« Même pas mal ! » Le nouveau tee-shirt Framasoft signé L.L. de Mars

La seule consigne était d’illustrer notre slogan : « La route est longue, mais la voie est libre… ».

Je sais pas vous, mais moi, j’adore ! Merci L.L. de Mars 😉

Tee-shirt Framasoft 2010 - L.L. de Mars - Art Libre

C’est sous Licence Art Libre, of course (de haies) !

PS : Reste plus qu’à faire les tee-shirts et les inclure dans notre boutique EnVenteLibre.




Pour que La Quadrature du Net continue à écrire la doc et les pages man d’Internet

La Quadrature va-t-elle jetter l’éponge ? C’est le cri qu’a poussé Benjamin Bayart hier sur son blog.

Rien de tel que de se remémorer alors son intervention, en juillet dernier aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Nantes, où il explique pourquoi La Quadrature a besoin de notre soutien.

Et de laisser ensuite la parole à un Jérémie Zimmermann éloquent quant au sens donné à leur action : « S’appuyer sur notre expertise pour écrire la doc et les pages man de l’outil que l’on a bâti et que l’on veut préserver : Internet ».

PS : Et comme on ne peut plus s’en passer, il y a également une vidéo bonus de Stallman en fin d’article 😉

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Transcript

Jérémie Zimmermann : Je pense que les sociologues, ethnologues et autres bidulogues se pencheront sur la question, s’ils ne le font pas déjà. De voir que c’est nous, la bande de geeks, qui allons retourner les parlements.

Alors nous la bande de geeks, on est ceux qui connaissons le mieux Internet, ceux qui l’utilisons tous les jours depuis plus longtemps que tout le monde, et ceux qui en quelque sorte l’avons fabriqué. Et donc on peut dire sans se vanter qu’on a une expertise en la matière, un expertise en matière d’Internet et des technologies numériques.

Et c’est intéressant de voir que l’on utilise spécifiquement notre expertise dans quelque chose que l’on a bâti. Pour le préserver tel qu’on le connaît aujourd’hui et tel qu’on aime à l’utiliser aujourd’hui.

Et j’aimerais me livrer ici a un parallèle peut-être un petit peu hasardeux. Je sais que pas grand monde aime la politique, ou en tout cas la politique telle qu’elle existe aujourd’hui, à base de spectacle et de petites phrases, de connards bronzés qui ne connaissent pas leurs dossiers et qui raisonnent à coups de sondages, etc.

Mais la politique, la vraie, c’est pas ça. C’est s’intéresser à la vie de la cité. Et pour s’intéresser à la vie de la cité, pour participer, il faut précisément transmettre son expertise, transmettre sa connaissance.

Et donc notre rôle, ce que l’on fait tous les jours dans ces campagnes, on transmet l’expertise que l’on a de l’outil que l’on veut préserver.

Mais transmettre de l’expertise, c’est un petit peu de la communication, et c’est un petit peu un truc que les geeks ne savent pas bien faire en général.

Et le parallèle hasardeux que je vais faire, c’est dire qu’en gros ce que l’on est en train de faire. c’est faire la doc et faire les pages man qui vont avec l’outil qu’on a développé.

Et que nous les geeks, on sait qu’on n’aime pas faire les pages man, et qu’on n’aime pas rédiger la doc. Et le problème c’est que si on ne les fait pas, le projet ne va pas décoller et il n’ira pas très loin. Et donc voilà, à vos éditeurs de texte quoi !

Benjamin Bayart : On ne peut pas laisser les parlementaires écrire tout seul le manuel d’Internet, ça ça va pas être bon, va falloir qu’on s’en mêle…

Soutien de Richard Stallman à La Quadrature du Net

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Les 7 péchés de Windows parlent déjà 7 langues

Techedlive - CC by-saNous reproduisons un communiqué de l’April dans la mesure où nous sommes directement impliqués.

Il s’agit de l’annonce de la traduction en plusieurs langues de la campagne « Les 7 péchés de Windows » de la Free Software Foundation.

Nous en avions parlé ici-même à l’occasion de la sortie, il y a trois mois, de la première traduction en date, la française justement (travaillée en collaboration avec l’April, via notre groupe Framalang)[1].

Pour rappel, ces 7 péchés sont l’empoisonnement de l’éducation, l’invasion de la vie privée, le comportement monopolistique, le verrouillage, le blocage abusif des standards, le soutien des DRM, les menaces sur la sécurité de l’usager.

La campagne « Les 7 péchés de Windows »

Coup d’envoi des démarches de sensibilisation à l’échelle internationale

URL d’origine du document

BOSTON, Massachusetts, USA – Vendredi, 22 janvier 2010 – La Fondation pour le Logiciel Libre (Free Software Foundation, FSF) a annoncé aujourd’hui l’extension internationale de sa campagne Les 7 Péchés de Windows pour la défense des libertés des utilisateurs d’ordinateurs, avec des traductions et des communiqués de presse disponibles dans plus de huit langues. Des traductions dans d’autres langues sont aussi en cours.

La campagne Les 7 Péchés de Windows met en lumière sept domaines principaux dans lesquels les logiciels propriétaires, et plus particulièrement Microsoft Windows, portent atteinte à tous les utilisateurs d’ordinateurs : en envahissant la vie privée, en contaminant l’éducation, en enfermant les utilisateurs, en ne respectant pas les normes, en profitant de comportements monopolistiques, en appliquant des verrous numériques (DRM) et en portant atteinte à la sécurité des utilisateurs.

Ces éléments sont mis en avant dans un courrier que les organisateurs de la campagne ont déjà envoyé aux dirigeants des 500 plus grandes entreprises du classement Fortune ainsi qu’aux plus grandes ONG des États-Unis. Cette lettre met en garde les dirigeants concernés par Windows 7 à propos de "l’absence de sécurité, de liberté et de respect de la vie privée" à laquelle ils s’exposeraient s’ils venaient à adopter Windows 7, et elle soutient qu’ils devraient à la place adopter des solutions libres comme le système d’exploitation GNU/Linux et la suite logicielle bureautique OpenOffice.org.

La FSF demande aux citoyens qui se sentent concernés d’aider à diffuser ce message en soumettant de nouveaux dirigeants d’organisations qui sont aussi concernés par Windows 7 afin qu’ils reçoivent eux aussi une version de la lettre. Le directeur exécutif de la FSF, Peter Brown, explique que « de nombreuses personnes sont frustrées par les organisations avec lesquelles ils interagissent et par le soutien qu’elles apportent à une industrie du logiciel qui oeuvre contre les libertés des citoyens. Nos instances dirigeantes, tant au plan national que local, les ONG ainsi que les universités et les écoles publiques qui utilisent des logiciels propriétaires vont ainsi à l’encontre de l’intérêt public, le plus souvent du fait de leur méconnaissance du logiciel libre ou d’un égarement quant aux valeurs qu’elles sous-tendent. Nous espérons alerter ces décideurs de la contribution bénéfique qu’ils peuvent apporter à la société en faisant migrer leurs organisations vers le logiciel libre. »

« En traduisant Les 7 Péchés de Windows dans autant de langues que possible, nous faisons de cette campagne une mobilisation internationale pour défendre les libertés des utilisateurs d’ordinateurs », a ajouté Matt Lee, le responsable de la campagne au sein de la FSF. En plus des traductions du site web, la FSF distribue aussi ce communiqué de presse dans ces mêmes langues, aux représentants locaux de chacune des zones linguistiques concernées.

Coordonnés par les permanents de campagne de la FSF qui travaillaient avec des traducteurs bénévoles, les efforts de traduction ont été déployés au cours des derniers mois, en utilisant des logiciels libres et en collaborant au moyen de l’outil GNU Mailman. La première traduction à être publiée a été la française, traduite par les membres des associations française du logiciel libre, April et Framasoft.

Toute partie intéressée peut rejoindre les efforts de traduction en visitant http://meta.windows7sins.org. Le site a déjà été traduit de l’anglais vers l’arabe, le français, l’italien, le russe, l’espagnol et l’allemand.

