Google et son robot pipoteur(*), selon Doctorow

Source de commentaires alarmants ou sarcastiques, les robots conversationnels qui reposent sur l’apprentissage automatique ne provoquent pas seulement l’intérêt du grand public, mais font l’objet d’une course de vitesse chez les GAFAM.

Tout récemment, peut-être pour ne pas être à la traîne derrière Microsoft qui veut adjoindre un chatbot à son moteur de recherche Bing, voilà que Google annonce sa ferme résolution d’en faire autant. Dans l’article traduit pour vous par framalang, Cory Doctorow met en perspective cette décision qui lui semble absurde en rappelant les échecs de Google qui a rarement réussi à créer quoi que ce soit…

(*) Merci à Clochix dont nous adoptons dans notre titre la suggestion.

Article original : Google’s chatbot panic

Traduction Framalang : Fabrice, goofy, jums, Henri-Paul, Sysy, wisi_eu,

L’assistant conversationnel de Google en panique

par Cory Doctorow

 

Photo Jonathan Worth CC-BY-SA

 

 

Il n’y a rien d’étonnant à ce que Microsoft décide que l’avenir de la recherche en ligne ne soit plus fondé sur les liens dans une page web, mais de là à la remplacer par des longs paragraphes fleuris écrits dans un chatbot qui se trouve être souvent mensonger… — et en plus Google est d’accord avec ce concept.

Microsoft n’a rien à perdre. Il a dépensé des milliards pour Bing, un moteur de recherche que personne n’utilise volontairement. Alors, sait-on jamais, essayer quelque chose d’aussi stupide pourrait marcher. Mais pourquoi Google, qui monopolise plus de 90 % des parts des moteurs de recherche dans le monde, saute-t-il dans le même bateau que Microsoft ?

le long d'un mur de brique rouge sur lequel est suspendu un personnage ovoïde au visage très inquiet (Humpty-Dumpty le gros œuf), deux silhouettes jumelles (Tweedle-dee et Tweedle-dum les personnages de De l'autre côté du_miroir de Lewis Carroll) représentent avec leur logo sur le ventre Bing et google, chacun d'eaux a une tête qui évoque le robot Hal de 2001, à savoir une lueur rouge sur fond noir qui fait penser à un œil.

Il y a un délicieux fil à dérouler sur Mastodon, écrit par Dan Hon, qui compare les interfaces de recherche merdiques de Bing et Google à Tweedledee et Tweedledum :

https://mamot.fr/@danhon@dan.mastohon.com/109832788458972865

Devant la maison, Alice tomba sur deux étranges personnages, tous deux étaient des moteurs de recherche.
— moi, c’est Google-E, se présenta celui qui était entièrement recouvert de publicités
— et moi, c’est Bingle-Dum, fit l’autre, le plus petit des deux, et il fit la grimace comme s’il avait moins de visiteurs et moins d’occasions de mener des conversations que l’autre.
— je vous connais, répondit Alice, vous allez me soumettre une énigme ? Peut-être que l’un de vous dit la vérité et que l’autre ment ?
— Oh non, fit Bingle-Dum
— Nous mentons tous les deux, ajouta Google-E

Mais voilà le meilleur :

— Cette situation est vraiment intolérable, si vous mentez tous les deux.

— mais nous mentons de façon très convaincante, précisa Bingle-Dum

— D’accord, merci bien. Dans ce cas, comment puis-je vous faire jamais confiance ni / confiance à l’un ni/ou à l’autre ? Dans ce cas, comment puis-je faire confiance à l’un d’entre vous ?

Google-E et Bingle-Dum se tournèrent l’un vers l’autre et haussèrent les épaules.

La recherche par chatbot est une très mauvaise idée, surtout à un moment où le Web est prompt à se remplir de vastes montagnes de conneries générées via l’intelligence artificielle, comme des jacassements statiques de perroquets aléatoires :

La stratégie du chatbot de Google ne devrait pas consister à ajouter plus de délires à Internet, mais plutôt à essayer de trouver comment exclure (ou, au moins, vérifier) les absurdités des spammeurs et des escrocs du référencement.

Et pourtant, Google est à fond dans les chatbots, son PDG a ordonné à tout le monde de déployer des assistants conversationnels dans chaque recoin de l’univers Google. Pourquoi diable est-ce que l’entreprise court après Microsoft pour savoir qui sera le premier à décevoir des espérances démesurées ?

J’ai publié une théorie dans The Atlantic, sous le titre « Comment Google a épuisé toutes ses idées », dans lequel j’étudie la théorie de la compétition pour expliquer l’insécurité croissante de Google, un complexe d’anxiété qui touche l’entreprise quasiment depuis sa création:

L’idée de base : il y a 25 ans, les fondateurs de Google ont eu une idée extraordinaire — un meilleur moyen de faire des recherches. Les marchés financiers ont inondé l’entreprise en liquidités, et elle a engagé les meilleurs, les personnes les plus brillantes et les plus créatives qu’elle pouvait trouver, mais cela a créé une culture d’entreprise qui était incapable de capitaliser sur leurs idées.

Tous les produits que Google a créés en interne, à part son clone de Hotmail, sont morts. Certains de ces produits étaient bons, certains horribles, mais cela n’avait aucune importance. Google, une entreprise qui promouvait la culture du baby-foot et la fantaisie de l’usine Willy Wonka [NdT: dans Charlie et la chocolaterie, de Roald Dahl], était totalement incapable d’innover.

Toutes les réussites de Google, hormis son moteur de recherche et gmail, viennent d’une acquisition : mobile, technologie publicitaire, vidéos, infogérance de serveurs, docs, agenda, cartes, tout ce que vous voulez. L’entreprise souhaite plus que tout être une société qui « fabrique des choses », mais en réalité elle « achète des choses ». Bien sûr, ils sont très bons pour rendre ces produits opérationnels et à les faire « passer à l’échelle », mais ce sont les enjeux de n’importe quel monopole :

La dissonance cognitive d’un « génie créatif » autoproclamé, dont le véritable génie est de dépenser l’argent des autres pour acheter les produits des autres, et de s’en attribuer le mérite, pousse les gens à faire des choses vraiment stupides (comme tout utilisateur de Twitter peut en témoigner).
Google a longtemps montré cette pathologie. Au milieu des années 2000 – après que Google a chassé Yahoo en Chine et qu’il a commencé à censurer ses résultats de recherche, puis collaboré à la surveillance d’État — nous avions l’habitude de dire que le moyen d’amener Google à faire quelque chose de stupide et d’autodestructeur était d’amener Yahoo à le faire en premier lieu.

C’était toute une époque. Yahoo était désespéré et échouait, devenant un cimetière d’acquisitions prometteuses qui étaient dépecées et qu’on laissait se vider de leur sang, laissées à l’abandon sur l’Internet public, alors que les princes duellistes de la haute direction de Yahoo se donnaient des coups de poignard dans le dos comme dans un jeu de rôle genre les Médicis, pour savoir lequel saboterait le mieux l’autre. Aller en Chine fut un acte de désespoir après l’humiliation pour l’entreprise que fut le moteur de recherche largement supérieur de Google. Regarder Google copier les manœuvres idiotes de Yahoo était stupéfiant.

C’était déconcertant, à l’époque. Mais à mesure que le temps passait, Google copiait servilement d’autres rivaux et révélait ainsi une certaine pathologie d’insécurité. L’entreprise échouait de manière récurrente à créer son réseau « social », et comme Facebook prenait toujours plus de parts de marché dans la publicité, Google faisait tout pour le concurrencer. L’entreprise fit de l’intégration de Google Plus un « indictateur1 de performance » dans chaque division, et le résultat était une agrégation étrange de fonctionnalités « sociales » défaillantes dans chaque produit Google — produits sur lesquels des milliards d’utilisateurs se reposaient pour des opérations sensibles, qui devenaient tout à coup polluées avec des boutons sociaux qui n’avaient aucun sens.

La débâcle de G+ fut à peine croyable : certaines fonctionnalités et leur intégration étaient excellentes, et donc logiquement utilisées, mais elles subissaient l’ombrage des incohérences insistantes de la hiérarchie de Google pour en faire une entreprise orientée réseaux sociaux. Quand G+ est mort, il a totalement implosé, et les parties utiles de G+ sur lesquelles les gens se reposaient ont disparu avec les parties aberrantes.

Pour toutes celles et ceux qui ont vécu la tragi-comédie de G+, le virage de Google vers Bard, l’interface chatbot pour les résultats du moteur de recherche, semble tristement familier. C’est vraiment le moment « Mourir en héros ou vivre assez longtemps pour devenir un méchant ». Microsoft, le monopole qui n’a pas pu tuer la jeune pousse Google à cause de son expérience traumatisante des lois antitrust, est passé d’une entreprise qui créait et développait des produits à une entreprise d’acquisitions et d’opérations, et Google est juste derrière elle.

Pour la seule année dernière, Google a viré 12 000 personnes pour satisfaire un « investisseur activiste » privé. La même année, l’entreprise a racheté 70 milliards de dollars en actions, ce qui lui permet de dégager suffisamment de capitaux pour payer les salaires de ses 12 000 « Googleurs » pendant les 27 prochaines années. Google est une société financière avec une activité secondaire dans la publicité en ligne. C’est une nécessité : lorsque votre seul moyen de croissance passe par l’accès aux marchés financiers pour financer des acquisitions anticoncurrentielles, vous ne pouvez pas vous permettre d’énerver les dieux de l’argent, même si vous avez une structure à « double pouvoir » qui permet aux fondateurs de l’emporter au vote contre tous les autres actionnaires :

https://abc.xyz/investor/founders-letters/2004-ipo-letter/

ChatGPT et ses clones cochent toutes les cases d’une mode technologique, et sont les dignes héritiers de la dernière saison du Web3 et des pics des cryptomonnaies. Une des critiques les plus claires et les plus inspirantes des chatbots vient de l’écrivain de science-fiction Ted Chiang, dont la critique déjà culte est intitulée « ChatGPT est un une image JPEG floue du Web » :

https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/chatgpt-is-a-blurry-jpeg-of-the-web

Chiang souligne une différence essentielle entre les résultats de ChatGPT et ceux des humains : le premier jet d’un auteur humain est souvent une idée originale, mal exprimée, alors que le mieux que ChatGPT puisse espérer est une idée non originale, exprimée avec compétence. ChatGPT est parfaitement positionné pour améliorer la soupe de référencement que des légions de travailleurs mal payés produisent dans le but de grimper dans les résultats de recherche de Google.

