Pirates De l’Internet, Unissez-Vous !

Hillman54 - CC by« Mais qu’est-ce que tu fous encore devant ton ordi ! N’oublie pas que tu m’avais promis d’aller avec moi au MAXXI ! Remue-toi, on est déjà en retard… »

Fichtre alors, je ne m’en souvenais effectivement pas ! De plus ou moins bonne grâce me voici donc en train d’accompagner N. au MAXXI.

Mais qu’est-ce donc que ce MAXXI ? Situé à Rome, il s’agit du nom donné au tout nouveau « musée national des arts du XXIe siècle » – contracté, ça donne donc MAXXI – dédié à toutes les formes de création de l’art contemporain[1].

Avant de poursuivre, il faut que je vous dise que l’Art Contemporain a toujours été un vif sujet de débat entre N. et moi. J’ai bien saisi qu’on a pu parler d’avant-garde à certaines époques du passé mais aujourd’hui j’ai peine à ne pas y voir avant tout une grande supercherie où argent, marketing et petits arrangements entre amis du microcosme sont rois. Du coup l’Art Contemporain, au mieux cela me divertit (et ne dépasse pas le stade du divertissement), au pire cela m’ennuie voire me scandalise. Elle me répond calmement et invariablement que c’est parce que je ne le connais pas bien, ce qui est tout à fait vrai au demeurant, et que de toutes les façons je suis resté bloqué à Marcel Duchamp ! Elle ne le dit jamais ouvertement mais le pense très fort : le « syndrome du vieux con » me guette.

Ceci étant dit, j’étais quand même curieux de voir ce que donnait ce musée. D’abord parce que je trouvais cela bien ambitieux, pour ne pas dire pompeux, de la définir déjà comme un musée des « arts du XXIe siècle ». Et puis on m’avait dit le plus grand bien de son architecture signée Zaha Hadid. Dans une ville où règne la vieille pierre, un peu de modernité fait toujours contraste.

Je confirme. C’est une bâtisse impressionnante. Beaux volumes et beaux espaces, comme on peut s’en rendre compte sur cette vidéo (cf aussi ce reportage AFP).

Le contenant est donc intéressant. Je n’en dirai pas tant du contenu. Comme d’habitude, une succession d’installations à l’originalité convenue qui veulent toutes nous dire simultanément quelque chose sur le moi profond de l’artiste et le monde profane ou sacré qui nous entoure. On appelle cela le « message » de l’œuvre, et cela fait le bonheur des critiques d’art des beaux quartiers.

Mais force est de constater que cela ne fait pas le mien.

Finalement, l’intérêt principal reste encore de partager cela avec quelqu’un en lui demandant à chaque fois ce qu’il en pense. On n’apprendra pas forcément grand chose sur l’exposition, mais on peut en apprendre beaucoup sur la personne qui nous accompagne…

Tiens, voilà justement N. qui me demande mon impression générale au sortir de la dernière salle. Je m’y attendais. Et voulant moi aussi faire mon original, je commence ainsi ma réponse : « c’est bien gentil tout ça, mais si tu veux mon avis, ce n’est pas une bonne idée d’avoir ignoré la culture libre quand on la prétention de présenter l’art du XXIe siècle… ».

Et c’est à ce moment-là que je remarque une bien étrange affiche qui recouvre tout le mur de la cafétéria du musée.

Elle est signée de l’artiste Miltos Manetas et n’avait pas encore été traduite en français.

Piracy Manifesto - MAXXI

Pirates de l’Internet, unissez-vous !

Pirates of the Internet Unite!

Miltos Manetas – Juillet 2009 – MAXXI
(Traduction Framalang : Don Rico, Martin, Barbidule et Goofy)

Extrait d’un journal du futur : « Un homme a été contrôlé hier à la frontière franco-italienne. L’inspection de son ordinateur a permis de découvrir que celui-ci recelait des produits piratés, principalement des logiciels Adobe et de la musique des Beatles. L’homme a été arrêté sur-le-champ ».

Qu’il s’agisse d’un poème ou d’un médicament, d’un logiciel ou d’un disque, d’un film ou d’un livre, tout ce qui est populaire et rentable doit la majeure partie de sa valeur économique à la manipulation des Foules. Nul n’a demandé à savoir à quoi ressemble le logo Coca-Cola, ni à connaître le refrain de « Like a Virgin ». L’Éducation, les Médias et la Propagande nous les font avaler de force, en les martelant à l’envi ou en spéculant sur notre soif, notre faim, notre besoin de communication et de divertissement, et surtout sur notre sentiment de solitude et notre mal-être. À l’ère d’Internet, ce qui peut être copié peut être partagé. Pour ce qui est des contenus, on peut tout distribuer, à tout le monde en même temps.

À l’aune de cette constatation, une nouvelle classe sociale émerge. Il ne s’agit pas d’une classe laborieuse mais d’une classe de Producteurs. Par essence, ces Producteurs sont des pirates et des hackers ; ils réutilisent les images, les sons, et les idées du Monde. Ils en créent certains, mais pour la plupart ils les empruntent à d’autres.

L’information est aujourd’hui partie intégrante de notre organisme, elle est littéralement « installée » dans notre cerveau, et l’on ne peut l’effacer sur demande. C’est pourquoi nous avons le droit de posséder l’information qu’on nous projette : nous sommes en droit d’être maîtres de nous-mêmes ! Parce que nous vivons dans des sociétés mondialisées construites sur l’inégalité et le profit, parce que le contenu d’une chanson, d’un film ou d’un livre représentent des atouts dans une lutte sans merci pour survivre, tout citoyen possède le droit moral de s’approprier une copie numérique d’une œuvre quelle qu’elle soit. Parce que l’informatique est un langage international, les secrets du monde sont de nos jours écrits en Adobe et en Microsoft, il est légitime de vouloir les hacker. Enfin, parce que la pauvreté est le champ expérimental de l’industrie pharmaceutique, la médecine devrait être libre de tout brevet.

De nos jours, quiconque possède un ordinateur est à la fois Producteur et Pirate. Nous sommes tous citoyens de l’Internet, c’est notre nouvelle nation, le seul territoire qu’il soit justifié de défendre et de protéger. Internet est une terre d’information et de savoir. Chacun devrait être en mesure de la fouler sans contrepartie financière ; seules les grandes entreprises devraient payer pour l’utiliser.

Internet génère des « Internets », des situations qui existent non seulement en ligne, mais aussi dans le monde physique, déterminées par ce qui se passe sur le réseau. L’heure est venue de fonder un Mouvement du Piratage mondial. La liberté d’enfreindre le copyright, celle d’avoir accès sans restriction au savoir et aux traitements médicaux, voilà nos nouveaux « Biens communs ». Ce sont des Droits Universels, et en tant que tels, les Autorités ne les concéderont pas sans lutter, mais le combat à livrer sera inédit car pour la première fois, les Foules enfreignent spontanément la Loi à l’échelle planétaire.

Aujourd’hui, tout le monde copie : les jeunes gens, les adultes, nos aînés, les électeurs de gauche comme de droite. Quiconque possède un ordinateur copie quelque chose. Telle une nouvelle Athéna, l’Information jaillit toute armée du crâne ouvert de la Technologie pour nous aider dans notre quête.

Pirates de l’Internet, unissez-vous !

Piracy Manifesto - Manetas

Notes

[1] Crédit photo : Hillman54 (Creative Commons By)




L’April et Framasoft joignent leurs efforts pour plus d’accessibilité… libre !

Avec le concours du groupe de travail accessibilité et logiciels libres de l’April, une nouvelle rubrique vient de voir le jour dans l’annuaire des logiciels libres Framasoft : la rubrique « Accessibilité, technologies d’assistance », classée dans la rubrique utilitaires.

Il s’agit ainsi de donner plus de visibilité à des logiciels libres d’accessibilité. En effet, certaines personnes nécessitent l’utilisation de technologies spécifiques pour utiliser leur ordinateur. Par exemple, une personne qui ne pourra pas voir son écran pourra utiliser un logiciel qui décrira oralement ce qui s’y passe et lui permettra de naviguer à l’aide de raccourcis clavier, en remplacement de la souris.

