Comment créer un blog anonyme (à l’heure de la surveillance généralisée)

Blog vraiment anonyme : mode d’emploi !

« Et si vous me trouvez, je serai vraiment très impressionné. »

AndyRobertsPhotos - CC by

Comment créer un blog anonyme

How to Start an Anonymous Blog

Anonyme (évidemment) – 26 janvier 2014 – Untraceable
(Traduction : crendipt, aKa, Diab, Penguin, Omegax, amha, nanoPlink, Paul, Scailyna, Scailyna, Asta, Unnamed, goofy, lamessen)

Introduction

Je crois qu’en suivant les étapes que j’expose dans ce billet, personne ne sera capable de dévoiler mon identité. Mon domaine peut être saisi et mon blog peut être fermé, mais je reste persuadé que mon identité restera un mystère.

Si je dis cela, c’est principalement parce que j’ai confiance dans un outil très important appelé Tor. Les développeurs et administrateurs des nœuds de Tor travaillent pour que chacun puisse être anonyme sur Internet. Tor est une sérieuse épine dans le pied pour la NSA et pour les autres organisations et pays qui font de l’espionnage sur Internet.

Vu que le réseau Tor rend très difficile l’identification des adresses IP et que l’enregistrement de domaines est désormais possible via Bitcoin, je n’ai à aucun moment besoin de fournir une quelconque information personnelle pour la mise en place de ce blog.

Outils et ressources

Tails / Tor

Tails est lancé depuis une clé USB qui inclut une partition chiffrée. Cette partition contient un porte-monnaie Bitcoin, le code source du blog et une base de données Keepass. Mes mots de passe pour des services tiers sont des mots de passe très forts générés aléatoirement. Avec Tails, il est difficile de se tromper, car toutes les connexions doivent obligatoirement passer par Tor. Par exemple, pour développer ce blog en local, je dois ajuster les règles du pare-feu pour autoriser les connexions locales au port 4000, télécharger un navigateur différent (Midori) et régler celui-ci pour qu’il n’utilise pas de serveur proxy. Le pare-feu bloque toutes les requêtes externes de Midori, mais je peux accéder à http://localhost:4000.

Donc, à moins d’agir de manière insensée, par exemple me connecter à StackOverflow au moyen de mon vrai compte Google et utiliser l’identifiant de « untraceableblog », je pense qu’il est quasiment impossible de me pister.

Je fais une sauvegarde de la clé USB sur mon ordinateur principal, sur un volume caché TrueCrypt. J’aime le concept des volumes cachés, j’ai l’impression d’être un putain d’espion. L’idée, c’est d’avoir un mot de passe factice qui déverrouille un faux dossier chiffré et un mot de passe réel pour déverrouiller le vrai dossier chiffré, sans qu’il y ait aucun moyen pour les autres de savoir lequel vous déverrouillez. Dans mon faux dossier chiffré, je garde ma base personnelle de Keypass, de cartes de crédit, et des scans de mon passeport et permis de conduire. Donc si quelqu’un me force à entrer mon mot de passe pour déverrouiller mon ordinateur et découvre que j’ai un volume TrueCrypt, il n’aura aucun moyen de savoir si j’ai entré le mot de passe réel ou bidon.

Cette fonctionnalité autorise une légère protection contre les tentatives d’extorsion de votre mot de passe par la force.

XKCD

La plupart du temps, je cache la clé dans un endroit secret de la maison. Quand je dois aller quelque part et que je veux pouvoir mettre à jour ce blog, je le sauvegarde sur le volume caché, puis j’efface la clé de manière sécurisée et je peux l’emporter avec moi sans aucune crainte. C’est ce que je devrai faire jusqu’à ce que Tails intègre sa propre fonction pour les « volumes cachés ».

Messagerie électronique

J’ai créé un compte de messagerie gratuit sur Outlook.com et j’utilise anonymousspeech.com pour la vérification et la sauvegarde.

J’ai d’abord essayé Gmail, mais Google rend la création de compte très difficile quand on utilise Tor, à cause de la vérification par téléphone. C’est compréhensible, à cause des gens qui aiment créer un grand nombre de faux comptes pour envoyer du spam.

Blog

Ce blog est libre sur les pages GitHub, il utilise Octopress pour créer un site statique et j’ai installé le thème Page Turner. J’ai envoyé le contenu sur GitHub avec une clé SSH, bien entendu chiffrée et stockée sur ma clé USB.

Il me vient à l’esprit deux vecteurs susceptibles de vous donner des informations sur mon identité :


L’horodatage des messages

Le système d’exploitation Tails dispose d’une bonne stratégie pour forcer l’heure du système à être systématiquement en UTC. Mais si j’écris une série de billets dans les années à venir, vous pourriez en analyser l’horodatage pour déterminer mon fuseau horaire. Cependant, le site compilé indique uniquement la date. Par ailleurs, je voyage beaucoup (ou pas ?) 😉

Analyse de la fréquence des mots et caractères

Vous pourriez être capables de déterminer mon pays d’origine ou mon identité grâce à mes mots et mes phrases. Vous pourriez même trouver une corrélation avec les autres contenus que j’ai publiés en ligne sous ma véritable identité. Je contre cette possibilité en passant tous mes billets dans Google Translate. Je traduis dans une autre langue, puis en anglais et je corrige ensuite les erreurs. C’est parfait pour diversifier mon vocabulaire, mais j’aurais aimé que ça ne casse pas autant le Markdown et le HTML. Jusqu’ici vous pourriez croire que l’anglais est ma seconde langue. Mais laissez-moi vous assurer d’une chose : je n’ai jamais affirmé ni infirmé ce point.

Un des problèmes, c’est que Google peut voir mes messages originaux et probablement aussi la NSA. Si je voulais l’éviter, je pourrais poster des demandes de traductions anonymes et payer les traducteurs en bitcoins.

Statistiques

Les raisons de l’indisponibilité de Google Analytics vous sont données sous « Messagerie électronique ». À la place, j’ai choisi StatCounter.

Mais même si Google Analytics avait été disponible, je n’aurais pas utilisé une ID de suivi liée à mon identité réelle. Beaucoup de blogueurs anonymes ont été trahis par l’annuaire d’ID inversé proposé par Google.

