Point de réseau social sérieux sans lolcats !

Framasoft harcèle (et parfois excède) ses followers Twitter actuellement avec ses « lolcats de soutien » (, , , , , , , , , ou encore ), ce qui ne nous empêche de nous penser sérieux et appliqués dans notre démarche de promotion et diffusion du Libre.

L’idée générale de la traduction ci-dessous c’est que si vous voulez créer un véritable réseau social au sein de votre structure alors il vous faudra aussi accepter ce qui n’a rien à voir avec votre structure. C’est le coté social du réseau social et il est beaucoup moins futile qu’on peut à priori le penser car c’est souvent un préalable à une bonne ambiance d’où pourront émerger des choses bien pertinentes pour votre structure.

Michellelevine - CC by-sa

Si vous voulez une culture vraiment collaborative, vous devez aussi accepter les LOLCats

If you want a culture of collaboration, you need to accept the LOLCats too

Steve Radick – 11 janvier 2012 – OpenSource.com
(Traduction : KoS, Maïeul, @ali0une, greygjhart)

Même lorsque la presse était sacrée, nous avons eu des romans érotiques 150 ans avant d’avoir des journaux scientifiques
Clay Shirky (Conférence TED Cannes juin 2010)

C’est une de mes citations favorites de l’une de mes personnalités favorites d’Internet, Clay Shirky. Je l’aime particulièrement parcequ’elle illustre selon moi l’époque où certaines organisations se trouvent en essayant d’intégrer les médias sociaux en leur sein.

Avant que les wikis ne soient utilisés par les communautés de coopération scientifique, les personnes s’y inscrivaient pour désigner leur équipe de foot favorite. Avant que l’intranet de ma propre entreprise ne remporte un prix, nous avions des personnes qui nous expliquaient comment elles étaient heureuse de se montrer (presque) nues sur leurs profils. Avant que nos dirigeants commencent à utiliser Yammer pour communiquer avec la base, des groupes de fanas d’Android ou de fitness s’étaient déjà constitués. Je vous parle de cela parce que si vous décidez un jour d’intégrer un média social interne à votre organisation, vous devrez préparer vous-même, vos collègues, vos patrons, votre haute direction à cette vérité inexorable.

Si vous paniquez en voyant tout ça sur votre intranet, vous n’êtes probablement pas prêt pour un intranet social.

Si vous voulez créer une culture dynamique de collaboration, vous devez accepter les photos de LOLCats, les sujets parlant de foot, les débats sans fin sur Apple et Andoid, et même les critiques sur la politique de l’entreprise.

Acceptez et intégrez ce fait maintenant et vos communautés auront de bien meilleurs chances de succès. Ou, continuez à penser que de telles choses sont une perte de temps et ne sont pas professionnelles, et soyez prêt à payer beaucoup d’argent pour un système que personne n’utilise à moins d’être forcé à le faire (et ils l’utiliseront alors mal).

Malheureusement, « social » à l’air d’être devenu un gros mot en entreprise, associé à l’image d’employés perdant leur temps sur Facebook, parlant à leur petit ami au téléphone, ou prenant une pause déjeuner de trois heures. Acceptons d’arrêter d’essayer d’enlever le social d’un réseau social. Les interactions sociales ne doivent pas seulement être acceptées, elles doivent même être encouragées et récompensées. Shirky explique pourquoi dans cette conférence TED (à partir de 5 minutes 33 secondes).

Shirky explique :

Le fossé est entre faire quelque chose et ne rien faire. Et quelqu’un qui fait des LOLcat a déjà franchi ce fossé. Oui, il est tentant de vouloir obtenir des projets aussi noble que Ushahidi sans les LOLCats, d’avoir les choses sérieuses sans les choses futiles. Mais l’abondance de médias ne marche pas comme ça. La liberté d’expérimenter, c’est aussi voire surtout la liberté d’experimenter n’importe quoi.

Il y a cette tendance de la part des dirigeants à vouloir supprimer (voire sanctionner) les blogs qui évoqueraient des solutions de contournement de la politique d’entreprise et les pages wiki détaillant les meilleurs restaurants pour déjeuner. Ils veulent aller droit au but qui serait la co-création de méthodologies avec des équipes inter-fonctionnelles et des initiatives de crowdsourcing qui font économiser des millions de dollars !

Ça ne fonctionne pas pas comme ça. Les communautés collaboratives ne commencent pas à innover juste parce que vous mettez en place un site web et envoyez un mémo. Souvenons-nous que les nouvelles érotiques sont apparues bien avant les journaux scientifiques. Il y aura donc des LOLCats avant des Ushahidi. Vous devez accepter le fait que vos employés parleront de sport et de vacances avant d’être prêts à utiliser l’outil pour procéder à un « vrai » travail.

C’est intuitivement du bon sens. N’est-il pas plus facile de publier votre bon plan du midi plutôt que d’envoyer ce rapport sur lequel vous travaillez depuis trois semaines ? Si quelqu’un n’apprécie pas votre restaurant préféré, quelle importance ? En revanche si quelqu’un critique le rapport que vous avez passé des semaines à écrire, c’est un peu plus intimidant. Une fois que vous avez franchi ce seuil, ce seuil entre ne rien faire et faire quelque chose, c’est plus facile alors de monter les marches. Une fois la glace rompue avec la mention de votre passion pour la gastronomie chinoise, il vous sera soudainement plus facile de participer à la conversation sur tel projet important de votre entreprise. Peut-être même que vous accepterez d’envoyer une partie coriace du rapport en demandant aide et éclaircissement aux autres. Sous cet angle, même les publications les plus stupides et les conversations les plus insignifiantes ont de la valeur, parce qu’elle n’engage qu’un risque mineur pour les gens à se jeter à l’eau et faire le premier pas.

Cela peut prendre du temps pour que les employés se sentent vraiment à l’aise avec l’utilisation des réseaux sociaux au travail. En lui laissant ainsi la possibilité de s’épanouir et d’apprendre ensemble à son propre rythme, votre communauté supportera bien mieux les changements d’échelle et durera bien plus longtemps.

Alors acceptez les LOLCats, les délires footballistiques, les discussions sur la bouffe, et les avatars personnalisés : au moins vos employés créeront et partageront quelque chose avec quelqu’un d’autre. Parce que ce qui viendra après ces stupides discussions mènera à du lien, des relations, des questions, des réponses, et finalement, à des innovations très créatives, à des produits et des solutions qui vous feront économiser du temps et (beaucoup) d’argent. Et vous serez récompensés pour avoir participé à rendre votre entreprise humaine et chaleureuse.

Crédit photo : Michellelevine (Creative Commons By-Sa)




« Chanter sans autorisation » : introduction aux enjeux du libre

Woody Guthrie (Commons PD)This Machine Kills Fascists…

Quand, dans le Monde diplomatique il est question du numérique en général et du Libre en particulier il y a de bonnes chances pour que l’article soit signé Philippe Rivière (alias Fil) et ce depuis près de quatorze ans.

Il faut dire qu’être l’un des papas de SPIP lui donne une certaine expérience, pour ne pas dire une expérience certaine.

Il a publié en juillet dernier, dans le magazine culturel en ligne Rictus.info, un papier qui synthétise bien la situation et que nous aimerions plus encore faire connaître, d’où cette reproduction.

« Il faut inventer un autre modèle, et pour cela, personne ne sait encore s’il faudra casser l’ancien, ou s’il saura s’adapter. »

« Chanter sans autorisation » : introduction aux enjeux du libre

URL d’origine du document (Rictus.info)

Philippe Rivière – juillet 2012 – Licence Creative Commons By-Sa

À l’occasion des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, nous avons demandé à Philippe Rivière[1], de nous faire un petit tour d’horizon de la question du logiciel libre. Exposé des forces en présence et des enjeux.

Un peu de musique

Au début des années 1940, sur ses premiers disques, le compositeur américain Woody Guthrie avait fait inscrire la mention suivante sous le titre Copyright Warnings :

« Cette chanson est protégée aux États-Unis sous le sceau du copyright #154085 pour une période de 28 ans, et toute personne prise à la chanter sans autorisation sera mon meilleur ami, car je n’en ai rien à fiche. Publiez-la. Ecrivez-la. Chantez-la. Dansez dessus. Yodelez-la. Je l’ai écrite, c’est tout ce que je voulais faire. »

Aujourd’hui, chaque fois que vous insérez un film dans votre lecteur DVD, vous devez endurer une très longue présentation avec des écrans affreux du style :

« WARNING. La reproduction ou la redistribution non autorisée de cette œuvre copyrightée est illégale. Une violation criminelle de ce copyright, même sans gain monétaire, sera suivie d’une enquête du FBI et est punissable d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans dans une prison fédérale, et d’une amende de 250 000 dollars »

Drôle de manière de vous remercier d’avoir acheté le DVD.

Dans l’informatique, c’est la même chose : les auteurs de logiciels ont deux possibilités pour s’adresser à leur public — c’est-à-dire les utilisateurs ; soit ils leur font signer une clause légale expliquant qu’il faut faire très attention à d’utiliser le logiciel comme il convient, si on veut avoir quelques chances de ne pas aller en prison. Soit ils leur disent : que toute personne prise à jouer avec ce logiciel comme elle l’entend sera mon meilleur ami !

Dans le premier cas, on parle de logiciel propriétaire (ou privateur), dans le second, de logiciel libre.

Logiciel capturé

Le logiciel n’est pas né en cage. Les premiers programmes étaient comme des formules de maths ou des recettes de cuisine : en dollars, ils ne valaient rien, puisqu’on les donnait avec la machine — qui, elle, coûtait très cher.

Comme l’écrit Lawrence Lessig, un juriste américain spécialisé dans le droit d’auteur :

« Vous ne pouviez pas faire tourner un programme écrit pour une machine Data General sur une machine IBM, donc Data General et IBM ne se préoccupaient pas de contrôler leur logiciel. »

Mais bien évidemment leur valeur était énorme, puisque sans programmes, l’ordinateur se limitait à allumer un C> clignotant sur un écran noir… Ce qu’un certain Bill Gates avait bien compris, c’est que le contrôle du logiciel permet de mettre la main sur l’ensemble du dispositif : IBM, la gigantesque firme américaine, ne l’avait pas compris. Elle voulait vendre des ordinateurs personnels, et se fichait bien de savoir ce qui fonctionnerait dessus : pressée d’arriver sur le marché, elle y a installé MS-DOS, un logiciel fourni par le jeune Bill Gates… on sait ce qu’il est advenu de ce choix : Microsoft, l’éditeur de MS-DOS, est rapidement devenu le plus gros éditeur de logiciels, et continue aujourd’hui à prélever une rente énorme sur l’ensemble des usages de l’informatique.

Free Software Foundation et licence GPL

De son côté, un certain Richard Stallman, chercheur au MIT, à Boston, s’était habitué, comme tous les informaticiens des années 1970, à bidouiller les programmes qui se trouvaient sur ses machines, pour les améliorer ou les adapter à la configuration de son matériel. Ça faisait partie de la normalité dans l’informatique, et encore plus dans le monde universitaire ; il aimait le sens de la communauté qui se développait autour de la programmation. Des échanges d’astuces, des concours pour être le premier à trouver une solution, etc.

Mais un jour, il s’aperçut que le code du logiciel pilote d’une imprimante n’était pas livré avec la machine, et qu’il ne pouvait donc pas le modifier — seulement le faire tourner, sans savoir ce qui était programmé exactement. S’il y avait un bug, il fallait contacter l’éditeur pour signaler le problème, et attendre une hypothétique nouvelle version… qui viendrait sans doute plus tard, et qu’il faudrait, en plus, à nouveau payer. On était au début des années 1980. Ce genre de choses commençait à se répandre, et Stallman comprit que les logiciels, qui étaient nés libres, ne le resteraient pas si personne ne les défendait. Il faudrait les protéger, sur le plan légal ; et les structurer d’une manière efficace. Il décida d’en faire son combat.

En 1984, Stallman démissionna du MIT (pour ne pas avoir de liens hiérarchiques qui pourraient lui coûter son indépendance), et fonda le projet GNU, puis la Free Software Foundation. D’un côté, un projet technique, consistant à fabriquer un système d’exploitation totalement libre — c’est-à-dire sans aucun composant propriétaire. De l’autre, une fondation dédiée à la protection du logiciel libre.

