7 raisons pour ne pas utiliser les tablettes dans l’éducation

Une récente passe d’armes sur le bien fondé d’offrir des iPad à des collégiens en Corrèze avait fait couler beaucoup d’encre dans les commentaires du Framablog.

Nous récidivons aujourd’hui en laissant de côté les arguments du libre pour se concentrer uniquement sur la pertinence de la tablette en milieu scolaire.

Urban Hippie Love - CC by-sa

Trop cool pour l’école : 7 raisons pour lesquelles les tablettes ne devraient PAS être utilisées dans l’enseignement

Too cool for school: 7 reasons why tablets should NOT be used in education

Donald Clark – 24 février – Blog perso
(Traduction : Moosh, Max, DansLeRuSH, CedricA, Sphinx, Mila Saint Anne, Catalaburro, VifArgent, goofy, @paul_playe, Miles, Alpha + anonymes)

Est-ce que les élèves en achètent ? NON

J’écris ceci sur un netbook. J’ai un iPad mais je ne rêve pas de m’en servir pour faire des recherches, prendre des notes, écrire ou pour mon travail. Je m’en sers à la maison comme une sorte de matériel de découverte, davantage pour « chercher, regarder et découvrir » que pour « écrire, créer et travailler ». Mes enfants ne s’en servent jamais. Quand je leur demande si certains de leurs camarades en ont acheté, ça les fait rire. De toute façon, « pour le même prix on a des ordinateurs portables ». Ils veulent un truc pour aller sur Facebook, lire leurs courriels, éditer du son ou de la vidéo, jouer, programmer et télécharger. Sur mes deux garçons, l’un a un MacBook, l’autre un PC survitaminé. Je ne m’en sers jamais dans la mesure où j’ai surtout besoin d’écrire et de communiquer — c’est simplement trop malcommode et limité.

Est-ce que les étudiants en achètent ? NON

Que ce soit à l’école, au lycée ou à l’université, il semble que les jeunes préfèrent les ordinateurs, que ce soit pour prendre des notes, écrire des devoirs ou autres choses. Ils veulent la souplesse d’un ordinateur complet, pas un appareil qui ait un look sympa. Les tablettes n’ont pas envahi nos bibliothèques. Les étudiants font des recherches, communiquent et, par-dessus tout, ont besoin d’écrire des quantités non négligeables de texte, voire de code. Les tablettes ne le font pas pour eux.

Est-ce que les employés s’en servent ? NON

Et puis il y a l’entreprise. Je n’ai pas encore vu une entreprise qui ait décidé de généraliser les iPad ou des tablettes si ce n’est pour des raisons ésotériques tournant autour de leur image de communicants. Encore une fois, les gens au travail veulent un ordinateur complet et connecté qui leur permet de faire des tâches fonctionnelles rapidement. Quand je vois des iPad sur un lieu de travail, ils sont généralement entre les mains de personnes d’un certain âge qui prennent des notes (lentement) avec un seul doigt, qui se débattent pour télécharger des documents et des feuilles de calcul et qui sont souvent les mêmes qui demandent une copie papier de tous les documents de travail avant la réunion. Un netbook à 299 £, pas de papier : ça me satisfait.

Alors pourquoi cet engouement pour les tablettes et les iPad dans les écoles ?

Mis à part ces motivations d’achat, pourquoi cette obsession des iPad ? Je n’ai pas été séduit et je n’achèterai pas le package. Si comme moi vous considérez que l’enseignement doit faire émerger des individus autonomes qui peuvent construire une vie dans laquelle ils se sentent en confiance avec la technologie, acquièrent des compétences grâce à elle et en retirent le maximum à la maison ou au boulot, alors un iPad ou une tablette est un mauvais choix et voici selon moi pourquoi…

1. L’écriture

La capacité à écrire se retrouve au cœur de l’éducation primaire, secondaire et supérieure. Les enfants ont besoin d’être encouragés à beaucoup écrire pour apprendre, que ce soit en prenant des notes, en rédigeant des devoirs, des rapports, des manipulations de données, des écrits d’invention ou des dissertations. Les claviers des écrans tactiles sont inconfortables avec des taux d’erreur élevés et la manière de sauvegarder, travailler en réseau, ou d’imprimer est tortueuse. On revient à l’ardoise victorienne, voire bien pire en fait. J’en possède une et je trouve qu’il est plus facile d’écrire sur cette ardoise plutôt que de taper sur un iPad. Fait intéressant, en leur fournissant un appareil si hostile à la création de l’écriture, vous pouvez faire passer l’envie d’écrire aux élèves débutants. Répondre à cela en disant qu’il est possible d’acheter des claviers pour les tablettes revient à admettre une défaite. C’est répondre que les tablettes ne fonctionnent que si vous les transformez en ordinateur. À quels coûts supplémentaires ?

2. La créativité

Les tablettes sont faites pour consommer du contenu, les ordinateurs (portables) permettent la création de contenus. Ce n’est pas parce que les choses sont belles sur un iPad qu’elles sont faciles à faire avec celui-lui. Les outils de création dans la plupart des domaines de l’art et du design sont très différents des outils de diffusion. Essayez d’utiliser Photoshop, Illustrator ou encore 3D Studio sur une tablette. Essayez de faire une sélection pixel par pixel, d’utiliser des calques, de faire des ajustements précis. L’écran n’est tout simplement pas assez grand pour ce genre de travail. C’est un appareil que l’on tient à la main, pas un outil de travail. Les tablettes sont rares dans le monde du travail où l’écriture demeure nécessaire. La maîtrise du clavier et les compétences sur d’autres appareils dont vous pouvez avoir besoin dans la vraie vie ont peu de chances d’être acquises grâce à l’iPad.

3. L’informatique, les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), la programmatue je passe ion

Peu importe le but de l’apprentissage de l’informatique, de la programmation ou des technologies de l’information à l’école, je ne pense pas que l’iPad ou les tablettes soient appropriés. Apprendre à manipuler un tableur sur un iPad est pénible. Vouloir apprendre à programmer avec, ridicule. Quelle personne sensée voudrait utiliser une interface tactile pour programmer, ce qui implique beaucoup d’écritures détaillées, supprimant, ajoutant des lignes, aussi bien que dans un environnement plus ouvert ?

4. Un appareil de consommation, pas d’apprentissage

Par-dessus tout, un iPad est un outil de consommateur, fait pour lire et pas pour écrire. Il a un rôle à jouer dans les apprentissages, particulièrement au niveau pré-scolaire pour les tout-petits, mais au-delà, il n’y a pas d’argument sérieux pour justifier un investissement de grande ampleur dans ce genre de matériel. La meilleure preuve en est que quand les élèves ou les étudiants s’équipent en informatique, ils n’achètent pas de tablettes. Ils achètent des ordinateurs de bureau, des netbooks ou des ordinateurs portables.

5. Inadéquation avec les besoins des enseignants

Il y a l’exemple d’une école qui avait échangé ses ordinateurs portables contre des tablettes, et qui souhaite aujourd’hui faire machine arrière. « La salle des profs se lamente », car les problèmes pédagogiques sont évidents. D’un point de vue technique, les enseignants ont vécu cela comme un cauchemar. La plupart des enseignants et le matériel pédagogique qu’ils utilisent s’appuient sur Word et PowerPoint, et l’utilisation de tablettes a entraîné des problèmes d’incompatibilité. Certains professeurs ont dû faire héberger leur contenu à l’extérieur de l’établissement, ce qui a posé des problèmes d’accès aux ressources. Il y a également des problèmes d’affichage avec l’écran au format 4:3 des iPad, des problèmes d’accès à Internet au travers des proxy. Mais le principal problème reste la capacité de stockage et le manque de ports USB. Cela implique l’utilisation de procédures plus complexes, comme par exemple l’usage de DropBox et de tous les problèmes afférents. Les tablettes ne sont pas des outils adaptés aux enseignants. Sans une véritable connaissance des logiciels et des besoins des enseignants, il n’y a aucune plus-value pour les apprenants.

6. Le prix élevé

Les iPad sont chers à l’achat et à l’entretien, et sont compliqués à mettre en œuvre en termes de réseau et de périphériques. Ils sont conçus pour être utilisés à la maison et non à l’école, dans les laboratoires ou les salles de classe. Ce constat a été dressé par l’Honnywood Community Science School, une école qui vient tout juste de se créer, qui a acheté 1200 iPad pour un montant de 500000€ , dont la moitié sont maintenant inutilisables. Il existe donc une réelle interrogation sur la solidité de la technologie à l’école et dans les sacs des élèves, où ces équipements sont malmenés, tombent et sont rayés. Pire encore, 20% de ceux qui ont été envoyés en réparation en sont à leur deuxième ou troisième retour au SAV. Bien qu’il ait été demandé 50€ aux parents par tablette, ces dernières coûtent en réalité 450€ et les élèves ne semblent pas prendre particulièrement soin de quelque chose qu’ils n’ont pas acheté. Le coût final, quand on ajoute les réparations, est encore plus élevé que prévu.