Acheter des bitcoins avec le maximum d’anonymat

J’ai acheté les bitcoins en utilisant un compte anonyme créé via Tor. J’ai trouvé un vendeur qui souhaitait me rencontrer en personne et nous avons convenu d’un rendez-vous. Nous nous sommes rencontrés, je lui ai donné l’argent et il m’a transféré les bitcoins en utilisant son téléphone.

Acheter un nom de domaine avec des bitcoins

IT Itch est un registrar qui accepte les paiements via BitPay. Leurs noms de domaine sont assez chers,15 USD chacun, mais permettent un enregistrement totalement anonyme. Ce fut une démarche facile, mais il a fallu du temps pour que le domaine devienne actif (plus d’une heure). Une fois activé, j’ai configuré les enregistrements DNS pour GitHub Pages, et ensuite mon blog était accessible sur http://untraceableblog.com.

IT Itch a fait la grosse erreur de m’envoyer mon mot de passe en texte clair après la création du compte. PAS BIEN ! Si quelqu’un parvient à accéder à mon compte Outlook, il peut se connecter et détruire mon site. Donc j’ai effacé le message et changé mon mot de passe, et heureusement ils ne l’ont pas renvoyé par e-mail.

Comment je pourrais être découvert, 1ère partie

Pister les Bitcoins

En théorie, vous pouvez suivre la trace des transactions Bitcoins et découvrir mon identité. Toutefois, dans ce cas, il est très peu probable que même l’organisation la plus sophistiquée et la mieux financée puisse me découvrir.

Voyez-vous, j’ai acheté ces Bitcoins en utilisant un compte anonyme sur localbitcoins.com (créé en utilisant Tor). Nous avons convenu, le vendeur et moi, de nous rencontrer en personne, et j’ai payé en liquide. Pour dévoiler mon identité, il faudrait que vous puissiez casser les défenses de tous les services que j’ai utilisés ou bien travailler chez eux. Il faudrait par exemple :

  1. Accéder à la base de données de ititch.com et trouver l’identifieur de la transaction BitPay pour untraceableblog.com
  2. Accéder à la base de données de BitPay et trouver l’adresse Bitcoin qui a envoyé les Bitcoins pour cette transaction
  3. Accéder à la base de données de localbitcoins.com. Trouver l’adresse Bitcoin qui a envoyé les Bitcoins à BitPay, retracer la transaction jusqu’à ce que vous trouviez l’adresse localbitcoins du dépôt fiduciaire.
  4. À partir de l’adresse du dépôt fiduciaire, vous pourrez trouver le compte localbitcoins, et retrouver les messages que nous avons échangés pour nous rencontrer.
  5. Vous devrez vous rendre au point de rendez-vous et espérer qu’il existe des caméras de surveillance qui auraient pu nous enregistrer ce jour-là.
  6. Vous aurez enfin besoin d’accéder à la société de sécurité qui possède les enregistrements des caméras de surveillance, obtenir une bonne image de mon visage et faire tourner d’une façon ou d’une autre un logiciel de reconnaissance faciale pour découvrir mon identité. Travailler pour Facebook ou la NSA pourrait aider si vous avez réussi à parvenir à ce point.
Comment je pourrais être découvert, 2ème partie
Tout est hacké. Absolument tout.

Internet est une machine basée sur la confiance et il existe de nombreuses manières de briser cette confiance. Quelqu’un peut générer des certificats SSL de confiance pour n’importe quel domaine, exiger que son FAI route l’intégralité du trafic au travers de ces certificats, ou contrôler un grand nombre de nœuds Tor et réaliser des attaques par analyse de trafic. Je n’entrerai pas dans les détails mais si vous êtes intéressés, vous pouvez en apprendre davantage sur les attaques Tor :

Conclusion

Je n’ai fait ce blog que comme un exercice amusant d’anonymat, même si j’y posterai probablement des choses dans le futur. J’ai simplement utilisé des outils créés par des gens bien plus intelligents que moi et je ne suis sûrement pas le premier blogueur anonyme, mais j’espère vous avoir appris quelque chose.

Bien évidemment, on peut aller beaucoup plus loin que ça. J’aurais pu héberger ce blog sur un VPS que j’aurais loué avec des Bitcoins et installer le serveur comme un service Tor masqué. L’adresse IP du serveur aurait été totalement protégée mais, de ce fait, vous n’auriez pu consulter ce blog qu’au travers du réseau Tor, et les liens de nœud Tor (TBR) ça ne fait pas très chouette en page d’accueil. J’aurais également pu faire toutes mes actions depuis un cybercafé, juste au cas où Tor serait compromis, mais je n’aurais pas été découvert. Enfin, j’aurais pu choisir un domaine en « .se » si j’avais eu peur de l’intervention du gouvernement américain. C’est ce qui est actuellement utilisé par The Pirate Bay, et les Suédois leur laissent toute liberté d’action.

N’hésitez pas à m’envoyer quelques Satoshis (fractions de Bitcoins) si vous aimez ce billet : 146g3vSB64KxxnjWbb2vnjeaom6WYevcQb.

Et si vous me trouvez, je serai vraiment très impressionné.

Crédit illustrations : AndyRobertsPhotos (Creative Commons By) et XKCD




Geektionnerd : GnuPG

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Comment croire Microsoft qui nous annonce plus de transparence ?

Toujours et encore les conséquences des révélations de Snowden (qui a manqué de peu d’être élu « homme de l’année » par le Time Magazine).

Ici donc, Micosoft tente de montrer patte blanche avec Windows. Mais comme le rappelle la FSF ci-dessous : « une serrure sur votre propre maison pour laquelle vous n’avez pas la clé n’est pas un système sécurisé, c’est une prison ».