Il écrivit de nombreux logiciels (le plus connu est peut-être l’éditeur de texte Emacs). Et en parallèle, fit un travail juridique qui aboutit à la Licence publique générale GNU, la « GPL ». Elle est nettement moins « fun » que la licence de Woody Guthrie, mais elle garantit à tout utilisateur :

  • le droit d’utiliser le logiciel pour faire ce qu’il veut
  • le droit de lire le code source du logiciel, c’est-à-dire les éléments qui permettent de comprendre ce qu’il fait
  • le droit de modifier ce code source
  • le droit de redistribuer le logiciel ainsi que les versions modifiées.

Pour bénéficier de cela, l’utilisateur s’engage en échange à passer ces mêmes droits aux personnes à qui il le redistribue.

Bien sûr, tout le monde n’a pas forcément envie d’aller modifier le code… mais savoir que quelqu’un peut le faire, c’est avoir une certaine garantie.

Pour une entreprise, par exemple, c’est l’assurance que, si on n’est pas satisfait du prestataire à qui on a demandé de programmer quelque chose, ou s’il disparaît, on pourra légalement aller en voir un autre sans devoir repartir de zéro. C’est important.

Libertés pour l’utilisateur

Pour un particulier, on peut apprécier le fait que les logiciels libres sont souvent gratuits, ou en tous cas moins chers que les logiciels propriétaires. Cela dit, il ne faut pas confondre libre et gratuit ; « free » software, c’est « free » comme « freedom », pas comme « free beer ». Il y a des logiciels gratuits qui ne sont pas libres. Et, vice versa, pour développer un logiciel libre il faut quand même parfois que quelqu’un travaille…

Mais le plus important, pour l’utilisateur, n’est pas dans la gratuité : c’est que l’informatique touche de plus en plus aux libertés quotidiennes. Sur l’ensemble de la planète, à part quelques irréductibles hommes des cavernes, chacun porte en permanence sur soi un mouchard qui signale à tout instant où il se trouve précisément. Ce mouchard, cinq milliards d’humains en sont équipés. Il sert, parfois, à téléphoner…

L’informatique est aussi dans les voitures ; bientôt dans les frigos ; dans les habits, avec les puces RFID ; dans les passeports biométriques ; dans les cartes d’électeur – les machines à voter ! – ; il faut aller sur Internet pour voir les notes de collège de ses enfants ; on parle de numériser toutes les données de santé dans un « dossier médical personnel » accessible sur Internet (certains l’appellent dossier médical « partagé », car il est tout de même difficile à l’heure de WikiLeaks de prétendre qu’on saura empêcher le piratage…).

Discuter, s’informer, créer, partager, faire de la politique… tout ça est en train de s’informatiser, et si on ne contrôle pas collectivement les machines autour desquelles se construit de plus en plus la vie sociale, ce sont les machines qui nous contrôleront … ou plus exactement, ceux qui les programment.

Un seul exemple : vous avez entendu parler de Kindle, le livre électronique vendu par Amazon.com ; c’est génial, vous pouvez acheter et télécharger des dizaines de livres, et les lire sur un petit écran. Un jour donc, en juillet 2009, les commerciaux d’Amazon s’aperçoivent qu’ils ont fait une boulette dans leur offre : ils ont vendu électroniquement un livre pour lequel ils ne disposaient pas des droits de reproduction.

Ni une ni deux, que font-ils ? Ils attendent que les Kindle des clients se connectent, et leur envoient l’instruction d’effacer le livre. De quel livre s’agit-il ? « 1984 », de George Orwell, le livre qui décrit Big Brother et la police de la pensée !

Succès ou échec ?

Je ne vais pas énumérer les succès du logiciel libre : en 1990, un étudiant en informatique de l’université de Helsinki, Linus Torvalds, aimerait bien utiliser chez lui le programme sur lequel il travaille à l’université, un « noyau ». Il repart donc de zéro et crée son propre « noyau », qu’il place sans guère y accorder de réflexion sous la licence GPL. Ce sont les débuts d’Internet dans les facs, et rapidement ce noyau se développe ; comme Stallman avait développé de nombreux morceaux de code de GNU, mais pas encore de noyau, les deux projets cohabitent et donnent naissance à ce qu’on appelle maintenant GNU/Linux.

Les logiciels libres sont partout ; ils font tourner des ordinateurs personnels, et l’essentiel d’Internet. Ils sont dans les labos de recherche, les entreprises, etc.

Et il n’y a pas que la GPL. D’autres licences libres existent, qui permettent parfois plus de souplesse, moins de contrainte pour des utilisateurs qui modifient le code pour l’utiliser dans des projets fermés. Pour des textes ou des photos, on peut préférer des licences comme les Creative Commons. Pour des librairies (morceaux de code qui peuvent servir de fondation à des logiciels plus élaborés), on peut exiger que toute modification de la librairie soit libre, mais sans exigence sur les logiciels élaborés en question. D’autres font des licences plus proches de celle de Woody Guthrie (« je m’en fiche »), comme la licence MIT, ou encore la WTFPL (Do What The Fuck You Want To Public License / licence publique rien à branler).

A l’heure actuelle, les smartphones sont dominés par deux systèmes : Apple iOS et Google Android, qui sont basés sur des logiciels libres. Bien sûr chez Apple, les logiciels ne sont pas du tout libres ; mais ils sont construits sur une fondation totalement libre, NetBSD. Quant à Android, il est tellement bardé de brevets qu’il n’est pas non plus vraiment libre. Mais enfin, il contient beaucoup de logiciels libres.

En termes quantitatifs, on peut parler d’un succès : ce qui était perçu par les médias comme « marginal » est désormais au centre du tissu économique et du développement de l’informatique.

D’après une étude publiée en 2010[2] : Le secteur est estimé à 1,5 milliard d’euros en France, avec un taux de croissance moyen de 17 % (par an). Environ la moitié des directeurs informatiques interrogés lors de l’étude ont déclaré utiliser des logiciels libres et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise.

La guerre contre le libre

Il y a la menace juridique : en ce moment, c’est la guerre des brevets. Google a racheté en août 2011 le fabricant de téléphones portables Motorola pour 12,5 milliards de dollars, dans le but de mettre la main sur 25 000 brevets ! Or on dépose actuellement des brevets sur tout et n’importe quoi, avec des effets très curieux. Des menaces de procès et des bras de fer judiciaires qui aboutissent à des accords entre les grandes sociétés qui possèdent ces portefeuilles de brevets.

Enfin, il y a la menace plus directe de la prise de contrôle de l’ordinateur. Au nom bien entendu de votre sécurité. Par exemple, ce qu’on appelle « l’informatique de confiance », un terme censé nous rassurer, est une stratégie qui interdit à tout logiciel qui n’est pas reconnu et « signé » par une société comme Microsoft, ou Apple, de s’exécuter sur votre machine.

Ou encore, au nom de la protection des droits d’auteurs, la loi HADOPI qui nous impose l’obligation de « sécuriser notre réseau ». Alors que même l’armée américaine n’est pas capable d’empêcher des documents de « fuiter » !

Les iPhone sont eux-mêmes totalement verrouillés et il faut passer exclusivement par le magasin en ligne d’Apple pour modifier le logiciel (même si techniquement il reste possible de « jailbreaker », ce n’est pas autorisé par le constructeur).

Et je passe sur les projets qui se multiplient au nom de la lutte contre le piratage, contre la criminalité ou contre le terrorisme (SOPA, ACTA, HADOPI, LOPPSI, DMCA, etc), sans parler de la surveillance des communications qui se pratique plus ou moins illégalement et de façon massive[3]. Aux États-Unis, l’association des producteurs de musique, la MPAA, demande que ce qui marche en Chine (la « grande muraille électronique » qui permet au pouvoir de surveiller les internautes) soit appliqué à l’ensemble de l’Internet !

Pour la FSF : « Le logiciel libre permet d’avoir le contrôle de la technologie que nous utilisons dans nos maisons, nos écoles, nos entreprises, là où les ordinateurs travaillent à notre service et au service du bien commun, et non pour des entreprises de logiciels propriétaires ou des gouvernements qui pourraient essayer de restreindre nos libertés et de nous surveiller. »

Pour le romancier Cory Doctorow (et excellent blogueur), les États et les entreprises se préparent à une « guerre à venir sur la computation à but général », et « l’ordinateur dont le contrôle complet est accessible à l’utilisateur est perçu comme une menace pour l’ordre établi ».

Biens communs

Et puis il y a la propagande.

Aujourd’hui, les manifestants d’Occupy Wall Street, qui contestent le système capitaliste, sont traités de « terroristes ». Ce qui pourrait permettre à la police de les pister, de placer des mouchards dans leur ordinateur, etc.

Déjà Bill Gates en 2005 voyait des rouges partout :

« Il y a certains communistes d’un genre nouveau, cachés sous différents masques, qui veulent se débarrasser des mesures incitatives dont bénéficient les musiciens, les cinéastes et les créateurs de logiciels. »

J’avoue que je ne suis pas totalement choqué par cette critique. Elle est maligne, car parmi les auteurs de logiciels libres il y a beaucoup de gens qui ne sont pas particulièrement de gauche, et même des « ultra-capitalistes » comme se définit par exemple le leader du Parti pirate suédois, Rickard Falkvinge. Mais en effet, quand on crée du logiciel libre, quand on défend le partage de la culture sur Internet, quand on construit des sites sur le Web, on produit, collectivement, un bien public. Qui appartient à tout le monde, et où chacun va pouvoir venir puiser à sa guise, et utiliser ce que vous avez fait pour faire avancer ses propres projets. Le savoir, la culture sont cumulatifs, nous sommes « des nains sur des épaules de géants »[4].

Au-delà du logiciel libre, il faut réfléchir à l’ensemble des biens communs informationnels : la science, la culture, l’amusement, le logiciel dans tous les domaines… Internet permet de les diffuser, mais comment mobiliser des ressources pour les produire, et comment les défendre ? Certainement pas en les enfermant derrière des murs de paiement, des systèmes de DRM provoquant l’autodestruction des fichiers… Il faut inventer un autre modèle, et pour cela, personne ne sait encore s’il faudra casser l’ancien, ou s’il saura s’adapter.

Crédit photo : Woody Guthrie NYWTS (Wikimedia Commons)

Notes

[1] Co-auteur de SPIP (le logiciel qui sert à publier ce site, mais aussi des milliers d’autres) et journaliste au Monde diplomatique

[2] Étude sur l’impact socio-économique du libre citée dans la presse

[3] Cf. l’article d’Antoine Champagne dans Le Monde diplomatique de janvier 2012

[4] Bernard de Chartres, XIIe siècle




L’iPhone et l’enfant de 13 ans travaillant 16h par jour pour 0,70 dollars de l’heure

Il est possible qu’un enfant chinois de 13 ans, travaillant 16h par jour pour 0,70 dollars de l’heure, se cache dans votre magnifique iPhone ou iPad. Et quand bien même nous ne soyons pas de ce cas extrême, les conditions sociales de tous ceux qui les produisent loin de chez nous demeurent épouvantables à nos yeux[1].

Ainsi va le monde d’aujourd’hui. Apple n’est qu’un exemple parmi tant d’autres mais il en est un bien triste symbole.

Aaron Shumaker - CC by-nd

Votre iPhone a été fabriqué, en partie, par des enfants de 13 ans travaillant 16 heures par jour pour 0,70 dollars de l’heure

Your iPhone Was Built, In Part, By 13 Year-Olds Working 16 Hours A Day For 70 Cents An Hour

Henry Blodget – 15 janvier 2012 – BusinessInsider.com
(Traduction Framalang/Twitter : HgO, goofy, Maïeul, Mogmi, oli44, Gatitac, popcode, Spartition, MaxLath, kadmelia)

Nous aimons nos iPhones et nos iPads.

Nous apprécions les prix de nos iPhones et iPads.

Nous sommes admiratifs des marges de profit très élevées d’Apple, Inc., le créateur de nos iPhones et iPads.

Et c’est pourquoi il est déconcertant de se rappeler que les bas prix de nos iPhones et iPads — ainsi que les marges de profits très élevées d’Apple — sont possibles parce qu’ils sont fabriqués dans des conditions de travail qui seraient jugées illégales aux États-Unis.

Et il est aussi déconcertant de remarquer que les gens qui fabriquent nos iPhones et iPads non seulement n’en possèdent pas (parce ce qu’ils n’en ont pas les moyens), mais, dans certains cas, qu’ils ne les ont même jamais vus.

C’est un problème complexe. Mais c’est aussi un problème important. Et cela va devenir de plus en plus préoccupant à mesure que les économies mondiales continuent à être de plus en plus interconnectées.

