Bertrand Delanoë et Bill Gates : « Comme un accord de paix »

Petit reportage vidéo du Parisien lors de la signature mardi 29 janvier du « partenariat numérique » entre Microsot et la ville de Paris.

Bill Gates à l'hôtel de ville de Paris - Le Parisien
Bill Gates à l’hôtel de ville de Paris – Le Parisien

Du moment que Fluctuat nec mergitur[1]

Notes

[1] Fluctuat nec mergitur est la devise de Paris que l’on peut traduire par « Il vogue sans jamais être submergé ».




Mon ministère me désespère… ou le fabuleux non destin du logiciel libre à l’école française

Not a happy end - Miikas - CC BySa

Un billet d’humeur péremptoire et de parti-pris qui n’engage que moi… [1]

Il était une fois un professeur qui décida d’écrire une lettre à son Ministre de l’Éducation.

En voici la conclusion : « La thèse défendue ici revient à dire à peu près ceci : en utilisant les logiciels libres, non seulement on effectue des économies spectaculaires pour le matériel, non seulement on se libère des logiques que tentent d’imposer les grandes multinationales de l’informatique, mais, en plus, on se met en relation avec l’un des foyers les plus vivants de la société qui est en train de se créer, celle de l’intelligence distribuée. Cette intelligence distribuée a déjà donné quelques résultats spectaculaires. La recherche scientifique en est l’exemple historique le plus éclatant, mais, plus près de nous, Internet, Linux, la Toile témoignent aussi de la validité du concept. Cette intelligence distribuée, en fait, ne fait que commencer à faire sentir ses effets et ils vont être majeurs. De grandes surprises attendent les instances politiques et commerciales qui ne vont pas bien en saisir les enjeux. Le maillage massif, sur des modes originaux, de centaines et de milliers d’esprits va conduire à de nouvelles formes de territoires, d’identités et donc de réalisations. Le schéma offert ci-dessus, tout en permettant de fonctionner mieux que jamais dans la société d’aujourd’hui, prépare déjà la société de demain. Or, ceci correspond exactement à l’enjeu fondamental d’une vraie politique de l’éducation. »

Ce professeur c’est Jean-Claude Guédon[2] et ce « il était une fois » est de rigueur puisque son document fut rédigé en… octobre 1998. Dix ans déjà ! Autant dire une éternité à l’échelle des temps numériques…

Certes Jean-Claude Guédon s’adressait à son propre ministre québécois et non à son homologue français. Certes il y a dix ans le logiciel libre était loin de sa maturité actuelle (et Wikipédia n’existait pas !). Il n’empêche que les arguments avancés étaient pourtant simples à comprendre. Il n’empêche que « gouverner c’est prévoir » et qu’au Ministère de l’Education nationale française, c’est bien simple, on n’a, durant cette longue période, strictement rien prévu d’envergure en faveur du logiciel libre.

Nous aurions dû montrer l’exemple et être en tête du mouvement. C’est à peine si on arrive à le suivre lamentablement.

Oh, bien sûr il s’en est passé des choses en dix ans et heureusement ! Il faut dire que l’Éducation Nationale dépasse le million de fonctionnaires qui jouissent tout de même d’une certaine liberté. De très nombreux professeurs ont adopté des logiciels libres. De très nombreux projets libres éducatifs ont vu le jour, il est vrai souvent soutenus localement par des académies (heureusement que le système est un tant soit peu décentralisé soit dit en passant). Mais tout ceci ne s’est fait au départ qu’à la base et à la marge.

Par nature et par culture, je me méfie des décrets et autres directives autoritaires venus d’en haut. Mais on aurait pu et on aurait dû être bien plus courageux et volontariste à la rue de Grenelle vis-à-vis du logiciel libre. On aurait dû encourager et accompagner avec force et conviction l’utilisation massive du logiciel libre à l’école. On aurait dû organiser des plans de migration du propriétaire vers le libre. On aurait dû soutenir réellement tous ces projets libres dont certains s’épuisent ou sont carrément morts de n’avoir pu trouver le temps et l’argent pour se développer.

Comment se fait-il qu’au sein des différents cabinets des ministres qui se sont succédés on n’ait pas remué ne serait-ce que le petit doigt vis-à-vis du logiciel libre ? Il n’y a que deux hypothèses en guise de réponse. Soit ils n’étaient pas au courant. Soit ils étaient au courant mais ont jugé que (tout faire pour) favoriser l’usage du logiciel libre à l’école n’était pas le bon choix. Soit irresponsables soit coupables en quelque sorte…

Alors voilà. Aujourd’hui on nous annonce que la Gendarmerie Nationale, après avoir fait le choix radical et unilatéral d’OpenOffice.org pour sa suite bureautique, se prépare à migrer tous ces postes clients vers GNU/Linux Ubuntu. De plus en plus de pays déploient ouvertement du Linux dans leurs écoles (le dernier en date : les Philippines). De plus en plus de pays affirment sans ambiguité que le nouveau système d’exploitation Windows Vista n’est pas bon pour l’école et qu’il convient d’utiliser des formats ouverts (le dernier en date : l’Angleterre).