Switch from Windows8 - FSF

La FSF réagit suite à l’annonce de Microsoft sur la vie privée et le chiffrement

FSF responds to Microsoft’s privacy and encryption announcement

John Sullivan – 5 décembres 2013 – FSF News
(Traduction : Peekmo, Dalz, Sphinx, KoS, yannux, Asta, Penguin, Llu, Sky, Diin + anonymes)

Hier, lundi 4 décembre, Microsoft a annoncé un nouvel effort pour « protéger les données de ses clients contre l’espionnage du gouvernement ». Le directeur exécutif de la FSF a publié la déclaration suivante le mardi 5 décembre :

Microsoft a déjà fait par le passé des promesses de sécurité. Au final, ces promesses sont dénuées de sens. Un logiciel propriétaire comme Windows n’est fondamentalement pas sécurisé, non pas à cause des politiques de confidentialité de Microsoft, mais parce que son code est caché aux utilisateurs mêmes dont il est supposé protéger les intérêts. Une serrure sur votre propre maison pour laquelle vous n’avez pas la clé n’est pas un système sécurisé, c’est une prison.

Même sur des systèmes d’exploitation propriétaires comme Windows, il vaut mieux utiliser des programmes de chiffrement libres comme GNU Privacy Guard. Mais quand personne à part Microsoft ne peut voir les dessous du code, ou corriger les problèmes découverts, il est impossible d’avoir une vraie chaîne de confiance.

Si les révélations sur la NSA nous ont appris quelque chose, c’est que les journalistes, gouvernements, écoles, organisations de défense des droits, sociétés, et individus doivent utiliser un système d’exploitation dont le code peut être analysé et modifié sans l’accord de Microsoft ou de tout autre partie tierce. Si nous n’avons pas cela, les portes dérobées et la violation des droits privés sont inévitables.

L’annonce de Microsoft promet de la « transparence » pour rassurer les gens sur le fait qu’il n’y a pas de portes dérobées dans Windows, mais ce n’est certes pas une solution. La transparence dans le monde de Windows signifie uniquement des auto-évaluations commandées par Microsoft, ou un accès accordé à des tierces parties couvrant une portion très limitée du code source.

La liberté et la sécurité, ce n’est pas juste avoir le droit de jeter un œil au code. Microsoft a démontré à plusieurs reprises que sa définition d’une « porte dérobée » ne sera jamais la même que la notre. Découvrir qu’il existe une porte dérobée grande ouverte ne vous servira à rien s’il vous est interdit de la fermer.

La solution après l’annonce de Microsoft est la même qu’avant. Comme l’ancien conseiller principal de la sécurité (des données privées) de Microsoft : changez pour un système d’exploitation libre comme GNU/Linux, et ne regardez pas en arrière.




GnuPG a 16 ans et est en campagne

GnuPG, célèbre logiciel libre de chiffrement des messages fête ses 16 ans aujourd’hui. Et dieu sait si on en a besoin aujourd’hui pour préserver sa vie privée.

Raison de plus pour relayer et soutenir leur campagne de crowdfunding sur Goteo.

GnuPG Logo

16 Ans de protection de la vie privée

16 Years of protecting privacy

Sam Tuke – 20 décembre 2013 – GnuPG Blog
(Traduction : axl, z1tor, crendipt, FF255)

Aujourd’hui marque les 16 ans depuis la première version de GNU Privacy Guard (GnuPG). Pendant ce temps le projet est passé d’un simple hobby de hackers à un des outils les plus importants de l’anti-surveillance dans le monde. Aujourd’hui GnuPG reste un acteur important de la bataille entre surveillance intrusive et libertés citoyennes.

« Avec le temps, le logiciel libre a su se montrer un rempart efficace contre les entreprises et les gouvernements qui cherchent à nuire à la vie privée des citoyens » déclare Werner Koch, fondateur et développeur principal de GnuPG. « Bien que trouver des mécènes pour notre travail n’ait jamais été facile, avoir des outils pour la vie privée, accessibles à tous, se montre de plus en plus nécessaire. »

Certains des spécialistes mondiaux en sécurité, comme Bruce Schneier, Jacob Appelbaum et Phil Zimmerman – inventeur de PGP, utilisent maintenant GnuPG. Cet été, grâce à des lanceurs d’alerte, le monde a appris à quel point les gouvernements espionnaient les gens, et des journalistes utilisent désormais GnuPG pour chiffrer leurs courriels. Des références sur le marché des serveurs, tels que Red Hat et Debian, ont bâti leur réputation de sécurité sur des logiciels vérifiés par GnuPG.

« Le succès de la première campagne de crowdfunding de GnuPG, lors de laquelle 90% des objectifs ont été remplis en 24 heures, montre à quel point les utilisateurs sont prêts à soutenir GnuPG et ouvre de nouvelles opportunités pour le développement du projet » déclare Sam Tuke, qui gère la campagne de GnuPG. « La prochaine sortie de la version 2.1 de GnuPG et le lancement d’un nouveau site plus ergonomique vont accroître l’audience du programme et de ses versions pour Windows, Mac, Gnu/Linux et Android. »

Au fil des années GnuPG a évolué avec de nouveaux algorithmes, telle que la cryptographie à courbe elliptique, et s’est montré réactif face à de nouvelles menaces comme la récupération de clé via la surveillance acoustique. Les membres de GnuPG restent confiants sur le futur de l’application et sont prêts, avec l’aide de la communauté, à faire face à de nouvelles futures menaces sur la vie privée.




Geektionnerd : Article 13 de la LPM

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




La NSA et la surveillance sur Internet pour les nuls

« Ces révélations ont changé notre Internet à jamais. La vie privée a-t-elle seulement un avenir ? »

L’excellent journal The Guardian, très actif dans l’affaire Snowden, a récemment mis en ligne une vidéo simple et percutante sur la NSA et la problématique de la surveillance en ligne.

Nous vous en proposons sa transcription traduite ainsi que le fichier .SRT de sous-titrage en français disponible ci-dessous (merci Cartido)

Une vidéo à voir et à faire voir tant elle fait peur et démontre que nous avons changé de paradigme dans une indifférence presque générale.

—> La vidéo au format webm
—> Le fichier de sous-titres

La NSA et la surveillance… rendu facilement compréhensible pour tous

URL d’origine du document

Scott Cawley, Jemima Kiss, Paul Boyd et James Ball – 26 novembre 2013 – The Guardian
(Traduction : Goofy, Mounoux, T, Paul + anonymes)

Maintenant que nous sommes presque tous en ligne, et connectés d’une façon ou d’une autre, les espions ne ciblent plus une ou deux personnes mal intentionnées. Au lieu de cela, les gouvernements du Royaume-Uni et des États-Unis pratiquent tous deux une collecte massive d’informations sur ce que nous faisons avec nos téléphones et sur Internet.