Le groupe de travail accessibilité de l’April a commencé à recenser les logiciels libres existant, certaines notices et tutoriels sont déjà rédigés. Mais il reste encore beaucoup de travail pour alimenter cette nouvelle rubrique accessibilité sur le site de Framasoft. En joignant leurs efforts, c’est le pari de la promotion et de la progression de la liberté et de l’accessibilité que l’April et Framasoft souhaitent relever ensemble.

Toutes les bonnes volontés sont invitées à contribuer ! Pour savoir comment participer, rendez-vous sur :

Vous pouvez aussi nous contacter à l’adresse accessibilite@april.org.

PS : Et puisqu’on parle de l’April et Framasoft, je signale également cette présentation vidéo de notre permanent Pierre-Yves Gosset.




Plaidoyer pour étudier le droit à l’école

Zara - CC by-saUn jour que je questionnais une élève sur ses pratiques numériques qui me semblaient un peu confuses, j’ai eu cette curieuse mais révélatrice réponse : « si je peux techniquement le faire, je ne vois pas pourquoi je me l’interdirais, de toutes les façons tout le monde le fait, et puis ça ne fait pas de mal à une mouche ».

L’élève étant manifestement de bonne foi (et bonne élève de surcroît), cet épisode me plongea dans un abîme de perplexité. Ici la possibilité de faire vaut droit de faire !

Effectivement, au sens propre du terme, on ne fait physiquement pas de mal à une mouche. Point besoin d’explication pour comprendre d’emblée que ce n’est pas bien de voler l’orange du marchand et que si d’aventure l’on s’y essayait on pourrait se faire prendre. Il en va autrement sur Internet où non seulement il est très facile et sans risque de voler l’orange, mais on ne sent pas spontanément que l’on est en train de commettre un délit puisqu’on ne dépossède pas le marchand de son orange, on ne fait que la copier[1].

J’eus alors l’idée de jeter un œil du côté des programmes officiels de l’institution scolaire. Et voici ce que je lus noir sur blanc dans celui de l’ECJS au lycée : « Le seul savoir nouveau auquel il faut initier les élèves, grâce à l’ECJS, concerne le droit, trop ignoré de l’enseignement scolaire français. Il s’agit de faire découvrir le sens du droit, en tant que garant des libertés, et non d’enseigner le droit dans ses techniques. »

Le droit serait donc trop souvent ignoré. Il est rare de voir l’Éducation nationale nous faire un tel aveu. Surtout lorsque, comme nous le rappelle l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi ». Et puis il y a cette phrase à graver dans le marbre : « Il s’agit de faire découvrir le sens du droit en tant que garant des libertés ».

À sa décharge, reconnaissons que du temps d’avant Internet, un jeune était bien peu souvent confronté directement et personnellement à des questions juridiques. Mais la situation a changé aujourd’hui avec l’avènement des nouvelles technologies. Pas un jour sans qu’il ne rencontre, implicitement ou explicitement, des problèmes de vie privée, de droits d’auteur, de contrats ou de licences d’utilisation. Et rien ne distingue à priori un adulte internaute connecté au Net d’un adolescent internaute connecté au Net.

Un Internet qui est par essence ouvert, permissif et partageur. Rappelons-nous ce qui a été joliment dit dans un article précédent : « La copie est pour les ordinateurs ce que la respiration est pour les organismes vivants ».

Nous voici donc projetés dans un nouveau monde étrange où la copie est naturelle et donne accès à un formidable univers de possibles. Elle est tellement naturelle qu’il est presque impossible d’ériger des barrières techniques pour la limiter. Tôt ou tard elles seront levées. Si pour diverses raisons vous voulez la contraindre ou l’abolir, l’arsenal technique est vain. Il n’y a que la loi qui puisse vous secourir. Une loi non coercitive qui n’apporte pas automatiquement avec elle ses verrous numériques. Elle dit simplement ce qui doit ou ne doit pas être. Elle demande avant tout une posture morale. C’est pourquoi, ici plus qu’ailleurs, elle nécessite une éducation.

Oui, dans la pratique, je peux tout faire ou presque sur Internet, mais ai-je le droit de tout faire ? Et si tel n’est pas le cas, ai-je bien compris pourquoi on me le refuse ?

Non pas une éducation passive qui se contenterait d’égréner les grandes lois en vigueur. Mais une éducation active qui met en avant celles que les jeunes rencontrent même sans le savoir au quotidien. Une éducation qui interroge ces lois en même temps qu’elle en donne connaissance. D’où viennent-elles ? Comment ont-elles évolué ? Sont-elles toujours pertinentes aujourd’hui ? Une éducation qui ne s’interdit pas l’analyse critique en prenant conscience qu’à l’heure du réseau on peut réellement le cas échéant se donner les moyens de participer à leurs « mises à jour »

Dans le cas contraire, nous prenons le risque que la réponse de mon élève devienne la réponse de toute une génération.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, alors c’est le chaos qui nous guette et vous obtenez une armée de « rebelles sans cause » sur laquelle vous ne pouvez pas vous appuyer. On a ainsi pu dire, lors du débat sur la loi Hadopi, que l’on était en face de la « génération du partage ». Rien n’est moins vrai malheureusement, le partage existant bien moins dans la tête des jeunes que dans le paramétrage par défaut de leurs logiciels de P2P. Preuve en est qu‘ils se ruent désormais sur les plateformes de direct download (RapidShare, MegaVideo…) où tout est centralisé sur un unique serveur, où le partage a pour ainsi dire disparu.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, comment voulez-vous de plus expliquer à un jeune ce qu’est un logiciel libre. Il n’y verra aucune différence avec un logiciel gratuit ou piraté. Il n’aura alors plus d’autres qualités que celle de son usage, et à ce petit jeu-là c’est souvent le logiciel commercial cracké qui l’emporte.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, « l’Alternative Libre » ne sera ni comprise ni soutenue. Si adhésion, enthousiasme et énergie il y a chez ceux qui la défendent, c’est parce qu’ils savent que tout autour on érige des murs toujours plus hauts. Que ces murs puissent aujourd’hui facilement être franchis ou contournés n’est pas le plus important ici. C’est aussi en respectant scrupuleusement toutes les conditions d’utilisation, même les plus drastiques, des projets numériques que l’on découvre qu’il existe d’autres logiciels, d’autres encyclopédies, d’autres cartes du monde ou d’autres manières de faire de la musique.

Tout membre de la « Communauté du Libre » possède un minimum de connaissances juridiques. En face de la moindre ressource, son premier réflexe est de s’enquérir de sa licence. Quels sont mes droits et mes devoirs ? Quelles sont les conditions de son usage, de sa copie, de sa modification ? Il n’est ainsi guère étonnant qu’il soit l’un des seuls à réellement lire et respecter les contrats d’utilisation lorsqu’il installe un logiciel ou s’inscrit à un service Web. Ce savoir-là ne s’est pas construit grâce à l’école (parfois même malgré l’école). Il a été acquis sur le tas, en autodidacte, parce que, motivé, il a simplement cherché à comprendre de quoi il s’agissait. Se faisant notre membre s’est donné des clés pour mieux appréhender le monde contemporain, pour mieux y participer aussi.

On le retrouvera dès lors logiquement en première ligne de batailles DADVSI, Hadopi, ACTA, Brevets logiciels ou neutralité du réseau, qui sont autant des batailles politiques et techniques que des batailles juridiques qui ne peuvent être gagnées sans une connaissance précise et pointue de la legislation du moment. D’ailleurs, comme c’est curieux, ces batailles sont menées pour que le droit soit véritablement le « garant des libertés » et non l’inverse !

Ces batailles sont aussi menées au nom d’une certaine idée de la justice. On peut bien sûr s’y opposer parce qu’on en a une autre idée mais aussi longtemps que le droit sera ignoré à l’école, ce qui risque surtout d’arriver c’est de ne pas avoir d’idée du tout ! Méconnaissance et indifférence sont nos pires adversaires ici. Elles nous condamnent à faire partie d’une minorité d’initiés éclairés ne réussissant pas à trouver assez de renforts pour peser durablement sur le cours des évènements.