« Les traductions permettent aux lecteurs non-anglophones de comprendre les enjeux de la campagne de la FSF. L’April et Framasoft encouragent leurs membres et les communautés francophones du logiciel libre à profiter de la sortie de Windows Seven pour informer leurs amis, famille, collègues, connaissances… sur les dangers du logiciel propriétaire, les pratiques abusives de Microsoft et sur l’existence du logiciel libre » ont indiqué Frédéric Couchet de l’April et Alexis Kauffmann de Framasoft.

Les volontaires qui souhaiteraient traduire dans leur langue Les 7 Péchés de Windows ainsi que d’autres documents de la FSF peuvent nous écrire.

Notes

[1] Crédit photo : Techedlive (Creative Commons By-Sa)




Extrait vidéo : La bio de Stallman à la Matinale de Canal+

Ce matin, N. me tire soudainement du lit : Vite, vite, ils parlent de ton bouquin à la télé ?

Je maugrée… (et puis en plus c’est pas « mon » bouquin).

Mais j’ai eu bien raison de faire l’effort de me placer devant le poste, parce que ça en valait ô combien la peine…

Merci à La Matinale de Canal+ (et grosses bises à l’enthousiaste et compétente journaliste).

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Transcript

Maïtena Biraben : Le logiciel libre, c’est l’une des très grandes révolutions du siècle passé et aujourd’hui on en sait un peu plus sur le créateur du logiciel libre.

Emmanuelle Talon : Oui, Richard Stallman il a aujourd’hui 56 ans, il n’est pas très connu du grand public mais c’est un dieu vivant pour les informaticiens, parce que c’est un des pères du logiciel libre, le père du logiciel libre.

Alors pourquoi on en parle aujourd’hui ? Parce qu’il y a sa biographie qui vient de paraître en français aux éditions Eyrolles « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre ». Alors au début des années 80…

Maïtena Biraben : C’est un bouquin de geek ?

Emmanuelle Talon : Non, justement pas. C’est ça qui est bien, parce que ça n’est pas un bouquin de geek, et même si on ne s’y connaît pas trop, on peut vraiment vraiment comprendre, j’insiste.

Et donc Stallman, au début des années 80 a créé la Fondation pour le Logiciel Libre. Il est à l’origine du projet GNU.

Et juste un petit rappel : qu’est-ce qu’un logiciel libre ? Quand même, voilà c’est important. C’est un logiciel que n’importe qui peut utiliser, copier ou même modifier, pour l’améliorer en quelque sorte, en accédant au code source.

Et le logiciel libre, ça s’oppose à ce que Stallman appelle les logiciels privateurs. Ce sont des logiciels qui nous privent de notre liberté. On ne peut pas modifier le code source, c’est pour cela que Windows est la propriété de Microsoft. Si Windows ne vous convient pas, vous ne pouvez pas l’améliorer. Tandis que l’on peut améliorer par exemple la suite bureautique OpenOffice ou le navigateur Firefox.

Maïtena Biraben : Si on y arrive !

Emmanuelle Talon : Si on arrive, bien sûr, mais vous avez cette liberté.

On l’impression que c’est un peu complexe mais en fait pas tellement parce que cette histoire de logiciel libre… Il ne s’agit pas vraiment d’informatique, il s’agit en fait de philosophie. Richard Stallman c’est vraiment un grand philosophe, c’est un vrai penseur. Et avec cette histoire de logiciel libre… Pourquoi au fond il s’est lancé dans cette aventure ? Il s’est lancé dans cette aventure tout simplement pour améliorer le monde, pour encourager le partage et la fraternité.

Donc c’est une forme de nouveau socialisme, de socialisme logiciel. Et à l’heure où l’on pleure sur la fin des grandes ideologies, on peut se réjouir de voir qu’il y a encore des gens qui essayent de changer le monde. Et aujourd’hui ces gens-là ce sont des informaticiens, et c’est Richard Stallman. C’est pour ça que c’est important de le connaître.

Maïtena Biraben : On a vu son playmobil…

Emmanuelle Talon : Oui on a vu son playmobil, mais en fait c’est un personnage assez amusant, qui a beauocup d’humour, qui a une bonne tête…

Maïtena Biraben : Est-ce que le logiciel libre a des chances de gagner face au logiciel non libre, donc commercialisé, que l’on ne peut plus toucher ?

Emmanuelle Talon : Alors, le logiciel libre il progresse beaucoup en France. Il y a quelques années la Gendarmerie nationale est passée… elle a adopté un logicie libre. Mais, si vous voulez, la compétition elle ne se fait pas vraiment sur cette question-là, sur cette question technique, parce qu’un logiciel libre, on peut considérer que ça vaut au niveau technique un logiciel privateur. En fait la compétition, elle se fait vraiment dans nos têtes.

Le Libre il pourra gagner le jour où, d’après Stallman, on aura, nous, envie de nous libérer et puis de ne pas être soumis à la machine. Parce qu’il explique que quand on utilise un logiciel comme Windows, on ne peut pas le modifier si on n’y va pas, et donc on est esclave de la machine. Stallman c’est un peu le Luke Skywalker de l’informatique, il faut qu’on se libère des machines et c’est ce jour-là que le Libre pourra gagner.

Maïtena Biraben : Est-ce que libre ça veut dire gratuit Emmanuelle ?

Emmanuelle Talon : Alors non, libre ne veut pas forcément dire gratuit. Il y a des logiciels libres qui ne sont pas gratuits, donc il faut faire attention à cette confusion. C’est vrai que quand on est juste un utilisateur, on peut estimer que la gratuité c’est le principal avantage, mais libre ne veut pas dire gratuit.

Maïtena Biraben : Si on ramène cette idée de logiciel libre à la France, la prochaine bataille c’est Hadopi.

Emmanuelle Talon : C’est Hadopi et Stallman est mobilisé sur cette question. Il estime que c’est une loi tyrannique. Il dit que Nicolas Sarkozy est un ennemi de la démocratie et des Droits de l’Homme. Et pour lui empêcher le téléchargement de musique pour sauver l’industrie du disque, c’est tout simplement comme empêcher les gens de faire la cuisine pour sauver les emplois dans la restauration !

Voilà, juste pour finir, le livre, vous pouvez l’acheter, il coûte 22 euros et c’est bien d’avoir un livre papier. Mais vous allez voir la cohérence de la démarche, en fait le livre est en téléchargement, gratuit, sur le site www.framasoft.net. Vous pouvez modifer le texte du livre, et si vous voulez le traduire, et bien vous pouvez tout à fait le traduire librement dans la langue que vous souhaitez, en ourdou par exemple, je pense que ça n’est pas encore fait.




Critique de la biographie de Richard Stallman par Sébastien Broca

Richard Stallman - Bastien WirtzSébastien Broca a été parmi les rares privilégiés à acquérir le livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre avant les autres, au cours de la rencontre organisée par les éditions Eyrolles à Paris le 12 janvier dernier (dédidace « Happy Hacking » de Richard incluse[1]).

Le lendemain, il m’envoyait spontanément un courriel enthousiaste en me faisant part de ses premières impressions sur un livre qu’il avait parcouru dans sa totalité en moins de 24h !

Et moi, ni une ni deux, de lui demander gentiment de pousser la chansonnette jusqu’à en faire un billet pour le Framablog 😉

Difficile de vous cacher que cela nous a fait à tous très plaisir à lire…

Le livre lu par Sébastien Broca

Compte-rendu : Richard M. Stallman, Sam Williams, Christophe Masutti, « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée », Eyrolles, Paris, 2010.

La biographie de Richard Stallman publiée aux Éditions Eyrolles constitue un ouvrage inhabituel à plus d’un titre. Il s’agit tout d’abord du premier ouvrage en français à se pencher en détail sur la vie du fondateur du mouvement du logiciel libre, dont la notoriété dans le monde informatique ne s’est pas encore vraiment étendue au grand public. C’est également un ouvrage présentant la particularité d’être publié sous une licence dite « libre » (la GNU Free Documentation License), c’est-à-dire donnant droit à chacun de le copier, de le distribuer et de le modifier. Il s’agit enfin d’une biographie singulière, dans la mesure où Richard Stallman a lui-même relu l’ensemble du manuscrit, y apportant des remarques personnelles et des corrections, lorsque certains faits lui paraissaient rapportés de manière erronée ou incohérente. L’ouvrage se présente ainsi comme une œuvre à trois voix. Le texte original publié aux Etats-Unis en 2002 par Sam Williams a été largement retravaillé par Richard Stallman, avant d’être traduit par la communauté en ligne Framasoft, à la source du projet français.


