MLC44, une association et une monnaie locale en cours de libération des géants du numérique

Depuis plusieurs années, nous publions régulièrement (tant que faire se peut du moins !) des articles témoignant de la dégafamisation de structures associatives ou relevant de l’économie sociale et solidaire. Dans le cadre du lancement de emancipasso.org, notre nouvelle initiative pour accompagner les associations vers un numérique plus éthique (lire l’article de lancement), nous avons eu envie de reprendre la publication de ces témoignages.

Pour ce faire, nous avons lancé un appel à participation sur nos réseaux sociaux et quelques structures nous ont répondu (vous pouvez continuer à le faire en nous contactant) ! Nous sommes donc ravis de reprendre une nouvelle série d’articles de dégafamisation avec aujourd’hui le témoignage de MLC44, qui porte la monnaie locale Moneko. Merci à Thibaut pour son témoignage riche, et bonne lecture !

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement pour le Framablog ? Qui es-tu, ton parcours ? Ton rôle dans l’association ?

Je suis Thibaut, 41 ans. De formation ingénieur en informatique et travaillant dans une ESN spécialisée dans l’open-source au civil 😉 J’ai débuté comme développeur web PHP, évolué dans le pilotage de projet et la direction d’un centre de production et suis actuellement dans des fonctions plus commerciales, toujours dans la même ESN.

Au sein de l’association MLC44, je suis bénévole : membre élu du collectif qui pilote l’association et aidant sur toutes les problématiques liées aux outils informatiques à travers la commission support (c’est un groupe de travail, rassemblant bénévoles et certains membres de l’équipe salariée, chargé de donner les moyens et outils à l’association pour remplir ses objectifs).

Tu nous parles de ton association ? Quel est son objet, les valeurs qu’elle porte ?

MLC44 est l’association qui porte Moneko, une monnaie locale et citoyenne qui circule dans le département de la Loire-Atlantique. La monnaie circule au sein d’un réseau de particuliers et de structures partenaires agréées (commerces, restaurants, producteurs, artisans, associations, professions libérales, etc.), réunis autour d’une charte de valeurs et qui intègrent des préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités.

Sans possibilité d’épargne et non spéculative, cette monnaie est adossée (on dit aussi complémentaire) à l’euro. Comme la plupart des monnaies locales, c’est un outil d’éducation populaire : Moneko permet aux citoyen⋅nes de se réapproprier l’usage de la monnaie, d’en découvrir les enjeux, de s’impliquer dans la gouvernance de leur monnaie, d’échanger et de partager au sein d’un réseau solidaire pour devenir acteur de la transition économique et écologique de leur territoire.

Cela a bien fonctionné avec moi, car depuis que je suis adhérent, j’ai déplacé une bonne partie de ma consommation vers des structures locales. Ça devient assez ludique quand on s’y met 😉

Le fonctionnement de Moneko. Source : site de Moneko

En termes d’organisation, combien y a-t-il de membres ? y a-t-il des salarié⋅es ? Êtes-vous localisé géographiquement ou bien un peu partout ?

Nous avons 4 salariés et 1 à 2 VSC (Volontaire en Service Civique) suivant les périodes. Les bureaux de l’association sont localisés à Nantes au sein du Solilab (super lieu réunissant plein d’énergies autour de l’ESS), mais nous avons aussi des groupes locaux dans plusieurs lieux du 44. Notre objectif est de les multiplier sur le territoire de la monnaie. L’association rassemble une cinquantaine de bénévoles et les adhérents à la monnaie sont à ce jour près de 1000 (760 particuliers et 220 pros à jour de leur cotisation).

Vous diriez que les membres de l’association sont à l’aise avec le numérique ou pas du tout ? Ou bien c’est assez disparate ?

La majorité est plutôt à l’aise et en plus volontaire pour progresser, cela aide beaucoup !

Quel a été le déclencheur de votre dégafamisation ? Qu’est-ce qui vous a motivés ?

Quand j’ai rejoint l’association en 2021, le sujet était déjà dans les objectifs de l’association avec quelques premières actions en cours. Utiliser des outils libres ou open-source plutôt que les outils des GAFAM ou propriétaire est une préoccupation proche des valeurs qui guident notre association. C’est donc une voie d’évolution tout à fait naturelle pour nous et facilement compréhensible par nos membres.

En dehors donc de l’aspect valeur, une autre motivation est l’autonomie que cela peut nous apporter : nous trouverons toujours une ressource apte à maintenir/développer nos outils vs du propriétaire, et en plus cela nous rend moins dépendant d’un prestataire. Nous identifions également des bénéfices en termes de coût financier à moyen/long terme une fois l’investissement initial passé (mise en place et montée en compétence des équipes).

C’est aussi l’occasion de travailler à plus facilement fédérer/mutualiser nos usages et outils au niveau national, voire européen avec les autres monnaies locales (coucou à nos copains du mouvement SOL). C’est une des raisons pour laquelle nous avons également rejoint l’association Lokavaluto qui est un commun numérique à destination de projets de l’ESS tels que les Monnaies Locales complémentaires et Citoyennes, les Sécurités sociales de l’alimentation, les SEL, les places de marché locales, etc.

Quels sont les moyens humains mobilisés sur la démarche ? Y a-t-il une équipe dédiée au projet ? Quelles compétences ont été nécessaires ?

Il n’y a pas réellement de personne dédiée au sujet. Cette démarche restant chaque année suivie et présente dans le plan d’action de l’association, nous nous en soucions régulièrement. Pour aller dans le détail, c’est la commission support de l’association qui en a la responsabilité et qui suit l’avancement. Étant dans cette commission et par ailleurs défenseur de l’open-source, j’ai pris en main le dossier 😉 Mais je suis aidé par d’autres bénévoles qui aident à la mise en place des outils et à la formation des utilisateurs, tout comme notre partenaire Lokavaluto qui met à disposition de nombreux tutoriels et formations.

Comment avez-vous organisé votre dégafamisation ? Plan stratégique machiavélique puis passage à l’opérationnel ? Ou par itérations et petit à petit, au fil de l’eau ?

Cela se passe plutôt par itération et au fil d’eau. Une première étape a été de dresser la liste des outils majeurs utilisés par tous les intervenants de l’assocation.

Nous avons ensuite cherché une alternative libre adéquate. La liste a ensuite été priorisée pour déterminer en fonction des contraintes et de la difficulté à migrer, dans quel ordre nous allions procéder. Au fur et à mesure, cela nous a construit une sorte de plan d’action sur cette démarche. Mais le plan continue d’évoluer : nous découvrons de temps en temps l’usage d’un outil qui n’avait pas été identifié mais aussi, nous restons en veille sur les solutions et pouvons donc changer quelques priorités. À titre d’exemple, lors de notre récent changement d’outil pour notre site internet, nous en avons profité pour migrer nos vidéos de Youtube vers un Peertube alors que ce n’était pas forcément prévu.

En plus de ces itérations au niveau global, nous pouvons aussi itérer au niveau de chaque outil : on ne cherche pas forcément la perfection dès le départ. L’idée c’est d’avancer. Par exemple, certain-e-s utilisateur-ices commencent à utiliser le nouvel outil et pas tous en même temps. Cela permet aussi de faciliter l’acceptation du changement et pour nous d’avoir le temps d’accompagner « tranquillement » les utilisateurs.

L’association étant en plein changement d’échelle, toute la difficulté est d’arriver à faire les changements sans trop bouleverser les habitudes des intervenant-e-s qui sont déjà bien chargé-e-s par le quotidien.

Est-ce que vous avez rencontré des résistances que vous n’aviez pas anticipées, qui vous ont pris par surprise ? Au contraire, y a-t-il eu des changements dont vous aviez peur et qui se sont passés comme sur des roulettes ?

Je dirais qu’il faut être vigilant si certains de vos prestataires sentent le vent tourner. L’idée est de bien faire maintenir le niveau de service attendu jusqu’au bout.

Un autre point d’attention également, c’est d’être vigilant lors de l’arrivée de nouvelles personnes (ce qui peut arriver fréquemment dans une association). Le nouvel arrivant doit prendre les bonnes habitudes, et éventuellement perdre ses mauvais réflexes perso/pro d’utilisation d’outil Gafam 😉 Cela peut être un peu délicat, car la personne arrive avec de l’envie et de l’énergie pour faire progresser l’association, il faut donc bien expliquer la démarche, le pourquoi et généralement ça se passe bien !

Autre vigilance à avoir : lorsque de nouveaux besoins sont exprimés, l’équipe doit avoir le réflexe de d’abord chercher des solutions libres/open-source, il faut parfois le rappeler.

Enfin, il faut globalement rester un peu souple : notre objectif est d’avant tout de faire progresser l’usage de notre monnaie locale Moneko. Nous ne devons donc pas être sectaires et interdire l’usage d’outil propriétaire ou GAFAM quand l’alternative n’apporte pas un service suffisant où est trop coûteuse (temps/argent) à mettre en œuvre pour le moment. (Mais on le garde dans nos radars pour une future voie d’amélioration !)

Parlons maintenant outils ! À ce jour, on en est où ? Quels outils ou services avez-vous remplacé, et par quoi, sur quels critères ?

Certains outils sont migrés, d’autres en cours et d’autres sont encore dans la TODO list 😉 Voici un état des lieux :

  • Partage de fichiers : Google Drive vers Nextcloud : en cours/partiel, ici la stratégie a été d’abord de migrer nos documents publics (cela permet d’évangéliser notre public) avant tout l’interne qui demande un gros boulot de tri.
  • Suite bureautique : Google => Onlyoffice : en test, ici aussi la marche est importante car il y a beaucoup d’historique et c’est un outil du quotidien pour l’équipe. Nous allons y aller au fur et à mesure.
  • Mesure du trafic web : Google Analytics => Matomo, terminé : cela a été facile à faire à l’occasion de la refonte de notre site web.
  • Fichiers tableurs pour gérer l’asso : Excel => Odoo, en finalisation, nous avons migré toute la gestion de nos membres en 2023 et avons pu automatiser les relances de début 2024 avec le nouvel outil. Un gain de temps assuré au final.
  • Gestion des mails : Gmail => Thunderbird (bureau) + Roundcube (web), en cours/partiel : seuls quelques membres ont franchi le pas, il y a pas mal d’accompagnements à faire.
  • Système d’exploitation : Windows => Ubuntu, à commencer : l’idée est d’abord d’installer un poste à l’occasion d’un nouvel arrivant pour ensuite proposer la migration à ceux qui le veulent. Cela se fera sur un temps long.
  • Messagerie instantanée : Whatsapp => Rocketchat, en cours : l’usage de Whatsapp est de moins en moins fréquent, mais l’usage de Rocketchat a encore du mal à prendre.
  • Conférence audio et vidéo : Zoom => Big Blue Button, terminé : la bascule s’est faite assez rapidement d’autant plus que cela nous a permis d’économiser quelques dizaines d’euros par mois !
  • Carte géographique : Google Maps => Gogocarto, en cours : la migration des données prend un peu de temps, mais ça ne va pas tarder
  • Hébergement vidéo : Youtube => PeerTube, terminé : cela a été facile à faire à l’occasion de la refonte de notre site web.

Pour répondre à ta question sur les critères majeurs c’est : réponse au besoin, ergonomie de la solution, pérennité de l’outil.

Comment avez-vous choisi s’il y avait plusieurs alternatives ?

Beaucoup de choix se sont faits en discutant avec notre écosystème (Lokavaluto, SOL, autres monnaies, autres structures du Solilab, etc.) et en observant leur usage. Nous tenons aussi compte de notre capacité à avoir de la compétence interne pour accompagner les utilisateurs fonctionnellement. La pérennité de l’outil et la capacité à trouver facilement des ressources techniques pour maintenir/corriger un bug compte aussi.

Planche de billets Moneko

À quoi ressemblerait la planche à billet Moneko ? Source : site de Moneko

Est-ce qu’il reste des outils auxquels vous n’avez pas encore pu trouver une alternative libre et pourquoi ?

Il nous reste l’outil de gestion des transactions de la monnaie (cyclos) : nous avons une piste avec Com’Chain, mais nous n’envisageons pas encore la migration car trop risquée. C’est le cœur de notre activité : l’outil est encore jeune, on surveille les évolutions de l’outil et ses avancées. Mais cela exigera aussi de notre part une maturité technique que nous n’avons pas encore.

Quels étaient vos moyens humains et financiers pour effectuer cette transition vers un numérique éthique ?

Nous n’avons pas de ressource ou temps dédié, c’est un sujet du quotidien porté par la chargée de coordination et les bénévoles « techniques ». Comme cela reste un objectif précis de l’association, les membres les plus actifs l’ont bien en tête et sont facilitateurs.

Avez-vous organisé un accompagnement de vos utilisateur⋅ices ?

Oui, nous essayons d’accompagner au mieux les utiliateur⋅ices, avec par exemple :

  • une formation régulière aux nouveaux usages (Odoo notament) : à chaque déploiement de nouveau module (ex. : facturation, gestion RH), nous formons les utilisateurs (+ tutoriel vidéo/retranscription vidéo de formations d’autres MLC mis à dispo par Lokavaluto)
  • des tutoriels sous forme de diapo pour expliquer des cas d’usage

Mais on ne peut pas le faire systématiquement. Donc on compte aussi sur la débrouillardise car comme dit plus haut, on essaye de sélectionner avant tout des outils ergonomiques et qui fonctionnent bien à l’instinct. Mais lorsqu’on nous remonte une difficulté, on passe en mode support par tchat et mails (voir téléphone pour les urgences, mais c’est rare) L’idée est que les utiliateur⋅ices aient bien une personne d’identifiée à contacter en cas de besoin.

Est-ce que votre dégafamisation a un impact direct sur votre public ou utilisez-vous des services libres uniquement en interne ? Si le public est en contact avec des solutions libres, comment y réagit-il ? Est-il informé du fait que ça soit libre ?

Cela peut avoir un impact via l’exemple. Quand on propose un document à télécharger par exemple, c’est sur nuage.moneko.org. Les utilisateurs voient que c’est du Nextcloud et non du Google Drive. On laisse les crédits des solutions qu’on utilise pour contribuer. Mais en effet, ta question m’amène à me demander si on ne pourrait pas faire une page dédiée pour montrer nos choix et notre démarche. Je le note dans la todo 😉

Quels conseils donneriez-vous à des structures comparables à la vôtre qui voudraient se dégafamiser elles aussi ? (erreurs à ne pas commettre ? Astuces et bonnes pratiques éprouvées à l’usage ?)

Quelques conseils en vrac : entourez-vous de personnes en phase avec l’objectif, ne soyez pas seul, allez-y tranquillement, montrez l’exemple par vos propres usages, itérez, essaimez, montrez les bénéfices, l’alignement des valeurs et ne vous découragez pas s’il y a quelques entorses ou petits retours en arrière, la route est longue mais… [Ndr : … la voie est libre 🙂 ] 😉

Un mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Avancer sur cette migration peut aider à se sentir bien, cela fait partie des gestes positifs à apporter à notre société, cela aide au bien-être mental et à lutter contre la dissonance cognitive que l’on peut avoir dans nos activités quotidiennes/pro.




Extinction Rebellion France, mouvement de désobéissance civile, « dégafamisé by design »

Depuis plusieurs années, nous publions régulièrement (tant que faire se peut du moins !) des articles témoignant de la dégafamisation de structures associatives ou relevant de l’économie sociale et solidaire. Dans le cadre du lancement de emancipasso.org, notre nouvelle initiative pour accompagner les associations vers un numérique plus éthique (lire l’article de lancement), nous avons eu envie de reprendre la publication de ces témoignages.

Pour ce faire, nous avons lancé un appel à participation sur nos réseaux sociaux et quelques structures nous ont répondu (vous pouvez continuer à le faire en nous contactant) ! Nous sommes donc ravis de commencer une nouvelle série d’articles de dégafamisation avec une association importante, Extinction Rebellion France, qui a la particularité d’avoir pensé et bâtit son infrastructure dès le départ en s’émancipant des services des géants du web. Merci à ses bénévoles qui nous ont livré un très généreux témoignage, et bonne lecture !

Bonjour, pouvez-vous présenter brièvement Extinction Rebellion France pour le Framablog ?