7. Des projets vaniteux

Une personne très bien informée, ayant participé à une réunion dans les hautes sphères du gouvernement qui a décidé d’introduire les tablettes à l’école, m’a dit que cela avait été pénible et bordélique. Les tablettes, données par une entreprise informatique, furent bien livrées à l’école, où le chef de l’établissement les dissimula aux autres enseignants. C’est exactement comme cela qu’il ne faut PAS introduire les nouvelles technologies dans les écoles : acheter des appareils à la mode en grande quantité, les distribuer dans de belles boites et espérer que tout ira bien. C’est le danger avec ces projets fondés sur des tablettes, nous nous basons rarement sur une analyse poussée pour choisir la technologie la plus appropriée, nous avons plutôt tendance à nous baser sur le fait qu’Apple est à la mode ou sur les conseils des fans de cette marque. Nous devons éviter de faire comme tout le monde et de mettre en place des projets prétentieux qui présupposent que ce qui est cool pour les consommateurs adultes sera cool pour l’école.

J’ai passé toute ma vie d’adulte à encourager l’adoption des technologies dans l’enseignement mais je veux être sûr qu’on ne se tire pas une balle dans le pied avec des projets qui n’ont pas pris en compte les sept points ci-dessus. Pour être honnête, je ne suis pas du tout certain du bien-fondé d’une technologie imposée aux salles de classe. Laissons les enseignants enseigner et, si vous introduisez ce genre de choses, réservez plutôt une bonne part du budget à leur formation.

Conclusion

Une bonne technologie a toujours du style, et les iPad en ont à revendre, mais c’est un style qui attire les adultes, pas les enfants. Je peux comprendre l’utilité des tablettes pour des jeunes enfants, de 3 à 9 ans, et peut-être ayant des besoins spécifiques. Mais une fois acquis les rudiments, les iPad sont un luxe que les écoles ne peuvent pas se permettre. Ils ne sont pas non plus souhaitables, au regard de l’apprentissage que dispensent les écoles à grande échelle. Ces initiatives sont souvent menées avec un but technologique et non pédagogique.

Remarquez que tout cela ne constitue pas une attaque contre les iPad et les tablettes. J’en ai acheté une et je trouve ça bien. C’est un ensemble d’arguments contre leur utilisation dans l’enseignement. Les élèves à l’école, au lycée et à l’université ne les achètent pas avec leur argent. Pas plus qu’il ne les utilisent lorsqu’ils en ont le choix. Même s’ils étaient fournis, ces outils sont largement inadaptés à l’écriture, aux besoins de l’informatique, des technologies de l’information, de la programmation ou encore des autres tâches lors du cursus scolaire. Cela est principalement lié au fait que ce sont des appareils de consommation, passifs et non pas actifs, utilisés pour lire et non écrire, avec une mise en avant de la consommation et non de la création. Ils ne sont certainement pas adaptés à l’éducation.

P.S. : Je suis conscient de passer peut-être à côté de quelque chose mais j’ai hâte de voir les recherches sur les améliorations effectives dans les acquisitions, par opposition aux enquêtes qualitatives et aux questionnaires.

Crédit photo : Urban Hippie Love (Creative Commons By-Sa)




Pas de bol : quand les Américains nous copient c’est pour notre Hadopi !

Riposte graduée, sécurisation de son réseau, oubli systématique du copyleft, répression qui s’accompagne d’une prévention propagande… les Américains sont sur le point de lancer leur propre Hadopi, qui porte le nom chantant de Copyright Alert System.

Pourtant on ne peut pas dire que ce soit un franc succès chez nous, n’est-ce pas Monsieur Lescure ?

Ici comme ailleurs, de grands mais vains efforts pour transformer la « génération du partage » en une « génération pirate » !

Martin Fisch - CC by-sa

La propagande du copyright s’offre un nouvel acteur : votre fournisseur d’accès à Internet (FAI)

The Copyright Propaganda Machine Gets a New Agent: Your ISP

Corynne McSherry – 25 février – EFF.org
(Traduction : Moosh, goofy, Alpha, LGT + anonymes)

Voilà un moment qu’on le redoutait, la machine de surveillance du copyright connue sous le nom de Copyright Alert System (CAS) est finalement en marche. Le CAS est un accord entre les plus grands fournisseurs de contenus et les principaux fournisseurs d’accès (FAI) qui vise à surveiller les réseaux de peer-to-peer pour détecter la violation de copyright et sanctionner les abonnés supposés coupables par des rappels à l’ordre « éducatifs » voire une réduction importante de la vitesse de connexion.

Pour preuve de ce lancement, le centre d’information sur le copyright (Center for Copyright Information ou CCI), qui administre le programme, a refondu son site web. Ce site est censé contribuer à la sensibilisation des internautes sur le système et le copyright. Malheureusement, le site est rempli de signes qui indiquent que cette campagne va dériver.

Par exemple, concernant le processus de ciblage des utilisateurs, le site explique :

Avant d’envoyer une nouvelle alerte, un processus rigoureux permet de s’assurer que le contenu concerné est bel et bien protégé par un copyright et que la notification est envoyée au bon abonné.

Le simple fait que le contenu soit soumis à copyright ne signifie pas que son partage soit illégal. Il serait préférable d’avoir un processus rigoureux afin de s’assurer que l’utilisation identifiée constitue bien une violation. Il serait encore mieux d’avoir un processus qui soit approuvé par une entité parfaitement indépendante, suivi d’un examen public du résultat global.

Et puis il y a ces quelques pépites :

La CCI encourage tous les utilisateurs à sécuriser leurs réseaux privés, mais c’est encore plus important pour ceux qui ont reçu un avertissement à la violation de copyright (Copyright Alert).

En d’autres termes, si vous recevez un avertissement vous feriez mieux de verrouiller votre réseau, et vite. Comme nous (NdT : l’Electronic Frontier Foundation) l’avions expliqué, il semble que cela ait pour objectif de saper le mouvement pour un Wi-Fi ouvert, même si l’accès libre sans fil est largement reconnu comme bénéfique au public.

La responsabilité incombe aux abonnés de s’assurer que leur accès Internet n’est pas utilisé pour violer le copyright.

Pas tant que ça, au moins, pas d’après les lois pour le copyright, pas tant que des conditions supplémentaires ne sont pas remplies. Nous n’avons pas souhaité faire partie de la brigade de surveillance du copyright, mais si votre FAI a signé l’accord (AT&T, Cablevision, Comcast, Time Warner, and Verizon), vous avez souscrit à cette surveillance.

Et puis on retrouve les abus classiques et orientés de leur approche du copyright :

Quand vous créez un poème, une histoire ou une chanson, elle vous appartient, et personne d’autre ne peut s’en servir sans votre permission.

Encore raté : grâce au principe de l’usage raisonnable (fair use) d’autres personnes peuvent utiliser les œuvres que vous créez de différentes façons. C’est grâce à cela que nous sommes assurés du bon usage du copyright, permettant ainsi la créativité et l’innovation plutôt qu’une entrave.

Tout aussi inquiétant : le site du CIC renvoie les utilisateurs vers la Copyright Alliance pour en apprendre plus sur l’histoire du copyright. La Copyright Alliance est loin d’être une « ressource » neutre – il s’agissait de l’un des principaux acteurs du combat pour faire voter SOPA et elle reste un fervent défenseur du copyright tout-puissant.

En conclusion, le CIC entrera probablement en partenariat avec iKeepSafe pour développer un cursus sur le copyright au sein des universités publiques de Californie. Qui pourrait s’appeler « Sois un créateur : la valeur ajoutée du copyright ». Basé sur ce que l’on voit venir depuis longtemps, ce cursus devrait pouvoir aider les plus jeunes à comprendre les enjeux du copyright. Par ailleurs, cela apprendra aux plus jeunes comment les droits sur la création peuvent être acquis et les étapes de vérification avant l’utilisation de la création de l’œuvre.

Loin de nous l’idée de faire notre propre publicité, mais l’EFF a développé un cours visant à expliquer ce que la loi sur le copyright permet et interdit, et qui, nous l’espérons, encourage les étudiants à réfléchir de manière critique sur la créativité, l’innovation et la culture. De plus, il est sous licence CC (Creative Commons), ainsi, le CIC ne devrait pas hésiter à s’en servir, ça lui économisera du temps et de l’argent.

Dans le même temps, nous sommes déçus, pour ne pas dire désagréablement surpris, de l’approche du CIC en matière de surveillance et d’éducation. Suivez-nous pour plus d’informations à venir sur le CAS et ce que vous pouvez faire pour vous y opposer.

Crédit photo : Martin Fisch (Creative Commons By-Sa)




Passer de l’exercice scolaire à la maintenance des paquets (Libres conseils 28/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : satanas_g, Sphinx, Sky, Julius22, peupleLà, lamessen, goofy

Du débutant au professionnel

Jonathan Riddell

Jonathan Riddell est développeur KDE et Kubuntu, actuellement employé par Canonical. Quand il n’est pas devant un ordinateur, il fait du canoë sur les rivières d’Écosse.

Il y avait un bogue dans le code. Un bien méchant en plus : un plantage sans enregistrement des données. C’est bien là le problème dès qu’on regarde le code, on trouve des trucs à réparer. C’est facile de s’impliquer dans le logiciel libre ; le plus dur est d’en sortir. Après le premier bogue réparé, il y en a d’autres, et de plus en plus, tous à portée de main. Les corrections de bogues mènent à l’ajout de fonctionnalités, ce qui mène à la maintenance de projet, ce qui mène à faire fonctionner une communauté.