Et chez nous ?

Rien.

Ah si, j’oubliais. Monsieur Darcos vient d’installer la mission « E-educ » sur les technologies de l’information et de la communication pour l’Enseignement. Extrait du communiqué de presse : « Le ministre va confier à Jean Mounet, président de SYNTEC informatique, une réflexion globale et ambitieuse visant au développement des technologies de l’information et de la communication pour l’Enseignement (TICE) au sein du monde éducatif. Cette mission, d’une durée de trois mois, rassemblera des représentants de l’Éducation nationale et des professionnels du secteur informatique. Les propositions feront l’objet d’un rapport qui sera remis à Xavier Darcos courant avril aux fins d’envisager de nouvelles actions dès la rentrée 2008. »

Pensez-vous que, comme le récent rapport Attali, le logiciel libre soit cité dans la lettre de mission ? Pensez-vous que le logiciel libre soit représenté au sein de la commission ?[3] Par contre, tiens, tiens, on y trouve non pas un, non pas deux, mais trois membres de la société Microsoft !

Il y a des jours comme cela où l’on se demande vraiment si créer Framasoft et y dépenser tant d’énergie valait vraiment le coup…

GHCA Computer lab running Gentoo Linux - Extra Ketchup - CC BySa

Notes

[1] Illustrations : Not a happy end de MiikaS et GHCA’s Computer Lab Running Gentoo Linux d’Extra Ketchup sous licence Creative Commons By-Sa.

[2] Fichtre, pas de lien Wikipédia vers Jean-Claude Guédon, il va falloir y remédier !

[3] On nous invite tout de même à nous exprimer sur un forum dédié. Si le cœur vous en dit…




Tapis rouge pour Microsoft à Paris

On pourra le justifier avec un flot de belles paroles mais pourquoi le Louvre à Abou Dhabi si ce n’est avant tout pour une question de gros sous.

C’est un peu la même chose me semble-t-il qui se profile avec le partenariat numérique qui sera annoncé mardi 29 janvier entre la ville de Paris et Microsoft. Nous n’en connaissons pas encore avec précision les tenants et les aboutissants si ce n’est que Bill Gates en personne se déplacera pour l’occasion.

Et voici donc le libre qui recule a priori de deux cases dans la Capitale au moment même où s’ouvre Solutions Linux 2008 (Framasoft y sera soit dit en passant).

Pour illustrer[1] mon propos il a été décidé de reproduire ici (à sa demande mais bien volontiers) un tout récent article de Jean-Christophe Frachet[2] dont nous partageons les inquiétudes et le désappointement.

Velib et plantage Microsoft - boklm - CC BY-SA

Syndrome de Stockholm ou syndrome de Redmond, Bertrand Delanoé jetterait-il Paris dans la gueule du loup ?

Jean-Christophe Frachet

Le syndrome de Stockholm peut se caractériser le développement d’un sentiment de confiance, voire de sympathie des otages vis-à-vis de leurs ravisseurs et par le développement d’un sentiment positif des ravisseurs à l’égard de leurs otages.

Il semble bien que tous les éléments soient réunis pour que les utilisateurs de windows changent encore d’ordinateur pour pouvoir installer la dernière version « Vista », pour acheter Microsoft Office au lieu de télécharger librement Open Office et passer du temps à réinstaller leurs programmes qui plantent régulièrement en ayant l’impression de faire de l’informatique. Et bien sûr, tout en payant plusieurs centaines d’Euros pour racheter ce qu’ils ont déjà payé, combien de version de Windows et de pack office ont-ils déjà acheté ?

L’habitude, le temps passé à comprendre la complexité (inutile ?) de ces logiciels et la non connaissance d’autres environnement informatiques rassurent l’utilisateur qui pense ne pas pouvoir éviter l’éditeur de Redmond, celui-ci étant devenu hégémonique.

Le 29 janvier 2008, Bertrand Delanoë et Bill Gates signent un partenariat numérique pour Paris. Ce serait pour former les demandeurs d’emplois aux métiers de l’informatique, mais c’est les obliger s’acquitter de la dîme pour travailler. Ce serait aussi pour apporter un soutien aux entreprises développant des solutions logicielles en faveur de la protection de l’environnement, mais n’est-ce pas aberrant d’être obligé de changer d’ordinateur parce que Windows est de plus en plus gourmand en ressources informatique ? c’est une des cause de la pollution informatique et de la consommation électrique grandissante. Ce serait aussi pour l’administration électronique ? mais c’est une nouvelle privatisation du service public alors qu’il existe des solutions libres. Quand à un “espace sportif numérique”, cela se saurait si la manipulation de la souris était bonne pour la santé.

Quelle mouche a donc piqué Bertrand Delanoé ? Alors que Paris pourrait être le fer de lance français et international d’une autre société de l’information, basée sur le partage, l’échange et la mutualisation, le Maire de Paris livre les Parisiens aux griffes du plus grand éditeur mondial américain.