(C’est un problème qui concerne beaucoup de multinationales, et pas seulement Apple. La plupart des fabricants de produits éléctroniques font leurs business en Chine. Cependant, une des spécificités d’Apple, c’est l’importance de ses marges. Apple pourrait augmenter le salaire de ses employés ou leur garantir de meilleures conditions de travail tout en conservant son extrême compétitivité ainsi que sa rentabilité.)

La semaine dernière, l’émission radiophonique américaine This American Life a proposé une édition spéciale sur les industries Apple. L’émission a diffusé (entre autres) le reportage de Mike Daisey, l’homme à l’origine du one-man-show « L’extase et l’agonie de Steve Jobs », avec Nicholas Kristof, dont l’épouse est issue d’une famille chinoise.

Vous pouvez lire ici une retranscription de l’ensemble. Voici quelques détails :

  • La ville chinoise de Shenzhen est située là où la plupart de nos « merdes » sont fabriquées. Il y a 30 ans, Shenzhen était un petit village sur une rivière. Maintenant, c’est une cité de 13 millions de d’habitants — plus grande que New York.
  • Foxconn, l’une des sociétés qui fabriquent les iPhones et les iPads (et aussi des produits pour un certain nombre d’autres entreprises d’électronique), possède une usine à Shenzhen qui emploie 430 000 personnes.
  • Il y a 20 caféterias à l’usine Foxconn Shenzen. Elle servent chacune 10 000 personnes.
  • Mike Daisey a interviewé une employée, à l’extérieur de l’usine gardée par des hommes armés, une jeune fille âgée de 13 ans. Chaque jour, elle lustrait des milliers d’écrans du nouvel iPhone.
  • La petite de 13 ans a expliqué que Foxconn ne vérifiait pas vraiment l’âge. Il y a parfois des inspections, mais Foxconn est toujours au courant. Avant que les inspecteurs n’arrivent, Foxconn remplace les employés qui semblent trop jeunes par des plus âgés.
  • Durant les deux premières heures devant les portes de l’usine, Daisey a rencontré des travailleurs qui lui ont dit qu’ils avaient 14, 13 et 12 ans (en plus de ceux qui étaient plus âgés). Daisey estime qu’environ 5% des travailleurs avec lesquels il a discuté étaient en-dessous de l’âge minimum.
  • Daisey suppose que Apple, obsédée comme elle l’est des détails, doit le savoir. Ou, s’ils ne le savent pas, c’est parce qu’ils ne veulent pas le savoir.
  • Daisey a visité d’autres usines de Shenzhen, se faisant passer pour un acheteur potentiel. Il a découvert que la plupart des étages des usines sont de vastes salles comprenant chacune entre 20 000 et 30 000 travailleurs. Les pièces sont silencieuses : il n’y a aucune machine-outil, et les discussions ne sont pas autorisées. Quand la main d’œuvre coûte si peu cher, il n’y a aucune raison de fabriquer autrement que manuellement.
  • Une « heure » chinoise de travail dure effectivement 60 minutes — contrairement à une « heure » américaine, qui en général comprend les pauses pour Facebook, les toilettes, un appel téléphonique et quelques conversations. Le temps de travail journalier officiel est de 8 heures en Chine, mais la rotation standard des équipes de travail est de 12 heures. En général, la rotation s’étend jusqu’à 14-16 heures, en particulier lorsqu’il y a un nouveau gadget à fabriquer. Pendant que Daisey était à Shenzhen, un ouvrier de Foxconn est mort en travaillant 34 heures d’affilée.
  • Les chaînes d’assemblage ne peuvent pas aller à un rythme supérieur à celui de l’ouvrier le plus lent, les ouvriers sont par conséquent observés (à l’aide de caméras). La plupart travaillent debout.
  • Les ouvriers résident dans des dortoirs. Dans un cube de béton de 12 mètre de côté qui leur sert de chambre, Daisey compte 15 lits, empilés comme des tiroirs jusqu’au plafond. Un Américain de taille moyenne n’y tiendrait pas.
  • Les syndicats sont interdits en Chine. Quiconque est surpris à monter un syndicat est envoyé en prison.
  • Daisey a interviewé des douzaines d’anciens ouvriers qui soutiennent secrètement un syndicat. Un groupe raconte avoir utilisé de l’« hexane », un nettoyeur d’écran d’iPhone. L’ hexane s’évapore plus rapidement que les autres nettoyeurs d’écran, ce qui permet à la chaîne de production d’aller plus vite. L’hexane est également un neurotoxique. Les mains de l’ouvrier qui lui en a parlé tremblaient de manière incontrôlée.
  • Certains ouvriers ne peuvent plus travailler, leurs mains ayant été détruites par ces mêmes gestes répétés des centaines de milliers de fois durant de nombreuses années (syndrome du canal carpien). Cela aurait pu être évité si les ouvriers avaient simplement changé de poste. Dès que les mains des ouvriers ne fonctionnent plus, ils sont évidemment jetés.
  • Une ancienne ouvrière a demandé à son entreprise de payer les heures supplémentaires, et lorsque la société a refusé, elle est allée au comité d’entreprise. Celui-ci l’a inscrite sur une liste noire qui a circulé parmi toutes les entreprises de la région. Les travailleurs sur une liste noire sont fichés comme « fauteurs de troubles / agitateurs » et les compagnies ne les embauchent pas.
  • Un homme s’est fait écraser la main par une presse à métal chez Foxconn. Foxconn ne lui a dispensé aucun soin médical. Quand sa main a été guérie, il ne pouvait plus travailler et a donc été renvoyé. (Heureusement, l’homme fut capable de trouver un nouveau travail dans une entreprise de menuiserie. Les horaires y sont bien meilleurs dit-il, seulement 70 heures par semaine).
  • Cet homme fabriquait d’ailleurs les coques en métal d’iPads chez Foxconn. Daisey lui montra son iPad. Il n’en avait jamais vu auparavant. Il le prit et joua avec. Il raconta trouver cela « magique ».

Il convient cependant de rappeler que les usines du Shenzhen, aussi infernales soient-elles, ont été une bénédiction pour le peuple chinois. C’est ce que dit l’économiste libéral Paul Krugman. C’est ce que dit Nicholas Kristof, chroniqueur au New York Times. Les ancêtres de la femme de Kristof sont originaires d’un village proche de Shenzhen. Il sait donc de quoi il parle. Pour Kristof, les « malheurs » de l’usine valent toujours mieux que les « malheurs » des rizières.

Donc, de ce point de vue, Apple aide à transférer de l’argent de riches consommateurs américains et européens vers des pauvres travailleurs de Chine. Sans Foxconn et les autres usines d’assemblage, les travailleurs chinois seraient encore en train de travailler dans des rizières, gagnant 50$ par mois au lieu de 250. (C’est l’estimation de Kristof. En 2010, selon Reuters, les employés de Foxconn ont obtenu une augmentation totalisant 298$ par mois, soit 10$ par jour, soit moins d’un dollar par heure.) Avec cet argent, ils s’en sortent bien mieux qu’autrefois. En particulier les femmes, qui ont peu d’autres possibilités.

Mais, bien sûr, la raison pour laquelle Apple assemble ses iPhones et ses iPads en Chine au lieu des États-Unis, c’est que l’assemblage ici ou en Europe coûterait cher, bien plus cher – même compte-tenu des frais d’expédition et de transport. Et cela coûterait beaucoup, beaucoup plus parce qu’aux États-Unis et en Europe, nous avons établi des conditions de travail et de salaire minimales acceptables pour les travailleurs.

Foxconn, inutile de le préciser, n’essaye absolument pas de tendre vers ces conditions minimales.

Si Apple avait décidé de fabriquer les iPhones et les iPads pour les Américains en utilisant les conditions de travail américaines, deux choses pourraient arriver :

  • Le prix des iPhones et des iPads augmenterait
  • Les marges de profit d’Apple diminueraient

Aucun de ces éléments ne serait bénéfique à un consommateur américain ou à un actionnaire d’Apple. Mais ils pourraient ne pas être si terribles que ça non plus. Contrairement à certains fabricants d’électronique, les marges de profit sont si élevées qu’elles pourraient beaucoup baisser et rester tout de même élevées. Et certains utilisateurs américains auraient probablement meilleure conscience si on leur disait que ces produits ont été construits dans les conditions de travail de leur propre pays.

En d’autres termes, Apple pourrait certainement se permettre de respecter des conditions de travail américaines pour fabriquer ses iPhones et iPads, sans pour autant détruire son modèle économique.

On peut alors raisonnablement se demander pourquoi Apple a choisi ici de ne PAS faire ainsi.

(Ce n’est pas qu’Apple soit la seule entreprise qui ait choisi de contourner la législation du travail et les coûts de la main d’œuvre américaine, bien sûr – presque toutes les entreprises industrielles qui veulent survivre, ou tout simplement se développer, doivent abaisser les normes et leurs coûts de productions en faisant fabriquer leurs produits ailleurs.)

Au final les iPhones et les iPads coûtent ce qu’ils coûtent parce qu’ils sont fabriqués selon des conditions de travail qui seraient illégales dans notre pays – parce que les gens de notre pays considèrent ces pratiques comme scandaleusement abusives.

Ce n’est pas un jugement de valeur. C’est un fait.

La prochaine fois que vous vous saisirez de votre iPhone ou de votre iPad, pensez un peu à tout cela.

Notes

[1] Crédit photo : Aaron Shumaker (Creative Commons By-Nd)




Le mouvement Occupy prépare un Facebook libre pour les 99 %

Ne faisant pas confiance à Facebook et autre Twitter et dans la foulée d’Occupy Wall Street, une bande de geeks cherchent à mettre en place un réseau social dédié aux mouvements d’activisme et de protestation[1].

Ils nous expliquent ici le pourquoi du comment d’un tel ambitieux projet.

Sasha Kimel - CC by

Les geeks du mouvement Occupy construisent un Facebook pour les 99%

Occupy Geeks Are Building a Facebook for the 99%

Sean Captain – 27 décembre 2011 – Wired
(Traduction Framalang/Twitter : Lolo le 13, AlBahtaar, Destrimi, HgO, Marm, Don Rico)

« Je ne cherche pas à dire que nous créons notre propre Facebook, mais c’est pourtant ce que nous sommes en train de faire, » explique Ed Knutson, un developpeur web et applications mobiles qui a rejoint une équipe de geeks-activistes qui repensent le réseautage social pour l’ère de la contestation mondialisée.

Ils espèrent que la technologie qu’ils sont en train de développer pourra aller bien au-delà d’Occupy Wall Street pour aider à établir des réseaux sociaux plus decentralisés, une meilleure collaboration en ligne pour l’entreprise et, pourquoi pas, contribuer au web sémantique tant attendu – un internet qui soit fait non pas de textes en vrac, mais unifié par des métadonnées sous-jacentes que les ordinateurs peuvent facilement analyser.

Cet élan est compréhensible. En 2010 et 2011, les médias sociaux ont permis aux manifestants du monde entier de se rassembler. Le dictateur égyptien Hosni Mubarak a eu tellement peur de Twitter et Facebook qu’il a coupé l’accès internet de l’Égypte. Une vidéo Youtube publiée au nom des Anonymous a propulsé le mouvement Occupy Wall Street, jusqu’alors confidentiel, aux actulalités nationales. Enfin, apparaître parmi les hashtags Twitter les plus populaires a fait passer #Occupy d’une manifestation ennuyeuse organisée le 17 septembre 2011 à un mouvement national, et même international.

D’après Knuston, il est temps pour les activistes de passer un cap, de quitter les réseaux sociaux existants et de créer le leur. « Nous ne voulons pas confier à Facebook les messages confidentiels que s’échangent les militants », dit-il.

La même approche s’applique à Twitter et aux autres réseaux sociaux – et ce raisonnement s’est trouvé justifié la semaine passée, lorsqu’un procureur de district du Massachusetts a enjoint Twitter de communiquer des informations sur le compte @OccupyBoston, et d’autres, liés au mouvement de Boston. (À son crédit, Twitter a pour politique de permettre aux utilisateurs de contester de tels ordres quand c’est possible.)

« Ces réseaux peuvent rester parfaitement fréquentables,jusqu’au jour où ça ne sera plus le cas. Et ça se produira du jour au lendemain », déclare Sam Boyer, un militant passé développeur web, redevenu militant, qui travaille avec l’équipe technique des occupants de New York.