Oui, il y a urgence à démocratiser et « faire découvrir le sens du droit en tant que garant des libertés » à la jeune génération qui manque cruellement de répères en la matière, à un moment où, Internet oblige, de plus en plus de questions se posent tout de suite à elle. Différer à plus tard son étude revient non seulement à s’en remettre aveuglement entre les mains des experts mais surtout à prendre le risque de devenir un spectateur passif et inculte de l’évolution actuelle de nos sociétés.

Il est dit que « concourir à la formation de citoyens libres, autonomes, et exerçant leur raison critique dans une cité à laquelle ils participent activement est une des missions fondamentales du système éducatif ». Impossible de ne plus y inclure le droit dans ce noble et ambitieux objectif.

Notes

[1] Crédit photo : Zara (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Debian Squeeze

L’un des trolls classiques et récurrents de la communauté consiste à se gausser de l’hypothétique date de sortie de la prochaine version de la mythique distribution GNU/Linux Debian.

Certes, mais ne vaut-il pas mieux arriver en retard qu’arriver en corbillard ?

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




De la motivation au sein d’une communauté

Il est fort probable que vous ayez déjà vu la vidéo ci-dessous. Elle m’est revenue en mémoire à la faveur du précédent billet De la confiance au sein d’une communauté dont elle lui fait en quelques sorte écho.

Cette vidéo me passionne dans le fond et dans la forme.

Le fond c’est son sujet, à savoir la motivation. Qu’est-ce qui nous motive au juste ?, se demande ici Dan Pink, en fustigeant l’efficacité des récompenses traditionnelles, argent en tête de gondole.

Pour vous la résumer, rien de tel que ce commentaire glané sur le site Rue89 :

« Des études comportementales scientifiques, indubitablement indépendantes du complot socialo-communiste mondial (MIT, unversité de Chicago et Carnegie, financées par la banque fédérale US), démontrent que, si l’amélioration de la productivité d’une tâche mécanique peut-être induite par sa récompense en terme de rémunération, ce n’est pas le cas des tâches cognitives et créatives.

Dans ce cas, le principe de la carotte est plutôt contre-productif. Pour les œuvres humaines plus compliquées que le travail à la chaine, en effet, les trois facteurs identifiés comme induisant une amélioration de la créativité, de la productivité et de la qualité sont :

  • Autonomy, qui se traduit comme ça se prononce.
  • Mastery, le développement personnel et la recherche de l’expertise.
  • Purpose, le but de l’activité, qui sera autant de motivation qu’il satisfait aux critères éthiques et moraux du collaborateur.

Ces résultats, outre qu’ils expliquent l’efficacité de modèles de développement coopératifs tels que Linux ou Wikipédia, remettent en question les dogmes du management, voire de notre modèle économique.

  • Taf à la con où humain = machine : motivation = thunes.
  • Taf intelligent où humain = 1 cerveau au bout des bras : motivation = autonomie + développement personnel + éthique.

C’est-à-dire le contraire de l’idéologie globalement à l’œuvre dans l’organisation de nos sociétés. »

Rien d’étonnant à ce que les deux plus célèbres projets libres soient cités en exemple parce qu’ils corroborent à merveille la théorie. On prend d’ailleurs bien soin de souligner que la participation à ces projets se fait après le boulot (alimentaire ?), sur notre temps libre.

Confiance et motivation ont assurément contribué à leur réussite. Et comme par hasard c’est ce qui semble faire le plus défaut aujourd’hui dans le monde du travail (cf par exemple les interventions de Bernard Stiegler sur la déprolétarisation et l’économie de la contribution).

Mais la forme de la vidéo est tout aussi remarquable, c’est-à-dire la mise en graphique, réalisée par la société londonienne Cognitive Media pour le compte de la RSA (Royal Society for the encouragement of Arts, Manufactures & Commerce), qui suit, illustre et structure visuellement en temps réel les propos de Dan Pink. Le dessin sollicite autrement la vue et donne sens à ce que l’on entend, apportant véritablement quelque chose en plus.

Il est vrai que cela a un côté un peu violent, parce qu’on est en quelque sorte bombardé d’informations multi-directionnelles. Mais ne pouvant prendre notre souffle, on est comme happé par l’exposé. Impossible d’en sortir ou de s’ennuyer, sauf à complètement se déconnecter.

À l’heure de la rentrée scolaire qui s’en vient à grands pas, l’enseignant que je suis trouve cette approche pédagogique extrêmement intéressante. Non seulement j’ai bien compris (alors que je n’ai qu’un piètre niveau d’anglais) mais je crois déjà, en une seule vision, en avoir retenu l’essentiel, sachant que, malgré la densité du discours, on fait tenir le tout en une dizaine de minutes top chrono[1] !

Et si jamais quelque chose vous a échappé, il suffit de la regarder à nouveau, quand vous voulez sur Internet, sans compter que, cerise sur le gâteau, vous obtenez à la fin un énorme, unique et cohérent poster de tous les dessins effectués prêt à être imprimé !

Le format est donc tout bonnement excellent (faudrait que Thierry Stœhr en consacre un billet sur son blog dédié, si ne c’est déjà fait).

Je me prends déjà à rêver d’une forge libre pleine à craquer de ce genre d’animations. Ce sont mes élèves qui seraient contents ! Mais aurait-on alors besoin des profs ? Si, oui, quand même un peu je pense 😉

D’ailleurs à ce propos, je suggère aux collègues d’anglais de trouver un prétexte pour montrer un jour cette vidéo à leurs lycéens, ça en vaut la peine et pourrait faire l’objet d’un intéressant débat dans la foulée, surtout si quelques uns ne savent pas encore ce qu’est Linux ou comment fonctionne Wikipédia.

Bon, il serait peut-être temps de la montrer, cette vidéo après une telle introduction…

—> La vidéo au format webm

URL d’origine de la vidéo sur RSA.org et au format Ogg sur TinyOgg.

Il en existe aussi une version sous-titrée en français, mais c’est presqu’alors impossible de suivre les dessins en direct live ! (mieux vaut plutôt écouter Dan Pink dire à peu près la même chose lors d’une conférences TED, autre format riche et pertinent).

Remarque : Il y a d’autres animations sur RSA.org sur des sujets aussi passionnants que l’empathie de notre civilisation, la question de l’éthique et de la charité et la crise du capitalisme.

Notes

[1] Note : L’article sur La Confiance a été peu parcouru, un commentaire me faisant de suite remarquer qu’il souffrait d’un syndrome qui affectie souvent ce blog, le syndrome TLDR, à savoir « Too Long; Didn’t Read » soit « Trop long pour être lu ». Il aurait dû lui aussi faire l’objet d’une telle animation !




De la confiance au sein d’une communauté

Notsogoodphotography - CC bySi j’ai demandé l’autorisation à son auteur d’exhumer et reproduire ici-même un de ses articles pourtant déjà vieux de presque dix ans, c’est parce qu’il touche à une notion simple mais essentielle : la confiance.

La grande chance, ou plutôt la grande force, du logiciel libre, et dans son sillage de toute la culture libre, c’est de bénéficier dès le départ d’un certain niveau de confiance.

Pourquoi ? Parce que la licence libre qui l’accompagne.

C’est cette mise sous licence libre qui non seulement donne son nom au logiciel libre mais qui, de par les garanties offertes, favorise l’émergence d’une communauté autour du projet et tisse des liens solides entres ses membres.

Cela ne constitue évidemment pas un gage absolu de succès (cf Comment détruire votre communauté en 10 leçons), mais c’est tout de même un sacré avantage lorsque l’on sait combien cette confiance peine à s’installer dans des structures plus « classiques ».

Le texte ci-dessous est de Jean-Yves Prax qui travaille à Polia Consulting, une société de conseil en Knowledge Management.

Il ne se focalise nullement sur le logiciel libre en tant que tel mais ne s’aventure pas non plus jusqu’à la relation amoureuse[1]. Il se limite ici « à une analyse de la confiance dans un environnement professionnel (même si cette limite ne supprime pas complètement les facteurs affectifs et moraux, loin s’en faut), et principalement dans le champ de l’action collective au sein d’une communauté : travail en équipe, partage de connaissance, mutualisation de compétence, décision collective, process… ».