Les systèmes d’informations, les logiciels et l’informatique ne sont pas des marchandises comme les autres. Il s’agit de manager la connaissance, de gérer des informations nous concernant tous et de moderniser les services publics. Il s’agit d’éducation, d’information et d’accès à la culture. Les systèmes d’information ont complètement envahi notre quotidien, internet, réseaux, télévision, téléphone,… Ces systèmes gèrent l’ensemble de nos activités, privée, publiques et professionnelles.

Toute décision dans ce secteur est politique avec des implications dans le court mais aussi dans le moyen et long terme.

Cette décision de contractualiser avec Microsoft est importante et c’est un signe vers les autres collectivités et les capitales du monde entier. Elle a été prise sans aucune concertation avec les élus, les associations et les citoyens. C’est la négation de la Politique avec un grand « P » au profit des lobbies.

Soit, le Maire de Paris ne mesure pas ce que cela signifie pour le bien commun dans la société de l’information, l’intérêt des Parisiens et pour la rationalisation de l’argent public,

Ou alors il le sait, et il vend Paris, certes avec une bonne remise, à l’éditeur de logiciel américain en le recevant comme un chef d’état comme l’avait fait J. Chirac, pour un bénéfice financier à très court terme,

Ou bien il s’en fiche et fait un simple coup de communication, ce qui serait bien décevant pour celui qui brigue un second mandat dans une des plus belles villes du Monde.

Faire de la politique, ce n’est pas une liste de courses avec un savant saupoudrage de mesures afin de satisfaire un peu tout le monde. Il s’agit d’avoir une réelle direction idéologique, d’avoir des valeurs et d’agir en cohérence avec celles-ci.

Cette décision est antinomique avec l’intérêt des Parisiens et du service public.

Berceau de la Révolution Française et du siècle des lumières, après avoir enfanté la déclaration de l’homme et du citoyen, c’est indigne de la capitale de la France de faire acte d’allégeance à un multimilliardaire américain, fût-il le fondateur d’une entreprise qui a racketté les utilisateurs d’ordinateurs pendant 25 ans jusqu’à devenir le plus riche du monde.

Notes

[1] La photographie d’illustration est signée Boklm sous licence Creative Commons By-Sa. Elle montre une borne Vélib’ gérée par Microsoft en proie à un magnifique BSOD (Blue Screen Of Death, ou écran bleu de la mort caractéristique des plantages Windows). Pff, quand on pense que dans Vélib‘ il y a le mot liberté

[2] Jean-Christophe Frachet est Délégué National du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC) aux enjeux et prospectives des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication et Conseiller du 2è arrondissement de Paris Délégué aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication et au développement économique.




Le logiciel libre est l’arme secrète de Google contre Microsoft

Google Search : Linux

« Quelle est la plus grande menace pour Microsoft : Google ou le logiciel libre ? Les deux mon capitaine, qui plus est lorsqu’ils travaillent main dans la main. » C’est peu ou prou ainsi que débute cette nouvelle traduction[1] issue, une fois n’est pas coutume, du RedmondMag.com (dont on peut saluer la liberté de ton).

Parce que si il est vrai que le logiciel libre fait de plus en plus vaciller le géant c’est peut-être son alliance avec Google qui portera le coup de grâce…

On comprendra au passage pourquoi Google ne serait pas Google sans le logiciel libre et pourquoi le logiciel libre est actuellement tant est si bien soutenu par Google qu’il lui est difficile de le critiquer objectivement.

Screenshot - RedmondMag.Com

L’arme secrète de Google

Google’s Secret Weapon

Glyn Moody – Janvier 2008 – RedmondMag.com

Tout en minimisant sa compétition directe avec Microsoft, le géant de la recherche continue à travailler en silence sur des projets open source pour mettre des bâtons dans les roues de son grand rival.

Quelle est la plus grande menace pour la domination de Microsoft : la firme Google ou l’open source ? La réponse est : les deux, particulièrement lorsqu’ils travaillent main dans la main.

"L’open source est l’outil suprême du capitalisme logiciel" affirme Matt Asay, vice président du développement commercial chez Alfresco Software Inc., une société spécialisée dans la gestion de contenu d’entreprises 1 open source. "Il permet aux fournisseurs de s’adapter finement à leurs clients et à leurs prospects tout en ruinant les efforts de leurs concurrents qui veulent faire payer les licences de leurs propres produits. C’est la tactique qu’a employée Google avec succès et qui a chamboulé le marché des logiciels au tournant du siècle."

Le géant de la recherche prend toujours soin d’apaiser la spéculation faite sur la menace pesante d’une guerre des titans. Lorsque Google a ajouté une application de présentation à sa suite bureautique en ligne, par exemple, le PDG Eric Schmidt a déclaré catégoriquement que ce n’était pas un concurrent de Microsoft Office.

D’autres, comme Raven Zachary, directeur de la recherche open source chez The 451 Group[2], expriment un avis différent. "Il est vital pour Google d’ébranler la domination de Microsoft Office pour promouvoir son offre de suite bureautique en ligne" dit-il. "C’est de la concurrence, point."