À plusieurs niveaux au sein des mouvements Occupy, on commence déjà à prendre ses distances avec les principaux réseaux sociaux – que ce soit par les réseaux locaux déjà mis en place pour chaque occupation, par un projet de réseau international en cours de création appelé Global Square, à la construction duquel Knutson collabore. Il est problable que ces réseaux soient la clé de l’avenir du mouvement Occupy, car la majorité des grands campements aux États-Unis ont été évacués – supprimant de fait les espaces physiques où les militants communiquaient lors d’assemblées générales radicalement démocratiques.

L’idée d’une alternative ouverte aux réseaux sociaux détenus pas des entreprises privées n’est pas nouvelle – des efforts pour créer des alternatives à Facebook et Twitter moins centralisées et open source sont à l’œuvre depuis des années, Diaspora* et Identi.ca étant les plus connus.

Mais ces projets ne s’articulent pas spécifiquement sur les mouvements de protestation. Et la montée inattendue du mouvement Occupy aux États-Unis a renouvelé le désir d’une version open source pour une catégorie de logiciels qui joue un rôle de plus en plus important dans la mobilisation et la connexion des mouvements sociaux, ainsi que dans la diffusion de leur action dans le monde.

Les nouveaux mouvements sont tous confrontés à un défi particulièrement ardu pour des services non centralisés : s’assurer que leurs membres sont dignes de confiance. C’est un point crucial pour les militants qui risquent des violences et des arrestations dans tous les pays, voire la mort dans certains. Dans les projets de Knutson et Boyer, les réseaux locaux et internationnaux utiliseront un système de cooptation pour établir une relation de confiance. Les participants ne pourront devenir membres à part entière par eux-même comme c’est le cas avec les réseaux sociaux Twitter, Facebook et Google+.

« Il faut connaître quelqu’un dans la vraie vie qui te parraine », explique Knutson.

Selon Boyer, il est plus important d’identifier une personne comme étant digne de confiance que de s’assurer que son identité en ligne corresponde à son passeport ou à son acte de naissance.

« Je respecte les pseudonymes tant qu’on les considère comme un simple pseudonyme et non comme un masque », explique Boyer. En d’autres termes, nul ne devrait se cacher derrière un faux nom pour mal se comporter en toute impunité – ou dans un cas extrême, infiltrer le mouvement pour l’espionner ou le saboter.

Agé de 36 ans, Knutson, qui vit à Milwaukee dans le Wisconsin, a commencé l’année en tant qu’observateur politique avant de devenir un militant d’OWS convaincu. Sa métamorphose a débuté lors des grèves des fonctionnaires en février contre certaines propositions de loi du gouverneur Scott Walker, lesquelles rogneraient sur leurs traitements et affecterait les acquis de leur convention collective.

« Avant cette année, nous pensions que les choses allaient un peu vers le mieux », raconte-t-il. « Mais quand ça a commencé à bouger, en février, on s’est rendu compte que c’était de pire en pire. »

Alors qu’il organisait un camp de protestation « Walkerville », au mois de juin, Knutson a rencontré, grâce à Twitter, des membres du mouvement de protestation espagnol du 15M. Ils venaient de mettre en place un site web, « Take the Square » (Investis la Place), pour suivre les différentes occupations dans le monde, de la Tunisie à Madrid. Il a également rencontré Alexa O’Brien, fondatrice de l’organisation US Day of Rage, pour la réforme du financement des campagnes électorales, et co-fondatrice du mouvement Occupy Wall Street. Après les débuts d’OWS, Knutson a passé quelque temps sur la Côte Est, où il s’est rendu à New York, Boston et Philadelphie et s’est joint aux techniciens de ces villes.

Grâce à toutes ces rencontres, Knutson s’est attelé au développement de la technologie nécessaire à la mise en place d’un réseau support pour les occupations internationales. Mais la politique est une affaire complexe. « Certaines personnes en Espagne en veulent à OWS, parce qu’ils ont accaparé l’attention médiatique », explique-t-il, rappelant que les occupations espagnoles ont été les premières et rassemblent encore bien plus de monde.

Homologue de Knutson, Sam Boyer se concentre sur les occupations américaines, en mettant au point les technologies qui permettent de rassembler par interconnexion ces réseaux sociaux à travers le pays avec le titre adéquat de « Federated General Assembly » (NdT : Assemblée Générale Fédérée), ou FGA. Son travail sur Occupy lui a donné une vue globale du mouvement.

Lorsqu’il était étudiant en 2005, Boyer, qui a maintenant 27 ans, s’est impliqué au sein de la « Student Trade Justice Campaign », une organisation qui concentre ses efforts sur la réforme de la politique commerciale. En 2007, il voulait mettre en place une plateforme en ligne pour organiser en groupe les sections locales, et relier ces groupes pendant les discussions nationales – grosso modo la fonction de la FGA. Mais Boyer n’a pu la mettre en place, relate-t-il. « Quand j’ai commencé, je ne savais même pas programmer. »

Boyer s’est donc lancé dans l’apprentissage du développement web, pour lequel il s’est pris de passion. D’abord principalement activiste, il s’est ensuite surtout consacré au code. Sa spécialité est le CMS libre Drupal, sur lequel fonctionnera la FGA.

Knutson, Boyer et les autres geeks d’Occupy n’ont cependant pas à tout construire eux-mêmes. « Il existe des standards déjà depuis longtemps, et nous ne réinventons pas la roue », explique Boyer.

Par exemple, les projets s’appuieront sur un ensemble de technologies connues sous le nom d’OpenID et OAuth, grâce auxquelles un utilisateur peut se connecter sur un nouveau site en utilisant son identifiant et mot de passe d’un réseau social comme Facebook, Google ou Twitter. Ces technologies permettent de s’inscrire à un nouveau service, en se connectant à un compte Twitter ou Google, lequel vous identifie sur le nouveau site sans transmettre votre mot passe tout en vous évitant de devoir vous souvenir d’un énième couple identifiant/mot de passe.

Dans la nouvelle technologie OWS, le réseau d’occupation locale d’un militant peut se porter garant d’un utilisateur auprès d’un autre réseau, et l’ensemble des réseaux locaux se faisant mutuellement confiance, ils peuvent se fier à ce militant. Quelqu’un peut se connecter à un réseau, publier et commenter sur tous les autres.

Certains messages sensibles, concernant par exemple la désobéissance civile, seraient privés. D’autres, comme une liste de revendications ou un communiqué de presse, seraient publics, mais seuls les membres reconnus du réseau pourraient les créer.

FGA veut se distinguer du « Moi, moi, moi » narcissique de Facebook, et se destine surtout aux groupes, pour travailler collectivement sur des sujets définis tels que les banques et monnaies alternatives, ou encore une réforme du mode de scrutin.

Et il y a de quoi faire. Actuellement, la gestion des groupes dans les sites liés à Occupy est une vraie cacophonie.

« En arrivant, la première chose tu vois, c’est un flux de messages inutiles », selon Boyer. Chaque commentaire – qu’il s’agisse d’une idée brillante, d’un troll ou du dernier message d’une ribambelle de « moi aussi » -, apparaît dans le fil et se voit validé. « La seule garantie que vous avez, c’est qu’une personne seule – et pas le groupe dans son ensemble – a jugé ce message digne d’intérêt », déplore-t-il.

Dans le système de la FGA, chaque groupe discute des informations à publier sur sa page d’accueil, comme la description d’un événement, un article de blog ou le procès-verbal d’une rencontre. « De la même manière que, lorsque vous consultez Reddit, vous savez que les premiers articles sont ceux qui sont les mieux notés, l’utilisateur peut savoir que les messages apparaissant sur une page d’accueil résultent de l’accord concerté du groupe », déclare Boyer.

Les codeurs militants veulent également être en mesure d’obtenir et publier des infos, de les partager avec le reste du mouvement. L’idée, c’est qu’ils disposent de systèmes disparates classant les infos avec des mots-clé communs qui permettront un jour d’effectuer une recherche sur n’importe quel site et d’acceder précisement à des résultats provenant de partout dans le monde.

Le travail d’Ed Knutson consiste à permettre à ces sites de communiquer, même si le contenu peut être en langues différentes (anglais, espagnol, arabe, etc.) et généré par différents systèmes de gestion de contenu (ou SGC) comme Drupal ou WordPress. Le réseau social Global Square sera connecté non pas à travers ces systèmes, mais à partir des standards du « web sémantique » conçus pour lier des technologies disparates.

Un standard clé dans ce domaine porte le nom verbeux de Cadre de Description de Ressource, ou CDR, un système d’étiquetage universel.

Si un indigné veut poster le procès-verbal d’une réunion, par exemple, il peut les entrer dans la boîte texte appropriée, grâce au logiciel de gestion de contenu qui motorise le site. Ce logiciel envoie l’information à une base de données CDR et lui associe un certain nombre de mot-clés universels – par exemple « procès-verbal », ou quelque autre terme sur lequel les mouvements d’occupation se seraient mis d’accord. L’occupant local pourrait aussi sélectionner « Groupe : Alternatives Bancaires » dans une liste déroulante de propositions et ce mot-clé y serait ajouté aussi. Utiliser les mêmes étiquettes permet à tous les sites d’échanger de l’information. Ainsi, une recherche portant sur un procès-verbal de la part d’un groupe Alternative Bancaire afficherait les entrées de n’importe quel mouvement d’occupation comportant un groupe de ce genre.

Avec CDR, les sites peuvent interagir même s’ils fonctionnent avec différents logiciels de gestion de contenu, comme Drupal (utilisé par la FGA), ou WordPress (utilisé par le groupe espagnol M15).

« La clé, c’est que tout passe par CDR », explique Knutson. « Qu’importe s’ils utilisent Drupal ou un truc à la Frankenstein qui combine différents outils. »

Les codeurs seront toutefois confrontés au problème qui affecte le web depuis des années – les uns et les autres devront se mettre d’accord sur des standards et les adopter. Un projet de longue haleine qui cherche à accélérer ce processus s’appelle Microformats – une façon d’inclure dans le HTML des balises de données invisibles pour le visiteur humain, mais qui peuvent être comprises par leur navigateur ou par un moteur de recherche. Cela permet notamment de marquer des informations de contact de sorte que le lecteur puisse les ajouter à son carnet d’adresse d’un simple clic, ou d’annoter une recette pour qu’un moteur de recherche permette de chercher les recettes contenant l’ingrédient « épinards ».

Ces moyens de liaison et de collaboration seraient utiles bien au-delà du mouvement Occupy.

« Je pense que n’importe quel groupe de petite ou moyenne taille, ou une équipe constituée d’un membre dans huit villes différentes, pourrait l’utiliser pour collaborer », explique Knutson. Et il ne voit aucune raison de ne pas répandre cette technologie dans les entreprises.

« Tous les propriétaires de PME font partie des 99% », poursuit-il. « Par ailleurs, chercher à établir des relations avec les entreprises… c’est assez important si l’on veut un impact tangible. »

« Notre projet, c’est en grande partie de permettre une meilleure communication, afin que cette discussion cacophonique soit mieux coordonnée », précise Boyer, en évoquant à titre de comparaison l’atelier OWS d’une conférence ayant eu lieu le 18 décembre à New York, au cours duquel le modérateur avait demandé à chacun de crier sa meilleure idée pour le mouvement.

Toutes étaient sans doute de bonnes idées, raconte Boyer. Mais il n’a pu en entendre une seule, car elles étaient noyées dans le brouhaha.

La toile de confiance entre réseaux, les étiquetages CDR qui lient les données entre les occupations, les consensus des groupes de travail sur le contenu à publier, tout est conçu pour aider les personnes à se connecter les unes aux autres et accéder à la bonne information. « Que la multitude de gens qui si’ntéressent au mouvement comprennent l’ampleur de ce qui se passe », dit Boyer. Mais pour l’instant, tous ces projets restent au stade des idées. Et quoi qu’il en émerge, cela viendra par fragments.

Sam Boyer espère un lancement dans les prochaines semaines de ce qu’il qualifie de tremplin – une liste des mouvements d’occupations à travers le monde, appelé en toute simplicité, pour l’instant, directory.occupy.net. Le site Take the Square du mouvement M15, fournissait, comme d’autres, quelque chose d’équivalent depuis mai. Mais directory.occupy.net sera unique dans son utilisation des CDR et autres technologies pour étiqueter l’ensemble des données. Il permettra aussi aux participants de tous les mouvements d’occupation d’être maîtres de leurs contributions et de les mettre à jour.

« Ce répertoire devrait être utile, mais ce n’est pas encore notre lancement en fanfare », tempère Boyer. Il espère qu’il aura lieu quelque part au printemps, lors du lancement d’une version rudimentaire de FGA.