En mentionnant l’article de Chiang dans l’épisode du podcast « This Machine Kills », Jathan Sadowski perce de manière experte la bulle de la hype ChatGPT4, qui soutient que la prochaine version du chatbot sera si étonnante que toute critique de la technologie actuelle en deviendra obsolète.

Sadowski note que les ingénieurs d’OpenAI font tout leur possible pour s’assurer que la prochaine version ne sera pas entraînée sur les résultats de ChatGPT3. Cela en dit long : si un grand modèle de langage peut produire du matériel aussi bon qu’un texte produit par un humain, alors pourquoi les résultats issus de ChatGPT3 ne peuvent-ils pas être utilisés pour créer ChatGPT4 ?

Sadowski utilise une expression géniale pour décrire le problème :  « une IA des Habsbourg ». De même que la consanguinité royale a produit une génération de prétendus surhommes incapables de se reproduire, l’alimentation d’un nouveau modèle par le flux de sortie du modèle précédent produira une spirale infernale toujours pire d’absurdités qui finira par disparaître dans son propre trou du cul.

 

Crédit image (modifiée) : Cryteria, CC BY 3.0




Démystifier les conneries sur l’IA – Une interview

Cet article a été publié à l’origine par THE MARKUP, il a été traduit et republié selon les termes de la licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives
Publication originale sur le site themarkup.org

Démystifier le buzz autour de l’IA

Un entretien avec Arvind Narayanan

par JULIA ANGWIN
Si vous avez parcouru tout le battage médiatique sur ChatGPT le dernier robot conversationnel qui repose sur l’intelligence artificielle, vous pouvez avoir quelque raison de croire que la fin du monde est proche.

Le chat « intelligent » de l’IA a enflammé l’imagination du public pour sa capacité à générer instantanément des poèmes, des essais, sa capacité à imiter divers styles d’écrits, et à réussir à des examens d’écoles de droit et de commerce.

Les enseignants s’inquiètent de la tricherie possible de leurs étudiants (des écoles publiques de New York City l’ont déjà interdit). Les rédacteurs se demandent si cela ne va pas faire disparaître leur travail (BuzzFeed et CNET ont déjà utilisé l’IA pour créer des contenus). Le journal The Atlantic a déclaré que cela pourrait « déstabiliser les professions de cadres supérieurs ». L’investisseur en capital-risque Paul Kedrosky l’a qualifié de « bombe nucléaire de poche » et blâmé ses concepteurs pour l’avoir lancé dans une société qui n’y est pas prête.

Même le PDG de l’entreprise qui a lancé ChatGPT, Sam Altman, a déclaré aux médias que le pire scénario pour l’IA pourrait signifier « notre extinction finale ».

Cependant pour d’autres ce buzz est démesuré. Le principal scientifique chargé de l’IA chez Meta’s AI, Yann LeCun, a déclaré à des journalistes que ChatGPT n’a « rien de révolutionnaire ». Le professeur de langage informatique de l’université de Washington Emily Bender précise que « la croyance en un programme informatique omniscient vient de la science-fiction et devrait y rester ».

Alors, jusqu’à quel point devrions-nous nous inquiéter ? Pour recueillir un avis autorisé, je me suis adressée au professeur d’informatique de Princeton Arvind Narayanan, qui est en train de co-rédiger un livre sur « Le charlatanisme de l’IA ». En 2019, Narayanan a fait une conférence au MIT intitulée « Comment identifier le charlatanisme del’IA » qui exposait une classification des IA en fonction de leur validité ou non. À sa grande surprise, son obscure conférence universitaire est devenue virale, et ses diapos ont été téléchargées plusieurs dizaines de milliers de fois ; ses messages sur twitter qui ont suivi ont reçu plus de deux millions de vues.

Narayanan s’est alors associé à l’un de ses étudiants, Sayash Kapoor, pour développer dans un livre la classification des IA. L’année dernière, leur duo a publié une liste de 18 pièges courants dans lesquels tombent régulièrement les journalistes qui couvrent le sujet des IA. Presque en haut de la liste : « illustrer des articles sur l’IA avec de chouettes images de robots ». La raison : donner une image anthropomorphique des IA implique de façon fallacieuse qu’elles ont le potentiel d’agir dans le monde réel.

Narayanan est également le co-auteur d’un manuel sur l’équité et l’apprentissage machine et dirige le projet Web Transparency and Accountability de l’université de Princeton pour contrôler comment les entreprises collectent et utilisent les informations personnelles. Il a reçu de la Maison-Blanche le Presidential Early Career Award for Scientists and Engineers [N. de T. : une distinction honorifique pour les scientifiques et ingénieurs qui entament brillamment leur carrière].

Voici notre échange, édité par souci de clarté et brièveté.

Angwin : vous avez qualifié ChatGPT de « générateur de conneries ». Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire ?

Narayanan : Sayash Kapoor et moi-même l’appelons générateur de conneries et nous ne sommes pas les seuls à le qualifier ainsi. Pas au sens strict mais dans un sens précis. Ce que nous voulons dire, c’est qu’il est entraîné pour produire du texte vraisemblable. Il est très bon pour être persuasif, mais n’est pas entraîné pour produire des énoncés vrais ; s’il génère souvent des énoncés vrais, c’est un effet collatéral du fait qu’il doit être plausible et persuasif, mais ce n’est pas son but.

Cela rejoint vraiment ce que le philosophe Harry Frankfurt a appelé du bullshit, c’est-à-dire du langage qui a pour objet de persuader sans égards pour le critère de vérité. Ceux qui débitent du bullshit se moquent de savoir si ce qu’ils disent est vrai ; ils ont en tête certains objectifs. Tant qu’ils persuadent, ces objectifs sont atteints. Et en effet, c’est ce que fait ChatGPT. Il tente de persuader, et n’a aucun moyen de savoir à coup sûr si ses énoncés sont vrais ou non.

Angwin : Qu’est-ce qui vous inquiète le plus avec ChatGPT ?

Narayanan : il existe des cas très clairs et dangereux de mésinformation dont nous devons nous inquiéter. Par exemple si des personnes l’utilisent comme outil d’apprentissage et accidentellement apprennent des informations erronées, ou si des étudiants rédigent des essais en utilisant ChatGPT quand ils ont un devoir maison à faire. J’ai appris récemment que le CNET a depuis plusieurs mois maintenant utilisé des outils d’IA générative pour écrire des articles. Même s’ils prétendent que des éditeurs humains ont vérifié rigoureusement les affirmations de ces textes, il est apparu que ce n’était pas le cas. Le CNET a publié des articles écrits par une IA sans en informer correctement, c’est le cas pour 75 articles, et plusieurs d’entre eux se sont avérés contenir des erreurs qu’un rédacteur humain n’aurait très probablement jamais commises. Ce n’était pas dans une mauvaise intention, mais c’est le genre de danger dont nous devons nous préoccuper davantage quand des personnes se tournent vers l’IA en raison des contraintes pratiques qu’elles affrontent. Ajoutez à cela le fait que l’outil ne dispose pas d’une notion claire de la vérité, et vous avez la recette du désastre.

Angwin : Vous avez développé une classification des l’IA dans laquelle vous décrivez différents types de technologies qui répondent au terme générique de « IA ». Pouvez-vous nous dire où se situe ChatGPT dans cette taxonomie ?

Narayanan : ChatGPT appartient à la catégorie des IA génératives. Au plan technologique, elle est assez comparable aux modèles de conversion de texte en image, comme DALL-E [qui crée des images en fonction des instructions textuelles d’un utilisateur]. Ils sont liés aux IA utilisées pour les tâches de perception. Ce type d’IA utilise ce que l’on appelle des modèles d’apprentissage profond. Il y a environ dix ans, les technologies d’identification par ordinateur ont commencé à devenir performantes pour distinguer un chat d’un chien, ce que les humains peuvent faire très facilement.

Ce qui a changé au cours des cinq dernières années, c’est que, grâce à une nouvelle technologie qu’on appelle des transformateurs et à d’autres technologies associées, les ordinateurs sont devenus capables d’inverser la tâche de perception qui consiste à distinguer un chat ou un chien. Cela signifie qu’à partir d’un texte, ils peuvent générer une image crédible d’un chat ou d’un chien, ou même des choses fantaisistes comme un astronaute à cheval. La même chose se produit avec le texte : non seulement ces modèles prennent un fragment de texte et le classent, mais, en fonction d’une demande, ces modèles peuvent essentiellement effectuer une classification à l’envers et produire le texte plausible qui pourrait correspondre à la catégorie donnée.

Angwin : une autre catégorie d’IA dont vous parlez est celle qui prétend établir des jugements automatiques. Pouvez-vous nous dire ce que ça implique ?

Narayanan : je pense que le meilleur exemple d’automatisation du jugement est celui de la modération des contenus sur les médias sociaux. Elle est nettement imparfaite ; il y a eu énormément d’échecs notables de la modération des contenus, dont beaucoup ont eu des conséquences mortelles. Les médias sociaux ont été utilisés pour inciter à la violence, voire à la violence génocidaire dans de nombreuses régions du monde, notamment au Myanmar, au Sri Lanka et en Éthiopie. Il s’agissait dans tous les cas d’échecs de la modération des contenus, y compris de la modération du contenu par l’IA.

Toutefois les choses s’améliorent. Il est possible, du moins jusqu’à un certain point, de s’emparer du travail des modérateurs de contenus humains et d’entraîner des modèles à repérer dans une image de la nudité ou du discours de haine. Il existera toujours des limitations intrinsèques, mais la modération de contenu est un boulot horrible. C’est un travail traumatisant où l’on doit regarder en continu des images atroces, de décapitations ou autres horreurs. Si l’IA peut réduire la part du travail humain, c’est une bonne chose.

