L’exemplaire et très instructive aventure libre d’un éditeur indien pour enfants

Un employé de l’éditeur Pratham Books nous raconte ici une bien jolie histoire : celle de la mise à disposition de livres sous licence Creative Commons, en commençant par la (controversée) CC BY-NC-SA pour finalement adopter la plus libre CC BY.

L’histoire ne s’arrête pas là puisque parmi ces livres seule la moitié a été mise en libre disposition sur Internet. Et quelle moitié s’est finalement mieux vendue ? Vous devinerez aisément la réponse, puisque vous êtes un fidèle lecteur du Framablog 😉

On se gardera de toute généralisation hâtive et par trop enthousiaste. C’est en Inde avec de la littérature pour enfants et un faible échantillon analysé. Il n’empêche que cela va à l’encontre de certaines (fausses) idées reçues et que cela fait plaisir à lire, à fortiori quand on a fait le choix d’un modèle similaire avec notre propre maison d’édition Framabook.

Pratham Books

C’est publication « ouverte » chez Pratham Books !

Pratham Books is “Open” for Publishing

John Gautam – 7 mars 2013 – Pratham Books (Blog)
(Traduction : Framartin, RyDroid, Peekmo, lordgun, AXL, Garburst, goofy, lamessen + anonymes)

J’ai rejoint Pantham Books en septembre 2007 pour un stage de six mois et il est vite devenu évident que j’allais y rester bien plus longtemps. Leur objectif « Un livre pour chaque enfant », les personnes et l’organisation étaient géniaux. J’ai donc fini par y travailler pendant cinq ans. En ce moment, je suis conseiller chez Pantham Books.

Au cours de ma première année, j’ai été fasciné par la mission et les moyens qu’on pouvait mettre en œuvre pour atteindre le niveau nécessaire, sans forcément que l’organisation s’accroisse en proportion. Nous avons rejoint par de multiples canaux et réseaux, des organisations partenaires potentielles qui pouvaient utiliser nos contenus, ainsi que la branche népalaise du projet One Laptop Per Child et l’Open Learning Exchange. Les Népalais ont été les premiers à nous écrire pour nous demander si nous pouvions fournir du contenu pour leur projet sous de multiples formes : pour leurs ordis à bas coût diffusés pour l’usage des enfants, pour leur bibliothèque d’eBooks, et traduit en népalais pour l’usage local.

Il y avait de multiples possibilités très intéressantes. Mais rapidement nous avons pris conscience des limitations des lois traditionnelles du « copyright » et les complexités administratives nécessaires aux négociations bi/multilatérales pour utiliser ou réutiliser du contenu sous licence. Nous n’avions ni l’envergure ni les ressources nécessaires pour nous engager dans ce type de négociations. Les licences Creative Commons nous apparurent comme un moyen de contourner ce problème et en novembre 2008 nous avons fait le grand saut et passé 6 livres sous licence Creative Common, la CC BY-NC-SA India 2.5 (ceci est le billet du blog annonçant le saut).

Notre idée était de tâter le terrain et de voir ce qu’il adviendrait de ce contenu sous licence ouverte. One Laptop Per Child project, the Open Learning Exchange et le Népal ont été les partenaires les plus enthousiastes et ont distribué notre contenu à des enfants qui n’auraient jamais eu accès à nos livres dans des langues qu’on ne publie pas autrement. Notre incursion novatrice dans les licences ouvertes fut un petit succès.

Cependant, alors que c’était un grand saut pour nous en tant qu’éditeur, il y a eu une résistance d’une grande partie de la communauté comme les commentaires de Philipp Schmidt le démontrent : « … l’option non commerciale rend les choses compliquées de façon inutile, mais je suppose que la peur de l’inconnu de la maison-mère pesa sur le choix de cette clause particulière des licences Creative Commons ».

Simultanément, je me rendis compte que, grâce à la puissance d’Internet, les licences ouvertes devenaient une tendance importante. Elles ouvrent les communautés et permettent de nouvelles plateformes et usages. Il était évident qu’une révision fondamentale des modèles existants de publication était possible et même nécessaire depuis longtemps. J’étais aussi curieux de la nature du modèle social de publication qui pourrait être construit en connectant des communautés collaborant autour d’un contenu sous licence ouverte.

Pendant l’année 2009, nous avons débattu en interne de l’idée d’utiliser les plus libres des licences Creative Commons et le conseil de Pratham Books a largement encouragé l’idée de licencier une sous-partie de notre catalogue sous la licence Creative Commons Attribution (CC BY). Nous avons décidé de placer sous cette licence environ 400 livres, de les rendre disponibles sur le site Scribd, et de placer les illustrations chez Flickr ; le téléversement a commencé en octobre 2009. Toutefois, pour diverses raisons, nous n’avons réussi qu’à téléverser environ 173 de ces livres, tandis que les 227 restants n’ont jamais été mis sur Scribd et Flickr ; c’est une procédure que nous n’avons reprise que récemment.

Comme nous l’avons écrit dans notre étude de cas, le modèle de mise sous licence Creative Commons est celui qui a permis à Pratham Books d’atteindre plusieurs de ses objectifs de flexibilité et d’évolutivité ainsi que sa mission de mettre un livre dans les mains de chaque enfant. Nous avons été capables de puiser dans un modèle de valeurs communes de partage et d’ouverture avec une croissante communauté d’utilisateurs. Cela a augmenté l’échelle et la portée de nos efforts. Nous avons aussi été capables de publier le contenu de multiples organisations et particuliers, à la fois connus et inconnus, par un effort unique de parution sous licence Creative Commons, à l’opposé d’un modèle traditionnel de publication qui implique du temps pour négocier et discuter avec chaque organisme ou particulier connu qui voudrait utiliser notre matériel.

Cela a constitué une base solide pour notre modèle social de publication.

Nous avons été encouragés de voir des communautés créer des œuvres dérivées aussi différentes que des applications iPad et iPhone, un portage de ces applications vers des ordinateurs OLPC (« One laptop Per Child »), jusqu’à la création de livres entièrement nouveaux à partir des illustrations existantes[1], ou des versions de leurs livres pour les personnes en difficulté face à la lecture — des livres audio au format DAISY ou en braille, jusqu’à des livres en audio enrichi — de sorte que nous sommes maintenant près d’accomplir notre mission d’atteindre chaque enfant.

Nous continuons à suivre ces efforts et sommes toujours épatés de ce que les communautés peuvent créer, et nous avons été abasourdis par l’expansion que certaines ont atteinte. Par exemple, nos livres sur Scribd ont été lus près d’un million de fois, nous avons été vus plus d’un demi-million de fois sur la bibliothèque internationale numérique pour les enfants, et ils ont été téléchargés sur les différentes applications plus de 250 000 fois. Au Népal, où tout a commencé, nos livres ont été déposés sur les serveurs de 77 écoles et environ 20 000 enfants ont accès à ces livres. Nous sommes aussi tout à fait certains qu’ils ont été utilisés ailleurs et de diverses manières (par exemple, téléchargés, imprimés et distribués — nous l’avons vu faire mais nous n’avons aucun moyen de tracer de tels usages).

Le modèle Creative Commons a étendu la mission Pratham Books d’une manière que nous n’aurions jamais pu imaginer. Une question se posait cependant : savoir si mettre nos livres sous licence CC BY en ligne avait un impact négatif sur les ventes. Alors que nous pensions empiriquement que cela n’avait que peu d’impacts sur les ventes, nous manquions jusqu’à maintenant de données pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.

Étant donné que nous avions un ensemble d’environ 400 livres sous licence CC BY, parmi lesquels la moitié environ avait été téléversée, et que la sélection de ceux qui l’étaient ou pas s’était faite par hasard, nous avons pensé qu’il était opportun de comparer les chiffres de vente pour les livres sous licence CC BY disponibles sur Scribd et ceux qui n’y étaient pas.

Ventes de chaque livre, en ligne par opposition hors ligne, par mois :

Pratham Books - Stats

Nous avons d’abord regardé au niveau des livres individuels pour voir les modèles de vente à travers le temps, et il semblerait que les livres sur Scribd se vendent mieux que ceux qui n’y sont pas, mais il était difficile d’en déduire une marge de différence significative entre les deux lorsque l’on regarde uniquement au niveau des livres individuels.

Ventes de tous les livres en ligne contre tous ceux hors ligne, par mois :

Pratham Books - Stats

Nous avons ensuite regardé les ventes cumulées des livres qui sont, et qui ne sont pas sur Scribd au fil du temps, et il est clair que les livres sur Scribd semblaient mieux se vendre que les livres qui n’y étaient pas.