Le réseau Global Square que Knutson contribue à mettre en place est en voie de finalisation et devrait être lancé en janvier, avec des liaisons basiques entre divers sites Occupy qui permettront d’échanger des messages, republier des articles et poster des commentaires inter-réseaux.

« Selon moi, ce serait déjà un succès considérable que d’amener quelques-uns de ces outils de conception web utilisés par tout le monde, comme Elgg, Drupal, MediaWiki et peut-être WordPress, à travailler ensemble », explique-t-il.

Mais le simple fait d’organiser cette discussion n’a pas été une mince affaire. « C’est difficile d’amener les uns et les autres à se pencher sur ce genre de question. »

Notes

[1] Crédit photo : Sasha Kimel (Creative Commons By)




Une communauté de pratique se cache-t-elle derrière votre site web ?

Felix E. Guerrero - CC by-saFramasoft se présente volontiers comme un réseau de sites web visant à faire connaître et diffuser le logiciel libre. Sauf qu’en s’arrêtant là rien ne le distingue à priori des autres sites web comme celui du télé-achat de TF1 par exemple.

En bout de chaîne tous ces sites proposent un service au visiteur mais il est intéressant de s’interroger sur la finalité de ce service et surtout la manière dont il a été motivé, imaginé et réalisé[1].

Seul dans son coin ou partie prenante d’une communauté de pratique ?

Telle est la petite réflexion-traduction du jour…

Une communauté de pratique est plus qu’un site web

A community of practice is more than a website

Steve Radick – 10 novembre 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Lolo le 13, Julien et Pandark)

Une communauté de pratique (CoP, pour community of practice) est, d’après les anthropologues cognitifs Jean Lave et Etienne Wenger, un groupe de personnes qui partagent un intérêt, une compétence, et/ou une profession.

Au cours des dernières années, le terme de « communauté de pratique » est entré dans le lexique des mots à la mode des réseaux sociaux avec la collaboration virtuelle, l‘engagement, les plateformes, et l‘Entreprise 2.0. Les grands entrepreneurs veulent les implémenter, on demande aux nouveaux employés de les rejoindre, et on dit aux managers expérimentés de les soutenir, mais que sont-elles exactement ?

À aucun endroit dans la définition ci-dessus ne sont mentionnés les mots site web, wiki, blog, ou réseau social. Nulle part il n’est dit que cela doit être virtuel ou physique, ni même uniquement l’un des deux. Il n’y a pas de références aux outils qui sont utilisés pour faciliter la communication et la collaboration, et pas plus de définition d’un ensemble de caractéristique qui déterminerait comment une communauté de pratique fonctionne ou sur quels sujets portent les discussions.

Un groupe de gens qui partagent un intérêt, une compétence et/ou une profession. Ça semble assez simple, pas vrai ? Si on le présente ainsi, chacun pourrait dire qu’il est déjà membre d’une douzaine de communautés de pratique — au travail, à l’église, à l’école, etc. C’est simplement un groupe de gens qui communiquent et collaborent ouvertement autour d’un sujet qui leur tient à coeur. L’existence des CoPs est aussi ancienne que le désir des gens de faire et d’apprendre les uns des autres.

Ce n’est pas parce que toutes leurs communications et collaborations n’apparaissent pas sur votre site que les gens ne sont pas déjà en train de communiquer et collaborer dans les coulisses à propos de ce centre d’intérêt partagé. Les communautés de pratique sont vivantes et s’épanouissent dans la plupart des organisations.

Créez-vous une communauté de pratique ou allez-vous uniquement ajouter un site web de plus ? Comment votre CoP est-elle en phase avec certaines de ces hypothèses ci-dessous ?

  • Les gens passent du temps bénévole à aider les autres au sein d’une communauté de pratique. Les gens visitent un site pour télécharger ce dont ils ont besoin
  • Les CoPs se concentrent sur l’ajout de valeur pour leurs membres. Les sites se concentrent sur le fait d’avoir de nouveaux utilisateurs.
  • Le succès d’une CoP est mesurée avec des anecdotes vécues ensemble, des projets collectifs et la satisfactions de ses membres. Le succès d’un site est mesuré avec des hits, des visites et des références venant d’autres sites.
  • Le membre d’une CoP partage son expertise pour créer de nouvelles fonctionnalités. Un site rémunère des gens pour ajouter de nouvelles fonctionnalités.
  • Une CoP est construite autour des conversations. Un site est construit autour du contenu.

Des communautés de pratique nous ont entourés depuis des décennies et le feront encore pour des décennies, elles ont aidé d’innombrables organisations à faire des changements majeurs, à accroître leur efficacité, à supprimer les doublons et à rendre le travail plus agréable. Dans bien des cas, l’utilisation des réseaux sociaux a amélioré ces CoPs en leur donnant plus d’outils et de possibilités d’interconnecter les gens ensemble. Malheureusement, les réseaux sociaux participent également à séparer les gens en produisant du contenu singulier qui flatte avant tout leur ego.

Et vous que construisez-vous ?

Pour plus d’information à propos des communautés de pratique, voir « Culivating Communities of Practice : A Guide to Managing Knowledge », édité par Harvard Business School Press en 2002 par Étienne Wenger, Richard McDermott et William M. Snyder.

Notes

[1] Crédit photo : Felix E. Guerrero (Creative Commons By-Sa)




Librologie 6 : À quoi rêvent les moutons électriques

Bonjour tout le monde,

Ceux et celles pour qui ces chroniques Librologiques sont d’une lecture un peu aride (c’est également mon cas, le croiriez-vous), seront peut-être rassurés de savoir que l’épisode d’aujourd’hui termine (provisoirement) l’approche quelque peu théorique entamée avec l’épisode 3, intitulé La Revanche des… Ah non, attendez que je m’y retrouve — j’y suis : User-generated multitude, c’est cela.

Dans l’épisode d’aujourd’hui, donc, je vous propose de revenir sur les pratiques culturelles sous licences Libres, leur utilité et l’adéquation ou non de celles-ci (les licences Libres) pour celles-là (les pratiques culturelles, faut suivre aussi)[1]. Plus que jamais, les commentaires sont là pour recueillir vos réactions, réflexions, témoignages et — ô surprise — vos commentaires.

Bonne lecture !

Valentin Villenave

Librologie 6 : À quoi rêvent les moutons électriques

Peut-on appliquer les licences Libres aux œuvres de l’esprit ?

(C’est-à-dire, étendre les modèles de licences alternatives, autorisant la libre diffusion voire la modification des œuvres, au-delà des seuls logiciels Libres ?)

C’est une question récurrente sur les forums et listes électroniques Libristes.

Une question que l’on n’amène en général pas frontalement, mais que l’on va glisser au détour d’une phrase — on la trouvera d’ordinaire introduite par des marqueurs tels que « je ne suis pas sûr que », « reste à savoir si », « il ne me semble pas évident », etc. — quand on n’entre pas directement dans l’attaque peu subtile « vous voulez obliger les artistes à publier sous licences Libres (et donc, à crever de faim) ? C’est du stalinisme pur ! ».

Une question sur laquelle, naturellement, chacun a peu ou prou son opinion pré-établie. Nul besoin d’argumenter, de réfléchir ou de démontrer.

C’est que cette question n’en est, évidemment, pas vraiment une.

C’est un troll.

Paul Scott - CC by-sa

J’ai déjà tenté ailleurs — longuement — de me pencher sur cette question, dans l’espoir de tordre le coup définitivement à ce serpent de mer trolloïde du milieu Libre. Cependant il me semble intéressant de prendre le temps de critiquer le point de vue selon lequel les licences Libres ne devraient convenir qu’aux programmes informatiques, et notamment d’examiner quels idéologèmes le sous-tendent. En effet, Libriste ou non, nul n’est à l’abri de ses propres préjugés, au premier rang desquels cette mythologie déjà évoquée qui consiste à voir en l’œuvre d’art un objet échappant aux contingences ordinaires, et en l’artiste-créateur (pour peu qu’il soit professionnel, bien sûr) un être en marge des exigences sociales.

D’un point de vue légal et pratique, pourtant, bien peu de choses distinguent un programme informatique de tout autre contenu immatériel : un logiciel est une œuvre de l’esprit soumise à la « Propriété Littéraire et Artistique » — encore une distinction arbitraire, au demeurant, qu’il conviendrait de mettre en question. Et un nombre croissant d’artistes s’expriment d’ailleurs au moyen d’outils informatiques qui les amènent parfois à créer de véritables « programmes », au sens strict. (Des pratiques artistiques sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir.)

Pourquoi, dès lors, séparer arbitrairement ces œuvres de l’esprit en, d’un côté, l’art, de l’autre les logiciels ? Certes, il peut arriver que les « œuvres d’art » posent des contraintes inédites aux licences, et nécessitent quelques adaptations juridiques (c’est le propos des licences Creative Commons, dont j’ai parlé ailleurs, et de la licence Art Libre qui, nous le verrons plus bas, est timidement recommandée par le projet GNU). Mais le principe de base reste le même, et il a été établi que les libertés garanties à l’utilisateur de logiciels peuvent se transposer aisément à l’amateur d’art.

Ce qui sous-tend en fait cette dichotomie arbitraire, c’est le « bon sens » ordinaire par lequel tout un chacun délimite sa conception de l’art. Les bouleversements artistiques du XXe siècle semblent avoir quelque peu mis à mal les critères traditionnels d’appréciation du public : peut-on encore dire que « l’art, c’est ce qui plaît » après Picasso ? Que « l’art, c’est ce qui est original » après l’urinoir de Duchamp ou les boîtes de soupe de Warhol ? Peut-on encore définir l’art par la « légitimité » sociale de son auteur, après le Coucher de soleil sur l’Adriatique peint par l’âne Lolo (sic) ?

Boronali - Coucher de Soleil sur l'Adriatique - Wikimedia Commons CC by-sa

Reste un critère auquel se raccrocher (voire se cramponner, d’autant plus fermement que tous les autres sont en déroute) : celui de l’utilité. Une œuvre d’art, nous dit le bon sens ordinaire, n’est pas quelque chose dont on se sert pour accomplir telle ou telle tâche. Cette position est également celle de la Loi, qui depuis deux ou trois siècles oppose à l’Art (absolu) les « arts utiles », c’est-à-dire inventions et méthodes de fabrication. Il sera donc communément admis que l’art « noble », digne de respect, se doit d’être inutile : méprisons donc de bon cœur les fanfares ou la musique militaire (fusse-t-elle de Schubert), et les berceuses que l’on chante aux enfants.

Mais cette fois, c’est le reste de la vie qui revient en contrebalance : parmi tous les objets dont nous faisons « usage », combien sont, de facto, indispensables ou simplement, objectivement utiles ? Une large part des logiciels installés sur nos ordinateurs, par exemple, ne sont ni strictement nécessaires ni même utiles (jusqu’à l’absolument inutile). Ainsi, les jeux vidéo sont apparus exactement en même temps que les ordinateurs. Sans même aller jusque là, n’importe quelle interface moderne comporte une majorité d’éléments qui n’ont pour seule raison d’être, que de plaire. Si les logiciels servent à se divertir, et le design à plaire, il n’y a alors plus aucune raison pour considérer l’informatique différemment de, par exemple, la musique : de même que le comte Kayserling commanda à Bach des variations pour clavecin afin de l’aider à dormir la nuit, le citoyen moderne se laissera bercer par les moutons électroniques de son économiseur d’écran.

C’est donc dire, d’une part, que le critère d’« utilité » n’est pas un commutateur binaire, mais plutôt un axe linéaire sur lequel existent une infinité de degrés, et d’autre part que, quand bien même l’on tracerait une barrière nette, l’on serait surpris de voir que ce qui « tombe » d’un côté ou de l’autre n’est pas nécessairement ce à quoi l’on s’attendrait. J’irai même jusqu’à affirmer que le geste du programmeur n’est ni moins technique, ni moins intrinsèquement chargé d’expressivité, ni moins ontologiquement digne d’admiration ou de terreur, que celui de l’« artiste » ; la seule distinction de l’artiste (au sens bourdieusien du terme) est d’ordre social, et nous avons vu combien cette quantification est illusoire.