Je pense que certains aspects du processus de modération des contenus ne devraient pas être automatisés. Définir où passe la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable est chronophage. C’est très compliqué. Ça demande d’impliquer la société civile. C’est constamment mouvant et propre à chaque culture. Et il faut le faire pour tous les types possibles de discours. C’est à cause de tout cela que l’IA n’a pas de rôle à y jouer.

Angwin : vous décrivez une autre catégorie d’IA qui vise à prédire les événements sociaux. Vous êtes sceptique sur les capacités de ce genre d’IA. Pourquoi ?

Narayanan : c’est le genre d’IA avec laquelle les décisionnaires prédisent ce que pourraient faire certaines personnes à l’avenir, et qu’ils utilisent pour prendre des décisions les concernant, le plus souvent pour exclure certaines possibilités. On l’utilise pour la sélection à l’embauche, c’est aussi célèbre pour le pronostic de risque de délinquance. C’est aussi utilisé dans des contextes où l’intention est d’aider des personnes. Par exemple, quelqu’un risque de décrocher de ses études ; intervenons pour suggérer un changement de filière.

Ce que toutes ces pratiques ont en commun, ce sont des prédictions statistiques basées sur des schémas et des corrélations grossières entre les données concernant ce que des personnes pourraient faire. Ces prédictions sont ensuite utilisées dans une certaine mesure pour prendre des décisions à leur sujet et, dans de nombreux cas, leur interdire certaines possibilités, limiter leur autonomie et leur ôter la possibilité de faire leurs preuves et de montrer qu’elles ne sont pas définies par des modèles statistiques. Il existe de nombreuses raisons fondamentales pour lesquelles nous pourrions considérer la plupart de ces applications de l’IA comme illégitimes et moralement inadmissibles.

Lorsqu’on intervient sur la base d’une prédiction, on doit se demander : « Est-ce la meilleure décision que nous puissions prendre ? Ou bien la meilleure décision ne serait-elle pas celle qui ne correspond pas du tout à une prédiction ? » Par exemple, dans le scénario de prédiction du risque de délinquance, la décision que nous prenons sur la base des prédictions est de refuser la mise en liberté sous caution ou la libération conditionnelle, mais si nous sortons du cadre prédictif, nous pourrions nous demander : « Quelle est la meilleure façon de réhabiliter cette personne au sein de la société et de diminuer les risques qu’elle ne commette un autre délit ? » Ce qui ouvre la possibilité d’un ensemble beaucoup plus large d’interventions.

Angwin : certains s’alarment en prétendant que ChatGPT conduit à “l’apocalypse,” pourrait supprimer des emplois et entraîner une dévalorisation des connaissances. Qu’en pensez-vous ?

Narayanan : Admettons que certaines des prédictions les plus folles concernant ChatGPT se réalisent et qu’il permette d’automatiser des secteurs entiers de l’emploi. Par analogie, pensez aux développements informatiques les plus importants de ces dernières décennies, comme l’internet et les smartphones. Ils ont remodelé des industries entières, mais nous avons appris à vivre avec. Certains emplois sont devenus plus efficaces. Certains emplois ont été automatisés, ce qui a permis aux gens de se recycler ou de changer de carrière. Il y a des effets douloureux de ces technologies, mais nous apprenons à les réguler.

Même pour quelque chose d’aussi impactant que l’internet, les moteurs de recherche ou les smartphones, on a pu trouver une adaptation, en maximisant les bénéfices et minimisant les risques, plutôt qu’une révolution. Je ne pense pas que les grands modèles de langage soient même à la hauteur. Il peut y avoir de soudains changements massifs, des avantages et des risques dans de nombreux secteurs industriels, mais je ne vois pas de scénario catastrophe dans lequel le ciel nous tomberait sur la tête.

Comme toujours, merci de votre attention.

À bientôt,
Julia Angwin
The Markup

On peut s’abonner ici à la lettre hebdomadaire (en anglais) du magazine The Markup, envoyée le samedi.




Le Fediverse n’est pas Twitter, mais peut aller plus loin

Maintenant que Mastodon a suscité l’intérêt d’un certain nombre de migrants de Twitter, il nous semble important de montrer concrètement comment peuvent communiquer entre eux des comptes de Mastodon, PeerTube, Pixelfed et autres… c’est ce que propose Ross Schulman dans ce billet de l’EFF traduit pour vous par Framalang…

 

source : The Breadth of the Fediverse

Traduction Framalang : CLC, Goofy, Henri-Paul

 

L’étendue du Fediverse

par Ross Schulman

Le Washington Post a récemment publié une tribune de Megan McArdle intitulée : « Twitter pourrait être remplacé, mais pas par Mastodon ou d’autres imitateurs ». L’article explique que Mastodon tombe dans le piège habituel des projets open source : élaborer une alternative qui a l’air identique et améliore les choses dont l’utilisateur type n’a rien à faire, tout en manquant des éléments qui ont fait le succès de l’original. L’autrice suggère plutôt que dépasser Twitter demandera quelque chose d’entièrement nouveau, et d’offrir aux masses quelque chose qu’elles ne savaient même pas qu’elles le désiraient.

Nous pensons, contrairement à Megan, que Mastodon (qui fait partie intégrante du Fediverse) offre en réalité tout cela, car c’est un réseau social véritablement interopérable et portable. Considérer que Mastodon est un simple clone de Twitter revient à oublier que le Fediverse est capable d’être ou de devenir la plate-forme sociale dont vous rêvez. C’est toute la puissance des protocoles. Le Fediverse dans son ensemble est un site de micro-blogging, qui permet de partager des photos, des vidéos, des listes de livres, des lectures en cours, et bien plus encore.

Comme beaucoup de gens se font, comme Megan, une fausse idée sur le Fediverse, et comme une image vaut mieux qu’un long discours, voyons comment l’univers plus large d’ActivityPub fonctionne dans la pratique.

Parlons de PeerTube. Il s’agit d’un système d’hébergement de vidéos, grâce auquel les internautes peuvent en suivre d’autres, télécharger des vidéos, les commenter et les « liker ».
Voici par exemple la page de la chaîne principale du projet open source Blender et c’est là que vous pouvez vous abonner à la chaîne…

fenêtre dans la page de peertube.tv où l'on peut s'abonner au canal blender en utilisant son compte activityPub, ici un compte de mastodon

Dans cet exemple nous avons créé un compte Mastodon sur l’instance (le serveur) framapiaf.org. Une fois qu’on clique sur « S’abonner à distance », nous allons sur le compte Mastodon, à partir duquel il nous suffit de cliquer sur « Suivre » pour nous permettre de…suivre depuis Mastodon le compte du PeerTube de Blender.

fenêtre de mastodon dans laquelle on peut confirmer vouloir suivre un canal peertube (de Blender dans cet exemple) en cliquant sur "Suivre"

Maintenant, dès que Blender met en ligne une nouvelle vidéo avec PeerTube, la mise à jour s’effectue dans le fil de Mastodon, à partir duquel nous pouvons « liker » (avec une icône d’étoile « ajouter aux favoris ») la vidéo et publier un commentaire.

… de sorte que le « like » et la réponse apparaissent sans problème sur la page de la vidéo.

un commentaire-réponse posté sur mastodon apparaît sur le canal peertube

Pixelfed est un autre service basé sur ActivityPub prenant la forme d’un réseau social de partage de photographies. Voici la page d’accueil de Dan Supernault, le principal développeur.

On peut le suivre depuis notre compte, comme nous venons de le faire avec la page PeerTube de Blender ci-dessus, mais on peut aussi le retrouver directement depuis notre compte Mastodon si nous connaissons son nom d’utilisateur.

capture : après recherche du nom d’utilisateur « dansup », mastodon retrouve le compte pixelfed recherché

Tout comme avec PeerTube, une fois que nous suivons le compte de Dan, ses images apparaîtront dans Mastodon, et les « likes » et les commentaires apparaîtront aussi dans Pixelfed.

capture d'écran montrant une photo du chat de Dansup publiée sur pixelfed mais qui s'affiche ici sur le compte mastodon que l'on "suit".

Voilà seulement quelques exemples de la façon dont des protocoles communs, et ActivityPub en particulier, permettent d’innover en termes de médias sociaux, Dans le Fediverse existent aussi BookWyrm, une plateforme sociale pour partager les lectures, FunkWhale, un service de diffusion et partage de musique ainsi que WriteFreely, qui permet de tenir des blogs plus étendus, pour ne mentionner que ceux-là.

Ce que garantit le Fediverse, c’est que tous ces éléments interagissent de la façon dont quelqu’un veut les voir. Si j’aime Mastodon, je peux toujours y voir des images de Pixelfed même si elles sont mieux affichées dans Pixelfed. Mieux encore, mes commentaires s’afficheront dans Pixelfed sous la forme attendue.

Les personnes qui ont migré de Twitter ont tendance à penser que c’est un remplaçant de Twitter pour des raisons évidentes, et donc elles utilisent Mastodon (ou peut-être micro.blog), mais ce n’est qu’une partie de son potentiel. La question n’est pas celle du remplacement de Twitter, mais de savoir si ce protocole peut se substituer aux autres plateformes dans notre activité sur la toile. S’il continue sur sa lancée, le Fediverse pourrait devenir un nouveau nœud de relations sociales sur la toile, qui engloberait d’autres systèmes comme Tumblr ou Medium et autres retardataires.

 




Collectivise the Internet : Three years to Ruffle the Feathers of Surveillance Capitalism

If the major issue in the digital world is systemic (a system called Surveillance Capitalism), then the answer cannot be limited to  » individual degoogleizing initiatives ». Our new roadmap Collectivise the Internet / Convivialise the Internet 🦆🦆  is all out on providing digital tools for non-profit organizations and collectives that work for the common good and the good of the Commons.

Let us tell you this story…

This article was published in French in October 2022 as part of the launch of Framasoft’s new roadmap Collectivise the Internet / Convivialise the Internet.