Tout a commencé en lisant Slashdot, cette masse d’actualité geek et technique peu filtrée avec des commentaires de quiconque peut recharger assez vite pour être en haut de liste. Chaque actualité était intéressante et excitante, apportait un éclairage nouveau sur le monde de la technologie qui finissait par me fasciner. Je n’avais plus à accepter ce qui m’était donné par de grandes entreprises de logiciels, je pouvais voir là, dans la communauté du logiciel libre, le code se développer devant moi.

En tant qu’étudiant, il était possible de finir les exercices donnés par les professeurs très rapidement. Mais les exercices ne sont pas des programmes terminés. Je voulais savoir comment appliquer les compétences basiques qu’ils m’avaient données dans le monde réel en écrivant des programmes résolvant des problèmes réels pour les gens. J’ai donc recherché du code, qui n’était pas difficile à trouver, il se trouvait là, sur Internet, en fait. En regardant le code des programmes que j’utilisais de plus près, j’y ai décelé de la beauté. Non pas parce que le code était parfaitement soigné ou bien structuré, mais parce que je pouvais le comprendre avec les concepts que j’avais déjà appris. Ces classes, méthodes et variables étaient bien en place, me permettant de résoudre les problèmes pertinents. Le logiciel libre est le meilleur moyen de franchir le pas entre savoir comment finir ses exercices de cours et comprendre comment de vrais programmes sont écrits.

Tous les étudiants en informatique devraient travailler sur du logiciel libre comme sujet de leur mémoire. Sinon, vous avez de grandes chances d’y passer six mois à un an pour qu’il finisse au sous-sol d’une bibliothèque sans être jamais plus consulté. Seul le logiciel libre permet d’exceller en faisant ce qui va de soi : vouloir apprendre comment résoudre des problèmes intéressants. À la fin de mon projet, des programmeurs de la NASA utilisaient mon outil de création de diagrammes en UML (NdT : langage de modélisation unifié) et il reçut des prix au cours de réceptions somptueuses. Avec le logiciel libre, on peut résoudre de vrais problèmes pour de vrais utilisateurs.

La communauté des développeurs est remplie de personnes formidables, passionnées et dévouées à leur travail, sans espoir autre de récompense qu’un programme d’ordinateur couronné de succès. La communauté des utilisateurs est également incroyable. Il est satisfaisant de savoir qu’on a aidé quelqu’un à résoudre un problème. Et j’apprécie les messages de remerciement que je reçois.

Après avoir écrit un logiciel utile, il faut le mettre à la disposition du plus grand nombre. Le code source ne va pas fonctionner pour la plupart des gens, il doit être compilé. Avant d’être impliqué, je trouvais que le fait de compiler était une manière un peu paresseuse de contribuer au logiciel libre. Vous vous attirez la plus grande partie de la reconnaissance sans rien avoir à coder. C’est, quelque part, quelque chose d’injuste. De même, la gestion de la communauté nécessaire pour porter un projet de logiciel libre peut aussi être vue comme une façon de s’attirer la reconnaissance sans faire de code.

Les utilisateurs dépendent beaucoup des packagers (NdT : les « empaqueteurs » qui préparent et maintiennent les paquets logiciels). Il est nécessaire que leur travail soit à la fois rapide, pour satisfaire ceux qui veulent la dernière version, et fiable, pour ceux qui veulent la stabilité (autant dire tout le monde). La partie la plus délicate, c’est que cela implique de travailler avec les logiciels des autres, qui sont toujours « cassés ». Une fois que le logiciel est lâché dans la nature, commencent à emerger des problèmes qui n’étaient pas repérables sur l’ordinateur de l’auteur. Il est possible que le code ne puisse pas être compilé avec une version de compilateur différente, peut-être que la licence n’est pas claire et ne permet pas de le copier, peut-être que la gestion des versions est incohérente et qu’une mise à jour mineure est incompatible, ou encore que la taille de l’écran est différente, les environnements de bureau peuvent aussi l’affecter, quelquefois, des bibliothèques tierces nécessaires ne sont pas encore à jour. De nos jours, le logiciel doit pouvoir tourner sur différentes architectures. Les processeurs 64 bits ont occasionné pas mal de problèmes quand ils sont devenus courants. Aujourd’hui, ce sont les processeurs ARM qui déjouent les calculs des codeurs. Les packagers doivent régler tous ces problèmes pour donner aux utilisateurs quelque chose qui fonctionne de façon fiable.

Nous avons une règle chez Ubuntu selon laquelle les paquets avec des tests unitaires doivent inclure ces mêmes tests dans le processus de la création des paquets. Souvent, ils échouent et l’auteur du logiciel nous dit que les tests sont uniquement à son usage. Malheureusement, quand il s’agit de logiciel, il n’est jamais assez fiable de le tester soi-même, il doit aussi être testé par d’autres. Un test unique est rarement suffisant, il faut une approche à plusieurs niveaux. Les tests unitaires du programme original devraient être le point de départ, ensuite, le packager les teste sur son propre ordinateur, il faut ensuite que d’autres personnes les testent aussi. L’installation automatique et les tests de mise à jour peuvent être scriptés assez correctement sur les services d’informatique dans le nuage. L’envoyer dans la branche de développement d’une distribution permet d’effectuer plus de tests avant de le voir distribué en masse quelques mois après. À chaque étape, des problèmes peuvent être et seront découverts, ils devront être corrigés, puis ces correctifs eux-mêmes devront être testés. Il n’y a donc pas forcément à écrire beaucoup de code, mais il y a pas mal de travail pour passer le logiciel de 95 % à 100 % prêt. Ces 5 % sont la partie la plus difficile, un lent et délicat processus qui demande une grande attention pendant tout son cours.

Vous ne pouvez pas faire de paquets sans une bonne communication avec les développeurs en amont. Quand des bogues se produisent, il est vital de pouvoir trouver la bonne personne à laquelle parler rapidement. Il est important d’apprendre à bien les connaître comme des amis et des collègues. Les conférences sont vitales pour cela, car rencontrer quelqu’un apporte beaucoup plus de contexte à un message sur une liste de diffusion qu’une année entière de messages.

Une des faces cachées du monde du logiciel libre réside dans la communication par les canaux IRC privés utilisés par les principaux membres d’un projet. Tous les grands projets en ont. Quelque part, Linus Torvalds a un moyen de discuter avec Andrew Morton et les autres sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais dans Linux. Ils sont plus sociaux que techniques et, quand on en abuse, ils peuvent être très antisociaux pour la communauté en général. Mais pour les moments où on a besoin d’un canal de communication rapide sans bruit parasite, ils fonctionnent bien.

Tenir un blog est un autre moyen de communication important dans la communauté du logiciel libre. C’est notre principale méthode pour promouvoir à la fois le logiciel que nous produisons et nous-mêmes. Non pas que ce soit utilisé éhontément pour de l’auto-promotion (il est inutile de prétendre que vous sauverez des vies avec votre blog…), mais parler de votre travail sur le logiciel libre aide à construire une communauté. Cela peut même vous valoir de trouver un travail ou d’être reconnu dans la rue.

Ces histoires venant de Slashdot, à propos de développements de nouvelles technologies, ne concernent pas des personnalités éloignées que vous ne rencontrerez jamais comme dans la presse people. Elles concernent des personnes qui ont trouvé un problème et qui l’ont résolu en utilisant l’ordinateur qu’elles avaient en face d’elles. Pendant quelques années, j’ai édité le site d’informations de KDE, trouvant les personnes qui résolvaient des problèmes, créaient des idées novatrices, s’acharnaient longuement à améliorer un logiciel jusqu’à ce qu’il soit d’une qualité suffisante, et j’en parlais au monde entier. Je n’ai jamais été à court d’histoires à raconter ni de personnes à présenter à tout le monde.

Mon dernier conseil est de conserver de la diversité. Il existe une telle richesse de projets intéressants à explorer, qui vous permettent d’apprendre et de progresser. Mais une fois que vous avez atteint une position de responsabilité, il peut être tentant d’y rester. Après avoir aidé à créer une communauté pour Kubuntu, je repars temporairement vers un travail sur Bazaar, un projet très différent, orienté sur les développeurs plutôt que sur des utilisateurs novices en technologies. Je peux à nouveau apprendre comment le code devient une réalité utile, comment une communauté communique, comment la qualité est maintenue. Ce sera un défi amusant et j’ai hâte de m’y attaquer.




Le défi du livre libre et gratuit est relevé

Breaking news…nouvelles cassantes…molto straordinario…Donner und Blitzen…urbi et orbi

Nous vous avions pourtant mis en garde, mais rien n’y a fait : bien avant la date limite qu’il avait ululée, Pouhiou a récolté les 2200 € qui vont servir à rendre son premier tome du cycle des Noénautes non seulement libre (il est déjà en CC0) mais en plus gratuit !

Et ça continue… Plus on contribue et plus nombreux seront les livres libérés !

On attend dans les prochaines heures le témoignage d’une victime collatérale – restez tunés !




Les lunettes Google Glass ou la fin définitive de notre vie privée ?

Google Glass c’est le projet Google de lunettes révolutionnaires à réalité augmentée. On nous promet leur commercialisation avant la fin de l’année. Une vidéo spectaculaire a été publiée récemment. Si vous ne l’avez pas encore vue, nous vous invitons à le faire car vous allez mieux comprendre la traduction qui suit.