De même, l’opinion « naturelle » qui consiste à voir en l’Œuvre d’Art un objet achevé, signé et sacré, là où l’objet utilitaire (et tout particulièrement le programme informatique) est un objet transitoire, temporaire, criblé de défauts et dont on s’empressera de se débarrasser pour en obtenir une nouvelle version, plus récente, plus aboutie, en attendant encore la prochaine, cette vision disais-je, est éminemment liée à notre contexte historique : en-dehors de notre société occidentale de ces cinq ou six derniers siècles, les pratiques culturelles et rituelles ne sont pas nécessairement distinctes, et il est bien rare pour un « auteur » d’éprouver le besoin de signer individuellement son œuvre ; en retour, dans notre monde post-industriel (ou pleinement industriel, si l’on suit Bernard Stiegler) où l’artisan n’est plus qu’un souvenir, il est communément admis que tout objet utilitaire est le fruit du travail indistinct d’une légion d’ingénieur anonymes, et l’on se souciera bien peu de savoir si le logiciel que l’on utilise a un ou plusieurs auteurs. Si l’informatique a tout de même produit des noms célèbres, c’est avant tout par ce processus de « mythification » qu’est le star-system : Bill Gates ou Steve Jobs fascinent davantage pour leur success-story que pour leur travail technique, et de son côté le mouvement Libre cherche en ses grands informaticiens des héros (Linus Torvalds) ou, si l’on peut dire, des hérauts (Richard Stallman ou Sir Tim Berners-Lee) — ce que je décrivais précédemment sous le terme de « culte ».

Unicité de l’auteur, singularité sociale de l’artiste, intégrité de l’œuvre : autant de notions historiquement datées — et qui, même d’un point de vue historique, s’avèrent bien illusoires : aussi loin que nous puissions regarder, les artistes ont toujours dû s’adapter aux goûts du public, aux contraintes économiques ou politiques, et partager avec leur contemporains la paternité de leur travail. J’ai déjà eu l’occasion d’aborder l’exemple des compositeurs des XVIIe et XVIIIe siècles, qui, s’ils signaient certainement leurs œuvres, ne se privaient pas d’emprunter ici et là — quand ce n’était pas les interprètes eux-même qui ré-arrangeaient ou faisaient réécrire certains passages ! J’ai également tenté d’expliquer que les musiciens d’antan que nous révérons aujourd’hui comme des génies intemporels, n’avaient probablement pas de préoccupations d’une autre hauteur que les faiseurs-de-culture d’aujourd’hui. Depuis plus d’un siècle, le cinéma nous rappelle de façon éclatante combien l’élaboration d’une œuvre est une production, ici au sens industriel du terme — au point que même Fox News en vient à s’alarmer de la prolifération des franchises et autres remakes : nous attendons le prochain James Bond comme la prochaine version de tel jeux vidéo ou système d’exploitation, en espérant qu’il sera encore plus plaisant et nous en donnera davantage pour notre argent. C’est ignorer que trois siècles plus tôt, le public britannique de Händel attendait probablement de la même façon son prochain oratorio !

Signe ultime de cette industrialisation de la culture, que nous avons déjà présenté : les mêmes industriels qui érigent les « créateurs » en figures sacrées, s’empressent dans un même mouvement de réduire leur production à sa simple quantification marchande sour le terme « contenu », qui peut désigner indifféremment des films, des pistes musicales ou des images, en un mot, tout ce que l’on nous peut vendre, littéralement, au poids.

Mouton Mouton - Art Libre

Il y a quelque chose de paradoxal à constater que, même parmi les Libristes les plus endurcis, ceux-là même qui encouragent les informaticiens et chercheurs à publier sous licences Libres le fruit de leur travail, n’ont pas la même attente (voire exigence) de la part des auteurs et artistes. Sur le site gnu.org déjà mentionné, Richard Stallman lui-même indique :

Nous n’adoptons pas le point de vue que les œuvres d’art ou de divertissement doivent être Libres ; cependant si vous souhaitez en libérer une nous recommandons la Licence Art Libre.

Une autre page reprend même à son compte le critère d’utilité que j’évoquais plus haut :

Les œuvres qui expriment l’opinion de quelqu’un — mémoires, chroniques et ainsi de suite — ont une raison d’être fondamentalement différente des œuvres d’utilité pratique telles que les logiciels ou la documentation. Pour cette raison, nous leur demandons des autorisations différentes, qui se limitent à l’autorisation de copier et distribuer l’œuvre telle-quelle.

La licence Creative Commons Attribution-Pas d’œuvres dérivées est utilisée pour les publications de la Free Software Foundation. Nous la recommandons tout particulièrement pour les enregistrements audio et/ou vidéo d’œuvres d’opinion.

Nous avons pourtant vu que Stallman a très tôt compris l’importance potentielle des licences Libres au-delà du code informatique, et se plaît à définir le mouvement Libre comme un mouvement social, politique ou philosophique ; cette soudaine timidité lorsqu’il s’agit de l’art n’en est que plus surprenante — et n’a pas manqué d’être pourfendue par ceux et celles qui aspirent à un mouvement Libre digne de ce nom dans les domaines culturelles.

L’hypothèse que je pourrais formuler, est que rms n’est tout simplement pas intéressé par l’art. La culture « de divertissement » l’intéresse probablement, ainsi que la littérature qu’il nomme « d’opinion » ; cependant, difficile de se défaire de l’impression que ces formes intellectuelles dépourvues « d’utilité pratique » lui semblent, somme toute, subalternes. Si rms a — quoique tardivement — pris conscience des dangers que pose à la démocratie la répression de la libre circulation des œuvres, le point de vue des artistes eux-même lui demeure clairement étranger.

Peut-être est-ce là le plus grand échec du mouvement Libre : de n’avoir pas, de lui-même, dépassé plus tôt les frontières de l’informatique et de cette absurde notion d’utilité. Comme me l’exposait tout récemment Mike Linksvayer lui-même, il est presque honteux qu’aient dû se développer, avec quinze ans de retard, des licences spécialement pensées pour l’art et la culture, au lieu d’une simple évolution de licences logicielles telles que la licence GPL. Ce décalage d’une ou deux décennies vis-à-vis de l’informatique Libre est, encore aujourd’hui, un des (nombreux) handicaps dont souffre le monde culturel Libre.

Paul Downey - CC by

Le milieu des licences Libres est donc encore largement déconnecté des milieux artistiques. Les Libristes eux-mêmes sont en général nettement plus familiers de l’informatique que des pratiques culturelles (particulièrement « classiques », j’y reviens plus bas) ; leurs modes de consommation culturelle sont plus tournés vers la culture de masse — où l’on ignore notoirement toute possibilité de licences alternatives — que vers la création artistique ou la culture classique. Ceux-là même qui veillent à n’installer sur leurs ordinateurs que des logiciels Libres (à quelques éventuels compromis près), sont à même de faire une consommation immodérée de « contenus » propriétaires — la culture geek étant d’ailleurs presque entièrement construite sur un patrimoine non-libre : Le Seigneur des anneaux, Star Trek, La Guerre des étoiles, Le Guide du routard galactique

Pour certains, il y a là une évidence décomplexée : de toute façon, les œuvres d’art n’ont pas à être sous licences Libres, ce n’est pas fait pour cela. Pour d’autres au contraire, c’est un état de fait presque honteux : l’on ne demanderait pas mieux que de pouvoir n’écouter que de la « musique libre », par exemple, mais les œuvres existantes sont tellement peu connues / difficiles d’accès / introuvables / pauvres… Reproches d’ailleurs partiellement mérités (nous y reviendrons) — et qui auraient aussi bien pu, au demeurant, être adressés aux logiciels Libres eux-même il y a une quinzaine d’années.

Peut-être est-ce, au moins en partie, pour expier cette mauvaise conscience que ce même public Libriste se rue sur quelques œuvres ou sites web culturels publiés sous licences alternatives : les films (au demeurant admirables) de la fondation Blender, les dessins de Nina Paley ou encore le site Jamendo (sujets sur lequels nous reviendrons prochainement)… Cependant que d’autres fonds Librement disponibles, nettement plus fournis, restent largement ignorés : je veux parler du patrimoine écrit, notamment dans le domaine public. Nous évoquions récemment le projet Gutenberg, auquel il faudrait ajouter, dans le domaine des livres, Wikisource ou même Gallica, mais également le domaine des partitions musicales (IMSLP.org, mutopiaproject.org, cpdl.org), ou celui des films en noir et blanc (archive.org)… autant de formes culturelles qui ne font pas recette auprès du public Libriste dans son écrasante majorité (lequel public se montre d’ailleurs souvent peu concerné par la défense du domaine public en général).

Si les Libristes sont principalement tournés vers les cultures « de consommation », la grande majorité des artistes et auteurs, inversement, ne connaît guère d’autre modèle que le droit « d’auteur » traditionnel, avec l’inféodation qu’il comporte à tout un système d’intermédiaires (éditeurs, distributeurs, sociétés de gestion de droits) dont il est presque impossible de sortir, et qui empêche même d’envisager l’existence d’alternatives quelles qu’elles soient. J’ai moi-même eu l’occasion d’évoquer la sensation d’apatride que peut avoir un musicien dans le milieu Libre, et un Libriste dans le milieu musical.

Il n’en faut saluer que davantage la bonne volonté de tous ceux qui, de part et d’autre, s’emploient à lancer des ponts, même de façon parfois maladroite ou mûs par la « mauvaise conscience » que j’évoquais plus haut. La devise du Framablog exprime à merveille ce point de vue :

mais ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manqués de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code.

On ne peut donc que souhaiter que le public Libriste, d’une part, mette progressivement en question ses propres modes de consommation culturelle, et d’autre part, sache s’abstraire de cette idéologie rampante qui consiste, en célébrant la « sublime inutilité » de l’art, à mettre les artistes hors du monde, dans une case clairement délimitée et quantifiable, et s’assurer qu’ils y restent. La figure sacralisée de l’artiste-créateur (tout comme celle du « professionnel », autant de termes que j’ai déjà démontés) que brandissent les industriels de la culture en toute hypocrisie, ne sert qu’à masquer cette démarche de marginalisation des artistes, de ringardisation organisée de la culture savante, et en dernière analyse, d’une certaine forme de mépris.

Une pensée Libriste digne de ce nom, au contraire, me semble devoir accepter l’idée qu’une œuvre d’art — utile ou non ! — puisse être, tout comme un programme informatique, partagée, retravaillée, voire détournée sous certaines conditions. Le rôle du mouvement Libre est pour moi de remettre l’art en mouvement, et l’auteur à sa place : celle d’un citoyen parmi d’autres, venant à une époque parmi d’autres.




Pseudo ou vrai nom ? De l’impact des normes sociales sur les réseaux sociaux

Jack Newton - CC by-saÀ l’occasion de la sortie de Google Plus, on a beaucoup évoqué la question de l’identité numérique via le choix, imposé ou non, du pseudo ou du vrai nom (lire par exemple l’article d’Owni Google Plus, la dictature des vrais noms).

Dans l’article ci-dessous, traduit par Clochix[1], l’influente Danah Boyd nous rappelle l’impact, souvent non prévisibles, des normes sociales dans la direction et les usages d’une plateforme Web communautaire telle qu’un réseau social[2].

Elle affirme ainsi : « Les normes sociales ne font pas partie du logiciel. Elles n’apparaissent pas en expliquant aux gens comment ils doivent se comporter. Les normes sociales apparaissent lorsque les utilisateurs comprennent comment une technologie a du sens et s’intègre dans leur vie. Les normes sociales se renforcent à mesure que les gens intègrent leur propres valeurs et croyances dans le système. »

Certes oui, sauf peut-être lorsque le logiciel est un logiciel libre car alors on peut émettre l’hypothèse qu’un certain nombre de normes sociales, positives et directement induites par la licence libre, feront d’emblée leur apparition. Ce qui pourrait faire l’objet d’un débat dans les commentaires et justifier la présence de cet article sur le Framablog 🙂

Concevoir en respectant les normes sociales, ou comment ne pas créer de foules en colère

Designing for Social Norms (or How Not to Create Angry Mobs)

Danah Boyd – 5 aout 2011 – Apophenia
(Traduction Framalang : Clochix)

Dans son livre de référence « Code », Larry Lessig soutient que les systèmes sociaux sont régis par quatre forces : le marché, la loi, les normes sociales et l’architecture ou le code. En réfléchissant aux médias sociaux, beaucoup de gens ne pensent qu’en terme de monétisation. De même, lorsqu’apparaissent des problématiques comme la vie privée, on voit régulièrement entrer en scène une régulation légale. Et naturellement, les gens pensent toujours à ce que le code permet ou non de faire. Mais je trouve déprimant que si peu de gens pensent au pouvoir des normes sociales. En fait, on ne pense souvent au pouvoir régulateur des normes sociales que lorsque les choses tournent vraiment mal. Et à ce moment, elles sont souvent hors de contrôle, réactionnaires et confuses pour tout le monde. On a vu cela avec les problèmes de vie privée et on le voit encore avec les débats sur les politiques en matière d’utilisation de son « vrai nom ». Au fur et à mesure que je lis la discussion que j’ai provoquée sur ce sujet, je ne peux m’empêcher de penser que nous avons besoin d’un échange plus critique sur l’importance de concevoir en ayant en tête les normes sociales.