Simple banquet, in a shared garden, where free-software mascot animals are being served by Collectivise, convivialise ducks - Illustration by David Revoy - Licence: CC-By 4.0
Collectivise, convivialise – Illustration by David Revoy – License: CC-By 4.0

Emancipating Ourselves from Googles’ Industrial Animal Farmland

At Framasoft, we learn by doing. With every new campaign, with every new three-year roadmap, we try to apply lessons from the past. And every time, we discover more about our own misconceptions, our mistakes and ways forward to fix them.

During the Degoogleize The Internet campaign (2014-2017), we have learned that, although our small association could not degoogleize the whole planet, there is still a great deal of people who show interest in web-based tools that respect their values and integrity. Providing Free and open-source services to a as many people as possible ensures a large-scale deployment, even if that means risking focusing the demand and expectations on us. During this time period, we also initiated the alternative hosting collective CHATONS (an acronym that also means « kitties », in French), so that other hosts could join us in this adventure.

Then, we started the Contributopia roadmap (2017-2020), in which we contributed to many collective, popular and federated project, therereby meeting like-minded contributors, with whom we share the common values of sharing, fairness, caring, and emancipation, free and open-source software (FOSS) values that attracted us. We’ve come to realize, walking down this path, gathering and relating, that digital choices are societal choices, and that the choices made by FANGs are the pillars of a system: surveillance capitalism.

Illustration Quit planet GAFAM NATU BATX , CC BY David Revoy
« Quit planet GAFAM NATU BATX » Illustration by David Revoy – License: CC-By 4.0

Entire books are merely attempting to define what surveillance capitalism is, so what we are sharing here is just a rough summary of what it actually is. Surveillance capitalism is a system that transforms collective behaviours into data sets by prioritizing profit and power above all. The aim is to sell prediction and manipulation of our future behaviours, generally as commercial, cultural or electoral propaganda. In order to do so, some mega corporations try to establish monopolies on digital tools that maximize the acquisition and monopoly on our attention.

Simply put, surveillance capitalism creates industrial data farms, where we are the cattle. On the one hand, we are force-fed with attention mush (enriched with ads), and, on the other, part of our lives and our social behaviours are snatched from us to be resold to prosperous buyers at premium price.

That is why, at Framasoft, we have developped tools designed away from the values pushed by this system. Among the solutions we developed are PeerTube, a video platform software, and Mobilizon, a group and events management system. However, these tools require an entire group of people managing, maintaining, drafting and ensuring its editorial policy, and moderating: many small organizations do not have the human ressources to handle this in-house.

🦆 Discover the projects we want to carry out  🦆 Support Framasoft

Requiring digital tools that do not give goose bumps

From 2019 to 2022, we also ran the Déframasoftisons Internet action plan. We closed several projects which were underused or available through other trusted « CHATONS » hosts. This allowed us to save some energy for future projects, to reinforce our will to take care of our organization by avoiding unreasonable growth or restructuring that would disrupt our collective and the way it operates – which has made us pretty effective so far! – but especially to promote the decentralization of ethical digital tools.

Between 2020 and 2022, right in the middle of a gobal pandemic that confirmed our general dependency on online services, we intensified our efforts in maintaining our actions. Incidentally, we revised our plans for « Let’s deframasoftize » and chose to maintain some of the tools we intended to restrain or close: Framalistes, Framagit, Framateam, Framacalc…. We made that choice because we could see little to no other alternatives, and we did not want to let so many people down.

During this period of forced isolation, a pressing need began to be voiced more and more:

I am willing to ‘degoogle-ize’ myself, but I need someone to assist me, who can be here, in person to help me throughout this transition.

a pastry chef kitten presenting a cake-cloud prepared on demand, while in the background other kittens cook another cake-cloud in the middle of their cat-scratching tree village
Emancip’Asso – Illustration by David Revoy – License: CC-By 4.0

We have been hearing this need for this kind of human, tangible support for a while, and this is not unexpected. One of the mechanisms of capitalism is to individualize (« the customer is always right ») so as to better isolate and place the responsibility on each of us. For example, the information that we name « personal data » is neither personal nor data: it is more accurately the digital harvesting of our lives linked to those of others. Those are our social behaviours.

Conversely, if so many organizations, federations, etc. are so efficient in their task for the common good (whether they help us discover knitting or fighti climate inaction), it is precisely because they rest on the enjoyment of being and doing together, on the joy of meeting and exchanging, on the human warmth we find in the collective.

🦆 Discover the projects we want to carry out  🦆 Support Framasoft

Ducking out the slump thanks to conviviality

The future Big Tech is designing for us is one where humans are being:
* isolated – so that connections between humans rely solely upon their tools
* exploited – so that more and more tools are being created for us to consume
* singled out – so that no collective action is put in place that challenges their methods
* dependent – on their system of absolute monopoly
* greedy – so our lack of money can be weaponized against us
* competing – to pit us against each other and justify the rise of their elite class

This future that surveillance capitalism is designing for us as we speak, is neither engaging nor sustainable.. It treats both people and the Earth as a liability and will lead us straight to destruction.

On the other hand, trying to step out of our comfortable FOSS-enthusiasts’ bubble to try and reach out to other communities that are changing the world, has proved to be not as desorienting as we might have thought. We found that oftentime we shared the same utopias and the same definition of society: one based on contributing.

Drawing of five isles in a circle, each with buildings from different cultures. They are communicating together using waves and echoes.
ECHO Network – Illustration by David Revoy – License: CC-By 4.0

These « Contributopians » share the same dream as us: a future where humans are proud, autonomous, emancipated, knowledgeable, sharing and helpful to each other… a future where digital tools are under control, transparent, user-friendly and enhance the emancipation of human beings.

Thus, let’s summarize the lessons learned from our previous endeavours:

  • We did not yet have tools that fit the needs of the small organizations and associations that do so much with so little, but most of all with a lot of good will.
  • We are aware of the risk of remaining isolated, singled out in our « small, individual ‘degoogleization’ initiatives » against a whole system that can only be faced effectively through collective action.
  • We can see how crucial it is to put humans back at the center, the need for human presence and kindness when assisting others throughout their transition towards ethical digital practises.
  •  We have been able to confirm that a good number of associations and organizations from civil society which are working for the commons share with us these common values.

These patrons/champions of a « society of contribution » work hard to make our common dreams a reality.

 Long story short: it’s high time we degooglized the Contributopians!

(… those who wish to be, of course. We have never forced anyone to do anything, and we won’t start now!)

🦆 Discover the projects we want to carry out  🦆 Support Framasoft

Finding warmth with the jolly fellows

The four long-term actions we introduced in the article « Convivialise the Internet » 🦆(Framaspace, Émancip’Asso, ECHO Network, Peer.tube) all serve the same purpose: to equip organizations with online tools that fit their values.

These four projects rely on the strength of the collective while also taking into account the known constraints and limits that associations face. Kindness alone cannot magically and miraculously provide people with knowledge, time and means to train to use Nextcloud, PeerTube and other ethical tools.

 

Sepia, PeerTube cuttlefish mascot, is by the sea shore. She invites us on the pier where many sailboats berthed. Movies are played on the sails.
Peer.Tube – Illustration by David Revoy – License: CC-By 4.0

Similarly, the 39 members that compose Framasoft (10 of whom are employees) cannot spawn everywhere to personally train each and every new organization that wants to use, let’s say Framaspace, especially as that number could rise – with the help of your generous donations – up to thousands of organizations within 3 years!

That is why all of these projects are both about building a sense of community through shared spaces and some time allocated to community-building activities and sharing practices, challenges, etc., and providing support via coaching, improvements tailored for specific needs, and learning content to help people to be more autonomous and master the different tools, etc. Going blindly ahead with preconceived notions and a “we know best what works best for you” kind of attitude does not seem to be the most suitable — let alone humane — approach.

 

🦆 Discover the projects we want to carry out  🦆 Support Framasoft

Let’s steer our ship into a virtuous circle

We want to be efficient, so we want our tools to actually be used. Our goal is thus to make our tools useful – yeah, because designing tools that are actually useful is what disruptive innovation is all about, to make Tech for good that is community-owned and still very much online!)

We are thus planning not to plan everything, except time and space dedicated to your feedback. We also want to be available to tackle issues we might face on each of the actions that we feel ready to take. In other words, if we already plan to develop new features, create tutorials, host webinars and draft learning content, we do not want to predefine everything upfront, so as to save some time to help our users, our main target.

A unicorn dressed as an astronaut (with a spaghetti strainer on its head) is walking on the clouds and is blowing bubbles. Inside the bubbles, we can see cubes that represent collective work (files, toolboxes, books, typewriters, abacus, etc.)
Frama.space – Illustration by David Revoy – License: CC-By 4.0

This is the virtuous circle that we defined over the course of our various experimentations and that best fits our workflow:

1. Launch a first draft of our project, although imperfect

It’s OK if the paint is still fresh, or if it’s still a rough sketch. It’s absolutely OK too to start with a very small target audience. We have 3 years ahead of us to improve all that, and we have time and resources in store to do so.

For example, while we hope to provide millions of organizations with Framaspace within 3 years, it will be a good start to offer it to 200-300 organizations by the end of 2022!

2. Take users’ feedback into account

The Frama.space forum, the PeerTube community the study programs on ECHO Network and the comments received on Emancip’Asso are all important resources to gather feedback on our tools. It’d be too easy to lock ourselves in an echo chamber and avoid the reality of those who are actually fighting on the battlefield.
We go as far as considering the creation of an Observatory of Practices and Free Open-Source Digital Experiences, basing ourselves on the organizations that make up the Frama.sapce user community. Codename: OPEN-L. Stay tuned for that… And let’s hope we manage to set it up!

3. Improve our solutions step by step

Our goal is to improve each of those actions over time. This could be done by creating documentation and pedagogical tools, moderating and facilitating user communities, working on the ergonomy or on new features to be developed.
We want to keep total freedom to improve each action depending on the feedback we get from users.

4. Link humans to tools, and to other humans

Here’s another important, yet often overlooked aspect: connections. Such a shame, considering that the Web is, by definition, designed to connect people, ideas and things. This step can take many forms. It may mean taking the time to introduce our users to the new improvements brought about by each of our actions. It may also mean broadening our user community for any given project. Finally, it may mean taking advantage of having organizations share a common tool by sharing with them, offering them and informing them on what their fellows are doing.