Comment font-ils ?

Deux grandes méthodes sont utilisées pour récupérer ces informations.

La première, c’est de travailler avec les entreprises qui font fonctionner les réseaux et « d’écouter » les câbles qui sont essentiels pour faire circuler toute cette information. Ils s’installent au beau milieu de l’énorme flux de données, moissonnent tout ce qui circule puis le stockent dans d’immenses bases de données.

La deuxième technique implique d’utiliser leurs relations privilégiées avec les entreprises high-tech (Google, Facebook, Microsoft…) pour s’emparer de nos informations comme les courriers électroniques en les captant directement sur les services basés aux USA.

Que font-il avec ?

Les agences d’espionnage jettent la plupart des contenus qu’ils collectent. Ils les gardent sur leur système pendant trois jours environ et rejettent tout ce qui ne provient pas d’une de leurs cibles.

Il en va autrement pour les métadonnées. Qui a envoyé un message ? pour qui ? quand ? bien d’autres détails encore. Les services secrets conservent presque toutes les métadonnées collectées pendant environ un mois au Royaume-Uni et jusqu’à un an aux États-Unis. Cela leur permet de créer les profils de millions de gens. Qui parle à qui ? qui connaît qui ? et, si nécessaire, où sont localisés les gens ?

Ces révélations soulèvent un certain nombre de questions.

Où se situe la frontière entre notre droit à la vie privée et le devoir des autorités de nous protéger ? Les gouvernements en Amérique du Nord et au Royaume-Uni prétendent que ces programmes de surveillance aident à nous prémunir du terrorisme.

Mais que se passerait-il si vous étiez injustement accusé ? Et doit-on accepter le fait que désormais Internet est un endroit bien différent de ce qu’il a été, dirigé par des entreprises et des gouvernements qui peuvent le surveiller quand et comme ils le veulent ?

Maintenant que vous savez que vous êtes surveillé, votre comportement va-t-il changer ? Comment allez-vous parler à vos amis et jusqu’à quel point allez-vous faire confiance au monde qui vous entoure ?

Ces révélations ont changé notre Internet à jamais. La vie privée a-t-elle seulement un avenir ?




Le Brésil ne veut plus de logiciels impossibles à auditer

Avant Snowden, nous criions dans le désert.

Il en va tout autrement aujourd’hui. Et les gouvernements réalisent soudainement le danger d’avoir choisi des logiciels propriétaires qu’on ne peut évaluer et auditer faute d’accès au code source.

Il ne va pas être facile pour Microsoft, Apple et consorts de répondre ici aux exigences de transparence des autorités brésiliennes qui se tourneront naturellement vers le logiciel libre.

En attendant le tour de la France…

Edward Snowden - Laura Poitras - CC by

Le gouvernement brésilien va interdire l’achat des logiciels qui ne permettent pas leur plein contrôle

Governo vai barrar compra de software que impeça auditoria

Natuza Nery et Julia Borba – 5 novembre 2013 – Folha de S. Paolo
(Traduction : Ulan, Pierre, JonathanMM)

A partir de l’année prochaine, le gouvernement (brésilien) n’achètera plus d’ordinateurs ou de logiciels qui ne peuvent être pleinement audités par les pouvoirs publics. La directive a été publiée le 5 novembre dernier dans le journal officiel « Diario official da Uniao ».

Ainsi, les systèmes d’exploitation comme Windows (Microsoft) et MacOS (Apple) ne seront plus utilisés si les entreprises concernées font obstacle aux enquêtes sur l’espionnage informatique.

Actuellement, à l’installation d’un logiciel (propriétaire), les utilisateurs acceptent les termes d’utilisation de l’éditeur autorisant éventuellement celui-ci à accéder à leur ordinateur.

Le gouvernement brésilien souhaite avoir le droit de surveiller qui surveille ses concitoyens, et ce dans le but de pouvoir identifier et tracer les tentatives d’espionnage.

Selon le journal « Folha de São Paulo », l’intention n’est pas de promouvoir une conversion massive des parcs informatiques, mais prévenir que les produits actuels ne sont plus conformes aux nouvelles exigences.

De cette manière, il y aura un substitution graduelle des programmes traditionnels (propriétaires) pour des logiciels libres, comme Linux, si nous ne parvenons pas à négocier avec les grandes entreprises.

L’importance accordée par le gouvernement à l’espionnage a augmenté depuis qu’ont été publiés les dénonciations sur l’accès par les services américains aux archives des autorités et entreprises brésiliennes.

Économie

Le gouvernement considère que, en plus d’augmenter la sécurité, la directive entraînera des économies. L’utilisation de logiciels libres met un terme au renouvellement obligatoire des licences de ces programmes.

Interrogé pour la rédaction de cet article, Apple n’a pas souhaité répondre à cette décision.

Microsoft a informé qu’il fournit aux gouvernements « l’accès contrôlé au code source et aux autres informations techniques pour les aider à évaluer la sécurité des produits ». La société a également déclaré qu’elle se met à disposition du gouvernement brésilien pour discuter des détails de la mesure.

Valeur incertaine

Il n’y a pas encore d’estimation de l’impact de cette décision sur les dépenses gouvernementales. Les informations plus précises sur ces coûts ne seront dévoilées qu’après l’application de la directive, quand aura lieu une enquête sur les contrats actuellement en vigueur et les dates d’expirations de ceux-ci. Comme ces licences ont été obtenues à des moments différents, il n’est pas encore possible de faire d’estimation.

Le journal précise que le gouvernement de Dilma Rousseff étudie également avec détermination une autre mesure de sécurité informatique : installer le client de messagerie libre Expresso (Serpro) comme référence sur tout ordinateur public à la place de Outlook, ce qui engendrera des économies supérieures à 60 millions de reais par an (environ 20 millions d’euros).

Crédit photo : Laura Poitras (Creative Commons By)




Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? par Richard Stallman

« Le niveau de surveillance actuel dans nos sociétés est incompatible avec les droits de l’homme… »

C’est ce qu’affirme et expose Richard Stallman dans ce long article argumenté en proposant un certain nombre de mesures pour desserrer l’étau.