Ventes cumulées de livres, en ligne vs hors ligne :

Pratham Books - Stats

Finalement, quand nous avons étudié les données des ventes cumulées pour les livres sous licence CC BY qui étaient disponibles sur Scribd par rapport à ceux qui ne l’étaient pas, nous avons été ébahis de voir que les premiers se vendaient bien mieux que les seconds, dans un rapport extraordinaire de presque 3 contre 1. Même si nous hésiterions à dire, étant donné les aspects spécifiques de notre marché et de notre modèle, que mettre les livres sous licence libre et disponibles en ligne augmente les ventes, nous pouvons affirmer que cela ne semble pas faire baisser leurs ventes. Et savoir cela est en soi une leçon importante pour nous, comme ce devrait l’être pour le reste de l’industrie de l’édition.

À défaut d’autre chose, rendre une partie de votre catalogue disponible en ligne est une façon puissante de construire votre communauté, votre marque et d’attirer des visiteurs, parce que le contenu est en lui-même un argument promotionnel. Nous avons eu la chance que cela nous aide aussi à nous rapprocher de notre souhait de mettre un livre dans les mains de chaque enfant, et cela nous étonne encore. Les manifestations de la Journée internationale de l’alphabétisation de l’an dernier en sont un bon exemple.

Nous espérons que notre expérience et son résultat encourageront d’autres éditeurs à mettre leur contenu à disposition en ligne, totalement, et même à considérer de choisir une licence libre pour tout ou partie de leur catalogue.

Notes

[1] Nous avons nous aussi repris des illustrations de chez Pratham sous licence CC BY : le dessin des deux enfants Angie and Upesh qui apparaissent sur la couverture de notre FramaDVD école 😉




La guerre du copyright menace la santé d’Internet, par Cory Doctorow

La situation est grave et tout le monde n’en a pas forcément pris conscience.

Pour lutter contre le piratage et préserver les intérêts d’une infime minorité d’artistes mais surtout les leurs, l’industrie culturelle est prête à tout. Tout c’est-à-dire ici profondément altérer l’Internet que nous connaissons ou avons connu.

C’est ce que nous rappelle ici l’écrivain Cory Doctorow qui avoue lui-même faire partie de cette infime minorité, ce dont il n’en a cure si cela doit se faire au détriment du citoyen que nous sommes tous…

Mike Seyfang - CC by

Les guerres de droits d’auteur mettent en péril la santé d’Internet.

Copyright wars are damaging the health of the internet

Cory Doctorow – 28 mars 2013 – The Guardian Technology
(Traduction : Ouve, Tr4sK, Calou, emmpiff, Calou, GuGu, Marc15, fcharton, goofy, maxlath, Neros, lamessen, Penguin, Lycoris, Asta, MarcFerrand + anonymes)

Ceux qui veulent trouver à tout prix des « solutions » contre le piratage risquent d’altérer l’intégrité et la liberté du réseau par la surveillance, la censure et le contrôle.

J’ai assisté à plus de présentations sur la façon de résoudre les guerres de droits d’auteur que je n’ai eu de repas chauds, mais elles sont toutes loin du compte. C’est parce que la plupart de ceux qui ont une solution aux guerres de droits d’auteur se soucient des revenus des artistes, alors que pour ma part je me soucie de la santé d’Internet.

Oh, bien sûr, je m’inquiète aussi des revenus des artistes, mais c’est une préoccupation secondaire. Après tout, la quasi totalité des personnes qui ont voulu vivre de leur art ont échoué. En effet, une part non négligeable de ceux qui ont essayé ont perdu de l’argent dans l’affaire. Ça n’a rien à voir avec Internet : l’art est un business épouvantable, où la majorité des revenus revient à une portion statistiquement insignifiante de ceux qui les produisent — une longue queue effilée avec une très grosse tête. Il se trouve que je suis l’un des chanceux gagnants de cet étrange et improbable loto — je fais vivre ma famille avec ce travail de création — mais je n’ai pas l’esprit assez étroit pour penser que mon avenir et l’avenir de 0,0000000000000000001 pourcent de mes congénères soit le vrai problème ici.

Quel est le vrai problème ici ? Pour faire simple, c’est la santé d’Internet.

Les guerres de droits d’auteur ont érodé la résistance inhérente à Internet à un moment où elle était terriblement nécessaire. L’Internet d’aujourd’hui est intriqué dans nos vies d’une manière qui a surpassé les pronostics les plus fous des années 1980 — c’est le moyen principal pour inscrire vos enfants aux cours de danse du soir ; pour payer votre facture de gaz ; pour poster des vidéos de violences policières ; pour verser de l’argent à des proches éloignés ; pour être autorisé à construire un abri de jardin ; pour faire une réservation ; pour découvrir si vous avez ou non besoin d’aller aux urgences ; pour écrire un article ou un essai qu’on vous demande à l’école ; pour toucher son salaire — et de plus en plus pour tout le reste, comme acheter de la nourriture, choisir une assurance, obtenir un diplôme ou une attestation, et toutes les autres activités qui relèvent de notre participation à la vie publique. Aucune de ces choses n’est liée à l’industrie du divertissement, mais aucune d’elles n’est prise en compte quand les responsables politiques de cette industrie dressent leurs plans pour combattre le « piratage ». Tout ce que nous faisons aujourd’hui fait appel à Internet, tout ce que nous ferons demain le nécessitera.

Internet est important, mais les guerres de droits d’auteur le traitent comme une banalité : comme une télévision câblée 2.0 ; comme une évolution du téléphone ; comme le plus grand système de distribution de contenu pornographique. Des lois comme le « Digital Economy Act » permettent de déconnecter des familles entières d’Internet sans suivre aucune procédure, simplement parce que quelqu’un du quartier est accusé de regarder la télévision d’une mauvaise manière. Ce serait déjà totalement incorrect si Internet n’avait été qu’un simple réseau de distribution de contenu. Mais Internet est en plus un lien vital pour la famille, et le fait que des entreprises offshore du divertissement aient le droit de vous en retirer l’accès parce qu’ils vous suspectent de leur causer du tort, c’est comme donner à Brita le pouvoir de couper l’eau de la famille s’ils pensent que vous usez mal le filtre ; comme donner à Moulinex le pouvoir de débrancher l’électricité de votre maison s’ils pensent que vous utilisez votre mixeur d’une manière non autorisée.

Internet est le meilleur endroit — et souvent le seul — pour publier toutes sortes d’informations, et pourtant les juges de la Haute Cour de Justice ont décidé que l’industrie du divertissement pourrait lister les sites qu’elle n’aime pas et obtenir une décision de justice demandant aux fournisseurs d’accès de les bloquer sans audience, et encore pire, sans procès.

Internet fonctionne seulement lorsqu’il est connecté à des périphériques, et de ce fait, les périphériques connectés à Internet ont proliféré. Il n’y a pas que le téléphone dans votre poche — depuis la caméra de surveillance de votre sonnette jusqu’au dernier jouet de vos enfants, la catégorie des « périphériques autonomes » est rapidement en train de disparaître. Le futuriste Bruce Sterling a souligné, dans sa récente allocution « South By Southwest », qu’un ordinateur personnel de 1995 est parfaitement capable de traiter vos écrits et de lancer vos tableurs, mais vous aurez du mal à trouver quelqu’un de suffisamment intéressé pour vous le reprendre. Sans réseau, la valeur relative de la majorité des objets est réduite à zéro.

Et désormais, la directive européenne sur le droit d’auteur ainsi que des lois américaines comme le « Digital Millennium Copyright Act » font qu’il est littéralement criminel de débrider des appareils, d’installer vos propres logiciels sur ceux-ci, de faire de la rétro-ingénierie sur leurs logiciels embarqués et de découvrir des vulnérabilités cachées qui pourraient vous mettre en danger. Chaque semaine apporte son nouveau lot d’exemples d’appareils moins sécurisés qu’ils n’auraient dû l’être – plus récemment, une présentation à « ShmooConsecurity » a montré comment les caméras connectées en Wi-Fi « DSLR » peuvent être piratées sur Internet et ainsi se transformer en caméras de surveillance qui diffusent à de mauvaises personnes les vidéos secrètes de leurs propriétaires. Une politique demandant à changer le logiciel de ces périphériques connectés dans le seul but de vous assurer que vous ne passiez pas outre les contrôles régionaux ou que vous ne détourniez pas « l’App Store » est complètement dingue.

