Quand la coopérative dessine le chemin d’une autre voie possible en entreprise

Ernst Vikne - CC by-saSi l’économie est, dans son acception commune, l’activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services, alors le logiciel libre propose effectivement une organisation originale et alternative à l’économie informatique, le bien étant bien commun et le service véritablement au service de ses utilisateurs.

Il serait un peu rapide et hasardeux d’affirmer que la coopérative est à l’entreprise ce que le logiciel libre est au logiciel.

Il n’en demeure pas moins vrai que les deux mouvements présentent certaines similitudes, à commencer par celle de vouloir se protéger d’un monde qui perd son humanité en se reliant aux autres pour donner sens à son action[1].

Si vous voulez changer le monde, cela passe désormais bien moins par le politique que par l’économique. C’est pourquoi les tentatives pour faire sortie de l’ombre un autre possible en entreprise nous semblent si ce n’est à encourager tout du moins à diffuser et à débattre.

À la limite de la ligne éditoriale de ce blog, ce document de fin de colloque nous semble une bonne base de réflexion aussi bien pratique que théorique.

Déclaration du Forum pour une autre économie

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Déclaration du « Forum pour une autre économie »
Faite à Nîmes le 16 janvier 2011

La participation réelle des salariés à la gestion de leur entreprise est une exigence croissante dans la société moderne, pour combler le vide actuellement laissé par les actionnaires dormants à une oligarchie financière qui trop souvent ne gère plus que pour elle-même, sans plus prendre en compte les exigences de l’emploi et de la pérennité réelle des entreprises .

Dans les grandes entreprises, particulièrement celles qui sont cotées, cette oligarchie a imposé un partage de la valeur bien plus favorable au capital qu’au travail , tout particulièrement depuis vingt ans. Le travail et l’emploi, ne sont plus des valeurs mais des variables d’ajustement. Par ailleurs, beaucoup de TPE et les PME souffrent indirectement de cette financiarisation du fait de leur statut de sous-traitantes voire de partenaires de groupes plus importants. Il convient donc de promouvoir toutes les solutions institutionnelles susceptibles de rendre aux individus la maîtrise de leur destin économique.

Tel a été le sens du colloque de Nîmes des 15 et 16 janvier 2011. Notre société s’engage dans l’économie de la connaissance, de l’innovation, du développement durable. La constitution de sociétés de salariés, notamment sous forme de SCOP, est une voie particulièrement efficace pour que les chercheurs du secteur privé, mais aussi du secteur public , puissent développer eux-mêmes leurs créations et innovations, dans une structure participative égalitaire ; et, plus largement, pour que les porteurs de projets concrétisent ceux-ci grâce à une structure participative et rendue durable par son système de propriété à la fois privée et collective.

L’association des travailleurs pour gérer leur avenir commun dans une société dont ils sont les propriétaires, qu’elle soit d’ailleurs ou non de forme coopérative, est une résultante légitime de l’élévation du niveau moyen de savoir. Elle est aussi, à de nombreux égards, la meilleure posture face à un avenir que la mondialisation rend particulièrement aléatoire. Qui mieux que le collectif des salariés peut se soucier de l’avenir de l’entreprise en tant qu’équipe d’hommes et de femmes dont l’intérêt n’est pas d’abord commandé par la rémunération du capital ?

La forme de la Société coopérative de production – SCOP ou coopérative de salariés (l’idée d’Entreprise à Responsabilités et Résultats Partagés a été évoquée) est une solution dotée de trois caractéristiques : la démocratie dans le choix de la stratégie et des responsables, l’équité dans la répartition du résultat, et la pérennité de l’emploi, qui la rendent à la fois crédible et fiable aux yeux de ceux qui y produisent la valeur. Elle s’adapte régulièrement aux nouveaux défis. La Société coopérative d’intérêt collectif – SCIC, qui fait entrer dans la coopérative, différentes catégories de sociétaires à côté des salariés, est un exemple de cette adaptation récente, notamment pour les dynamiques territoriales.

Sur le plan du capital , les outils dont s’est doté le mouvement coopératif avec ESFIN, et sa filiale l’IDES, le fonds de capital-risque SPOT, la société SOCODEN pour les prêts participatifs, permettent de dire qu’existent aujourd’hui la plupart des outils financiers nécessaires pour créer et développer une SCOP. Abonder plus largement ces outils, notamment dans le cadre du « Grand emprunt pour l’économie du futur », serait une condition nécessaire d’un développement plus rapide et plus large de la forme SCOP. Une somme de 100 millions d’euros a déjà été prévue pour l’économie sociale. Elle est trop faible. L’augmenter et l’utiliser pour le développement des SCOP ne dépendent que d’une volonté politique .

Remettre en valeur et assouplir la loi sur le Titre Participatif est une autre priorité. Créer des Fonds Communs de Placement dédiés à l’Économie Sociale aussi.

Dans le même sens, le rachat par les salariés d’entreprises saines, c’est-à-dire avant toute phase critique de gestion, devrait être facilité . En premier lieu, par une intervention plus ample et plus rapide, du fonds souverain français de la Caisse des dépôts ; en second lieu, par la création, dans les entreprises qui doivent envisager leur transmission, d’une réserve de transmission dont la défiscalisation serait conditionnée par le seul fait que les acheteurs sont les salariés. Par ailleurs, la formule ESOP de rachat par les salariés à l’aide de crédits à très long terme, courante aux États-Unis, mérite d’être à nouveau analysée en détail en vue d’une transposition en France . Serait-il impensable aussi de commencer à solvabiliser les salariés, pour la constitution d’un capital, en dédiant une part de la cotisation d’assurance chômage payée pour chaque salarié à la création d’un compte ou livret individuel lui permettant de participer au rachat de son entreprise ou d’en créer une ?

Mais si des outils financiers à la création de SCOP ou à la reprise d’entreprises par les salariés, existent, d’autres conditions s’imposent pour leur développement et réussite.

Résumons les en disant qu’il s’agit de diffuser la culture de l’économie coopérative, « déverrouiller » l’image des SCOP auprès de l’opinion publique en en présentant la diversité des pratiques.

Il faut d’abord que le fonctionnement de l’entreprise soit enseigné, à tous et donc dès la classe de troisième, intégrant évidemment les formes coopératives. Les départements universitaires et les grandes écoles consacrées à l’économie coopérative doivent se multiplier . Les institutions fédérales et confédérales de l’économie sociale doivent offrir, dans le cadre de la formation continue , des enseignements valorisant les pratiques coopératives ; elles doivent aussi renforcer leur expertise et leurs moyens d’appui aux entreprises de l’économie sociale, en particulier pour accompagner les transmissions d’entreprises.

