gagnon-Tremblay : …des faveurs, là, de… d’avoir des coûts ou d’essayer d’avoir des coûts moins élevés. Au contraire, on est en faveur de ça. Mais en même temps, c’est… il faut dire que ça, c’est des logiciels propriétaires, qu’on appelle, alors, est-ce que demain matin on met tout à la porte et on recommence à zéro? Alors, c’est ça, là, je pense qu’il faut le faire graduellement, mais tu ne peux pas d’une journée à l’autre arriver puis dire: Bien, voici… Ça, c’est comme je vous dis, c’est des logiciels qui sont déjà la propriété. Alors donc, on ne peut pas demain matin tout balancer puis revenir. Alors, il faut le faire correctement, mais il faut le faire aussi, je dirais, régulièrement, mais ça ne peut pas… on ne peut pas tout balancer demain matin. Alors donc, nous, est-ce qu’on est en faveur? Oui, on est en faveur de… d’avoir… de… on est en faveur d’aller chercher des sommes, des… c’est-à-dire des réductions de coûts, mais il faut le faire correctement. On ne peut demain matin faire table rase et puis dire: Bien, voici, on met de côté tout ce que nous possédons actuellement et on recommence à zéro avec ce genre… ce libre… ces logiciels libres. Mais on n’est pas en défaveur, mais encore faut-il faire correctement.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Mme la députée de Taillon.

Mme Malavoy : Bien, j’aimerais en profiter, M. le Président, pour dénoncer une situation qui me semble un peu aberrante. Je comprends donc qu’il y a, mettons, une timide volonté politique pour s’ouvrir petit à petit au logiciel libre, en même temps il y a un groupe qui s’appelle le FACIL, qui plaide sa cause depuis des années et le gouvernement du Québec actuellement le poursuit pour 107 000 $. J’essaie de comprendre comment on peut, d’un côté, croire que le logiciel libre est une voie d’avenir éventuellement, et, d’un autre côté, mettre dans la misère, parce que c’est ça qui va se passer, un groupe qui se porte à la défense de ce type d’exploitation qui est assez révolutionnaire, mais qui n’est pas unique au Québec, qui a fait ses preuves déjà dans bien des pays du monde. Et vous me permettrez de donner un seul exemple qui devrait nous toucher. L’Assemblée nationale française, après un projet pilote, est passée entièrement au logiciel libre. Alors, je me demande pourquoi au Québec on devrait être en retard par rapport à d’autres pays de la planète qui ont compris que c’est un virage essentiel.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay : Bien, M. le Président, c’est qu’on… comme je le mentionnais tout à l’heure, on ne l’exclut pas, il faut le faire, je dirais, graduellement. Mais en même temps, bon, la députée de Taillon a fait mention d’une compagnie qui est actuellement devant la cour face au gouvernement, alors vous comprendrez que je vais m’abstenir de… d’élaborer sur ce sujet.




Les biens communs ou le nouvel espoir politique du XXIe siècle ?

Peasap - CC byIl y a plus de dix ans, Philippe Quéau (qu’on ne lit pas assez) s’exprimait ainsi lors d’une conférence organisée par le Club de Rome (qui a eu raison avant l’heure ?) ayant pour titre Du Bien Commun Mondial à l’âge de l’Information :

« L’intérêt public est beaucoup plus difficile à définir que l’intérêt privé. C’est un concept plus abstrait. Il intéresse tout le monde, et donc personne en particulier. Plus les problèmes sont abstraits et globaux, plus ils sont difficiles à traiter et à assimiler par le public. Les groupes de pression sectoriels ont en revanche une très claire notion de leurs intérêts et de la manière de les soutenir (…) La gestion des biens communs de l’humanité (comme l’eau, l’espace, le génome humain, le patrimoine génétique des plantes et des animaux mais aussi le patrimoine culturel public, les informations dites du domaine public, les idées, les faits bruts) doit désormais être traitée comme un sujet politique essentiel, touchant à la chose publique mondiale. Par exemple le chantier de la propriété intellectuelle devrait être traité, non pas seulement d’un point de vue juridique ou commercial, mais d’un point de vue éthique et politique. »

Le bien commun ou plutôt les biens communs (attention danger sémantique) seront à n’en pas douter non seulement l’un des mots clés de ce nouveau siècle, mais aussi, si nous le voulons bien, l’un des éléments moteurs et fédérateurs des politiques progressistes de demain[1].

C’est pourquoi le Framablog les interroge de temps en temps, comme ici avec cette ébauche de traduction française d’une première version d’un texte en anglais rédigé par une allemande !

On ne s’étonnera pas de voir la culture du logiciel libre une nouvelle fois citée en exemple à suivre et éventuellement à reproduire dans d’autres champs de l’activité humaine.

Les biens communs, un paradigme commun pour les mouvements sociaux et plus encore

The commons as a common paradigm for social movements and beyond

Silke Helfrich – 28 janvier 2010 – CommonsBlog
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler et Tinou)

Version 1.0 – Licence Creative Commons By-Sa

Forum social mondial – 10 ans après – Éléments d’un nouvel ordre du jour

On ne peut considérer le système des biens communs comme une alternative pour le 21e siècle que s’ils représent effectivement un dénominateur commun entre différents mouvements sociaux et écoles de pensées. À mon avis, il est non seulement possible de les appliquer, mais c’est surtout un bon choix stratégique. Voici pourquoi en quinze points :

1. Les biens communs sont omniprésents. Ils déterminent notre qualité de vie de bien des manières. Ils sont présents (quoique souvent invisibles) dans les sphères sociales, naturelles, culturelles et numériques. Pensez aux outils d’apprentissage (la lecture et l’écriture), toutes ces choses qui nous servent à nous déplacer (la terre, l’air et la mer), celles qui nous servent à communiquer (le langage, la musique, les codes), toutes ces choses qu’on utilise pour nous nourrir ou nous soigner (la terre, l’eau, les médicaments) ou encore celles si cruciales à notre reproduction (les gênes, la vie sociale).

Les biens communs sont notre relation à toutes ces choses, comment nous les partageons, comment nous les utilisons. Les biens communs sont la représentation vivante de nos relations sociales, en permanence. On devrait plutôt utiliser une action (mettre en commun) plutôt qu’un nom (bien communs). Les biens communs sont une catégorie à part de production et d’usage du savoir et des biens matériels, où la valeur de l’usage est privilégiée par rapport à la valeur marchande. Mettre en commun est une pratique qui nous permet de prendre nos vies en main et de protéger, de développer ce qui nous est commun plutôt que d’assister à son enfermement et sa privatisation.