Extinction Rebellion (XR) est un mouvement international de désobéissance civile en lutte contre l’effondrement écologique et le dérèglement climatique. Démarré au Royaume-Uni en 2018, le mouvement s’est lancé en France en 2019.

La branche française du mouvement est auto-organisée autour de différents Groupes de Support Thématique (modèle inspiré de l’holacratie). Il existe en particulier un groupe de support chargé de maintenir et de développer l’infrastructure numérique de XR France.

La branche française du mouvement est présente dans une centaine de villes et regroupe plusieurs milliers de membres actif·ves. De très nombreuses actions sont réalisées par chaque groupe local chaque semaine avec quelques grandes actions. Récemment, on peut citer l’action de XR Lyon contre l’usine Arkema et ses polluants éternels. Plus anciennement, le blocage de la porte Saint Denis à Paris lors en avril 2022 ou le blocage de la place du Châtelet en octobre 2019.

Pour suivre toutes nos actions, abonnez-vous à notre newsletter. Une prochaine action de désobéissance civile massive est prévue le 24 mai à Paris pour perturber la prochaine Assemblée Générale de Total.

Capture de la page d'accueil du site https://extinctionrebellion.fr/

Cet article a été co-rédigé par plusieurs membres de ce groupe de support « Infrastructure Numérique ».

Quel a été le déclencheur de votre « dégafamisation » ?

Dès le début, il a été constaté que XR avait besoin de plusieurs outils numériques pour communiquer et s’organiser entre les pays et entre les villes d’un même pays : espaces de forum, de discussion instantanée, sites web, partages de fichiers, envois d’emails et d’infolettres, etc.

Il n’était alors pas envisageable d’utiliser les services numériques des géants du web pour répondre à ces besoins. En effet, XR promeut le mode d’action de la désobéissance civile non violente et donc, parfois, la réalisation d’actions illégales qui peuvent être poursuivies par les différents gouvernements des pays où XR est présent. Assurer une souveraineté numérique permet d’augmenter la sécurité du mouvement.

Par ailleurs, la réalisation d’actions de désobéissance civile est contraire aux conditions générales d’utilisation (CGU) des services des géants du numérique. Par conséquent, utiliser leurs services numériques soumet XR au risque de perdre les accès et l’intégralité des données du jour au lendemain sans justification particulière. Il s’agit d’ailleurs de situations qui se produisent régulièrement sur Facebook : les pages de certains groupes locaux et d’XR France ont été désactivées à plusieurs reprises.

Le numérique a également un impact environnemental important. Avoir la main sur son infrastructure permet d’en atténuer les impacts, notamment en choisissant des hébergeurs engagés qui s’alimentent réellement en énergie verte. Enfin, XR est plus globalement un mouvement qui se place en opposition aux logiques capitalistes des géants du numérique. Sans en faire notre lutte quotidienne, XR s’associe aux mouvements de défense des libertés numériques et serait en contradiction avec lui-même en utilisant les services de ces multinationales.

La non-gafamisation de XR a été favorisée par deux autres facteurs : d’une part, le mouvement est parti de zéro, il n’y avait donc pas d’enjeu à changer d’outil (migration de données ou changement d’habitudes). D’autre part, les militant·es membres de XR se créent un pseudonyme et séparent vie privée et vie militante. Par conséquent, cela paraît normal aux militant·es d’utiliser des outils numériques spécifiques à XR.

Dans les faits, ce choix stratégique et la mise en place d’une telle infrastructure reposent sur les efforts de quelques administateur·ices systèmes et développeur·euses qui ont compris le danger à utiliser les GAFAM et ont été en mesure de mettre en place une infrastructure auto-hébergée. Cela aurait également été impossible sans les contributions de la communauté du logiciel libre qui met à disposition des logiciels performants permettant de répondre aux besoins de mouvements tels que XR.

Pour aller plus loin, cette conférence présente d’un point de vue technique les choix initiaux fait par les équipes internationales :

À noter que cette non gafamisation est une exception française : si l’infrastructure internationale est également non gafamisée, de nombreux pays, à l’instar du Royaume-Uni, continuent d’utiliser abondamment les services des géants du numérique. Dans toute la suite du témoignage, le sigle XR mentionnera abusivement XR France.

Rencontrez-vous des résistances dans l’appropriation de votre écosystème numérique ? Au contraire, y a-t-il eu des changements dont vous aviez peur et qui se sont passés comme sur des roulettes ?

Étonnement, l’appropriation des outils numériques XR semble plutôt bien vécue par les membres et ce choix stratégique n’est pas remis en question. Cet usage des outils numériques libres fait aujourd’hui partie intégrante de XR. Par exemple, les rares fois où des liens Google sont partagés sur nos outils internes (souvent des liens venant du mouvement climat), certaines personnes vont indiquer les dangers liés à ces liens Google et indiquer quels outils internes utiliser à la place.

Nous avons l’impression que cela tient au fait qu’un engagement dans XR n’est pas quelque chose d’anodin : cela fait partie des étapes nécessaires de se créer une adresse email dédiée à XR puis un compte sur notre outil de communication instantanée. Pour autant, même si la volonté est là, de nombreuses personnes décident qu’elles ne souhaitent pas se créer un nouveau compte et ne font alors que réaliser des actions. Tandis que d’autres souhaitent se créer un compte mais n’y arrivent pas : nous avons alors tenté de mettre en place différents formats pour accompagner les nouveaux et nouvelles arrivantes : accompagnement en présentiel lors des réunions, tutoriels vidéos et écrits sur notre site.

Il est aussi important de mentionner que certains groupes XR n’utilisent pas ou très peu les outils numériques XR au quotidien : iels se contentent d’utiliser une boucle Signal (voire WhatsApp ou Messenger).

Nous pouvions avoir peur des interfaces très primaires et peu ergonomiques de certains outils (par ex. Mailtrain pour les infolettres) mais il est acquis par tout le monde qu’il est hors de question de confier à une compagnie privée la liste de mails de personnes qui nous font confiance. Par conséquent, cet outil est plutôt bien adopté (même si chacun·e peste en l’utilisant).

Au contraire, de nombreux outils libres sont plus performants que leurs alternatives propriétaires pour répondre à nos propres usages. On peut citer Mobilizon qui nous permet d’intégrer les événements sur notre site web (ce qui est compliqué à faire avec Facebook), Aktivisda pour générer des visuels aux couleurs d’XR (interface + simple que Canva) ou encore Cryptpad pour avoir des documents chiffrés et sécurisés.

Parlons maintenant outils ! À quels besoins répondez-vous par des logiciels libres ? Quels ont été les critères pour les choisir ?

Tout d’abord, l’infrastructure à XR est pour partie gérée au niveau international et pour partie au niveau de chaque pays. Certains outils sont installés à la fois à l’international et au sein de chaque pays, tandis que d’autres ne le sont qu’à l’international ou que localement.

Les infrastructures de chaque pays ont été mises en place par les équipes internationales qui ont pris le temps de former des administrateurices systèmes à leur maintenance et aux bonnes pratiques de sécurité. Une fois l’installation faite, l’infrastructure est gérée en autonomie complète : les équipes internationales n’ont plus accès aux serveurs.

Le choix a été fait d’utiliser des serveurs virtuels et physiques chez différents hébergeurs en Europe choisis pour leurs engagements.

Chez XR, chaque militant·e a besoin :

  • de communiquer de manière instantanée et sécurisée en groupes avec n’importe quel·le autre membre du mouvement. Nous disposons d’une instance Mattermost gérée par l’international (plusieurs dizaines de milliers de membres) et des milliers d’équipes (globalement une par ville).
  • d’avoir un espace de débats au temps long. On utilise un forum Discourse au niveau de XR France (il existe aussi un forum à l’international mais très peu utilisé). En pratique, cet outil est de moins en moins utilisé.
  • de réaliser des visioconférences pour des réunions (quelques personnes) ou des formations. Nous nous servons d’une instance Big Blue Button à l’international (capable de supporter des réunions avec plusieurs centaines de personnes) et de deux instances Jitsi.
  • de créer des formulaires pour des événements ou des actions. Nous utilisions beaucoup Framaforms et un peu Lime Survey (instance gérée à l’international). De plus en plus, nous utilisons l’outil de formulaire Cryptform intégré à la suite Cryptpad. Dans l’objectif d’automatiser le traitement des réponses (envoi d’emails notamment), nous avons par le passé utilisé un outil maison et nous sommes en train d’expérimenter Baserow.
  • de créer et rédiger des document collaboratifs, pour des notes de réunions notamment. Nous utilisons beaucoup Etherpad, désormais de plus en plus Cryptpad. Certain·es utilisent également Collabora sur notre instance Nextcloud.
  • de stocker et de partager des documents : on dispose d’une instance PeerTube pour les vidéos et de deux instances Nextcloud pour le reste.
  • de lire ou créer des procédures ou tutoriels : on dispose d’une instance Bookstackapp pour le wiki. L’authentification à cet outil est réalisée via Mattermost.

En plus de cela, au niveau d’un groupe (local, thématique, affinitaire), il y a besoin :

  • de disposer d’une adresse email pour être contacté·e. On a un serveur de mails réservé aux groupes locaux avec le client web Roundcube.
  • d’avoir un espace réservé sur le site internet et d’y publier des articles. Notre site internet est un site statique sous Jekyll sur lequel on a ajouté DecapCMS (ex Netlify CMS) ;
  • de pouvoir publier des événements au nom du groupe et de les relayer dans le mouvement. On dispose d’une instance Mobilizon privée (les inscriptions ne sont pas possibles). Les événements apparaissent sur extinctionrebellion.fr suivant les tags de l’événement. Par exemple, les événements avec le tag « Réunion accueil » apparaissent directement dans une section « Nos prochaines réunions d’accueil » sur la page « Rejoignez-nous ».
  • de créer affiches et des visuels aux couleurs d’XR pour annoncer les différents événéments, réunions et formation. Le mouvement utilise Aktivisda.
  • d’envoyer des emails aux sympathisant·es ou aux inscrit·es à une action. Pour cela, on a installé une instance Mailtrain.
  • de communiquer sur des réseaux sociaux libres. On dispose de notre propre instance Mastodon réservée aux groupes XR, gérée par les équipes internationales.

capture de la page d'accueil de l'instance Aktivisda de XR

Enfin, voici quelques autres usages avancés dont on peut avoir besoin :

  • d’héberger du code pour les sites web ou outils maison : instance Gitlab.
  • de raccourcir des liens : outil maison développé et géré par les équipes internationales.
  • d’avoir une idée du nombre de visites sur les différents sites web du mouvement : on dispose d’une instance Matomo gérée par les équipes internationales.
  • de serveurs qui tournent tous sous Linux.

Il y a aussi eu des faux départs avec des outils qui n’ont pas trouvé leur usage au sein de XR. C’est par exemple le cas de Loomio qui a été installé mais finalement peu utilisé ou bien de la mise en place d’une instance Decidim. Pour ces cas, nous ne nous sommes pas acharnés et avons arrêté ces services.

Est-ce qu’il reste des besoins pour lesquels vous n’avez pas encore pu trouver une solution libre et pourquoi ?

Oui, il reste plusieurs besoins pour lequels nous ne disposons pas de solutions libres et auto-hébergées. Pour certains de ces besoins, nous utilisons des services de confiance et en sommes satisfait·es :

  • emails pour les militant·es : essentiellement utilisation de ProtonMail ;
  • communication instantanée et sécurisée entre rebelles avec messages éphèmères (en complément et en backup de Mattermost) : Signal mais aussi Session, Wire (et autres applications similaires) ;
  • formulaires : utilisation de Framaforms ;
  • gestion des comptes des groupes locaux via Open Collective (et des cagnottes Hello Asso).

Pour d’autres besoins nous restons actuellement bloqués :

  • Réseaux sociaux : On reste chez les GAFAM car c’est essentiel pour notre audience. Mais on laisse ouverte la possibilité de nous suivre sur Mastodon, PeerTube et Mobilizon. L’idée est que, idéalement, quelqu’un qui ne souhaite pas utiliser les GAFAM puisse toujours nous trouver sur une alternative libre (mais cela demande un peu plus de travail et tous les Groupes locaux n’ont pas ces ressources).
  • Pour trouver des créneaux de réunion, on passe encore trop souvent par when2meet (propriétaire et contenant des trackers Google) plutôt que framadate. Peut-être parce que ce premier service est plus intuitif, visuel et très rapide à créer et compléter : on peut facilement indiquer des disponiblités sur plusieurs jours.
  • On utilise toujours un peu Glassfrog pour l’auto-organisation du mouvement, mais on a commencé à regarder pour utiliser Fractale. Seulement l’outil n’a pas été beaucoup utilisé (néanmoins, Glassfrog est aussi très peu utilisé).

Et si les usages à XR sont globalement sains, le partage de vidéos sur Mattermost se fait beaucoup avec pour source YouTube, parfois avec PeerTube si la vidéo est aussi disponible dessus. Ça serait intéressant de banaliser le partage de vidéos par invidious pour celles qui ne sont que sur YouTube. Les intérêts de ces derniers services mériteraient d’être mieux expliqués au mouvement.

Quels étaient vos moyens humains et financiers pour effectuer cette transition vers un numérique éthique ?

XR France a la particularité d’être un mouvement 100% bénévole sans la moindre structure salariée. C’est la même chose au niveau du numérique. En pratique l’infrastructure en France repose sur une équipe d’administrateurices systèmes épaulés par quelques chef·fes de projet, en charge d’accompagner les différents projets numériques dans le mouvement. XR France mutualise ces différents services sur peu de serveurs en vue de limiter les coûts.

Pour la rédaction de cet article, nous nous sommes interrogés sur le temps passé à l’administration des services. Cela représente entre 1 à 10h par semaine d’administration système (sur les serveurs). Ceci sans compter l’accompagnement des différent⋅es usager·es, la gestion de projets tech ou le développement informatique (qui sont réalisés par des personnes différentes). C’est donc à la fois un effort important, mais également assez limité au vu de l’ampleur du mouvement XR France (plusieurs milliers de membres actifs dans une centaine de villes). Cela ne compte pas non plus l’administration système sur les outils internationaux (Mattermost notamment). Au niveau international, quelques administrateurices sont salarié·es du mouvement.

Avez-vous organisé un accompagnement de vos utilisateur⋅ices ? Si oui, de quelle manière ?

Nous n’avons pas mis en place un accompagnement exhaustif, mais plusieurs guides de présentation des outils et des tutos vidéos ont été réalisés (par exemple cette vidéo sur l’usage de Mattermost). C’est difficile car il faut prendre en compte la variété des utilisateurices (Ingénieur informatique Bac+5 vs Retraité⋅e de plus de 60 ans).

Nous dispensons également des formations en physique ou en ligne sur l’hygiène numérique et la sécurisation de nos pratiques numériques (c’est très variable suivant les groupes locaux). Certaines de ces formations sont co-organisées avec Attac et Alternatiba, et ouvertes aux militant·es hors XR.

Cela serait intéressant d’aller un peu plus loin. Une des pistes, ce serait de rentrer en contact avec des hackerspaces et des structures membres du collectif CHATONS pour demander éventuellement des formations en sécurité numérique vie militante et/ou plus généralement sur la protection de la vie privée.

Est-ce que votre non-gafamisation a un impact direct sur la vie des militant·es ou les autres organisations ?

Sans aucun doute que ce choix politique du libre a un impact direct sur la vie des militant·es. Cela contribue à démystifier la dégafamisation en montrant que c’est possible de faire sans, et que ça marche ! Il s’agit d’une porte d’entrée au monde du libre. Mais nous ne sommes pas en mesure de quantifier le nombre de militant·es pour lesquel⋅les cela a introduit des changements dans leur vie hors XR.

Au niveau des autres organisations avec lesquelles on échange, notre non-gafamisation infuse un peu, mais très légèrement. Google, Zoom ou encore Airtable ont une place très importante dans de nombreux mouvements sociaux et climatiques en France. L’objectif de cet article sur le Framablog est de démontrer aux autres organisations que oui, c’est possible de ne pas se gafamiser et qu’on ne s’en porte que mieux.