Les propositions qui précèdent n’excluent en rien la poursuite et le développement de l’actionnariat salarié et de la participation, mais ces dispositifs doivent atteindre un seuil d’efficacité pour peser d’un poids suffisant dans les Conseils des entreprises, afin d’infléchir vraiment la gestion. Ceci nécessite aussi l’organisation de formes nouvelles de gestion collective de cet actionnariat.

C’est dans ce contexte que le colloque a abouti à la création d’un Observatoire des alternatives économiques, non seulement dans ce domaine de l’intervention des salariés dans la gestion, mais beaucoup plus largement, dans tous ceux qui feront l’objet des colloques suivants du Forum pour une autre économie, durable, socialement intégratrice, civiquement engagée, écologiquement acceptable.

En 2011 et 2012, cet Observatoire[2] se donnera comme priorité l’analyse des programmes politiques exposés en vue des élections de 2012, et interpellera les formations politiques et divers candidats sur leurs propositions dans ce champ des alternatives économiques. Il ambitionne d’en mesurer la pertinence et d’en proposer l’enrichissement.

Notes

[1] Crédit photo : Ernst Vikne (Creative Commons By-Sa)

[2] il sera notamment piloté par Jean Matouk, Michel Porta, Thierry Jeantet.




Aujourd’hui ma soeur a décidé de se mettre à l’informatique et… mauvaise surprise !

Hygiene Matters - CC byNous avons recopié ci-dessous un mail que nous avons reçu hier d’un de nos lecteurs suisses. Il raconte l’histoire d’une « association de trois malfaiteurs » : Google, Microsoft et l’État français, qui trompent indûment les néophytes souhaitant découvrir l’informatique.

En effet, en voulant aider sa sœur à (enfin) s’initier aux nouvelles technologies, Florian a naïvement tapé « débuter en informatique » dans Google.

Et il est tombé en deuxième lien sur une horrible page du très officiel site gouvernemental de la Délégation aux Usages de l’Internet (DUI)[1].

Horrible parce que n’ayant visiblement pas été mise à jour depuis 2006, on se retrouve avec des informations totalement obsolètes qui font la part belle à Word et Windows !

Aucune référence explicite au logiciel libre. On y trouve bien une petite mention de notre OS favori mais l’unique lien est un LUG canadien : « Windows reste le système d’exploitation le plus répandu, ceux qui souhaitent s’initier à Linux peuvent consulter le site GULUS (groupe d’utilisateurs Linux de l’Université de Sherbrooke), destiné aux débutants ».

Le problème c’est que l’obsolescence de cette page n’est pas le problème de l’algorithme de Google, et il continue donc de proposer cette page en tête de gondole lorsque l’on cherche à débuter en informatique. Du coup j’ai bien peur que la sœur de Florian n’ait pas été la seule à tomber sur ce lien qu’il serait responsable de supprimer ou de mettre immédiatement à jour en n’oubliant pas cette fois-ci le logiciel libre.

PS : Si vous avez envie de le leur suggérer directement, vous trouverez quelques adresses de courriel sur cette page du site.

Un courriel de Florian S.

Titre : Un gouvernement aux bottes de Microsoft

Bonjour à vous chers responsables du site Framasoft,

Tout d’abord je tiens à vous remercier pour tout le travail que vous faites sur les différents projets (j’ai un faible pour les Framabook), je suis rarement actif dans la communauté cependant je suis un libriste convaincu, je préfère peut-être en parler autour de moi plutôt que sur Internet qui regorge assez d’informations.

Aujourd’hui ma sœur a décidé de se mettre à l’informatique, elle va endurer un apprentissage relativement long puisqu’elle a toujours refusé de s’y mettre et qu’elle doit donc apprendre depuis zéro, il est évident que je vais de suite la mener au monde du Libre.

Pour cela j’ai fais une requête sur Google, digne d’un débutant (sans méchanceté aucune) afin de me fournir en documentation pour savoir quel aspect de l’informatique je devrais mettre en valeur pour commencer, il m’a suffit de taper « débuter en informatique » pour avoir une vision globale du gouvernement français (grâce à mon oeil libriste), si comme moi, le deuxième lien de Google pointe sur cette page je pense à juste titre, que cela est un sujet à mettre en valeur chez Framasoft et partout ailleurs dans la culture libre, les possibilités de débuter en informatique sans être enchaîné, je pense que c’est un point qui nous manque de manière cruciale.

Par la même occasion, étant suisse je ne peux rien pour changer le gouvernement français, je vous sollicitais afin de mettre en pratique les mots Liberté – Égalité – Fraternité situé sur l’image en haut de la page Web pour peut-être changer le monde…

Ce petit message, destiné aux responsables de ce site est pour émettre une petite attention sur les débutants, car actuellement, de par ma requête, tout débutant est voué à tomber entre les mains de gourmands monopoles. Je suis aussi dégoûté du manque de réflexion qu’ont les gens face à l’informatique, le manque de recul, ce qui donne évidemment la page telle que vous la voyez sur le site de votre gouvernement.

Si il faut de l’aide, pour rédiger des notices, tutoriels pour débuter en informatique, je tenterai de mettre à contribution le peu de temps libre que j’ai.

Merci à vous Framasoft et les autres de m’avoir permis de découvrir l’informatique, la vraie !

Meilleures salutations, Florian S.

Notes

[1] Crédit photo : Hygiene Matters (Creative Commons By)




Création du hashtag qui me rendit célèbre : #lmi pour Long Mais Intéressant

LMI

Aujourd’hui c’est vendredi et j’ai décidé de passer à la postérité du Web.

Comment ? C’est très simple : je viens d’inventer un acronyme doublé d’un hashtag Twitter qui, à n’en pas douter, fera bientôt le tour du Net francophone (oui, il ne faut douter de rien dans ces cas-là, c’est même à ça qu’on les reconnaît).

Ne vous faisons plus attendre et levons le voile sur ces trois lettre d’or qui me rendront célèbre à défaut d’être riche :

LMI ou #lmi pour Long Mais Intéressant.

Allez-y, vous pouvez d’ores et déjà l’utiliser partout où il vous semble bon. Il va sans dire que c’est placé sous licence libre (celle que vous voulez). Et ne me remerciez pas, c’est pas la peine, c’est cadeau.

J’en profite pour présenter d’emblée mes plus plates excuses au Laboratoire des Matériaux Inorganiques, au Luthier Mercantile International, au Linux Mark Institute, sans oublier Le Monde Informatique, parce que, soyons lucide, mon LMI va nécessairement leur faire de l’ombre…

Oups, désolé, mais j’ai un petit SMS à envoyer à Monique… tap, tap, tap : « Alors t’as trouvé ça comment hier soir ? », clic, envoyer. Voilà, je reviens vers vous.

Comment m’est venue cette idée de génie ?

Tout simplement à force de lire et d’entendre un peu partout que les articles du Framablog « c’est long mais intéressant ».