Les bons concepteurs d’interface utilisateur savent qu’ils ont le pouvoir d’influencer certaines pratiques sociales par la façon dont ils conçoivent les systèmes. Et les ingénieurs oublient souvent de créditer les gens qui font l’interface pour leur important travail. Mais concevoir le logiciel lui-même n’est qu’une fraction du défi en matière de conception lorsque l’on pense à toutes les implications. Les normes sociales ne font pas partie du logiciel. Elles n’apparaissent pas en expliquant aux gens comment ils doivent se comporter. Et elles ne suivent pas forcément les logiques du marché. Les normes sociales apparaissent lorsque les gens — devrait-on dire les utilisateurs — comprennent comment une technologie a du sens et s’intègre dans leur vie. Les normes sociales se renforcent à mesure que les gens intègrent leur propres valeurs et croyances dans le système et aident à structurer comment les utilisateurs suivant le comprendront. Et de même qu’en matière d’interactions sociales, « la première impression compte », je ne peux pas sous-estimer l’importance des utilisateurs précoces. Ils façonnent la technologie sur des points critiques et jouent un rôle central dans l’édification des normes qui régissent un système.

La façon dont est lancé un nouveau média social a une importance critique. Votre compréhension d’un système en réseau sera largement influencée par les gens qui vous y ont introduit. Lorsqu’un logiciel se répand lentement, les normes ont le temps de bien cuire, les gens peuvent travailler à ce qu’elles devraient être. Mais lorsqu’il se développe rapidement, il y a beaucoup plus de chaos en matière de normes sociales. À chaque fois qu’un nouveau système apparaît, il y a inévitablement plusieurs normes en compétition, promues par des gens déconnectés les uns des autres. (Je ne peux vous dire combien j’aimais regarder Friendster lorsque les gays, les participants au festival Burning man et les blogueurs n’étaient pas conscients de l’existence des autres). Plus les choses vont vite, plus rapidement ces collisions arrivent et plus il y a de confusion sur les normes à adopter.

La culture de l’utilisation de son « vrai nom » sur Facebook ne s’est pas répandue à cause des conditions d’utilisation. Elle s’est développée parce que les normes ont été fixées par les premiers utilisateurs du service, que les gens l’ont vu et s’y sont adaptés. De même, la culture des pseudonymes s’est développée parce que les gens ont vu que c’est ce que faisaient les autres et ont reproduit cette norme. Lorsque les dynamiques sociales sont autorisées à se développer de façon organique, les normes sociales ont un pouvoir de régulation plus puissant que n’importe quelles règles d’utilisation formalisées. À ce moment, vous pouvez souvent formaliser la norme dominante sans rencontrer trop de résistance, surtout si vous laissez une marge de manœuvre. Mais lorsque vous commencez avec une politique de régulation sévère qui ne s’inspire pas de normes sociales — comme l’a fait Google Plus — la résistance sera forte.

Pensons à nouveau un instant à Friendster… Vous vous souvenez de Fakester ? J’ai écrit à leur sujet ici (NdT: les faux profils, notamment de célébrités). Friendster a perdu un temps fou à jouer au jeu de la taupe avec eux, supprimant les « faux » comptes et en s’en prenant à quelques-uns des plus influents de ses utilisateurs. Le « génocide de Fakester » a amené un nombre impressionnant de gens à quitter Friendster pour rejoindre MySpace, notamment des groupes de musique, parce qu’ils ne voulaient pas être façonnés par Friendster. Le concept de Fakester est mort sur MySpace, mais sa pratique principale — la possibilité pour des groupes d’avoir des représentations reconnaissables — a fini par devenir la principale fonctionnalité de MySpace.

Les gens n’aiment pas être façonnés. Ils n’aiment pas qu’on leur impose la façon d’utiliser un service. Ils ne veulent pas qu’on leur dise de se comporter comme ses concepteurs attendent qu’ils le fassent. Les conditions d’utilisation strictes ne créent pas de bon comportements, elles génèrent des utilisateurs énervés.

Ça ne signifie pas que vous ne pouvez pas ou ne devriez pas concevoir votre produit pour encourager certains comportements. Naturellement vous devriez. Tous l’art de la conception est de créer un environnement où les gens s’investissent de la manière la plus fructueuse et la plus saine possible. Mais concevoir un système pour encourager le développement de normes sociales saines et fondamentalement différent d’arriver et de dire brutalement aux gens comment ils devraient se comporter. Personne n’aime recevoir de fessée, et surtout pas une foule d’adultes obstinés.

De manière ironique, la plupart des gens qui ont adopté Google Plus parmi les premiers utilisaient leur vrai nom, par habitude, ou parce qu’ils pensaient que c’est ainsi que le système devrait fonctionner. Quelques uns ne le faisaient pas. La plupart de ceux-ci utilisaient un pseudonyme reconnaissable, ils n’essayaient même pas de duper quiconque. Leur faire la chasse était juste complètement stupide. C’était faire étalage de sa force, et les gens se sont sentis désemparés. Ils sont devenus furieux. Et à ce moment là, il ne s’agit même plus de savoir si la politique du « vrai nom » était initialement une bonne idée; à présent, c’est un acte d’oppression. Google Plus aurait été dix bazillions de fois meilleur s’ils avaient encouragé discrètement cette politique sans en faire un plat, s’ils avaient choisi de ne la suivre strictement que dans les cas les plus flagrants. Mais à présent ils sont coincés entre le marteau et l’enclume. Ils doivent soit continuer dans cette voie et gérer les foules en colère, ou laisser tomber en signe d’apaisement dans l’espoir que la colère se calme. Il n’aurait pas dû en être ainsi, et ça ne l’aurait pas été s’ils avaient pensé à encourager les pratiques qu’ils voulaient davantage par la conception que par la force.

Il y a bien sûr des raisons légitimes de vouloir encourager les comportements civiques en ligne. Et naturellement les trolls font de sérieux dommages sur un média social. Mais une politique d’usage du « vrai nom » n’arrête pas un troll non repenti ; ce n’est qu’une haie de plus qu’il s’amusera à franchir. Dans mes travaux avec des adolescents, je rencontre tous les jours des cas de harcèlement écrit entre des gens qui savent exactement qui est qui sur Facebook. L’identité de nombreux trolls est connue. Mais ça ne résout pas le problème. Ce qui compte c’est comment la situation sociale est façonnée, les normes sur ce qui est approprié et ne l’est pas, et les mécanisme de régulation à la disposition de chacun (en faisant honte publiquement ou via une intervention technique). Une culture où les gens peuvent bâtir leur réputation sur leur présence en ligne (que ce soit avec leur « vrai » nom ou avec leur pseudonyme) a un long combat à mener contre les trolls (bien que ça ne soit en aucun cas une solution infaillible). Mais cette culture ne s’obtient pas par la force; vous y arrivez en encourageant l’apparition de normes sociales saines.

Les entreprises qui créent des logiciels que les gens utilisent ont du pouvoir. Mais elles doivent être très très prudentes dans la façon dont elles affirment cette autorité. C’est très simple d’arriver et d’essayer de façonner l’utilisateur de force. C’est beaucoup plus dur de travailler assidûment à concevoir et créer l’écosystème dans lequel des normes saine émergeront. Pourtant, ce dernier point est d’une importance capitale pour la constitution de communautés en bonne santé. Parce que vous ne pouvez pas obtenir une communauté vivace par la force.

Notes

[1] De Clochix, on pourra lire l’intéressant (et déprimant) billet sur les problèmes actuels de Mozilla en particulier vis-à-vis de sa communauté : Quel gâchis…

[2] Crédit photo : Jack Newton (Creative Commons By-Sa)




Orthophonie et logiciel libre – Rencontre avec Rémi Samier

Woodley Wonderworks - CC byFin octobre, la version 1.0 du FramaDVD École, un DVD ressources et logiciels libres à destination des écoles primaires, était finalisée et proposée au téléchargement. Cette sortie a été particulièrement bien accueillie et relayée par de nombreux sites, notamment des sites de circonscription de l’éducation nationale, mais également par des magazines[1].

Le DVD est disponible à l’achat[2] depuis le mois de décembre depuis notre boutique EnVenteLibre et les premières ventes sont encourageantes.

Différents témoignages que nous avons reçus, nous ont montré que le FramaDVD École n’était pas utile qu’aux écoles primaires. Le message envoyé par Rémi Samier, orthophoniste et webmestre du site Orthophonie Libre[3], nous a semblé particulièrement significatif. Nous lui avons donc proposé une interview que je vous laisse découvrir.

Bonjour Rémi, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Bonjour à toute l’équipe de Framasoft et aux lecteurs du Framablog, je suis orthophoniste, membre du collectif Giroll et initiateur du projet Contributions et Logiciels Libres en Orthophonie – Logopédie.

Pourquoi portes-tu un intérêt particulier au logiciel libre ? Depuis quand ?

J’ai commencé à m’intéresser au logiciel libre vers 2007 – 2008, principalement par l’intermédiaire des réflexions de Bernard Stiegler et de l’association Ars Industrialis sur les nécessités de développer une politique des technologies de l’esprit et une économie de la contribution.

Puis fin 2008, un ami m’a montré une distribution linux installée sur son PC. J’ai trouvé ça tellement génial que, quelques semaines plus tard, je franchissais le pas en installant Ubuntu sur mon ordinateur portable.

Comment as-tu fait le lien entre orthophonie et logiciel libre ?

Je dois avouer que je me suis lancé dans l’univers du libre en partant de rien, puisque je n’avais aucune connaissance en terme d’informatique, de programmation ou de logiciel. Ayant bien conscience du vaste domaine que je devais découvrir, je me suis rapproché du collectif Giroll pour apprendre en discutant avec d’autres personnes. Puis, comme, j’ai commencé mon exercice professionnel en même temps que mon aventure dans le domaine du libre, je me suis dit que le plus simple pour avancer, c’est d’utiliser dans ma pratique d’orthophoniste tout ce que je pourrais apprendre sur le libre.

Les logiciels libres sont-ils fréquemment utilisés par les orthophonistes ou est-ce marginal ?

Comme une grande partie de la population, les orthophonistes utilisent des logiciels libres, mais sans en avoir vraiment conscience, via leur navigateur web, leur suite bureautique ou le lecteur de contenus audio et vidéo. Par contre l’usage intentionnel de logiciels libres en tant qu’outils pour la pratique orthophonique est relativement marginal. Ce que l’on peut observer, c’est que beaucoup d’orthophonistes vont chercher des outils logiciels ou des ressources gratuites pour leur pratique, sans opérer de différenciation entre libre et gratuit.

Par ailleurs, il existe très peu de logiciels libres spécifiques ou très en lien avec l’orthophonie. Parmi les plus connus, qui sont parfois présentés lors des études d’orthophonie, on peut citer les logiciels CLAN pour l’analyse linguistique de corpus et PRAAT pour l’analyse des paramètres phonétiques et acoustiques de la parole et de la voix sous licence GNU-GPL. Ces logiciels portés par les sciences du langage notamment sont souvent utilisés pour les travaux de recherche en orthophonie et plus rarement en pratique clinique.

C’est pourquoi, avec Alexandre Dussart, auteur du logiciel FriLogos, nous travaillons à l’élaboration de logiciels libres pour la pratique orthophonique et avec le projet Contributions et Logiciels Libres en Orthophonie – Logopédie, nous œuvrons pour la promotion des outils libres afin de faciliter la création et le partage de matériels et de logiciels libres pour l’orthophonie via la plateforme Logophonia.

Comment as-tu eu connaissance de l’existence du FramaDVD École ?

C’est Alexandre Dussart qui m’a parlé du FramaDVD École, car FriLogos est dans la liste des logiciels proposés sur le FramaDVD École. Quand il m’a appris la nouvelle, c’était pour nous un grand pas qui venait d’être franchi !

Comment t’est-il parvenu ?

J’ai téléchargé l’image disque du DVD et je l’ai gravé. Ensuite comme j’utilise VirtualBox pour certains logiciels sous Windows, j’ai découvert que je pouvais ouvrir directement l’image disque sous Windows avec la machine virtuelle, ce qui augmente la rapidité d’exécution du DVD.