Sur la photo ci-dessous, on voit Stallman lors d’une conférence en Tunisie muni d’un étrange badge. Il l’a recouvert lui-même de papier aluminium pour ne pas être pisté lors de l’évènement !

Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle supporter ?

par Richard Stallman

URL d’origine du document (sur GNU.org)

Une première version de cet article a été publiée sur Wired en octobre 2013.
Licence : Creative Commons BY-ND 3.0 US
Traduction : aKa, zimadprof, Lamessen, Sylvain, Scailyna, Paul, Asta, Monsieur Tino, Marc, Thérèse, Amine Brikci-N, FF255, Achille, Slystone, Sky, Penguin et plusieurs anonymes
Révision : trad-gnu@april.org – Version de la traduction : 14 août 2014

Grâce aux révélations d’Edward Snowden, nous comprenons aujourd’hui que le niveau de surveillance dans nos sociétés est incompatible avec les droits de l’homme. Le harcèlement répété et les poursuites judiciaires que subissent les opposants, les sources et les journalistes (aux États-Unis et ailleurs) en sont la preuve. Nous devons réduire le niveau de surveillance, mais jusqu’où ? Où se situe exactement le seuil tolérable de surveillance que l’on doit faire en sorte de ne pas dépasser ? C’est le niveau au delà duquel la surveillance commence à interférer avec le fonctionnement de la démocratie : lorsque des lanceurs d’alerte comme Snowden sont susceptibles d’être attrapés.

Face à la culture du secret des gouvernements, nous, le peuple,1 devons compter sur les lanceurs d’alerte pour apprendre ce que l’État est en train de faire. De nos jours, cependant, la surveillance intimide les lanceurs d’alerte potentiels, et cela signifie qu’elle est trop intense. Pour retrouver notre contrôle démocratique sur l’État, nous devons réduire la surveillance jusqu’à un point où les lanceurs d’alerte se sentent en sécurité.

L’utilisation de logiciels libres, comme je la préconise depuis trente ans, est la première étape dans la prise de contrôle de nos vies numériques – qui inclut la prévention de la surveillance. Nous ne pouvons faire confiance aux logiciels non libres ; la NSA utilise et même crée des failles de sécurité dans des logiciels non libres afin d’envahir nos ordinateurs et nos routeurs. Le logiciel libre nous donne le contrôle de nos propres ordinateurs, mais cela ne protège pas notre vie privée dès l’instant où nous mettons les pieds sur Internet.

Une législation bipartisane ayant pour but de « limiter les pouvoirs de surveillance sur le territoire national » est en cours d’élaboration aux États-Unis mais elle le fait en limitant l’utilisation par le gouvernement de nos dossiers virtuels. Cela ne suffira pas à protéger les lanceurs d’alerte si « capturer le lanceur d’alerte » est un motif valable pour accéder à des données permettant de l’identifier. Nous devons aller plus loin encore.

Le niveau de surveillance à ne pas dépasser dans une démocratie

Si les lanceurs d’alerte n’osent pas révéler les crimes, délits et mensonges, nous perdons le dernier lambeau de contrôle réel qui nous reste sur nos gouvernements et institutions. C’est pourquoi une surveillance qui permet à l’État de savoir qui a parlé à un journaliste va trop loin – au delà de ce que peut supporter la démocratie.

En 2011, un représentant anonyme du gouvernement américain a fait une déclaration inquiétante à des journalistes, à savoir que les États-Unis n’assigneraient pas de reporter à comparaître parce que « nous savons avec qui vous parlez ». Parfois, pour avoir ces renseignements, ils obtiennent les relevés téléphoniques de journalistes par injonction judiciaire, mais Snowden nous a montré qu’en réalité ils adressent des injonctions en permanence à Verizon et aux autres opérateurs, pour tous les relevés téléphoniques de chaque résident.

Il est nécessaire que les activités d’opposition ou dissidentes protègent leurs secrets des États qui cherchent à leur faire des coups tordus. L’ACLU2 a démontré que le gouvernement des États-Unis infiltrait systématiquement les groupes dissidents pacifiques sous prétexte qu’il pouvait y avoir des terroristes parmi eux. La surveillance devient trop importante quand l’État peut trouver qui a parlé à une personne connue comme journaliste ou comme opposant.

L’information, une fois collectée, sera utilisée à de mauvaises fins

Quand les gens reconnaissent que la surveillance généralisée atteint un niveau trop élevé, la première réponse est de proposer d’encadrer l’accès aux données accumulées. Cela semble sage, mais cela ne va pas corriger le problème, ne serait-ce que modestement, même en supposant que le gouvernement respecte la loi (la NSA a trompé la cour fédérale de la FISA,3 et cette dernière a affirmé être incapable, dans les faits, de lui demander des comptes). Soupçonner un délit est un motif suffisant pour avoir accès aux données, donc une fois qu’un lanceur d’alerte est accusé d’« espionnage », trouver un « espion » fournira une excuse pour avoir accès à l’ensemble des informations.

Le personnel chargé de la surveillance d’État a l’habitude de détourner les données à des fins personnelles. Des agents de la NSA ont utilisé les systèmes de surveillance américains pour suivre à la trace leurs petit(e)s ami(e)s – passés, présents, ou espérés, selon une pratique nommée « LOVEINT ». La NSA affirme avoir détecté et puni cette pratique à plusieurs reprises ; nous ne savons pas combien d’autres cas n’ont pas été détectés. Mais ces événements ne devraient pas nous surprendre, parce que les policiers utilisent depuis longtemps leurs accès aux fichiers des permis de conduire pour pister des personnes séduisantes, une pratique connue sous les termes de « choper une plaque pour un rencard ».

Les données provenant de la surveillance seront toujours détournées de leur but, même si c’est interdit. Une fois que les données sont accumulées et que l’État a la possibilité d’y accéder, il peut en abuser de manière effroyable, comme le montrent des exemples pris en Europe et aux États-Unis.

La surveillance totale, plus des lois assez floues, ouvrent la porte à une campagne de pêche à grande échelle, quelle que soit la cible choisie. Pour mettre le journalisme et la démocratie en sécurité, nous devons limiter l’accumulation des données qui sont facilement accessibles à l’État.