Ce processus d’écriture original confère à l’ouvrage toute sa dynamique. Si Sam Williams fait preuve d’une certaine admiration pour le père du logiciel libre, et plus encore pour son œuvre, il insiste également sur les tensions que son intransigeance morale, couplée à son souci quasi obsessionnel de l’exactitude verbale et conceptuelle, n’ont pas manqué de susciter à travers les ans, et ce jusque dans son propre « camp ». L’inflexibilité de Richard Stallman a ainsi scindé la communauté du libre entre partisans du free software et adeptes de l’open source ; ces derniers axant leur discours sur les qualités techniques et les opportunités économiques propres aux « logiciels à source ouverte », et non sur les raisons éthiques de préférer le logiciel libre. Les différents volets de ce débat, symbolisé par les personnalités largement antithétiques de Richard Stallman et Linus Torvalds (créateur du noyau Linux), sont bien rapportés. Le lecteur en retire une compréhension fine des ressorts de l’engagement de Richard Stallman, et des différentes controverses idéologiques qui traversent la communauté du logiciel libre.


D’autres épisodes narrés par Sam Williams peuvent paraître plus anecdotiques, mais ils donnent à l’ouvrage toute son épaisseur historique et humaine. Des passages relativement longs sont ainsi consacrés à la description du milieu de la recherche informatique aux Etats-Unis dans les années 1970, avant l’apparition de l’ordinateur personnel. Le lecteur se trouve ainsi plongé dans l’ambiance particulière, qui régnait au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, dont Richard Stallman fut membre jusqu’en 1984. Il y découvre les spécificités de l’ethos professionnel des hackers, caractérisé par un rapport passionnel à la programmation et une valorisation sans limites du partage et de la collaboration entre pairs. Il comprend de la sorte les raisons de l’indignation ressentie par Richard Stallman, face au mouvement de privatisation connu par l’industrie informatique au début des années 1980. Ces passages figurent ainsi parmi les plus intéressants du livre, en ce qu’ils éclairent à merveille le contexte sociologique et historique ayant présidé à la naissance du mouvement du logiciel libre.


Les interventions de Richard Stallman dans le texte, à travers de petits encarts dans lesquels il réagit aux événements racontés ou aux idées qui lui sont prêtées, donnent à l’ouvrage une saveur supplémentaire. On y retrouve ainsi par petites touches l’expression de son intelligence hors du commun et de son horreur de l’imprécision, le tout asséné sur un ton parfois assez sec et pince-sans-rire. Ces intrusions intempestives offrent presque toujours un contrepoint intéressant, et achèvent de faire de cette biographie une nouvelle référence, pour quiconque souhaite comprendre un personnage hors norme, et un mouvement, dont la portée sociale excède désormais de loin le seul domaine informatique.

Notes

[1] Crédit photo : Bastien Wirtz (OpenCoding)




Sortie de la biographie autorisée « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre »

Stallman by NadègeEt voilà. Le framabook Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée, publié par les édititions Eyrolles, est désormais officiellement disponible sur la place publique !

Il devrait donc apparaître dès aujourd’hui dans les « meilleures » librairies (elle sont meilleures parce qu’elles proposent le livre of course).

Sur Internet, le livre est à commander chez Eyrolles, Amazon et autres Fnac. Mais sachez qu’on peut d’ores et déjà le trouver sur notre boutique EnVenteLibre où nous en avons stocké une centaine d’exemplaires, avec l’avantage que nous distribuons dans toute la francophonie (le monde entier en fait).

Et les sources, me direz-vous avec perspicacité puisque la licence est libre (en l’occurrence la GNU Free Documentation License) ?

C’est là que, autre grande nouveauté, La Poule ou l’Œuf entre en jeu.

Non seulement La Poule est capable d’un simple clic de nous pondre de très jolis œufs, à savoir les version numériques intégrales du livre aux formats PDF, ePub, HTML (zip) sans oublier évidemment les sources en LaTeX (zip), mais vous avez également la possibilité de lire en ligne le livre dans son intégralité !

Vous trouverez tout cela sur la page dédiée du site Framabook.

C’est pour nous la conclusion d’une sacrée aventure (ouf !).

Nous remercions une nouvelle fois tous ceux qui ont participé avec nous à ce projet. Et nous comptons sur vous pour diffuser l’information et faire gonfler les ventes, histoire de montrer au monde de l’édition que la licence libre et le succès commercial, c’est possible 😉




Il était une fois un livre sur et avec Richard Stallman

Biographie de Stallman - Couverture Eyrolles - 3D HarrypopofLe livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée, qui est sorti le 21 janvier aux éditions Eyrolles, possède trois auteurs.

Il y a bien entendu Sam Williams, auteur de la version d’origine en anglais. Mais si nous n’étions qu’en face de sa simple traduction, il demeurerait alors le seul auteur de l’ouvrage. Or deux autres noms apparaissent : Richard Stallman lui-même et Christophe Masutti de Framasoft.

Pourquoi cette originalité et pourquoi méritent-ils tous deux de venir s’associer à Sam Williams ? Vous le saurez en parcourant l’histoire peu commune de ce livre, telle qu’elle a été vécue par Christophe.

Il nous propose une très jolie formule pour expliquer les intentions et les apports de Stallman :
il a souhaité « hacker » le livre.

Avec le même état d’esprit, ou plutôt la même éthique, que lorsqu’il se trouvait, plusieurs dizaines d’années auparavant, jeune programmeur parmi les siens au département de recherche en intelligence artificielle du MIT.

Il était une fois un livre sur et avec Richard Stallman

Christophe Masutti – janvier 2010 – GNU Free Documentation License

Christophe MasuttiTout a commencé en mars 2007, lorsque Alexis Kauffmann a posté un message sur le forum du réseau Framasoft, invitant les volontaires à participer à la traduction du livre de Sam Williams, Free as in Freedom: Richard Stallman’s Crusade for Free Software, publié en 2002 chez O’Reilly sous la licence libre GNU Free Documentation License.

Framasoft a une certaine habitude des traductions et s’est même constitué avec le temps une équipe entièrement dédiée à cela, le groupe Framalang. Il se trouve qu’à cette époque Framalang ne chômait pas et nous ne souhaitions pas leur rajouter une charge de travail supplémentaire avec un livre de quelque 300 pages !

Nous avons donc fait le choix de proposer directement le projet dans un wiki public, et pas n’importe lequel d’entre eux : Wikisource, la bibliothèque libre du réseau Wikimedia. Lors d’une conférence tenue aux Rencontres mondiales du logiciel libre 2009 de Nantes, Alexis donne plus de détails sur le mode opératoire : quelqu’un avait déjà traduit la préface et le premier chapitre du livre sur un site personnel, ce qui nous a servi de base pour créer la structure de l’ensemble du projet sur Wikisource. L’objectif était bien entendu d’arriver à nos fins mais il s’agissait également d’une expérience, celle d’une ambitieuse traduction collaborative et spontanée ouverte à tous, exactement comme on crée, modifie et améliore les articles de Wikipédia.

Un an plus tard, le bilan était contrasté. Nous avions bénéficié de l’exposition de Wikisource et de nombreuses personnes étaient venues participer. Mais quantitativement il restait encore beaucoup à faire et qualitativement ce qui avait été fait manquait singulièrement de cohérence et d’harmonie (ne serait-ce que pour se mettre d’accord sur la traduction de tel ou tel terme important et récurrent). Et puis nous butions sur des questions aussi élémentaires que la décision de « clore » un chapitre traduit, ce qui sur un wiki aussi fréquenté ne va pas de soi.

Ne nous en déplaise, il fallait mettre un peu de « cathédrale dans le bazar », c’est-à-dire un peu de verticalité dans l’horizontalité du projet. Alexis a alors pris la décision de relancer le projet sur le blog de Framasoft, en invitant les bonnes volontés à se regrouper sur une liste de discussion dédiée et créée pour l’occasion. Pour ma part, je pris l’initiative d’animer cette liste qui compta rapidement une bonne dizaine d’inscrits (dans le livre vous trouverez en préambule les remerciements à cette liste nominative de participants).