Quels conseils donneriez-vous à des structures comparables à la vôtre qui voudraient se dégafamiser aussi ?

Transitionner vers des logiciels libres (et auto-hébergés), c’est décider de consacrer du temps et des compétences pour installer et maintenir des services. Si on accepte d’avoir une qualité de service un peu moindre que les services commerciaux (service non redémarré immédiatement par exemple), alors le temps nécessaire à leur mise en place n’est pas si important (quelques heures par semaine au plus). Pour des toutes petites structures ou des structures éloignées du numérique, nous recommandons de prendre contact avec des associations spécialisées (telles que les chatons) et d’utiliser leurs services. Il est également possible de faire un appel à sa communauté : il y a probablement des défenseur·es des libertés numériques qui sauront vous mettre en relation avec les bonnes personnes localement.

Il faut aussi voir le logiciel libre comme la possibilité d’avoir un outil adapté à son propre besoin pour un coût réduit en mutualisant les développements avec d’autres structures qui auraient les mêmes besoins : une cinquantaine de petites structures peuvent se mettre ensemble pour financer des améliorations dans Nextcloud par exemple. [NDR : c’est justement une pratique que l’on souhaite valoriser au sein de la communauté Emancip’Asso.]

Et d’une manière plus générale, il ne faut pas chercher un logiciel libre comme une alternative à un logiciel propriétaire, mais plutôt chercher un logiciel libre pour répondre à un besoin. Google Doc sera toujours meilleur que Cryptpad si on prend Google doc comme référence. Pour autant, il est possible que Cryptpad réponde mieux à vos besoins que ne le fait Google Doc (édition sans avoir besoin de se créer un compte par exemple).

Les logiciels libres sont également meilleurs sur les questions d’interopérabilité des services. On pense alors en écosystème numérique davantage qu’en termes d’outils. Par exemple, ce n’est pas Mobilizon qui est mieux que Facebook pour publier des événements, mais c’est surtout la symbiose Mobilizon + site web XR France qui est intéressante pour XR.

Un mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Utiliser les GAFAM ou des logiciels propriétaires dans nos luttes, c’est se déposséder de nos outils de lutte. Être soumis à des outils qui ne visent pas le succès de nos luttes, mais leur rentabilité. Au contraire, utiliser le logiciel libre contribue à se réapproprier nos outils de lutte et, de fait, à la renforcer.

Chaque usage d’un service d’un géant du numérique doit donc être questionné et remplacé, ou mieux, arrêté. Voulons-nous vraiment des bases de données ultra-complètes sur les militant·es de nos mouvements ? Avons-nous besoin de faire des visioconférences quand on peut se retrouver dans un café ? Il est primordial d’accompagner sa dégafamisation d’une remise en cause plus large de sa dépendance au numérique.

visuel valorisant XR France dans le cadre de la campagne de communication Emancip'Asso




Associations : les géants du numérique, c’est pas automatique !

Chez Framasoft, nous constatons que de plus en plus d’associations utilisent les services proposés par les géants du numérique (Google Workspace, WhatsApp, Zoom, Outlook, Trello, Microsoft Office 365 et bien d’autres). Ce qui n’est pas sans nous poser problème puisque nous estimons que ces outils sont toxiques, et en totale contradiction avec les valeurs portées par les associations. C’est pourquoi, pendant ce mois de mars, nous allons tout faire pour les convaincre de repenser leurs usages numériques. Et vous allez sûrement pouvoir nous aider !


Les associations, soutiens involontaires des géants du numérique ?

Si la toxicité des géants du numérique (Microsoft, Google, Meta, Adobe, Amazon, Apple, Uber, etc.) n’est plus à démontrer, rappelons tout de même que ces entreprises exercent toutes une triple domination (économique, technique et culturelle) et que l’objectif de leur offre de services est le même : développer leur empire pour concentrer, à un niveau sans précédent, une part déterminante des ressources, des données, des revenus et des pouvoirs.

Le modèle de société que portent ces entreprises est donc à l’opposé des valeurs portées par les associations (émancipation, justice sociale et environnementale, égalité, solidarité, etc.). Pourtant ces dernières ne sont pas toujours conscientes qu’en utilisant les services numériques de ces géants, elles se placent dans une situation de dépendance à des outils sur lesquels elles n’ont aucune prise (par exemple, elles subissent les modifications des conditions d’utilisation des services ou l’absence de certaines fonctionnalités). Ces associations participent, à leur niveau, à renforcer la puissance de ces entreprises, en leur fournissant davantage d’utilisateurices et davantage de données.

Construire un monde meilleur n’est possible qu’avec les outils qui nous en donnent la liberté.

Il n’y a rien de vraiment étonnant à ce que les associations utilisent des outils numériques privateurs dans une société où ceux-ci sont omniprésents, que ce soit au sein des établissements scolaires, des entreprises, des administrations et des grandes surfaces dédiées à la consommation. Il suffit de se promener dans les espaces publics pour constater les nombreuses campagnes publicitaires qui promeuvent ces outils. Ces outils privateurs bénéficient de plusieurs avantages : ils sont gratuits (en apparence puisque les données non consenties des utilisateurices sont souvent une contrepartie) ou à des prix compétitifs, intuitifs et faciles à utiliser, intégrés dans un écosystème facilitant l’utilisation de plusieurs produits et services simultanément, et ils bénéficient de l’effet réseau (plus un outil est populaire, plus il est attractif, peu importe sa qualité).

Très souvent, les outils numériques choisis au sein d’une association le sont par défaut : un besoin émerge, les dirigeant⋅es associatifs ou les personnes les plus à l’aise en « numérique » proposent un outil et il est adopté. Les membres des associations passent leur temps à bricoler avec les outils dont iels ont entendu parler sans jamais chercher vraiment à les maîtriser. Et si, au sein de l’organisation, aucune personne n’a la culture numérique permettant de questionner le choix de ces outils, il y a peu de chances qu’une réflexion stratégique émerge à ce sujet au niveau des organes de gouvernance.

banniere Les géants du numérique c'est pas automatique

C’est pourquoi, il y a presque 3 ans, Animafac a proposé à Framasoft de travailler de concert sur un projet qui permettrait de favoriser l’émancipation numérique du monde associatif. De là est né le projet Emancip’Asso, dont nous vous avons déjà parlé à plusieurs reprises sur le framablog.

Nous entrons dans la dernière phase de ce projet :

convaincre les associations qui veulent changer le monde d’adopter des outils numériques éthiques et les accompagner dans cette démarche.

S’émanciper des géants du numérique, c’est possible…

Selon l’étude La place du numérique dans le projet associatif réalisée en 2022 par Recherches & Solidarités et Solidatech, la proportion d’associations utilisant des outils libres est stable ces dernières années, autour de 40 %. On pourrait se réjouir qu’autant d’associations aient déjà pris conscience de la toxicité des services des géants du web et qu’elles aient adopté des alternatives plus éthiques. Cependant, l’étude nous révèle que c’est en fait seulement 16 % d’entre elles qui le font pour des raisons éthiques, les autres les utilisant pour des raisons pratiques (coût, fonctionnalités, etc.). De plus, si 41 % des associations utilisent des logiciels libres, ce n’est parfois que pour quelques services annexes et la majorité de leurs données restent hébergées chez les géants du numérique.

grahique présentant le taux d'usage des outils libres dans les associations

Il est difficile de connaître le nombre d’associations s’étant totalement émancipées des services proposés par les géants de la tech. D’ailleurs, ce n’est pas vraiment ce qui nous importe ! Pour nous, l’important est que les associations prennent conscience de l’incohérence qu’il y a à utiliser ces outils toxiques et se lancent dans une démarche de transition. C’est pourquoi, nous allons, dans les prochaines semaines sur nos réseaux sociaux, célébrer celles qui ont déjà adopté des outils éthiques, non pas pour les ériger en modèles à suivre, mais pour qu’elles deviennent sources d’inspiration. Changer les pratiques numériques d’une organisation est un choix stratégique pas toujours facile à assumer en interne et nous sommes convaincu⋅es que savoir que d’autres l’ont fait peut être un déclencheur.

visuel asso chat perché visuel asso Les Greniers d'abondance

N’hésitez donc pas à partager ces publications pour soutenir ces associations dans leur démarche et inspirer celles dans lesquelles vous êtes impliqué⋅e ! Et si vous connaissez des associations émancipées ou en cours d’émancipation, faites-les nous connaître (en commentaire au bas de cet article par exemple) pour qu’on les célèbre elles aussi !

… mais ce n’est pas facile !

Nous sommes tout à fait conscient⋅es que modifier les usages numériques d’une organisation n’est pas aisé. Il ne suffit donc pas d’être convaincu⋅e qu’il est nécessaire de mettre en cohérence ses outils et valeurs pour y arriver.

Très souvent, les associations ne savent ni par où commencer, ni comment choisir parmi les nombreuses alternatives existantes et craignent que les changements d’outils ne soient pas acceptés par leurs membres. Et il est rare, qu’en leur sein, des personnes maîtrisent les méthodes pour piloter cette démarche de transition numérique. D’ailleurs, les résultats de l’étude La place du numérique dans le projet associatif l’indiquent clairement : parmi les associations qui n’utilisent pas d’outils libres, elles sont 15 % à exprimer le besoin d’être accompagnées.

Se lancer dans une démarche de transition numérique, c’est être amené à repenser beaucoup d’aspects de l’association, bien au-delà des simples outils : les modes de fonctionnement, la gouvernance et même la culture interne. Il est donc essentiel qu’un projet de transition numérique soit intégré dans la stratégie de l’association.

Si les étapes d’une démarche de transition numérique peuvent varier en fonction des besoins et des objectifs spécifiques de chaque association, nous pensons que certaines sont incontournables :

Évaluation des besoins
Évaluer les besoins et les objectifs numériques de l’organisation, ainsi que les domaines où la transition vers des pratiques numériques plus éthiques peut apporter le plus de valeur ajoutée. Très souvent, cette étape repose sur un diagnostic des outils et pratiques numériques actuels.
Sensibilisation et engagement
Impliquer et sensibiliser l’ensemble des parties prenantes de l’organisation à l’importance de la démarche de transition numérique, aux enjeux qu’elle implique et aux avantages qu’elle va apporter. Si malgré cela, certaines personnes ne sont pas convaincues de la pertinence de la démarche, un accompagnement au changement doit être envisagé.
Définition de la stratégie
Identifier les objectifs spécifiques, les mesures de succès et planifier les différentes étapes de la démarche pour élaborer une stratégie claire et compréhensible afin de la communiquer à l’ensemble des parties prenantes.
Choix des outils numériques
Identifier et sélectionner les outils numériques éthiques les plus appropriés pour répondre aux besoins spécifiques. Établir un calendrier pour l’implémentation de ces nouveaux outils en gardant en tête qu’il est rarement pertinent de tout changer d’un coup.
Adaptation des processus
Examiner et ajuster les processus existants pour garantir une intégration fluide. Très souvent, cette étape intègre le paramétrage de chaque outil, la migration des données et la rédaction d’une documentation technique.
Accompagnement à la maîtrise des nouveaux outils
Identifier les compétences et les connaissances nécessaires. Mettre en place des formations pour les futures utilisateurices des services déployés.
Intégration et collaboration
Encourager la collaboration et la communication entre les parties prenantes afin que celles étant le plus à l’aise puissent accompagner celles qui le sont moins.
Adaptation continue
Une démarche de transition numérique est un processus continu. Il est important de rester à l’écoute des évolutions technologiques pour s’adapter et ajuster constamment la stratégie numérique de l’association.

 

Cette démarche va souvent nécessiter de faire appel à des ressources externes. Trouver vers qui se tourner est souvent le premier obstacle rencontré par les associations. C’est là qu’Émancip’Asso entre en jeu !

Accompagner les associations vers un numérique plus éthique

Si l’écosystème de l’accompagnement associatif a largement évolué ces dix dernières années, les associations rencontrent toujours des difficultés à connaître les dispositifs existants leur permettant d’être accompagnées dans leur démarche de transition numérique.

C’est tout le but du projet Emancip’Asso : permettre aux associations de trouver différents moyens d’être accompagnées dans leur projet d’émancipation numérique.

Sur emancipasso.org, nous proposons à toutes les associations s’étant lancées dans une démarche de transition numérique de rejoindre une communauté d’entraide pour échanger bonnes pratiques, conseils et astuces. Partant du constat que les associations, et particulièrement les personnes en charge des aspects numériques au sein de celles-ci, n’ont à ce jour que très peu l’occasion d’échanger sur leurs pratiques en matière de transition numérique, il nous a semblé essentiel de proposer un espace pour qu’elles se sentent moins isolées sur ces questions.

interface du forum d'échange emancipasso.org

Ces échanges se déroulent sur un forum, structuré en plusieurs catégories :

  • entraide technique : demande de précisions sur le fonctionnement ou le paramétrage d’un outil spécifique ;
  • demande de conseils pour trouver l’outil le plus adapté à ses besoins ;
  • recherche de prestataire(s) pour se faire accompagner dans sa transition ;
  • partage de besoins de développement de fonctionnalités et/ou d’outils pour éventuellement mutualiser les coûts entre plusieurs associations.

Nous proposons aussi un répertoire de prestataires qui recense des professionnel⋅es de l’accompagnement formé⋅es aux enjeux du monde associatif. Ces professionnel⋅les sont en mesure d’aider les associations dans toutes les étapes d’une démarche de transition : identification de vos besoins, clarification des objectifs, sensibilisation et implication des parties prenantes, élaboration de feuilles de route, réalisation de diagnostics numériques, préconisations techniques pour aide au choix des nouveaux outils, accompagnement dans la conduite du changement et accompagnement à la prise en main des nouveaux outils, etc.

Vous trouverez à ce jour 33 prestataires référencés dans ce répertoire. Ce n’est pas énorme, mais c’est parce que nous avons sélectionné uniquement des structures ayant déjà accompagné des associations dans leur transition numérique éthique. Chaque fiche « prestataire » permet d’identifier le type, la taille et la localisation de la structure, les types d’accompagnement qu’elle propose et quelques exemples de projets réalisés avec des associations. Un moteur de recherche parmi cette base de données permet de filtrer ce répertoire selon plusieurs critères : le type d’accompagnement recherché, la taille de l’association et les modalités de l’accompagnement.

interface de recherche parmi le répertoire de prestataires

Enfin, vous trouverez sur emancipasso.org une page de ressources utiles aux associations et aux prestataires. Notre objectif est de recenser ici un maximum de contenus pédagogiques pour favoriser l’émancipation numérique du monde associatif. Cette base documentaire est régulièrement mise à jour avec ce que nous partage la communauté pour permettre à chacun⋅e de développer ses connaissances sur la thématique des pratiques numériques du monde associatif.

Alors, on a besoin de vous…

… pour nous aider à faire prendre conscience aux associations de l’incohérence qu’il y a à vouloir changer le monde en utilisant des outils privateurs de libertés et les inciter à se rendre sur le site emancipasso.org pour trouver ressources, entraide entre pairs et prestataires pour les accompagner dans leur transition vers un numérique plus acceptable.

visuel du sticker Emancip'Asso visuel du second sticker Emancip'Asso

Vous pouvez aussi inviter dès maintenant vos associations préférées à suivre notre webinaire de présentation le jeudi 14 mars de 11h à 12h (inscription via ce formulaire), partager nos supports de communication (plaquette de présentation et stickers) autour de vous et republier nos posts sur vos réseaux sociaux de prédilection !

Merci pour votre soutien !




Podcast Projets Libres ! Des humain⋅es derrière les projets !

Le podcast est un média particulièrement consommé en France, comme le rappelait l’interview de Benjamin Bellamy de Castopod en mai 2022 sur ce même blog (aussi disponible en… podcast !). Il permet d’écouter une interview en faisant la vaisselle, des crêpes, ou du roller (mais pas en milieu urbain – ceci est un message de la sécurité routière). Cela veut dire, par exemple, que vous pouvez écouter cette interview de Pouhiou et Booteille sur le projet PeerTube par… Walid de Podcast Projets Libres ! tout en changeant le joint de culasse de votre ordinateur ! C’est dingue cette coïncidence, non ?!