Google peut essayer de minimiser cette compétition autant qu’ils veulent en public, en coulisse ils savent très bien que Microsoft a dépensé 6 milliards de dollars pour faire l’acquisition de la société de publicité numérique aQuantive Inc. pour lancer une offensive musclée contre Google sur son propre terrain. Le passé montre que Microsoft ne s’arrête pas tant qu’il ne domine pas le secteur dans lequel il se lance, on peut donc difficilement dire qu’une cohabitation pacifique soit envisageable.

Face à ce problème complexe, la fourmilière de doctorants de chez Google a trouvé la solution parfaite : avoir un outil pour combattre Microsoft sans vraiment en avoir l’air. L’open source se trouve au coeur de leur stratégie.

Ouvert pour affaire

La plupart des gens savent que les vastes cheptels de serveurs de Google, on parle de centaine de milliers de machines, tournent sur des versions personnalisées de GNU/Linux. Moins nombreux sont ceux qui savent également qu’ils font un usage intensif de la principale base de données open source : MySQL.

(Google est) l’exemple d’une entreprise qui n’aurait concrètement pas pu exister telle qu’on la connait avant le développement de Linux ou de l’open source" d’après Jim Zemlin, directeur exécutif de la Linux Foundation, l’organisme qui rétribue Linus Torvalds pour son travail sur le noyau Linux. "S’ils avaient dû s’appuyer sur Microsoft ou Sun non seulement cela aurait été trop cher, mais surtout ils n’auraient pas pu réaliser les modifications nécessaires à la création de leurs services."

Ce dernier point est confirmé par le manager des programmes open source chez Google, Chris DiBona, qui a rejoint la compagnie en août 2004 pour superviser et coordonner les activités open source : "Ce qu’il y a de bien avec l’open source c’est que c’est un peu comme s’il était à vous. Dites vous bien que Google fournit un effort de développement de logiciel énorme, si nous devions nous plier aux restrictions que le code propriétaire nous impose nous ne serions pas capable de développer à ce rythme soutenu."

Google contribue à l’écosystème open source en employant certains de ses meilleurs codeurs.

"Nous les employons parce que les avoir dans nos équipes permet à nos projets d’avancer, ce qui est bon pour nous" ajoute DiBona, "et l’utilisation que nous faisons des projets trace parfois la voie qu’ils peuvent emprunter." Parmi les recrues on trouve de gros poissons comme Andrew Morton, numéro 2 dans le monde Linux, Greg Stein, l’un des directeurs de l’Apache Software Foundation et Jeremy Allison, l’un des leaders du projet Samba qui fournit les services de fichiers et d’impression open source aux clients SMB/CIFS dont Windows fait parti.

Un autre vétéran de l’open source ayant rejoint le vivier de Google est Ben Goodger, ingénieur en chef de Firefox. Les liens entre Google et ce concurrent de plus en plus sérieux d’Internet Explorer sont bien plus profond cependant. Google est le principal moteur de recherche de Firefox, à la fois dans le champ de recherche dédié et sur la page d’accueil par défaut au premier lancement de Firefox.

En octobre 2007 on a appris que l’organisation derrière Firefox, c’est-à-dire la Mozilla Foundation, a empoché 66 millions de dollars en 2006 grâce à ces partenariats avec les moteurs de recherche, ce qui représente une augmentation de 50 millions de dollars par rapport à l’année précédente. Cela signifie que Google, qui est de loin celui qui paie le plus pour ces requêtes, finance concrètement le développement de Firefox et de Thunderbird, le concurrent de Microsoft Outlook développé par Mozilla, et de ce fait affaiblit doucement l’hégémonie de Microsoft sur le marché des navigateurs et des clients de messagerie.

Google a aussi commencé à organiser des rencontres de haut-niveau où des personnes clés du logiciel libre travaillant sur un projet peuvent se réunir et se rencontrer en face à face, ce qui reste quelque chose qui ne se produit que rarement autrement. Par exemple en novembre 2006 des programmeurs importants travaillant sur la distribution Ubuntu (celle qu’installe Dell Inc. sur ces PC grand public tournant sous GNU/Linux) se sont réunis sur le campus de Google, le Collaboration Summit de la Linux Foundation s’y est tenu en juin 2007 et en septembre 2007 les développeurs responsables de Python se sont rencontrés pour travailler sur la version 3 du langage. Python est l’un des trois langages de programmation utilisé intensivement par Google (les deux autres étant Java et C++) et son créateur, Guido van Rossum, travaille également pour Google.

Un amour de vacances

Mais ce ne sont pas que les superstars de l’open source qui bénéficient de l’attention et des bien-faits de Google. En 2005, le géant de la recherche a démarré son programme "Summer of Code" grâce auquel des étudiants en informatique reçoivent un financement de Google pour travailler sur un projet open source pendant leurs vacances d’été. Ce programme donne un coup de pouce à ces projets et augmente leur viabilité en injectant du sang neuf.

Comme le dit Sebastian Kügler du projet d’environnement de bureau KDE (en cours de portage sur Windows) : "C’est la vraie idée derrière Summer of Code : inoculer aux étudiants le virus du logiciel libre, leur donner la chance de grandir dans une communauté comme la nôtre."