Bientôt donc vous retrouverez quelque part avec des gens qui porteront ces lunettes. À tout moment, ceux-ci peuvent vous filmer à votre insu et mettre en ligne en temps réel la vidéo sur YouTube, non sans qu’un système automatisé de reconnaissance faciale et de tags vous ait peut-être identifié au passage !

Ce n’est plus de la science-fiction et comme Google n’est pas une entreprise philanthropique, on imagine sans peine l’impact majeur d’une telle innovation sur notre vie privée et le devenir de nos données personnelles.

Max Braun - CC by-sa

Gare aux Google Glasses !

Watch Out for Google Glasses

Anton Wahlman – 25 février 2013 – TheStreet.com
(Traduction : jtanguy, 3wen, Benoît, Jeanba88, misterk, goofy + anonymes)

D’ici la fin de cette année, notre société va subir un changement très particulier, qui va susciter beaucoup de controverses. La cause ? Les Google Glasses.

Les Google Glasses vont impacter les comportements sociaux dès leur mise en circulation. Au moment où vous les apercevez, vous savez que vous pouvez être filmé. Et les gens n’aiment pas être filmés.

Bien sûr, tous les smartphones peuvent enregistrer des vidéos et prendre des photos. Mais vous savez quand ça arrive. Vous n’avez pas constamment l’impression que tout le monde autour de vous est en train de vous filmer sous tous les angles. Vous les voyez faire quand ils le font.

Les Google Glasses sont différentes. Au-delà des photos et des vidéos, qu’advient-il de ces données ?

Imaginons que je sois derrière le guichet d’une entreprise : banque, restauration rapide, guichet d’enregistrement à l’aéroport, peu importe. Mes Google Glasses pourraient afficher le numéro de sécurité sociale, le casier judiciaire, la présence sur les réseaux sociaux, etc. de la personne en face de moi.

C’est peut-être un progrès pour certains mais d’autres trouveront cela terrifiant. Pouvez-vous imaginer la scène dans un bar où les gens commencent à porter des Google Glasses ? En l’espace d’une seconde ou deux, vous aurez toutes les informations disponibles à propos de la personne en face de vous. Et certaines de ces informations pourraient ne pas être flatteuses.

Les lieux publics devront élaborer de nouvelles politiques. Hôtels, aéroports, restaurants, salles de sport et écoles voudront avoir leur mot à dire concernant le port des Google Glasses dans leurs locaux. Vous pourrez entendre les tollés dès que les premières images de gens trichant dans les écoles, ou filmant dans les vestiaires seront publiées sur YouTube. De futurs conflits vont certainement très mal tourner.

D’autre dimensions du problème apparaissent aussitôt. Que se passera-t-il si les versions futures des Google Glass deviennent très difficiles à distinguer des lunettes traditionnelles ?

Aujourd’hui, que se passe-il si vous pénétrez dans un établissement en tenant une caméra qui filme les visages des gens, dans un restaurant, une banque ou une salle de sport ? On vous demandera d’éteindre votre caméra, et si vous n’obéissez pas rapidement, on vous jettera dehors.

Les Google Glasses vont rendre les interactions publiques et sociales très délicates car vous prenez le risque potentiel d’être sur YouTube quel que soit l’endroit où vous allez. Quelques mois après leur arrivée sur le marché, les Google Glasses pourraient être déjà si répandues que vous serez filmé dès que vous pointerez le nez dehors.

Défenseurs de la vie privée, en avant !

Les données photos et vidéos des Google Glasses ne vont pas être utilisées seulement par la personne qui porte les lunettes. La personne qui prend ces images voudra peut-être « taguer automatiquement » ces médias avec l’identité des personnes dans la photo ou vidéo.

Il y a des gens qui préfèrent passer sous les radars. Ils payent en liquide, n’utilisent pas de GPS en voiture, n’ont pas de téléphone, et ne sont membres d’aucun réseau social en ligne. Ils ont réussi à rester en-dehors de la plupart des bases de données disponibles publiquement.

Une fois qu’une partie significative de la population aura commencé à déambuler dans les rues avec des Google Glasses, ils ne le pourront plus vraiment. Il n’y aura plus de place pour se cacher, à moins que les gouvernements ne légifèrent sur ces Google Glasses, ou que les établissements privés décident de les interdire.

Qu’en est-il de Google lui-même ?

Les Google Glasses deviendront une arme décisive dans la guerre imminente pour les données personnelles. Si d’autres personnes les utilisent, pourquoi pas moi ? Je prédis que toutes les personnes avec suffisamment de moyens vont se ruer pour en obtenir, surtout si le prix baisse de 1 500$ à 1 000$, puis à 500$ et finalement en-dessous, lors des deux premières années de commercialisation.

Si Google arrive à sortir ce genre de lunettes avant ses concurrents directs, non seulement Apple, mais aussi Microsoft, son avance pourrait bien être décisive. Google possède déjà 70% des parts de marché des smartphones avec Android, donc il est plutôt bien parti, mais n’oublions pas que la part de marché des PC de Microsoft atteignait 95% il y a seulement quelques années.

Comme Google va probablement inventer un lien fort entre les Google Glasses et les smartphones Android, les Google Glasses vont être une véritable aubaine pour Android. N’importe qui regardera son iPhone et devra sérieusement envisager de passer à Android.

Les Google Glasses risquent de causer un chaos social, mais elles vont être très bénéfiques pour les finances de Google.

Crédit photo : Max Braun (Creative Commons By-Sa)




Et si l’ignorance était enrichissante ? (Libres conseils 27/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framablog : Sphinx, purplepsycho, Cyrille L.lamessen

Ce que je suis contente de ne pas avoir su

Alexandra Leisse

Alexendra Leisse a quitté une scène pour en rejoindre une autre. Elle a transformé son autre passion (les logiciels et le Web) en un métier. Après une période de transition de douze mois en freelance dans le logiciel et l’opéra — et noyée par de nombreuses heures d’activités dédiées à KDE, elle a rejoint Nokia et le développement de la plateforme Qt en tant que gestionnaire de la communauté Web. C’est la femme derrière le réseau de développement Qt et les activités de sa communauté sur la toile. Bien qu’elle soit diplômée en art lyrique, elle refuse la plupart du temps de chanter en public.

Introduction

Quand Lydia m’a demandé de rejoindre son projet de livre sous-titré « les choses que j’aurais voulu savoir », mon esprit est resté vide. Les choses que j’aurais voulu savoir mais que je ne savais pas ? Rien ne me venait à l’esprit.

Je ne dis pas que je n’aie pas eu besoin de savoir quoi que ce soit, au contraire. J’ai eu beaucoup à apprendre et j’ai fait un nombre incalculable d’erreurs. Mais les situations ou les erreurs que j’aurais voulu éviter ? Je n’arrive pas à y penser.

Nous avons tous cette fâcheuse tendance à regarder les choses que nous pourrions mieux faire, les choses que nous ne savons pas, et nous les voyons comme des faiblesses. Mais que dire des faiblesses qui sont des atouts ?

Voici ma propre histoire sur l’ignorance, la naïveté, les mauvaises impressions et comme je suis heureuse de ne pas en avoir eu la moindre idée.

Les noms

Je n’avais aucune idée de qui était ce gars que j’avais rencontré lors de mon premier jour de travail. Il est entré dans la pièce, s’est présenté et a commencé à poser des questions me donnant l’impression que tout ce que je penserais serait insensé. Il était apparemment bien renseigné sur ce que je faisais sur KDE et les personnes que je côtoyais. Cependant, nos points de vue sur le sujet semblaient différents. À un moment, ses provocations ont fini par me fatiguer et j’ai perdu patience. Je lui ai alors dit qu’avec les personnes, ce n’était pas toujours aussi facile que les ingénieurs l’imaginent.

Juste après son départ après une heure de discussion, j’ai cherché son nom sur Google : Matthias Ettrich. Ce que j’ai lu m’a expliqué pourquoi il avait posé ces questions. Si j’avais su avant qu’il était un des fondateurs du projet KDE, j’aurais débattu avec lui d’une manière bien différente, voire pas du tout.

Ces dernières années, j’ai dû chercher quelques noms et à chaque fois, j’ai été heureuse de le faire après le premier contact.

C’est probablement mon idée la plus importante. Lorsque j’ai rencontré toutes ces personnalités du Libre et de l’open source pour la première fois, je n’avais jamais entendu leurs noms auparavant. Je ne savais rien de leurs histoires, mérites ou échecs. J’ai approché tout le monde de la même façon : le contact visuel. En étant ignorante (ou naïve selon certains), je ne me sentais pas inférieure par rapport aux personnes que je rencontrais lorsque j’ai commencé mon aventure au sein du Libre et de l’open source. Je savais que j’avais beaucoup à apprendre mais je n’ai jamais eu l’impression d’avoir un rang inférieur aux autres en tant qu’individu.

« Projet de grande envergure »

Je n’avais pas suivi religieusement dot.kde.org ni PlanetKDE et encore moins ces innombrables publications liées au Libre et à l’open source, avant de commencer à m’intéresser à ce qui se passait sur les listes de diffusion KDE. Je voyais ces canaux avant tout comme moyen de communiquer avec un public choisi, principalement des utilisateurs et des contributeurs du projet en tant que tel.