Les droits des bénéficiaire des biens communs sont indépendants des conventions formelles et du droit positif. Nous en disposons sans avoir à demander la permission et nous les partageons. Les biens communs offrent une liberté autre que celle du marché. La bonne nouvelle, c’est qu’en nous concentrant sur les biens communs, nous sortons les choses de la sphère marchande pour les mettre dans la sphère commune, nous mettons l’accent sur comment les sortir de l’autorité et de la responsabilité détenue par une bureaucratie fédérale pour aller vers une gestion des biens communs par leurs utilisateurs et la myriade de possibilités qu’elle offre, et enfin nous nous concentrons sur de nombreux problèmes et de nombreuses ressources, comme 75% de la biomasse mondiale, qui n’ont pas encore été transformés en marchandise. Voilà qui est encourageant.

2. Les biens communs établissent des ponts entre les secteurs et les communautés, ils offrent un cadre pour la convergence et la consolidation des mouvements. Les problèmes auxquels nous faisons face sont devenus trop compliqués. Pour en réduire la complexité, nous avons fragmenté ce qui ne devrait être qu’un. Dans le débat politique public, il y a une division entre différents domaines de connaissance et d’autorité. Il y a ceux qui débattent de sujet liés aux ressources naturelles (les écolos) et ceux qui débattent de problèmes culturels et numériques (les technophiles).

Il en résulte des communautés (sur-)spécialisées pour chacun des centaines de problèmes auxquels nous sommes confrontés et de nombreux chainons manquant. Au nom de la diversité des biens communs, cette fragmentation se poursuivra jusqu’à un certain point, mais elle contribue également à l’atrophie de notre capacité commune à suivre l’actualité économique, politique et technologique ainsi que les changements qui se produisent. Notre capacité à réagir à ces changements et à faire remonter soigneusement des propositions alternatives et cohérentes s’en retrouve diminuée.

Les biens communs peuvent unifier des mouvements sociaux disparates, même si leur dynamique est profondément différente, les biens communs nous permettent en effet de nous concentrer sur ce qui nous unis, sur tout ce que les communeurs ont en commun, pas sur ce qui les sépare. L’eau est une ressource finie, pas le savoir. L’atmosphère est partout, un parc ne l’est pas. Les idées se développent lorsque nous les partageons, ce n’est pas le cas de la terre. Mais ce sont là des ressources communes à tous ! Par conséquent, personne ne devrait pouvoir se prévaloir de la propriété de l’une de ces ressources. Elles sont toutes liées à une communauté.

Chacune de ces ressources est mieux gérée si les règles et les normes s’imposent d’elles-mêmes ou si elles sont légitimées par les personnes qui en dépendent directement.

3. Les biens communs amènent le débat de la propriété au-delà du clivage (parfois stérile) public/privé. Les appels en faveur de la propriété publique ne disparaissent pas pour autant, mais peut-on juger que les états nations ont été des fiduciaires des biens communs consciencieux ? Non. Protègent-ils le savoir traditionnel, les forêts, l’eau et la biodiversité ? Pas partout.

Tout ne s’arrête pas au clivage public/privé. On peut s’approprier une ressource commune partagée pendant une courte durée (pour reproduire nos moyens de subsistance), mais on ne peut pas faire tout ce qu’on veut avec. Il est primordial de garder à l’esprit que le concept de possession pour usage est différent de la propriété exclusive conventionnelle.

Contrairement à propriété, possession n’est pas synonyme d’aliénation. Et abus, commodification, maximisation des profits et externalisation des coûts au détriment des biens communs vont de pair avec la propriété. L‘externalisation des coûts est un processus courant actuellement mais il ne bénéficie à personne au bout du compte, pas même aux plus aisés que l’on incite à se réfugier dans des communautés fermées et protégées.

4. La perspective des biens communs n’est pas une lubie numérique. Elle n’est pas binaire, pas faite de 0 et de 1 ni de soit … soit. Elle ne se jauge pas non plus à l’aune de quelques succès. Nous cherchons des solutions qui dépassent les clivages idéologiques, qui dépassent les politiques chiffrées pour déterminer les réussites. Ce n’est pas juste le privé contre le public, la gauche contre la droite, la coopération contre la concurrence, la « main invisible du marché » contre les projets gouvernementaux, les pro-technologies contre les anti-technologies.

Les biens communs se tournent vers le troisième élément, celui qui est toujours oublié. Notre compréhension des ressources que nous possédons en commun en ressort approfondie, tout comme celle des principes universels (et fonctionnels) des peuples qui protègent leurs ressources communes partagées. Dans le domaine des bien communs, nous privilégions l’apprentissage de la coopération plutôt que la concurrence. Les biens communs favorisent l’autogestion et les technologies ouvertes, développées et contrôlées en commun, plutôt que les technologies propriétaires qui tendent à concentrer le pouvoir dans les mains des élites et qui leur donne le pouvoir de nous contrôler.

5. Parler des biens communs, c’est se concentrer sur la diversité. Pour reprendre les mots de l’ex-gouverneur Olívio Dutra (Rio Grande do Sul) lors du Forum Social Mondial, 10 ans après : « cela permet l’unité au travers de la pluralité et de la diversité ». La doctrine par défaut est « un monde qui contient une myriade de mondes ».

De toute évidence, l’une des forces de cette approche réside dans l’idée qu’il n’existe pas de solution simpliste, pas de schéma institutionnel, pas de miracle taille unique, uniquement des principes universels tels que la réciprocité, la coopération, la transparence et le respect de la diversité d’autrui. Chaque communauté doit déterminer les règles appropriées à l’accès, à l’usage et au contrôle d’un système de ressources partagées bâti sur ces principes.

La tâche est complexe, à l’image de la relation entre la nature et la société, particulièrement lorsqu’il s’agit de biens communs partagés à l’échelle mondiale. La communauté englobe alors l’humanité toute entière, ce qui renvoie à l’impérieuse nécessité d’un nouveau multilatéralisme au centre duquel se trouvent les biens communs.

6. Se concentrer sur les biens communs apporte une nouvelle perspective à trois grands C : Coopération, Commandement et Compétition. (NdT : On a conservé les 3 C mais on pourrait traduire Command par Pouvoir ou Gouvernance) Sans compétition, il n’y a pas de coopération, et vice versa. Mais dans une société centrée sur les biens communs, la coopération est plus valorisée que la compétition.