Revenons-en aux « solutions ». Il y a beaucoup d’esprits bien-pensants qui ont expliqué que ce blocage autour des droits d’auteurs peut être « résolu » en utilisant des moyens qui rendraient le paiement des artistes, et des sociétés qui les soutiennent, plus facile. Dans ce contexte, les solutions de micro-paiement ont gagné en notoriété grâce à Bitcoin. Puisque vous pouvez échanger une fraction de Bitcoin gratuitement, il peut être pratique d’échanger une sorte d’argent contre des miettes de divertissement, ouvrant des solutions de paiement qui étaient fermées jusqu’à maintenant. Il reste encore les « frais de transaction mentale » pour décider si un petit instant de divertissement vaut ne serait-ce qu’une minuscule somme, mais ça c’est un autre problème.

Cependant, même si les micro-transactions quintuplaient les fonds dans les caisses de l’industrie du divertissement, je crois que cela ne calmerait en rien les appels à plus de censure, plus de surveillance, et plus de contrôle. Les spécialistes en psychologie expérimentale ont longuement documenté « l’aversion à la perte » pathologique – où nous voyons plus ce que nous avons perdu que ce que nous avons gagné. L’industrie du divertissement est la tête d’affiche pour l’aversion à la perte – comment expliquer autrement les gémissements et les grincements de dents sur des pertes engendrées par le piratage alors que chaque année les chiffres du box-office sont élogieux ? « C’est sûr, on a fait plus au box-office que l’année précédente, mais pensez combien on aurait pu faire en plus s’il n’y avait pas le piratage ! »

Il en va de même pour les boycotts. Je suis d’accord pour soutenir des médias sans DRM et sous licence Creative Commons, mais même si nous focalisions tous 100% de notre budget divertissement et de notre attention sur des alternatives au Grand Contenu qui soient libres, ouvertes et bonnes pour Internet, cela ne distrairait pas pour autant l’industrie du divertissement de sa demande d’action pour résoudre le « problème du piratage ».

Regardez, je suis dans l’industrie. C’est mon pain et mon beurre. Si vous achetez mes adorables livres sous licence CC, je gagne de l’argent, et ça me rend heureux. En vérité, ma dernière sortie en Grande-Bretagne est « Pirate Cinema », un roman de science-fiction pour jeunes adultes sur ce même sujet qui a été fortement acclamé lors de sa sortie aux États-Unis l’automne dernier. Mais je ne suis pas juste un écrivain : je suis aussi un citoyen, un père et un fils. Je souhaite davantage vivre dans une société libre que dans une société où je peux vivre des improbables revenus de l’art. Et si le prix pour « sauver » mon industrie est la liberté et l’ouverture d’Internet, eh bien, je suppose que je vais devoir démissionner du club des 0,0000000000000000001 pour cent.

Heureusement, je ne pense pas que ça doive arriver. Le fait est que lorsque nous nous autorisons à réfléchir selon ces termes : « Comment fait-on pour que l’artiste soit payé ? », on se retrouve avec des solutions à mes problèmes, les problèmes du 0,0000000000000000001 pour cent, et nous laissons derrière nous les problèmes du monde entier.

Les campagnes anti-piratage soulignent le risque qui existerait pour la société si les gens acceptaient l’idée qu’il n’y a pas de problème à prendre sans demander (« Vous ne voleriez pas une voiture… » (NdT : c’est une référence à une célèbre vidéo propagande dans les DVD), mais le risque qui m’inquiète réellement est que les gouvernements vont penser que les dégâts collatéraux de la régulation, qui toucheront Internet, sont un prix acceptable pour accomplir des buts politiques « importants ». Comment expliquer autrement que le gouvernement inclue sans faire attention les petits blogueurs et amis ayant leur propre groupe Facebook dans le cadre de la régulation de la presse Leveson ? Comment expliquer autrement la détermination de Teresa May, dans le cadre du projet de loi sur les communications, à espionner tout ce que l’on fait sur Internet ?

Cette politique désastreuse vient d’une erreur commune : l’hypothèse que les dommages accidentels à Internet sont un prix acceptable pour servir vos propres buts. La seule possibilité pour que cela ait du sens est si vous baissez radicalement la valeur d’Internet — d’où toute la sympathie du gouvernement pour les écrivains anticonformistes qui veulent nous dire qu’Internet nous rend stupides, ou n’a joué aucun rôle dans le Printemps arabe, ou autres discours à trois sous. À chaque fois que vous entendez quelqu’un censurer Internet, demandez-vous en quoi cette personne pourrait bénéficier d’un Internet partiellement altéré en sa faveur.

Alors, quelle est la solution aux guerres de droits d’auteur ? C’est la même solution que pour les guerres contre la régulation de la presse, contre le terrorisme, contre la surveillance, contre la pornographie : il s’agit de reconnaître qu’Internet est le système nerveux de l’âge de l’information, et que préserver son intégrité et sa liberté contre les tentatives de surveillance, de censure et de contrôle est la première étape essentielle pour s’assurer du succès des autres objectifs politiques que l’on souhaite.

Quid de l’industrie du divertissement et du problème du « piratage » ? Eh bien, en 1939, l’écrivain de science-fiction Robert A. Heinlein publia son premier récit, « Ligne de vie », qui contenait sa prédiction la plus véridique :

« L’idée a mûri, dans les esprits de certains groupes de ce pays, que parce qu’un homme ou une entreprise a, pour un certain nombre années, tiré profit du public, le gouvernement et les tribunaux sont dans l’obligation de lui assurer un tel profit dans le futur, quand bien même les circonstances auraient changé et seraient devenues contraires à l’intérêt général. Cette étrange doctrine n’est fondée sur aucun statut ni par aucune loi du droit commun. Aucun individu, ni aucune entreprise n’a le moindre droit de venir en justice demander que l’on arrête le temps ou qu’on en inverse le cours. »




Pourquoi nous avons besoin de jouer, partager et bidouiller la science

La science est quelque chose de bien trop sérieux et précieux pour être laissée aux seuls scientifiques professionnels. Amateurs, de 7 à 77 ans, tout le monde peut et doit y prendre part, facilités en cela par Internet et sa philosophie d’ouverture.

Un article de Rayna Stamboliyska initialement publié sur Al Jazeera.

Remarque : nous avons choisi tout du long de traduire « hacker » par « bidouiller ».

Krystian Olszanski - CC by

Jeu et partage des connaissances, ou pourquoi nous avons besoin de bidouiller la science

Tinkering knowledge sharing, or why we need to hack science

Rayna Stamboliyska – 25 mars 2013 – AlJazeera.com
(Traduction : Sphinx, Rayna, M0tty, Minitte, goofy, Oumph, Asta , lizuka, Penguin, Moosh, Baptiste, Oli_Ph)

Les citoyens activement engagés dans la production scientifique fournissent le meilleur effort de compréhension de la science, et ce à tout âge.

Traditionnellement, les chercheurs sont des universitaires employés par les institutions. Le stéréotype de l’expert érudit entouré de livres poussiéreux gribouillant frénétiquement des écrits obscurs vient également à l’esprit. Quel(le) qu’il (elle) soit, le chercheur produit de la connaissance et que vous soyez profondément de gauche ou légèrement de droite, vous respectez tous la science et la connaissance. Ce sont des sujets d’importance, autant pour la droite que pour la gauche et pour toutes les idéologies entre les deux et au-delà. De fait, bidouiller (NdT : ou hacker) sort des chemins battus lorsque l’on considère la science et la connaissance.

« Un scientifique, un artiste, un citoyen n’est en rien un enfant qui aurait besoin d’une méthodologie paternaliste et d’une rationalité maternante lui donnant sécurité et direction. Il peut prendre soin de lui-même. Il n’est pas seulement l’inventeur des lois, des théories, des images, pièces de théâtre, styles de musique, interactions sociales, des institutions, il est aussi l’inventeur d’une nouvelle vision du monde, il est l’inventeur d’une nouvelle forme d’appréciation ». Cette citation vient d’un épistémologue, malheureusement oublié, Paul K. Feyerabend et date de 1978 quand son livre « Science dans une société libre » fût publié. Utilisons cette citation comme fil rouge de cette discussion à propos de la démocratisation de la science.

Bidouiller la science, c’est génial… Euh, quoi ?