Une protection solide de la vie privée doit être technique

L’Electronic Frontier Foundation et d’autres structures proposent un ensemble de principes juridiques destinés à prévenir les abus de la surveillance de masse. Ces principes prévoient, et c’est un point crucial, une protection juridique explicite pour les lanceurs d’alerte. Par conséquent, ils seraient adéquats pour protéger les libertés démocratiques s’ils étaient adoptés dans leur intégralité et qu’on les faisait respecter sans la moindre exception, à tout jamais.

Toutefois, ces protections juridiques sont précaires : comme nous l’ont montré les récents événements, ils peuvent être abrogés (comme dans la loi dite FISA Amendments Act), suspendus ou ignorés.

Pendant ce temps, les démagogues fourniront les excuses habituelles pour justifier une surveillance totale ; toute attaque terroriste, y compris une attaque faisant un nombre réduit de victimes, leur donnera cette opportunité.

Si la limitation de l’accès aux données est écartée, ce sera comme si elle n’avait jamais existé. Des dossiers remontant à des années seront du jour au lendemain exposés aux abus de l’État et de ses agents et, s’ils ont été rassemblés par des entreprises, seront également exposés aux magouilles privées de ces dernières. Si par contre nous arrêtions de ficher tout le monde, ces dossiers n’existeraient pas et il n’y aurait pas moyen de les analyser de manière rétroactive. Tout nouveau régime non libéral aurait à mettre en place de nouvelles méthodes de surveillance, et recueillerait des données à partir de ce moment-là seulement. Quant à suspendre cette loi ou ne pas l’appliquer momentanément, cela n’aurait presque aucun sens.

En premier lieu, ne soyez pas imprudent

Pour conserver une vie privée, il ne faut pas la jeter aux orties : le premier concerné par la protection de votre vie privée, c’est vous. Évitez de vous identifier sur les sites web, contactez-les avec Tor, et utilisez des navigateurs qui bloquent les stratagèmes dont ils se servent pour suivre les visiteurs à la trace. Utilisez GPG (le gardien de la vie privée) pour chiffrer le contenu de vos courriels. Payez en liquide.

Gardez vos données personnelles ; ne les stockez pas sur le serveur « si pratique » d’une entreprise. Il n’y a pas de risque, cependant, à confier la sauvegarde de vos données à un service commercial, pourvu qu’avant de les envoyer au serveur vous les chiffriez avec un logiciel libre sur votre propre ordinateur (y compris les noms de fichiers).

Par souci de votre vie privée, vous devez éviter les logiciels non libres car ils donnent à d’autres la maîtrise de votre informatique, et que par conséquent ils vous espionnent probablement. N’utilisez pas de service se substituant au logiciel : outre que cela donne à d’autres la maîtrise de votre informatique, cela vous oblige à fournir toutes les données pertinentes au serveur.

Protégez aussi la vie privée de vos amis et connaissances. Ne divulguez pas leurs informations personnelles, sauf la manière de les contacter, et ne donnez jamais à aucun site l’ensemble de votre répertoire téléphonique ou des adresses de courriel de vos correspondants. Ne dites rien sur vos amis à une société comme Facebook qu’ils ne souhaiteraient pas voir publier dans le journal. Mieux, n’utilisez pas du tout Facebook. Rejetez les systèmes de communication qui obligent les utilisateurs à donner leur vrai nom, même si vous êtes disposé à donner le vôtre, car cela pousserait d’autres personnes à abandonner leurs droits à une vie privée.

La protection individuelle est essentielle, mais les mesures de protection individuelle les plus rigoureuses sont encore insuffisantes pour protéger votre vie privée sur des systèmes, ou contre des systèmes, qui ne vous appartiennent pas. Lors de nos communications avec d’autres ou de nos déplacements à travers la ville, notre vie privée dépend des pratiques de la société. Nous pouvons éviter certains des systèmes qui surveillent nos communications et nos mouvements, mais pas tous. Il est évident que la meilleure solution est d’obliger ces systèmes à cesser de surveiller les gens qui sont pas légitimement suspects.

Nous devons intégrer à chaque système le respect de la vie privée

Si nous ne voulons pas d’une société de surveillance totale, nous devons envisager la surveillance comme une sorte de pollution de la société et limiter l’impact de chaque nouveau système numérique sur la surveillance, de la même manière que nous limitons l’impact des objets manufacturés sur l’environnement.

Par exemple, les compteurs électriques « intelligents » sont paramétrés pour envoyer régulièrement aux distributeurs d’énergie des données concernant la consommation de chaque client, ainsi qu’une comparaison avec la consommation de l’ensemble des usagers. Cette implémentation repose sur une surveillance généralisée mais ce n’est nullement nécessaire. Un fournisseur d’énergie pourrait aisément calculer la consommation moyenne d’un quartier résidentiel en divisant la consommation totale par le nombre d’abonnés, et l’envoyer sur les compteurs. Chaque client pourrait ainsi comparer sa consommation avec la consommation moyenne de ses voisins au cours de la période de son choix. Mêmes avantages, sans la surveillance !

Il nous faut intégrer le respect de la vie privée à tous nos systèmes numériques, dès leur conception.

Remède à la collecte de données : les garder dispersées

Pour rendre la surveillance possible sans porter atteinte à la vie privée, l’un des moyens est de conserver les données de manière dispersée et d’en rendre la consultation malaisée. Les caméras de sécurité d’antan n’étaient pas une menace pour la vie privée. Les enregistrements étaient conservés sur place, et cela pendant quelques semaines tout au plus. Leur consultation ne se faisait pas à grande échelle du fait de la difficulté d’y avoir accès. On les consultait uniquement sur les lieux où un délit avait été signalé. Il aurait été impossible de rassembler physiquement des millions de bandes par jour, puis de les visionner ou de les copier.

Aujourd’hui, les caméras de sécurité se sont transformées en caméras de surveillance ; elles sont reliées à Internet et leurs enregistrements peuvent être regroupés dans un centre de données [data center] et conservés ad vitam aeternam. C’est déjà dangereux, mais le pire est à venir. Avec les progrès de la reconnaissance faciale, le jour n’est peut-être pas loin où les journalistes « suspects » pourront être pistés sans interruption dans la rue afin de surveiller qui sont leurs interlocuteurs.