Additionally, it will take some journaling: to summarize experiences, the lessons learned, to gather the relevant resources… and share all of that with the community. Whatever the form, this connecting step is when we take the time to reflect, to review our actions so as to better start a new virtuous circle and launch a better version of the project.

🦆 Discover the projects we want to carry out  🦆 Support Framasoft

We ain’t no quacks. Please support us!

Ain’t gonna beat around the bush: Collectivise the Internet / Convivialise the Internet 🦆🦆 is a roadmap with a clear political purpose, in the sense that it shall contribute to changing the world (if only one byte at a time).

After eight years spent observing and informing the public on the future that Big Tech is already materializing for us day by day and the political choices that they are forcing on our societies, it feels more and more crucial to keep one corner of the Web free from their influence.

Such is « also » our role, because these new actions do not and will not replace the ones we are already conducting. All the ‘degoogleized » software already available to everyone, the development of PeerTube and Mobilizon, the FOSS collective CHATONS, the common cultural resources… All of these projects are still ongoing and will still require more work over the upcoming three years.

 

Portrait of a duck cheering in the foreground, while other ducks in the background are having a lantern-lit celebration among trees.
Quack-quack – Illustration by David Revoy – License: CC-By 4.0

If you agree with our set goals and strategy, if the actions that we are currently undertaking seem important to you, then we would like to remind you that Framasoft is exclusively funded by… You. It is only your kind contributions, eligible to a 66% tax cut for French taxpayers, that allow us to keep going in total independence.

If you can (as we are well aware that our current times are particularly harsh), and if you wish to, please support us.

 

🦆 Support Framasoft


This page has been translated from French to English by Framalang volunteers: Bastien, Bromind, Ellébore (proofreading), Goofy, GPSqueeek, Mathilde (proofreading), Stan, Susy




Mastodon, fin de (première) partie ?

L’afflux récent d’inscriptions sur Mastodon, sous forme de vague inédite de cette ampleur, a largement retenti dans les médias.

Beaucoup se sont penchés sur le réseau social fédéré avec une curiosité nouvelle, pour expliquer (parfois de façon maladroite ou fragmentaire, mais c’est habituel2) de quoi il retourne aux nombreux « migrants » qui ont réagi vivement à la prise de contrôle de l’oiseau bleu par E. Musk.

L’événement, car c’en est un tant les réseaux sociaux sont devenus un enjeu crucial, a suscité, et c’est tout à fait sain, beaucoup d’interrogations, mais souvent selon une seule perspective : « Vous venez de l’oiseau qui a du plomb dans l’aile, que pouvez-vous trouver et que devez-vous craindre en vous inscrivant sur Mastodon ? ». Et en effet cela répond plus ou moins à une forte demande.

Cependant il nous est apparu intéressant  d’adopter le temps d’un article une sorte de contre-champ : « que peuvent espérer ou redouter les mastonautes (ben oui on peut les appeler ainsi) avec de massives nouvelles arrivées ? »

C’est ce que propose d’analyser Hugh Rundle dans le billet que nous avons traduit ci-dessous. Il connaît bien Mastodon, dont il administre une instance depuis plusieurs années. Sa position pourra sembler exagérément pessimiste, car il estime qu’il faudra faire le deuil de Mastodon tel qu’on l’a connu depuis les débuts du Fédiverse. Qui sait ce qu’apporteront les prochains mois à la fédération de serveurs minuscules ou obèses qui par leur interconnexion fédèrent des êtres humains, hors de portée du capitalisme de surveillance ? Comme d’habitude, les commentaires sont ouverts et modérés.

Article original sur le blog de l’auteur : Mastodon’s Eternal September begins

Licence CC BY 4.0

L’éternel septembre de Mastodon commence…

par Hugh Rundle

 

Plus personne n’y va. Il y a trop de monde.

Yogi Berra, et alii

Cette fois, on dirait bien que c’est arrivé. Alors que les sites d’information commençaient à annoncer qu’Elon Musk avait finalisé l’achat de Twitter, l’éternel septembre du Fediverse – espéré et redouté en proportions égales par sa base d’utilisateurs existante – a commencé.

Nous avons déjà connu des vagues de nouvelles arrivées – la plus récente au début de cette année, lorsque Musk a annoncé son offre d’achat – mais ce qui se passe depuis une semaine est différent, tant par son ampleur que par sa nature. Il est clair qu’une partie non négligeable des utilisateurs de Twitter choisissent de se désinscrire en masse, et beaucoup ont été dirigés vers Mastodon, le logiciel le plus célèbre et le plus peuplé du Fediverse.

Deux types de fêtes

À Hobart, à la fin des années 1990, il y avait essentiellement trois boîtes de nuit. Elles étaient toutes plus ou moins louches, plus ou moins bruyantes, mais les gens y allaient parce que c’était là que les autres se trouvaient – pour s’amuser avec leurs amis, pour attirer l’attention, pour affirmer leur statut social, etc. Ça, c’est Twitter.

J’avais un ami qui vivait dans une colocation au coin d’un de ces clubs populaires. Il organisait des fêtes à la maison les week-ends. De petites fêtes, juste entre amis avec quelques amis d’amis. Ça, c’est le Fediverse.

Déferlement

Pour ceux d’entre nous qui utilisent Mastodon depuis un certain temps (j’ai lancé mon propre serveur Mastodon il y a 4 ans), cette semaine a été accablante. J’ai pensé à des métaphores pour essayer de comprendre pourquoi j’ai trouvé cela si bouleversant.

C’est censé être ce que nous voulions, non ? Pourtant, ça ressemble à autre chose. Comme lorsque vous êtes assis dans un wagon tranquille, discutant doucement avec quelques amis, et qu’une bande entière de supporters de football monte à la gare de Jolimont après la défaite de leur équipe. Ils n’ont pas l’habitude de prendre le train et ne connaissent pas le protocole. Ils supposent que tout le monde dans le train était au match ou du moins suit le football. Ils se pressent aux portes et se plaignent de la configuration des sièges.

Ce n’est pas entièrement la faute des personnes de Twitter. On leur a appris à se comporter d’une certaine manière. À courir après les likes et les retweets. À se mettre en valeur. À performer. Tout ce genre de choses est une malédiction pour la plupart des personnes qui étaient sur Mastodon il y a une semaine. C’est en partie la raison pour laquelle beaucoup sont venues à Mastodon en premier lieu, il y a quelques années.

Cela signifie qu’il s’est produit un choc culturel toute la semaine, pendant qu’une énorme déferlement de tweetos descendait sur Mastodon par vagues de plus en plus importantes chaque jour. Pour les utilisateurs de Twitter, c’est comme un nouveau monde déroutant, tandis qu’ils font le deuil de leur ancienne vie sur Twitter. Ils se qualifient de « réfugiés », mais pour les habitants de Mastodon, c’est comme si un bus rempli de touristes de Kontiki venait d’arriver, et qu’ils se baladaient en hurlant et en se plaignant de ne pas savoir comment commander le service d’étage. Nous aussi, nous regrettons le monde que nous sommes en train de perdre.

Viral

Samedi soir, j’ai publié un billet expliquant deux ou trois choses sur l’histoire de Mastodon concernant la gestion des nœuds toxiques sur le réseau. Puis tout s’est emballé. À 22 heures, j’avais verrouillé mon compte pour exiger que les abonnés soient approuvés et mis en sourdine tout le fil de discussion que j’avais moi-même créé.

Avant novembre 2022, les utilisateurs de Mastodon avaient l’habitude de dire pour blaguer que vous étiez « devenu viral » si vous obteniez plus de 5 repouets ou étoiles sur un post.

Au cours d’une semaine moyenne, une ou deux personnes pouvaient suivre mon compte. Souvent, personne ne le faisait. Et voilà que mon message recevait des centaines d’interactions. Des milliers. J’ai reçu plus de 250 demandes de suivi depuis lors – tellement que je ne peux pas supporter de les regarder, et je n’ai aucun critère pour juger qui accepter ou rejeter. En début de semaine, je me suis rendu compte que certaines personnes avaient crossposté mon billet sur le Mastodon sur Twitter. Quelqu’un d’autre en avait publié une capture d’écran sur Twitter.

Personne n’a pensé à me demander si je le voulais.

Pour les utilisateurs d’applications d’entreprise comme Twitter ou Instagram, cela peut ressembler à de la vantardise. Le but n’est-il pas de « devenir viral » et d’obtenir un grand nombre d’abonnés ? Mais pour moi, c’était autre chose. J’ai eu du mal à comprendre ce que je ressentais, ou à trouver le mot pour le décrire. J’ai finalement réalisé lundi que le mot que je cherchais était “traumatique”.

En octobre, j’avais des contacts réguliers avec une douzaine de personnes par semaine sur Mastodon, sur 4 ou 5 serveurs différents. Soudain, le fait que des centaines de personnes demandent (ou non) à se joindre à ces conversations sans s’être acclimatées aux normes sociales a été ressenti comme une violation, une agression. Je sais que je ne suis pas le seul à avoir ressenti cela.

Le fait que tous les administrateurs de serveurs Mastodon que je connais, y compris moi-même, aient été soudainement confrontés à un déluge de nouveaux inscrits, de demandes d’inscription (s’ils n’avaient pas d’inscription ouverte), puis aux inévitables surcharges des serveurs, n’a probablement pas aidé. Aus.social a cédé sous la pression, se mettant hors ligne pendant plusieurs heures alors que l’administrateur essayait désespérément de reconfigurer les choses et de mettre à niveau le matériel. Chinwag a fermé temporairement les inscriptions. Même l’instance phare mastodon.social publiait des messages plusieurs heures après leur envoi, les messages étant créés plus vite qu’ils ne pouvaient être envoyés. J’observais nerveusement le stockage des fichiers sur ausglam.space en me demandant si j’arriverais à la fin du week-end avant que le disque dur ne soit plein, et je commençais à rédiger de nouvelles règles et conditions d’utilisation pour le serveur afin de rendre explicites des choses que « tout le monde savait » implicitement parce que nous pouvions auparavant acculturer les gens un par un.