Pendant un certain temps, je n’avais pas conscience que les articles que je publiais sur The Dot pourraient être repris par des journalistes. Je m’appliquais à les écrire parce que je voulais faire du bon boulot et non pas parce que j’avais peur de passer pour folle auprès du reste du monde. La liste de presse était maintenue par d’autres personnes et ce que j’écrivais ne me paraissait pas important non plus. Je voulais toucher certaines personnes. Pour cela les canaux officiels et mon propre blog me semblaient être les moyens les plus efficaces.

Être citée sur ReadWriteWeb après avoir annoncé sur mon blog que je commencerai un nouveau boulot fut un choc pour moi. Non pas parce que j’ignorais que des gens lisaient ce que j’écrivais (j’espérais bien qu’ils le lisent !) mais je ne m’attendais pas à ce que ça soit un sujet d’une telle importance. Ce n’était même pas pendant les vacances d’été. Encore heureux que personne ne me l’ait dit, je n’aurais pas été capable de publier ne serait-ce qu’une seule ligne.

L’œil étranger

Il y a quelque temps, quand j’ai assisté à ma première conférence, j’avais la ferme conviction que j’étais différente des autres participants. je me voyais comme une étrangère parce que je n’avais pas grand-chose en commun avec qui que ce soit à part un vague intérêt pour la technologie : je travaillais en freelance depuis quelques années déjà, après mon diplôme universitaire ; je n’avais aucune éducation pertinente dans le domaine, et j’étais mère d’un enfant de 10 ans. Sur le papier en tout cas, il ne pouvait pas y avoir plus éloignée des suspects habituels qu’on rencontre dans les projets FOSS.

En 2008 j’ai assisté à un sprint (NdT : phase de développement, généralement perçue comme intense, aboutissant à un produit fonctionnel) KOffice au sein de l’équipe promotion et marketing de KDE pour préparer la sortie de la version 2.0. L’idée initiale était d’esquisser une série d’activités promotionnelles autour de cette sortie afin de développer à la fois le support développeur et utilisateur. Pour celui-ci, nous étions trois à suivre un chemin parallèle à celui concernant les développeurs.

Nous avons essayé de comprendre comment nous pourrions positionner KOffice et adapter la communication au public ciblé. Très tôt dans le processus, nous avons découvert que nous devions faire marche arrière : à ce stade, le manque de maturité de la suite rendait impossible son positionnement comme option pour les utilisateurs non avertis. Nous devions nous en tenir aux développeurs et aux précurseurs. C’était difficile à vendre à certains développeurs, mais en tant qu’étrangers nous avions la chance de regarder le logiciel sans penser à tout le sang, la sueur et les larmes versés dans le code.

Pour beaucoup de projets, de n’importe quelle sorte, jeter un œil objectif à la situation donne du fil à retordre aux contributeurs principaux. Nous avons tendance à ne pas voir les grands succès quand nous sommes très concentrés sur des problèmes de détails et réciproquement. Parfois, nous manquons une occasion parce que nous pensons que ça n’a rien à voir avec ce que nous faisons (ou, pour commencer, parce que personne ne voudrait que ça ait quelque chose à voir).

Dans tous ces cas, les contributeurs extérieurs au projet ont le potentiel pour apporter des points de vue différents à la discussion, particulièrement quand il s’agit de déterminer un ordre de priorité. C’est encore plus utile quand ce ne sont pas des développeurs : ils poseront différentes questions, sans ressentir de pression face à la connaissance et à la compréhension de tous les détails techniques ; ils peuvent aussi aider pour les décisions ou la communication sur un plan moins technique.

Conclusion

L’ignorance est une bénédiction. Ce n’est pas seulement vrai pour les individus qui profitent de l’insouciance qui en résulte mais aussi pour les projets que ces individus rejoignent. Ils apportent différents points de vues et expériences.

Et maintenant, filez et trouvez vous-même un projet qui vous intéresse, indépendamment de ce que vous pensez savoir.




Prendre du champ (Libres conseils 26/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Lycoris, grosfarmerlin8282, Sky, Julius22, _noskill, Nyx, lenod, KoS, lerouge, alexb, Ex0artefact, name?, SaSha_01, peupleLàlamessen

Prendre de la distance pour atteindre l’excellence

Jono Bacon

Jono Bacon est gestionnaire de communauté, directeur technique, consultant et auteur. Il travaille actuellement comme gestionnaire de la communauté Ubuntu chez Canonical. Il dirige une équipe afin de faire croître, de stimuler et d’enthousiasmer l’ensemble de la communauté Ubuntu. Il est l’auteur d’Art of Community, le fondateur du Community Leadership Summit et le cofondateur du populaire podcast LugRadio.

Jono Bacon au tableau blanc

La première fois que j’ai entendu parler de Linux et d’open source remonte à 1998. La technologie était alors horriblement compliquée et il fallait fournir de gros efforts pour obtenir un système qui tourne correctement ; pourtant, le concept d’une communauté collaborative globale me subjugua. À l’époque, je ne possédais aucune connaissance, mes compétences techniques étaient limitées et j’avais des boutons.

J’étais un adolescent typique : tourmenté, cheveux longs, T-shirt Iron Maiden. Mon chemin était déjà tout tracé, au sens le plus traditionnel ; j’irais à l’école, puis au lycée, puis à l’université, puis je trouverais un travail.

Quatorze ans plus tard, le chemin que j’ai finalement suivi n’a rien de conventionnel. Cette fascination personnelle envers le communautaire m’a conduit partout dans le monde et m’a lancé des défis captivants. C’est intéressant de prendre du recul et d’analyser cette période. Enfin, ça pourrait être intéressant pour moi… Vous préférerez peut-être passer au chapitre suivant…

… Toujours avec moi ? OK, allons-y.

La science contre l’art

J’ai toujours cru que la gestion d’une communauté était moins une science qu’un art. Je définis la science comme l’exploration de méthodes permettant de reproduire des phénomènes à travers des étapes établies et clairement comprises. Dans le monde de la science, si vous connaissez la théorie et la recette pour un résultat donné, vous pouvez souvent reproduire ce résultat comme tout un chacun.

L’art est différent. Il n’y a pas de recette pour produire une chanson populaire, pour créer une peinture exceptionnelle ou pour sculpter une statue magnifique. De même, il n’y a pas vraiment d’ensemble d’étapes reproductibles pour créer une communauté prospère. Bien sûr, il y a des astuces et des techniques pour parvenir à réunir certaines composantes du succès, mais c’est la même chose pour les autres formes d’art : nous pouvons tous apprendre les notes et les accords d’une guitare, mais cela ne veut pas dire que nous allons écrire la prochaine Bohemian Rhapsody. La formule qui donne naissance à un titre comme Bohemian Rhapsody, c’est une dose de compétence acquise et une dose de magie.

Je ne suggère cependant pas que la gestion de communauté soit une forme d’art désespérément branchée et introvertie que seuls quelques bienheureux élus très talentueux peuvent accomplir. Ce dont je me plains est qu’il n’y ait pas de manuel sur la façon de créer une communauté magnifique et enthousiasmante ; il s’agit toujours d’une dose d’apprentissage et d’une dose de magie mais la part de magie ne vous sera pas insufflée par la grâce des dieux ; il vous faudra plutôt la chercher en essayant de nouvelles voies, en restant à l’écoute des retours et en évaluant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

C’est plutôt frustrant car cela veut dire que cette « magie » ne s’obtient pas en suivant une recette unique. Mais il reste la possibilité de partager les compétences acquises, comme j’ai cherché à le faire avec The Art of Community 1 et la conférence annuelle Community Leadership Summit 2.  

Avant de commencer mon introspection, et pour ceux que ma carrière n’ennuie pas mortellement, je vais résumer rapidement les communautés avec lesquelles j’ai travaillé afin de poser le contexte. En bref, j’ai commencé dans mes jeunes années chevelues par la création de l’un des premiers sites web communautaires britanniques sur Linux, appellé Linux UK, et j’ai intégré la communauté des Groupes d’utilisateurs de Linux (Gul). Je me suis ensuite lancé dans la création de mon propre Gul à Wolverhampton, au Royaume-Uni, et j’ai fondé le projet Infopoint pour encourager les Gul à prêcher Linux sur les salons informatiques du Royaume-Uni. J’ai ensuite poursuivi en contribuant à la communauté KDE et en fondant le site KDE::Enterprise ; j’ai établi le KDE Usability Study et contribué de-ci, de-là à diverses petites applications. J’ai ensuite fondé le groupe d’utilisateurs PHP des West Midlands. J’ai aussi commencé à m’intéresser à GNOME. J’ai développé quelques applications (GNOME iRiver, XAMPP Control panel, Lernid, Acire) et également participé à la conception et un peu au code d’une nouvelle application audio simplifiée appelée Jokosher. C’est à peu près à cette époque que j’ai co-fondé le podcast LugRadio qui fonctionna pendant quatre ans avec plus de deux millions de téléchargements, ce qui a entraîné la mise en place de cinq événements en direct au Royaume-Uni et aux États-Unis. À cette époque, j’ai également commencé à travailler comme consultant open source pour l’initiative publique OpenAdvantage. Là, j’ai vraiment eu l’occasion de me faire les dents sur le communautaire en aidant des organisations à travers tout les West Midlands à passer à l’open source. Après quelques années passées chez OpenAdvantage, je suis parti rejoindre Canonical comme gestionnaire de la communauté Ubuntu où j’ai mis en place une équipe de quatre personnes. Ensemble, nous nous investissons dans des projets très variés chez Ubuntu et Canonical. Vous êtes toujours là ?