Notre première décision consista à créer ailleurs un deuxième wiki, mais cette fois-ci loin des regards du réseau Wikimedia. Il ne s’agissait pas de jouer les cachottiers, mais nous en étions arrivés à la conclusion qu’il n’était plus possible de continuer à travailler sur Wikisource, dans la mesure où à tout moment une personne externe à la liste pouvait s’en venir tout « bouleverser » (c’est, j’en conviens fort bien, ce qui fait tout le charme de Wikipédia, mais à cette période d’un projet si spécifique nous souhaitions avant toute chose être efficaces et coordonnés dans notre travail).

Nous nous trouvions cependant face à un dilemme : d’un côté la traduction d’origine sur Wikisource restait bien entendu ouverte et continuait sa vie de texte wiki (bien que fort peu active, puisque la liste avait capté une bonne part de l’énergie disponible) et de l’autre côté, le travail sur notre nouveau wiki prenait forme et la traduction avançait plutôt bien. Une fois terminée, notre intention était de reverser la traduction de Free as in Freedom dans Wikisource, quitte à « écraser » les contributions effectuées dans l’intervalle (ces contributions peuvent néanmoins être réhabilitées grâce à l’historique des modifications). Aujourd’hui, on peut donc trouver sur Wikisource cette traduction française de Free as in Freedom publiée par Sam Williams en 2002. Modulo le fait que quelqu’un est peut-être venu en déplacer un mot il y a une heure 😉

Notre traduction avançait donc plutôt bien jusqu’à obtenir une forme convenable à la relecture en novembre 2008, avec en prime la décision définitive d’en faire un volume de plus de la collection de livres libres Framabook.

Une petite parenthèse est ici nécessaire. En effet, nous travaillions depuis peu en étroite collaboration avec l’équipe de La Poule ou l’Oeuf, qui est une chaîne éditoriale en ligne pour la production de livres, pensés comme unités d’une collection, permettant un rendu final de type TeX, PDF, ePub ou HTML. Ce livre était aussi pour nous l’occasion d’implémenter dans le système non seulement l’ouvrage mais aussi la maquette générale de notre collection Framabook. Nous sommes très heureux du résultat car non seulement la Poule ou l’Oeuf a servi pour la mise en page du livre publié chez Eyrolles, mais ce sont désormais tous les framabooks qui vont bénéficier de la puissance de cet outil et des compétences de l’équipe de la Poule ou l’Oeuf.

Parenthèse fermée. Un mois plus tard, en décembre 2008, j’écrivis à Sam Williams pour lui demander une préface. Il accepta, tout en me précisant qu’il aurait bien aimé que Richard Stallman eût participé aux éventuelles modifications de l’ouvrage en anglais mais que finalement cela ne s’était pas produit. À ce moment-là, je ne compris guère l’allusion qui trouva son explication quelques jours plus tard.

Nous réfléchissions également aux illustrations possibles de l’ouvrage. Il y avait une belle photo de Richard Stallman dans le livre d’origine chez O’Reilly, tirée du site web personnel de Richard. Je contacte donc ce dernier, non seulement pour lui demander l’autorisation d’utiliser sa photo, mais aussi pour l’informer que nous comptions publier la traduction en français (une traduction en italien avait été publiée en 2003).

C’est là que tout a basculé (positivement).

Il faut savoir que le livre Free as in Freedom n’a jamais obtenu l’appui formel de Richard Stallman. Pire : Richard aurait déjà affirmé qu’il était hors de question de venir lui demander un autographe sur le livre. On peut légitimement se demander pourquoi… Certes le travail de Sam Williams est d’abord un travail de journaliste, et il dresse un portrait sans concession de la personnalité de Richard Stallman : introverti, controversé, irascible et intransigeant. Tous ceux qui se sont rendus au moins une fois à l’une de ses conférences et qui sont au courant de ses activités, ont une bonne idée de ce que je veux dire.

Mais ce n’est pas sur ce point que Richard Stallman était en désaccord avec l’ouvrage : il y avait des erreurs manifestes voire des interprétations faussées dans les faits concrets relatés dans l’ouvrage. En somme, un travail mené un peu trop vite et sans assez de recul. Par ailleurs, un programmeur de l’envergure de Richard Stallman met un point d’honneur à vouloir reformuler avec exactitude les approximations, même lorsqu’elles ont été commises volontairement dans le but de rendre l’ouvrage plus accessible. Il n’en demeure pas moins que sous le prétexte de l’accessibilité, certaines approximations transformaient carrément le propos ou les évènements. La manière dont Richard a agit sur le texte est relatée dans sa préface et lorsque le propos relève notamment de l’interprétation personnelle de Sam Williams, les ajouts de Richard sont clairement identifiés dans le livre par des encarts et des notes de bas de page. Les lecteurs pourront donc se faire une bonne idée des transformations ainsi opérées, quitte à aller voir et comparer avec l’original de Sam Williams.

Je prends un exemple : lorsque Sam Williams relate la tension entre Eric S. Raymond et Richard Stallman, on comprend que Raymond accuse Richard d’être la principale cause du manque de réactivité du projet Hurd (le projet de noyau du système GNU), et que cette accusation est fondée (on se doute néanmoins que Raymond n’a pas bien digéré la fin de non recevoir pour les modifications de l’éditeur Emacs qu’il voulait imposer). Pour Williams, et aussi pour Raymond, c’est le « micro-management » à la Stallman, c’est à dire sans concession, qui a freiné Hurd, avec pour conséquence la popularisation du noyau Linux, qui obéit, lui, à un schéma de développement beaucoup plus ouvert. Il serait pourtant simpliste de se contenter de cette interprétation. Richard l’explique autrement, tant en montrant que Hurd n’est pas une mince affaire qu’en montrant aussi que le noyau Linux n’est pas la panacée du point de vue technique comme du point de vue éthique (le plus important à ses yeux).

Bref, suite à mon courriel, Richard me répondit qu’il désirait apporter quelques précisions sur l’épisode LMI et Symbolics, deux entreprises qui débauchèrent le gros de l’équipe de hackers du MIT au début des années 1980. Cet épisode était très important, mais il ne touchait en gros qu’une dizaine de paragraphes dans l’ouvrage. Lorsque j’en fis référence à l’équipe de notre liste de discussion, tout le monde approuva l’idée.

Pourtant, au fil des échanges, Richard me confia qu’il n’avait jamais lu le livre de Sam Williams, et qu’en lisant les chapitres en anglais que je lui envoyais (repris depuis le site personnel de Sam Williams), il ressentait fortement le besoin de le réécrire.

Et tout l’art du hacker se révéla.

Alors que je lui suggérais d’écrire lui-même son autobiographie (d’un certain côté, j’anticipais sur mes craintes : la retraduction de l’ensemble à partir de toutes ces nouvelles modifications !), il se contenta de me renvoyer des chapitres réécris, sur lesquels je faisais un « diff » (une commande Unix permettant d’afficher les différences entre deux fichiers) pour pouvoir implémenter ces modifications dans la traduction française.

Après tout, qu’est-ce qu’un hacker ? Le lecteur en trouvera une bonne définition historique en annexe de l’ouvrage. L’essentiel est de comprendre que « hacker » signifie surtout améliorer, et qu’un bon hacker qui se respecte ne supporte pas l’imperfection. En toute logique, Richard ressentait tout simplement l’envie irrésistible de « hacker » le livre de Sam Williams. Qui d’autre sinon lui ?

J’énonce tout ceci avec le recul que me permet la parution de l’ouvrage. Dans les faits, je recevais plusieurs courriels par semaine contenant les modifications de Richard. Je les implémentais après les avoir lues, demandé des précisions, et argumenté lorsqu’elles étaient discutables. Bref, un travail soutenu qui nous amena Richard et moi jusqu’au début de l’été 2009.

Un mois auparavant, Alexis avait rencontré Muriel Shan Sei Fan, directrice de la collection Accès Libre aux éditions Eyrolles. Et entre la poire et le fromage, il évoqua « l’aventure » de cette traduction qu’il continuait à suivre attentivement. Muriel trouva le projet tant est si bien intéressant qu’elle nous proposa de le publier chez eux.