Comme l’explique DiBona il y a un autre avantage plus subtil. Grâce au Summer of Code, "Google connait désormais tous les gens travaillant sur les projets dont Google dépend" dit-il. "Ca nous est vraiment utile. Lorsque nous sortons une nouvelle API nous savons qu’il y aura des projets dans le monde open source soit pour l’utiliser soit pour en être client. On peut simplement les appeler et dire "Salut les gars, c’est Google, on est votre ami" et les laisser jeter un coup d’oeil.

Google soutient également les logiciels libres en mettant à disposition son code sous des licences open source (généralement la licence Apache comme c’est le cas par exemple pour la nouvelle plateforme mobile Android). Leur plus grosse contribution jusqu’à maintenant est peut-être Google Gears. "Gears est une extension open source pour votre navigateur qui permet aux développeurs de créer des applications Web qui peuvent fonctionner hors-ligne" explique DiBona. "On aurait pu se contenter de sortir l’extension pour nos applications, mais grâce à l’open source d’autres personnes peuvent l’employer sans crainte, ils savent que personne n’abandonnera cette technologie parce qu’ils la possèdent aussi."

La sortie de Gears dans un format open source encourage une adoption plus large dans la communauté des logiciels libres et au-delà. Si Gears trouve son public et que les utilisateurs ont la possibilité d’utiliser des applications Web hors ligne grâce à leur navigateur, alors le système d’exploitation sous-jacent devient moins important et la main mise de Microsoft sur l’environnement de bureau est affaiblie.

Se battre sur deux fronts

Le résultat de toutes ces initiatives discrètes et distinctes entreprisent par Google pour soutenir l’open source est que Microsoft ne se retrouve pas devant un seul concurrent sérieux mais devant deux qui fonctionnent en collaboration étroite.

"Je pense que cela met le pression sur Microsoft, ils s’y attendaient certes, mais pas aussi rapidement et pas aussi violemment" dit Eric Raymond, auteur d’une analyse des logiciels libres qui fait école "La Cathédrale et le Bazar".

"Ils se disaient sûrement qu’ils avaient le temps pour se préparer avant que Linux n’amène son environnement à maturité, un processus qui ne pouvait qu’être long et douloureux." dit-il. "Et bien ils n’ont pas eu ce luxe, leur main-mise est maintenant attaquée de deux côtés et Google restera une menace suffisamment sérieuse même si l’environnement Linux devait se planter."

De plus, les choses risquent de se corser encore plus à mesure que d’autres entreprises réalisent qu’une manière d’affaiblir Microsoft est de renforcer l’open source. C’est l’un des principaux axes de la stratégie d’IBM depuis presque une décennie, depuis qu’ils ont abandonné leur propre serveur Web et adopté le logiciel libre Apache en 1998.

Depuis ils ont adapté GNU/Linux pour tout leur hardware et fait don de plus de 40 millions de dollars de leur code pour lancer le projet Eclispe pour concurrencer Visual Studio de Microsoft. Plus récemment, l’autre grand rival de Microsoft sur la toile, Yahoo! Inc. s’est joint au club des défenseurs de l’open source en ouvrant les API de ses services, en lançant les Open Hack Days aux Etats-Unis, au Royaume Uni et en Inde et en rachetant Zimbra Inc. qui développe des outils open source de messagerie et de collaboration pour la somme annoncée de 350 millions de dollars.

A l’instar de Google, Yahoo a également engagé certains de ses programmeurs open source les plus importants, comme l’expert de MySQL Jeremy Zawodny et Doug Cutting, l’un des chefs de file dans le domaine des technologies des moteurs de recherche. Cutting travaillera à plein temps sur son système open source Hadoop qu’il décrit sur son blog comme étant "un système de fichiers inspiré de celui de Google et un système de calcul distribué inspiré de celui de MapReduce, là encore de Google."

Tout comme Google a réussi son coup en redirigeant la puissance de l’open source contre Microsoft, Yahoo espère réussir la même chose avec Hadoop. Et évidemment la salve tirée par Yahoo offre en bonus la possibilité de prendre Google pour cible.

Notes

[1] Traduction Olivier et GaeliX pour une relecture Daria from Framalang.

[2] NdT: The 451 Group est un laboratoire d’analyse indépendant spécialisé dans les technologies de l’industrie, en particulier ce qui concerne l’innovation informatique.




L’iPhone n’est pas encore sous GPLv3, étonnant non ?

Il fallait être particulièremenr rétif aux nouvelles technologies, genre mon père, pour ne pas avoir été au courant vendredi dernier de la sortie simultanée de l’iPhone (hou, hou, hou) et de la version 3 de la licence GNU GPL (clap, clap, clap).