Les caméras et appareils photo connectés à Internet sont souvent eux-mêmes mal protégés, de sorte que n’importe qui pourrait regarder ce qu’ils voient par leur objectif. Pour rétablir le respect de la vie privée, nous devons interdire l’emploi d’appareils photo connectés dans les lieux ouverts au public, sauf lorsque ce sont les gens qui les transportent. Tout le monde doit avoir le droit de mettre en ligne des photos et des enregistrements vidéo une fois de temps en temps, mais on doit limiter l’accumulation systématique de ces données.

Remède à la surveillance du commerce sur Internet

La collecte de données provient essentiellement des activités numériques personnelles des gens. D’ordinaire, ces sont d’abord les entreprises qui recueillent ces données. Mais lorsqu’il est question de menaces pour la vie privée et la démocratie, que la surveillance soit exercée directement par l’État ou déléguée à une entreprise est indifférent, car les données rassemblées par les entreprises sont systématiquement mises à la disposition de l’État.

Depuis PRISM, la NSA a un accès direct aux bases de données de nombreuses grandes sociétés d’Internet. AT&T conserve tous les relevés téléphoniques depuis 1987 et les met à la disposition de la DEA sur demande, pour ses recherches. Aux États-Unis, l’État fédéral ne possède pas ces données au sens strict, mais en pratique c’est tout comme.

Mettre le journalisme et la démocratie en sécurité exige, par conséquent, une réduction de la collecte des données privées, par toute organisation quelle qu’elle soit et pas uniquement par l’État. Nous devons repenser entièrement les systèmes numériques, de telle manière qu’ils n’accumulent pas de données sur leurs utilisateurs. S’ils ont besoin de détenir des données numériques sur nos transactions, ils ne doivent être autorisés à les garder que pour une période dépassant de peu le strict minimum nécessaire au traitement de ces transactions.

Une des raisons du niveau actuel de surveillance sur Internet est que le financement des sites repose sur la publicité ciblée, par le biais du pistage des actions et des choix de l’utilisateur. C’est ainsi que d’une pratique simplement gênante, la publicité que nous pouvons apprendre à éviter, nous basculons, en connaissance de cause ou non, dans un système de surveillance qui nous fait du tort. Les achats sur Internet se doublent toujours d’un pistage des utilisateurs. Et nous savons tous que les « politiques relatives à la vie privée » sont davantage un prétexte pour violer celle-ci qu’un engagement à la respecter.

Nous pourrions remédier à ces deux problèmes en adoptant un système de paiement anonyme – anonyme pour l’émetteur du paiement, s’entend (permettre au bénéficiaire d’échapper à l’impôt n’est pas notre objectif). Bitcoin n’est pas anonyme, bien que des efforts soient faits pour développer des moyens de payer anonymement avec des bitcoins. Cependant, la technologie de la monnaie électronique remonte aux années 80 ; tout ce dont nous avons besoin, ce sont d’accords adaptés pour la marche des affaires et que l’État n’y fasse pas obstruction.

Le recueil de données personnelles par les sites comporte un autre danger, celui que des « casseurs de sécurité » s’introduisent, prennent les données et les utilisent à de mauvaises fins, y compris celles qui concernent les cartes de crédit. Un système de paiement anonyme éliminerait ce danger : une faille de sécurité du site ne peut pas vous nuire si le site ne sait rien de vous.

Remède à la surveillance des déplacements

Nous devons convertir la collecte numérique de péage en paiement anonyme (par l’utilisation de monnaie électronique, par exemple). Les système de reconnaissance de plaques minéralogiques reconnaissent toutes les plaques, et les données peuvent être gardées indéfiniment ; la loi doit exiger que seules les plaques qui sont sur une liste de véhicules recherchés par la justice soient identifiées et enregistrées. Une solution alternative moins sûre serait d’enregistrer tous les véhicules localement mais seulement pendant quelques jours, et de ne pas rendre les données disponibles sur Internet ; l’accès aux données doit être limité à la recherche d’une série de plaques minéralogiques faisant l’objet d’une décision de justice.

The U.S. “no-fly” list must be abolished because it is punishment without trial.

Il est acceptable d’établir une liste de personnes pour qui la fouille corporelle et celle des bagages seront particulièrement minutieuses, et l’on peut traiter les passagers anonymes des vols intérieurs comme s’ils étaient sur cette liste. Il est acceptable également d’interdire aux personnes n’ayant pas la citoyenneté américaine d’embarquer sur des vols à destination des États-Unis si elles n’ont pas la permission d’y rentrer. Cela devrait suffire à toutes les fins légitimes.

Beaucoup de systèmes de transport en commun utilisent un genre de carte intelligente ou de puce RFID pour les paiements. Ces systèmes amassent des données personnelles : si une seule fois vous faites l’erreur de payer autrement qu’en liquide, ils associent définitivement la carte avec votre nom. De plus, ils enregistrent tous les voyages associés avec chaque carte. L’un dans l’autre, cela équivaut à un système de surveillance à grande échelle. Il faut diminuer cette collecte de données.

Les services de navigation font de la surveillance : l’ordinateur de l’utilisateur renseigne le service cartographique sur la localisation de l’utilisateur et l’endroit où il veut aller ; ensuite le serveur détermine l’itinéraire et le renvoie à l’ordinateur, qui l’affiche. Il est probable qu’actuellement le serveur enregistre les données de localisation puisque rien n’est prévu pour l’en empêcher. Cette surveillance n’est pas nécessaire en soi, et une refonte complète du système pourrait l’éviter : des logiciels libres installés côté utilisateur pourraient télécharger les données cartographiques des régions concernées (si elles ne l’ont pas déjà été), calculer l’itinéraire et l’afficher, sans jamais dire à qui que ce soit l’endroit où l’utilisateur veut aller.