Et pour le dernier en date, ça n’a effectivement pas loupé comme on peut le constater sur l’illustration ci-dessus.

Notez que c’est mieux qu’un « c’est long et chiant ». Mais à ce moment-là la logique veut qu’on n’en parle pas.

Notez également, et c’est plus subtil. que c’est toujours mieux qu’un « c’est intéressant mais long ». A priori on peut penser que c’est équivalent, mais entre un « c’était pénible mais ça valait le coup » et un « ça valait le coup mais c’était pénible », mon cœur ne balance pas.

Toujours est-il que dans une petite semaine (pas plus), ce sera la gloire absolue : un article Wikipédia dédié à ma création ! Oui, oui, Comme TINA ou MDR !

Il y aura bien, au début, une petite guerre d’édition entre wikipédiens de la première heure peu rompus aux joies du microblogging et ceux qui ont édité l’article. Mais les premiers céderont bien vite devant les seconds quand ils verront mon hashtag caracoler en tête des trending topics. D’autant que l’article sera sourcé puisqu’il suffira de faire un lien vers ce billet !

Le « long » n’est pas une constante du Net. Bien au contraire il varie constamment, mais toujours dans le même sens. Plus le Web avance, plus le long devient court. Aujourd’hui la limite est fixée à 140 caractères, après ça peut éventuellement être intéressant mais c’est déjà trop long.

Qu’en sera-t-il demain ?

Oh, mais Monique vient de répondre à mon SMS… Je regarde : « LMI » !




Internet favorise l’anglicisation, la robotisation et la globalisation du monde ?

Pink Sherbet Photography - CC byUne courte traduction à la sauce « Café Philo » qui n’est là que pour engager un petit débat avec vous dans les commentaires si vous le jugez opportun.

Anglicisation, machinisation et mondialisation sont ici trois arguments qui font dire à l’auteur qu’Internet est loin d’être neutre et nous oblige implicitement ou explicitement à adopter certaines valeurs, avec toutes les conséquences que cela implique[1].

Peut-être ne serez-vous pas d’accord ? Peut-être estimerez-vous que l’on enfonce des portes ouvertes ? Peut-être ajouterez-vous d’autres éléments à la liste ?

Les commentaires vous attendent, même si il est vrai que le débat s’est lui aussi déplacé, des forums et des blogs vers les Facebook et Twitter (et en se déplaçant il a changé de nature également).

Un billet à rapprocher par exemple des articles suivant du Framablog : Code is Law – Traduction française du célèbre article de Lawrence Lessig, Internet et Google vont-ils finir par nous abrutir ?, Quand Internet croit faire de la politique ou encore notre Tag sur Bernard Stiegler.

Utiliser Internet nous force-t-il à adhérer automatiquement à certaines valeurs ?

Does the use of the internet automatically force us to accept certain values?

Michel Bauwens – 19 janvier 2011 – P2P Foundation
(Traduction Framalang : Martin et Goofy)


Ci-dessous une intervention de Roberto Verzola, extraite de la liste de diffusion « p2p-foundation » :

« Je suis assez d’accord avec Doug Engelbart, l’inventeur de la souris, quand il dit que nous façonnons nos outils, et que nos outils nous façonnent à leur tour. Il parle d’une co-évolution de l’homme et de ses outils. Nous devrions peut-être appeler cela « un déterminisme réciproque ». Quand il dit « nous façonne », je suppose que le « nous » désigne aussi les relations sociales.

E.F. Schumacher (Small is Beautiful) va plus loin encore et je suis aussi entièrement d’accord avec lui. Il écrit (dans Work) que dès lors que nous adoptons une technologie (conçue par quelqu’un d’autre probablement), nous absorbons l’idéologie (une manière de voir les choses, un système de valeurs) qui va avec. Schumacher pensait que beaucoup de technologies venaient imprégnées d’idéologies, et que ceux qui pensaient pourvoir en importer une en refoulant l’idéologie qui va avec se trompent. Cette vision met sûrement plus l’accent sur le « déterminisme technologique » que celle de Engelbart, mais je pense tout de même que E.F. Schumacher a raison, du moins pour certaines technologies.

En fait, j’ai analysé Internet avec la perspective de Schumacher, et j’y ai trouvé quelques états d’esprit et systèmes de valeurs que ses utilisateurs sont obligés d’absorber, souvent sans en prendre conscience (pour avoir la liste entière suivre ce lien). Il me suffira d’en mentionner trois :

1. L’usage généralisé de l’anglais dans les technologies liées à Internet, jusqu’aux micro-codes des microprocesseurs, nous force à apprendre l’anglais. Et si vous apprenez la langue anglo-saxonne, vous allez sûrement acquérir certains goûts anglo-saxons. Apprendre la langue, c’est choisir la culture.

2. L’esprit de robotisation : remplacer les hommes par des machines. Cela prend du sens dans un pays riche en capital (même si ça se discute), mais beaucoup moins dans un pays où le travail prévaut. Quand nous remplaçons la force musculaire par celle des machines, nous sommes en moins bonne santé. Mais que va-t-il se passer si l’on substitue des machines au travail mental ?

3. Le parti pris implicite (en fait, une subvention) en faveur des acteurs globaux, et pour la mondialisation. C’est flagrant si l’on considère la struture des coûts sur Internet : un prix indépendant des distances. Un fichier de 1 Mo envoyé à un collègue utilisant le même fournisseur d’accès à Internet coûte le même prix qu’un fichier de taille équivalente envoyé à l’autre bout du globe. Pourtant le deuxième utilise bien plus de ressources réseau (serveurs, routeurs, bande passante, etc.) que le premier. Ainsi les utilisateurs locaux paient plus par unité de consommation de ressources que les utilisateurs globaux, ce qui est une subvention déguisée à la mondialisation intégrée à Internet tel qu’il est aujourd’hui.

Devons-nous pour autant rejeter cette technologie ? La réponse de Schumacher dans les années 1970 était une technologie intermédiaire/appropriée. Aujourd’hui, Schumacher reste pertinent, seul le vocabulaire a peut-être changé. J’ajouterais que nous devons aussi être impliqués dans la re-conception de la technologie. C’est pourquoi parler d’un Internet alternatif sur cette liste m’intéresse beaucoup.

Je ne voudrais pas m’attacher à priori à une conception figée, que ce soit celle des « choses » qui déterminent les relations sociales, ou celle des relations sociales qui déterminent les « choses ». Je voudrais explorer ces perspectives au cas par cas, et utiliser toute suggestion nouvelle et utile qui pourrait se présenter, qu’elle puisse venir de l’une ou de l’autre (ou des deux). »

Notes

[1] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)




Microsoft et l’Open Source ensemble aux Antipodes

Robbie Grubbs - CC by-saS’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, alors j’ai l’honneur de vous faire savoir que Microsoft n’en fait plus partie.