L’occasion de traduire[1] à la volée[2] le corps de l’intéressant communiqué de la FSF qui concatène judicieusement les deux événements[3].

iPhone - DRM - DefectiveByDesign.org

L’iPhone enferme les utilisateurs, la GPLv3 les libère.

iPhone restricts users, GPLv3 frees them

BOSTON, Massachusetts, USA-Jeudi 28 Juin 2007

Vendredi, 29 juin, tout le monde aux Etats-Unis n’attendra pas dans les files d’attente pour acheter un iPhone à 500$. En fait, des centaines de milliers d’aficionados du numérique autour du globe ne seront pas du tout dans les files, car le 29 juin marque la sortie de la version 3 de la GNU General Public License (GPL). La version 2 de la GPL gouverne la plus grande part des logiciels libres qui est en train de remodeler radicalement l’industrie et de menacer le modèle technologique propriétaire représenté par l’iPhone.

L’auteur de la GPL est le Professeur Richard M. Stallman, président et fondateur de la Fondation pour le Logiciel Libre (Free Software Foundation ou FSF), et créateur du projet GNU. Avec sa première révision de la licence en seize ans, la version 3 de la GPL s’attaque aux plus récentes tentatives pour ôter la liberté du logiciel libre – et notablement, la version 3 attaque la "Tivoization" – et ceci pourrait être un problème pour Apple et son iPhone.

Maintenant, de la Chine à l’Inde, du Venezuela au Brésil, des Tivos aux téléphones cellulaires : le logiciel libre est partout, et il est en train de bâtir lentement un mouvement mondial d’utilisateurs demandant à avoir le contrôle sur leurs ordinateurs et les équipements électroniques qu’ils possèdent.

Tivoization et l’iPhone ?

La "Tivoization" est un terme forgé par la FSF pour décrire des équipements qui sont construits avec du logiciel libre, mais qui utilisent des mesures techniques qui empêchent l’utilisateur de faire des modifications au logiciel – une liberté fondamentale des utilisateurs du logiciel libre – et une attaque sur le logiciel libre que la GPLv3 pourra arrêter.

L’iPhone laisse les gens perplexes : contient-il du logiciel sous licence GPL ? Quel impact la GPLv3 aura sur les perspectives à long terme pour des équipements comme l’iPhone qui sont construits pour frustrer leurs propriétaires ?

Peter Brown, directeur exécutif de la FSF a dit, "Demain, Steve Jobs et Apple sortent un produit criblé de logiciel propriétaire et de restrictions numériques : criblé / invalide, parce qu’un équipement qui n’est pas sous le contrôle de son propriétaire, fonctionne contre les intérêts de son propriétaire. Nous savons qu’ Apple a bâti son système d’exploitation, OS X, et son navigateur internet Safari, en utilisant des travaux couverts par la GPL – il serait intéressant de voir dans quelle mesure l’iPhone utilise du logiciel sous GPL.

La version 3 de la GNU GPL sera publiée à 12:00 pm (EDT) – six heures avant la sortie de l’iPhone – mettant un terme à dix-huit mois de discussions et de commentaires publics, en révision de la plus populaire des licences du logiciel libre.

Notes

[1] Pour la traduction Framalang (alias ici Vincent et Daria) a encore frappé.

[2] Traduction non officielle.

[3] L’illustration est issue du site DefectiveByDesign.org.




Une belle histoire comme on les aime chez Framasoft

Voici le récit du passage sous licence libre d’une police cursive éducative que ne renierait pas mes amis de Veni Vidi Libri. Il nous est narré par mon collègue et néanmoins ami Julien Noël qui annonce dans son introduction que c’est le type d’histoire comme on les aime chez Framasoft. Et… il a parfaitement raison 😉

Il cite au passage l’une des grandes réussites francophones du monde du libre à l’école, à savoir Gcompris dont il se murmure qu’il pourrait même être intégré dans les futures versions de l’OLPC.

Cela va sans dire mais cela va mieux en le disant : n’oubliez pas de remercier son auteur si vous l’utilisez parce que ce n’est pas autrement que nous perpétuerons ce bon esprit qui nous anime et qui réussit, comme ici, à convaincre de plus en plus de monde de nous rejoindre.

L’image est un exemple d’utilisation de cette jolie police avec les premiers vers de Liberté célèbre poème de Paul Eluard.

Exemple police cursive Écolier court

Libérez la police !

Julien Noël – Juin 2007

Voici une belle histoire comme on les aime chez Framasoft.

J’ai tout compris

Il était une fois un jeune papa qui initia son fiston, de trois ans à peine, à l’ordinateur. Évidemment, pas question d’apprendre le B-A-BA de l’informatique sur du logiciel propriétaire. Dans la famille, on est libre de père en fils depuis 30 générations[1]. Le futur fils prodige est donc placé devant une machine sous Linux et découvre le maniement du clavier, de la souris, etc. via le formidable logiciel Gcompris.

En cinq jours à peine (si si), l’enfant est capable de reconnaître toutes les lettres et tous les chiffres. Et tout cela, en s’amusant – alors même que le père, féru d’informatique libre et passant de nombreuses heures quotidiennement devant son PC, était très dubitatif quant à l’apprentissage assisté par ordinateur.