Vous avez raison, une telle affirmation peut être trompeuse. Je souhaiterais davantage parler de « bidouiller le faisage de la science ». Le cliché de l’intellectuel solitaire, à l’apparence maladive et au comportement associal, est répandu aujourd’hui encore, mais sa généralisation faiblit au fur et à mesure que les technologies de communication progressent. Ce qui reste vrai, en revanche, c’est le côté conservateur et rigide des organismes de recherche. La science est construite à partir de données collectées, analysées, critiquées et réutilisées. Cependant, la méthodologie ordinaire de la science, imposée par les organismes de recherche, requiert le secret et nécessite donc de travailler contre cette maximisation de la dissémination du savoir. Avant que quiconque ne crie à la paranoïa, pensez aux publications à accès payant, bloquant ainsi leur diffusion, au format PDF ou, pire, en image.

Les réticences à publier les données et à ouvertement partager le savoir ont cependant commencé à attirer l’attention des gens. Un mouvement général vers l’ouverture que l’on appelle plus communément la « science ouverte » a émergé, inspiré par l’esprit du mouvement du Logiciel Libre (Free and Open Source Software, FOSS). Similaire à l’éthique du Libre qui promeut l’ouverture d’un code source accessible, réutilisable et modifiable par tout le monde, le thème principal de la sciences ouvertes est d’expliquer clairement les méthodes, les données générées et les résultats obtenus, permettant ainsi une collaboration massive qui accélère la vitesse à laquelle la science se fait.

Un concept très puissant – la « science citoyenne » – a naturellement émergé parallèlement à la science ouverte. Les blogs de chercheurs professionnels qui parlent de leurs travaux et discutent en ligne des résultats obtenus par leurs pairs sont innombrables. De tels débats permettent à de non-professionnels de participer aussi. La poussée du mouvement hacker/maker/do-it-yourself a énormément contribué à l’engagement dans la science de scientifiques non-professionnels.

De nos jours, il y a des centaines de projets dans le monde entier au sein desquels chercheurs professionnels et non-professionnels prennent part à de véritables études scientifiques. Un glissement clair et visible s’est opéré ces dernières années : au début, les citoyens aidaient simplement à collecter des données alors que désormais les citoyens les analysent vraiment, produisent des résultats valables et les interprètent allant même jusqu’à proposer de nouvelles hypothèses.

La « démocratisation de la science » défendue par Feyerabend est en train de se réaliser. La méthode de la science est encore trop souvent faussement imaginée comme étant l’exploration de théories en perpétuelle expansion sur les complexités de l’univers et uniquement réservée à une élite d’individus extraordinairement intelligents, échevelés et quelque peu sociopathes. La méthode scientifique est en fait à la portée de tous ceux capables de poser une question, de réunir des informations, de les analyser de manière critique, de (peut-être) trouver une réponse et d’agir en fonction du résultat.

Cela vous semble idéaliste ? Vous avez le droit d’avoir tort. Vous aimez les maths ? Peut-être que non. Cependant, prenez par exemple l’expérience Polymath. En 2009, Tim Growers, lauréat de la médaille Fields, écrivait un article sur son blog parlant des « mathématiques massivement collaboratives ». Il écrivait : « Une idée serait que quiconque ayant quelque chose à dire sur le problème puisse y ajouter son grain de sel… vous contribueriez ainsi à des idées, même si elles sont peu développées ou peut-être fausses. »

Qu’est-ce qui en a découlé ? Des centaines de commentaires et la naissance du projet Polymath. En réalité, les gens collaborent massivement à la résolution de problèmes en mathématiques. Des chercheurs, professionnels et non-professionnels, ont également contribué à l’identification de médicaments anti-paludisme, à la cartographie des accidents de la route ou la pollution sonore, ainsi qu’à la documentation des déversements de pétrole dans la côte du Golfe avec des ballons, ou encore à l’étude de l’impact du changement climatique sur les oiseaux, etc.

Un tel engagement social et citoyen dans la pratique scientifique est crucial. Les gens doivent revendiquer le droit d’être informé et éduqué. Le pouvoir réside là où est l’information, de cette manière, y avoir accès est un moyen d’auto-gouvernance et contribue à résorber la corruption, les privilèges et l’injustice. J’ai déjà débattu du besoin frappant de telles initiatives dans le monde arabe. Bien que la science soit un domaine émergent dans cette région où les financements suffisent rarement à sécuriser les équipements basiques pour la recherche, l’intérêt sur ce sujet, lui, existe. Entrer en contact avec des scientifiques non-professionnels devrait être aujourd’hui considéré par les professionnels comme partie inhérente de leur travail quotidien.

L’influence politique sur la façon dont la science fonctionne et est communiquée est un souci croissant au sein du monde arabe et partout ailleurs. Les projets de science citoyenne ne sont pas seulement indépendants, ils aident aussi à faire des choses avec un petit budget ou diminuer les coûts inhérents de la recherche ; ainsi, selon un rapport : « Au cours d’une seule année, des observateurs volontaires pour la surveillance de la biodiversité au Royaume-Uni ont vu leur contribution en temps estimée à plus de 20 millions de livres (NdT : environ 23,5 millions d’euros) ». La science citoyenne fournit aussi des données fiables et des outils qui peuvent être utilisés par tous les domaines scientifiques, des études environnementales aux sciences humaines. Un accès libre aux avancées scientifiques les plus récentes permet aux citoyens de remettre en question des hypothèses historiques. Résoudre des problèmes à rayonnement local, ou juste participer par curiosité, ramène la science à ses racines.

Bidouiller l’école

Je dis du bien du bidouillage de la science et je dirai encore davantage de bien du bidouillage de l’école. Avez-vous déjà réfléchi à l’origine de notre désir de savoir comment les choses fonctionnent ? Je dirais qu’elle se situe dans l’enfance. Quand on est enfant, on se demande pourquoi le ciel est bleu ou comment on fait les bébés. Nous posons des questions, découpons des limaces pour voir jusqu’où elles peuvent aller avec des morceaux en moins et décidons qu’elles ne peuvent pas aller bien loin une fois qu’elles sont en tranches. Un chercheur émet une hypothèse, décide des informations à collecter pour y répondre, les analyse ensuite et en tire des conclusions pour valider ou non l’hypothèse de départ. En fait, cela ressemble à ce que les enfants font naturellement.

Mon idée est que les enfants apprennent par la recherche. Là où ça coince, c’est quand les adultes pensent que pour être un grand, il faut connaître la réponse. Nous tendons ainsi à inculquer aux élèves des informations déjà disponibles et nous appelons cela l’éducation. Le problème n’est pas la transmission du savoir à la jeune génération, mais le fait que nous le faisons en étant persuadés que l’aventure dans l’incertitude des réponses inconnues est délétère.

Que se passerait-il si, au lieu de verrouiller nos pensées et de castrer l’attitude interrogatrice des enfants, nous décidions de construire une culture de curiosité ? Autrefois, au XVème siècle, l’imprimerie encouragea de nouveaux moyens de transmission de l’information : des effets similaires peuvent être espérés avec Internet mais sur une échelle de temps beaucoup plus rapide. À travers les médias actuels, les élèves et étudiants ont accès à une quantité incroyable d’information. L’institution « école » a donc encore moins le monopole du savoir ; quel devient donc son but ?

L’« avalanche » d’articles scientifiques contribue à la reformulation de concepts. Ce que nos enfants ont besoin d’apprendre est à la fois comment apprendre et comment désapprendre. L’enseignant ne devrait pas être celui qui transmet des faits mais plutôt la personne qui enseigne comment les comprendre, les critiquer et les valider. Plutôt que d’essayer de savoir tout ce qui est produit, l’enseignant doit accepter ce qui est, pour chacun d’entre nous, une petite révolution culturelle car il sait mieux que les élèves comment analyser l’information. Il/Elle doit dès lors être un spécialiste de la découverte de la connaissance.

La liberté de jouer

Je parie que beaucoup d’entre vous pensent que ceci est noble mais ont du mal à voir comment le réaliser. La recette miracle n’existe pas mais il y a un beaucoup d’approches possibles. Avez-vous entendu parler des jeux éducatifs et de recherche ? Oui, je viens d’évoquer la gamification (ou encore, « ludification ») qui correspond à l’intégration de méthodes pensées pour les jeux dans des applications « sérieuses » afin de les rendre plus amusantes et engageantes. Ce n’est pas une idée nouvelle : le concept que jouer génère et modèle notre culture a été exposé dans Homo Ludens (1938). Le typage sanguin, la biochimie ainsi que beaucoup d’autres jeux scientifiques ont aidé à démontrer l’importance de l’implémentation de la motivation dans l’apprentissage et l’exercice de la science.