Un communiqué de presse de Microsoft Nouvelle-Zélande, datant de novembre dernier, est passé totalement inaperçu alors qu’il est pourtant tout simplement énorme pour des p’tits gars comme moi qui versent dans le Libre depuis une bonne dizaine d’années et dans l’éducation depuis encore plus longtemps.

Qu’il soit devenu « naturel » pour Microsoft de proposer un plugin à Word afin d’aider le monde de l’éducation à mieux travailler sur les wikis sous Mediawiki (à commencer par Wikipédia), cela passe encore. Qu’on y mentionne et soutienne alors explicitement les Ressources Éducatives Libres sous licence Creative Commons By, cela commence à surprendre. Mais qu’il soit devenu tout aussi « naturel » pour Microsoft de placer ce plugin sous licence libre pour mieux « le partager avec la communauté », c’est tout de même une sacrée (r)évolution.

Quand on pense que, jadis, le logiciel libre était qualifié de « cancer communiste » par les mêmes qui semblent aujourd’hui découvrir ses vertus, on mesure le chemin parcouru !

Certes, ça n’est qu’une extension et non une application toute entière, Word libre ce n’est pas pour tout de suite ! Il convient également de voir concrètement la qualité du convertisseur (ce que je n’ai pu faire faute d’avoir MS Office sur mon ordi), mais la déclaration (d’intention ?) ci-dessous vaut de toutes les façons son pesant de cacahuètes[1].

Certes aussi, il est question du programme Partners in Learning (PIL) dans le communiqué. Et nous avons souvent eu l’occasion de dire dans ces colonnes tout le bien que nous pensions de ce projet Microsoft fort ambigu (lire par exemple L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft, Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel – Mediapart ou encore En réponse au Café Pédagogique).

Il n’en demeure pas moins que les temps changent (quand même un peu), et Microsoft aussi, semble-t-il, vis-à-vis du logiciel libre et de sa culture.

Et vous vis-à-vis de Microsoft ?

Microsoft travaille avec les enseignants et l’open source pour prendre en charge un wiki libre de partage du savoir

Microsoft works with educators and open source to support free knowledge sharing wiki

Microsoft Nouvelle-Zélande – 17 novembre 2010 – Communiqué de presse
(Traduction Framalang : Goofy et Martin)

Une nouvelle extension open source pour Microsoft Word permet d’utiliser le format de fichier MediaWiki pour que les utilisateurs puissent mettre en ligne directement leurs documents sur des wikis.

Microsoft, travaillant en collaboration avec la Fondation OER (Open Education Resource) de l’Institut polytechnique d’Otago (Nouvelle-Zélande) et du Ministère de l’éducation, a mis au point une nouvelle extension open source pour Microsoft Word qui permet d’enregistrer des documents dans un format compatible avec les wikis sous MediaWiki, celui-là même qu’utilise la populaire encyclopédie en ligne Wikipédia.

La nouvelle extension aidera les enseignants à collaborer à la construction de nouvelles ressources éducatives ouvertes. Le directeur de la Fondation Otago, Dr Wayne Mackintosh, déclare : « grâce à la prise en charge du style MediaWiki dans Microsoft Office, les professeurs pourront partager vite et facilement leur matériel pédagogique sur des plateformes en ligne telles que Wikipédia et WikiEducator. Cela signifie que les institutions éducatives adoptant la démarche de l’OER pour fournir des ressources et des manuels libres pourront abaisser considérablement la barrière du coût à engager pour fournir aux étudiants les outils et les informations dont ils ont besoin pour apprendre ».

MediaWiki a reçu un soutien sans failles du Ministère de l’éducation qui partage les objectifs de la Fondation EOR dans ce domaine.

« Nous sommes ravis de la nouveauté que constitue une extension open source dans la boîte à outils de Microsoft Office. Elle permettra aux enseignants et étudiants de Nouvelle-Zélande de s’investir plus facilement dans le partage des ressources éducatives et les débats pédagogiques, dans l’esprit du wiki » déclare Leanne Gibson, directrice des systèmes d’information.

L’institut polytechnique d’Otago héberge les bureaux de la Fondation, qui est une organisation indépendante à but non lucratif visant à assurer la prise en main, le développement et le soutien d’un réseau international d’enseignants et institutions éducatives, à travers l’Open Education. WikiEducator est la vitrine de la Fondation EOR, qui s’efforce de rendre libres d’accès les matériels pédagogiques pour les étudiants du monde entier, particulièrement dans les pays en voie de développement pour lesquels les systèmes d’éducation classiques s’avèrent souvent hors de prix.

Microsoft a financé le développement d’une nouvelle fonctionnalité du logiciel Word pour permettre à tous les enseignants du monde de produire et partager des ressources pédagogiques à un coût modeste en utilisant des outils basés sur le wiki.

Le directeur de la plateforme stratégique de Microsoft pour la Nouvelle-Zélande, Andrew Gordon, déclare que l’entreprise s’implique dans la collaboration avec la communauté open source pour développer du matériel éducatif qui bénéficiera autant aux étudiants qu’aux enseignants.

« Microsoft a un lien étroit avec le monde éducatif via nos initiatives Citizenship (citoyenneté) en cours, telles que le concours Imagine, la plus grande compétition du monde étudiant dans le domaine technologique, si bien que MediaWiki était une solution tout à fait naturelle pour nous, comme pouvait l’être la publication du code source sous une licence open source et le fait de permettre son partage avec la communauté. Compte tenu de l’utilisation intensive de Word dans tous les établissements d’éducation à travers le monde, nous chez Microsoft, sommes ravis et fiers de pouvoir apporter notre pierre à l’édifice en rendant accessibles à chacun, quelle que soit sa situation, des ressources pédagogiques de bonne qualité. »

Le convertisseur MediaWiki est si simple qu’il peut être installé rapidement et facilement par des utilisateurs non expérimentés. De plus, son code a été publié sous une licence open source, ce qui signifie que l’application peut être ré-utilisée librement comme base pour d’autres extensions communes avec MediaWiki. Il est également une référence pour quiconque aurait besoin de publier des informations à partir de Microsoft Office. Le convertisseur MediaWiki fonctionnera avec toutes les versions de la suite Office depuis 2007 jusqu’à la version récente de 2010.