Consentement

Jusqu’à cette semaine, je n’avais pas vraiment compris – vraiment apprécié – à quel point les systèmes de publication des entreprises orientent le comportement des gens. Twitter encourage une attitude très extractive de la part de tous ceux qu’il touche. Les personnes qui ont republié mes articles sur Mastodon sur Twitter n’ont pas pensé à me demander si j’étais d’accord pour qu’ils le fassent. Les bibliothécaires qui s’interrogent bruyamment sur la manière dont ce “nouvel” environnement de médias sociaux pourrait être systématiquement archivé n’ont demandé à personne s’ils souhaitaient que leurs pouets sur le Fediverse soient capturés et stockés par les institutions gouvernementales. Les universitaires qui réfléchissent avec enthousiasme à la manière de reproduire leurs projets de recherche sur Twitter sur un nouveau corpus de pouets “Mastodon” n’ont pas pensé à se demander si nous voulions être étudiés par eux. Les personnes créant, publiant et demandant des listes publiques de noms d’utilisateurs Mastodon pour certaines catégories de personnes (journalistes, universitaires dans un domaine particulier, activistes climatiques…) ne semblaient pas avoir vérifié si certaines de ces personnes se sentait en sécurité pour figurer sur une liste publique. Ils ne semblent pas avoir pris en compte le fait qu’il existe des noms pour le type de personne qui établit des listes afin que d’autres puissent surveiller leurs communications. Et ce ne sont pas des noms sympathiques.

Les outils, les protocoles et la culture du Fediverse ont été construits par des féministes trans et queer. Ces personnes avaient déjà commencé à se sentir mises à l’écart de leur propre projet quand des personnes comme moi ont commencé à y apparaître il y a quelques années. Ce n’est pas la première fois que les utilisateurs de Fediverse ont dû faire face à un changement d’état significatif et à un sentiment de perte. Néanmoins, les principes de base ont été maintenus jusqu’à présent : la culture et les systèmes techniques ont été délibérément conçus sur des principes de consentement, d’organisation et de sécurité communautaires. Bien qu’il y ait certainement des améliorations à apporter à Mastodon en termes d’outils de modération et de contrôle plus fin des publications, elles sont en général nettement supérieures à l’expérience de Twitter. Il n’est guère surprenant que les personnes qui ont été la cible de trolls fascistes pendant la plus grande partie de leur vie aient mis en place des protections contre une attention non désirée lorsqu’elles ont créé une nouvelle boîte à outils pour médias sociaux. Ce sont ces mêmes outils et paramètres qui donnent beaucoup plus d’autonomie aux utilisateurs qui, selon les experts, rendent Mastodon « trop compliqué ».

Si les personnes qui ont construit le Fediverse cherchaient généralement à protéger les utilisateurs, les plateformes d’entreprise comme Twitter cherchent à contrôler leurs utilisateurs. Twitter revendique la juridiction sur tout le « contenu » de la plateforme. Les plaintes les plus vives à ce sujet proviennent de personnes qui veulent publier des choses horribles et qui sont tristes lorsque la bureaucratie de Twitter finit, parfois, par leur dire qu’elles n’y sont pas autorisées. Le vrai problème de cet arrangement, cependant, est qu’il modifie ce que les gens pensent du consentement et du contrôle de nos propres voix. Les universitaires et les publicitaires qui souhaitent étudier les propos, les graphiques sociaux et les données démographiques des utilisateurs de Twitter n’ont qu’à demander la permission à la société Twitter. Ils peuvent prétendre que, légalement, Twitter a le droit de faire ce qu’il veut de ces données et que, éthiquement, les utilisateurs ont donné leur accord pour que ces données soient utilisées de quelque manière que ce soit lorsqu’ils ont coché la case « J’accepte » des conditions de service. Il s’agit bien sûr d’une idiotie complète (les Condition Générales d’Utilisation sont impénétrables, changent sur un coup de tête, et le déséquilibre des pouvoirs est énorme), mais c’est pratique. Les chercheurs se convainquent donc qu’ils y croient, ou bien ils s’en fichent tout simplement.

Cette attitude a évolué avec le nouvel afflux. On proclame haut et fort que les avertissements de contenu sont de la censure, que les fonctionnalités qui ont été délibérément non mises en œuvre pour des raisons de sécurité de la communauté sont « manquantes » ou « cassées », et que les serveurs gérés par des bénévoles qui contrôlent qui ils autorisent et dans quelles conditions sont « excluants ». Aucune considération n’est donnée à la raison pour laquelle les normes et les possibilités de Mastodon et du Fediverse plus large existent, et si l’acteur contre lequel elles sont conçues pour se protéger pourrait être vous. Les gens de Twitter croient au même fantasme de « place publique » que la personne qu’ils sont censés fuir. Comme les Européens du quatorzième siècle, ils apportent la contagion avec eux lorsqu’ils fuient.

Anarchisme

L’ironie de tout cela est que mon « fil de discussion viral » était largement consacré à la nature anarchiste et consensuelle du Fediverse. Beaucoup de nouveaux arrivants ont vu très vite que les administrateurs de leurs serveurs se battaient héroïquement pour que tout fonctionne, et ont donné de l’argent ou se sont inscrits sur un compte Patreon pour s’assurer que les serveurs puissent continuer à fonctionner ou être mis à niveau pour faire face à la charge. Les administrateurs se sont envoyés des messages de soutien privés et publics, partageant des conseils et des sentiments de solidarité. Les anciens partageaient des #FediTips pour aider à orienter les comportements dans une direction positive. Il s’agit, bien sûr, d’entraide.

C’est très excitant de voir autant de personnes expérimenter des outils sociaux en ligne anarchistes. Les personnes intelligentes qui ont conçu ActivityPub et d’autres protocoles et outils Fediverse l’ont fait de manière à échapper à la prédation monopolistique. Le logiciel est universellement libre et open source, mais les protocoles et les normes sont également ouverts et extensibles. Alors que beaucoup seront heureux d’essayer de reproduire ce qu’ils connaissent de Twitter – une sorte de combinaison de LinkedIn et d’Instagram, avec les 4chan et #auspol toujours menaçants – d’autres exploreront de nouvelles façons de communiquer et de collaborer. Nous sommes, après tout, des créatures sociales. Je suis surpris de constater que je suis devenu un contributeur régulier (comme dans « contributeur au code » 😲) à Bookwyrm, un outil de lecture sociale (pensez à GoodReads) construit sur le protocole ActivityPub utilisé par Mastodon. Ce n’est qu’une des nombreuses applications et idées dans le Fediverse élargi. D’autres viendront, qui ne seront plus simplement des « X pour Fedi » mais plutôt de toutes nouvelles idées. Alors qu’il existe déjà des services commerciaux utilisant des systèmes basés sur ActivityPub, une grande partie des nouvelles applications seront probablement construites et exploitées sur la même base d’entraide et de volontariat qui caractérise actuellement la grande majorité du Fediverse.

Chagrin

Beaucoup de personnes ont été enthousiasmées par ce qui s’est passé cette semaine. Les nouveaux arrivants ont vu les possibilités du logiciel social fédéré. Les anciens ont vu les possibilités de la masse critique.

Mais il est important que ce ne soit pas la seule chose qu’on retienne du début de novembre 2022. Mastodon et le reste du Fediverse peuvent être très nouveaux pour ceux qui sont arrivés cette semaine, mais certaines personnes œuvrent et jouent dans le Fediverse depuis presque dix ans. Il existait déjà des communautés sur le Fediverse, et elles ont brusquement changé pour toujours.

J’ai été un utilisateur relativement précoce de Twitter, tout comme j’ai été un utilisateur relativement précoce de Mastodon. J’ai rencontré certains de mes meilleurs amis grâce à Twitter, qui a contribué à façonner mes opportunités de carrière. Je comprends donc et je compatis avec ceux qui ont fait le deuil de leur expérience sur Twitter – une vie qu’ils savent désormais terminée. Mais Twitter s’est lentement dégradé depuis des années – j’ai moi-même traversé ce processus de deuil il y a quelques années et, franchement, je ne comprends pas vraiment ce qui est si différent maintenant par rapport à il y a deux semaines.

Il y a un autre groupe, plus restreint, de personnes qui pleurent une expérience des médias sociaux qui a été détruite cette semaine – les personnes qui étaient actives sur Mastodon et plus largement le Fediverse, avant novembre 2022. La boîte de nuit a un nouveau propriétaire impétueux, et la piste de danse s’est vidée. Les gens affluent vers la fête tranquille du coin, cocktails à la main, demandant que l’on monte le volume de la musique, mettent de la boue sur le tapis, et crient par-dessus la conversation tranquille.

Nous avons tous perdu quelque chose cette semaine. Il est normal d’en faire le deuil.




Contra Chrome : une BD décapante maintenant en version française

Il y a loin de la promotion du navigateur Chrome à ses débuts, un outil cool au service des internautes, au constat de ce qu’il est devenu, une plateforme de prédation de Google, c’est ce que permet de mesurer la bande dessinée de Leah,

Contra Chrome est un véritable remix de la BD promotionnelle originale (lien vers le document sur google.com) que Leah Elliott s’est évertuée à détourner pour exposer la véritable nature de ce navigateur qui a conquis une hégémonie au point d’imposer ses règles au Web.

Nous avons trouvé malicieux et assez efficace son travail qui a consisté à conserver les images en leur donnant par de nouveaux textes un sens satirique et pédagogique pour démontrer la toxicité de Google Chrome.

La traduction qui est aujourd’hui disponible a été effectuée par les bénévoles de Framalang et par Calimero (qui a multiplié sans relâche les ultimes révisions). Voici en même temps que l’ouvrage, les réponses que Leah a aimablement accepté de faire à nos questions.

 

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement pour nos lecteurs et lectrices…
Je m’appelle Leah et je suis autrice de bandes dessinées et artiste. J’ai une formation en art et en communication, et je n’ai jamais travaillé dans l’industrie technologique.

Est-ce que tu te considères comme une militante pour la préservation de la vie privée ?

Eh bien, le militantisme en matière de vie privée peut prendre de nombreuses formes. Parfois, c’est être lanceur d’alerte en fuitant des révélations, parfois c’est une bande dessinée, ou la simple installation d’une extension de navigateur comme Snowflake, avec laquelle vous pouvez donner aux dissidents des États totalitaires un accès anonyme à un internet non censuré.