Vous trouverez en bas de page une version PDF de l’article.

Le rôle de la confiance dans la performance collective

URL d’origine du document

”Texte de la conférence faite par Jean-Yves Prax pour l’ouverture du KMForum 2001, le mardi 25 septembre 2001, au Palais des Congrès, Porte Maillot, Paris.

La confiance est un facteur déterminant de la performance collective et en particulier dans le cas des communautés virtuelles ou/et d’équipes dont la production est à forte intensité immatérielle. Même si, d’expérience ou d’intuition, nous partageons tous cette conviction, les mécanismes de création de la confiance restent énigmatiques et peu maîtrisables : la confiance, qu’est-ce que c’est ? comment la créer ? A quelle rationalité obéit-elle ?

Analyser la confiance, c’est aborder l’un des aspects les plus délicat du fonctionnement d’une communauté.

La confiance, qu’est-ce que c’est ?

La littérature sur le sujet est abondante et les définitions très diverses et variées, par exemple :

  • La confiance analysée d’un point de vue rationnel, comme un choix raisonné, par exemple le ratio effort-bénéfice d’une action individuelle au sein d’un collectif ; on entend parler d’indice de confiance, de ce qui est maîtrisable ; la notion peut être utile en cas de délégation.
  • La confiance analysée d’un point de vue normatif, conforme à un label, une certification : par exemple, nous sommes capables de confier notre santé et notre vie à un médecin parfaitement inconnu au seul prétexte qu’il a obtenu un diplôme national, diplôme que nous ne vérifions même pas, alors que nous hésiterons à confier les clefs de notre véhicule à un laveur de voitures.
  • Une confiance par intuition, par croyance, qui ne suppose pas de véritable délibération critique, elle est affective, esthétique, c’est-à-dire purement émotionnelle et par conséquent tout à fait irrationnelle. Beaucoup de comportement racistes sont typiquement dans ce registre (la fameuse "note de sale gueule") mais si vous ne le croyez pas, essayez donc d’aller solliciter un emprunt à votre banquier en babouches !
  • La confiance vue d’un point de vue social, basé sur une sorte « d’engagement de moyens » issu d’un code partagé (souvent implicite) de devoirs réciproques, de valeurs morales et d’éthique. « Il n’a pas réussi, mais il a fait tout ce qu’il pouvait ».

La perspective rationnelle se définit comme « une attente sur les motivations d’autrui à agir conformément à ce qui était prévu dans une situation donnée ». Elle considère l’individu comme un acteur rationnel, prévisible, et sa rationalité est confortée par le fait que ses choix et ses actes sont gagnants, utiles. Cette définition de la confiance, largement présente dans le monde professionnel, a des avantages et des limites.

  • L’avantage majeur est qu’il n’y a pas confusion entre « confiance » et « affinité » ; une personne peut acheter un livre par amazon.com, car elle a confiance dans le système de paiement et de livraison, mais aucune affinité. Ne vous est-il jamais arrivé, impressionné par le professionnalisme d’un individu que vous n’aimez pas beaucoup, de dire « il est bon et je lui fais entièrement confiance, mais je ne passerais pas mes vacances avec lui ».
  • La limite réside dans la prévision de rationalité : un individu confronté à un système complexe : environnement incertain, jeu de contraintes, choix difficiles, n’agit pas toujours de la façon qui était prévue et n’obtient pas toujours les résultats escomptés. Les freins à l’innovation se cachent dans ce domaine : un individu sera freiné dans ses idées et initiatives dès le départ, non pas à cause d’une analyse du projet, mais tout simplement parce qu’il dérange l’ordre établi.

La théorie de la rationalité en économie voudrait que les choix individuels s’appuient sur des raisonnements utilitaires :

  • Si je préfère A à B et B à C, alors je préfère A à C ;
  • Toute décision est fondée sur un calcul coût-bénéfice, ou sur une analyse de risque.

Dans la vraie vie, cette rationalité n’existe pas ! En effectuant leurs choix les hommes n’obéissent pas aux lois bayésiennes de la décision :

  • ils accordent trop de poids à l’information qui leur est parvenue en dernier ;
  • ils ne sont pas sensibles à la taille de l’échantillon, c’est même souvent l’inverse[2],
  • ils réagissent plus à la forme qu’au fond.

La perspective sociale considère qu’un individu n’est pas évalué uniquement par ses résultats mais aussi en tant qu’acteur social ; il peut conforter les prévisions ou de les décevoir, à condition qu’il le fasse dans le respect de ses obligations morales et d’un certain nombre de codes.

Une intentionnalité limitée au champ d’interaction

Comme nous le constatons, le champ d’investigation est immense, mais on peut singulièrement le réduire si l’on accepte l’hypothèse d’une confiance limitée au domaine d’interaction ; je m’explique : lorsqu’on fait confiance à une autre personne, ce n’est pas dans l’absolu, c’est dans un domaine précis, qui est le champ d’interaction prévu ; ainsi une jeune adolescente qui accepte de sortir au cinéma avec son ami lui fait confiance par rapport à un certain nombre de critères ; ces critères ne sont pas les mêmes que ceux qui dicteront le choix du futur directeur général d’une firme internationale, ou encore d’un guide de haute montagne.

Nous nous limiterons ici à une analyse de la confiance dans un environnement professionnel (même si cette limite ne supprime pas complètement les facteurs affectifs et moraux, loin s’en faut), et principalement dans le champ de l’action collective au sein d’une communauté : travail en équipe, partage de connaissance, mutualisation de compétence, décision collective, process…

Si l’on prend soin de distinguer la confiance de l’affinité, alors on devine que, dans un groupe de travail ou une équipe, la confiance est en forte interaction avec la compétence : chaque membre fait confiance à un individu pour sa capacité à…

Alors la question devient : « comment créer dans une équipe les conditions de la confiance mutuelle ? »

Comment créer la confiance ?

L’approche de la compétence que propose R. Wittorski[3] nous renseigne sur le processus de création de confiance au sein d’un groupe ; selon lui, la compétence s’élabore à partir de cinq composantes :

La composante cognitive : elle est constituée de deux éléments : les représentations et les théories implicites (paradigmes) ; on distingue les représentations cognitives (savoirs et schèmes d’interprétation) et les représentations actives (construction par l’auteur du sens de la situation).

  • La composante affective : c’est l’un des moteurs de la compétence. Elle regroupe trois éléments : l’image de soi (valorisation de notre personne), l’investissement affectif dans l’action (plaisir de ce que l’on fait), l’engagement (motivation). Le premier élément suggère à quel point elle est influencée par l’environnement social immédiat : un jugement positif ou négatif agira directement sur l’image de soi et aura pour effet de renforcer ou casser la motivation (voir l’effet Pygmalion ci-dessous).
  • La composante sociale : elle représente la reconnaissance par l’environnement immédiat de la pratique de l’individu ou du groupe et aussi l’image que ces derniers se font de cette reconnaissance ; ce dernier point indique que la composante sociale comporte également le choix que l’acteur fera de « ce qui est montrable ». La stratégie du connaisseur n’est pas tant de connaître mais de faire savoir qu’il connaît.
  • La composante culturelle : elle représente l’influence de la culture sociale sur les compétences.
  • La composante praxéologique : elle renvoie à la pratique dont le produit fait l’objet d’une évaluation sociale ; il s’agit de la partie observable (évaluable) de la compétence.
L’effet Pygmalion

Nous opterons pour une approche mixte, à la fois rationnelle, sociale et affective de la confiance, c’est à dire l’ensemble des facteurs permettant la collaboration entre les membres d’une équipe, basées sur le respect mutuel, l’intégrité, l’empathie, la fiabilité. Les cinq composantes citées ci-dessus sont à la fois l’image de soi même, et l’image de soi vu à travers le regard des autres. Le groupe agit comme un miroir grossissant ; en psychologie, on appelle cela l’effet Pygmalion : "La prédiction faite par un individu A sur un individu B finit par se réaliser par un processus subtil et parfois inattendu de modification du comportement réel de B sous la pression des attentes implicites de A".

Il s’agit d’un mécanisme amplificateur en boucle : un jugement négatif de A casse la confiance de B en lui même, ce qui se voit et a pour effet de renforcer A dans son jugement négatif initial[4].