Peter Harrison, le vice-président de la New Zealand Open Source Society ne tarit pas d’éloges sur cette initiative : « Internet offre à l’humanité une occasion unique de mettre à profit les technologies de la communication pour éduquer la population du monde entier. À travers les technologies collaboratives telles que le wiki tout le monde pourra travailler de concert pour créer des ressources communes de qualité, ouvertes à tous. En permettant aux utilisateurs d’exporter leurs contenus de Word vers MediaWiki, Microsoft encourage la mise à disposition d’une gamme bien plus large de ressources éducatives en ligne. »

L’Institut polytechnique d’Otago est l’un des pionniers de l’Open Education, et c’est le premier établissement d’enseignement supérieur à avoir signé la déclaration du Cap sur l’Open Education. C’est également la première institution d’enseignement supérieur au monde à approuver et mettre en œuvre une politique de la propriété intellectuelle qui utilise la licence Creative Commons Attribution par défaut (NdT : cf cet article du Framablog Privilégier la licence Creative Commons Paternité CC-BY dans l’éducation), et qui s’investit dans l’éducation au point de l’inclure dans son programme.

Ce projet est complémentaire de l’initiative PIL (Partners in Learning) que Microsoft soutient depuis dix ans à hauteur de 500 millions de dollars : il s’agit d’aider les enseignants et directeurs d’écoles à utiliser les nouvelles technologies pour apprendre et enseigner plus efficacement. Pour davantage d’informations, voir http://www.microsoft.com/education/pil.

Notes

[1] Crédit photo : Robbie Grubbs (Creative Commons By-Sa)




Promouvoir le logiciel libre dès la maternelle

Michelle Adcock - CC by-sa Il y a quelques temps nous recevions une question fort pertinente via le formulaire de contact du Framablog. Une question du genre de celles dont on n’improvise pas la réponse dans la foulée, et il arrive alors que les réponses se fassent attendre un moment. Toutefois, les réponses une fois construites peuvent valoir le coup d’être partagées… [1]

Le plus facile, en matière de réponses, est de demander à ceux qui savent. Et les forums sont là pour ça. Mais pour aider dans le processus, la piqûre de rappel est un instrument qui se révèle efficace, et ainsi, le jeune père d’élève dont émanait la question, croisé samedi dernier au cours de l’une des nombreuses manifestations d’opposition à la LOPPSI qui animèrent le pays, en usa avec talent…

Pour la petite histoire, c’est un candidat aux élections de parents d’élèves de son école qui posa la question et c’est entre autre à un élu que s’adresse cette réponse, avec toutes nos félicitations et nos encouragements.

La question se présentait de la manière suivante :

Bonjour

Je vais me présenter aux élections de parents d’élève pour ma fille de 3 ans, en maternelle des petits. J’ai souvent lu des articles très intéressants sur le libre à l’école dans le Framablog et je suis moi même pirate et libriste. Je me demande si vous pourriez me conseiller sur, au niveau maternelle des petits, quels sont les actions que je pourrais tenter et sensibilisations que je pourrais entreprendre au niveau de l’école et de la municipalité, depuis ce poste de représentant des parents d’élèves. […]

La réponse que nous avons à lui fournir, dans la droite lignée de la catégorie Éducation de ce blog, émane d’un directeur d’école et animateur TICE. Il l’a découpée en quatre volets que voici.

Des difficultés

À l’école, l’informatique pour les élèves ce sont les TICE (Technologie de l’Information et de la Communication à l’École) parfois appelées TUIC (« U » pour « usuelle »).

Eh bien les TICE, le matériel informatique, ne sont plus mentionnés pour le cycle maternel dans les programmes 2008 de l’Éducation Nationale. Pas interdits, mais pas mentionnés : même pas comme exemple de support d’écrit.

Le niveau de maîtrise de l’outil informatique est très inégal parmi les enseignant(e)s de maternelle.

La dotation en matériel, pour les écoles maternelles et élémentaires, est du ressort de la municipalité. Les écoles maternelles sont souvent les parents pauvres en matière d’équipement informatique : souvent un poste pour la direction d’école… et c’est tout. Les parents d’élèves peuvent apporter leur concours en trouvant du matériel de récupération.

Des aides

Une remarque préalable : les enseignant(e)s sont responsables de leur pédagogie. On peut les aider, voire les inciter, mais en aucun cas les contraindre à faire utiliser l’outil informatique par les élèves.

Le mode de fonctionnement de la plupart des classes maternelles (en ateliers à certains moments) est favorable à l’utilisation de postes, par petits groupes, parmi d’autres activités. Il est nécessaire que le matériel soit fiable, et que les logiciels soient adaptés pour permettre rapidement une autonomie des élèves à cet atelier.

Dans de nombreuses circonscriptions, il existe un animateur TICE : un enseignant partiellement détaché. Parmi ces missions, il doit apporter son concours aux enseignants désirant mettre en œuvre une pédagogie utilisant les TICE. Il serait judicieux de se rapprocher de lui.

Il existe des packs logiciels (regroupant système d’exploitation et logiciels ludo-éducatifs) très bien conçus, et utilisables dès la maternelle à l’école ou à la maison. Ils se présentent sous forme de live-CD (on fait démarrer la machine sur le lecteur de cédérom) et on est assuré que les données contenues sur le disque dur ne risquent rien. Pratique pour l’ordinateur familial. On peut aussi les copier sur une clé USB, et la rendre amorçable [2]. On peut enfin les copier sur le disque dur à la place du système d’exploitation déjà existant (intéressant dans le cas d’une vieille machine un peu à bout de souffle).

Des réalisations très intéressantes

Il existe aussi la version monoposte d’AbulEdu (notice Framasoft), l’excellent FramaDVD École (page projet) et enfin de très nombreuses applications pédagogiques libres fonctionnant sous Windows.

Une remarque pour finir

Il me semble très maladroit de se présenter comme «  pirate et libriste ». Ça ne peut que renforcer la confusion dans l’esprit de certains, qui assimilent les deux termes. Ça ne peut que rendre plus difficile votre démarche d’aide aux équipes enseignantes.

Soyons clairs : le piratage à l’école… on n’en veut pas.

Pour des raisons éthiques : nous avons une mission d’éducation civique et morale. Tricher, voler, utiliser des logiciels piratés est en contradiction totale avec une démarche éducative.

Item 2.3 du Brevet Informatique et Internet (B2i)
Si je souhaite récupérer un document, je vérifie que j’ai le droit de l’utiliser et à quelles conditions.

Pour des raisons militantes : on sait bien que les pirates de logiciels font le jeu des maisons d’édition en renforçant la présence de leurs produits, en les rendant plus utilisés, donc plus désirables.

Soyons fiers des logiciels libres !

Notes

[1] Crédit photo : Michelle Adcock Creative Commons By-Sa

[2] On devrait même dire : « amorçante »




Pourquoi plus de dix ans de retard pour l’informatique à l’école ?

QThomas Bower - CC by-saAuriez-vous deviné que l’article que nous vous proposons aujourd’hui date de 1998 ? Oui car il est question de francs et non d’euros, mais sinon force est de constater qu’il est toujours d’actualité.

On pourrait même ajouter qu’il est malheureusement toujours d’actualité car les arguments avancés restent pertinents alors que, douze ans plus tard, les solutions envisagées n’ont toujours pas été prises. Et il est alors légitime de se demander pourquoi, et qui a et a eu intérêt à ce qu’il soit urgent de ne rien faire.