Nous acceptâmes, mais ce serait vous mentir que d’affirmer que ce fut une décision facile et unanime dans l’équipe. En effet, nous avons, et nous avons encore, nos habitudes chez InLibroVeritas, l’éditeur si particulier et attachant de tous les autres framabooks, avec qui nous travaillons main dans la main depuis des années pour défendre et faire la promotion du logiciel libre et sa culture.

Plusieurs arguments ont cependant pesé dans la balance. Tout d’abord nous n’avions plus affaire cette fois à un livre sur un logiciel libre particulier (Thunderbird, OpenOffice.org, LaTeX, Ubuntu…). Nous étions face à un livre mutant, une traduction devenue « biographie autorisée » car modifiée et enrichie pour l’occasion par son sujet même. Et pas n’importe quel sujet : la plus illustre des personnalités de la jeune histoire du logiciel libre. Cela méritait assurément de rechercher la plus grande exposition possible. Outre sa capacité de diffusion et distribution, Eyrolles nous offrait aussi son expertise et expérience. Le livre avait été traduit et une première fois relu, mais nous étions néanmoins conscients de sa perfectibilité de par les conditions mêmes de sa réalisation mentionnées plus haut (sachant de plus qu’à ce moment précis de l’histoire Richard n’en avait toujours pas fini avec ses propres modifications). Eyrolles a ainsi retravaillé le texte et mis à disposition du projet plusieurs personnes non seulement pour effectuer de nouvelles relectures mais parfois même pour retraduire certains passages. J’ajoute que nous appréciions la collection pionnière Accès Libre qui abrite en son sein de nombreux ouvrages de qualité sur le logiciel libre. Et enfin dernier argument et non des moindres : sous notre impulsion, Eyrolles allait pour la première fois publier d’emblée un livre sous licence libre, avec tous les avantages et inconvénients que cela suppose.

Nous nous rencontrâmes in the real life, Muriel, Richard, Alexis et moi, au cours d’un déjeuner en marge des Rencontres mondiales du logiciel libre de Nantes en juillet 2009. Nous discutâmes des modalités de publication et surtout, justement, de la question de la licence. L’ouvrage d’origine étant sous licence GNU Free Documentation License (à cause d’un Stallman insistant, Sam Williams s’en explique à la fin de son livre), sa traduction ne pouvait que l’être également. Or publier sous licence libre n’était pas dans les habitudes d’Eyrolles et cela ne rentrait pas forcement dans les « cases » de ses contrats types (rien que le fait d’interdire la classique interdiction de photocopier était une nouveauté). De plus nous connaissons les positions sans concession de Stallman dès que l’on touche à ces questions de licence. Mais nous avons néanmoins réussi sans trop de mal à nous mettre d’accord, et il faut rendre ici hommage aux éditions Eyrolles d’avoir su s’adapter et innover.

La dernière ligne droite fut en tout cas aussi passionnante que stressante, avec ses nombreux va-et-vient entre Richard (apportant ses dernières modifications), Eyrolles (éditant à la volée l’ensemble de l’ouvrage), La Poule (obligée à mettre en forme un texte sans cesse en mouvement) et moi (dispersé un peu partout). Toujours est-il que vers la fin décembre 2009, ouf, nous étions prêts et le projet bouclé. Nous méritions tous ce beau cadeau de Noël que nous nous offrions là 😉

De leur côté, Richard Stallman et John Sullivan vont très prochainement publier en anglais le livre dans sa nouvelle version, aux éditions internes à la Free Software Foundation, ajoutant ainsi une dimension supplémentaire au projet. Non seulement nous touchons les lecteurs francophones, mais le monde anglophone pourra aussi se délecter de ce « hack biographique ». Grâce à la licence libre (et aux efforts de quelques uns), le livre, parti des États-Unis, revient à la maison après un détour par la France qui l’aura transformé !

Pour moi, ce livre n’est pas seulement une biographie, même s’il en a l’apparence et la saveur. Il s’agit d’une histoire, celle du mouvement pour le logiciel libre, qui a influencé profondément l’histoire générale de l’informatique depuis la fin des années 1960. On considère généralement cette histoire à travers celle de l’industrie logicielle ou des composants d’ordinateurs. Mais il manque souvent une approche en termes de pratiques d’ingénierie et de circulation de l’information. Le logiciel libre constitue en cela une belle illustration de l’ingénierie logicielle, qui avance non seulement par projet, mais aussi parce qu’elle est fondamentalement un débat permanent sur la disponibilité et le partage de l’information. Lorsque le partage d’idées est impossible (notamment à cause des brevets) et lorsque les développeurs et les utilisateurs sont restreints dans leurs libertés, alors c’est la société toute entière qui pâti de la pénurie de code et de libertés.

Tous les métiers ont leur déontologie. Les informaticiens ont une éthique et ceux qui la distillent sont les hackers. Par delà ses actes et ses programmes, l’un des principaux mérites de Richard Stallman est d’avoir réussi à concentrer et matérialiser cette éthique dans une simple licence (la fameuse GNU General Public License), qui va non seulement fonder, défendre et diffuser le logiciel libre mais qui constitue aujourd’hui une référence et une source d’inspiration pour d’autres mouvements émancipateurs. En fait, les programmes ont toujours été libres, et c’est un non-sens éthique qui les a rendu privateurs à un moment donné. L’histoire de l’informatique est heureusement loin d’être terminée.

Celle de ce livre touche par contre à sa fin, puisqu’il sera officiellement publié le 21 janvier prochain sous le titre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée. Je remercie chaleureusement tous ceux que cette aventure a mis sur notre chemin. Toutes ces rencontres qui font aussi le sel d’un tel projet. À Framasoft, nous sommes fiers d’avoir pu le mener à son terme. Et malgré le labeur qui n’a pas manqué, ce fut un réel plaisir. Plaisir que nous espérons désormais partager avec le lecteur…

Cette histoire touche donc à sa fin, disais-je, mais, licence libre oblige, rien ne dit qu’il ne subisse pas à l’avenir d’autres métamorphoses. Ne serait-ce que parce que Richard est heureusement toujours parmi nous et qu’il lui reste encore certainement de belles pages à écrire dans le livre de sa vie.




L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft

Lee Carson - CC by-saLe saviez-vous ? Grâce à la caution de partenaires associatifs et institutionnels a priori au dessus de tout soupçon, Microsoft entre comme dans du beurre (ou presque) à l’Éducation nationale, en déployant tranquillement son vaste et ambitieux programme globalisé « Innovative Schools ».

Si il ne s’agissait que de se substituer financièrement à un État de plus en plus désargenté, ce serait déjà grave, mais on en profite également pour marquer voire manipuler les esprits, sous le vernis d’un discours pédagogique soit disant progressiste et « innovant » (adjectif préféré du département marketing de la société).

Principales victimes collatérales : non seulement le logiciel libre et sa culture mais aussi et surtout les enseignants et donc les élèves[1], à qui on ne donne pas accès à cette culture.

Attention, cette histoire est un peu longue et un peu triste. Mais elle se termine bien à la fin !

Mondialisation mon amour

Qu’est-ce que le programme « Innovative Schools » ? C’est un peu le jeu des poupées russes, car il s’insère dans le programme « Partners in Learning », lui-même intégré au programme « Unlimited Potential ».

Commençons par la plus grande poupée, telle que décrite sur le site de Microsoft :

Microsoft Unlimited Potential vise à aider les personnes et les communautés du monde entier à réaliser leurs objectifs et leurs rêves par l’intermédiaire de la mise à disposition de technologies adaptées, accessibles et abordables. Nous nous sommes fixé pour mission d’ouvrir de nouvelles voies de développement social et économique, en particulier pour les cinq milliards de personnes qui, selon les estimations, ne bénéficient pas encore des avantages des nouvelles technologies. Avec nos partenaires publics comme privés, nous axons notre action sur la transformation de l’éducation, la stimulation de l’innovation locale et le soutien à la création d’emplois et de débouchés afin de créer un cercle vertueux de croissance économique et sociale durable pour tous.