La confiance dans le partage de connaissances

Au cours de nos missions de Knowledge Management, nous avons pu interroger un certain nombre de professionnels de tous niveaux sur la question : « qu’est-ce qui favorise (ou empêche) le partage de connaissance dans un groupe de travail ? » Tous ont spontanément insisté sur le caractère primordial de la confiance dans une équipe et ils ont précisé les facteurs susceptibles de la créer :

1. Réciprocité (jeu gagnant-gagnant)

J’accepte de donner mes idées, mon ingéniosité, mon expérience au groupe, mais j’attends que les autres membres en fassent autant ; chacun veille à respecter un équilibre en faveur d’une performance collective. Ce mécanisme de surveillance exclut le « passager clandestin », c’est à dire celui qui à l’intention de recueillir les fruits du travail du groupe sans y avoir vraiment contribué.

2. Paternité (identité, reconnaissance)

J’accepte de donner une bonne idée à mon entreprise, et de voir cette dernière transformée en une innovation majeure ; mais je ne tolèrerais jamais de voir l’idée signée du nom de mon chef à la place du mien. Il s’agit d’un fort besoin de reconnaissance de la contribution d’un individu au sein d’un groupe.

3. Rétroaction (feed-back du système)

L’erreur est la première source d’apprentissage ; à condition d’avoir un feed-back du système.

L’enfant apprend par un processus répétitif de type essai-erreur-conséquence :

  • essai : il faut que l’organisation encourage les initiatives, les « stratégies tâtonnantes » afin de développer l’autonomie et la créativité ; comment un enfant apprendrait t’il à marcher s’il avait peur d’être ridicule ?
  • erreur : elle doit être documentée et communiquée (feed-back) ; la conséquence la plus immédiate sera d’éviter aux autres de la reproduire !
  • conséquence : c’est le point le plus fondamental ; un système est apprenant dans la mesure où il délivre à l’individu le feedback sur son action, ce qui lui permet immédiatement d’évaluer l’impact de son action sur le système. C’est ce qui pose problème dans les très grandes organisations : l’individu peut faire tout et son contraire, dans la mesure où il n’a jamais de réponse du système , il ne saura jamais évaluer le bien-fondé de ses actions et progresser.

Dans un groupe, l’erreur doit être admise, c’est un signe très fort de la confiance et du fonctionnement effectif du groupe. En revanche on ne devrait jamais laisser quelqu’un la dissimuler.

4. Sens (unité de langage, de valeurs)

Une connaissance strictement personnelle ne peut être partagée que par l’utilisation d’un code et d’une syntaxe connue d’un groupe social, qu’il soit verbal ou non verbal, alphabétique ou symbolique, technique ou politique En faisant partie de la mémoire collective, le langage fournit à chaque individu des possibilités de son propre développement tout en exerçant un fort contrôle social sur lui. Ainsi, le langage est à la fois individuel, communicationnel et communautaire.

Mais ce n’est pas tant un problème de traduction que de sens : dans une conversation, deux interlocuteurs peuvent arriver à partager des mêmes points-de-vue s’ils établissent un processus de coopération : écoute active, participation, questionnement, adaptation sémantique, feed-back, reformulation. En effet, si le mot, comme symbole collectif, appartient à la communauté linguistique et sémantique, le sens qu’il recouvre est purement individuel car il est intimement lié à l’expérience et à l’environnement cognitif dans lequel se place l’individu.

La confiance, une construction incrémentale

Les auteurs et nos expériences s’accordent sur la nature incrémentale du processus de construction de la confiance ; dans certains domaines commerciaux, par exemple, on dit « il faut 10 ans pour gagner la confiance d’un client, et 10 minutes pour la perdre ! ».

Cette notion est largement étayée par le modèle de Tuckman qui voit quatre état chronologiques (ontologiques) majeurs dans le développement d’un groupe : formation, turbulence, normalisation, performance[5].

La confiance se construit, puis se maintient ; alors qu’il est difficile de distinguer un processus standard de construction de la confiance, en revanche, il semble qu’un modèle en 5 composantes puisse rendre compte de son maintien : instantanée, calculée, prédictive, résultat, maintien.

La confiance instantanée

A l’instant même de la rencontre, un individu accorde à l’autre un « crédit de confiance » ; c’est un processus instantané mais limité, peu fondé ni étayé, donc fragile, sous haute surveillance ; une sorte de confiance sous caution. C’est ce qui permet à des gens qui sont parachutés dans des groupes temporaires de pouvoir travailler ensemble, par exemple dans les équipes de théâtre ou de production cinématographique, dans les équipages d’avion, dans les staffs médicaux, etc.

Cette confiance se base principalement sur deux facteurs :

  • On estime que les autres membres ont été sélectionnés par rapport à des critères de fiabilité, compétence, valeurs, etc. On a affaire à la notion de tiers-certificateur, dont on verra plus loin que le rôle peut être capital.
  • On suppose qu’il y a réciprocité : si je n’accorde pas ma confiance à l’autre, alors l’autre en fera autant et il nous sera impossible de construire la moindre relation.

Ce type d’équipe se met très vite au travail et devient performant sans passer par les longues et progressives étapes de maturation.

La confiance calculée

Cette étape est franchie lorsque les acteurs attendent qu’une collaboration apporte un certain bénéfice. La confiance trouve alors sa source dans la conformité ou non de l’exécution d’une tâche collaborative particulière ; par exemple, la confiance d’un client dans une entreprise générale qui construit sa maison peut être assortie de mécanismes de contrôle et de clauses de pénalités de façon à maîtriser des dérives ou des comportements opportunistes.

L’une des façons de créer un climat de confiance est de mettre en place des procédures, comme la définition des rôles et responsabilités, des mécanismes de reporting, etc.

La confiance prédictive

Dans le process prédictif, la confiance est largement basée sur le fait que les acteurs se connaissent bien : ils se basent sur le comportement passé pour prédire le comportement à venir. Les acteurs qui n’ont pas la possibilité d’avoir des relations ou expériences communes réclameront des séances d’entraînement, des réunions ou d’autres dispositifs leur permettant de mieux se connaître.

La confiance basée sur le résultat

Dans ce mécanisme, la confiance est basée sur la performance de l’autre. Au départ, cette confiance dépend des succès passés ; elle sera encore renforcée si l’autre accomplit sa tâche avec succès, et rompue si des problèmes sont rencontrés. Ce mécanisme est particulièrement important dans les communautés virtuelles où les acteurs ne se connaissent pas, ne peuvent pas voir comment les autres travaillent ; ils ne peuvent juger que sur le résultat : délai, qualité des produits

La confiance intensive

Finalement la confiance intensive suppose que les deux parties identifient et acceptant les objectifs, finalités et valeurs de l’autre.

La confiance dans les communautés virtuelles

Le texte ci-dessous est le résultat d’une expérience menée avec quatre groupes d’étudiants devant effectuer une travail commun à distance en utilisant des outils de groupware et de visioconférence.

L’expérience a montré que la confiance jouait un rôle primordial dans la qualité du travail collaboratif et que l’usage d’un outil présentait de nombreux risques de sérieusement l’entamer, voire la détruire. Un certain nombre de comportements ont été révélés comme porteurs de danger :

  • s’enflammer : s’énerver tout seul et se décharger dans un longue tirade écrite ;
  • poser des requêtes ou assigner des tâches irréalisables ;
  • ignorer les requêtes ; ne pas répondre à ses mails ;
  • dire du mal ou critiquer quelqu’un ;
  • ne pas remplir ses engagements.

Bien entendu on se doute que ce genre de comportement n’est pas fait pour améliorer la confiance, mais il se trouve que l’usage d’un outil les rend davantage possibles qu’une interaction physique. En effet, dans une conversation face-à-face, il se produit des sortes de micro-boucles qui ont la vertu de désamorcer des conflits par une meilleure compréhension des points-de-vue de chacun. La plupart des crises sociales sont des crises du langage et du sens.

Le tableau ci-dessous résume les facteurs qui renforcent ou au contraire diminuent l’établissement de la confiance dans une communauté.