Un an plus tard, l’enfant a grandi et il est temps de passer à l’étape supérieure. Au primaire, on apprend d’abord à identifier et à écrire les majuscules (ou les capitales – je n’ai jamais compris la différence). Il s’agit donc maintenant, à partir de polices cursives, d’identifier les lettres calligraphiées… Mais si, vous savez, celles que l’on écrit avec la main (vous savez bien, la main, ce truc qui permet de taper au clavier : eh bien, initialement, au moyen âge, il permettait d’écrire… Si, si !).

L’heureux papa contacte donc le développeur principal de Gcompris[2] et lui demande s’il est possible d’intégrer une police cursive.

La réponse tombe comme un couperet : pas de police cursive dans Gcompris parce que pas de police cursive libre tout court.

Recherche police désespérément

Le papa, têtu comme un Bill Gates décidé à trucider Linus Torvalds, se met donc à la recherche de la perle rare. Il google, google, google et finit par tomber sur ça : http://perso.orange.fr/jm.douteau/index.htm (évidemment, à l’époque, ce n’était pas libre).

Il joint le créateur de ces polices[3] et tente de le convaincre de les passer sous licence libre. Jean-Marie Douteau aime comprendre ce qu’il fait et pourquoi il le fait. S’ensuivent alors de nombreux échanges “épistomail” afin de mieux percevoir les principes et les enjeux du logiciel libre, pourquoi une police gratuite est inutilisable dans Gcompris, pourquoi la GPL et la LGPL… Bref, tout ce qui fait ce joli monde qui nous est si familier mais si obscur lorsque l’on ne baigne pas dedans.

Après un court passage sous licence creative common, le créateur des polices " Écolier court” et “Écolier lignes court” décide de les passer sous licence OFL, orienté dans ce choix par Sophie Gautier, la responsable OpenOffice.org France. Cette décision permettra d’intégrer les deux polices dans Gcompris ET dans OOo[4].

Vive la police libre !

Jean-Marie Douteau se demande maintenant ce que vont devenir ses bébés : il s’impatiente de les voir grandir et attend vos questions, vos remarques, vos encouragements, vos suggestions et vos contributions (par exemple pour ajouter des caractères qui n’y sont pas).

Notes

[1] au moins

[2] Bruno Coudoin

[3] Jean-Marie Douteau

[4] et évidemment dans tout logiciel compatible avec cette licence




Ouvrons le débat de l’informatique à l’école

Reproduction de Informatique et TIC : une vraie discipline ?, un récent article de Jean-Pierre Archambault[1], que nous connaissions depuis longtemps comme héraut du libre éducatif, mais qui élargit ici la problématique au présent et à l’avenir de l’informatique et des TIC à l’école, et ce faisant pose finalement la question de la place des technologies de l’information et de la communication dans notre actuelle et future société.

L’occasion pour moi de citer en rappel deux initiatives liées à la récente campagne présidentielle française 2007, l’une de l’ADULLACT et l’autre de l’APRIL (avec son initiative Candidats.fr).

Extrait de la Lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 (ADULLACT)

C’est la jeunesse qui fera le monde de demain. Il est très urgent d’enseigner très tôt la maîtrise et non pas seulement l‘utilisation de l’informatique, les techniques et non pas les modes opératoires. Il faut promouvoir l’informatique comme discipline à part entière dans l’enseignement secondaire, et y encourager l’esprit et les outils de production et de partage, pour le savoir et les richesses. Il faut former les acteurs et non de simples consommateurs de la société de l’information. Pourquoi dans notre pays collégiens et lycéens ne peuvent-il s’initier à la programmation ou au travail collaboratif ?

Extrait du Questionnaire de Candidats.fr (APRIL)

Êtes-vous favorable à ce que l’informatique soit une composante à part entière de la culture générale scolaire de tous les élèves sous la forme notamment d’un enseignement d’une discipline scientifique et technique au lycée ?

Êtes-vous favorable à ce que les élèves soient formés non pas à une gamme de produits (e.g. la suite Microsoft Office) mais à des catégories d’outils (e.g. traitement de texte, tableur, logiciels de présentation…) ?

Avec des réponses contrastées (ADULLACT et APRIL) en particulier de celui qui est devenu dans l’intervalle le président de la République française (réponses PDF de Nicolas Sarkozy à l’ADULLACT et à l’APRIL).

Il est effectivement temps de faire bouger les lignes et ne pas se satisfaire de la situation actuelle qui ressemble parfois à de l’inertie pendant que le monde avance.

Heureusement que, dans un contexte proche de l’urgence, nous pouvons compter sur l’expérience (et l’expertise) de la communauté du libre qui, je crois, lui donne une perception fine des enjeux. Encore faut-il qu’elle soit écoutée en haut lieu…

Vous trouverez une version PDF de l’article en fin de page.[2]

Student in Class - foundphotoslj - CC-BY

Informatique et TIC : une vraie discipline ?

Jean-Pierre Archambault – Medialog 62 Juin 2007

Avec l’introduction de la maîtrise des TIC dans le socle commun de connaissances et de compétences et la généralisation du B2i, un consensus existe pour affirmer qu’il faut préparer les futurs citoyens de la société de la connaissance à devenir des utilisateurs « intelligents » et non « presse-boutons » des technologies. Mais il n’existe pas de consensus sur la façon de s’y prendre. Certains militent pour la création d’une discipline scolaire « Informatique et TIC ».