Poursuivons en donnant quelques chiffres significatifs avec cette présentation maison du programme « Partners in Learning » :

Microsoft Partners in Learning est une initiative internationale conçue pour rendre la technologie plus accessible aux écoles, à stimuler des conceptions innovatrices de l’éducation et à fournir aux éducateurs les outils pour gérer et mettre en oeuvre des changements. Depuis sa création en 2003, le programme Partenaires en apprentissage a bénéficié à plus de 123 millions de professeurs et d’étudiants dans 103 pays. Microsoft apporte un soutien financier continu à cette initiative depuis déjà cinq ans, et l’investissement d’une durée de dix ans atteint presque 500 millions USD, ce qui témoigne de l’engagement de la société à rendre la technologie plus adaptée et plus accessible à chacun grâce à des programmes, des formations et des partenariats de licence abordables.

Un demi-milliard de dollars… Ne cherchez pas plus loin la réponse à la question de la légitimité d’une entreprise américaine de logiciels que rien ne prédisposait au départ à vouloir ainsi participer à « transformer l’éducation » à l’échelle mondiale. Ce n’est pas avec le vinaigre des beaux discours philanthropiques (cf ci-dessus) que l’on attrape les mouches, mais bien avec cet argument massue d’un compte en banque qui donne le vertige.

Toujours est-il que c’est dans le cadre du programme « Microsoft Partners in Learning », que l’on trouve le réseau des « Microsoft Innovative Teachers », enseignants cooptés en charge notamment de mettre chaque année en place dans leur propre pays des « Microsoft Innovative Teachers Forums », dont le point d’orgue est le « Microsoft Innovative Education Forum » où sont invités tous les lauréats des forums nationaux (en 2009 c’était au Brésil).

C’est également dans ce cadre que s’inscrivent les « Microsoft Innovative Schools ». Il s’agit d’investir un établissement scolaire et d’en faire une école pilote de l’innovation à la sauce Microsoft, en mettant là encore le paquet sur les moyens.

Une nouvelle fois, tout réside dans l’art de présenter la chose :

Le programme « Écoles Innovantes » fait partie de l’initiative internationale « Partners in Learning » au travers de laquelle Microsoft engage d’importants investissements matériels et financiers pour développer la formation dans le domaine des TICE , la personnalisation de l’enseignement, le support technique et, plus généralement, l’accès aux technologies informatiques de pointe dans l’éducation. Dans ce cadre, le projet « Écoles innovantes» fondé sur l’innovation pédagogique et l’utilisation des technologies de l’information, a été lancé au niveau mondial. La première « Ecole innovante» a ouvert ses portes au début de l’année 2006 à Philadelphie. Douze autres établissements à travers le monde font aujourd’hui partie de ce projet. L’objectif de ce projet est d’accompagner les établissements et plus largement l’institution dans son évolution vers l’école du XXIème siècle.

Du discours et de la méthode

Les citations ci-dessus donnent déjà une bonne idée de l’enrobage, pour ne pas dire de l’enfumage, d’un discours faussement lisse, neutre et consensuel dont l’objectif est de rencontrer l’adhésion des enseignants.

La société a évolué et l’école se doit de se mettre au diapason, mais cet inéluctable modernisme, où la technique semble omniprésente, ne doit en rien être anxiogène, c’est au contraire une formidable opportunité d’innovation. Ne vous inquiétez pas, Microsoft est là pour vous faciliter la tâche, accompagner votre créativité et vous aider à vous concentrer sur votre seule préoccupation : la pédagogie et la réussite de vos élèves.

Le mantra est le suivant : l’important ce n’est pas la technique, c’est l’usage que l’on en fait, si possible « innovant ».

L’informatique en tant que telle est volontairement occultée. Parce que si elle se fait oublier alors son choix n’a plus aucune importance. Et dans ces cas-là autant prendre « naturellement » les produits et les logiciels du généreux mécène (qui n’a absolument pas besoin de les mettre en avant, et il s’en garde bien, ça se fait tout seul !).

Concentrons-nous donc sur les pratiques. Rassurons les enseignants et montrons-leur ce que l’on peut faire aujourd’hui de « formidable » avec les nouvelles technologies (ils se trouvent que les démonstrations se font avec des logiciels Microsoft mais c’est à peine si on a besoin de l’évoquer, c’est juste que c’est plus pratique et qu’on les avait sous la main). Mieux encore, construisons ensemble des « écoles 2.0 », mettons les enseignants en relation et organisons de grandes manifestations où les plus dynamiques d’entre eux auront l’occasion de se rencontrer pour échanger, et éventuellement recevoir la « Microsoft Innovative Médaille du Mérite ».

Deux conséquences (fâcheuses)

Puisque l’informatique est un sujet plus que secondaire qui se doit de s’effacer pour être pleinement au service de la pédagogie, il n’y a pas lieu d’en parler, et moins encore d’en débattre. Il n’y a pas de choix à faire et le logiciel libre n’est ni cité, critiqué ou comparé, il est tout simplement nié. Jamais, ô grand jamais, vous n’y verrez la moindre référence sur les sites officiels des programmes « Microsoft Innovative MachinChose ».

Soit, le logiciel libre n’existe pas. Ce n’est pas si grave après tout si on a l’assurance que nos élèves sont entre les bonnes mains des professeurs innovants. Sauf que malheureusement ça ne peut pas être véritablement le cas, parce que ces professeurs sont sans le savoir handicapés car manipulés.

En effet, le logiciel libre à l’école va bien au delà du souhait d’installer et d’utiliser telle application plutôt que telle autre dans son ordinateur. Pris au sens large, c’est d’une véritable culture dont il s’agit, englobant les formats ouverts, les ressources en partage, les pratiques collaboratives spécifiques, la vigilance sur la propriété intellectuelle et la neutralité du réseau, etc.

Il me revient en mémoire cette citation extraite d’un billet sur la politique pro-active du Canton de Genève :

Dans sa volonté de rendre accessibles à tous les outils et les contenus, le « libre » poursuit un objectif de démocratisation du savoir et des compétences, de partage des connaissances et de coopération dans leur mise en œuvre, d’autonomie et de responsabilité face aux technologies, du développement du sens critique et de l’indépendance envers les pouvoirs de l’information et de la communication.

Pensez-vous que ces objectifs soient important et qu’ils aient toute leur place dans une « école du XXIème siècle » ? Si oui, alors ne comptez ni sur Microsoft ni sur ses enseignants sous influence pour sensibiliser réellement nos élèves sur ces questions pourtant devenues majeures aujourd’hui.

Autonomie et responsabilité face aux technologies, mais surtout sens critique et indépendance envers les pouvoirs, sont autant de thèmes qui ne font pas partie de la stratégie éducative de Microsoft. Et pour cause, ils risqueraient de dévoiler quelque chose que l’on cherche pernicieusement à cacher aux enseignants et à leurs élèves : le fait qu’une autre informatique soit possible, impliquant par là-même une autre pédagogie. Et, ne vous en déplaise, cette prise de conscience est déjà « innovante » en soi.

De la déclinaison française du programme

Et en France me direz-vous ?

Je ne connais pas l’étendue du programme « Microsoft Partners in Learning » de notre beau pays. Mais pour avoir ici-même participé à lever certains lièvres par le passé, je puis toutefois émettre quelques solides hypothèses.

Les « Microsoft Innovative Teachers » c’est avant tout l’équipe du Café pédagogique. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais le site officiel répertoriant pays par pays les membres de ce réseau d’enseignants. Lorsque vous cliquez sur « France », vous êtes automatiquement renvoyé sur la page d’accueil du Café.

Le Café est accompagné par l’association d’enseignants Projetice (lire à ce sujet Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat très privilégié entre Microsoft et une association d’enseignants), dont la création a, semble-t-il, été directement souhaité et suggéré par Microsoft.

En toute logique, c’est à eux qu’il incombe de monter les « Microsoft Innovative Teachers Forums » dont la création a, c’est certain, été directement souhaité et suggéré par Microsoft. Nous avons ainsi eu Rennes en 2008 et Roubaix en 2009 (lire à ce sujet Du premier Forum des Enseignants Innovants et du rôle exact de son discret partenaire Microsoft et surtout le fort instructif Forum des Enseignants Innovants suite et fin).

Quant à la grande messe qui réunit les lauréats des forums du monde entier, vous pouvez compter sur le Café pour nous en faire de magnifiques et élogieux reportages, comme le dernier en date à Salvador de Bahia (lire à ce sujet En réponse au Café Pédagogique).