Un petit micro interview un grand micro. CC-BY-SA JJJJOOOOOOOOOOEEEEEEEEEEEPINO

Peux-tu te présenter ? Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Quelle est ta couleur préférée ?

Je m’appelle Walid Nouh, mon surnom est wawa (ou wawax).

J’ai découvert l’informatique (et le roller) à l’âge de huit ans. Depuis, je n’ai jamais arrêté 🙂

J’habite actuellement en région parisienne et je travaille dans une entreprise de l’économie sociale et solidaire dans la réparation et le reconditionnement de gros électroménager.

Ma couleur préférée est le noir.

À quel moment, dans ton parcours, as-tu croisé le logiciel libre ?

Durant mes années d’IUT. En cours, nous avions des ordinateurs sous Red Hat Linux.

Mon premier ordinateur personnel sous Linux c’était en 2000, il tournait sur une MandrakeLinux.

C’est à la sortie de mes études que j’ai vraiment découvert le libre et compris que c’était ce que j’allais faire dans les années à venir.

C’est lors de ma première expérience professionnelle, dans une ESN nommée Atos, que j’ai eu l’occasion de rejoindre le Centre Open Source de la compagnie, et de rencontrer d’autres personnes passionnées et qui avaient l’habitude de contribuer sur des projets libres.

Pourquoi le format podcast ?

Le podcast est ma manière préférée de consommer de l’information. J’écoute entre 10 et 20 heures de podcasts par semaine…

J’aime le fait que le format est libre, qu’on peut trouver des podcasts de niche, et que l’on peut aller très en profondeur dans les sujets.

Je suis un très grand fan des podcasts longs (entre 45 minutes et deux heures), j’ai d’ailleurs du mal à écouter des épisodes de 15 minutes.

On peut vraiment faire ce qu’on veut en écoutant un podcast – ici, un astronaute jouant avec l’apesanteur en écoutant un podcast

D’ailleurs, tes podcasts font très pros (format, montage) : des astuces ou bons logiciels à conseiller ?

Chaque épisode me prend 6 à 10 heures de travail  !

Pour arriver à ce résultat je passe énormément de temps à me documenter, écouter des podcasts ou vidéos, afin de réaliser une trame.

Je soumets ensuite cette trame au(x) invité(s), afin qu’ils puissent se préparer ou ajuster celle-ci.

Cette phase préparatoire peut prendre des semaines, car elle est nourrie par mes rencontres, réflexions ou lectures. Chaque épisode commence, pour moi, par la découverte du sujet et un questionnement sur l’angle que je veux donner à l’interview, et comment celle-ci s’inscrit dans la suite des précédentes.

Pour le montage j’utilise Audacity, c’est très classique (il faut que j’essaye Ardour…).

Pour la mise en ligne je passe par la plateforme libre Castopod, qui est très bien et nativement connectée au Fediverse.

Si je devais donner des conseils :

  1. bien réfléchir à sa ligne éditoriale, ce que l’on veut faire, et en quoi ses épisodes vont se distinguer de ce qui existe déjà dans l’univers du podcast.
  2. être clair sur l’objectif de son podcast : est-ce que l’on veut un podcast plutôt “live” ? (donc sans montage par la suite). Est-ce qu’on se fixe des limites en temps à passer par épisode ?
  3. est-ce que tu veux vivre ou te rémunérer avec ton podcast ? (Auquel cas renseigne-toi bien, regarde ce que font les autres pour trouver un modèle qui te convient).

De mon côté, je me suis fixé plusieurs règles :

  1. la durée de l’épisode n’est pas un problème
  2. je ne m’interdis aucun sujet : le podcast reflète mes intérêts. Je suis conscient que certains épisodes ne vont pas intéresser la majorité des gens, mais du moment que j’ai envie de le faire, alors il n’y a pas de raison de s’en priver 🙂
  3. je ne m’astreint à aucun calendrier de sortie fixe (même si j’aime bien le format de 2 par mois, mais ça risque de glisser plutôt vers 1 toute les trois semaines)
  4. je fais le minimum en termes de communication sur les réseaux sociaux et je laisse faire le bouche-à-oreille
  5. des épisodes peuvent être super techniques et d’autres grand public, à mon appréciation

Pourquoi le sujet du libre et non celui du roller ?

J’ai commencé les podcasts il y a deux ans par collaborer sur un podcast de roller, nommé Balado Roller. Dans ce podcast nous interviewons des personnes qui ont contribué à l’essor du roller. J’ai commencé par y être invité, puis co-animateur et aujourd’hui je réalise une partie des montages des épisodes auxquels je participe. Son audience est bien supérieure à celle de Projets Libres! et nous savons qu’il est écouté par les professionnels de ce sport.

Le podcast Projets libres!, reprend le même concept mais appliqué à ma seconde passion, qui est le logiciel libre. La différence c’est que pour celui de roller nous sommes deux, et nous nous appuyons sur un site qui existe depuis 20 ans.

Pour Projets Libres!, je suis tout seul, c’est moi qui fait tout de A à Z, suivant mes propres désirs (je suis assez perfectionniste).

Une autre différence est que sur nos interviews roller, le travail de préparation a soit été déjà fait en amont sur le site rollerenligne.com au fil des années, soit il est minimal car nous connaissons personnellement la plupart de nos invités. Sur Projets Libres! je dois faire beaucoup plus de recherche pour éviter de dire des bêtises, et aussi pour être sûr de la qualité de l’échange de l’on va avoir.

Comment choisis-tu qui tu vas interviewer ? En fonction des affinités ? Parce que tu utilises le logiciel ou projet ? Du buzz ?

C’est une combinaison de plusieurs facteurs :

  1. mes propres passions, sujets de fond. Principalement : la cartographie des projets francophones, les financements des projets, les transports, le Fediverse, les forks et les ERPs
  2. les personnes qui me contactent pour me proposer un sujet ou une mise en relation
  3. les rencontres que je fais sur les salons ou conférences, et qui alimentent mes réflexions
  4. les outils que j’utilise et dont je suis fan
  5. mon travail, dans le métier du reconditionnement, qui m’amène à vouloir creuser certains sujets qui m’intéressent

J’essaye de n’interviewer que des personnes qui sont au coeur des projets. Ma stratégie est de proposer un contenu original, que j’espère de qualité, et que les personnes concernées feront tourner dans leur communauté. Je ne souhaite pas faire de publicité. Ma communication est plutôt du type LinuxFR que du type LinkedIn.

Je fais des podcasts en français car c’est ma langue natale et aussi parce qu’il y  a déjà de très bons podcasts en anglais.

J’en profite d’ailleurs pour indiquer que des statistiques publiques du podcast sont disponibles ici : https://statistics.projets-libres.org/

Dans tes podcasts, tu te concentres sur l’histoire humaine derrière les projets : c’est important pour toi ?

Pas de logiciel libre sans femmes et hommes !

J’ai eu la chance d’être un professionnel du logiciel libre, actif dans l’univers francophone pendant plus de 10 ans, d’être core developer sur un logiciel, d’avoir participé au fork d’un autre, d’avoir travaillé en ESN spécialisées dans le libre. Partout où je suis passé j’ai rencontré des femmes et des hommes passionnés par le libre et ses valeurs.

C’est en partie ce que je cherche à mettre en valeur, en m’appuyant sur ma propre expérience.

Pour faire simple, je cherche à produire le contenu que j’aimerais entendre. Je suis souvent frustré à la fin d’une interview car personnellement j’aurais posé d’autres questions, ou creusé d’autres sujets !

Mes podcasts ont pour but d’être complémentaires avec ceux qui existent déjà, que j’écoute régulièrement et que j’aprécie.

Qui aimerais-tu interviewer pour un prochain épisode ?

J’ai comme projet d’essayer interviewer toutes les associations historiques du libre.

L’idée serait de pouvoir faire une cartographie ou une frise temporelle de l’apparition des unes par rapport aux autres.

Je vais aussi me concentrer sur la notion de fork, et ce que cela veut dire au niveau humain (pour les personnes qui forkent, et pour les mainteneurs qui se font forker).

Bref, j’ai déjà une feuille de route pour les 6 mois à venir ^^

Page Castopod de Projets Podcasts Libres !

Quels sont les défis à venir pour le podcast ?

  1. Durer. Je me suis fixé 1 an sous cette forme et seul. Le podcast est un travail journalier, qui me prend presque tout mon temps libre.
    En 2024, il va falloir que je constitue une équipe, pour aider à monter en qualité et garder un rythme raisonnable.
  2. La parité femme/homme dans les interviews. Ce n’est pas si simple, mais j’y travaille et c’est très important pour moi.
  3. Se renouveler, d’avoir toujours des bonnes personnes avec du contenu intéressant.
  4. Il va falloir que je me finance mes besoins en me basant sur le don : je ne suis pas intéressé par mettre la publication ou du sponsoring dans le podcast. Comment donc faire en sorte que les gens acceptent de me financer, sans que cela ne me demande plus de travail supplémentaire (par exemple faire du contenu exclusif pour ses donateurs). Dans une démarche bénévole, tout contenu que je produis est du temps que je ne passe pas pour d’autres projets ou dans ma vie personnelle
  5. Réaliser un épisode avec sa transcription : c’est un défi permanent, car cela ajoute plusieurs heures de travail par épisode 🙂

La transcription des épisodes doit effectivement prendre un temps fou. C’est important pour toi ?

C’est une des premières choses qui m’a été demandé, et j’avais mis le sujet de côté car je ne pouvais pas tout faire. C’est en lisant le manifeste de Julie Moynat, relayé par Frédéric Couchet que j’ai remis le sujet au goût du jour.

La transcription a plusieurs fonctions :

  1. permettre aux gens qui ne veulent pas ou ne peuvent pas écouter le podcast de suivre notre conversation. Je dois avouer que, dans le cadre de mon travail, je déteste les tutoriels vidéos car tu ne peux pas rechercher dedans pour trouver exactement ce que tu veux…
  2. elle améliore le référencement du texte
  3. elle participe à la démarche “de ne pas juste avoir un podcast” mais d’avoir un media

Techniquement je passe par un service (non libre) de transcription. Je dois ensuite retravailler les phrases pour en faire un texte lisible. Cela pose des questions sur le niveau de retravail, entre avoir un texte en bon français et garder le sens et l’atmosphère de l’interview. J’ai bien essayé de demander une IA de me corriger les phrases sans les modifier, mais je n’ai pas encore atteint le bon résultat. J’ai des échanges avec Benjamin Bellamy de Castopod, car c’est un de leurs axes de travail actuel.

N’étant pas un professionnel, la correction transcription d’un épisode d’un heure me prend 2 à 3 heures de travail (avec la mise en forme sur le site). C’est une des raisons pour lesquelles je pense changer le rythme de sortie des épisodes.

Je voudrais faire quelques remerciements :

  • ma femme qui supporte tous mes enregistrements et mes conversations autour du podcast !
  • mes amis et collègues pour les idées, écoutes et commentaires
  • mon ami Emilien Martinoty pour son aide et pour création et maintenance du site
  • l’équipe de Castopod pour la migration sur leur plate-forme et les discussions régulières
  • tous les invités qui m’ont fait confiance
  • pour finir toute l’équipe framasoft pour leur accueil et la promotion de mon podcast

Quelques liens :




HorsCiné, plateforme de films libres et écosystème du cinéma libre en devenir

La plateforme de films libres HorsCiné a fêté ses 3 années d’existence en novembre dernier. On s’est donc saisi de l’occasion pour braquer nos projecteurs sur cette chouette initiative. Pour nous parler de HorsCiné, nous avons donc interviewé Pablo et Tristan, fondateurs de l’association Lent Ciné qui porte ce projet.

visuel HorsCiné

 

Bonjour Pablo et Tristan. Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer en quelques phrases ce qu’est HorsCiné ?

P : On est membres (bénévoles) de l’association Lent ciné, une asso de création et diffusion de films libres et de promotion de la culture du libre, qui existe depuis 2016. C’est dans ce cadre qu’on a créé HorsCiné, qui s’est concrétisé fin 2020 avec le lancement de la plateforme. On mène différents projets, et c’est Tristan qui porte celui-ci, alors je vais lui laisser la parole.

T : HorsCiné, c’est une plateforme de diffusion de films libres indépendante et gratuite. On peut y trouver des centaines de films, courts, moyens et longs-métrages, de la fiction, du documentaire et de l’expérimental, des classiques et des films jeune public. Sur des sujets légers ou très engagés. Parce qu’ils sont libres, ces films restent accessibles, et peuvent être copiés, partagés et diffusés, selon les conditions décidées par leurs auteur⋅rices.

HorsCiné, c’est aussi un projet bien plus large, celui de créer un écosystème du cinéma libre. Pour l’instant on permet au film d’être accessible, mais on souhaite aussi faciliter l’organisation de projections, en mettant en lien les personnes qui créent et celles qui diffusent ou voudraient diffuser (associations, collectifs, médiathèques, centres sociaux, etc.). On souhaite aussi participer à la création d’œuvres, en donnant accès à des ressources et à des moyens. On a créé et animé des ateliers autour des œuvres : création en réutilisant des images et des sons libres, sonorisation de films muets. On a beaucoup d’idées qu’on aimerait voir aboutir.

Que mettez-vous exactement derrière l’expression « films libres » ?

T : Les films libres, ce sont des films qui ont été libérés, plus ou moins partiellement, du droit d’auteur. L’expression films libres est une dénomination générique qui regroupe des films placés sous licence libre ou de libre diffusion et des films entrés dans le domaine public. Schématiquement, en appliquant une licence à son œuvre, son auteur·rice transforme le « tous droits réservés » qui s’applique automatiquement en « certains droits réservés », et donne ainsi la possibilité au public de regarder et partager son film librement. Et parfois plus, comme réutiliser des passages pour créer une nouvelle œuvre. À noter que la plateforme HorsCiné est elle-même sous licence libre (CC BY-SA), chacun⋅e est donc libre de s’en saisir.

Vous vous y prenez comment pour trouver des films libres à référencer ?

P : Depuis 2017, on organise Nos désirs sont désordres, festival de films libres de critiques sociales. On lance chaque année un appel à films. Ça nous a permis de découvrir plein de chouettes films, et de rencontrer des réals et des collectifs qui publient leurs films sous licence libre, comme Synaps ou Ciné 2000, et aussi d’entrer dans des réseaux comme le Réseau d’Ailleurs.

ill du festival Nos désirs sont désordes

T : Il y a des festivals aussi, comme le Festival Mondial des Cinémas Sauvages qui nous ont simplifié le travail. Et puis ensuite on enquête. On ratisse le web en espérant avoir de la chance. Au début, ça ne marchait pas beaucoup. Et puis à force, on a appris où et comment regarder. Une difficulté, c’est la question des licences : il est parfois difficile de trouver la licence, ou de s’assurer qu’elle émane bien de l’auteur·rice du film. Par exemple sur vimeo, il y a la possibilité de spécifier la licence de la vidéo, mais on s’est rendu compte que ce n’était pas fiable, plein de vidéos sont placés sous une licence sans que les réals ne l’aient fait exprès. Il y a aussi les films du domaine public. Pour les trouver, on passe beaucoup de temps sur wikipedia à vérifier la date de mort de nombreuses personnes, et on a aussi passé beaucoup de temps à trouver les législations de nombreux pays et à comprendre comment elles marchaient et comment elles s’interconnectaient avec le droit français. Et enfin on reçoit régulièrement des films envoyés par leurs auteur·rices depuis le formulaire sur le site.

HorsCiné a fêté ses 3 ans en novembre dernier. Vous nous en dites plus sur l’histoire de ce projet ? Quelles en ont été les différentes étapes ?

T : En 2016, on crée Lent ciné avec l’idée qu’allier le libre et le cinéma, c’est rendre ce dernier plus accessible, tant en terme de création que de diffusion. L’année suivante, on crée le festival Nos désirs sont désordres.

P : Et en 2018, on fait le constat que les films libres ont besoin d’être réunis, parce qu’ils sont dispersés et donc peu visibles. On commence alors à ébaucher ce qu’est HorsCiné. Mais on n’a pas de moyens, et comme on n’a pas de compétence technique vu qu’on ne vient pas du monde de l’informatique, le projet patine.