Jouer en ligne à des jeux éducatifs et scientifiques pourrait ainsi être un des défis majeurs pour nos écoles. Nous espérons que nos enfants apprennent des choses « sérieuses » et on pourrait peut-être y bien parvenir en leur donnant la liberté de jouer. J’ai beaucoup aimé ce que le Digital Youth Project (Projet pour la Jeunesse Numérique) décrit dans un rapport sur les activités en ligne des enfants : celles-ci couvrent le fait de « traîner » (fréquenter des gens), de « mettre en désordre » (bricoler, même au point de devenir un expert local sur une technologie ou un média), de « faire son geek » (être curieux de ce qui est lié à Internet).

Imaginez ensuite une autre « école », où à la place de maîtres d’école il y aurait des professeurs de travaux pratiques, chacun ayant une responsabilité différente. En aucun cas, une telle responsabilité ne devrait se limiter à noter les enfants sur leur compétence. Ainsi, le but premier de l’éducation ne serait pas de préparer à un métier spécifique ou à une carrière mais constituerait plutôt un processus guidant l’enfant vers une participation à la vie publique. De cette manière, les adultes que nous appelons professeurs co-créeraient le savoir avec les enfants.

À la fois la possibilité pour les non-professionnels de s’engager dans l’exercice de la science et la nécessité de transformer les enseignants en des co-createurs de savoir. Alors, si les enfants peuvent avoir une nouvelle espèce de dinosaure portant leur nom ou créer un réacteur nucléaire chez eux, pourquoi ne pas les laisser faire de la recherche avec leurs ainés amateurs de science ? Dès lors, une question légitime se pose : « pourquoi ne pas créer un parcours d’apprentissage par la recherche à l’école ? ».

La science transforme notre perception du monde et de nous-mêmes, particulièrement chez les enfants. L’exercice de la science requiert un attrait pour l’inconnu et une ouverture sur les possibles. Tout comme les moments durant lesquels on s’amusent, la science permet la découverte et la création de relations et de schémas mentaux. Rajoutez des règles à suivre à l’amusement et vous obtenez un jeu. Rien n’est plus naturel pour les enfants que d’accueillir l’inconnu et faire des erreurs, les deux ouvrant la voie de la découverte.

Ainsi, le processus du questionnement et de la recherche de la résolution de problèmes devient plus intuitif. Cette approche contraste avec des méthodes d’apprentissage plus classiques où le but est de trouver des solutions, non pas des questions. La créativité joue un rôle majeur ici. La créativité a cependant besoin d’être désacralisée : tout le monde peut trouver de nouvelles solutions et porter de nouveaux regards. La créativité est un processus ouvert, interactif et contraignant ; être créatif signifie que la critique constructive est nécessaire pour l’avancement.

Une science citoyenne pour les enfants

À quoi pourrait ressembler un parcours d’apprentissage par la recherche ? L’interdisciplinarité y est incontournable. L’inclusion de l’alphabétisation numérique dans le parcours de formation est décisif, quant à l’initiation à la programmation pour les enfants, cela existe déjà. Des écoliers du primaire au Royaume-Uni ont déjà publié un papier scientifique sur la reconnaissance des fleurs par les abeilles, et dans une banlieue de Paris, dans une école primaire des élèves de CM1/CM2 apprennent de la science en étudiant les fourmis. La classe envoie des tweets sur ses observations et recueille des hypothèses venant d’autres classes et de chercheurs adultes.

Twitter n’est pas la seule voie que peuvent choisir les enfants pour collecter et échanger des connaissances. Les adultes ont Wikipédia, mais c’est un peu complexe pour les enfants qui bien souvent n’y trouvent pas de réponses à leurs questions. Essayez par exemple de chercher pourquoi le ciel est bleu dans la page « lumière ». Si vous survivez au jargon scientifique assez hermétique et lisez la totalité de la page, vous vous rendrez compte que l’explication n’y est pas. Des projets tels que Simple Wikipédia sont donc apparus, qui visent à expliquer les choses complexes en un langage simple. Vikidia en France (une sorte de Wikipédia pour les enfants mais écrit par les adultes), Wikikids aux Pays-Bas, avec son équivalent français Wikimini (Wikipédia pour et par les enfants), ont commencé à construire une passerelle entre la création collaborative de connaissances et son partage généralisé.

En participant à la vraie science, nous nous impliquons tous activement dans le processus qui consiste à lui donner du sens. Les enfants non seulement deviennent des scientifiques, mais ils développent aussi leur créativité et se rendent compte des choix qu’ils opèrent. Ainsi, chacun prend activement conscience de la façon dont notre environnement et notre imagination nous façonnent en tant qu’individus et en tant que société.

Rayna Stamboliyska est chercheuse associée au Centre de Recherche pluridisplinaire de l’Université de Paris 5 Descartes, où elle développe la partie biologie synthètique au sein du projet Cyberlab citoyen. Elle contribue également à l’organisation de la « Nuit de la Science 2013 ». Elle tient un blog sur Scilogs.com intitulé Beyond the Lab, qui observe les pratiques scientifiques émergentes ; elle participe aussi à FutureChallenges.org et à Jadaliyya. Rayna est membre du conseil d’administration de la branche française de l’Open Knowledge Foundation et ainsi contribue au développement de la science citoyenne en France.

Crédit photo : Krystian Olszanski (Creative Commons By)




La position de Google sur les brevets et l’open source (+ avis de Gibus)

Dans un récent billet traduit ci-dessous, Google nous annonce s’engager à ne pas attaquer en premier un acteur de l’open source avec ses brevets, seule la riposte est envisagée.

Nous avons demandé à Gérald Sédrati-Dinet (Gibus) de l’April, l’un de nos spécialistes sur le sujet, non seulement de relire la traduction mais également de nous donner son éclairant point de vue.

« Mon avis est que c’est un pas dans la bonne direction de la part d’une entreprise informatique influente. Mais cet engagement illustre à merveille l’inadaptabilité intrinsèque du système de brevets aux idées informatiques. À quoi servent ces “brevets logiciels” si leur détenteur s’engage à ne pas les utiliser ? Si Google était cohérent, il compléterait cet Engagement pratique par un engagement politique visant à ce qu’aucun “brevet logiciel” ne puisse s’appliquer aux activités des développeurs et utilisateur informatiques. Une telle exception a été récemment proposée par Richard Stallman, Google irait-il jusqu’à la soutenir ? »

OpenSourceWay - CC by-sa

Prendre position sur l’Open Source et les brevets

Taking a stand on open source and patents

Duane Valz – 28 mars 2013 – Google Blog Open Source
(Traduction : brouberol, Neros, Melchisedech, cherry, gibus + anonymes)

Chez Google, nous pensons que les systèmes ouverts sont meilleurs (NdT : article sous le lien traduit par le Framablog). Les logiciels open source ont été à l’origine de nombreuses innovations dans l’informatique en nuage, le web mobile et l’Internet en général. Et alors que les plateformes ouvertes on été de plus en plus confrontées à des attaques via des brevets, obligeant les entreprises à se défendre en acquérant encore plus de brevets, nous restons attachés à un Internet ouvert — un Internet qui protège l’innovation réelle et continue de fournir des produits et services de qualité.

Aujourd’hui, nous faisons un pas de plus vers ce but en annonçant l’Open Patent Non-Assertion Pledge (Engagement ouvert de non-application des Brevets) : nous nous engageons à ne poursuivre aucun utilisateur, distributeur ou dévelopeur de logiciel open source sur la base des brevets spécifiés, à moins d’avoir d’abord été attaqués.

Nous avons commencé par identifier dix brevets reliés à MapReduce, un modèle de calcul permettant de traiter d’importants jeux de données initialement développé par Google — dont les versions open source sont désormais largement utilisées. Nous avons l’intention d’étendre au fur et à mesure l’ensemble des brevets possédés par Google concernés par cet engagement à d’autres technologies.