Le slogan est : « Battez-vous pour la place de numéro un des coopérateurs plutôt que des compétiteurs ». Les règles précises régeantant la coopération dans un système des biens communs change d’un cas à l’autre. Aucun autorité supérieure ne peut les dicter. La théorie et la pratique des biens communs nous apprennent que de part le monde, de nombreux systèmes d’administration des biens communs s’auto-régulent, c’est-à-dire qu’ils créent leurs propres systèmes de contrôle. Ou ils s’auto-régulent et se coordonnent à différents niveaux institutionnels.

Pour ce qui est du commandement, voici un conseil de la lauréat du Prix Nobel, Elinor Ostrom : « Mieux vaut inciter la coopération à travers des arrangements institutionnels adaptés aux écosystèmes locaux plutôt que d’essayer de tout diriger à distance ». De plus, les autorités supérieures, les gouvernements, les lois, les organisations internationales, peuvent jouer un rôle décisif dans la reconnaissance des biens communs. Mais pour y parvenir, les biens communs devraient déjà occuper une plus grande place dans leur vision politique.

7. Les biens communs ne dissocient pas la dimension écologique de la dimension sociale, au contraire d’une vision verte inspirée du New Deal. Il serait judicieux, dans une certaine mesure, de rendre plus visible la "valeur économique" des ressources naturelles et il est sans doute nécessaire d’inclure les coûts écologiques de la production dans l’ensemble du processus manufacturier.

Mais ça ne suffit pas. Ce genre de solution ne règle pas la dimension sociale du problème, elle tend au contraire à creuser un fossé, faisant des solutions un problème d’accès à l’argent. Ceux qui y ont accès peuvent se permettent de payer le surcout écologique, ceux qui ne l’ont pas se retrouvent laissés pour compte. Les biens communs, au contraire, apportent une réponse au problème écologique et au problème social.

Une solution au cœur de laquelle se trouvent les biens communs ne laisse personne pour compte.

8. Le concept des biens communs fait siennes plusieurs visions du monde : on y retrouve la pensée socialise (la possession commune), la pensée anarchiste (l’approche auto-organisée), la pensée conservatrice (pour qui la protection de la création est importante) et évidemment les pensées communautaristes et cosmopolites (la richesse dans la diversité) et même la pensée libérale (affaiblissement du rôle de l’État, respect des intérêts et motivations individuelles à rejoindre une communauté ou un projet).

Mais de toute évidence, toutes ces idées ne peuvent s’unir derrière un programme politique construit autour des biens communs. C’est là leur force, et c’est pourquoi les partis politiques se méprennent à leur égard ou tentent de coopter les biens communs. Si nous nous attachons à livrer un discours cohérent (voir 9), ils n’y parviendront pas.

9. L’aune à laquelle sera mesuré l’adhésion des idées politiques au paradigme des biens communs est triple et bien définie : (a) usage durable et respectueux des ressources (sociales, naturelles et culturelles, y compris numériques), ce qui signifie : pas de sur-exploitation ni de sous-exploitation des ressources communes partagées.

Partage équitables des ressources communes partagées et participation à toutes les décisions prises au sujet de l’accès, de l’usage et du contrôle de ces ressources et (c) le développement libre de la créativité et de l’individualité des gens sans sacrifier l’intérêt collectif.

10. Les biens communs ne sont pas uni-centriques mais poly-centriques. Leurs structures de gouvernance sont elles aussi décentralisées et variées. En d’autres termes : les biens communs sont poly-centriques par nature, ce qui est la condition nécessaire à une approche profondément démocratique, aussi bien politiquement (principes de décentralisation, de subsidiarité et de souveraineté des communeurs et de législations des communeurs) et économiquement (le mode de productions des biens communs réduit notre dépendance à l’argent et au marché).

11. Les biens communs renforcent un trait essentiel de la nature humaine et du comportement humain. Nous ne sommes pas seulement, loin s’en faut, l’homo œconomicus comme on nous le fait croire. Nous sommes bien plus que des créatures égoïstes qui ne se soucient que de leur propre intérêt. Nous ressentons ce besoin de nous intégrer dans un tissu social et nous nous y plaisons.

« Les biens communs sont le tissu de la vie », d’après Vandana Shiva. Nous aimons participer, nous impliquer et partager. Les biens communs renforcent le potentiel créatif des gens et l’idée d’inter-relationalité, en deux mots : « J’ai besoin des autres et les autres de moi ». Ils honorent notre liberté de participer et de partager.

Ça n’est pas la même liberté que celle sur laquelle repose le marché. Nos contributions nous donne accès à plus de choses. Mais nota bene" : ça ne se résume pas à "accès gratuit à tout".

12. Les biens communs proposent des outils d’analyse issus de catégories différentes de ceux du capitalism, notre « décolonisation de l’esprit » en est donc facilitée (Grybowski). Les communeurs rédéfinissent ce qu’est l’efficacité. Ils visent la coopération efficace, comment la favoriser et la mettre à la porté des gens.

Ils souhaitent privilégier la propriété exclusive à court terme comme moyen de subsistance plutôt que la propriété à durée indéfinie. Ils honorent les moyens de protection traditionnels des biens communs ainsi que les systèmes traditionnels de connaissance. Pour faire court : les biens communs éclairent sous un jour nouveau de nombreuses pratiques politiques et légales.

La différence est grande entre une vision communales et une vision commerciale de notre environnement. La différence est grande si l’eau est perçue comme un bien commun, c’est à dire liée aux besoins de la communauté, ou pas. Ou considérez les graines ; si vous voyez la diversité des graines comme un bien commun, vous récoltez ce dont vous avez besoin et votre indépendance alimentaire est assurée.

Si la société reconnaissait que les variétés de graines régionales font partie des biens communs, l’État appuierez de toutes ses ressources les plantations biologiques indépendantes et les petites exploitations pour qu’elles puissent poursuivre leur développement traditionnel des céréales plutôt que de gaspiller l’argent du contribuable en finançant des manipulations génétiques et l’ingénierie agro-alimentaire.

13. Le secteur des biens communs est pluriel et rassemble de nombreux protagonistes. Ces dernières années, l’intérêt porté internationalement au paradigme des biens communs s’est largement accru.