T : En 2019, on commence à faire une liste de films qu’on publie sur un wiki hébergé par Framasoft qu’on appelle cinélibre. En novembre 2020, après des mois de travail avec un développeur qui finit par nous ghoster, on se retrousse les manches et on bidouille wordpress. On met cette première version en ligne, on y ajoute des films, et on lance un financement participatif pour obtenir de quoi l’améliorer. On obtient quelques articles de presse, et un peu plus de 1000€. Les mois suivants, on continue à l’améliorer en bidouillant et on bosse sur une plateforme plus aboutie avec Christine et Robin de Code Colliders. On rémunère une toute petite partie de leur travail, le reste étant du mécénat. En avril 2022, la version actuelle du site est mise en ligne. En plus d’un meilleur classement des films, on ajoute des sélections et un espace membre. On en a également profité pour changer le logo et l’identité visuelle de HorsCiné, grâce au talent de Valentin. Quelques mois plus tard, un nouveau crowdfunding est lancé, nous offrant environ 1500€. Aujourd’hui, il y a 286 films en ligne et 13 sélections. Et des fonctionnalités permettant de rapprocher les personnes qui créent et les personnes qui diffusent sont toujours en cours de développement.

Si je vais sur HorsCiné, comment je fais pour trouver un film qui me plaise ?

T : La plateforme est pensée autour de cinq catégories : documentaire, fiction, expérimental, classique et jeune public. On classe aussi les films selon le métrage (court, moyen, long), les genres, les thèmes, les âges, les licences et les périodes de sortie. Vous pouvez déjà faire des recherches selon tous ces critères. On ajoute aussi des éléments autour du pays, de la langue et des sous-titres, qui seront disponibles dans la recherche d’une prochaine version du site.

On a aussi créé des sélections de films. Elles sont constituées autour d’un thème, d’une technique, d’une période, d’un genre, des personnes qui créent, qui diffusent ou qui apparaissent dans les films. On en crée, et on peut aussi mettre les vôtres en avant. En effet, on a créé un espace membre, où vous pouvez créer des sélections, les partager, et même les intégrer facilement sur d’autres sites. Dans cet espace membre, vous avez aussi la possibilité d’ajouter des films à vos favoris pour les regarder plus tard.

Vous parlez d’éditorialiser le choix des films à la Une chaque semaine, pouvez-vous nous en dire plus ? Qu’est-ce qui motive votre choix de valoriser ces films ?

T : On ajoute un film par semaine sur HorsCiné, le mercredi midi. Au départ, on ajoutait un avis sur le film, qui expliquait pourquoi on l’a mis en ligne, mais le temps nous manque pour continuer, malheureusement. On propose parfois des interviews des réalisateur·rices, des contextualisations, des zooms thématiques ou techniques, et on renvoie vers d’autres sites où se trouvent des informations sur les films. Et puis on créé des sélections de films, pour les faire dialoguer avec d’autres.

On a cru comprendre que tous les films référencés sur HorsCiné étaient hébergés sur une instance PeerTube. Quel est l’intérêt ? Qui est votre hébergeur ? Ça se passe comment ?

T : Au lancement de la plateforme, on partageait les vidéos depuis les sites de streaming qui les hébergeaient. Mais en plus d’être critiquable sur le plan de la captation des données, des vidéos pouvaient être supprimées sans qu’on ne le sache. On a cherché des solutions et contacté des structures membres du Collectif CHATONS. L’asso belge Domaine Public nous a proposé d’héberger les films sur son instance PeerTube en échange d’une faible cotisation, et on a tout de suite accepté ! Ça fait complètement sens pour nous d’utiliser un logiciel libre, d’autant qu’on a suivi et soutenu (très modestement) son développement depuis le début.

L’intérêt, c’est qu’on a la main sur l’hébergement des vidéos tout en n’ayant pas à gérer la partie technique. PeerTube permet également de clairement indiquer la licence des films dans la description de chaque vidéo, ce qui clarifie les choses. Et surtout vous pouvez maintenant les télécharger en deux clics ! On remercie chaudement Framasoft et Domaine Public pour ça, c’est agréable de dépendre d’associations qui ont les mêmes objectifs et les mêmes valeurs que nous.

Vous êtes combien sur ce projet et vous avez quels moyens ?

T : J’ai envie de répondre « trop peu » pour les deux. HorsCiné, c’est un gros projet qui manque de forces vives et de moyens. Et ça s’explique notamment par le fait que ce soit un projet de niche dans la niche. Le libre, ça parle à de plus en plus de personnes, mais quand même encore trop peu. Le cinéma libre, ça parle à personne ou presque. Je suis la seule personne à m’occuper de la gestion quotidienne du site (le repérage et l’ajout des films, la création des sélections, etc.). Autour gravitent des personnes qui participent plus ponctuellement : Robin pour le développement du site, Max pour la com’ sur les réseaux sociaux. Et puis d’autres sont passées mais n’ont pas pu s’investir durablement. Si le projet vous parle et que vous souhaitez y contribuer, on sera ravi·e de vous accueillir =)

En ce qui concerne les moyens, nous avons reçus 2500€ de dons entre 2020 et 2022 lors de deux crowdfunding. L’année dernière, nous avons sollicité une fondation plutôt que de refaire un financement participatif, mais elle n’a pas donné suite. Nous avons quand même reçu 150€ de dons. On remercie toutes les personnes qui nous ont soutenues.

Évidemment, ce n’est pas assez pour faire vivre un tel projet, même bénévole, et on a dû utiliser des fonds de Lent ciné, qui proviennent de prestations qu’on a réalisées avec Pablo. Et remettre à plus tard beaucoup de choses, notamment la communication.

Si je veux aider la plateforme à se développer, que puis-je faire ?

T : Si vous souhaitez contribuer à HorsCiné, vous pouvez :

  • participer à la gestion quotidienne du site : regarder et sélectionner les films, les mettre en ligne, rédiger des contenus sur ces films, rédiger des articles, tenir à jour la FAQ, rédiger des documents sur les licences libres et le domaine public, développer de nouvelles fonctionnalités (en nous contactant)
  • proposer des films
  • faire connaitre HorsCiné en partageant le site (on est aussi sur les principaux réseaux sociaux, dont mastodon) et en en parlant autour de vous (et notamment aux profs, médiathécaires, membres d’assos et de collectifs, animateur·rices de centres sociaux, etc.)
  • diffuser les films de la plateforme (en respectant les licences)
  • faire un don

Capture de la page Pourquoi Faire un don sur le site HorsCiné

HorsCiné est donc l’un des nombreux projets de l’association Lent ciné. On vous avait déjà interviewés en février 2020 sur le framablog à l’occasion de la campagne de financement participatif du projet Sortir du cadre. On en est où de ce projet là ? Quelles sont les dernières actualités de l’association ?

P : Pour commencer, ce projet là a changé de nom, il ne s’appelle plus Sortir du Cadre mais Share Alike. Le projet documentaire a bien évolué depuis cet article du framablog, notamment sur la forme. On a décidé de changer de format pour que ce soit plus simple à diffuser et que ça puisse toucher plus de monde. Maintenant c’est une série de 9 (ou 10, on n’est pas encore décidés) épisodes d’une quinzaine de minutes chacun. Sur le fond, il y a peu de choses qui ont changé si ce n’est qu’on a un peu élargi le sujet. Ça ne parle plus uniquement de l’utilisation des licences libres dans l’art mais aussi du système économique global de la création artistique.

On a commencé à tourner en mai 2022 et après avoir sillonné la France pendant presque deux ans, le tournage touche bientôt à sa fin ! On est hyper contents des personnes qu’on a pu rencontrer à travers ce projet là et des témoignages qu’on a réussi à récolter. Il reste toute la post-production à faire et ça ne va pas être une mince affaire. On a pas trop envie de se prononcer sur une date de sortie mais ce qu’on aimerait, c’est que ça sorte avant 2025.

Pour finir cette interview, auriez-vous quelques films à nous recommander ?

P :

La sélection de Pablo

T :

La sélection de Tristan
La sélection de Tristan

 

Merci beaucoup pour vos réponses. On espère que les lectrices et lecteurs auront désormais le réflexe de se tourner vers HorsCiné lorsqu’iels auront envie de regarder un film ! D’ailleurs, on les invite à nous partager dans les  commentaires leurs coups de cœur ! Et longue vie à la plateforme HorsCiné !




Un bénévolcamp pour faire ensemble

La vie associative n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Plus une association grandit et plus les relations sont nombreuses et deviennent complexes. Avec plus de 40 membres (environ 30 bénévoles et 11 salarié·es), réparti‧es un peu partout en France, Framasoft rencontre parfois des situations plus ou moins ardues qui méritent d’être discutées.

Pour la première fois depuis son existence, un bénévol’camp (entendez : une rencontre entre bénévoles) a été organisé sur un week-end d’octobre 2023 (du 27 au 30). D’autres rencontres annuelles existaient d’ores et déjà : des frama’camps où absolument tous·tes les membres se retrouvent, des salario’camps réservés uniquement aux… salarié·es. Il s’agissait donc de la première occasion pour les bénévoles de se retrouver uniquement entre elleux.

L’objectif de cette rencontre était de permettre aux membres de travailler le projet associatif et de tisser des liens. Nous vous racontons ici cette histoire, en espérant que cela puisse vous inspirer mais également pour vous montrer les coulisses extrêmement glamours d’une association comme Framasoft.

Comment on organise un bénévolcamp ?

Côté logistique, ça prend du temps d’organiser un événement pareil. Comment ça marche ?

  • il faut trouver le lieu adéquat pour recevoir du monde : alors pas trop loin d’une gare, pour que celleux qui prennent le train puissent venir facilement, au centre de tous nos lieux d’habitation afin de minimiser les coûts du voyage, dans une maison avec assez de chambres pour nous accueillir (et puis si possible d’avoir une piscine à balles, un jacuzzi et une salle de cinéma ce serait parfait, merci par avance :o)(bien sûr, cette parenthèse n’est que fadaises)).
  • acheter les billets de trains et subir les frasques de la SNCF (une petite pensée pour ce bénévole qui a eu une demi journée de retard à l’aller, et une autre au retour :’))
  • prévoir les courses alimentaires et les tours de préparations culinaires : qui mange quoi ? comment on trouve des repas qui conviennent à tout le monde ? La solution la plus facile : des bonnes recettes végés ou végans pour tout le monde. En plus de simplifier la gestion des régimes de chacun, c’est aussi bon pour la planète et le portefeuille. Qui prépare quoi ? Comment on fait pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui s’occupent des repas, et en particulier pas toujours les meufs ?
  • proposer en amont des idées pour des ateliers, afin que chacun·e puisse commencer à réfléchir de son côté sur les sujets en question.

Humainement, c’est toujours magique de voir des personnes vivre ensemble, s’auto-gérer, s’organiser et discuter, voire rire avec autant de joie et d’humour. Le vendredi soir a donc été consacré aux premières retrouvailles et comme l’a écrit notre ami Booteille dans un compte-rendu interne, « c’était très chouette de revoir les bouilles de toutes les personnes présentes ! » 🥰

En tout, une vingtaine de personnes y sont passées !

De quoi on parle pendant un Bénévolcamp ?

Le samedi matin a été plus studieux. Comme lors de la plupart de nos réunions, nous avons ouvert le week-end par un forum ouvert. C’est une méthode d’organisation qui permet de co-construire le programme ensemble. Chacun·e écrit sur des post-it les propositions des ateliers/discussions qu’iel voudrait animer, ou auquels iel voudrait participer.  Ces post-its sont ensuite placés sur un tableau (avec salles et horaires). N’étant pas trop nombreux, nous avons pu éviter de mener trop d’ateliers en parallèle, ce qui aurait tendance à générer des frustrations (« je veux aller à cet atelier ! mais en même temps il y a cet atelier qui a l’air trop bien ! »).

Et là, vous vous demandez quels sujets ont été abordés? De quoi des bénévoles de Framasoft peuvent bien discuter quand iels se retrouvent? Du TURFU 1 bien sûr!!

La journée de samedi a donc commencé par un atelier proposé par Gee, sur le vieillissement de l’asso‘. Puisque le nombre de rides des membres de Framasoft augmente, il s’interrogeait sur ce que cela impliquait dans l’asso, notamment en termes de diversité et de représentation. Est-ce que Framasoft devrait communiquer sur Tiktok, plateforme plebiscitée par notre jeunesse ? Doit-on guillotiner les membres présent·es depuis plus de X années, pour éviter l’encrâssement ? (Non.) Question Philosophie Magazine : la jeunesse est-elle une caractéristique physique ou une manière d’être au monde ? S’en sont suivies de nombreuses propositions intéressantes parfois radicales, souvent humoristiques et dédramatisantes, transmises au reste de l’asso par la suite.

L’atelier d’après, c’est notre cher Yann qui l’anima. Il voulait discuter du bénévolat valorisé et de la réactance qu’il découvrait vis-à-vis de ce sujet (y compris de sa part). Si vous ne savez pas ce dont il s’agit : chaque association demande à ses bénévoles de l’informer du temps consacré à faire des actions afin de leur attribuer une valeur financière estimée. Ce montant est pris en compte dans le bilan chaque année et peut permettre de faire valoir l’implication bénévole afin de récupérer des subventions, par exemple. C’est assez contraignant pour certain·es, valorisant pour d’autres. Cela implique aussi de penser son investissement associatif sous un angle qui peut être déplaisant, car ressortissant d’une logique que l’on souhaiterait peut-être exclure d’une structure non capitaliste. Une proposition simple a été évoquée mais pas adoptée : et si chacun⋅e se contentait d’indiquer le même volume horaire mensuel, sans mesurer exactement son implication bénévole ? La question reste donc en suspens, mais ça va très bien, nous n’étions pas à la recherche d’une solution mais d’une discussion.

Pendant que certaines personnes s’attelaient à satisfaire les estomacs gargantuesques, d’autres ont commencé, sous l’impulsion de Maiwann, à créer Framalove, un site qui vous veut du bien !

L’idée était de récupérer les commentaires à connotation positive du questionnaire de satisfaction, les remerciements, les messages d’amour et de vœux de continuation, et d’en faire un site qui en afficherait un de manière aléatoire sur une page statique. Bah oui, c’est bien de s’auto-congratuler de temps en temps 🙃. Il a fallu re-trier des milliers de commentaires déjà pré-triés l’année dernière. Mais ça valait le coup ! Vous découvrirez cela bientôt… un jour… Spoil: Peut-être pendant la prochaine fête de l’amour ? 😏

Chez Framasoft, la question du soin (« care » en anglais) est centrale. Si l’on veut pouvoir apporter ce soin au monde extérieur, encore faut-il se sentir intrinsèquement bien, sain, autonome, et puissant. Comment une gourde vide pourrait-elle épancher la soif ?

Après le repas, nous avons eu le plaisir de rencontrer Syst, ex-membre de La Quadrature Du Net, qui s’est proposé pour faire passer des entretiens individuels aux bénévoles. Un bon moyen de continuer le travail enclenché autour du soin des membres. Nous allons enfin savoir « Quel est l’objectif des membres de Framasoft ? », même si on s’en doute un peu : dominer le monde gnark gnark gnark gnark !!!

Yann a ensuite repris les ateliers en nous proposant de partager nos références culturelles. Livres, films, podcasts… C’est toujours un moment enrichissant, en plus des œuvres que l’on découvre on en apprend un peu plus sur les gens également. Chacun·e partageant ses coups de cœur, ses muses, ses inspirations.

Pour les livres, parmi les tas apportés, surnageaient quelques ouvrages de Bernard Stiegler, dont « Aimer, s’aimer, nous aimer », l’essai de Federico Zappino « Communisme queer », le pavé de Pierre Dardot et Christian Laval « Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle », la synthèse d’Alfred Korzybski « Une carte n’est pas le territoire », les excellents romans graphiques d’Alessandro Pignocchi ou les mémoires d’Usamah Ibn Munqidh « The book of Contemplation ».