J’ai donc voulu profiter du fait que le Framablog est relativement bien intégré dans la sphère des blogs et autres réseaux sociaux pour le sortir de sa naphtaline et vous le faire partager. Nous devons cet article à Bernard Lang, directeur de recherche à l’Inria et membre fondateur de l’AFUL.

Le sujet de la place de l’informatique à l’école est un sujet qui semble a priori un peu à la marge des logiciels libres. Il n’en est rien pourtant. Et c’est pourquoi nous publions régulièrement des articles sur ce thème, en soutenant le travail, enfin proche d’aboutir, de Jean-Pierre Archambault et d’autres, au sein notamment de l’EPI et de l’ASTI :

C’est aussi pourquoi notre collection de livres libres Framabook accueille des titres comme Le C en 20 heurs ou Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Unix sans jamais oser le demander.

Il ne s’agit pas de faire de tout citoyen un programmeur chevronné. Mais logiciels (libres ou pas), données (personnelles ou pas), réseaux, Cloud Computing, Internet (filtrage, neutralité), Hadopi, Acta, Loppsi, Facebook, Microsoft, Apple, Google, Wikileaks, Anonymous… comment comprendre et appréhender au mieux ce nouveau monde si l’on n’a pas un minimum de culture informatique ?

Parce que dans le cas contraire, on se met alors tranquillement à accepter, pour ne pas dire applaudir, l’entrée des iPad dans nos écoles, ce qui devrait d’ailleurs être le sujet de mon prochain billet[1].

L’Informatique : Science, Techniques et Outils

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Bernard Lang (INRIA) – décembre 1998

(Présenté à LexiPraxi 98, journée de réflexion sur le theme «Former des citoyens pour maîtriser la société de l’information», organisée le 9 décembre 1998 à la Maison de l’Europe (Paris) par l’AILF. L’auteur remercie Pierre Weis pour sa relecture et ses nombreux commentaires.)

« Le développement extrêmement rapide des technologies de l’information et de la communication ouvre un formidable potentiel de croissance et de création d’emplois, mêlant des enjeux industriels, économiques et sociaux considérables. Ces technologies constituent le premier secteur économique des prochaines années… » (Bernard Larrouturou – L’INRIA dans dix ans – 1997)

Devant une telle analyse, devant l’importance de l’enjeu, l’on imagine aisément que l’une des premières choses à faire est de développer les sciences de l’information dans l’enseignement, afin de préparer les élèves aux défis du prochain siècle. C’est effectivement ce qui se passe, et l’on voit les USA dépenser des sommes de l’ordre de 100 milliards de francs par an pour l’informatisation des écoles. Sans être du même ordre, les efforts consentis par la France dans ce domaine sont également considérables. Et pourtant, selon un article de Todd Oppenheimer, The Computer Delusion, paru dans la revue Atlantic Monthly en Juillet 1997, l’introduction de l’informatique dans les établissements scolaires est loin de donner les résultats que l’on pourrait attendre de tels investissements, et l’on peut légitimement se demander si des investissements moindres, mais autrement employés, ne donneraient pas de meilleurs résultats.

Où est l’erreur ?

L’une des premières remarques que l’on peut faire est que les plus ardents promoteurs de l’informatique à l’école sont les constructeurs de machines, et surtout les éditeurs de logiciels. Il s’agit donc de promotion corporatiste et commerciale, d’habituer les familles et les futurs consommateurs à ces produits, de capturer des marchés, bien plus que d’améliorer le système éducatif. À cet égard l’Union Européenne n’est pas en reste. Si l’on analyse une document comme le Rapport de la Task force Logiciels éducatifs et Multimédia de la Commission Européenne, on constate que la Commission est bien plus préoccupée de développer des marchés lucratifs que d’améliorer le système éducatif. Devant cet assaut mercantile, beaucoup de voix s’élèvent contre l’introduction excessive, trop vite planifiée et mal analysée de l’informatique à l’école, en se demandant si l’utilité pédagogique en est réelle, si l’on n’est pas en train d’appauvrir le système éducatif, que ce soit par le choix d’innovations faussement pédagogiques, ou simplement par une mauvaise évaluation des priorités d’investissement.

Nullement compétent en matière de théorie pédagogique, je me garderai bien de trancher dans un sens ou un autre. Force est cependant de constater qu’il est clair que les nouveaux outils informatiques ont déjà montré qu’ils pouvaient, au moins dans certaines circonstances, apporter un plus pédagogique. Mais de là à faire un investissement massif, sur des ressources chères, sans analyse sérieuse des différentes alternatives, sans expérimentation sur le long terme, simplement sous la pression des marchés et des média, est-ce bien raisonnable ?

Mais là n’est pas l’essentiel de notre propos. Car nous avons parlé de pédagogie, alors que les enjeux du prochain siècle sont d’abord, nous le disions, dans la maîtrise des nouvelles technologies, et au moins autant dans la maîtrise d’une transformation radicale de notre environnement due à l’utilisation massive des ressources informationnelles, en particulier grâce à l’Internet. Mais cet aspect des choses est curieusement très largement ignoré dans l’évolution de nos programmes éducatifs. L’attention se focalise trop sur l’informatique comme support de la pédagogie, au sens le plus traditionnel du terme (même si les techniques sont très nouvelles dans certains cas), et l’on ignore assez systématiquement l’informatique en tant que discipline d’enseignement, l’informatique comme sujet d’étude.

A cette distinction évidemment essentielle, il convient d’ajouter une troisième catégorie, l’informatique comme outil dans l’enseignement. Je pense en particulier à l’intrusion d’outils, d’intermédiaires informatiques, dans certaines disciplines. Sans vouloir m’étendre sur ce sujet, qui relève également de la pédagogie, on peut se demander si la trop grande présence de médiations informatiques, par exemple dans la conduite d’expériences de physique, n’introduit pas une trop grande distanciation par rapport à l’objet étudié. L’élève ne risque-t-il pas de prendre l’habitude de faire plus confiance à ce que lui dit l’ordinateur qu’à ses sens, son esprit critique, ses facultés d’analyse. Combien d’élèves sont déjà totalement dépendants de leur calculette, et incapable d’un calcul mental simple sur des ordres de grandeur sans vérifier immédiatement sur l’écran magique. On retrouve ce problème dans l’enseignement de l’informatique elle-même, quand l’apprentissage passif des outils se fait dans l’ignorance de toute compréhension des mécanismes, même les plus simples, qu’ils mettent en jeu.

Si les enjeux réels sont dans la maîtrise des sciences de l’information, ce sont ces sciences, et en particulier l’informatique, qu’il faut enseigner en tant que discipline scientifique.