Les communeurs et les organismes se sont constitués des alliances transnationales (Creative Commons, Wikipedia, les mouvements des Logiciels Libres et de la Culture Libre, les plateformes de partage, les organismes de lutte contre l’exploitation minière, les alliances promouvant une approche de Bem-Viver, le mouvement mondial pour une agriculture durable, le Water Commons, les jardins communautaires, la communication et les projets d’informations citoyens et bien d’autres encore).

C’est en fait une explosion spontanée d’initiatives communes. Depuis que le Prix Nobel d’Économie a été attribué à Elinor Ostrom (octobre 2009), de nombreuses universités redécouvrent l’intérêt académique des biens communs.

14. Les biens communs comme mode de production alternatif. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne sont pas liés à la disponibilité des ressources.

Ils émanent du mode de production actuel. Heureusement, dans certains domaines, nous assistons à une évolution du mode de production, d’un système capitaliste (basé sur la propriété, la demande, la valeur marchande, l’exploitation des ressources et du travail, dépendant de la croissance et tiré par les profits) il est en passe de venir commun (basé sur la possession, la contribution, le partage, l’intérêt personnel et l’initiative, où le PIB est un indicateur négligeable et dont la finalité est la belle vie, le bem viver).

De nombreux projets de Production Collective Commune rencontrent le succès. C’est particulièrement le cas pour la production de savoir (Wikipédia, les logiciels libres, le design ouvert). Mais un débat palpitant se déroule actuellement pour trouver les moyens d’appliquer les mêmes principes de production collective commune à la production de ce nous mangeons, de ce que nous portons et de nos moyens de locomotion, et jusqu’où nous pouvons aller.

J’ai la conviction que c’est possible. Premièrement parce que le savoir se taille la part du lion de tout type de production. Tous les biens ne sont que des produits en devenir. Pas de production automobile ou de production agricole sans concept et sans design (d’où la part du lion de sa valeur marchande).

Et deuxièmement, les secteurs des communs qui n’ont pas encore été commodifiés et où les valeurs et les règles des communs sont bien ancrées sont nombreux et variés (économie de l’entraide, économie de la solidarité). Ces secteurs sont la preuve que chaque jour, une grande partie de ce qui nous est nécessaire est produit en dehors du marché économique.

15. Le discours des communs prône le changement culturel. Ce n’est pas simplement une approche technologique ou institutionnelle. Il incite plutôt au développement de nouvelles idées et de nouvelles actions personnelles et politiques.

Pourquoi maintenant ? Car le moment est opportun pour les biens communs.

1. Nous sommes à une période charnière, dans biens des contextes, les biens communs sont re-découverts. Le marché et l’État (seul) ont échoué à protéger les ressources communes et à satisfaire les besoins des gens. Les idéaux de l’économie de marché sont assiégés de toutes parts.

Ses mécanismes d’analyses économiques, de politiques publiques, sa vision du monde perdent leur valeur explicative, et surtout leur soutien populaire. Les gens réalisent de plus en plus que ça n’est pas à l’économie de marché que nous devons la biodiversité, la diversité culturelle et les réseaux sociaux !

2. Les nouvelles technologies ouvrent la voie à de nouvelles formes de coopération et de production décentralisée qui étaient, jusqu’alors, l’apanage des technologies de l’âge industriel. Il nous est même désormais possible de ré-affecter la production d’énergie et d’électricité aux biens communs sociaux (centrales électriques solaires citoyennes, centrales électriques résidentielles).

Nous avons la possibilité de décider quelles nouvelles ou quelles informations sont utiles à la communauté et nous pouvons les reproduire nous-mêmes grâce à la plus grande machine à copier jamais inventée : Internet. La production connait une véritable révolution, une révolution qui redéfinira les règles. Les monopoles sont menacés.

3. Les changements actuels offrent à tout un chacun une influence élargie. Une vision moderne des biens communs ne se tourne pas vers le passé.

Il faut voir plus loin qu’une simple relocalisation, notre perspective est une coopération locale, décentralisée et horizontale au travers de réseaux distribués afin que les gens puissent, ensemble, se re-approprier la création de choses, qui seront ensuite disponibles pour eux et pour tout le monde, s’ils le souhaitent. Le but étant d’alimenter les biens communs et la production commune autant que possible pour affaiblir notre dépendance à l’économie de marché.

Mais ça ne sera possible, si le nouveau mode de production est capable de résoudre les problèmes même les plus complexes, que si les productions collégiales dépassent ce que les entreprises, même les plus importantes, sont capables de mettre en place du point de vue logistique, financier et conceptuel.

Et c’est tout à fait possible ! Regardez Wikipédia ou la voiture open source. Peut-être serions nous même capable de développer des véhicules individuels 100% recyclables, qui ne consomment qu’un litre/100km si les entreprises n’avaient pas capturé les technologies et contrôlé le marché.

Dans un monde où la production commune est généralisée, les notions de centre et de périphérie disparaissent.

4. L’usage collectif et l’accès libre ou équitables aux biens communs bénéficie maintenant de nouvelles protections légales : la General Public License (GPL), les licences de partage à l’identique, des modèles de propriétés spécifiques aux ressources naturelles qui se prémunissent de la spéculation et de la sur-exploitation, des fonds d’actionnariat à ressource commune unique, les systèmes d’aqueduc au Mexique ou de récupération d’eau en Inde ou encore le droit de tout un chacun (Allesmansrätten) en vigueur dans les pays du nord de l’Europe.

Ce sont des outils puissants dont nous devons nous inspirer et qu’il vaut développer. Dans ce domaine, il faudra faire preuve de créativité pour coucher nos idées en termes juridiques, des idées qui doivent respecter la grande variété de règles formelles et informelles en vigueur dans le monde pour protéger les biens communs.

5. Sans oublier, finalement, que si votre curiosité vous pousse à vous intéresser aux biens communs, vous découvrez de nouvelles choses étonnantes. Vous êtes liés à des centaines de communautés dynamiques. Vous entrapercevez une sagesse que vous ne soupçonniez pas, vous apprenez à encourager des projets et vous multipliez vos réseaux. C’est très motivant.

Connaissiez-vous l’existence du projet OpenCola ? Saviez-vous que le plus grand lac de Nouvelle Zélande, le lac Taupo, est rempli de truites ? Dans la région très touristique de Taupo, les ressources sont sous pression, mais la population de truite est toujours dynamique dans le lac car les néo-zélandais suivent un règle simple : pêchez juste ce qui vous est nécessaire pour manger (il vous faut un permis de pêche délivré par les autorités locales), n’en tirez pas profit.