Pour le supérieur, il pourrait également y avoir les chercheurs du Groupe Compas (cf la présentation Microsoft) dont la création, elle aussi, aurait été fortement souhaité et suggéré par Microsoft, mais là je manque clairement d’informations.

Toujours est-il qu’on retrouve bien tout ce petit monde dans les encadrés de la brochure commerciale Microsoft 2010 en direction des établissements scolaires.

Un petit monde que l’on peut mobiliser à tout moment, comme par exemple lorsqu’il s’agit de relayer une campagne médiatique autour d’un nouveau produit de la société (lire à ce sujet L’influence de Microsoft à l’école n’est-elle pas disproportionnée ?, campagne qui valu à Microsoft de recevoir le Grand Prix « Acquisition et Fidélisation Clients »).

L’école Châteaudun ou la « Microsoft Innovative School » de chez nous

Pour compléter cet impressionnant dispositif Microsoft, il ne manquait plus que « l’École Innovante ». Et c’est à l’école publique Châteaudun d’Amiens qu’est revenu cet insigne honneur, et ce depuis deux ans déjà.

Le Café pédagogique en a parlé ici, , et tout récemment . Rien d’anormal à cela puisque le Café étant la tête de pont des « Microsoft Innovative Teachers » français, c’est bien le moins que de relayer les annonces de cette grande famille. C’est du reste cette dernière annonce, vendredi 15 janvier, qui a motivé la rédaction de cet article (d’autant plus que chez eux, il est impossible de commenter). Et plus particulièrement cette histoire de « fées autour du berceau ».

À l’origine de ce projet, la rencontre entre le directeur de l’école primaire qui voulait améliorer l’expression écrite et orale de ses élèves, son maire, ministre de l’éducation à ce moment, et le groupe Microsoft qui soutient plusieurs écoles innovantes dans le monde avec le projet d’observer et retenir les innovations. Voilà beaucoup de fées autour du berceau et cela a joué sur le projet car l’équipe éducative a été très sollicitée par les accompagnateurs du projet.

Abondance de fées pourrait-elle nuire ? En tout cas, il y a une fée singulièrement différente des autres, et l’on pourra toujours évoquer une « rencontre » entre les différents acteurs, c’est bien plus sûrement la fée Microsoft, en pleine « Innovative Prospection », qui a su murmurer de manière convaincante à l’oreille du ministre (en l’occurrence, à l’époque, c’était Gilles de Robien).

On remarquera donc d’emblée que les fées du projet et l’équipe éducative sont deux entités bien distinctes. Des fées qui savent manifestement manier leur baguette avec, quand il le faut, l’autorité nécessaire, puisque la décision est venue d’elles, c’est-à-dire d’en haut, et non du terrain, c’est-à-dire des professeurs qui auraient eu vent des « Microsoft Innovative Schools » et qui auraient choisi d’inscrire collectivement et spontanément leur école.

Pour plus de détails sur le projet, il y a, avec toutes les précautions d’usage quant à leur objectivité, cette présentation sur le site de Microsoft (voir aussi ce reportage vidéo interne, au format propriétaire wmv) et cette visite du Café pédagogique.

On pourra également se rendre sur le blog et le site de l’école, créés à l’occasion, dont je vous laisse juge de la qualité et du dynamisme (reposant tous deux sur des solutions libres soit dit en passant).

Quant à la communication, il faut croire qu’avoir aussi bien le ministre que Microsoft penchés au dessus du berceau, aident à la mise en lumière médiatique du projet, avec titres et contenus qui ont dû faire plaisir aux fées : La première école innovante de France (Le Point – février 2008) et Amiens invente l’école numérique de demain (Le Figaro – mai 2008). Ajoutez juste un mot de plus au titre du Point et vous obtenez quelque chose qui oriente sensiblement différemment la lecture : « La première école innovante Microsoft de France ».

Mais plus intéressant et a priori plus rigoureux, on a surtout ce rapport tout chaud réalisé par l’INRP, c’est-à-dire rien moins que l’Institut National de Recherche Pédagogique. Aujourd’hui c’est donc l’heure d’un premier bilan et c’était bien là le motif principal de l’annonce du Café.

Première phrase du rapport : « Cette étude a bénéficié du soutien de Microsoft Éducation ». Et un peu après :

Sollicité par Microsoft Éducation France pour être évaluateur du projet Innovative Schools, d’une durée de deux ans (de septembre 2007 à décembre 2009), au niveau national et international, l’INRP a signé une convention de recherche-évaluation pour (…) faire un suivi du projet et du process des 6i

On retrouve notre constante : c’est toujours Microsoft qui sollicite et non l’inverse. Quant au « process des 6i », c’est absolument fascinant car il s’agit d’un véritable choc culturel.

Nous connaissons un peu les américains. Ils raffolent de ces méthodes en plusieurs points censés améliorer notre vie professionnelle, personnelle ou spirituelle (un exemple parmi d’autres, les douze étapes des Alcooliques Anonymes). On ne le leur reprochera pas, c’est dans leur ADN et certaines méthodes sont au demeurant tout à fait efficaces.

Et c’est ainsi que Microsoft, dans sa volonté universalisante (et uniformisante) de « transformer l’éducation » de ce nouveau millénaire, nous a pondu ce processus à 6 niveaux, ainsi résumé sur cette page :

Cette méthode, les 6i, se déroule en 6 étapes réparties sur 2 années scolaires. Le processus des 6i (Introspection, Investigation, Inclusion, Innovation, Implémentation, Insight) de Microsoft, est un plan de route sur l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion des changements basés sur les TIC. Il constitue un guide à l’intention des leaders scolaires pour mettre en place des changements éducatifs sur la base d’approches éprouvées.

Pour ceux que cela intéresse, Microsoft donne plus de détails sur son site anglophone (mais, là encore, méfiance, l’enfer est pavé de bonnes intentions pédagogiquement innovantes).

Le problème (enfin, ça dépend pour qui) c’est qu’à l’école française on n’est pas forcément familier avec cette manière d’appréhender les choses. Je vous laisse imaginer la tête du professeur des écoles, qui pour rappel a subi et non voulu le projet, lorsqu’on lui met une telle méthode entre les mains ! Euh… ça veut dire quoi « Insight » déjà ?

Toujours est-il que malgré le fait que ce « process des 6i » figurait donc noir sur blanc sur la feuille de route de l’étude commandé, le rapport n’en parle presque pas. Il se contente de le décrire à un moment donné (p. 18 à 21) mais sans que cela ait visiblement donné lieu à la moindre tentative d’application avec l’équipe pédagogique puisqu’on n’y revient plus par la suite. Pour tout vous dire, on sent l’INRP comme un peu gêné aux entournures ici (comme ailleurs du reste).

Résistance passive

Les rapports au sein de l’Éducation nationale, c’est tout un poème. Il faut parfois avoir le décodeur, en particulier lorsque l’on évoque les TICE où très souvent, politique moderne oblige, aussi bien l’auteur que le lecteur ont intérêt à ce que l’on décrive, quoiqu’il arrive, une situation positive et un projet réussi. Le projet fonctionne ? On dira qu’il fonctionne très bien. Il ne fonctionne pas ? Et l’on dira alors qu’il est un peu tôt pour en faire un bilan, ou que les conditions d’observation n’étaient pas optimales, etc., mais que malgré quelques « résistances », on note d’ores et déjà de significatives avancées, etc.

Et d’ailleurs, petite parenthèse, lorsqu’il s’agit d’un projet d’envergure dont le rapport remonte en passant par les indispensables étapes de la hiérarchie, on peut se retrouver au final avec un beau décalage entre ce qui se trouve sur le bureau du Ministre et la réalité du terrain (le B2i fournissant à cet égard un excellent exemple, on tient certainement là une cause principale de son étonnante longévité).

Bref ici, je vous invite à lire la conclusion du rapport (muni du fameux décodeur). Entre les lignes, on ne décrypte pas un échec patent mais on ne peut pas dire non plus, et loin de là, que ce soit l’enthousiasme qui prédomine.