Nous espérons que l’Engagement OPN servira de modèle à l’industrie, et nous encourageons les autres détenteurs de brevets à adopter un engagement ou une initiative similaire. Nous pensons que cela a plusieurs avantages :

  • La transparence. Les détenteurs de brevets déterminent précisément sur quels brevets et technologies associées ils souhaitent s’engager, garantissant aux développeurs comme au grand public une gestion transparente des droits des brevets.
  • Étendue. Les protections sous l’Engagement OPN ne sont pas confinées à un projet spécifique ou à une licence open source de droits d’auteur. (Google apporte beaucoup de code sous de telles licences, comme les licences Apache ou GNU GPL, mais les protections qu’elles confèrent contre les brevets sont limitées.) L’Engagement OPN, par contraste, s’applique à n’importe quel logiciel open source – passé, présent ou futur – qui pourrait s’appuyer sur des brevets faisant partie de l’Engagement.
  • Protection défensive. L’Engagement peut être résilié, mais seulement si une des parties a intenté une action en violation de brevet contre des produits ou des services de Google, ou s’il profite directement d’un tel litige.
  • Durabilité. L’Engagement demeure en vigueur pendant toute la durée de vie des brevets, même si nous les transférons.

Notre engagement s’appuie sur des efforts passés d’entreprises comme IBM et Red Hat et sur le travail de l’Open Invention Network (dont Google est membre). Cela complète également nos efforts en matière de licences coopératives, sur lesquelles nous travaillons avec des entreprises partageant nos idées, afin de développer des accords de brevets qui permettraient de réduire les poursuites judiciaires.

Au delà de ces initiatives pilotées par l’industrie, nous continuons à soutenir les réformes pouvant améliorer la qualité des brevets tout en réduisant le nombre excessif de litiges.

Nous espérons que l’Engagement OPN fournira un exemple pour les entreprises cherchant à mettre leurs propres brevets au service du logiciel open source, qui contribuent à d’incroyables innovations.

Par Duane Valz, conseil en brevets

Crédit photo : OpenSourceWay (Creative Commons By-Sa)




Former la prochaine génération de bidouilleurs libres

Comment des hackers adultes peuvent-ils s’assurer de faire émerger une nouvelle génération de hackers libres ?

La réponse d’un père de famille dynamique et avisé 😉

See-Ming Lee - CC by-sa

Former la prochaine génération de bidouilleurs open source

Growing the next generation of open source hackers

Dave Neary (Red Hat) – 26 février 2013 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Antoine, cherry, psychoslave, Jeff_, Eijebong, biglittledragoon, goofy, Vero, mathilde, tcit, Quentin, Metal-Mighty, jtanguy, Penguin, Pat, Asta, arnaudbey + anonymes)

En tant que père de trois enfants de 5, 7 et 10 ans, j’ai hâte de partager avec eux les valeurs qui m’ont attiré vers l’open source : partager et créer ensemble des choses géniales, prendre le contrôle de son environnement numérique, adopter la technologie comme moyen de communication plutôt qu’un média de consommation de masse. En d’autres termes :

Comment des bidouilleurs adultes peuvent-ils s’assurer de faire émerger une nouvelle génération de bidouilleurs open source ?

Une des choses que j’ai apprise est qu’il ne faut pas aller trop vite. J’ai mis mes enfants devant Scratch et Sugar à l’âge de 5 et 8 ans, et, bien qu’ils se soient amusés à changer les nombres sur un petit programme que je leur ai montré et aient aimé dessiner leurs propres voitures pour ensuite les diriger sur l’écran, ils étaient trop petits pour comprendre le concept de lier des fonctions entres elles pour arriver à obtenir des comportements plus sophistiqués.

Voici quelques-unes des leçons que j’ai apprises en tant que parent qui, je crois, peuvent être adaptées selon l’âge et les centres d’intérêt de vos enfants.

Un espace à vivre bidouillable

Nous avons encouragé nos garçons à décorer leur chambre, à organiser leurs meubles comme ils voulaient et à avoir leurs propres petits fiefs. Parfois cela nous rend complètement dingues en tant que parents, et, régulièrement, nous devons les aider à ranger, mais leur espace leur appartient.

De même, chaque enfant de plus de 7 ans peut avoir un vrai couteau qu’il peut utiliser pour tailler du bois et couper de la ficelle.

Ingénierie préscolaire

J’adore les jouets qui permettent aux enfants de donner libre cours à leur imagination. En plus c’est génial, parce qu’en tant qu’adulte, je prends autant de plaisir qu’eux à jouer ensemble ! Mes jeux de construction préférés (achetés à peu près au moment où les enfants ont l’habileté nécessaire pour les manipuler) sont les Kapla, les trains en bois, les lots de Duplo, Playmobil, Lego et les voitures Meccano.

Lego et Meccano notamment font un super boulot pour faire des kits adaptés aux enfants de tout âge. Une autre petite astuce est d’encourager le mélange et d’assembler différentes marques de jouets. Nous avons des ponts Kapla passant par-dessus des trains Ikea et des camions Lego qui transportent des personnages Playmobil.

Les Kapla aussi sont très intéressants. Ce sont des planchettes en bois découpées selon des proportions très précises ; elles sont trois fois plus larges qu’épaisses, et cinq fois plus longues que larges. Avec ces simples proportions et la précision des découpes, il est possible de construire des objets très complexes, comme la Tour Eiffel ou une maison Kapla.

Se lancer dans l’électronique

Nous avons un kit Arduino, et mon aîné commence à avoir le niveau pour comprendre comment câbler un circuit, mais il n’a pas encore découvert comment programmer dans le dialecte C propre à Arduino.

Mais même avant quelque chose de ce genre, les arts et les activités artisanales sont un excellent entraînement pour le DIY (NdT : Do It Yourself, c’est-à-dire « Faites-le vous-même »), et nous avons toujours quelques bâtonnets de glaces ou des pinces à linge et un pistolet à colle pour des cadeaux « faits main ».

Puis vous pouvez laisser traîner des tournevis, pinces, multimètres et autres fers à souder, pour que les enfants puissent désosser leurs vieux jouets, ou des appareils électroniques cassés, réparer les choses par eux-mêmes avec de simples circuits électriques, lorsque que quelque chose ne marche pas, et récupérer des pièces détachées pour les intégrer dans leurs futurs projets. Une supervision parentale est recommandée avec le fer à souder jusqu’à ce qu’ils maîtrisent son utilisation.

Apprendre aux enfants à bidouiller

J’adorerais entendre parler de ressources pour que les enfants apprennent à maîtriser la programmation ! Je connais l’existence de la Code Academy et la Khan Academy qui apprennent aux enfants à coder ; et Scratch and Sugar, que j’ai déjà mentionné.

Merci de partager vos propres conseils sur la manière d’endoctriner la prochaine génération de bidouilleurs open source !

Crédit photo : See-Ming Lee (Creative Commons By-Sa)




Ouvert et fermé, par Evgeny Morozov

L’écrivain Evgeny Morozov n’aime pas les visions bisounours des nouvelles technologies.

On se souvient qu’il y a deux ans il avait vertement critiqué le soit-disant pouvoir libérateur d’Internet, ce qui lui avait valu réponse de Cory Doctorow traduite par nos soins.

Il s’en prend aujourd’hui à l’usage immodéré de l’expression « open » qui, à force d’être utilisé à tous les sauces, prend le risque d’être vidé de son (noble ?) sens.

Pumpkincat210 - CC by

Ouvert et fermé


Open and Closed

Evgeny Morozov – 17 mars 2013 – NewYorkTimes.com (Opinion)
(Traduction Framalang)


« L’impression 3D peut-elle être subversive ? » demande une voix dans la vidéo la plus terrifiante que vous puissiez trouver sur Internet ce mois-ci. Il s’agit de la bande-annonce pour Defcad.com, un moteur de recherche pour des modèles imprimables en 3D de choses que les « institutions et les industries ont pour intérêt commun de garder loin de nous », incluant des « appareils médicaux, médicaments, biens, pistolets ».

La voix appartient à Cody Wilson, un étudiant en droit du Texas qui a fondé l’année dernière Defense Distributer, une initiative controversée visant à produire une « arme wiki » imprimable. Avec Defcad, il s’étend au-delà des armes, autorisant, par exemple, des passionnés de drones à rechercher des pièces imprimables.


M. Wilson joue la carte de « l’ouverture » de Defcad jusqu’à dire qu’elle est l’opium des masses armées d’iPad. Non seulement le moteur de recherche Defcad sera placé sous le signe de l’« open source » — la bande-annonce le clame à deux reprises — mais également de « l’open data  ». Avec une telle ouverture, Defcad ne peut pas être le Mal, n’est-ce pas ?