Et donc, aucun restaurant de la région ne propose de truite au menu. Souvenez-vous : les biens communs ne sont pas à vendre. Et que savez-vous de la biologie libre et de la médecine participatoire ? Avez-vous entendu parler de ces innombrables banques de graines, essentiellement dans les pays du sud, et du trésor inestimable qu’elles protègent pour nous ? Et savez vous les progrès qu’a réalisé le mouvement international de promotion de l’accès libre aux ressources scolaires, ce mouvement qui vise à garantir l’accès libre à ce qui a été financé publiquement, la production du savoir ?

Avez-vous entendu parler des jardins interculturels et communautaires ou du régime des biens communs privilégiés par les pêcheurs de homards du Maine (USA) pour éviter la sur-exploitation des homards ? Et que pensez-vous des communs de crise, ces groupes où des centaines de volontaires mobilisent leurs savoirs-faire pour collecter des informations grâce aux technologies modernes pour venir en aide aux victimes de catastrophes naturelles, comme après le tremblement de terre à Haïti ?

Les biens communs insufflent une nouvelle vigueur aux débats politiques. Les jeunes citoyens deviennent attentifs lorsqu’on leur parle de production pair-à-pair, car c’est ce qu’ils font. Les écolos deviennent attentifs quand on leur parle du principe des copylefts et de la reproduction virale des logiciels et du contenu.

Ils comprennent que « toutes ces licences compliquées » défendent notre liberté d’accéder au savoir et aux techniques culturelles. C’est exactement ce pour quoi ils se battent dans leur domaine.

Les technophiles sont enthousiaste de pouvoir mettre leurs incroyables capacités à contribution pour gérer des systèmes complexes de ressources naturelles. En d’autres termes, les biens communs élargissent les horizons, ils apportent un vent nouveau de pensée collective, une pensée dynamique, non-dogmatique mise en œuvre de façon innovante.

Les communs sont un nouveau concept, puissant, autonome et auto-suffisant pour constamment redonner à la vie toute sa dignité. Ils sont l’élément indispensable pour construire un mouvement divers et irrésistible à partir d’une pensée politiquement et conceptuellement cohérente.

Porto Alegre – Janvier 2010

Mise à jour du 10 mars : Une nouvelle version 2.0 sera bientôt publiée. Merci à tous pour vos précieux commentaires.

Notes

[1] Crédit photo : Peasap (Creative Commons By)




Affaire INPI : Tous à l’abordage de l’exposition « Contrefaçon » le 4 mai !

Joseph Sardin - CC bySi tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi.

Suite à ce que l’on peut désormais appeler « l’affaire INPI », une invitation est lancée à se rendre nombreux le mardi 4 mai à 18h à La Cité des Sciences et de l’Industrie devant l’exposition incriminée pour informer les visiteurs que le Libre existe et aurait au moins mérité cette petite place injustement refusée.

La semaine qui vient de s’écouler fut marquée par une superbe illustration du principe selon lequel la censure s’avère toujours contre-productive pour le censeur, puisque l’action de ce dernier sur un message particulier attire inévitablement l’attention du public sur ce qu’il voulait cacher[1].

Ainsi, la décision de l’Institut National de la Propriété Industrielle d’exclure, à la dernière minute, toute mention de logiciels et de licences libres de l’exposition « Contrefaçon » (présentée du 20 avril au 13 février prochain à la Cité des Sciences et de l’Industrie) a choqué un large public, sûrement aiguisé sur la question par des années de frasques législatives (DADVSI, HADOPI I&II) tentant justement de définir les limites de la contrefaçon à l’ère du numérique. Et le cri d’alarme lancé par Isabelle Vodjdani (membre de Copyleft Attitude et auteur du texte censuré) il y a un peu plus d’une semaine s’est donc répandu sur le web comme une tache d’huile, grâce aux efforts conjugués de toutes les consciences qui animent les associations du libre, les blogs indépendants, la presse en-ligne…

Le texte, originalement posté sur Transactiv.exe fut presque immédiatement repris par une vague d’associations du libre parmi lesquelles Ubuntu-fr, Framasoft LinuxFR ainsi que les journaux en-ligne les plus réactifs : Rue89, PCINpact… Dès le lendemain, les réactions se multipliaient tous azimuts, et le texte, sous licence libre, se trouvait repris commenté et analysé sur les sites web d’associations telles que PULLCO le LUG Corézien ou Fansub-streaming dont l’activité pose d’intéressantes questions sur le droit d’auteur et la contrefaçon (ce n’est pas une contrefaçon de sous-titrer une animation japonaise en français tant que l’éditeur ne commercialise pas l’œuvre en France, ça le devient ensuite, presque rétro-activement…). Enfin, l’April réagissait en adressant une lettre ouverte à Claudie Haigneré, présidente de la Cité des Sciences et de l’Industrie dans le but d’obtenir un rendez-vous.

Edit 3 mai : L’April a publié le compte-rendu de son entretien avec Claudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l’industrie, le lendemain de la publication originale de cet article. L’association annonce, en fin de communiqué, qu’elle se joindra à l’opération.

Tangui Morlier (président de l’April, fondateur de StopDRM) réagit encore, à titre personnel le jour suivant, en lançant le site www.bonjourcensure.fr avec la participation d’Isabelle Vodjdani. Ce site, simple mais efficace, offre un espace pour laisser s’exprimer en image la créativité du libre sur le sujet.

Face aux critiques, il est à noter que la CSI et l’INPI publièrent rapidement un communiqué de presse dans le but de justifier leur décision de ne pas présenter d’alternative au modèle dogmatique de la propriété intellectuelle telle que défendue par l’INPI ou la SACEM, à base de gentils consommateurs et de méchants pirates.

En substance, dans leur communiqué ils se défendent des mauvaises intentions qu’on leur prête pour avoir supprimé cette partie de l’exposition, étant eux-mêmes utilisateurs de logiciels libres et donc forcément favorables au phénomène. Mais exploiter simplement ces outils concurrentiels ne dénote en rien d’un a priori vis-à-vis de leur modèle, et d’a priori ne voulons point ! Les licences libres existent et sont largement répandues, pourquoi éviter le sujet ?

L’INPI arguait alors de ne pas vouloir semer le trouble dans l’esprit des visiteurs, entre contrefaçon et logiciel libre, afin d’éviter une association négative. En dehors de la condescendance de l’argument, on peut se demander si ce ne serait justement pas le principal intérêt de cette exposition, que d’amener les visiteurs à réfléchir et se poser de fécondes questions comme le remarquait aKa dans les commentaires du billet Framablog.