Cette conclusion comporte deux parties (c’est déjà mauvais signe) : « Quelques failles constitutives sont repérables pour diverses facettes de l’opération » (on craint le pire), mais heureusement il y a aussi « Les avancées d’une école innovante ».

Morceaux choisis :

Les circonstances de la mise en œuvre de l’innovation dans l’école observée n’ont pas été idéales de ces points de vue et sont, sans l’ombre d’un doute, à l’origine des difficultés éprouvées à la fois par les acteurs locaux et par tous ceux qui ont été chargés de les suivre. L’empilement de dispositifs, de choix, de procédures, jamais clairement négociés avec les enseignants, a pu dérouter. Pour autant, les bénéfices de la démarche d’innovation sont visibles à l’échelle de l’école et encouragent à poursuivre.

On retrouve le plan d’un rapport-type tel que décrit théoriquement ci-dessus.

L’initiative est venue du ministre de l’Éducation nationale lui-même, maire de la ville. Le faible nombre d’enseignants réellement engagés dans l’opération traduit des réticences face à une opération (…)

La forme recherche-évaluation choisie par le Stanford Research Institute (SRI) comme cadre général du pilotage de l’innovation est très éloignée des principes courants d’observation et de suivi habituellement mis en œuvre en France.

C’est peu de le dire. Mais quand on s’embarque ainsi avec des américains, il faut en être bien conscient au départ. Là c’est un peu tard et il convient donc d’assumer.


La charge de travail imposée aux acteurs de l’école, dépassant de très loin la mise en place de l’innovation elle-même, a d’autant plus vite atteint un niveau insupportable qu’elle était inattendue et incompréhensible faute d’avoir été expliquée à l’avance.

L’extrême médiatisation de l’opération (à l’échelle locale puis nationale), avec ses inexactitudes, ses excès, ses effets pervers a achevé d’exacerber une situation dont la dimension politique était relancée par le changement de majorité municipale aux élections du printemps 2008.

Rien d’étonnant à ce que ces dispositions aient accentué la circonspection des enseignants et aient pu conduire au refus de toute observation de situations de classe à partir du mois d’avril 2008. Pour autant de nombreux aspects authentiquement innovants sont apparus dans le déroulement du projet d’école.

Ce dernier paragraphe est symptomatique. Des enseignants ont carrément refusé de jouer le jeu. C’est une lourde et concrète information impossible à censurer. Mais elle est tout de suite suivie et contre-balancée par un argument positif vague et flou, que vient corroborer l’ultime phrase du rapport :

L’innovation est ainsi reconnue et même souhaitée. Ce n’est pas l’innovation en tant que telle qui est recherchée, mais c’est, bien davantage, l’amélioration des résultats de tous les élèves, y compris les moins performants, qui est attendue. Cette exigence s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire de notre école républicaine.

Certes, certes. Mais pourquoi notre école républicaine à la si riche histoire aurait-elle besoin de s’appuyer ici sur la « méthode des 6i » tout droit sortie de la cuisse de la multinationale Microsoft ?

Et le Café pédagogique, de s’adonner lui aussi à la conclusion positive aux forceps :

S’il est trop tôt selon l’étude pour constater des changements chez les élèves, elle confirme l’impact sur l’équipe pédagogique. Le projet a bien développé sa capacité d’adaptation aux changements – une faculté tant individuelle que collective qu’exige une société en constante évolution. Ça donne déjà une longueur d’avance à cette école.

En gros, on est venu perturber des professeurs qui n’avaient au départ rien demandé. Et comme il a bien fallu qu’ils s’adaptent, on les félicite d’avoir fait face aux changements. Que l’adaptation ait été vécue positivement ou négativement ne compte pas, c’est une qualité en soi. Voilà une bien maigre « longueur d’avance ».

Et pour en avoir le cœur net, l’idéal serait de recevoir dans les commentaires de ce billet, quelques témoignages de professeurs de cette école.

Parce que, autant appeler un chat un chat , malgré la débauche d’énergies et de moyens matériels et humains mis à disposition, l’expérience Innovative School Châteaudun d’Amiens n’a semble-t-il pas forcément donné tous les résultats escomptés. Microsoft pourra toujours cocher la case « école française » sur sa jolie mappemonde, on ne m’ôtera pas de l’idée que nous sommes face à une belle déception qui ne veut dire son nom.

Résistance active

Mais il y a des résistances bien moins passives et donc bien plus intéressantes que celles de l’école Châteaudun d’Amiens.

Infiltrer une école primaire ne suffisait semble-t-il pas aux responsables de Microsoft France Éducation. Il leur fallait également un établissement du secondaire pour parfaire le tableau.

Ils avaient ainsi repéré un lycée de l’Académie de Créteil. Et là encore il s’agissait de faire passer le projet par le haut, sans en référer au préalable à l’équipe pédagogique de l’établissement.

Mais il y eut un magnifique grain de sable, quelque chose d’imprévisible et inattendu s’est alors produit. Deux enseignantes ont pris leur plume pour courageusement protester publiquement sur le site d’informations rue89. Ce qui a donc donné l’article Pour ses « innovations », l’Éducation nationale s’en remet à Microsoft, qui figure en bonne place dans ma rétrospective personnelle de l’année 2009.

Je vous invite à le lire dans son intégralité (on notera que le logiciel libre y est évoqué et même souhaité), mais je n’ai pu résister à en reproduire ici la percutante introduction :

Nous sommes professeurs de lettres et de philosophie dans un établissement public de France et nous voulons dire notre tristesse. Notre colère. Nous avons appris, il y a peu, que notre établissement déposait un projet d’« école innovante » auprès du rectorat, mené en partenariat avec Microsoft !

Les établissements publics français ont une mission publique d’éducation. Ils doivent, cela va sans dire, évoluer avec leur société : si l’on tient absolument au novlangue actuellement en vigueur à l’Éducation nationale, disons qu’ils doivent « innover » ; mais quel besoin de le faire sous le coaching de Microsoft ?

Que vient donc faire une multinationale dans nos innovations pédagogiques ? Et comment comprendre que ce soit le responsable des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) au rectorat, autrement dit l’Éducation nationale elle-même, qui encadre ce « partenariat » ?

Nous, enseignantes du service public français, sommes choquées d’avoir à innover par la « méthode des 6i » (« introspection, investigation, inclusion, innovation, implémentation, insight ») mise au point – et brevetée ! – par le groupe Microsoft pour pouvoir formater de façon homogène l’innovation pédagogique de pays différents, et faire émerger l’école du XXI siècle, comme on peut le lire sur le site de Microsoft.

Quelle éloquence, mais surtout quelle évidence !

On remarquera que l’INRP s’est quant à elle tout à fait accommodée de la « méthode des 6i » à Châteaudun. Les « experts pédagogiques » sont semble-t-il plus flexibles et malléables que les profs d’en bas.

Suite à cette tribune, l’une des auteurs m’a contacté pour échanger, voire prendre conseil, parce que figurez-vous qu’elle subissait du coup menaces et pressions de la part de sa hiérarchie !

Mais la hiérarchie s’est ravisée. Je pense qu’elle a réalisé que plus cette histoire allait se médiatiser, plus sa position deviendrait intenable, car les collègues se rangeraient plus que majoritairement derrières les arguments des enseignants.

Autrement dit, victoire, on n’a plus du tout entendu parler de ce projet Microsoft depuis ! La prochaine « Innovative School » française devra attendre. Comme quoi quand on veut…

Et l’article de s’achever ainsi :

L’école en a, des profs « innovants », si l’on tient absolument à les appeler ainsi.

Non, ce n’est vraiment pas le désir d’inventer et de créer qui manque, à l’Éducation nationale.

Mais un prof qui s’entend dire qu’il devra accepter comme une condition nécessaire pour accéder aux moyens de mettre en œuvre ses projets de travailler avec telle entreprise privée, sous sa direction et dans son formatage, dans l’idéologie de ce que doit être l’école du XXIe siècle (sic) selon ladite entreprise, ce prof, dès lors, ne sent plus tellement en lui le désir d’« innover ».

Parce qu’il pressent qu’« innover » dans ces conditions impliquera qu’il abdique une part de sa liberté pédagogique au nom du modèle idéologique en question.

Ce sera également notre conclusion.

Notes

[1] Crédit photo : Lee Carson (Creative Commons By-Sa)