La confiance est renforcée quand :

  • La communication est fréquente, les membres sont bien informés et partagent leurs compréhensions.
  • Les messages sont catégorisés ou formatés, ce qui permet aux récepteurs une économie de temps.
  • Les tâches, rôles et responsabilités sont bien définis, chaque membre connaît ses propres objectifs.
  • Les membres tiennent leurs délais et leurs échéances.
  • Il y a un esprit positif permanent, chaque membre reçoit des encouragements et un feed-back.
  • Les membres s’entraident mutuellement.
  • Les attentes personnelles et celles du groupe ont été clairement identifiées.
  • Les membres ont le même niveau d’engagement.

La confiance est affaiblie quand :

  • Il y a peu de communication, les idées ne sont pas partagées.
  • Les membres ne sont pas réactifs ; certains messages urgents restent sans réponse.
  • Les objectifs n’ont pas été clairement définis.
  • Les délais et livrables n’ont pas été clairement définis.
  • L’esprit n’est pas positif et il n’y a pas de feed-back ou celui ci est systématiquement négatif.
  • Les attentes personnelles et celles du groupe n’ont pas été identifiées.
  • Les membres cherchent plutôt à esquiver, à éviter de contribuer.
  • Les membres ne s’engagent pas vraiment.

Ces facteurs contribuent à une performance du groupe élevée ou faible, qui elle-même contribue par une boucle de retour à la motivation des acteurs pour coopérer. On peut parler d’une véritable spirale de la confiance.

La spirale de la confiance

A partir des différents éléments cités ci-dessus, on peut donc évoquer un processus cumulatif, une sorte de spirale, qui peut être positive ou négative :

  • au départ, un acteur va contribuer au groupe sur la base d’une « confiance instantanée », donc forcément limitée ;
  • en fonction de la contribution des autres, du côté positif du feed-back et éventuellement de la performance constatée, cet acteur sera incité à renforcer sa contribution.

En sens opposé, on peut vite imaginer comment se crée un « processus contre-productif » où la dimension sociale d’un groupe joue dans le sens contraire de la compétence individuelle et finit par démotiver complètement la personne. En d’autres termes, si on oppose une personne compétente à un système déficient, le système gagne à tous les coups.

La compétence individuelle, 6ème facteur de performance collective

Dans cet esprit, une étude nord-américaine a démontré que la compétence individuelle n’intervenait qu’en sixième position comme facteur de performance collective ; les spécifications des produits, le système organisationnel, les feed-back du système aux actions étant des préalables à l’efficacité collective :

  1. Spécifications claires (produit de sortie, standards )
  2. Support organisationnel (ressources, priorités, processus, rôles )
  3. Conséquences personnelles (reconnaissance des autres )
  4. Feedback du système (résultat d’une action)
  5. Savoir-être de l’individu (physique, mental, émotionnel)
  6. Compétence et savoir individuel

Cela tend à montrer que les dispositifs de formation professionnelle sont certes nécessaires, mais qu’il peuvent être très dispendieux s’ils ne s’inscrivent pas dans une démarche globale, incluant une refonte des organisations (modes de fonctionnement de l’équipe, management), du système d’évaluation et de reconnaissance (objectifs, réalisation, évaluation de la performance), des processus (modélisation des tâches et des compétences), des spécifications produits.

Les conventions du travail collaboratif

Revenons à nos équipes virtuelles ; il semblerait qu’un certain nombre de conventions ou protocole favorisent l’établissement d’un niveau de confiance suffisant pour un travail collaboratif efficace. Ces conventions se regroupent en cinq catégories :

  • Catégorie : Intégrité
    • Caractéristiques : honnêteté, éthique, loyauté, respect, fiabilité et engagement
    • Facteurs et comportements : être honnête, tenir ses engagements,être réactif, être droit et loyal, être fiable
  • Catégorie : Habilitation
    • Caractéritiques : savoirs, savoir-faire, compétences individuelles et collectives
    • Facteurs et comportements : mettre en application avec succès les savoirs, compétences, partager les expériences, les bonnes pratiques
  • Catégorie :Ouverture
    • Caractéristiques : volonté de partager des idées et des informations, intérêt aux autres, apprendre des erreurs
    • Facteurs et comportements : informer les autres,partager librement les idées et les informations, être curieux,donner un feed-back positif,reconnaître ses erreurs
  • Catégorie : Charisme
    • Caractéristiques :empathie, envie de bien faire, bonne volonté, générosité
    • Facteurs et comportements : s’entraider,être amical, être courtois,avoir de la considération,rester humble,savoir apprécier le travail des autres
  • Catégorie : Attentes
    • Caractéristiques : bénéfice potentiel, cohérence, évaluation
    • Facteurs et comportements : être à l’écoute des attentes, rechercher un consensus ou des compromis, rester cohérent sur les attentes

Ce qui est important dans cette énumération de facteurs, c’est qu’ils n’ont pas tous la même importance par rapport au processus cumulatif de construction de la confiance :

  • Certains sont mineurs, ils seront corrigés en temps réel : quelqu’un oublie de communiquer une information, le groupe lui fait remarquer, il s’en excuse ; c’est une mise au point nécessaire.
  • Certains sont « proportionnels » : tout le monde n’a pas le même charisme et cela n’empêche pas forcément un groupe de fonctionner.
  • Certains sont majeurs et définitifs : c’est notamment le cas des facteurs regroupés dans la catégorie « intégrité » ; une trahison sera perçue comme une atteinte définitive à la confiance.

Conclusion : le rôle de la confiance dans la connaissance collective

Une fois admis que la subjectivité, l’affectif, l’émotion, gouverne nos représentations individuelles, on conçoit que le processus de construction collective d’une représentation passe nécessairement par une étape de mise en commun des perceptions, de confrontation, de négociation et de délibération de ces différentes subjectivités. Ce processus nécessite des qualités humaines d’empathie, de « reliance  »[6] davantage que des capacités d’analyse.

En ce sens, l’organisation n’est pas tant un système de « traitement de l’information » mais bien de « création de connaissance collective ». C’est là que réside l’enjeu humain du Knowledge Management.

Du Knowledge Management au knowledge enabling

Partant de ces considérations sur la nature de la connaissance, profondément engrammée dans l’individu en tant que sujet, on peut en déduire qu’on ne manage pas la connaissance, comme on manage un objet ; le terme Knowledge Management, que j’utilise volontiers, est en fait un abus de langage ; tout au plus peut on manager les conditions dans lesquelles la connaissance peut se créer, se formaliser, s’échanger, se valider, etc. Les anglo-saxons parleraient de knowledge enabling.

Cela permet également d’introduire une précision fondamentale : le management de la connaissance collective est avant tout une problématique de flux ; ce qui est important c’est de manager les transitions entre tous les états de la connaissance : tacite, implicite, explicite, individuel, collectif, etc. Tous les outils du KM (socialisation, formalisation, médiatisation, pédagogie) doivent se focaliser sur l’optimisation de ces flux de transition.

Notes

[1] Crédit photo : Notsogoodphotography – CC by (Creative Commmons By)

[2] « Un mort c’est un drame, dix morts c’est un accident, mille morts c’est une statistique »

[3] R. Wittorski, De la fabrication des compétences, Education permanente, n°135, 1998-2

[4] Alain, dans Dieux déguisés, nous décrit magnifiquement l’effet Pygmalion : « J’ai souvent constaté, avec les enfants et avec les hommes aussi, que la nature humaine se façonne aisément d’après les jugements d’autrui, …Si vous marquez un galérien, vous lui donnez une sorte de droit sauvage. Dans les relations humaines, cela mène fort loin, le jugement appelant sa preuve, et la preuve fortifiant le jugement… La misanthropie ne mène à rien. Si vous vous défiez, vous serez volé. Si vous méprisez, vous serez haï. Les hommes se hâtent de ressembler au portrait que vous vous faites d’eux. Au reste essayez d’élever un enfant d’après l’idée, mille fois répétée à lui, qu’il est stupide et méchant; il sera tel… »

[5] Les termes originaux de Tuckman forming, storming, norming, performing sont assez difficiles à traduire. Beaucoup d’auteurs français traduisent notamment Storming par conflit ; je pense que, dans le mot anglais storming, comme par exemple dans brainstorming, il y a une connotation de chaos créatif, de nécessité de passer d’un état à un autre ; l’adolescence pourrait être une bonne métaphore. De même « Performing » doit être compris au sens de la « représentation d’un orchestre » où l’on entend une pâte musicale unique, au sein de laquelle il est impossible de dissocier un instrument.