D’ailleurs, pour une exposition se voulant sans ambiguïté et « tout public », on peut s’interroger sur le choix du visuel de l’affiche, présentant un remix du célèbre pavillon de Jack Rackham (dit « Le Rouge » …) dont le crâne a été remplacé par le terme « Contrefaçon ». Le lien entre les contrefacteurs dénoncés par l’exposition et les renégats des siècles derniers se livrant à des actes de flibusterie me semble pour le moins trouble…

Aujourd’hui on retrouve ces exactions marines au large de la Somalie et ce pavillon noir sur la flotte des Sea Shepherd poursuivant une noble cause. Mais rien à voir, en tout cas, avec les honnêtes citoyens qui s’échangent de la culture aux limites numériques encore floues du droit d’auteur qui fait vivre des organismes de contrôle tels que l’INPI ou la SACEM.

Toujours est-il que cette réponse, faisant couler beaucoup d’encre, a visiblement contribué à attiser les résistances. Aujourd’hui la presse continue à se faire l’écho du phénomène comme on peut le voir dans LeMagIT, LePoint ou ZDNet, et les analyses fleurissent sur les blogs comme ce billet du « dernier des blogs » ou cet intéressant travail de synthèse réalisé par Frédéric Couchet.

Toutefois, si le message d’Isabelle Vodjdani a survécu à sa censure grâce à une publication sous licence libre et un web réactif, il reste un manque béant d’information au sein de l’exposition !

Si l’April, qui rencontrera prochainement la présidente de la Cité des Sciences aura une opportunité de demander l’intégration du texte à l’exposition comme prévu, voire un espace supplémentaire pour détailler les évènements qui ont conduit cette intégration tardive, il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle rien n’est fait pour informer le public lors des dix mois à venir de l’existence d’œuvres libres dont la copie et le partage n’engendrent pas de contrefaçon.

C’est pourquoi une réaction s’est organisée sur le forum et le canal IRC de Framasoft depuis le précédent billet. Comme nous y encourage Richard M. Stallman, les défenseurs du libre viendront à la rencontre du public de l’exposition lors de son inauguration officielle le mardi 4 mai à partir de 18h, comme détaillé ici.

Lors de cet évènement à but pédagogique (c’est un terme qui fait peur depuis HADOPI…) des FramaDVD seront distribués aux visiteurs pour donner corps à l’existence des licences libres, des logiciels libres, des livres libres, de la musique libre, des photos libres, des films libres…

Venez nombreux !

Notes

[1] Crédit photo : Joseph Sardin (Creative Commons By)




Quand la Maison Blanche se joint à la communauté du Libre

Beverly & Pack - CC byLa vaste communauté Drupal compte un contributeur bien particulier puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la Maison Blanche.

C’était déjà bien d’adopter le célèbre CMS libre pour faire tourner le site officiel (ce que nous avions signalé dans un précédent billet), mais c’est encore mieux de participer à son amélioration en reversant le code spécifique développé pour l’occasion, et en le faisant savoir sur son blog (traduit ci-dessous)[1].

Un billet et une traduction directement suggérés par ce journal LinuxFr de Francois G (auteur de la rafraichissante nouvelle de science-fiction Églantine et les ouinedoziens) dont la présentation se suffit à elle-même :

« Le site de la Maison Blanche vient de diffuser le code source des améliorations qu’ils ont apportés au projet Drupal (à noter tous les liens vers le site du projet Drupal dans le billet).

Les 3 bonnes nouvelles :

  • La Maison Blanche a compris qu’elle peut être maître de ses outils informatiques.
  • Elle en profite (modifications spécifiques) et en fait profiter les autres (diffusion à tous).
  • Elle communique sur cette action. De ce fait, elle annonce officiellement son support et son utilisation des logiciels libres.

Compte tenu de la volonté de l’Élysée de copier la Maison Blanche, on peut espérer un changement de politique chez nous. »

WhiteHouse.gov participe à l’Open Source

WhiteHouse.gov Releases Open Source Code

Dave Cole – 21 avril 2010 – The White House Blog
(Traduction Framalang : Quentin Theuret et Julien Reitzel)

Dans le cadre de nos efforts continus pour développer une plateforme ouverte pour WhiteHouse.gov, nous mettons à disposition de tous une partie du code source personnalisé que nous avons développé. Ce code est disponible à tous pour l’analyser, l’utiliser ou le modifier. Nous sommes impatients de voir comment des développeurs à travers le monde pourront utiliser notre travail dans leurs propres applications.

En reversant une partie de notre code source, nous bénéficions de l’analyse et de l’amélioration d’un plus grand nombre de personnes. En fait, la majorité du code source de WhitHouse.gov est dès à présent open source car il fait partie du projet Drupal. Le code source que nous relâchons aujourd’hui ajoute des fonctionnalités à Drupal dans trois domaines importants :

1. Évolutivité : Nous publions un module nommé Context HTTP Headers, qui permet aux webmasters d’ajouter de nouvelles métadonnées au contenu qu’ils publient. Nous utilisons cela pour nos serveurs qui manipulent des pages spécifiques, comme la mise en cache de ce type de page pendant 15 minutes ou ce type pendant 30. Un second module concernant l’évolutivité s’appelle Akamai et il permet à notre site web de s’intégrer avec notre réseau d’envoi de contenu Akamai.

2. Communication : Beaucoup d’agences gouvernementales ont des programmes actifs d’emails qu’ils utilisent pour communiquer avec le public à travers des services qu’ils fournissent. Nous avons une liste de diffusion pour la Maison Blanche, où vous pouvez trouver les mises à jour des nouveaux contenus et des initiatives. Pour rendre plus dynamique l’adaptation des emails aux préférences des utilisateurs, nous avons intégré l’un des services les plus populaires pour les programmes d’emails gouvernementaux dans notre CMS avec le nouveau module GoDelivery.

3. Accessibilité : Nous prenons très au sérieux nos obligations pour être sûrs que WhiteHouse.gov soit accessible le plus possible et nous nous sommes engagés à tendre vers les standards d’accessibilité décrits par la Section 508. Dans le cadre de cette conformité, nous voulons être sûrs que toutes les images sur notre site Web aient des métadonnées appropriées pour les rendre visibles sur des logiciels de lecture vocale. Pour nous aider à atteindre cela, pour que ce soit plus facile de gérer les contenus photos et vidéos que vous voyez sur notre site, nous avons développé Node Embed.