Le dernier atelier était plutôt une discussion, hors « Frama », entre bénévoles qui réfléchissent au sens dans leur travail salarié (hors Framasoft, donc, puisque nous étions entre bénévoles), et dont certain⋅es ont choisi de se mettre à leur compte dans le monde du travail. Nous avons appelé ce groupe Framacoop, même si en pratique il n’y aurait pas nécessairement de lien avec Framasoft ou de projet de coopérative dans l’immédiat 🙂.

Lorsqu’on agit au sein d’une association pour lutter contre le capitalisme de surveillance, où l’on parle d’émancipation vis à vis du numérique et d’imaginaires désirables, il n’est pas étonnant de se poser la question du sens de son travail dans notre propre vie professionnelle, et l’envie d’aller explorer d’autres horizons, choisir de participer ou non à cette société que l’on souhaite changer. Certain⋅es d’entre nous peuvent rencontrer des situations difficiles dans leur travail.

Nous essayons de parler de nos situations et trajectoires pro dès que nous nous rencontrons lors de cet atelier dédié, cela amène un soutien entre bénévoles sur ce plan plutôt bénéfique, avec des échanges de conseils et de perspectives vers lesquelles se projeter, et nous aide à voir le chemin parcouru personnellement. Si le sujet vous parle, nous vous conseillons vivement d’aller consulter le site « On se lève et on se casse » réalisé par Maiwann et l’association l’Échappée Belle, dont elle fait partie, et qui nous a été utile lors d’un précédent atelier sur le sujet 🙂

La journée s’est terminée autour de crêpes, d’eau pétillante, d’alcool (avec toujours cette bonne amie « modération ») et de vilains noms de GAFAMs. Oui oui, les noms des vilains monstres de notre dernière campagne ont été inspirés en partie de cet atelier, pour le meilleur comme pour le pire ; on vous laissera imaginer la quantité de noms qu’on a dû auto-censurer pour des raisons de décence. C’est souvent le soir et sous l’effet magique de la fée Absinthe que l’on trouve des noms amusants pour des sujets un peu trop sérieux…

Échange entre trois bénévoles

Le lendemain, on a ré-attaqué avec la présentation des mini-sites de Framalibre. Voir un projet avancer et pouvoir y contribuer était enthousiasmant ! C’était l’occasion d’un test utilisateur·ice, pour voir à quel point il était facile de créer un tel mini-site. Depuis, tout est sorti et disponible pour vous également !

Nous avons ensuite eu une discussion sur les pratiques pour protéger son intimité numérique dans un milieu militant. Quand on a effectué des actions militantes et que l’on soupçonne être sous surveillance (policière notamment), comment éviter que cette surveillance ne nous affecte trop, et ne se propage aux autres autour de soi ? Bien sûr, évaluer la menace est important mais avant tout, il faut éviter la paranoïa car elle nous empêche souvent d’agir. Nous pouvons mettre en place quelques mesures au quotidien, simplement pour en prendre l’habitude et se les approprier, sans pour autant multiplier les outils.

À 11h30, Maiwann nous a proposé l’atelier FramaJOIE. Il nous a servi à mieux comprendre le rapport à notre énergie, nos besoins et nos émotions vis-à-vis de Framasoft. Un outil très intéressant que nous avons utilisé est le cercle des émotions (parfois également appelé Roue de Plutchik). Cela nous a permis de mettre des mots sur les émotions (positives comme négatives) que l’on peut ressentir quand on agit au sein de l’association. Cela peut paraître anodin, mais l’on apprend rarement à identifier clairement ces émotions et avoir une liste de mots devant les yeux peut aider à identifier nos ressentis, en étant beaucoup plus précis que «Moi ça va ! ». Par exemple, plusieurs d’entre nous ont pu partager l’impatience qu’iels ressentaient à l’approche d’un évènement où l’on se retrouve physiquement. D’autres, la frustration et la fatigue de se sentir seul⋅es dans certaines actions menées au sein de l’association. Ce fut un atelier important pour mieux comprendre sa relation à l’association, mais aussi pour écouter ce que les autres pouvaient ressentir de leur côté, toujours dans l’optique de mieux se comprendre, interagir et faciliter les projets communs.

En début d’après midi, était organisé un atelier pour redéfinir la liste des attendus des bénévoles. Nous avons dû commencer par définir des objectifs (trois c’est bien) :

  • Expliciter synthétiquement ce que signifie être bénévole chez Framasoft
  • Proposer un cadre qui se veut rassurant quant à la légitimité à pouvoir agir en tant que bénévole
  • Exprimer ces attendus de manière non-autoritaire

Sur cette base, nous avons pris le temps de remettre au propre une page de notre wiki interne pour documenter :

  • les actions possibles au sein de l’association (par exemple lire ses mails, participer aux discussions et aux projets)
  • les intentions qu’on peut y mettre (comme d’avoir envie de faire certaines choses en fonction de son énergie)
  • et les « pouvoirs » que cela nous confère (par exemple, être accompagné‧e par un parrain ou une marraine, s’exprimer au nom de l’association)

Et puis après… après c’étaient les départs de certain·es. On a aussi fait des jeux de société qui font s’interroger sur la place, le rôle et les possibilités d’action des personnes. Nous avons bien rigolé en jouant par exemple à « Moi c’est madame » ou « Can you » (liens non sponsorisés, on en parle uniquement par amour).

Comme à chaque fois, le dernier soir s’achève sur une énergie plus tranquille, avec de beaux échanges, personnels, durant le dernier repas et après.

En conclusion, ce week-end a permis de réfléchir ensemble, comme d’habitude, mais aussi de faire ensemble. De mieux se connaître, de rappeler et affermir les objectifs de l’association, pourquoi nous sommes là, ce qui nous lie.

Nous avons l’intime conviction que chaque association devrait, de temps en temps, prendre un moment pour se poser, s’interroger, se remettre en question et surtout prendre soin de ses bénévoles.

Ce weekend a offert un temps commun pour les bénévoles ; un temps nécessaire pour prendre conscience de nos possibilités d’action communes, et des difficultés que nous pouvons rencontrer chacun et chacune de manière similaire. Parce qu’une association, c’est avant tout un groupe de vraies personnes vivantes, différentes les unes des autres, mais qui partagent des buts et des envies qu’iels ont en commun. On sait bien que la route est longue et que la voie est libre, depuis vingt ans maintenant, mais on sait aussi que le chemin sera bien plus agréable en bonne compagnie !




La nouvelle du vendredi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).
Aujourd’hui à l’UPLOAD c’est la rentrée… mais la sortie d’un bâtiment « sécurisé » est problématique quand le réseau est intermittent…

Un groupe reste confiné, parmi lequel un harceleur et sa victime…

Un réseau d’émotions

Alors que les vacances se terminent, Candice angoisse à l’idée de commencer des nouveaux cours avec des personnes qu’elle ne connaît pas. Le lundi matin, elle arrive à l’UPLOAD pour découvrir son emploi du temps et assister à une réunion d’informations sur les cours qu’elle a choisis. En poussant la porte, la jeune fille tombe nez à nez avec un étudiant dont le visage lui semble familier. En bonne introvertie qu’elle est, elle ne cherche pas pour autant à commencer une conversation avec lui.

Après une heure de présentation qui lui a paru interminable, elle se voit assigner trois camarades de TP pour le reste du semestre. Juste avant de quitter la salle le professeur les interpelle :
– Tous ceux qui ont des TP, n’oubliez pas d’aller chercher votre accréditation pour accéder au bâtiment sécurisé ! Et avant vendredi !

Candice ressort de sa rentrée plutôt satisfaite de la conférence malgré une certaine appréhension concernant ses camarades de TP et leur premier sujet. Elle sera vite fixée, son groupe a décidé de se retrouver le lundi suivant durant la pause du midi pour commencer leur travail. En attendant, elle continue d’y réfléchir pendant qu’elle se dirige vers l’administration. C’est dans ce bâtiment qu’elle pourra demander ses accès aux salles dans lesquelles se déroulent les TP sensibles…

Une fois arrivée, elle est emmenée devant un lecteur d’empreintes digitales. Candice comprend que les serrures du bâtiment de TP sont biométriques, mais elle est étonnée par ces mesures de sécurité qui lui paraissent démesurées pour un simple projet étudiant. Est-ce vraiment nécessaire ? Et pourquoi ce processus est-il si différent de tous les autres, qu’elle commence à bien connaître après trois ans à l’UPLOAD ?

De retour chez elle, Candice recommence à réfléchir au sujet de son premier TP. À première vue, celui-ci lui semble incongru, mais elle n’a aucune connaissance en la matière qui lui permettrait de se forger vraiment un avis. Après plusieurs heures sans trouver le sommeil, elle décide d’ouvrir l’ordinateur reconditionné que l’école lui a donné le jour même et de se lancer dans des recherches pour en avoir le cœur net. Malgré l’impératif pédagogique, elle se sent coupable de taper « LSD » sur DuckDuckGo.

Une semaine après la rentrée, le jour de la rencontre avec son groupe est enfin arrivé. Comme à son habitude, la jeune fille est en avance et attend devant le bâtiment. Peu de temps après, elle se fait interpeller par un grand garçon :
– Salut ! Tu dois être Candice. Moi, c’est Noah. Tu es en avance !
Timidement, Candice répond :
– Oui.

Sans plus attendre, ils entrent dans le bâtiment. En prenant les escaliers, ils sont surpris par la couche de poussière accumulée sur les marches.
– On voit qu’on revient des vacances, j’ai jamais vu le bâtiment aussi désert !
– C’est surtout qu’il n’y a plus beaucoup de projets dans le bâtiment avec accréditation. Moi, c’est mon premier par exemple. Tous mes cours jusqu’ici étaient ouverts à tous. J’imagine que presque plus personne ne vient ici.

Une fois à leur étage, ils aperçoivent Adrien, qui a l’air agacé. De l’autre bout du couloir, il leur lance :
– Vous savez vraiment pas respecter les horaires ! Vous avez cinq minutes de retard, on est déjà à la bourre sur le projet !
Noah lève les yeux au ciel et ouvre la porte. En s’installant, il demande aux autres de ne pas fermer pour que le dernier retardataire puisse les rejoindre plus facilement.

Ne le voyant pas arriver, notre groupe décide de commencer à travailler. En premier lieu, ils lancent un petit tour de table. Les trois étudiants se présentent chacun brièvement :
– Moi, je m’appelle Adrien, et je veux sortir major de ma promo. J’aime la richesse de la langue, c’est d’ailleurs pour ça que je suis dans l’association Eloc’UP.
– Je suis Noah, j’espère que l’on va tous bien s’entendre pour le projet.
Candice se présente à son tour quand Dylan entre en trombe dans la salle et claque la porte, au grand mécontentement d’Adrien.
– OH ! Tu es déjà en retard, ne casse pas la porte au passage !
– T’en fais pas mec, elle en a vu d’autres.
Candice reconnaît l’étudiant qu’elle a croisé le premier jour et qui lui dit décidément quelque chose.

Après plus d’une heure de concentration à étudier les échantillons de LSD, Dylan n’en peut plus. Il tente de relâcher la pression avec une petite blague :
– Et si, après avoir fini avec nos échantillons, on les testait ?
– Non mais tu es fou, c’est super dangereux ! Et puis on est là pour travailler, pas pour se faire un trip.
– Le LSD n’est pas forcément dangereux, précise Candice. J’ai un peu regardé quand on nous a donné le sujet, il est aussi utilisé dans des soins médicaux, notamment pour réduire l’anxiété et diminuer la douleur chez certains malades. D’accord, il a été illégal pendant longtemps, mais maintenant il est autorisé dans un cadre thérapeutique, et c’est très prometteur. C’est bien pour ça qu’on nous fait l’étudier à l’UPLOAD.
– En plus, la molécule est synthétisée à partir de céréales donc ce n’est pas si dangereux. Vous mangez bien des céréales tous les matins non ?
– Fais ce que tu veux, mais tu feras moins le malin quand tu seras pris de crises délirantes et qu’il y aura pas d’ambulance à hydrogène disponible pour venir te chercher.

l'index d'une main est posé sur un boîtier qui scanne les empreintes digitales
« Integrated Corrections Operations Network (ICON II) » by BC Gov Photos is licensed under CC BY-NC-SA 2.0.

 

Quelques heures passent encore, sans plus aucune interruption. Une fois leur première série d’expériences terminée, tous se dirigent vers la porte. Dylan pose son index sur le lecteur d’empreintes mais celui-ci s’allume en rouge. La sortie lui est refusée.
– Et merde, on est bloqués, la porte ne s’ouvre pas !
– Arrête de faire une blague c’est pas drôle, répond Adrien.
Les autres essaient à leur tour, en vain.
C’est Noah qui comprend tout à coup :
– Ah oui ! Ça doit être parce qu’il est plus de 14h.
– Comment ça ? chuchote Candice d’une voix blanche.
– Vous ne vous souvenez pas de l’annonce des opérateurs de télécom ? Ils avaient décrété que les réseaux de l’Oise allaient devenir intermittents. Internet n’est actif qu’entre 11 h et 14 h puis entre 22 h et 6 h. Ça ne vous dit vraiment rien ?
– Si, mais je vois pas le rapport. Tu nous expliques ? demande Adrien, méfiant.
– Eh bien, si les serrures par empreintes digitales sont connectées à Internet, elles ne marchent plus. L’administration n’a pas dû penser à adapter le système d’accès, comme il n’est presque plus utilisé.
– Donc on est réellement bloqués ? s’enthousiasme Dylan. Trop bien ! On va pouvoir échapper aux TVO pour une fois.
– Mais moi, s’inquiète Candice, je ne veux pas rester jusqu’à 22 h, j’ai des choses à faire.

Adrien, dans ses pensées, écoute d’une oreille ses camarades. Comment sortir d’ici ? Il prend son élan vers la porte et BOUM ! Un gros choc retentit. Tout le monde se tourne alors vers Adrien, qui crie de douleur. Son épaule vient de se déboîter.

Fatigué du comportement autoritaire d’Adrien, Dylan chuchote : « Il l’a bien mérité ! »
En entendant la remarque de Dylan, les souvenirs de Candice lui reviennent d’un coup : les messes basses qu’un fameux Dylan faisait au collège à son égard. En le regardant plus attentivement, cela ne fait aucun doute, c’est bien le même Dylan. Sous le choc Candice lui dit :
– Tu n’as donc pas changé…
– Mais de quoi tu parles ?
Candice, les larmes aux yeux, se libère de ce qu’elle avait sur le cœur durant toutes ces années :
– C’est toi qui lançais des rumeurs sur mon dos au collège, c’est toi qui me critiquais à longueur de journée, c’est toi qui te moquais de moi, qui taguais mon casier, qui jetais mes affaires, c’est toi qui me harcelais !

Pendant ce temps, Noah reste auprès d’Adrien, toujours crispé de douleur. En attendant de trouver une solution pour son épaule, Noah essaye au moins de le distraire en lançant un débat sur l’intermittence d’Internet :
– Rendre le réseau intermittent, même en cette période d’inflation énergétique, c’était pas vraiment la meilleure solution… Nous voila bloqués ici sans alternative.
– C’est vraiment une solution ringarde et insensée ! Imagine que quelqu’un ait fait un malaise, nous n’aurions aucun moyen de nous en sortir. On serait censés faire quoi ? Attendre le retour du réseau en espérant que cette personne reste en vie assez longtemps ?
– Ouais, c’est assez dangereux comme décision.
– Seulement dangereux ? C’est inadmissible oui ! C’est à Internet d’être notre esclave pas le contraire. Notre sécurité devrait être….
CRAAAC ! AHHHHH !
Noah a replacé l’épaule d’Adrien d’un coup sec et sans prévenir. Le cri d’Adrien arrête la dispute entre Candice et Dylan. Noah essaie de faire revenir le calme :
– Bon, on va tous prendre une grande respiration. Il faut qu’on trouve une solution pour sortir, et pour ça il nous faut tous nos neurones !

Dylan, touché par les paroles accusatrices de Candice, lui présente des excuses :
– Candice, j’aimerais vraiment qu’après être sortis, on rediscute de tout ça. Je suis désolé, et je voudrais me faire pardonner. Pour le moment il faut trouver une solution, mais est-ce que tu serais d’accord pour qu’on prenne du temps ensemble ensuite ?
Candice hoche la tête lentement sans rien répondre.