[6] Le mot est d’Edgar Morin




De l’hacktivisme au web 2.0 – De la révolution à sa dissolution ?

Daniel Zanini H. - CC byLes mouvements alternatifs d’émancipation portés par le numérique, dont le logiciel libre fait partie, ont été récupérés et domestiqués par le système et sa force marketing sous la bannière et le vocable du « web 2.0 ».

Un web 2.0 qui présente de plus l’avantage de favoriser l’institution d’une sorte de totalitarisme global décentralisé avec notre complicité et toutes les traces personnelles, permanentes et continues, que nous laissons, le plus souvent volontairement, dans les nuages d’Internet.

Avec l’avènement du web 2.0, non seulement vous voyez s’éloigner le rêve d’une autre société mais vous renforcez le contrôle et la surveillance de l’actuelle ! Difficile de faire pire en quelque sorte…

Telle n’est pas mon opinion mais mon propre (et donc faillible) résumé d’un article parcouru récemment sur Indymedia dont le titre exact est “Become the media!” : de l’hacktivisme au web 2.0.

Attention, c’est dense, politisé et plein de références à des auteurs qui vous seront peut-être peu familiers si vous ne baignez pas dans une certaine culture intellectuelle « de gauche » (cf Félix Guattari, Jello Biafra, Walter Benjamin, Jean Baudrillard, Gilles Deleuze, Michel de Certeau, Michel Maffesoli).

Nous en avons reproduit la fin ci-dessous pour vous donner (ou non) l’envie de le parcourir dans son intégralité[1].

Je ne vous cache pas qu’il m’intéresse d’avoir vos réactions dans les commentaires. En espérant que les uns et les autres sauront s’écouter et échanger en toute sérénité sur un sujet, je le reconnais bien volontiers, un peu glissant. Un petit débat courtois et non un gros troll poilu pour le dire autrement 😉

Pour ce qui me concerne, je ne partage pas la radicalité et le pessimisme du propos et j’ai justement l’impression que les actions que nous menons participent modestement à échapper à ce piège. Mais il est vrai que lorsque le « logiciel libre » devient « open source », il prend le risque de perdre en route tout ce qui fait sa substantifique moelle.

“Become the media!” : de l’hacktivisme au web 2.0 (extraits)

URL d’origine du document

Dr No – 26 juillet 2010 – Indymedia Nantes

(…)

Quoiqu’il en soit, ce dont il s’agit là encore finalement, avec cette « réappropriation », ce « devenir-media » de la masse et cette « démocratisation » des dispositifs d’informations et de communication, c’est du déploiement toujours plus important d’un macro-système technique, d’un maillage global comme dispositif de socialisation forcée par dressage à la discipline inconsciente d’un code, c’est-à-dire – à l’instar du système électoral ou de la consommation – d’imposition de règles du jeu (ici de la communication) et d’intériorisation de ces règles comme subtil mode de mobilisation et de contrôle social. Indépendamment des contenus qui n’en sont que l’alibi, le médium – le code, le modèle, la forme, le canal, le dispositif, la technique – est le message, il influe directement sur nos modes de perception sensibles, modifie nos rapports à l’espace et au temps et par conséquent nos modes d’être-au-monde. En l’occurrence, « ce qui est médiatisé, ce n’est pas ce qui passe par la presse, la TV, la radio : c’est ce qui est ressaisi par la forme/signe, articulé en modèles, régi par le code. » La réappropriation du code ne jouant donc là au final que comme « reproduction élargie du système » sous couvert de nouvelles modalités. C’est pourquoi il ne faut jamais sous-estimer la capacité de ce système à intégrer les innovations (même et peut-être surtout si elles se veulent « révolutionnaires ») a fortiori si celui-ci fonctionne sur les principes d’interaction, de réversibilité, de participation et de feed-back comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui beaucoup plus qu’hier.

« l’éthique hacker », l’utopie cyberpunk et les expérimentations cyberculturelles, les trouvailles de « l’hacktivisme » électronique et de « l’Internet militant », du mouvement des logiciels libres, l’Open Source, l’Open Publishing, le P2P, le Wi-Fi, les média-tactiques alternatives, collaboratives et communautaires elles-mêmes, c’est-à-dire en somme toutes ces « pratiques moléculaires alternatives » que Félix Guattari appelaient de ses vœux pour renverser le pouvoir grandissant de l’ingénierie logicielle et les nouvelles modalités de la « société de contrôle » ont pour la plupart, dans ce qu’elles avaient d’original et novateur, été absorbées et recyclées par celle-ci et les industriels pour donner naissance à ce que l’on peut appeler les nouveaux « agencements post-médiatiques » du web 2.0.

C’est-à-dire toutes ces nouvelles applications de l’Internet « participatif » et « collaboratif » basé sur le principe du « contenu généré par les utilisateurs », ce qui précisément, on l’aura remarqué, était bien l’idée de « l’open publishing » (publication libre) proposé par le réseau international des sites Indymedia dans l’esprit du partage horizontal de l’information, de la participation et de la collaboration en vue de favoriser l’auto-organisation des groupes et des individus constitués en « machines de guerre » contre l’axiomatique mondiale exprimée par les Etats.

Un Web 2.0 dit « participatif » et « collaboratif » donc, où effectivement, convergence numérique aidant, la masse devient son propre média (MySpace, Facebook, YouTube, Twitter, Wikis et autres blogs), engendrant à leur tour de nouveaux usages qui inspirent également de nouveaux produits, services et dispositifs reconfigurant de fond en comble notre rapport au monde et nos relations sociales, tout en développant de nouveaux marchés ainsi que de nouveaux « business models » (management 2.0, marketing 2.0, « gratuité », « co-création de valeur », etc.) qui incarnent des changements de paradigmes économiques par où se joue la mutation du capitalisme. Car en effet, force est de constater que les principes du « participatif », du « collaboratif », de la « coopération » et du « partage » sont aujourd’hui devenus les principaux éléments d’un nouvel esprit du capitalisme de l’ère 2.0 fonctionnant par « boucles de récupération » et recyclage écosystémique des singularités comme moteur et dynamique de l’innovation (technologique, économique, culturelle, sociale, etc.). C’est en quelque sorte ce qui se présente plus communément aujourd’hui sous l’appellation d’ « innovation ascendante » qui consiste justement pour les entreprises et/ou les institutions à observer, et même à favoriser, les pratiques de réappropriation, investissement, exploration, détournement, expérimentation par les usagers/consommateurs des produits, services et technologies dans le but de réintégrer les éventuelles micro-inventions et les « usages innovants » dans leur propre processus de création et développement industriel, commercial, technocratique, etc.

C’est une dynamique qui s’appuie sur la compréhension des comportements que permet en l’occurrence la « sociologie des usages » et notamment les travaux de Michel de Certeau sur ce qui constitue en quelque sorte les « arts de faire avec » . Recherche qui se voulait un travail de compréhension et en premier lieu de mise en valeur des arts de vivre la société de consommation, par élaboration de « lignes de fuites » (Deleuze et Guattari) pourrait-on dire, c’est-à-dire plus particulièrement des ruses subtiles, des tactiques de résistance, de contournements, détournement, réappropriation, braconnage, dissimulation, en somme toute la multitude de pratiques inventives et créatives qui se disséminent dans la banalité du quotidien des usagers/consommateurs et que la rationalité occidentale, selon les mots de l’auteur, aurait eu trop tendance à occulter. Et on pourrait voir dans ce travail la saisie de l’essence même de la notion anglo-saxonne de « hacking », de son esprit ou de son éthique élargie à l’ensemble de la société. Quoiqu’il en soit, on le voit bien, ce dont il s’agit avec « l’innovation ascendante » mise en œuvre dans le nouveau paradigme économique des entreprises les plus à l’avant-garde du capitalisme c’est de capter/capturer la puissance créatrice de la socialité de base, l’énergie et le vitalisme qui émergent de ce que Michel Maffesoli appelle la « centralité souterraine ». Dans le même ordre d’idée se développe aujourd’hui dans les milieux du marketing et du management, par le biais des différentes plateformes multimédias de la société en réseaux, le « crowdsourcing » (approvisionnement par la foule) qui consiste pour une entreprise là encore à faire « participer » et « collaborer » directement la foule des internautes comme usagers/consommateurs à la recherche et au développement de nouveaux produits et services, à apporter des améliorations, etc..