Ouah, vous êtes tenace. Ou assommé d’ennui. Probablement assommé. Il y aura interro à la fin, ça vous apprendra…

Réfléchir

Ceci m’amène donc à l’objet de cet article : la curieuse question de savoir ce que je me dirais si je savais ce que je sais aujourd’hui. À ce jour, je pense que ce que j’ai appris au cours de ma carrière peut se diviser en deux grosses catégories :

Pratique — les trucs et astuces du métier, par exemple, les différentes approches des moyens de communication, les différentes façons d’utiliser la technologie, la gestion du temps, les différentes approches de la gestion de projet, etc.

Personnel — les leçons de vie et apprentissages qui modifient l’approche que nous avons de notre monde.

Je ne vais pas m’étendre sur la catégorie pratique — vous devriez lire mon livre si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet (le livre couvre aussi l’aspect personnel). Aujourd’hui, je vais plutôt m’intéresser aux leçons de vie. Les approches et les pratiques changeront toujours, mais les leçons que l’on en tire ne changent pas tant que ça : elles évoluent plutôt au fur et à mesure que votre sagesse grandit.

L’importance des convictions

Les communautés sont fondamentalement des réseaux de personnes poussées par leurs convictions. Chaque communauté possède son propre état d’esprit et un domaine d’expertise propre. Cela peut être une idée aussi grandiose que de rassembler l’intégralité des savoirs de l’humanité, changer la face du monde avec le logiciel libre ou, plus simplement, animer un « club » pour que les gens puissent échanger autour de leurs livres préférés. Que ce soit pour changer le monde ou simplement pour s’amuser, chaque communauté fait valoir son propre système de valeurs ; l’humble club de lecture accorde beaucoup de valeur au fait de fournir un environnement amusant, sécurisé et libre afin de pouvoir partager des avis et des conseils de lecture. Cela ne change pas le monde, mais cela reste toujours une bonne chose à laquelle n’importe qui peut se rallier.

La règle, souvent tacite, d’une communauté est que chaque contribution d’un membre de la communauté doit bénéficier à l’ensemble de celle-ci. C’est pourquoi il est amusant d’écrire un correctif pour un bogue d’un logiciel libre, de contribuer à la documentation ou d’organiser un événement gratuit. Mais il est rare que quiconque veuille contribuer de façon bénévole si sa contribution ne bénéficie qu’à une seule personne ou entreprise.

Bien sûr, je suis certain que vous tous, enfoirés cyniques que vous êtes, allez chercher et trouver une exception. Mais souvenez-vous que cette décision est profondément personnelle : les membres de la communauté décident par eux-mêmes si leur contribution doit bénéficier à tous. Par exemple, certains vont arguer que n’importe quelle contribution à Mono va seulement bénéficier à Microsoft et à l’ubiquité de leur infrastructure .NET. Mais des centaines de contributeurs participent à Mono parce qu’ils ne le voient pas de cette manière : ils voient leurs contributions comme un moyen utile et amusant de permettre aux développeurs d’écrire des logiciels libres plus facilement.

Si je devais parler au Jono de 1998, j’insisterais sur l’importance de cette conviction. J’avais alors une intuition à ce propos, mais je ne compte plus les exemples qui m’ont prouvé depuis que cette conviction incite réellement les gens à participer. J’ai souvent parlé de l’histoire du gamin d’Afrique qui m’a envoyé un courriel pour me dire qu’il devait marcher trois heures aller-retour jusqu’au cybercafé le plus proche pour contribuer à Ubuntu. Il le faisait car il était convaincu par notre mission d’apporter le logiciel libre aux masses. On pourrait aussi citer l’énorme croissance de Wikipédia, l’incroyable réunion de la communauté GNOME autour de GNOME 3, le succès d’OpenStreetMap et bien d’autres exemples.

Ceci dit, la conviction n’est pas juste un artifice pour les relations publiques. Il faut qu’elle soit réelle. Bien que nous ayons tous des convictions différentes — certains ont des convictions sur le logiciel, sur l’éducation, sur le savoir, sur la transparence ou sur n’importe quoi d’autre — vous ne pouvez pas fabriquer un système de convictions à moins qu’il n’ait un but valide, auquel un groupe puisse s’intéresser. Certes, il peut être obscur, mais il doit être réel. Avec le succès du mouvement open source, nous avons vu des exemples d’entreprises qui tentaient de jouer cette approche et ce registre sémantique autour de la conviction, mais dans le but de servir leurs propres besoins. Je pourrais essayer de vous faire adhérer à cette idée : « Travaillons tous ensemble pour aider Jono à devenir riche » et fabriquer de toutes pièces quelques sophismes pour justifier de cette acte de foi (par exemple, si j’étais riche, je pourrais me concentrer sur d’autres travaux, au bénéfice d’autres communautés ; mes enfants seraient élevés et éduqués dans de bien meilleures conditions, ce qui profiterait à tout le monde), mais ce serait n’importe quoi.

En tant que telle, la conviction est un puissant moteur pour la contribution comme pour la collaboration, mais il est important de l’utiliser de manière équilibrée et de l’associer au respect. Alors qu’elle peut déclencher d’incroyables changements, elle peut être terriblement dévastatrice (comme c’est le cas avec certains prédicateurs à la TV qui utilisent la religion comme un moyen de vous soustraire de l’argent, ou encore les faux médiums qui utilisent la lecture à froid et s’accrochent à votre besoin désespéré de croire que vous pouvez à nouveau vous connecter à un être cher disparu).

Votre rôle

Aujourd’hui, les gestionnaires de communauté ont un rôle intéressant. Par le passé, j’avais parlé de deux types de gestionnaires de communauté ; ceux qui sortent, font des conférences et s’agitent en parlant d’un produit ou d’un service et ceux qui travaillent avec une communauté de volontaires pour les aider à connaître une expérience collaborative, productive et amusante. Le second type m’intéresse plus — je pense que c’est ce que fait un vrai gestionnaire de communauté. Le premier de ces positionnements est tout à fait sympa et respectable mais cela convient mieux dans le domaine de la promotion et des relations publiques et cela nécessite d’autres compétences. J’ai quelques conseils que je pense être assez intéressants pour être partagés.

La première et probablement la plus importante des leçons est d’accepter que vous pouvez et allez parfois avoir tort. Jusqu’ici, dans ma carrière, j’ai fait certaines choses correctement et j’ai commis des erreurs. Bien que je croie être généralement sur le bon chemin et que l’essentiel de mon travail soit couronné de succès, il y a eu quelques flops ici ou là. Ces loupés, accidents et faux pas n’ont jamais été dus à de la malveillance ou de la négligence ; ils ont plutôt été causés par une sous-estimation de la difficulté de mon objectif.

Ça a l’air assez évident, mais ça l’est moins quand vous avez une fonction relativement publique. En gros, les gestionnaires de communautés sont souvents vus comme les représentants d’une communauté donnée. Par exemple, je sais qu’à titre personnel, on me considère comme l’une des figures publiques d’Ubuntu et cette responsabilité, s’accompagne d’une certaine pression publique quant à la manière dont les gens vous perçoivent.

Avoir les projecteurs braqués sur soi en se retrouvant à la tête d’une communauté déclenche chez certains un mécanisme défensif. Ils reculent à l’idée de faire des erreurs en public, comme si les masses dans leurs bavardages s’attendaient à une prestation parfaite. C’est dangereux, et on a déjà vu, par le passé, des personnages publics qui ne reconnaissent jamais avoir fait une erreur par crainte d’être ridicules en public. Non seulement, c’est une idée fausse (nous faisons tous des erreurs), mais cela ne donne pas non plus à la communauté un bon exemple de chef de file honnête et transparent tant dans les choses qu’ils font bien que dans celles qu’ils font moins bien. Il est important de se rappeler que nous gagnons souvent le respect d’autrui par leur acceptation de nos erreurs : c’est la caractéristique d’un individu honnête et accompli.

Je me rappelle mes débuts en tant que responsable chez Canonical. À l’époque, Colin Watson et Scott James Remnant, deux vieux briscards des tous débuts de Canonical et d’Ubuntu, faisaient aussi partie des responsables de l’équipe d’ingénierie d’Ubuntu. Nous avions des réunions hebdomadaires avec notre directeur technique, Matt Zimmerman, et j’y entendais régulièrement Colin et Scott avouer ouvertement qu’ils étaient mauvais dans ceci ou avaient fait une erreur dans cela ; ils étaient étonnamment humbles et acceptaient leurs forces et leurs faiblesses. En tant que responsable débutant, je l’ouvrais moins souvent, mais cela m’a appris que ce genre d’ouverture d’esprit et d’honnêteté est important non seulement en tant que responsable, mais en tant que leader d’une communauté. Depuis, je n’hésite plus à admettre publiquement mes erreurs ou à m’excuser si je foire quelque chose.

Écouter

De même qu’être ouvert aux erreurs est primordial, il est tout aussi important d’être à l’écoute et d’apprendre de ses pairs. Dans de nombreux cas, nos communautés perçoivent les responsables et les leaders de communauté comme des personnes qui devraient toujours fournir des orientations et des directions, mener activement le projet et réaliser ses objectifs. C’est sans aucun doute une responsabilité. Mais tout autant qu’être la voix qui montre la voie, il est important de prêter l’oreille pour écouter, guider quand c’est opportun et apprendre de nouvelles leçons et idées.