Chacun part dans une direction de la salle pour chercher des pistes pendant qu’Adrien se remet de ses émotions.

Au bout d’un moment, Candice trouve un bouton d’alarme incendie sur lequel elle appuie, sans que rien ne se passe. Visiblement, impossible aussi de joindre les secours sans Internet. Au bout de deux heures de recherche, fatigué de n’avoir toujours rien trouvé, Dylan s’assoit et joue avec une balle trouvée dans un tiroir. Après plusieurs lancers sur le plafond, une dalle se décale. C’est la goutte de trop pour Adrien :
– Sérieux, tu joues au lieu de chercher, remets au moins la dalle en place !
Dylan pousse un gros soupir et monte sur une chaise. En voulant remettre la dalle, il aperçoit un objet qu’il tire vers lui pour le sortir.
– Eh, les gars j’ai trouvé une mallette !
– Bah ouvre-la.
Noah et Candice s’approchent pour voir la trouvaille. Le jeune homme reconnaît une radio.

– Ah mais la voilà notre solution ! On peut communiquer avec une radio.
– Hahaha, mais tu perds la tête Noah ! Ça n’existe plus la radio.
– Si si, il y a pas mal de radios amateurs qui se sont remontées ces dernières années. Je crois même qu’il y a une radio pirate sur le campus ! D’ailleurs c’est peut-être à eux, cette mallette. Ça m’étonnerait pas qu’ils se planquent parfois ici pour faire leurs émissions au calme, et puis qui irait penser à fouiller les faux plafonds pour confisquer du matos ?
– Bon, d’accord, mais sans réseau, ça nous fait une belle jambe tout ça.
– Justement, la radio fonctionne grâce à la diffusion d’ondes électromagnétiques à travers une liaison entre un émetteur et un récepteur. Tout cela fonctionne avec des antennes, et non sur le réseau Internet. C’est complètement indépendant des opérateurs de télécom. Normalement, on peut arriver à contacter des gens si on arrive à capter des fréquences sur lesquelles émettent des radios.
– D’accord, on a compris l’intello. Mais à quoi ça va nous servir ? T’en connais, toi, des fréquences sur lesquelles il y a des émissions ? Et une fois qu’on a commencé à capter, on fait quoi ? On écoute de la musique ?
– C’est pas juste pour écouter de la musique, voyons. Ce poste de radio utilise la technologie de l’émetteur-récepteur. On peut parler avec d’autres personnes sur une même fréquence, un peu comme avec des talkies-walkies si tu préfères.
– Ok, mais comment on trouve une fréquence ?
– D’abord il faut allumer la radio, ça se passe ici, regarde. Et ensuite, on tourne ce bouton jusqu’à entendre quelque chose d’intelligible.
– D’accord, je cherche la fréquence des pirates alors.
– Il reste plus qu’à espérer qu’il y ait une antenne pas très loin pour relayer nos messages !

kit de radio amateur en trois modules, avec un micro et des tas de boutoons :-)
« Kenwood TS-430 Amateur Radio Setup » by mrbill is licensed under CC BY 2.0.

 

Au bout de plusieurs minutes d’essais dans tous les sens, les camarades finissent par tomber sur la fréquence sur laquelle émet RadioPadakor. Noah se précipite sur le micro et essaie de faire passer un message.

La radio est alors en pleine émission d’une interview sur les tomates quand des grésillements se font entendre. Après quelques manipulations incertaines sur le poste, le groupe parvient à prendre l’antenne un court instant. Constatant qu’on les entend, les quatre membres, fous de joie, diffusent leur message :
– Allô ? Je ne sais pas si quelqu’un nous reçoit mais on est enfermés dans le bâtiment sécurisé de l’UPLOAD, on n’arrive pas à sortir. On a vraiment tout essayé mais les serrures ne fonctionnent pas sans Internet, et on aimerait sortir avant la nuit. Est ce que quelqu’un peut nous aider ?
L’équipe de AirPD confirme qu’elle les a bien entendus, et qu’elle va chercher du renfort.

Une demie heure plus tard, c’est avec soulagement que les quatre jeunes étudiants voient la porte s’ouvrir. C’est un opérateur des télécoms qui les a libérés. Avec l’appui de l’administration de l’UPLOAD, il a réussi a rétablir une liaison temporaire entre les serrures connectées et le serveur de gestion des accès.

Une fois dehors, Dylan rejoint Candice pour clarifier la situation entre eux.
– Hey Candice, je te présente encore des excuses pour tout ce que j’ai pu te faire au collège. J’ai été stupide et immature. On va passer un semestre ensemble, autant que cela se passe dans de bonnes conditions. Alors, si ça te convient, n’hésite pas à me dire ce que je pourrais faire pour essayer de réparer le tort que je t’ai causé.
– Pourquoi pas, on va essayer, répond évasivement Candice.

Une permanente de l’administration de l’UPLOAD, Géraldine, rejoint le groupe et s’excuse de ne pas avoir anticipé le problème. Les quatre étudiants, épuisés, ne peuvent réfréner leurs critiques :
– Je pense, commence Noah, qu’il faudrait revoir complètement la gestion des accès à l’UPLOAD. On a hérité d’un système biométrique, tout connecté à Internet. Les portes des bâtiments, les ordinateurs… C’était à la mode à un moment. Mais on ne sait même pas où sont les serveurs ! Et c’est à cause de ça qu’on s’est retrouvé bloqués. Maintenant qu’Internet ne fonctionne plus en continu, ça ne peut plus marcher.
Géraldine est sceptique mais intéressée :
– Ça, il faudra en parler au collectif de gestion des bâtiments et à la DSI. Mais je vais déjà noter vos idées. Que suggérez-vous ?
– On pourrait peut-être s’inspirer des méthodes des débuts de l’informatique, propose Adrien, avec un réseau local en filaire par exemple. Et les données seraient toutes gérées sur place. Au minimum, le serveur de gestion des accès devrait être là où sont les clients, directement dans le bâtiment sécurisé.
– D’accord, mais des problèmes sur les équipements d’un réseau filaire peuvent toujours se produire. Et puis, avec l’inflation de l’énergie, on devrait commencer à se préparer aussi à des coupures d’électricité, et pas seulement d’Internet, répond Géraldine. C’est l’occasion de repartir complètement à zéro.
– Dans ce cas, se lance Candice, on pourrait tout simplement revenir à une sécurité basée sur des clés. Et les boutons d’alerte à l’intérieur des salles devraient être reliés à une radio alimentée par une batterie, qui se recharge lorsqu’il y a de l’électricité. Parce qu’on peut aussi avoir besoin d’appeler les secours !
– Merci de vos propositions, je les transmettrai aux équipes concernées. Maintenant, vous pouvez rentrer chez vous, vous l’avez bien mérité.

Une fois Géraldine partie, les quatre membres se rassemblent pour se dire au revoir :
– À la semaine prochaine ! lance Noah, pressé de finir sa journée.
– En espérant qu’on ne se retrouve pas bloqués la prochaine fois, plaisante Candice, douce-amère.
Sur une ambiance ambivalente, tout le monde rentre chez soi.

Une semaine est passée et revoilà nos quatre étudiants pour leur second TP. En entrant dans le bâtiment, ils croisent d’autres élèves en train de remplacer les lecteurs d’empreintes digitales par des serrures à clé. Candice se rapproche de Noah et lui donne un léger coup de coude en lui demandant :
– Alors, tu as bien récupéré tes clés ?

Ce texte est sous licence CC BY-SA

Autrices : Chloé Ade, Margaux Aspe, Mathilde Barrois, Lina Bourennane, Générose Agbodjalou

Bibliographie




La nouvelle du jeudi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

Aujourd’hui, sous le regard étonné des enfants de 2042, une exposition sur Compiègne autrefois, visite commentée par la ville elle-même. Au menu : l’Université, le mode de gouvernement, un vote libre et populaire, et tout ce qui aura changé dans une nouvelle conception de la société

 

Compiègne avant les années sobres

Voici mon témoignage. En quelques paragraphes, je vais vous raconter cette journée importante pour Thomas et sa famille. Je n’ai pas choisi n’importe quelle journée, évidemment, mais vous vous en rendrez compte par vous-même au fil des lignes, et peut-être comprendrez vous pourquoi elle est également importante pour moi, Compiègne…

Cela faisait plusieurs années que les citoyen⋅ne⋅s avaient prévu l’exposition. Par crainte que celle-ci ne soit trop rapprochée des événements traumatisants, les habitant·e·s avaient déplacé son inauguration jusqu’à aujourd’hui. Il s’était déroulé un nombre incalculable d’assemblées au cours desquelles elle avait été au cœur des discussions, suscitant des avis tranchés par les membres, tant opposés que favorables. Enfin, après cinq années, des affiches firent leur apparition devant la mairie, sur les places publiques et dans l’UPLOAD. Cependant, le titre ne faisait pas l’unanimité, surtout pas à mes yeux. « Compiègne avant les années sobres », semblait atténuer la gravité de la période sombre que nous avions traversée, celle de l’effondrement… L’exposition ayant enfin ouvert ses portes, de nombreuses personnes étaient impatientes d’admirer les œuvres exposées, particulièrement désireuses d’entendre les témoignages des plus âgées qui avaient tout vécu. Thomas faisait partie des guides bénévoles, dévoués à consacrer de leur temps à expliquer aux visiteurs et visiteuses ce qu’il s’était passé et pourquoi. Il était venu spécialement afin de faire découvrir l’exposition à ses enfants, en leur présentant tous ses éléments par des images.

Thomas entra dans la première salle consacrée à la présentation et l’évolution de l’UPLOAD. Placer celle-ci en premier ne me paraissait pas absurde. Après tout, c’est elle qui avait rendu tout cela possible. L’UPLOAD, l’Université populaire, libre, ouverte, autonome et décentralisée, constituait le point de départ de toutes les évolutions positives des années sobres.

Au début, l’UPLOAD était un projet étudiant dont le but était de modifier drastiquement le système éducatif de l’époque. L’éducation présentait des lacunes, les étudiant·e·s adoptaient un état d’esprit incompatible avec le risque d’effondrement que présentait la planète entière, et sortaient de leurs études avec une conception conformiste de ce qu’était le savoir. Chaque étudiant·e quittait l’institution en pensant que les mathématiques, la physique ou la chimie reflétaient l’intégralité des connaissances.

Initialement, l’UPLOAD occupait les locaux de l’université technologique de Compiègne et servait de lieu central où les étudiant·e·s se rencontraient. Progressivement, elle avait regroupé non seulement des étudiant·e·s mais aussi des habitant·e·s pour rassembler leur savoir et le transmettre aux autres. Tout cela s’était montré particulièrement utile dans les premières années de l’effondrement. Par la suite, elle était devenue un lieu communautaire, constitué de nombreux bâtiments, aux frontières moins définies.

Thomas et ses enfants arrivèrent devant la photo de l’ancienne mairie. On pouvait y voir un maire serrer la main du président de la république. L’un de ses enfants demanda alors ce qu’étaient un « maire » et un « président »… L’idée d’avoir une seule personne pour gouverner le pays lui était absolument impensable, comment un seul individu pourrait-il diriger tout un peuple ? Comment pourrait-elle prendre des décisions pour tous sans même connaître chacun et chacune ? Et pourquoi élire des maires ? À quoi servaient-ils, s’ils n’avaient aucun pouvoir ou presque ? Thomas se retrouvait bien surpris par toutes ces questions qu’il ne s’était jamais posées et qui pourtant lui paraissaient complètement légitimes. Afin d’y répondre, il décida de raconter d’où venait notre forme de politique actuelle.

« Avant l’effondrement, toutes les décisions ou presque était prises à Paris, c’est ce qu’on appelait un gouvernement centralisé. Le président et son gouvernement prenaient toute les décisions, et celles-ci étaient relayées par les préfets, puis par les maires. Ceux-ci n’avaient donc qu’un pouvoir très limité.

– Mais ils n’y a jamais eu d’autre forme de gouvernement avant ?

– Si bien sûr, il y a eu différentes formes de gouvernement, les plus notables sont la monarchie, où un roi gouvernait tout un peuple ; la théocratie, où le gouvernement agissait au nom d’un dieu ; l’oligarchie où un petit groupe de personnes gardait le pouvoir entre leurs mains et prenait toutes les décisions ; et il y avait bien d’autre formes encore. Celle que nous utilisons actuellement se rapproche beaucoup de la démocratie athénienne, où une partie du peuple votait les décisions ensemble. La différence est que notre forme de politique inclut tout le monde, alors que la leur excluait les femmes et les esclaves de la vie politique.

– Et pourquoi avons-nous changé de politique ?

– Lors de l’effondrement, l’ancienne organisation n’a plus fonctionné. Chaque région a connu des problèmes différents, notamment des pénuries d’eau, de nourriture, des inondations, des incendies… Mais comme ce fonctionnement obligeait le président à prendre des décisions pour tout le monde en même temps, il n’a pas pu répondre à tous les problèmes. Et c’est dans la panique qu’une nouvelle loi est passée, cédant la majorité des prises de décisions à une échelle plus locale, ville par ville », expliqua Thomas.

Cette décision avait été prise à peine 20 ans auparavant et pourtant elle avait tout changé. Cette politique décentralisée avait permis la mise en place d’un vote libre (et) populaire. Désormais, chaque loi était proposée par les citoyen·ne·s, puis votée dans un forum. Et l’ensemble des instances des villes sont assurées par des élu⋅e⋅s au service des citoyen⋅ne⋅s, renouvelé⋅e⋅s régulièrement. Thomas s’était mis en tête d’expliquer à Louka et Lucy comment votent les citoyen⋅ne⋅s, et il comprit que c’était bien compliqué pour des enfants de leur âge. Plutôt que tenter de vous l’expliquer je pense que la fiche explicative donnée lors de chaque vote sera bien plus claire :

 Le vote par note À la suite des débats sur les nouvelles lois à voter et les représentants à élire, chaque citoyen sera amené à donner son avis par un vote. Afin de rendre le vote plus représentatif de l’avis réel des citoyens, une nouvelle forme de vote a été établie. Vous serez donc amené à donner pour chaque vote, une note allant de 1 à 5 à chacune des propositions et/ou des représentants. Une fois tous les bulletins rassemblés, la moyenne des notes nous donnera l’avis du peuple. La note minimale à obtenir pour que la loi soit adoptée ou la personne élue dépendra de plusieurs situations: - Un candidat ne peut être élu dés que sa note descend sous 3/5. La personne avec la moyenne la plus haute est désignée victorieuse. - Une loi, ou partie de loi, est adoptée si sa note dépasse une certaine valeur définie. Cette valeur sera choisie selon la règle suivante : sans débat, la loi doit avoir une note supérieur à 3/5 cette note augmente de 0,3 point pour chaque demi-journée de débat La note limite ne peux excéder 4,5/5. exemple : Un projet de loi débattu tout une journée avant d'être voté, devra avoir une note supérieur à 3,6/5 pour être adopté. Nous invitons chaque citoyen à lire Du contrat social de Rousseau ainsi que les différents livres relatifs aux formes de vote se trouvant à la bibliothèque de l’UPLOAD pour comprendre pourquoi cette forme de vote est optimale.

Cette forme de vote a vraiment permis de rendre les choix et les décisions plus représentatives de la volonté des citoyen⋅ne⋅s.

« Bon laissez tomber, vous comprendrez sûrement quand vous serez plus grands… En attendant passons à la suite de l’exposition ! »

Le petit groupe s’avança alors devant une photographie d’un homme, apparemment désemparé, contemplant un graphique couvert de chandelles rouges et vertes. Il y était écrit : « NASDAQ, bourse de New York ».
« Papa, papa ! Qu’est ce qu’il fait celui-là ? demanda Lucy, la fille cadette de Thomas. Il se tourna vers elle, mit un genou à terre et pointa du doigt le cliché pendu au mur :
– Tu vois ça c’est ce qu’on appelait « la Bourse de New York », enfin ce qu’elle était quand j’étais jeune. À l’époque on pensait le monde en termes de croissance économique, de richesse pour les actionnaires et d’échange financiers. Le PIB, saint Graal des analystes économiques, était l’indicateur phare.»