Dans ce dernier sens, j’espère avoir été une militante avant de créer Contra Chrome, et j’espère l’être encore à l’avenir.

Comment t’es venue l’idée initiale de réaliser Contra Chrome ?

Ça s’est fait progressivement.

Lorsque la bande dessinée Chrome de Scott McCloud est sortie en 2008, je n’avais qu’une très vague idée du fonctionnement d’Internet et de la façon dont les entreprises récoltent et vendent mes données. Je me figurais essentiellement que je pouvais me cacher dans ce vaste chaos. Je pensais qu’ils récoltaient tellement de données aléatoires dans le monde entier qu’ils ne pouvaient pas espérer me trouver, moi petite aiguille dans cette botte de foin planétaire.

Et puis les révélations de Snowden ont éclaté, et il a dit : « Ne vous y trompez pas », en dévoilant tous les ignobles programmes de surveillance de masse. C’est alors que j’ai compris qu’ils ne se contenteraient pas de moissonner le foin, mais aussi des aiguilles.

Depuis, j’ai essayé de m’éduquer et d’adopter de meilleurs outils, découvrant au passage des logiciels libres et open source respectueux de la vie privée, dont certains des excellents services proposés par Framasoft.

Lorsque j’ai retrouvé la bande dessinée de McCloud quelque temps après les révélations de Snowden, j’ai soudain réalisé qu’il s’agissait d’un véritable trésor, il ne manquait que quelques pages…

Qu’est-ce qui t’a motivée, à partir de ce moment ?

L’indignation, principalement, et le besoin de faire quelque chose contre un statu quo scandaleux. Il y a un décalage tellement affreux entre la société que nous nous efforçons d’être, fondée sur des valeurs et les droits de l’homme, et les énormes structures d’entreprises barbares comme Google, qui récoltent agressivement des masses gigantesques de données personnelles sans jamais se soucier d’obtenir le consentement éclairé de l’utilisateur, sans aucune conscience de leurs responsabilités sur les retombées individuelles ou sociétales, et sans aucun égard pour les conséquences que cela a sur le processus démocratique lui-même.

En lisant Shoshana Zuboff, j’ai vu comment ce viol massif de données touche à la racine de la liberté personnelle de chacun de se forger sa propre opinion politique, et comment il renforce ainsi les régimes et les modes de pensée autoritaires.

Trop de gens n’ont aucune idée de ce qui est activé en continu 24 heures sur 24 au sein de leur propre maisons intelligente et sur les téléphones de leurs enfants, et je voulais contribuer à changer ça.

Certains aspects de la surveillance via le navigateur Chrome sont faciles à deviner, cependant ta BD va plus en profondeur et révèle la chronologie qui va des promesses rassurantes du lancement à la situation actuelle qui les trahit. Est-ce que tu as bénéficié d’aide de la part de la communauté des défenseurs de la vie privée sur certains aspects ou bien as-tu mené seule ton enquête ?

Comme on peut le voir dans les nombreuses annotations à la fin de la bande dessinée, il s’agit d’un énorme effort collectif. En fin de compte, je n’ai fait que rassembler et organiser les conclusions de tous ces militants, chercheurs et journalistes. J’ai également rencontré certains d’entre eux en personne, notamment des experts reconnus qui ont mené des recherches universitaires sur Google pendant de nombreuses années. Je leur suis très reconnaissante du temps qu’ils ont consacré à ma bande dessinée, qui n’aurait jamais existé sans cette communauté dynamique.

Pourquoi avoir choisi un « remix » ou plutôt un détournement de la BD promotionnelle, plutôt que de créer une bande dessinée personnelle avec les mêmes objectifs ?

En relisant la BD pro-Google de McCloud, j’ai constaté que, comme dans toute bonne bande dessinée, les images et le texte ne racontaient pas exactement la même histoire. Alors que le texte vantait les fonctionnalités du navigateur comme un bonimenteur sur le marché, certaines images me murmuraient à l’oreille qu’il existait un monde derrière la fenêtre du navigateur, où le contenu du cerveau des utilisateurs était transféré dans d’immenses nuages, leur comportement analysé par des rouages inquiétants tandis que des étrangers les observaient à travers un miroir sans tain.

Pour rendre ces murmures plus audibles, il me suffisait de réarranger certaines cases et bulles, un peu comme un puzzle à pièces mobiles. Lorsque les éléments se sont finalement mis en place un jour, ils se sont mis à parler d’une voix très claire et concise, et ont révélé beaucoup plus de choses sur Chrome que l’original.

Lawrence Lessig a expliqué un jour que, tout comme les essais critiques commentent les textes qu’ils citent, les œuvres de remixage commentent le matériel qu’elles utilisent. Dans mon cas, la BD originale de Chrome expliquait prétendument le fonctionnement de Chrome, et j’ai transformé ce matériel en une BD qui rend compte de son véritable fonctionnement.

Est-ce que tu as enregistré des réactions du côté de l’équipe de développement de Chrome ? Ou du côté de Scott Mc Cloud, l’auteur de la BD originale ?

Non, c’est le silence radio. Du côté de l’entreprise, il semble qu’il y ait eu quelques opérations de nettoyage à la Voldemort : Des employés de Google sur Reddit et Twitter, se sont conseillé mutuellement de ne pas créer de liens vers le site, de ne pas y réagir dans les fils de discussion publics, exigeant même parfois que les tweets contenant des images soient retirés.

Quant à Scott, rien non plus jusqu’à présent, et j’ai la même curiosité que vous.

Ton travail a suscité beaucoup d’intérêt dans diverses communautés, de sorte que les traductions plusieurs langues sont maintenant disponibles (anglais, allemand, français et d’autres à venir…). Tu t’attendais à un tel succès ?

Absolument pas. Le jour où je l’ai mis en ligne, il n’y a eu aucune réaction de qui que ce soit, et je me souviens avoir pensé : « bah, tu t’attendais à quoi d’autre, de toutes façons ? ». Je n’aurais jamais imaginé le raz-de-marée qui a suivi. Tant de personnes proposant des traductions, qui s’organisaient, tissaient des liens. Et tous ces messages de remerciement et de soutien, certaines personnes discutent de ma BD dans les écoles et les universités, d’autres l’impriment et la placent dans des espaces publics. Ça fait vraiment plaisir de voir tout ça.

Il y a une sorte de réconfort étrange dans le fait que tant d’êtres humains différents, de tous horizons et de tous les coins de la planète, partagent ma tristesse et mon horreur face au système du capitalisme de surveillance. Cette tristesse collective ne devrait pas me rendre heureuse, et pourtant elle me donne le courage de penser à un avenir très différent.

Quel navigateur utilises-tu au lieu de Chrome ? Lequel recommanderais-tu aux webnautes soucieux de préserver leur vie privée ?

Je suis peut-être allée un peu loin désormais, mais je pratique ce que je prêche dans la BD : pour 95 % de ma navigation, j’utilise simplement le navigateur Tor. Et lorsque Tor est bloqué ou lorsqu’une page ne fonctionne pas correctement, j’utilise Firefox avec quelques modifications et extensions pour améliorer la confidentialité.

Donc généralement, que je cherche des recettes de muffins, que je vérifie la météo ou que je lise les nouvelles, c’est toujours avec Tor. Parce que j’ai l’impression que le navigateur Tor ne peut prendre toute sa valeur que si suffisamment de personnes l’utilisent en même temps, pour qu’un brouillard suffisamment grand de non-sens triviaux entoure et protège les personnes vulnérables dont la sécurité dépend actuellement de son utilisation.

Pour moi, c’est donc une sorte de devoir civique en tant que citoyenne de la Terre. De plus, je peux parcourir mes recettes de muffins en ayant la certitude qu’il ne s’agit que d’un navigateur et non d’un miroir sans tain.

Merci Leah et à bientôt peut-être !


Cliquez sur l’image ci-dessous pour accéder à la version française de Contra chrome

 




Brian Eno n’aime pas les NFT – Open Culture (5)

Le 5e numéro de notre mini-série de l’été, qui vagabonde librement d’un article de openculture.com à l’autre, vous propose aujourd’hui de lire quelques propos assez vifs sur les NFT que l’on peut définir grossièrement comme des titres de propriété, enregistrés dans une sorte de « grand livre » numérique public et décentralisé (en savoir plus avec ces questions/réponses). Leur apparition ces dernières années suscite autant d’engouement spéculatif que de critiques acerbes.

Voici par exemple le point de vue de Brian Eno, un musicien, producteur, compositeur dont la carrière et la notoriété dans le monde de la musique sont immenses : les plus grands ont bénéficié de son talent, on lui doit le développement et la popularisation d’un genre musical et nombreuses sont ses expérimentations artistiques, pas seulement musicales..

 

Article original : Brian Eno Shares His Critical Take on Art & NFTs: “I Mainly See Hustlers Looking for Suckers”

Traduction : Goofy

Brian Eno expose son point de vue critique sur l’art et les NFT : « Je vois surtout des arnaqueurs qui cherchent des pigeons »

par Josh Jones

Image via Wikimedia Commons

Dans notre monde marqué par les inégalités, on peut avoir l’impression que nous n’avons plus grand-chose en commun, qu’il n’y a pas de « nous », mais seulement « eux » et « nous ». Mais les multiples crises qui nous séparent ont aussi le potentiel d’unir l’espèce. Après tout, une planète qui se réchauffe rapidement et une pandémie mondiale nous menacent tous, même si elles ne nous menacent pas de la même manière.

Les solutions existent-elles dans la création de nouvelles formes de propriété privée, de nouvelles façons de déplacer le capital dans le monde ? Les sous-produits de la marchandisation et du gaspillage capitalistes, à l’échelle de l’extinction, peuvent-ils être atténués par de nouvelles formes ingénieuses de financiarisation ? Tels semblent être les arguments avancés par les zélateurs des crypto-monnaies et de NFT, un acronyme signifiant jetons non fongibles et – si vous ne l’avez pas encore remarqué – qui semble la seule chose dont tout le monde parle aujourd’hui dans le monde de l’art.