Les systèmes de location de vélos et autres peuvent être conçus pour que l’identité du client ne soit connue que de la station de location. Au moment de la location, celle-ci informera toutes les stations du réseau qu’un vélo donné est « sorti » ; de cette façon, quand l’utilisateur le rendra, généralement à une station différente, cette station-là saura où et quand il a été loué. Elle informera à son tour toutes les stations du fait que ce vélo a été rendu, et va calculer en même temps la facture de l’utilisateur et l’envoyer au siège social après une attente arbitraire de plusieurs minutes, en faisant un détour par plusieurs stations. Ainsi le siège social ne pourra pas savoir précisément de quelle station la facture provient. Ceci fait, la station de retour effacera toutes les données de la transaction. Si le vélo restait « sorti » trop longtemps, la station d’origine pourrait en informer le siège social et, dans ce cas, lui envoyer immédiatement l’identité du client.

Remède aux dossiers sur les communications

Les fournisseurs de services Internet et les compagnies de téléphone enregistrent une masse de données sur les contacts de leurs utilisateurs (navigation, appels téléphoniques, etc.) Dans le cas du téléphone mobile, ils enregistrent en outre la position géographique de l’utilisateur. Ces données sont conservées sur de longues périodes : plus de trente ans dans le cas d’AT&T. Bientôt, ils enregistreront même les mouvements corporels de l’utilisateur. Et il s’avère que la NSA collecte les coordonnées géographiques des téléphones mobiles, en masse.

Les communications non surveillées sont impossibles là où le système crée de tels dossiers. Leur création doit donc être illégale, ainsi que leur archivage. Il ne faut pas que les fournisseurs de services Internet et les compagnies de téléphone soient autorisés à garder cette information très longtemps, sauf décision judiciaire leur enjoignant de surveiller une personne ou un groupe en particulier.

Cette solution n’est pas entièrement satisfaisante, car cela n’empêchera pas concrètement le gouvernement de collecter toute l’information à la source – ce que fait le gouvernement américain avec certaines compagnies de téléphone, voire avec toutes. Il nous faudrait faire confiance à l’interdiction par la loi. Cependant, ce serait déjà mieux que la situation actuelle où la loi applicable (le PATRIOT Act) n’interdit pas clairement cette pratique. De plus, si un jour le gouvernement recommençait effectivement à faire cette sorte de surveillance, il n’obtiendrait pas les données sur les appels téléphoniques passés avant cette date.

Pour garder confidentielle l’identité des personnes avec qui vous échangez par courriel, une solution simple mais partielle est d’utiliser un service situé dans un pays qui ne risquera jamais de coopérer avec votre gouvernement, et qui chiffre ses communications avec les autres services de courriels. Toutefois, Ladar Levison (propriétaire du service de courriel Lavabit que la surveillance américaine a cherché à corrompre complètement) a une idée plus sophistiquée : établir un système de chiffrement par lequel votre service de courriel saurait seulement que vous avez envoyé un message à un utilisateur de mon service de courriel, et mon service de courriel saurait seulement que j’ai reçu un message d’un utilisateur de votre service de courriel, mais il serait difficile de déterminer que c’était moi le destinataire.

Mais un minimum de surveillance est nécessaire.

Pour que l’État puisse identifier les auteurs de crimes ou délits, il doit avoir la capacité d’enquêter sur un délit déterminé, commis ou en préparation, sur ordonnance du tribunal. À l’ère d’Internet, il est naturel d’étendre la possibilité d’écoute des conversations téléphoniques aux connexions Internet. On peut, certes, facilement abuser de cette possibilité pour des raisons politiques, mais elle n’en est pas moins nécessaire. Fort heureusement, elle ne permettrait pas d’identifier les lanceurs d’alerte après les faits, si (comme je le recommande) nous empêchons les systèmes numériques d’accumuler d’énormes dossiers avant les faits.

Les personnes ayant des pouvoirs particuliers accordés par l’État, comme les policiers, abandonnent leur droit à la vie privée et doivent être surveillés (en fait, les policiers américains utilisent dans leur propre jargon le terme testilying4 au lieu de perjury5 puisqu’ils le font si souvent, en particulier dans le cadre de la comparution de manifestants et de photographes). Une ville de Californie qui a imposé à la police le port permanent d’une caméra a vu l’usage de la force diminuer de près de 60 %. L’ACLU y est favorable.

Les entreprises ne sont pas des personnes et ne peuvent se prévaloir des droits de l’homme. Il est légitime d’exiger d’elles qu’elles rendent public le détail des opérations susceptibles de présenter un risque chimique, biologique, nucléaire, financier, informatique (par exemple les DRM) ou politique (par exemple le lobbyisme) pour la société, à un niveau suffisant pour assurer le bien-être public. Le danger de ces opérations (pensez à BP et à la marée noire dans le Golfe du Mexique, à la fusion du cœur des réacteurs nucléaires de Fukushima ou à la crise financière de 2008) dépasse de loin celui du terrorisme.

Cependant, le journalisme doit être protégé contre la surveillance, même s’il est réalisé dans un cadre commercial.


La technologie numérique a entraîné un accroissement énorme du niveau de surveillance de nos déplacements, de nos actions et de nos communications. Ce niveau est bien supérieur à ce que nous avons connu dans les années 90, bien supérieur à ce qu’ont connu les gens habitant derrière le rideau de fer dans les années 80, et il resterait encore bien supérieur si l’utilisation de ces masses de données par l’État était mieux encadrée par la loi.

A moins de croire que nos pays libres ont jusqu’à présent souffert d’un grave déficit de surveillance, et qu’il leur faut être sous surveillance plus que ne le furent jadis l’Union soviétique et l’Allemagne de l’Est, ils nous faut inverser cette progression. Cela requiert de mettre fin à l’accumulation en masse de données sur la population.

Notes :


Notes de traduction

  1. Allusion probable à la Constitution de 1787, symbole de la démocratie américaine, qui débute par ces mots : We, the people of the United States (Nous, le peuple des États-Unis). ?
  2. Union américaine pour les libertés civiles. ?
  3. Loi sur la surveillance du renseignement étranger ; elle a mis en place une juridiction spéciale, la FISC, chargée de juger les présumés agents de renseignement étrangers sur le sol américain. ?
  4. Testilying : contraction de testify, faire une déposition devant un tribunal, et lying, acte de mentir. ?
  5. Perjury : faux témoignage. ?