Thomas voyait bien que son discours ne passionnait pas les foules, il surprit même ses enfants à bâiller devant ses dires. Pourtant il le savait, le changement de paradigme post-effondrement avaient rebattu toutes les cartes. Consciente qu’une croissance infinie n’était pas un modèle viable, la société avait cherché de nouveaux moyens de mesurer l’évolution de l’humanité. Une idée émergea alors, pourquoi ne pas intégrer la biodiversité dans tout les futurs projets de construction ? Une nouvelle loi avait alors été votée afin d’intégrer des indices de biodiversité, obligeant ensuite les autorités publiques à ne faire que des projets développant la biodiversité. Cette vision politique s’est cristallisée autour du RIP, Le Rapport d’Impact Projet. On pouvait savoir si un projet était bénéfique pour l’environnement en regardant le RIP. S’il était supérieur à 1, on pouvait alors lancer le projet, sinon il était mis de côté. Afin d’être au plus proche de la réalité, il avait fallu développer une vision multifactorielle, en se fondant par exemple sur l’abondance et la biodiversité ou sa diversité. Voici la formule employée dans le cadre de nouveaux projets.

RIP= impact du projet sur l'environnement/indice actuel de biodiversité

L’impact du projet sur l’environnement et l’indice actuel de biodiversité se définissent par des indicateurs d’abondance et de richesse spécifiques.

Cet indice a permis de choisir des projets plus durables et respectueux de l’environnement et de mieux comprendre les services rendus par certains bâtiments. Thomas s’était par exemple battu pour une grange menacée de destruction par une nouvelle route alors qu’elle servait de refuge pour les oiseaux nocturnes. Grâce au RIP, les élu⋅e⋅s s’étaient rendu compte que le tracé de la nouvelle nationale posait en fait beaucoup de problèmes et ils avaient pris la décision de le modifier.

Perdu dans ses pensées, Thomas ne s’était pas rendu compte que ses enfants s’étaient dispersés dans l’exposition.

Maintenant seul, Thomas parcourait l’exposition à leur recherche. Un peu inquiet, il s’arrêta à côté d’une personne âgée qui observait une photo d’un porte-conteneur chinois. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, Francis portait un béret bleu marine et une salopette vert bouteille. Ses manches retroussés laissaient voir des tatouages. Thomas lui fit signe et Francis lui esquissa un sourire.

« Bonjour monsieur, savez-vous que j’ai déjà travaillé sur un de ces bateaux ? Dans ma jeunesse si le monde tournait, c’est parce que ces gros engins mécaniques flottaient, expliqua Francis en se tournant vers Thomas.
– Oui bonjour, c’est vrai qu’aujourd’hui ces types de bateaux ont complètement disparu, répliqua Thomas.
– Vous savez, vous avez sûrement dû observer ce changement aussi, mais la principale raison de leur disparition c’est la mise en place du nouvel indice qui a supplanté le PIB. À cette époque la quantité d’échange de nature économique réalisée par un pays produisait sa valeur, ainsi on observait une intensification des échanges, une délocalisation de la production, bref on faisait des échanges pour faire des échanges.

Cette dynamique s’est totalement inversée, on a décidé de non plus mettre en valeur le nombre croissant d’échanges économiques, mais le faible nombre de celui-ci. Les pays se sont ainsi mis en concurrence dans des objectifs d’autonomie de leurs citoyen⋅ne⋅s. Moins un pays se repose sur une centralisation des productions, c’est à dire plus ses citoyen⋅ne⋅s sont autonomes dans la réalisation de leur quotidien, plus ce pays est mis en valeur.
– C’est vrai, j’étais encore assez jeune lors de ce renversement, mais j’avoue que je vois pas trop le lien direct avec la raison pour laquelle les porte-conteneurs ont disparu, s’interrogea Thomas.
– Bien, ça c’est grâce à un autre indice, il est encore présent aujourd’hui mais il est si bien incorporé par tout le monde qu’on a tendance à l’oublier, j’en ai même oublié le nom.
– L’indice de maniabilité ? proposa Thomas.
– Oui, c’est ça… l’indice de maniabilité. En fait, il permettait d’observer la dépendance d’une société à une technologie elle-même dépendante de ressource, d’énergie non-humaine. Le propos, c’est de dire que l’univers technique que produit l’Homme doit se baser sur les capacités physiques de l’Homme et non sur un asservissement de la nature comme ressource. De cette vision, il en découle une décroissance forte dans les usages des technologies à bouton, vous savez celle où on appuie sur un bouton et ça marche tout seul sans qu’on sache vraiment comment, mais ce que l’on sait, c’est que ça consomme un équivalent en énergie non-humaine, expliqua Francis.
– Et de cette manière tous les procédés d’automatisation, les moteurs énergivores et tous ces autres éléments techniques superflus, ont disparu progressivement.C’est tout de même fou qu’on ait pu penser de cette façon, un Homme hors de la nature quelle idée ! » reprit Thomas.
Francis sourit à Thomas, puis poursuivit sa visite. Thomas reprit sa quête.

Après avoir suivi cette conversation, des souvenirs de mon usage destructeur me frappèrent. Je suis et je serais toujours à l’image des Hommes qui me façonnent, mais tout de même l’évocation d’un ancien moi en opposition avec la nature, me donne des frissons.

Son père retrouva Louka près d’une ancienne carte de la région, regardant surpris de longs chemins de couleur grisâtre qui serpentaient dans la ville et au-delà.
« C’est quoi Papa ? c’est tout gris, dit l’enfant en pointant du doigt ces longs tracés.
– Ça tu vois, c’est une autoroute. Et là ce sont des routes nationales, ici les routes départementales et là les rues de la ville, expliquait Thomas.
Thomas poursuivit, décrivant à ces enfants ces voies de transports qu’ils n’avaient pas connues.
– À cette époque, nous utilisions des voitures pour nous déplacer dans la ville. La voiture c’est 4 sièges plus ou moins qu’on met dans une boite. Puis on met cette boite sur quatre roues, on lui rajoute un moteur avec de l’essence, et ça roule !
Thomas continua en disant que chaque voiture avait un « propriétaire» et de ce fait, on en faisait un usage individuel la plupart du temps.
– Mais, elle sont énormes ces voitures ! Pourquoi elles sont si grosses si on est seul dedans ? ça sert à rien ! s’étonna Louka.»
Face à la surprise de son fils, Thomas soupira. Il lui revint en mémoire ces heures de bouchon pour aller travailler au bureau, dans une compagnie d’assurances à 25 km de chez lui.

Son évocation des voitures me rappela le temps où les immeubles s’assombrissaient à cause de la pollution et où ces voies bruyantes, polluantes, et dangereuses me traversaient de toute part. Aujourd’hui, le vélo a remplacé la voiture mais les traces de ces anciennes routes n’ont pas pu être complètement effacées en si peu de temps. Elles sont maintenant recouvertes de terre, mais la nature peine à reprendre ses droits face au bitume, encore trop proche de la surface de la terre. Seul les routes en dehors de la ville subsistent encore, mais ceux qui possèdent une voiture doivent la garer à l’ancienne zone commerciale avant de prendre un autre moyen de transport pour rejoindre le centre.

Louka s’intéressa ensuite à de curieux bâtiments. De grandes structures de couleur blanche sont accompagnées d’immenses surfaces planes vides. Thomas décrivit ce lieu atypique comme un centre industriel destiné au soin.
« Mais ils sont tout le temps malades ? s’interrogea l’enfant.
Thomas, amusé de cette réaction inattendue, répondit :
– Non, à cette époque les gens ne savaient pas se soigner, du moins une majorité. Une certaine élite de la société trimait pour apprendre un nombre considérable de connaissances afin de soigner les gens. Ces personnes aux différentes spécialités se regroupaient dans des hôpitaux, cliniques ou tous les autres lieux dédiés au soin.» poursuivit Thomas.
Aujourd’hui, suite à une surcharge des hôpitaux durant l’effondrement, la centralisation des pratiques médicales, c’est terminé. Un processus de décentralisation des savoirs s’est enclenché. Des lieux de soins alternatifs sont apparus, ils regroupent un petit nombres de spécialistes. Ces lieux sont présents presque à chaque coin de rue, ils permettent de former les citoyen⋅ne⋅s aux pratiques médicales et de mettre à disposition un matériel médical spécialisé. Ainsi, tout le monde peut se soigner en consultant ces spécialistes gratuitement, et même se former afin de succéder à ces médecins. Désormais, les citoyen⋅ne⋅s se soignent en grande partie en autonomie ou en se soignant mutuellement.

Thomas regardait Lucy et Louka jouer avec d’autres enfants. C’était beau. Avant l’effondrement, il était enfermé dans une compagnie d’assurance pour gagner une misère. Tous les savoirs acquis pour se reconvertir dans l’ébénisterie, auparavant personne n’y faisait attention. Aujourd’hui, les sociologues cherchent à représenter ces interactions sociales aux travers de modèles, les modèles de Densités EA2D (Echange, Acteurs, Diversité de savoir, Diversité de culture). Ces modèles tendent à valoriser les espaces d’échanges culturels, de savoir ou juste d’interaction sociales. On voit apparaître différents niveaux de EA2D. Avant, les structures du savoir étaient descendantes [Schéma 1 ci-dessous], avec peu d’acteurs et d’actrices transmettant un savoir en particulier. Suite à l’effondrement, d’autres structures se sont démocratisées, avec plus de diversité de savoirs [Schéma 2 ci-dessous] (limitant l’enfermement dans les bulles de filtres) et plus d’acteurs⋅actrices de cultures diverses permettant une mixité sociale importante [Schéma 3 et Schéma 4]. Des infrastructures comme l’UPLOAD reposent sur ces travaux pour élaborer des schémas d’interactions entre les individus afin de coller aux dimensions PAPS.

Schéma 1 : Peu d’acteurs distribuant le savoir à peu de personnes, apprentissage descendant

 

 Schéma 2 : davantage de savoir partagé, toujours dans un modèle descendant

 

Schéma 3 : davantage de savoir partagé, mise en réseaux des savoirs

 

Schéma 4 : diversité des interlocuteurs, chaque personne peut proposer et apprendre

 

Vous vous demandez sûrement à quoi correspond les dimensions PAPS n’est ce pas ? En plus de tous ces schémas et calculs, les hommes ont aussi développé une nouvelle vision de la société, fondée autour de 4 grandes dimensions : une dimension Pluriculturelle, Artisane, Pédagogique et Subsistantielle. Thomas est occupé avec ses enfants, je vais donc vous détailler à sa place ce qu’elles représentent.

1. La dimension Pluriculturelle
Cette dimension promeut l’ouverture à l’autre et le refus de l’enfermement des individus dans des bulles de filtres. Elle ne pose pas de hiérarchie entre les matières, les savoirs ou des savoirs-faire.

2. La dimension Artisane
Cet éclairage vise à produire et réparer les objets de son quotidien. En générant un nouvel environnement technique, cette dimension transforme le rapport à l’outil et permet aux individus de se réapproprier les moyens de productions.

3. La dimension Pédagogique
La dimension Pédagogique prône les concept de transmission, de réception et de partage du savoir sans limite ni barrière. Elle vise a proposer le savoir pour tous et par tous à la manière de structures comme l’UPLOAD ou d’autres lieux d’échanges plus petits.

4. La dimension Subsistantielle
L’autosuffisance passe aussi par une autosuffisance alimentaire. Dans cette optique, la société a cherché à créer des réseaux de savoirs pour la subsistance du commun. Un individu seul ne pouvant pas toujours subvenir à tout ces besoins, l’entraide devint le maître-mot de cette dimension. Le nouvel humain est connecté avec la nature à la manière de l’Homme selon Hans Jonas. Ce nouvel humain tend à préserver, et non plus à asservir la nature.

L’histoire de Thomas s’inscrit dans une histoire plus globale avec l’effondrement, ce sont l’ensemble des fondements sur lesquels reposaient la société qui se sont effondrés. Une société servicielle et fonctionnaliste qui s’est ordonnée en classe sociale et métier, le tout soumis aux principes d’une hiérarchie verticale. Avec la raréfaction des ressources et l’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles, les métiers sont devenus inutiles, la chaîne servicielle s’est brisée. Afin de rependre de l’activité, les humains se sont réinventés, ils ont imaginé une société organique où chacun, chacune possédait une multitude de savoirs. Ces savoirs sont partagées dans les communs.

De cette manière l’UPLOAD permet la formation aux principes d’une vie autonome à un large publique. Le citoyen apprend de cette manière à s’approprier les moyens de production, de subsistance et les moyens pédagogiques. Ces concepts sont réemployés dans la ville, à travers des ateliers communaux de production, autrement nommés des tiers-lieux. Ces lieux alternatifs sont l’extension de l’UPLOAD, ils permettent le partage des connaissances artisanales, ainsi que la mise en commun des outils de production et de réparation.
L’arrivée de ces nouveaux espaces m’a fait grandement du bien, il a renforcé le lien entre mes habitant⋅e⋅s et a permis de mettre en avant des pratiques non-destructrices de mon milieu.

Dans la dernière salle, une stèle était placée au centre de la pièce. Un panneau placé à sa droite donnait les explications suivantes :

L’effondrement est né de l’accumulation de différents facteurs. Au début du XXIe siècle, l’amplification des problèmes sociaux et sociétaux, l’absence de remise en cause du système économique capitaliste et l’inaction face aux enjeux environnementaux ont été le terreau fertile entraînant le déclin de la société. Une période sombre durant laquelle la raréfaction des ressources et la destruction du système économique par une récession qu’on n’a pas su empêcher, ont mis à mal la souveraineté alimentaire et l’accès au soin de chaque individu, d’autant plus fragilisé par la haute fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles. Les individus ont vu leur mode de vie se métamorphoser, se dégrader, ne pouvant plus se projeter dans l’avenir, devant lutter pour survivre pour répondre à leur besoins de première nécessité.

Dessiné au trait, un arbre dont on voit bien la base et tronc mais pas la houppe/ Un panneau écrit est posé contre le tronc sur une branche basse

Dessin de Martin ROUSSEL CC-BY-SA

Presque ému par tous ces mots, je vis Thomas et ses deux enfants quitter l’exposition, le cœur plein d’espoir pour cette future génération.

L’exposition en mon honneur était belle et poignante et montrait tout à fait à quel point il était important de ne pas tomber à nouveau dans nos anciennes habitudes. J’attends avec impatience et confiance l’exposition suivante, celle qui illustrera ce que je serai devenue demain..

Texte sous licence CC-BY-SA
Écrit par : AUBERT Paul, DETEVE Damien, DUFOUR Timothé, EGLES Lisa, ROUSSEL Martin
Co-éditrice : Numa HELL

 

 

Bibliographie

[1] COGNIE Florentin, PERON Madeleine. Mesurer la biodiversité [en ligne]. Conseil d’analyse économique, Septembre 2020 (généré le 18 janvier 2024). Disponible sur Internet : https://www.psychaanalyse.com/pdf/MESURER%20LA%20BIODIVERSITE%20FOCUS%202020%20(11%20Pages%20-%20569%20Ko).pdf

Comprendre un peu mieux les théories autour de l’effondrement :

À propos de la démocratie athénienne :

  • MOSSÉ, C. (2013). Regards sur la démocratie athénienne. Perrin.

Pour en apprendre plus sur les différentes méthodes de vote :

Pour comprendre d’où vient l’idée que plus une proposition provoque des débats, plus elle doit faire l’unanimité à la fin du débat :

  • ROUSSEAU, J. (1762). Du contrat social ou Principes du droit politique.

Pour comprendre nos hypothèses autour de l’université populaire libre ouverte, autonome et décentralisée, la définition de l’UPLOAD : https://upload.framasoft.org/fr/

Pour comprendre davantage ce dont nous parlions autour du « conformisme du savoir », l’utilité des connaissances :

  • GRAEBER, D. (2018) Bullshit Jobs.

Pour comprendre la bascule réalisée par l’UPLOAD dans la société :

  • FRIEDMANN, G.(1963). Où va le travail humain ?
  • ILLICH, I. (2014). La convivialité.
  • GORZ, A. (2008). Écologica. Editions Galilée.
  • PARRIQUE, T. (2022). Ralentir ou périr : L’économie de la décroissance.