Notes

[1] Crédit photo : Beverly & Pack (Creative Commons By)




Scandaleux : l’INPI censure le Libre d’une exposition qui se révèle alors propagande !

Lucas Jans - CC by-saC’est une mésaventure ô combien révélatrice de notre époque trouble et troublée qui est arrivée à Isabelle Vodjdani.

Aujourd’hui s’est en effet ouverte l’exposition « Contrefaçon, la vraie expo qui parle du faux », à la Cité des sciences et de l’industrie à La Villette (Paris).

Le Libre devait y être très modestement présent par un simple article rédigé par Isabelle Vodjdani.

Il n’en sera rien car à quatre jours de l’inauguration on lui a fait savoir que l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), co-organisatrice de l’évènement, refusait son texte. L’explication a le mérite de la clarté : « L’INPI est farouchement opposé à ce que l’exposition donne la parole aux défenseurs du "libre" ».

« D’entrée de jeu, le visiteur est poussé à s’interroger : à qui profite le faux ? Qui est lésé, qui est abusé ? Sommes-nous victimes ou complices ? », nous dit la dépêche AFP dédiée à la manifestation « citoyenne », qui n’évoque évidemment pas l’épisode.

Mais au delà de l’INPI, à qui profite une telle censure ? Qui a intérêt à ce que le grand public ignore que l’on puisse s’adresser à lui autrement qu’en consommateur stimulé par le markting ,en s’extirpant de la dichotomie artificiellement entrenue « monde marchand / contrefaçon de ce même monde marchand » ? Qui a intérêt à taire que d’autres mondes soient possibles ?[1]

Il ne faut pas se méprendre, en censurant ainsi le Libre, l’exposition prend une tournure politique et se fait propagande.

Les masquent tombent et on ne lit alors qu’une seule chose sur les visages : la peur.

PS : Pourquoi ne pas se mobiliser et organiser une petite manifestation de protestation devant l’entrée de l’exposition, avec distribution de tracts et de contenus sous licence libre ?

"Contrefaçon" : La Cité des Sciences censure le Libre à la demande de l’INPI

URL d’origine du document

Isabelle Vodjdani – 20 avril 2010 – Transactive.exe

"La vraie expo qui parle du faux" se soucie peu de parler vrai.

Résumé : Une exposition aux intentions pédagogiques sur la Propriété Intellectuelle, décrit toutes les formes de contrefaçon mais censure les informations se rapportant aux pratiques licites du Libre et de l’Open-Source. Si on avait voulu faire l’apologie des pratiques illicites on ne s’y serait pas mieux pris !

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, j’ai la fausse joie de vous annoncer l’ouverture d’une exposition aux prétentions pédagogiques sur la Propriété Intellectuelle dont le seul volet consacré à la présentation du Libre, un texte concis enregistré par votre serviteur, a été censuré à la demande de l’INPI, principal partenaire de l’exposition.

« CONTREFAÇON, la vraie expo qui parle du faux » commence le 20 avril à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette et court jusqu’en février 2011[2]. Comme son sous titre accrocheur l’indique, vous y verrez fausse monnaie, fausses marques, faux médicaments, fausses montres,… et dans la foulée, le faux nez de la vraie musique téléchargée illégalement par quelques adolescents dont on se propose de corriger l’égarement à coup de questionnaires faussement ludiques et de sorties scolaires faussement récréatives[3]. Copier c’est mal, voilà tout le message de ce déballage qui décrit les multiples formes de la contrefaçon avec la verve qu’en d’autres temps, des enlumineurs auraient employée pour dépeindre les sept péchés capitaux en motifs grotesques.

Hélas, à côté de ce tableau des pratiques illicites, il ne faut pas s’attendre à trouver beaucoup de nuances dans la définition de ce qui est au contraire licite en matière de propriété intellectuelle. En effet, le domaine du Libre est totalement exclu du corpus de l’exposition. Et quand je dis exclu, il ne s’agit pas d’omission ou d’ignorance, mais bien de censure.

Initialement, les commissaires de l’exposition avaient prévu de consacrer un modeste volet à la présentation du Libre ; cela leur paraissait incontournable et c’est bien la moindre des choses. Dans cette optique, j’avais été contactée en septembre 2009 par une des commissaires adjointes qui me demandait de rédiger un texte concis définissant le Libre, ses enjeux et ses perspectives. Le texte devait être diffusé dans une petite zone de l’exposition équipée de bornes audio avec la version écrite affichée à proximité.

Mais le 16 avril 2010, quatre jours avant l’ouverture de l’exposition, j’ai reçu un mail de la commissaire en chef m’informant que mon texte ne pourra pas être diffusé : « notre partenaire principal, l’INPI, est farouchement opposé à ce que l’exposition donne la parole aux défenseurs du "libre". Nous avons essayé de discuter et d’argumenter avec eux mais l’INPI reste intransigeant sur sa position. Nous sommes donc obligés, avec grand regret, de ne pas présenter votre parole que vous aviez, aimablement, accepté de rédiger et d’enregistrer. ». Quelques minutes plus tard, je recevais un mail d’excuses de la commissaire adjointe, sincèrement désolée. En pièce jointe, elle me restituait mon texte, enrichi des traductions réalisées par son équipe. Je l’en remercie, car ces traductions sont bien le seul avantage que j’aurai tiré de cette affaire.

Qu’un établissement public cède aux desiderata de ses partenaires financiers et renonce à sa liberté de parole est en soi scandaleux[4]. Mais prétendre informer le public sur la question de la Propriété Intellectuelle sans jamais évoquer le modèle du Libre, pourtant en plein développement, est tout simplement malhonnête et relève d’une entreprise de désinformation. Comment peut-on faire semblant de ne pas voir la montagne Wikipedia et l’Himalaya des logiciels libres qui font désormais partie de notre environnement de travail quotidien parmi tant d’autres bourgeons du Libre ? Ne sont-ils pas des exemples éclatants de la réussite d’un régime de propriété intellectuelle qui garantit la liberté de copier, de modifier et de diffuser des œuvres selon un cadre contractuel parfaitement légal ?