Brian Eno a exprimé son opinion sur le sujet de manière assez abrupte dans une interview récente. « Les NFT me semblent juste un moyen pour les artistes d’obtenir une petite part du gâteau du capitalisme mondial », a-t-il dit sur le site The Crypto Syllabus. « Comme c’est mignon : maintenant les artistes peuvent aussi devenir de petits trous du cul de capitalistes ». Il désapprouve évidemment l’utilisation de l’art uniquement pour générer des profits, car si nous avons appris quelque chose de la théorie de la créativité et de l’influence d’Eno au cours des dernières décennies, c’est bien que selon lui le moteur principal de la création artistique est… de générer davantage d’art.

« Si j’avais voulu gagner de l’argent avant tout, j’aurais eu une carrière différente, comme n’importe qui d’autre. Je n’aurais probablement pas choisi d’être un artiste ».

Il est tout à fait inutile d’essayer de cataloguer Eno comme technophobe ou déconnecté, c’est tout le contraire. Mais les produits financiers fictifs qui ont envahi toutes les autres sphères de la vie n’ont pas leur place dans les arts, affirme-t-il.

Lorsqu’on lui demande pourquoi les NFT sont présentés comme un salut pour les artistes et le monde de l’art par les visionnaires des crypto-monnaies, parmi lesquels figurent nombre de ses amis et collaborateurs, Eno répond :

Je peux comprendre pourquoi les personnes qui en ont profité sont satisfaites, et il est assez naturel dans un monde libertarien de croire que quelque chose qui vous profite doit automatiquement être « bon » pour le monde entier. Cette croyance est une version de ce que j’appelle « l’automatisme » : l’idée que si vous laissez les choses tranquilles et que vous laissez une chose ou l’autre – le marché, la nature, la volonté humaine – suivre son cours sans entrave, vous obtiendrez automatiquement un meilleur résultat qu’en intervenant. Les personnes qui ont ce genre de croyances n’ont aucun scrupule à intervenir elles-mêmes, mais veulent simplement une situation où personne d’autre ne peut intervenir. Surtout pas l’État.

Le fait que la vente des NFT n’ait profité qu’à un très petit nombre de personnes – à hauteur de 69 millions de dollars en une seule vente dans une affaire récente très médiatisée – ne semble pas particulièrement gêner ceux qui insistent sur leurs avantages. Les créateurs des NFT ne semblent pas non plus gênés par l’énorme surcharge énergétique que nécessite cette technologie, « un système pyramidal de cauchemar écologique », comme le dépeint Synthtopia – dont Eno dit :

« dans un monde en réchauffement, une nouvelle technologie qui utilise de vastes quantités d’énergie comme « preuve de travail », c’est-à-dire simplement pour établir un certain âge d’exclusivité, est vraiment insensée. »

Eno répond volontiers aux questions sur les raisons pour lesquelles les NFT semblent si séduisantes – ce n’est pas un grand mystère, juste une nouvelle forme d’accumulation, de marchandisation et de gaspillage, une forme en particulier qui n’ajoute rien au monde tout en accélérant l’effondrement du climat. Les NFT sont le « readymade inversé », selon David Joselit : là où « Duchamp utilisait la catégorie de l’art pour libérer la matérialité de la forme marchandisable, les NFT déploient la catégorie de l’art pour extraire la propriété privée d’informations librement disponibles ».

Le discours autour des NFT semble également libérer l’art de la catégorie de l’art, et tout ce que cela a signifié pour l’humanité depuis des millénaires en tant que pratique communautaire, réduisant les productions créatives à des certificats numériques d’authenticité. « J’essaie de garder l’esprit ouvert sur ces questions », concède Eno. « Des personnes que j’apprécie et en qui j’ai confiance sont convaincues que [les NFT] sont la meilleure chose depuis l’invention du pain en tranches, alors j’aimerais avoir une vision plus positive, mais pour l’instant, je vois surtout des arnaqueurs qui cherchent des pigeons. »

Pour aller plus loin

(en français)

(en anglais)

L’auteur de l’article
Josh Jones est un écrivain et musicien de Durham, NC. Son compte twitter est @jdmagness


Si cet article vous a plu et que vous découvrez l’intérêt du site openculture.com, vous pouvez contribuer par une petite donation sur cette page https://www.openculture.com/help-fund-open-culture (via Paypal, Patreon et même cryptomonnaie…)




Les conseils de Ray Bradbury à qui veut écrire – Open Culture (4)

Dans le 4e épisode de notre mini-série de l’été, nous recueillons les conseils d’écriture de Ray Bradbury (oui, celui des Chroniques martiennes et Fahrenheit 451, entre autres) qu’il expose au fil d’une conférence résumée pour vous dans cet article d’openculture.com, un portail très riche en ressources culturelles.
Ah, au fait, profitons-en pour vous rappeler que le Ray’s Day c’est lundi 22 août : en hommage au grand Ray, c’est l’occasion de lire des tas de textes en tous genres et de faire connaître les vôtres et même de les mettre en ligne. Rendez-vous sur le nouveau site du Ray’s Day qui sert de socle à cette initiative.

 

Article original : Ray Bradbury Gives 12 Pieces of Writing Advice to Young Authors (2001)

Traduction : goofy

Ray Bradbury donne 12 conseils d’écriture aux jeunes auteur⋅e⋅s

par Colin Marshall

À l’instar de l’icône du genre Stephen King, Ray Bradbury est parvenu à toucher un public bien plus large que celui auquel il était destiné en offrant des conseils d’écriture à tous ceux qui prennent la plume. Dans ce discours prononcé en 2001 lors du symposium des écrivains organisé par l’université Point Loma Nazarene à By the Sea, Ray Bradbury raconte des anecdotes tirées de sa vie d’écrivain, qui offrent toutes des leçons pour se perfectionner dans l’art d’écrire.

La plupart d’entre elles ont trait aux pratiques quotidiennes qui constituent ce qu’il appelle « l’hygiène de l’écriture ».

 

En regardant cette conférence divertissante et pleine de digressions, vous pourriez en tirer un ensemble de points totalement différents, mais voici, sous forme de liste, comment j’interprète le programme de Bradbury :

  • Ne commencez pas par vouloir écrire des romans. Ils prennent trop de temps. Commencez plutôt votre vie d’écrivain en rédigeant « un sacré paquet de nouvelles », jusqu’à une par semaine. Prenez un an pour le faire ; il affirme qu’il est tout simplement impossible d’écrire 52 mauvaises nouvelles d’affilée. Il a attendu l’âge de 30 ans pour écrire son premier roman, Fahrenheit 451. « Ça valait le coup d’attendre, hein ? »
  • On peut les aimer, mais on ne peut pas les égaler. Gardez cela à l’esprit lorsque vous tenterez inévitablement, consciemment ou inconsciemment, d’imiter vos écrivains préférés, tout comme il a imité H.G. Wells, Jules Verne, Arthur Conan Doyle et L. Frank Baum.
  • Examinez des nouvelles « de qualité ». Il suggère Roald Dahl, Guy de Maupassant, et les moins connus Nigel Kneale et John Collier. Tout ce qui se trouve dans le New-Yorker d’aujourd’hui ne fait pas partie de ses critères, car il trouve que leurs histoires sont « dépourvues de métaphores ».
  • Bourrez-vous le crâne. Pour accumuler les blocs de construction intellectuelle de ces métaphores, il suggère un cours de lecture à l’heure du coucher : une nouvelle, un poème (mais Pope, Shakespeare et Frost, pas les « conneries » modernes) et un essai. Ces essais devraient provenir de divers domaines, dont l’archéologie, la zoologie, la biologie, la philosophie, la politique et la littérature. « Au bout de mille nuits », résume-t-il, « bon Dieu, vous saurez plein de trucs ! ».
  • Débarrassez-vous des amis qui ne croient pas en vous. Se moquent-ils de vos ambitions d’écrivain ? Il suggère de les appeler pour les « virer » sans tarder.
  • Vivez dans la bibliothèque. Ne vivez pas dans vos « maudits ordinateurs ». Il n’est peut-être pas allé à l’université, mais ses habitudes de lecture insatiables lui ont permis d’être « diplômé de la bibliothèque » à 28 ans.
  • Tombez amoureux des films. De préférence des vieux films.
  • Écrivez avec joie. Dans son esprit, « l’écriture n’est pas une affaire sérieuse ». Si une histoire commence à ressembler à du travail, mettez-la au rebut et commencez-en une qui ne l’est pas. « Je veux que vous soyez jaloux de ma joie », dit Bradbury à son public.
  • Ne prévoyez pas de gagner de l’argent. Avec son épouse, qui « a fait vœu de pauvreté pour l’épouser », Ray a atteint l’âge de 37 ans avant de pouvoir s’offrir une voiture (et il n’a toujours pas réussi à passer son permis).
  • Faites une liste de dix choses que vous aimez et de dix choses que vous détestez. Puis écrivez sur les premières, et « tuez » les secondes – également en écrivant à leur sujet. Faites de même avec vos peurs. Tapez tout ce qui vous passe par la tête. Il recommande l' »association de mots » pour lever tout blocage créatif, car « vous ne savez pas ce que vous avez en vous avant de le tester ».
  • N’oubliez pas qu’avec l’écriture, ce que vous recherchez, c’est une seule personne qui vienne vous dire : « Je vous aime pour ce que vous faites. » Ou, à défaut, vous cherchez quelqu’un qui vienne vous dire : « Vous n’êtes pas aussi fou que tout le monde le dit ».

Autres ressources

Ray Bradbury: Literature is the Safety Valve of Civilization

The Shape of A Story: Writing Tips from Kurt Vonnegut

John Steinbeck’s Six Tips for the Aspiring Writer and His Nobel Prize Speech

L’auteur de l’article

Colin Marshall produit Notebook on Cities and Culture. Pour le suivre sur Twitter : @colinmarshall.


Si cet article vous a plu et que vous découvrez l’intérêt du site openculture.com, vous pouvez contribuer par une petite donation sur cette page https://www.openculture.com/help-fund-open-culture (via Paypal, Patreon et même cryptomonnaie…)