Enfin, toutes choses mettant en œuvre un processus communicationnel global s’appuyant sur des dispositifs de « feed-back » et des mécanismes circulaires tout à fait caractéristiques des boucles causales rétroactives qui furent à la base de la modélisation des systèmes cybernétiques qui simulent les lois de la nature et dont la finalité, rappelons-le, est le Contrôle par auto-régulation comme mode de management et de gouvernance.

Des systèmes de contrôle et de gouvernance de l’ère des machines de « troisième espèce » qui se déploient sur toute l’étendue de la vie quotidienne par le biais de la globalisation d’un méga-réseau engagé dans un processus matriciel. Une « matrice communicationnelle », un maillage systémique à vocation ubiquitaire qui tend par ailleurs à rendre obsolètes les modèles panoptiques de surveillance hyper-centralisés et transcendants de type orwellien qu’incarne la fameuse figure de « Big Brother ». Car en effet, ce à quoi on a de plus en plus nettement affaire aujourd’hui c’est à un processus de capillarisation du Contrôle en quelque sorte et qui tend par là à devenir totalement immanent.

Comme le remarquait déjà pertinemment Jean Baudrillard au début des années 70 « même à long terme, l’impossibilité des mégasystèmes policiers signifie simplement que les systèmes actuels intègrent en eux-mêmes, par le feed-back et l’autorégulation, ces métasystèmes de contrôle désormais inutiles. Ils savent introduire ce qui les nie comme variables supplémentaires. (..) Ils ne cessent donc pas d’être totalitaires : ils réalisent en quelque sorte l’idéal de ce que l’on peut appeler un totalitarisme décentralisé. » Par ailleurs, dans son texte annonçant l’avènement d’une "subjectivité post-médiatique" Félix Guattari rappelait que toutes les anciennes formations de pouvoir et leurs façon de modéliser le monde avaient été déterritorialisées. C’est ainsi, disait-il, que « la monnaie, l’identité, le contrôle social passent sous l’égide de la carte à puce. » Car en effet, ce qui se joue aujourd’hui avec tout ce maillage systémique planétaire, ce déploiement du méga-réseau matriciel à vocation ubiquitaire, c’est un processus de globalisation des « sociétés de Contrôle » , fluides, ouvertes, modulaires, multipolaires et à géométrie variable comme installation d’un nouveau régime de domination qui remplacent peu à peu les « sociétés disciplinaires » (Foucault) avec la crise généralisée des milieux d’enfermement en système clos (familles, écoles, armée, usines, prisons, hôpitaux, etc.) ainsi que l’avait bien vu à la même époque Gilles Deleuze, et où, entre autres choses, les individus deviennent peu à peu des entités « dividuelles » encodées comme multiplicité de données dans un macro-système d’information. « Ce sont les sociétés de contrôle qui sont en train de remplacer les sociétés disciplinaires. (..) On ne se trouve plus devant le couple masse-individu. Les individus sont devenus des « dividuels », et les masses, des échantillons, des données, des marchés ou des « banques ». (..) les sociétés de contrôle opèrent par machines de troisième espèce, machines informatiques et ordinateurs (..). Ce n’est pas une évolution technologique sans être plus profondément une mutation du capitalisme. »

Mutation post-industrielle du capitalisme de plus en plus flexible, flottant, immatériel, sémiotique et cognitif, où le « service de vente » devient le centre ou l’âme de « l’entreprise » qui a remplacé « l’usine » de production désormais démantelée, automatisée, externalisée et assez souvent reléguée en périphérie du tiers-monde à l’instar des grandes enseignes multinationales qui se concentrent sur les logiques de Communication et le développement médiatique, si ce n’est psycho-technique, de leur « image de marque ». « On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la nouvelle la plus terrifiante du monde. Le marketing est maintenant l’instrument du contrôle social, et forme la race impudente de nos maîtres » affirmera ainsi sans détours Gilles Deleuze. De même, « il n’y a pas besoin de science-fiction pour concevoir un mécanisme de contrôle qui donne à chaque instant la position d’un élément en milieu ouvert, animal dans une réserve, homme dans une entreprise (collier électronique). Félix Guattari imaginait une ville où chacun pouvait quitter son appartement, sa rue, son quartier, grâce à sa carte électronique (dividuelle) qui faisait lever telle ou telle barrière ; mais aussi bien la carte pouvait être recrachée tel jour, ou entre telles heures ; ce qui compte n’est pas la barrière, mais l’ordinateur qui repère la position de chacun, licite ou illicite, et opère une modulation universelle. »

Vision qui prend d’autant plus d’importance aujourd’hui avec l’informatisation généralisée de la société, l’injonction à la mobilité, l’hyperconnectivité et les projets de dissémination des technologies numériques et autres puces communicantes (informatique ubiquitaire/ubimedia) dans tout l’environnement physique de nos métropoles postmodernes où peut désormais s’opérer de façon massive, par la grâce de l’ingénierie logicielle, la traçabilité, la géolocalisation, le fichage et le profilage des « dividus » dispersés dans les flux et les réseaux, dans et par lesquels se dispensent désormais leur être-au-monde fantomatique sous « le règne de la Technique planétaire »

Notes

[1] Crédit photo : Daniel Zanini H. (Creative Commons)




Pourquoi je ne participerai pas au Concours Lépine

BookLiberatorTout le monde connaît ou tout du moins a déjà entendu parler du Concours Lépine. Il s’agit d’un concours annuel récompensant une invention originale.

Souvent la presse s’amuse à mettre en avant les projets un peu farfelus, comme cette toilette auto-nettoyantes pour chiens (sur tapis roulant) ou cette caravane qui tracte la voiture (et non l’inverse), mais d’autres ont été de véritables succès qui continuent de nous être grandement utiles : le stylo à bille, le moteur à deux temps, le fer à repasser à vapeur ou encore les verres de contact.

Maintenant la question du titre de ce billet.

Si je ne participerai jamais au Concours Lépine, c’est que je manque cruellement d’imagination, ai peu de sens pratique et suis un bien piètre bricoleur.

Mais il y a une autre raison. Pour s’inscrire au concours il faut « avoir une invention ou innovation protégée par un titre de propriété industrielle et/ou intellectuelle ». Dans tout dossier d’inscription, on vous demande invariablement votre « numéro de brevet ».

Le Concours Lépine a vu le jour en 1901. On comprend assez bien pourquoi tout au long du XXe siècle on ait eu besoin de cette condition.

Mais au XXIe siècle, avec les licences libres, Internet, les communautés, etc. est-on toujours obligé de conserver cette modalité ?

RepRap, Arduino… de plus en plus d’inventeurs envisagent dès le départ leur projet comme un projet libre et s’inscrivent alors dans une tout autre démarche (ce qui n’interdit en rien d’en faire profit).

C’est la réflexion que je me suis faite en tombant sur le BookLiberator (cf image ci-dessus), sorte de cage à numériser plus facilement les livres (cf cette vidéo pour tout de suite comprendre le principe).

C’est encore pas mal artisanal pour le moment et on ne peut pas vraiment dire que ce soit l’invention du siècle. Mais si ça s’améliore collectivement, si d’autres arrivent avec des projets d’appareils photos libres associés à de performants logiciels d’OCR libres, ça peut devenir fort intéressant. Sachant que c’est un élément de plus à ajouter dans la marmite des Biens Communs.

Et puis un jour, on aura ainsi dépassé Google Books sans même s’en apercevoir 😉

PS : Ceci étant dit, inventer un super truc, le breveter et vivre tranquillement des rentes de cette invention jusqu’au restant de mes jours (et même ma descendance après ma mort), ça pourrait être pratique pour financer Framasoft !