Les membres de nos communautés ne sont pas juste des mécaniques froides et insensibles qui font leur travail. Ce sont des humains qui vivent, respirent, ont des opinions, des sentiments et des idées. J’ai vu de nombreux exemples — et j’en ai déjà moi-même provoqué —, de ces situations où quelqu’un est tellement habitué à donner des instructions et des conseils qu’il oublie parfois de simplement s’asseoir, écouter et apprendre de l’expérience de quelqu’un d’autre. Toute industrie possède ses maîtres-à-penser et ses experts… des gens célèbres et reconnus pour leur sagesse. Mais, d’après mon expérience, certaines des leçons de vie les plus révolutionnaires que j’ai apprises sont venues de membres tout à fait anonymes, ordinaires. Savoir écouter les gens n’est pas seulement important pour nous aider à apprendre et à nous améliorer dans ce que nous faisons, c’est également essentiel pour gagner le respect et avoir de bonnes relations avec sa communauté.

Temps de travail contre temps libre

Pendant que je parle de la façon dont nous collaborons avec notre communité, il y a un autre résultat de mon expérience que je n’ai vraiment assimilé qu’assez récemment. Comme beaucoup de gens, de nombreux centres d’intérêts remplissent mes journées. À part être marié et essayer d’être le meilleur mari possible, et à part mon travail quotidien en tant que gestionnaire de la communauté d’Ubuntu, je participe aussi à des projets tels que Severed Fifth, le Community Leadership Summit et quelques autres choses. Comme on pourrait s’y attendre, je consacre mes journées à mon travail rémunéré : au boulot, je ne passe pas de temps à travailler sur ces autres projets. Et, comme on pourrait s’y attendre, lorsque ma journée de travail se termine, je me mets à travailler sur ces autres projets. La leçon qu’il faut retenir ici, c’est qu’il n’est pas toujours clair pour votre communauté de savoir où tracer les limites.

Au fil des années, j’ai développé toute une série de services en ligne que j’utilise tant dans mon travail qu’à titre personnel. Mes comptes Twitter, identi.ca et Facebook, mon blog et d’autres ressources sont les endroits où je parle de ce que je fais. Le problème est que si l’on tient compte de leur caractère public, du fait que je suis un représentant officiel du projet Ubuntu et de tous les fuseaux horaires autour du globe, même Einstein aurait du mal à faire la différence entre ce que j’écris en tant que Jono et ce que j’écris pour le compte de Canonical.

Ce qui a pu causer de la confusion. Par exemple, malgré mes clarifications répétées, OpenRespect n’est pas et n’a jamais été une initiative de Canonical. Bien sûr, quelques idiots ont choisi d’ignorer mes explications à ce sujet mais je comprends néanmoins comment la confusion a pu arriver. La même chose s’est produite pour d’autres projets tels que Severed Fifth, The Art of Community et le Community Leadership Summit, qui ne font pas et n’ont jamais fait partie de mon travail chez Canonical.

C’est une leçon pour moi car j’ai moi-même partagé un moment, cette vision des choses et disais : « Évidemment que c’est activité de loisirs, j’ai posté ça à 20 h. » tout en haussant les épaules à propos de la confusion entre travail et projets personnels. Quand votre travail vous met dans une position relativement publique, vous ne pouvez pas vous offrir le luxe de voir les choses comme ça. Au contraire, vous devez considérer que les gens vont avoir tendance à faire la confusion et que vous allez devoir travailler plus dur pour bien clarifier les choses.

Ne voyagez pas trop

À propos du travail pour une société qui vous a recruté pour être à la tête d’une communauté, vous devriez toujours avoir conscience des risques comme des bénéfices des voyages. C’est une chose que j’ai apprise assez tôt dans ma carrière chez Canonical. Je voyais toujours les mêmes têtes dans les conférences, et il était évident que ces personnes avaient très bien communiqué sur les bénéfices des voyages auprès de leurs employeurs, tout comme je l’avais fait, sauf que j’en ai aussi appris les dangers.

Je voyageais et ce n’était pas seulement un travail fatigant et épuisant psychologiquement, mais j’étais aussi plus loin de mes courriels, moins présent sur IRC, j’étais dans l’impossibilité d’assister à de nombreuses réunions et j’avais moins de temps à consacrer à mes engagements professionnels. Ainsi, mon rôle était principalement devenu de sortir et d’aller assister à des événements et, même si c’était amusant, cela ne rendait pas autant service à ma communauté qu’il l’aurait fallu. Aussi ai-je drastiquement réduit mes déplacements — pour tout dire, je suis allé au Linux Collab Summit il y a quelques jours, et hormis quelques événements d’Ubuntu auxquels je devais assister, je n’ai assisté à aucune conférence depuis près d’un an. J’ai l’impression à présent d’être allé un peu trop loin dans l’autre direction. Tout est donc une question d’équilibre. Mais j’ai aussi le sentiment de mieux servir ma communauté quand je peux prendre le temps d’être au bureau et d’être en ligne et disponible.

La planification

Pour certains, être à la tête d’une communauté, ou simplement l’animer, est un rôle qui tient moins de la structure pré-établie que du fait d’être réactif. À mes débuts, c’est également ce que je pensais. Bien qu’il n’y ait absolument aucun doute sur la nécessité de se montrer réactif et de pouvoir répondre aux choses qui se présentent, il est également essentiel de planifier suffisamment son travail sur une période donnée.

Cette planification devrait être effectuée de manière ouverte quand c’est possible et remplit plusieurs objectifs :

Partager la feuille de route — ça aide la communauté à comprendre sur quoi vous travaillez et lui offre souvent des opportunités de vous aider.

Apporter des garanties — ça prouve qu’un responsable de communauté fait quelque chose. Votre communauté peut constater votre travail effectif à l’œuvre. C’est très important puisque la majeure partie du travail d’un responsable de communauté s’effectue souvent sans que la communauté au sens large en ait connaissance (par exemple, avoir une conversation en tête à tête avec un des membres de la communauté). Et ce manque de visibilité peut parfois générer des inquiétudes sur le fait que peu de choses se produisent dans des domaines-clé alors qu’en fait, beaucoup de choses se produisent en coulisses.

Communiquer les progrès vers le haut et vers le bas de l’organisation — c’est pertinent si vous travaillez dans une entreprise. Avoir établi de bons processus de planification montre votre travail effectif à votre hiérarchie ; ça rassure votre équipe sur le fait que vous saurez toujours sur quoi travailler et ça donne beaucoup de valeur ajoutée à la communauté.

Au fil des années, j’ai attaché de plus en plus d’importance à la planification. Mais je garde suffisamment de temps et de flexibilité pour rester réactif. Quand j’ai débuté comme gestionnaire de la communauté Ubuntu, mon planning était plutôt personnel et je le gérais au coup par coup : je prenais le pouls de la communauté et je consacrais temps et moyens à m’occuper des domaines que je jugeais adéquats.

À présent, je répartis les objectifs dans un ensemble de projets qui couvrent chacun un cycle d’Ubuntu, je rassemble des informations avec les parties prenantes, je compose une feuille de route, je fais le suivi du travail dans des schémas directeurs. J’estime également les progrès effectués en utilisant toute une gamme d’outils et de processus tels que mon diagramme des tâches réalisées, des réunions régulières et d’autres encore. Bien que la méthode actuelle nécessite plus de planification, elle est d’une aide significative en termes de bénéfices sur les points cités ci-dessus.

Perception et conflit

Dans le monde de la gestion et de la gouvernance de communautés, j’entends souvent s’exprimer l’avis selon lequel tout serait affaire de perception. En règle générale, quand j’entends ça, c’est en réponse à quelqu’un qui se trouve du mauvais côté du bâton, le plus souvent au cours d’une période de conflit.

Bien sûr, la perception joue un rôle important dans nos vies, c’est vrai ; mais ce qui peut alimenter des perceptions erronées ou inadéquates, c’est le manque d’information, de mauvaises informations et, dans certains cas, des tensions et des tempéraments échauffés. Cela peut être une des tâches les plus complexes pour celui qui est à la tête de la communauté. Et j’en suis ressorti en tirant quelques leçons dans ce domaine également.

Les communautés sont des groupes de personnes et, dans chaque groupe, on trouve souvent des rôles stéréotypés dans lesquels les gens se glissent. On y trouve, en général, quelqu’un que l’on considère comme une rockstar ou un héros, quelqu’un de compréhensif pour les préoccupations et les soucis et qui prêtera son épaule pour pleurer, quelqu’un qui a son franc-parler et souvent quelqu’un qui est… disons… intentionnellement pénible. Les héros, les oreilles compatissantes et les grandes gueules ne posent pas particulièrement de problèmes, mais les personnes qui créent délibérément des difficultés peuvent être pénibles ; lorsqu’il devient carrément difficile de gérer une personne, cela peut provoquer des tensions avec les autres membres et amener du conflit dans une communauté qui, sinon, est heureuse. Il faut étouffer ce genre de problèmes dans l’œuf.