Mais comme beaucoup d’autres disciplines, l’informatique a de multiples facettes, science théorique et expérimentale objet de recherches d’une grande diversité, technologie donnant lieu à une activité industrielle considérable, et ensemble d’outils des plus en plus intégrés à notre vie quotidienne, familiale ou professionnelle. Probablement en raison de la jeunesse de cette discipline, et précisément à cause de son manque actuel d’intégration dans le cursus scolaire, la distinction entre ces aspects complémentaires, mais indissociables, n’est pas faite dans les esprits. Beaucoup en sont encore à confondre les aspects fondamentaux et pérennes avec leur expression actuelle dans des outils destinés à évoluer rapidement. Comme mes collègues et moi-même l’écrivions dans Le Monde, les disciplines plus anciennes distinguent sans problème ces trois composantes, et nul ne confond la thermodynamique, la technologie des moteurs à explosion et le mode d’emploi d’un véhicule automobile. Cette confusion, encore présente dans le cas de l’informatique, est en outre renforcée par le fait que chacun pouvant s’essayer assez facilement à certains de ses aspects originaux, comme la programmation sur des problèmes simples, on a l’illusion que c’est une discipline facile à maîtriser et sans réelle profondeur. Mais en fait cela revient à se prétendre spécialiste du génie civil et de la résistance des matériaux parce que l’on sait établir un pont en jetant une planche sur un ruisseau.

Pour en revenir à l’enseignement des outils fondés sur l’informatique, et non des outils de l’informatique, il est malheureusement fréquent de voir appeler cours d’informatique un enseignement qui se fonde uniquement sur l’apprentissage de la mise en marche d’un ordinateur, et sur l’utilisation de quelques outils de bureautique. Mais c’est là un cours de bureautique, et non d’informatique, aussi bien que d’apprendre à conduire et à remplir le réservoir de sa voiture ne saurait constituer un cours de thermodynamique, ni même de technologie automobile. C’est utile, certes, dans la vie courante, mais ce n’est aucunement formateur pour l’esprit des élèves. De plus, la technologie informatique étant en évolution rapide, la pérennité de cet enseignement est très aléatoire, d’autant plus que le manque de variété des outils utilisés prive les élèves de toute espèce de recul par rapport à ces outils.

Mais le problème est à mon sens beaucoup plus grave en ce qui concerne l’enseignement de la technologie informatique, que ce soit à l’école ou à l’université. Cette technologie est complexe, en évolution permanente, et très largement contrôlée par l’industrie informatique et notamment les grands éditeurs. Or l’on constate que trop souvent, cet enseignement consiste plus à apprendre à se servir des réalisations technologiques de ces éditeurs qu’à en comprendre les principes, à savoir les critiquer, à savoir les comparer avec d’autres approches, commerciales ou non. Sous le pretexte fallacieux de préparer les étudiant à la vie active, en fait aux besoins les plus immédiats de leurs futurs employeurs, on fait passer pour formations universitaires ce qui n’est que formations kleenex, destinées à devenir obsolètes aussi vite que les produits (souvent déjà obsolètes par rapport à l’état de l’art) sur lesquels elles se fondent. Manquant de profondeur, ces formations ne sauraient être durables, et c’est ainsi que le système éducatif prépare de futur chomeurs et la pénurie de professionnels compétents pour notre industrie. Une bonne façon de garantir la qualité et la pérennité d’un enseignement – et de former l’esprit critique des élèves – c’est de toujours l’asseoir sur une assez large variété d’exemples, que l’on peut comparer et opposer pour en extraire les aspects les plus essentiels, en évitant de se cantonner à l’apprentissage d’un seul type de solutions techniques.

Une première étape en ce sens consisterait à se départir du totalitarisme actuel, en matière de systèmes d’exploitation, de réseaux et de solutions bureautiques notamment, et à faire pénétrer une plus grande diversité de logiciels dans le système éducatif. Il est vrai que la gestion de la diversité a un coût, mais le bénéfice pédagogique le justifie. En outre, il ne faut pas oublier que l’enseignement public a un devoir de laïcité, d’indépendance, et qu’il est donc impératif qu’il évite de se faire le champion d’une marque, d’un produit ou d’une école de pensée. Enfin, il ne faut pas oublier non plus que la diversité est aussi un facteur de progrès et de stabilité « écologique » qui sont essentiels pour le développement d’un secteur technologique. Introduire cette diversité à l’école, quoi que puissent en dire des entreprises qui vivent par nécessité avec un horizon à six mois, c’est aussi garantir un meilleur équilibre futur de notre économie.

Si l’informatique est enseignée comme science fondamentale à l’université, au moins dans les enseignements les plus avancés, cet aspect n’est ni abordé ni même évoqué au niveau de l’enseignement général. Cela ne peut que renforcer une attitude de passivité vis à vis de ce qui apparaît alors comme une technologie ancillaire, ne méritant pas que l’on s’attarde sur son influence croissante, sur le pouvoir qu’elle s’octroie dans toutes nos activitées. Ainsi une meilleure compréhension du rôle fondamental des mécanismes de représentation et d’échange des données nous rendraient certainement plus sensibles à cette forme de dépendance qui s’établit insidieusement dans notre société quand tous nos modes de gestion et de communication de l’information sont peu à peu entièrement contrôlés par des entreprises privées, dont les seuls objectifs sont de nature mercantile.

Outre que l’informatique a ses propres problèmes, sa propre façon de les traiter, ses propres résultats fondamentaux, elle est intéressante du point de vue de l’enseignement général parce que c’est une science carrefour. Il y a bien sûr des aspects classiquement scientifiques dans l’informatique, mais en plus, par les concepts qu’elle met en oeuvre, elle se rapproche d’autres disciplines littéraires. Par exemple, en informatique, les notions de langage, de syntaxe et de sémantique sont très importantes. Dans l’enseignement actuel, ces concepts relèvent du français ou de la philo… et voilà que l’on peut les illustrer de façon plus concrète – peut-être imparfaite car trop formalisée et mécanique, mais ce défaut-même est source de considérations enrichissantes – par des exemples opérationnels, presques tangibles. À côté de cela, on y rencontre des problèmes de logique, des questions strictement mathématiques, des problématiques apparentées à la physique la plus théorique… On peut donc y trouver matière à discuter de nombreux concepts qui sont aussi pertinents dans d’autres domaines, et donc à éventuellement réduire la dichotomie qui est souvent perçue entre les sciences et les humanités. C’est une situation assez extraordinaire, un champ d’ouverture intellectuelle, dont il est vraiment dommage de ne pas profiter.

Tout n’est cependant pas négatif dans l’informatisation de notre enseignement. Le fort accent mis sur le développement de la connectivité avec l’Internet, bien que souvent décrié, est une avancée essentielle, et cela pour au moins deux raisons majeures.