Pourquoi t’est-il utile ?

Le FramaDVD École m’est utile pour de multiples raisons :

  • En tant que promoteur du logiciel libre en orthophonie

Le FramaDVD École réunit une grande partie des logiciels libres que nous trouvons intéressants pour l’orthophonie. Il me permet donc de disposer d’un support que je peux diffuser auprès de mes collègues et qui présente l’avantage de faciliter l’installation et la prise en main de ces logiciels. Pour 2011, je vais notamment animer quelques ateliers sur les logiciels libres en orthophonie auprès de mes collègues et je graverai bien évidemment quelques DVD pour leur remettre.

  • En tant qu’orthophoniste

Comme le FramaDVD École s’adresse aux élèves, aux enseignants et aux parents, je vais recommander ce support à mes patients et leurs parents. En effet, pour les enfants qui présentent un trouble (qu’il soit du langage ou autre) ayant souvent pour conséquence de compliquer leurs apprentissages scolaires, il est fréquemment nécessaire de recourir à des supports et des outils pédagogiques complémentaires et adaptés pour faciliter les apprentissages de ces enfants. Généralement, les enseignants, comme les parents vont développer des outils pour aménager et présenter autrement les situations d’apprentissage. Souvent ce travail se fait de façon isolé et les personnes ont parfois le sentiment d’être démuni. Mon objectif sera de proposer de m’appuyer sur les outils du FramaDVD École pour proposer des ressources qui permettront aux enseignants comme aux parents de développer les adaptations nécessaires aux élèves.

Prenons par exemple l’apprentissage de l’anglais qui s’avère problématique notamment pour les élèves au collège présentant une dyslexie-dysorthographique avec un trouble portant sur la discrimination et la manipulation des phonèmes. La difficulté de l’apprentissage de l’anglais est une plainte qui revient très fréquemment par les parents et les enfants présentant une dyslexie-dysorthographie. C’est un point sur lequel les parents se sentent souvent démunis. Maintenant que j’ai découvert le FramaDVD École et les logiciels pour l’apprentissage de langues étrangères, je vais inviter les parents et les élèves dyslexiques-dysorthographiques à s’appuyer sur le logiciel Shtooka, les bases de données audio swac et même le logiciel Anki pour développer des programmes de mémorisation comprenant la forme verbale, la forme écrite et la signification selon la progression et les listes de vocabulaire données par l’enseignant.

L’idéal ensuite, ce serait que toutes les personnes qui développent ce type d’aménagements ou de supports pédagogiques, permettant de faciliter l’accès aux savoirs et aux apprentissages, puissent les partager sur une plate-forme sous licence libre. Cela permettrait notamment lors de la mise en place de Projet d’Accueil Individualisé ou de Projet Personnalisé de Scolarisation de pouvoir proposer aux enseignants, aux parents et aux élèves une palette d’outils en fonction des difficultés et des troubles repérés.

Pour toi, que manque-t-il au DVD ? Quelles perspectives ?

Il est difficile pour moi de dire ce qui manque sur le DVD, car je n’ai pas fini de faire le tour du contenu du DVD. Je ne l’ai pas écrit précédemment, mais j’ai beaucoup apprécié les contenus libres photos, musique, livres, ressources pédagogiques et ressources sur le libre. Notamment les photos sont très utiles en orthophonie pour construire des supports pour travailler la communication verbale et non-verbale.

Au niveau des perspectives, comme je le disais à la question précédente, il serait intéressant de développer en complément du DVD un site de partage de ressources pédagogiques libres.

Par ailleurs pour faciliter l’utilisation et l’appropriation des logiciels et des ressources libres, un système, qui permettrait de synthétiser des retours d’expériences et d’utilisation des outils, couplé à un bon moteur de recherche par mots-clés notamment, serait un outil extraordinaire pour se faire rapidement une idée des possibilités offertes par ces logiciels et ressources libres. En fait, il s’agirait de développer, en complément de plateforme ou d’annuaire présentant les outils, le même type de plateforme mais plus orienté sur les réalisations, les objectifs, les finalités et en présentant les outils libres permettant d’arriver à un tel résultat.

Pour finir, des formations ou des ateliers à destination d’enseignants ou du grand-public (puisque le FramaDVD École s’adresse aussi aux parents) renforceraient également l’appropriation, le partage de ces outils et des ressources ainsi créées.

Quels usages envisages-tu pour le FramaDVD École ?

Un usage pour découvrir de nouveaux outils et exploiter leurs potentialités/possibilités

Un usage pour partager facilement auprès des professionnels et des étudiants en orthophonie les logiciels libres qui sont intéressants en orthophonie

Un usage auprès de mes patients et de leur entourage afin qu’ils puissent disposer de nouveaux outils pour faciliter leur apprentissage.

As-tu des idées pour le diffuser plus largement ?

Un partenariat avec le SCEREN, le CNDP et ses instances régionales permettrait de toucher encore plus facilement la communauté des enseignants. Idem avec les Fédérations de Parents d’Élèves pour toucher les parents.

Le FramaDVD École pourrait également intéresser les organisations de Jeunesse et d’Éducation Populaire, comme le CNAJEP. En y pensant tout-à-l’heure et après avoir effectué quelques recherches, j’ai notamment pu me rendre compte que ces organisations se sont saisies de ces questions. Il est donc possible de s’appuyer sur cette dynamique pour proposer une diffusion du FramaDVD École via les réseaux des associations de Jeunesse et d’Éducation Populaire.

Il pourrait également être bénéfique pour le FramaDVD École d’obtenir la marque Reconnu d’intérêt pédagogique (RIP) par la Ministère de l’Éducation Nationale. Ce serait une véritable avancée, car dans la liste des ressources qui bénéficient de cette marque, il n’y a pas ou peu à ma connaissance de ressources libres. Ce serait également un bon vecteur pour que les instances ministérielles se saisissent des enjeux du libre pour l’enseignement et l’éducation.

Ensuite, je pars du principe que le développement de nouvelles pratiques ou de nouveaux outils doit passer par la formation initiale. Il est ainsi possible d’aller à la rencontre des Universités, des IUFM et des responsables des Masters préparant aux métiers de l’enseignement.

Enfin, avec le développement des ressources libres pour les élèves présentant un trouble ou un handicap se répercutant sur les apprentissages, il est certain que les associations de parents de patients s’approprieront l’outil FramaDVD École.

Quels logiciels libres conseillerais-tu à tes collègues ?

  • Tous les outils facilitant les créations graphiques et notamment la triade : Gimp, Inkscape, Scribus.
  • Tous les logiciels permettant de travailler des fonctions cognitives et/ou permettant de créer de programme d’entraînement de ces fonctions (Anki, FriLogos, etc.) qu’ils soient spécifiques ou non à l’orthophonie.
  • Tous les logiciels permettant de compenser les effets des troubles de nos patients (Clavicom, Chewing Word, etc.)

Si des lecteurs du Framablog souhaitent t’aider, comment peuvent-ils le faire ?

Dans le cadre du projet Contributions et Logiciels Libres en Orthophonie – Logopédie, nous travaillons sur plusieurs axes :

  1. Création de matériels, de supports, de jeux pour un usage thérapeutique (logiciels PAO, dessin, etc.)
  2. Utilisation de logiciels libres non spécifiques à l’orthophonie mais pouvant être adaptés à un travail en séance (logiciels de jeux, de mémorisation, de mindmap, etc.)
  3. Utilisation de logiciels libres comme outil de compensation d’un trouble ou d’un handicap
  4. Création de logiciels libres spécifiques à l’orthophonie

Au-delà des compétences techniques en terme de programmation pour le développement de logiciels libres spécifiques à l’orthophonie, une des ressources précieuses pour l’avancée de notre projet comme celui de Framasoft va être le partage de connaissances et d’expériences : Rédaction de présentations de logiciels et/ou de ressources libres, retours d’expériences sur l’utilisation des outils, rédaction de documentations (guides d’utilisation, tutoriels), etc.

Bien évidemment, si notre travail est très centré sur l’orthophonie avec la participation d’étudiants et de professionnels en orthophonie, nous travaillons avec une diversité de personnes aux compétences diverses, mais toutes très motivées par les enjeux du développement du libre en orthophonie et ce pour le bénéfice des patients et de leur entourage.

Si vous êtes motivés par ce challenge, n’hésitez pas à consulter notre site ou à nous envoyer un courriel.

Pour finir, nous commençons à développer différents partenariats avec des acteurs du libre et de l’orthophonie.

Nous envisageons également :

  • de contacter des équipes et des laboratoires de recherche dans les domaines en lien avec l’orthophonie pour développer des outils thérapeutiques qui s’appuient sur les avancées de la recherche,
  • et de renforcer nos liens avec les communautés libres pour que nos initiatives aient des retombées positives sur les autres initiatives libres et bénéficient du soutien et des compétences de ces acteurs.

Il s’agit de partenariat libre, car le projet n’a pas de personnalité morale. Nous fonctionnons pour le moment comme un collectif et sommes ouverts à toutes les initiatives !

Y a-t-il une question que tu souhaiterais qu’on te pose ?

Ce n’est pas vraiment une question. Ce sont plus des souhaits qui nous tiennent à cœur. Et en cette période de fêtes de fin d’années, c’est plutôt de circonstance !

« We have free dreams! »

Tout d’abord, nous avons un rêve depuis quelques mois, celui d’une distribution linux adaptée aux élèves présentant un trouble spécifique des apprentissages. A l’heure actuelle, certains élèves via la Maison Départementale de la Personne Handicapée (MDPH) et l’Inspection Académique peuvent bénéficier d’un ordinateur avec différents logiciels de compensation pour faciliter leur scolarité. Néanmoins, il est de plus en plus difficile d’obtenir ce type d’aide. Et pour avoir plusieurs patients collégiens qui disposent d’un tel outil, il n’est pas rare que je sois amené à dépanner les ordinateurs, notamment à cause des virus et autres malwares.

Face à ces différents constats, nous pensons qu’un outil informatique sous linux avec des logiciels pour la compensation des troubles pourrait être une solution pour pouvoir équiper un plus grand nombre d’élèves et pour gagner en stabilité sur l’utilisation de l’outil.

Ensuite, étant, depuis plus d’un an, un grand fan de la Framakey et maintenant du FramaDVD École (C’est mon deuxième Noël, où j’offre des clés USB et des DVD pour faire découvrir les supports de Framasoft et le monde du libre à mes amis), je rêve d’une Framakey et/ou d’un FramaDVD, orientés vers les étudiants et professionnels orthophonistes-logopèdes, qui permettraient également d’installer des outils libres sur les ordinateurs de leur patient.

Pour y arriver, nous avons encore besoin de travailler nos connaissances sur les logiciels libres et de bien déterminer nos objectifs pour que le support ainsi créé réponde au mieux aux attentes de la communauté des orthophonistes. Mais nous espérons pouvoir réaliser un tel outil pour 2011 !

Pour finir, nous tenions vraiment à remercier toute l’équipe de Framasoft pour l’intérêt que vous portez à nos réalisations. Nous nous inspirons de plus en plus de la philosophie et des idées développées par Framasoft. Par exemple, pour la vidéo de notre intervention au Congrès National des Étudiants en Orthophonie, nous avons suivi le choix de Framasoft avec le projet Framatube en proposant notre vidéo sur le site blip.tv afin de mettre en avant la licence libre de la vidéo.

Nous avons bien conscience que le projet que nous avons initié est très vaste et qu’il nous faudra du temps pour réaliser nos rêves, mais nous faisons nôtre la maxime de Framasoft. Pour la paraphraser quelque peu, nous dirions : « Les champs à explorer sont infinis, les outils à développer sont multiples, mais le chemin pour y parvenir est libre ! »

Joyeuses fêtes de fin d’années à tous, sous l’étoile du libre !

Notes

[1] À notre connaissance, des articles ont été publiés dans les magazines Les Cahiers Pédagogiques, La Classe, La Classe Maternelle et OpenSource Magazine ainsi que sur les sites recensés sur notre wiki. Nous tenons sincèrement à les remercier. Si vous avez vu circuler l’information ailleurs, n’hésitez pas à nous le signaler.

[2] Les prix sont dégressifs. De 5 € pour un exemplaire acheté à 2,50 € par DVD à partir de 100 exemplaires. Exceptionnellement, les chèques et mandats administratifs sont acceptés pour les établissements scolaires.

[3] Crédit photo : Woodley Wonderworks (Creative Commons By)