Une partie du défi, ici, c’est que les gens sont des gens, que les groupes sont des groupes et qu’il n’est pas rare qu’une personne (ou un petit nombre de personnes) se fasse connaître et soit critiquée derrière son dos et passe pour quelqu’un avec qui il est difficile de travailler. En plus de cela, la plupart des gens n’ont pas envie d’être impliqués dans un quelconque conflit et, du coup, la personne dont on se plaint ne peut pas toujours se rendre compte de la façon dont les gens la perçoivent, étant donné que personne ne veut la confronter à ce sujet. Il en résulte une des situations les plus dangereuses pour les membres d’une communauté — une réputation se propage, sans même que la personne concernée ne s’en rende compte. Et du coup, puisqu’elle ne le sait pas, elle n’a jamais l’occasion de changer de comportement. C’est une situation plutôt inconfortable.

Une réponse habituelle à cette conclusion consiste à dire : « ils sont si difficiles à gérer qu’essayer de les raisonner c’est peine perdue, de toute façon ». Même si cela se produit certainement de temps à autres, ne supposez pas trop vite que ce sera l’issue ; j’ai quelquefois eu la désagréable expérience de sentir que je devais faire savoir à certaines personnes, la réputation qu’elles avaient développée. Et, dans la plupart des cas, cela a été une réelle surprise pour elles. Et elles ont quasiment toutes modifié leur comportement après ce retour.

Sur un sujet lié, bien que ça n’est pas si courant dans la routine quotidienne d’un leader de communauté, un conflit va souvent se pointer ici ou là. Je voudrais juste partager deux éléments à ce propos.

La première chose, c’est de comprendre comment les conflits naissent. Pour expliquer cela, permettez-moi de vous raconter une anecdote. La semaine dernière, un de mes amis est venu en avion dans la baie de San Fransisco pour une conférence. Il est arrivé le soir, je suis donc allé le chercher à l’aéroport et nous sommes allés au pub pour discuter des dernières nouvelles. Là-bas, il commença à me raconter à quel point il était déçu d’Obama et de son administration. Il a cité des exemples : la réforme de la sécurité sociale, la réforme de Wall Street, les droits du numérique et d’autres choses. Ce qui l’embêtait n’était pas la politique menée en elle-même, mais il trouvait qu’Obama n’en faisait pas assez. Ma vision des choses était légèrement différente.

Je ne suis ni Démocrate, ni Républicain ; je prends ma décision sur chaque problème, sans m’aligner sur l’une ou l’autre des parties. Là où je diffère de mon ami, cependant, c’est que je suis un peu plus favorable à Obama et son travail quotidien. C’est parce que je crois que lui, et que n’importe qui dans un poste en relation avec le public — qu’il soit internationalement reconnu comme le président ou qu’il soit obscur et spécifique comme un gestionnaire de communauté — a conscience que l’histoire lue et comprise par le public est souvent un simple fragment de l’histoire complète. Il y a eu des cas, par le passé, où quelque chose de controversé a démarré dans les communautés auxquelles j’appartenais. De nombreux commentateurs et spectateurs n’avaient pas l’entière connaissance des faits, soit parce qu’ils n’avaient pas compris les nuances et les détails du sujet, soit parce que certains éléments de l’histoire n’avaient pas été partagés.

Bon, je sais ce que vous allez dire — , quoi, certains éléments n’avaient pas été partagés !? Il vaudrait mieux être transparent, n’est-ce pas ? Bien sûr que c’est nécessaire. Et nous devrions toujours nous attacher à être ouverts et honnêtes. Mais il y a des cas où il serait inapproprié de partager certaines parties de l’histoire. Cela pourrait être en raison de fragments de conversations privées avec des gens qui ne souhaitent pas partager leurs commentaires ou tout simplement faire son boulot bien comme il faut sans éclabousser les réputations. Par exemple, j’ai toujours eu comme pratique de ne pas faire de coups bas à des concurrents, peu importe la situation. Par le passé, il y a eu des comportements critiquables de la part de certains concurrents dans les coulisses. Mais je ne vais pas me mettre à salir leurs réputations car cela n’aurait pas vraiment d’intérêt. Je dois cependant accepter que des critiques de la communauté peuvent ne pas connaître toute la situation avec toutes les magouilles ayant eu lieu dans les coulisses.

Enfin, à propos de conflits, je crois que j’ai appris une vraie leçon de vie au sujet de l’approche idéale à propos des critiques et des issues heureuses. Bien que les billets de blogs aient eu un impact très positif sur la manière dont les gens peuvent exposer leur pensée et partager leurs opinions et visions des choses, ils présentent une facette bien plus sombre. Les blogs sont aussi devenus un moyen d’exprimer parfois un peu trop rapidement des opinions excessivement zélées. Malheureusement, j’ai un exemple plutôt embarrassant de quelqu’un qui est tombé dans ce piège : c’est votre serviteur.

Pour commencer, quelques éléments de contexte. Il existait une entreprise appelée Lindows qui distribuait une version de Linux qui présentait beaucoup de similarités visuelles et fonctionnelles avec Windows. Microsoft voulout interdire l’emploi du nom « Lindows » et une bataille s’engagea pour changer le nom. D’abord, Lindows résista. Mais après que la pression eut monté, l’entreprise se rebaptisa Linspire.

Maintenant, le problème. Je prends la liberté de l’expliquer dans les termes de l’article lui-même :

Il y a peu de temps, un type nommé Andrew Betts a décidé de retirer les éléments non-libres de Linspire et de publier les parties libres dans une distribution dérivée de Linspire qu’il a appelée Freespire. Le fait de rediffuser des distributions ou du code n’a certainement rien de nouveau et s’inscrit parfaitement dans la culture de l’open source. À vrai dire, bien des distributions que nous utilisons aujourd’hui ont été dérivées d’outils existants.

Malheureusement, Linspire a considéré que c’était un problème et a demandé à Freespire de changer de nom. En lisant l’annonce du changement, son langage et son style, j’ai l’impression que tout ça pue le pur marketing. Loin de moi l’idée d’insinuer que Betts a été contraint d’écrire cette page ou que les drones marketing de Linspire l’ont écrite et annexée en son nom, mais cela ne me semble pas sonner très juste. Je me serais attendu à trouver des lignes du style « Le nom de Freespire a été changé pour Squiggle afin d’éviter toute confusion avec le produit Linspire. », mais ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, on a droit à des morceaux choisis de marketing comme « Afin de prévenir toute confusion, j’ai contacté Linspire qui m’a fait une offre extrêmement généreuse pour nous tous. » La vache ! Quelle peut bien être cette offre-exclusive-qu’on-ne-rencontre-qu’une-fois-dans-sa-vie-et-qu’on-ne-trouve-pas-dans-les-magasins ? Fort heureusement, il poursuit : « Ils souhaitent que tous ceux qui ont suivi mon projet puissent faire l’expérience du vrai Linspire, ET GRATUITEMENT !!! ». Maintenant, dites-nous, je vous prie, comment nous pouvons obtenir cette vraie version du logiciel « ET GRATUITEMENT » ?

« Pour une période limitée de temps, ils mettent à disposition un code de réduction dénommé FREESPIRE qui vous donnera une copie numérique gratuite de Linspire ! Veuillez visiter http://linspire.com/ pour les détails. » Ho… merci.

Dans un billet de mon blog, J’ai décoché à Linspire un bon coup de genou dans les bijoux de famille. J’ai raconté l’histoire, protesté contre ce que je considérais comme de l’hypocrisie considérant leur propre bataille dans des histoires similaires de marques déposées, et j’ai fulminé. J’aurais aimé que Guitar Hero existe à cette époque, cela aurait été un bien meilleur moyen d’utiliser mon temps.

Je me suis trompé. Mon article n’allait jamais servir à quoi que ce soit. Peu de temps après la publication de l’article, le PDG d’alors, Kevin Carmony, m’envoya un courriel. Il n’avait pas l’air satisfait de ma prestation. Son objection, et elle était valable, visait l’absence de concertation mutuelle préalable. Ma première réaction fut de répondre sur mon blog. La réalité de l’histoire était beaucoup moins noire. Et les gens de Linspire n’était pas les ogres que j’avais dépeints. J’ai présenté mes excuses à Kevin et me suis senti idiot.

Beaucoup de conflits sont résolus par des discussions privées où les gens peuvent être ouverts et concentrés sur les solutions sans être dérangés. Au fil des années, j’ai vu beaucoup d’exemples d’une guerre publique houleuse par blogs interposés continuant, alors que, dans les coulisses, il y avait un échange calme et une recherche de solutions.

Jono Bacon a appris à communiquer avec toutes les communautés

Pour conclure

Lorsque j’ai commencé à écrire cet article, il était bien plus court. Mais j’ai continué à ajouter des éléments un par un. Il est sûrement déjà assez long pour que je puisse compter le nombre de personnes lisant cette partie sur les doigts d’une main. Je vais donc l’arrêter ici. Je pourrais continuer éternellement avec des anecdotes croustillantes et des expériences dans lesquelles j’ai été suffisamment chanceux pour être impliqué et pour étendre mes horizons. Mais je finirais par écrire L’art de la communauté II : cette fois-ci, c’est personnel.

La vie est une expérimentation permanente. Et j’espère que votre investissement dans la lecture de cet article vous a apporté un peu d’expérience.

1 http://artofcommunityonline.org

2 http://communityleadershipsummit.com

Crédit photos : gidgetkitchen  (CC-BY-SA) et Ubuntu-news.ru




Geektionnerd : Liberté de la presse (loi 1881)

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

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Sources :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)