Personne n’a besoin de voir des projets tels que Defcad pour constater que « l’ouverture » est devenue un terme dangereusement vague, avec beaucoup de sex-appeal mais peu de contenu un tant soit peu analytique. Certifiées « ouvertes », les idées les plus odieuses et suspectes deviennent soudain acceptables. Même l’Église de Scientologie vante son « engagement envers la communication ouverte ».


L’ouverture est aujourd’hui un culte puissant, une religion avec ses propres dogmes. « Posséder des gazoducs, personnes, produits, ou même la propriété intellectuelle n’est plus la clef du succès. L’ouverture l’est », clame l’éditorialiste Jeff Jarvis.

La fascination pour « l’ouverture » provient principalement du succès des logiciels open source, du code informatique publiquement accessible auquel tout le monde peut contribuer. Mais aujourd’hui ce principe est en train d’être appliqué à tout, de la politique à la philanthropie ; des livres intitulés « The Open-Source Everything Manifesto » (le Manifeste du Tout Open Source) et « Radical Openness » (L’Ouverture Radicale) ont récemment été publiés. Il existe même « OpenCola » — un vrai soda pour le peuple.


Pour de nombreuses institutions, « ouvert » est devenu le nouveau « vert ». Et de la même façon que certaines entreprises « verdissent » (greenwash) leurs initiatives en invoquant une façade écolo pour cacher des pratiques moins recommandables, un nouveau terme vient d’émerger pour décrire ce besoin d’introduire « l’ouverture » dans des situations et environnements où elle existe peu ou pas : « openwashing » (« ouvertisation »).

Hélas, « l’ouvertisation », aussi sympathique que cela puisse sonner, ne questionne pas l’authenticité des initiatives « ouvertes » ; cela ne nous dit pas quels types « d’ouverture » valent le coup, s’il en est. Toutes ces ouvertures, ou prétendues ouvertures, ne se valent pas et nous devons les différentier.


Regardez « l’ouverture » célébrée par le philosophe Karl Popper, qui a défini la « société ouverte » comme l’apothéose des valeurs politiques libérales. Ce n’est pas la même ouverture que celle du monde de l’open source. Alors que celle de Popper concernait principalement la politique et les idées, l’open source concerne avant tout la coopération, l’innovation, et l’efficacité — des résultats utiles, mais pas dans toutes les situations.


Regardez comme George Osborne, le chancelier britannique a défini les « politiques open source » récemment. « Plutôt que de se baser sur le fait que des politiciens » et des « fonctionnaires aient le monopole de la sagesse, vous pouvez vous engager via Internet » avec « l’ensemble du public, ou du moins les personnes intéressées, pour résoudre un problème particulier ».

En tant qu’ajout à la politique déjà en place, c’est merveilleux. En tant que remplacement de la politique en place, en revanche, c’est terrifiant.

Bien sûr, c’est important d’impliquer les citoyens dans la résolution des problèmes. Mais qui décide des « problèmes particuliers » auxquels les citoyens doivent s’attaquer en premier lieu ? Et comment peut-on définir les limites de ce « problème » ? Dans le monde du logiciel open source, de telles décisions sont généralement prises par des décideurs et des clients. Mais en démocratie, les citoyens tiennent la barre (plutôt en délèguent la tenue) et rament simultanément. En politique open source, tout ce qu’ils font, c’est ramer.


De même, un « gouvernement ouvert » — un terme autrefois réservé pour discuter de la responsabilité — est aujourd’hui utilisé plutôt pour décrire à quel point il est facile d’accéder, manipuler, et « remixer » des morceaux d’informations du gouvernement. Ici, « l’ouverture » ne mesure pas si de telles données augmentent la responsabilité, mais seulement combien d’applications peuvent se baser dessus, et si ces applications poursuivent des buts simples. L’ambiguïté de l’ouverture permet au Premier Ministre britannique David Cameron de prôner un gouvernement ouvert, tout en se plaignant que la liberté d’expression « bouche les artères du gouvernement ».


Cette confusion ne se limite pas aux gouvernements. Prenez par exemple cette obsession pour les cours en ligne ouvert et massif (NdT : MOOC). Que signifie le mot ouvert dans ce cas? Eh bien, ils sont disponibles en ligne gratuitement. Mais il serait prématuré de célébrer le triomphe de l’ouverture. Un programme d’ouverture plus ambitieux ne se contenterait pas d’étendre l’accès aux cours mais donnerait aussi aux utilisateurs la possibilité de réutiliser, modifier et d’adapter le contenu. Je pourrais prendre les notes de conférence de quelqu’un, rajouter quelques paragraphes et les faire circuler en tant qu’élément de mon propre cours. Actuellement, la plupart de ces cours n’offrent pas cette possibilité : le plus souvent leurs conditions d’utilisation interdisent l’adaptation des cours.


Est-ce que « l’ouverture » gagnera, comme nous l’assurent ces Pollyanas numériques? Probablement. Mais une victoire pour « l’ouverture » peut aussi marquer la défaite de politiques démocratiques, d’une réforme ambitieuse et de bien d’autres choses. Peut-être faudrait-il mettre en place un moratoire sur le mot « ouvert ». Imaginez les possibilités que cela pourrait ouvrir !

Crédit photo : Pumpkincat210 (Creative Commons By)




La mort des projets libres de SourceForge ne signifie pas la mort de SourceForge

Le ”community manager” de SourceForge se rebiffe : ce n’est pas parce que la plateforme héberge une foultitude de projets libres morts ou non actifs que SourceForge est lui-même en train de mourir.

On ne peut lui donner tort, mais la grande question reste en suspens : pourquoi tout le monde (ou presque) s’en va désormais sur GitHub ?

Peut-être trouvera-t-on réponse dans les commentaires 😉

Joiseyshowaa - CC by-sa

Le mythe de la mort de SourceForge

The myth of the death of SourceForge

Rich Bowen – 07 décembre 2012 – Notes in the Margin (blog personnel)
(Traduction : tcit, Sky, goofy, KoS, Tr4sK, audionuma, Asta, Rudloff)

Je suis le community manager de SourceForge. À ce titre, je vois tous les jours des tweets annonçant la mort imminente de SourceForge. La preuve fournie est le nombre important de projets morts sur SourceForge.

Cela reflète une profonde ignorance de la façon dont l‘open source (et le développement logiciel en général) fonctionne.

Une des choses qui font du développement logiciel un hobby irrésistible est que cela ne coûte presque rien d’échouer. Vous avez une idée ? Chouette. Essayez-la. Ça a marché ? Non ? Bah, ce n’est pas une grande perte. Passez à la prochaine idée. Mais publiez donc ouvertement vos notes pour que d’autres personnes puissent y jeter un coup d’œil et voir si elles peuvent faire mieux.

La plupart des projets de logiciels échouent. Désolé. C’est la réalité.

Ainsi, le fait que SourceForge contienne de nombreux projets ayant échoué n’est pas une indication de la mort de SourceForge. Cela indique son âge. SourceForge a 12 ans. Github est encore un bébé et n’a donc encore qu’un petit nombre de projets morts. Attendez quelques années et nous entendrons dire que Github est l’endroit où vont les projets pour mourir et que le nouveau truc à la mode est beaucoup mieux.

Ceci est un non-sens et n’est donc pas un bon instrument de mesure. Les forges open source sont un endroit où vous pouvez essayer une idée, à peu de frais et, si nécessaire, trouver là où ça échoue. Il est rare de réussir.

Bien sûr, cela amène la question qui est toujours posée : pourquoi ne purgeons-nous pas tous les projets morts ? Eh bien, si vous y réfléchissez quelques minutes, vous verrez que ce n’est pas faisable. Qui suis-je pour déterminer quel projet est mort et lequel ne l’est pas ? J’ai un projet vieux de 10 ans, que je n’ai pas touché depuis 8 ans mais que j’ai l’intention de réécrire ce week-end. Que se passerait-il si nous l’avions effacé la semaine dernière ? Plus important, les notes et le code source de votre projet « mort » ou « loupé » mènent souvent à un fork qui lui, réussit. Purger les références historiques ne rend service à personne.

Pendant ce temps, je passe des heures chaque jour à faire la promotion des nouvelles versions et des développements de projets open source très actifs et très passionnés. Il ne se passe pas une semaine où, avec un tweet pour chacune des nouvelles versions, ma femme ne me dit pas « wow, tu tweetes vraiment énormément ! » Un tweet à peu près chaque heure, 24 heures par jour, chaque jour des 9 derniers mois. Ça fait un paquet de projets actifs. Pas morts du tout.