La première de ces raisons est tout simplement que les élèves d’aujourd’hui seront appelé à vivre dans un monde où la maîtrise de l’information omniprésente sera un élement majeur de la vie sociale. À bien des égards, celui qui ne saura pas gérer cet espace de données, de connaissances et de communication sera dans une situation de dépendance analogue à ceux qui, aujourd’hui, ne savent pas lire, ne savent pas trouver leur chemin sur une carte ou remplir un formulaire. « Apprendre l’Internet », c’est apprendre à vivre dans la société de demain.

La deuxième raison est sans doute encore plus fondamentale pour l’éducation citoyenne. Même sans l’informatique, notre monde a atteint une complexité extrème où les citoyens ont de moins en moins leur mot à dire, où même les pouvoirs politiques sont de plus en plus impuissants devant la complexification des structures économiques et sociales et surtout la mondialisation généralisée. Pour ne prendre qu’un exemple, majeur, les entreprises ont acquis une existence autonome, fortes de leur puissance économique et de leurs dispersion géographique, dans un système où les êtres humains, clients, employés, dirigeants ou actionnaires, ne sont plus que des pions sans aucun pouvoir indépendant. Elles en sont au point où elles disputent leur pouvoir aux nations, aux représentant élus de la population. Face à une situation où la place même de l’homme sur cette planète est radicalement remise en cause, il est nécessaire de trouver de nouvelles structures, de nouveaux modes d’échange, de communication et d’organisation qui permettent au citoyen de retrouver la place qui lui revient dans une société devenue mondiale. Et cela est possible, grâce à l’Internet, à condition d’apprendre à en maîtriser les ressources, à comprendre, voire à tolérer – ce qui n’est pas toujours facile – les points de vues d’autres cultures maintenant à notre porte, à communiquer, à partager et à coopérer avec les autres citoyens du monde. Ce discours, qui peut paraître à certains idéaliste, utopique, voire irréaliste ou fantaisiste, correspond pourtant à une réalité vécue par un nombre tous les jours croissant d’individus. L’action d’un individu sur l’Internet peut faire sentir ses effets dans le monde entier, si tant est qu’elle est pertinente. Et quand une fraction, même minuscule, des centaines de millions d’individus qui accèdent l’Internet décide de coopérer, cela fait une masse énorme susceptible de renverser des montagnes, de mettre en difficulté ou de faire concurrence aux entreprises les plus puissantes, de tenir en échec les tentatives hégémoniques les plus soigneusement préparées, comme cela s’est produit encore récemment pour l’AMI, l’Accord Multilatéral sur l’Investissement préparé en catimini par l’OCDE.

« Apprendre l’Internet », c’est apprendre la citoyenneté de demain.

Notes

[1] Crédit photo : QThomas Bower (Creative Commons By-Sa)




Qui veut être complice d’un concours à la con lancé par Microsoft à l’école ?

Alex Proimos - CC byLorsqu’un lecteur m’a signalé ce drôle de concours j’ai d’abord cru à un fake pour discréditer Microsoft tant cela me semblait gros. Et pourtant non, après vérification, ce projet existe bel et bien et le naïf c’est moi !

De quoi s’agit-il exactement ?

Le plus simple est d’en recopier ci-dessous les modalités qui se suffisent à elles-mêmes[1].

« Tout le monde connaît un enseignant. Allez à la rencontre de l’un d’entre eux. Vivez une expérience extraordinaire en classe, grâce à Microsoft.

Aujourd’hui nous proposons à notre communauté un nouvel appel à création très original pour Microsoft, qui vous lance un nouveau type de challenge, avec plus de 50 prix à gagner ! Une opportunité extraordinaire d’être mis en avant et de gagner une belle dotation grâce à eYeka !

Faites équipe avec un enseignant pour utiliser les Produits Microsoft dans sa classe et partagez votre histoire à travers un mini-documentaire vidéo (jusqu’à 3 mn de long), un montage de photos ou un PowerPoint en 3 parties : Découverte, Défi & résultats, Évaluation. »

La dotation globale est de 15 000 dollars dont 5 000 dollars pour la meilleure production.

eYeka est une société spécialisée dans le « marketing participatif ». Elle met « en relation » les marques avec les internautes « créateurs », en invitant ces derniers, avec promesses de rémunération à la clé, à faire des vidéos virales à la gloire de la marque dans le but de créer le buzz en faisant tourner ces vidéos dans les réseaux sociaux.

Au tout début de YouTube & co ces vidéos virales étaient spontanées et évidemment non rémunérées. Il en va tout autrement aujourd’hui, la fraîcheur a quasiment disparu et a laissé la place à un business florissant. Un business qui tente de continuer à faire croire que ces vidéos demeurent fraîches et spontanées parce que cela a plus d’impact sur un consommateur croyant encore souvent ne pas être en face d’une publicité classique.

Et c’est tout bénéfice pour la marque qui se retrouve en possession de vidéos produites par les autres pour un prix totalement dérisoire (ici 15 000 dollars) comparé au budget d’une publicité traditionnelle. Il y a bien possession parce qu’il va sans dire qu’en participant à de tels concours, vous cédez tous vos droits sur l’utilisation ultérieure de vos créations (en tout petit en bas du contrat). Et pas la peine de relever les prix, la crise mais surtout la culture actuelle de la surreprésentation du moi sur Internet faisant le reste.

Si l’on est un peu malin et que l’on jouit d’une situation favorable, on peut même proposer cela gratuitement aux internautes. J’en veux pour seul exemple cette spectaculaire vidéo Google à la gloire de Gmail.

Bon, ici, Microsoft ne possède ni la force du réseau Google ni son image positive. Elle a parfaitement conscience que rares seront les enseignants qui accepteront de se faire VRP Microsoft rien que pour ses beaux yeux. Alors elle doit s’y prendre autrement si elle veut pouvoir montrer qu’on utilise ses produits à l’école dans la joie et dans la bonne humeur, en passant donc par les services d’eYeka.

Bon courage ceci dit pour ce qui concerne les établissements scolaires publics français. Parce que l’on n’entre encore pas si facilement que cela dans les salles de classes, encore moins pour y filmer quelque chose, et encore encore moins si l’on se permet d’y filmer des élèves.

En tout cas, rendez-vous fin février pour la clôture du concours. Je suis bien curieux de voir si des collègues se seront effectivement livrés à cette mascarade commerciale sur un lieu de travail naguère associé à un sanctuaire.

Un exemple de plus qui révèle les difficultés croissantes de Microsoft à l’école. Un exemple de plus qui témoigne d’une époque en crise.

Ici comme ailleurs, un autre monde est possible. Celui du logiciel libre par exemple 😉

Source eYeka : l’annonce sur le blog et la page du concours.

Notes

[1] Crédit photo : Alex Proimos (Creative Commons By)