Pour moi, ce petit texte est un élément de vulgarisation parmi d’autres et je n’en aurais sans doute pas fait état sans cet acte de censure. Il est d’ailleurs fort probable qu’il serait passé quasiment inaperçu si les choses s’étaient passées comme prévu par les commissaires de l’exposition : qui donc, au détour du fastidieux parcours énumérant les cas de contrefaçon dûment constatés, chiffrés et illustrés, aurait encore le courage de se planter devant une borne audio pour entendre une autre voix ? L’intransigeance de l’INPI qui prive les commissaires de la satisfaction, même illusoire, d’avoir honnêtement couvert le sujet en réservant une portion congrue à la présentation du Libre, est tout à fait étonnant. Pourquoi l’INPI a pris le risque de se ridiculiser en censurant un texte promis aux oubliettes ? Il faut croire que cette voix, aussi discrète soit-elle, dérange encore trop. Elle dérange parce qu’elle n’appartient pas au monde binaire que tentent de nous décrire les lobbys des ayant droit. Cette voix parle à la grande catégorie des amateurs et bricoleurs qui ne se reconnaissent ni dans la figure du faussaire ni dans le masque de l’Auteur floué derrière lequel se cachent les ayant droit[5]. Pour le coup, ce texte que je trouvais quelque peu effacé à cause de l’exercice de concision auquel j’étais astreinte, prend de l’importance. Aussi, je le publie ci-après, et vous invite à copier, diffuser, commenter ou augmenter tout ou partie de cet article en faisant bon usage des dispositions de la Licence Art Libre.

Le libre, un phénomène en expansion

Dans le cadre du droit d’auteur qui protège les créations littéraires et artistiques, un nombre croissant d’auteurs choisissent de mettre leurs œuvres à la disposition du public avec un type de contrats bien spécifiques qu’on appelle des licences libres. Ces licences autorisent quiconque à diffuser des copies de l’œuvre. Elles l’autorisent également à publier sous sa propre responsabilité d’auteur des versions modifiées de l’œuvre. Ces autorisations sont assorties de deux conditions :

  • Premièrement, il faut mentionner l’auteur de l’œuvre initiale et donner accès à ses sources
  • Deuxièmement, les copies ou versions modifiées de l’œuvre doivent être publiées avec les mêmes autorisations.

Les œuvres libres sont nécessairement divulguées avec une licence qui garantit ces conditions. Parmi ces licences, on peut citer la GNU GPL, pour les logiciels, et la Licence Art Libre, pour les œuvres culturelles. Le domaine des œuvres libres n’est donc ni une zone de non droit ni assimilable au gratuit. D’ailleurs les anglo-saxons associent le mot français « libre » au mot « free » pour écarter toute confusion, car il y a des œuvres gratuites qui ne sont pas du tout libres, et il y a des œuvres libres payantes.

On parle aussi du « monde du libre » pour désigner l’ensemble des acteurs qui participent à la promotion et au développement du domaine du libre. Ce mouvement s’inspire des usages qui régissent la circulation des connaissances dans les milieux académiques. Mais depuis 1983, ce sont les développeurs de logiciels qui sont à l’avant-garde de ce mouvement et de sa formalisation juridique, car dans ce secteur d’activité la nécessité d’innovation est constante et les utilisateurs ont tout intérêt à mettre la main à l’ouvrage pour améliorer les défauts d’un logiciel ou l’adapter à leurs besoins. Ainsi, ils deviennent à leur tour auteurs.

Ce modèle de développement correspond aux aspirations d’une société démocratique composée de citoyens qui apportent une contribution constructive à la vie publique et ne se contentent pas d’être seulement gouvernés. L’intérêt que suscite le Libre est donc d’abord d’ordre politique. Cet intérêt est exacerbé par le fait que les législations de plus en plus restrictives sur le droit d’auteur évoluent à contresens de l’intérêt du public et deviennent des freins pour la création. Dans ce contexte, les licences libres apparaissent comme une issue légale et pragmatique pour constituer un domaine dans lequel les obstacles à la diffusion et à la réutilisation créative des œuvres sont levés.

Dans le domaine de la création artistique et de la publication scientifique, le modèle du libre correspond aussi à une réalité sociale. C’est l’émergence d’une société d’amateurs qui, à la faveur d’un meilleur accès à l’éducation, au temps libre, aux moyens de production et de communication, s’invitent sur la scène en bousculant parfois les positions établies. Ces amateurs sont les vecteurs, les acteurs et les transformateurs de la culture, ils en sont le corps vivant ; sans eux les œuvres resteraient « lettre morte ».

Depuis le 19ème siècle, avec la création des musées et la naissance du droit d’auteur, notre culture a privilégié les moyens de la conservation pour assurer la pérennité des œuvres. Aujourd’hui, les supports numériques et internet sont en train de devenir les principaux moyens de diffusion des œuvres. Certes, internet est un puissant moyen de communication, mais il n’a pas encore fait ses preuves en tant que moyen de conservation. Ce qui se profile avec le modèle du libre, c’est que parallèlement aux efforts de conservation dont le principe n’est pas remis en cause, une autre forme de pérennisation retrouve sa place dans notre culture ; il s’agit de la transmission, qui fonde aussi la tradition. Or, l’acte de transmission passe par un processus d’appropriation (on ne peut transmettre que ce qu’on a déjà acquis ou assimilé), et cela implique des transformations qui font évoluer les œuvres. C’est la condition d’une culture vivante, une culture portée par des acteurs plutôt que supportée par des sujets.

Copyleft : Isabelle Vodjdani, 20 avril 2010, ce texte est libre, vous pouvez le copier, le diffuser et le modifier selon les termes de la Licence Art Libre http://www.artlibre.org.

Notes

[1] Crédit photo : Lucas Jans (Creative Commons By-Sa)

[2] « CONTREFAÇON, la vraie expo qui parle du faux », Cité des Sciences et de l’Industrie, Parc de la Villette, Paris, du 20 avril 2010 au 13 février 2011.

[3] Depuis plusieurs années des études sur l’impact du piratage sur le marché de la musique apportent régulièrement un démenti aux affirmations des lobbys de la répression du téléchargement. Dans la dernière en date, Le GAO affirme que les chiffres du piratage sont contrefaits (ReadWriteWeb, 19 avril 2010)

[4] Précisons que L’INPI est également un établissement public, mais autofinancé et relevant de la tutelle du ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, tandis que la Cité des Sciences et de l’Industrie est sous la tutelle du ministère de la Culture.

[5] Comme on le sait, la figure de l’auteur floué par les petits "pirates" est le masque dont se parent les ayants doits qui, pour rester dans l’ordre des métaphores de la marine, se comportent en véritables "requins". Pour ne citer qu’un seul exemple, voir l’article du Point en date du 10 avril 2010 : Comment la Sacem se goinfre….