C’est un grand honneur d’être le community manager de SourceForge, de travailler avec des dizaines de milliers de projets vivants et passionnés. SourceForge reste un élément très important dans l’écosystème open source, avec de nouveaux projets créés chaque jour. Certains de ces projets sont destinés à devenir des succès, d’autres non. C’est juste comme cela que ça marche, et ça n’indique le déclin d’aucune des forges open source où cela arrive.

Crédit photo : Joiseyshowaa (Creative Commons By-Sa)




Mobilisons-nous ! Pas de DRM dans le HTML5 et les standards W3C

La question de savoir si oui ou non il y a aura des DRM dans le HTML5 est absolument fondamentale pour le Web de demain. Ce n’est pas une question tehnique, c’est une question de partage (ou pas).

C’est pourquoi nous vous avions proposé la cinglante réponse de Cory Doctorow à Tim Berners-Lee. C’est pourquoi aussi nous avons traduit cet article très clair de l’Electronic Frontier Foundation qui en appelle à se mobiliser, par exemple en signant la pétition lancée par la Free Software Foundation.

Stop DRM en HTML5

Défense du web ouvert : pas de DRM dans les standards W3C

Defend the Open Web: Keep DRM Out of W3C Standards

Peter Eckersley et Seth Schoen – 20 mars 2013 – EFF.org
(Traduction : tcit, ZeHiro, audionuma, goofy, audionuma, Asta)

Un nouveau front est ouvert dans la bataille contre les DRM. Ces technologies, qui sont censées permettre le respect du copyright, n’ont jamais permis de rémunérer les créateurs. Par contre, que ce soit volontairement ou par accident, leur véritable effet est d’interférer avec l’innovation, l’usage légitime, la concurrence, l’interopérabilité et notre droit légitime à posséder nos biens.

C’est pourquoi nous avons été consternés d’apprendre qu’une proposition est actuellement à l’étude au sein du groupe de travail HTML5 du World Wide Web Consortium (W3C) pour intégrer les DRM dans la prochaine génération de standards fondamentaux du Web. Cette proposition est dénommée Encrypted Media Extensions (Extensions pour les médias chiffrés, EME). Son adoption représenterait une évolution catastrophique et doit être stoppée.

Durant les deux dernières décennies, il y a eu un combat continu entre deux visions de la manière dont les technologies d’Internet doivent fonctionner. L’une des philosophies est que le Web doit être un écosystème universel basé sur des standards ouverts et que quiconque peut implémenter sur un pied d’égalité, n’importe où, n’importe quand, sans permissions ni négociations. C’est cette tradition technologique qui a produit HTML et HTTP pour commencer, et des innovations qui ont marqué leur époque comme les wikis, les moteurs de recherche, les blogs, les messageries sur le Web, les applications écrites en JavaScript, les cartes en ligne réutilisables, et une centaine de millions de sites Web que ce paragraphe serait trop court pour énumérer.

L’autre vision est incarnée par les entreprises qui ont essayé de s’approprier le contrôle du Web avec leurs propres extensions propriétaires. Cela s’est manifesté avec des technologies comme Flash d’Adobe, Silverlight de Microsoft, et des pressions venant d’Apple, des fabricants de téléphonie, et d’autres, en faveur de plateformes hautement restrictives. Ces technologies sont conçues pour n’être disponibles qu’auprès d’une seule source ou nécessiter une autorisation pour toute nouvelle implémentation. À chaque fois que ces techniques sont devenues populaires, elles ont infligé des dommages aux écosystèmes ouverts qui les entourent. Les sites Web qui utilisent Flash ou Silverlight ne peuvent en général pas être référencés correctement, ne peuvent pas être indexés, ne peuvent être traduits automatiquement, ne peuvent être consultés par les personnes en situation de handicap, ne fonctionnent pas sur tous les terminaux de consultation, et posent des problèmes de sécurité et de protection de la vie privée à leurs utilisateurs. Les plateformes et les équipements qui restreignent la liberté de l’utilisateur freinent inévitablement des innovations importantes et entravent les compétitions sur le marché.

La proposition EME est entachée par plusieurs de ces problèmes car elle abandonne explicitement la responsabilité de la question de l’interopérabilité et permet aux sites Web de requérir des logiciels propriétaires de tierces-parties, voire du matériel ou un système d’exploitation spécifiques (tout cela mentionné sous le nom générique de « content decryption modules » (« modules de déchiffrage du contenu », CDM), dont aucun n’est spécifié par EME). Les auteurs d’EME soutiennent que les CDM, ce qu’ils font et d’où ils viennent, est totalement hors du champ d’EME, et qu’EME ne peut être considéré comme un DRM puisque tous les CDM ne sont pas des DRM. Néanmoins, si l’application client ne peut prouver qu’elle exécute le module propriétaire spécifique que le site réclame, et n’a donc pas de CDM qualifié, elle ne peut afficher le contenu du site. De manière perverse, c’est exactement à l’opposé des raisons qui font que le W3C existe. Le W3C est là pour créer des standards lisibles, qui soient implémentables par le public et qui garantissent l’interopérabilité, et non pas pour favoriser une explosion de nouveaux logiciels mutuellement incompatibles et de sites et services qui ne sont accessibles qu’à certains équipements ou applications. Mais la proposition EME va justement apporter cette dynamique anti-fonctionelle dans HTML5, risquant même un retour au « bon vieux temps d’avant le Web » où l’interopérabilité était volontairement restreinte.

Étant donné l’extrême méfiance de la communauté des standards ouverts à l’encontre des DRM et de leurs conséquences sur l’interopérabilité, la proposition de Google, Microsoft et Netflix affirme que « aucun DRM n’est ajouté à la spécification HTML5 » par EME. C’est un peu comme dire « nous ne sommes pas des vampires, mais nous allons les inviter chez vous ».

Les promoteurs d’EME semblent affirmer que ce n’est pas un modèle de DRM. Mais l’auteur de la spécification Mark Watson a admis que « effectivement, nous nous intéressons aux cas d’utilisation que la plupart des gens appellent DRM » et que les implémentations nécessiteront par nature des aspects secrets qui sont hors du champ de la spécification. Il est difficile de soutenir que EME n’a rien à voir avec les DRM.

Les propositions sur les DRM au W3C sont là pour une raison simple : il s’agit d’une tentative d’apaiser Hollywood, qui est irrité par Internet au moins depuis que le Web existe, et a toujours réclamé qu’une infrastructure technique avancée permette de contrôler ce qui se passe sur l’ordinateur du public. Le sentiment est que Hollywood ne permettra jamais la distribution des films sur le Web s’il n’est pas possible de les accompagner de DRM. Mais la crainte que Hollywood puisse récupérer ses billes et quitter le Web est illusoire. Chaque film que Hollywood distribue est déjà disponible pour ceux qui veulent réellement pirater une copie. Une énorme quantité de musique est vendue par iTunes, Amazon, Magnatunes et des dizaines d’autres sites sans qu’il n’y ait besoin de DRM. Les services de streaming comme Netflix et Spotify ont réussi parce qu’ils proposent une expérience plus pratique que le piratage, pas parce que les DRM favorisent leur modèle économique. La seule explication raisonnable pour que Hollywood réclame des DRM est que les producteurs de films veulent contrôler comment les technologies grand public sont conçues. Les producteurs de films ont utilisé les DRM pour faire respecter des restrictions arbitraires sur leurs produits, comme l’interdiction de l’avance rapide ou des restrictions géographiques, et ont créé un système complexe et onéreux de « mise en conformité » pour les entreprises technologiques qui donnent à un petit groupe de producteurs de contenu et aux grandes sociétés du secteur des technologies un droit de veto sur l’innovation.

Trop souvent, les entreprises technologiques se sont lancées dans une course l’une contre l’autre pour bâtir un fouillis logiciel qui corresponde aux caprices de Hollywood, abandonnant leurs utilisateurs dans cette course. Mais les standards ouverts du Web sont un antidote à cette dynamique, et ce serait une terrible erreur pour la communauté du Web de laisser la porte ouverte à la gangrène anti-technologique de Hollywood dans les standards W3C. Cela minerait l’objectif principal de HTML5 : créer un éco-système ouvert alternatif à toutes les fonctionalités qui manquaient dans les standards Web précédents, sans les problèmes de limitations des équipements, d’incompatibilité entre plateformes et l’absence de transparence qui fut créée par des plateformes comme Flash. HTML5 était censé être mieux que Flash, et en exclure les DRM est exactement ce qui le rendrait meilleur.