Tout le monde a en mémoire les débats qui ont accompagné en 2006 la transposition de la directive européenne sur les droits d’auteurs et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) [3]. Ils concernaient notamment l’exercice du droit à la copie privée, la possibilité d’écouter sur plusieurs appareils un morceau de musique acquis en bonne et due forme… c’est-àdire la vie quotidienne de millions de gens. Ils portaient également sur l’interopérabilité, les DRM (Digital Rights Management) ou mesures techniques de protection, les logiciels de peer to peer, le code source des programmes (il fut abondamment question des logiciels libres), le droit un peu abscons des bases de données… Il est difficile au simple citoyen de maîtriser la complexité de ces notions techniques et juridiques et donc de mesurer l’impact de la loi. Par exemple, dans l’article 13 de la loi finalement adoptée, on peut lire : « Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu’une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la protection ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection… Un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens du présent article… Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en oeuvre effective de l’interopérabilité, dans le respect du droit d’auteur… » [4]

Une nouvelle forme d’illettrisme

Or, nul n’est censé ignorer la loi ! Mieux, chacun doit être en mesure de contribuer à sa manière à son élaboration et, pour cela, de comprendre ce dont il s’agit et de bien mesurer les enjeux et les conséquences des textes adoptés par le Parlement. Quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent qu’il en soit ainsi ? Ces questions valent également pour la vie de tous les jours, quand il faut décrypter l’offre d’un fournisseur d’accès à Internet, avoir une idée de l’origine et de la responsabilité d’un dysfonctionnement (savoir par exemple pour quelles raisons une page web peut se faire attendre). Nous sommes de plain-pied dans la problématique de la culture générale informatique qui doit être dispensée par l’École. Comment procéder pour former tous les élèves à la société de l’immatériel ? Car, comme le soulignent Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet, dans l’économie de l’immatériel « l’incapacité à maîtriser les TIC constituera (…) une nouvelle forme d’illettrisme aussi dommageable que le fait de ne pas savoir lire et écrire » [5]. Et comment, dans le même temps, dispenser un enseignement qui prépare au mieux la formation ultérieure des spécialistes de haut niveau dont le pays a besoin ? Car, comme le relevait un article du Monde du 18 octobre 2006 sur les métiers de l’informatique, « la profession, où l’âge moyen est de 35 ans, commence à connaître une forte tension sur les recrutements des meilleurs profils : chefs de projet, ingénieurs spécialisés dans les nouvelles technologies, commerciaux, consultants spécialisés… ».

La question n’est pas nouvelle. Depuis une trentaine d’années, pour l’essentiel, deux approches se succèdent, coexistent, suscitent de vifs et intéressants débats. Pour l’une, les apprentissages doivent se faire à travers les usages de l’outil informatique dans les différentes disciplines existantes. Pour l’autre, l’informatique étant partout, elle doit être quelque part en particulier, à un moment donné, sous la forme d’une discipline scolaire en tant que telle [6].

Dans sa thèse, La constitution de l’informatique comme discipline scolaire (1987), Georges- Louis Baron, professeur à l’Université Paris V, parle de « lent cheminement vers le statut de discipline scolaire », et rappelle les conclusions d’un colloque international organisé à Sèvres en 1970 par le CERI-OCDE : « L’introduction d’un enseignement de l’informatique dans l’enseignement de second degré est apparu comme indispensable » [7]. Il y a eu, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, une option informatique dans les lycées d’enseignement général. Créée en 1982, elle a été supprimée en deux temps, alors qu’elle était en voie de généralisation (première suppression en 1992, rétablissement en 1995, deuxième suppression en 1997). Le « cheminement » est donc quelque peu tortueux. Le cours de technologie au collège comporte une composante informatique bien identifiée. Le B2i, quant à lui, s’inscrit dans la démarche qui situe les apprentissages dans les usages de l’outil informatique dans l’ensemble des disciplines. Il figurera dans les épreuves du brevet des collèges et du baccalauréat, ce qui constitue une reconnaissance institutionnelle qui n’est pas toujours appréciée à sa juste valeur, indépendamment des avis que l’on peut avoir sur les contenus et les modalités d’évaluation.

Il arrive que cette question de la culture générale informatique ne soit pas exempte d’une certaine confusion, dans la mesure où l’on ne distingue pas suffisamment les objectifs généraux, les compétences à acquérir, les contenus scientifiques permettant de les atteindre – que l’on doit expliciter très précisément –, les méthodes pédagogiques et didactiques des disciplines. Rappelons donc succinctement que les statuts et les enjeux éducatifs de l’informatique et des TIC sont multiples.

L’informatique, outil et objet d’ensignement

Il y a un enjeu d’intégration d’instruments modernes pour améliorer la qualité de l’enseignement dans le contexte de sa démocratisation. L’ordinateur enrichit la panoplie des outils de l’enseignant. Il se prête à la création de situations de communication « réelles » ayant du sens pour des élèves en difficulté. Il constitue un outil pour la motivation. Il favorise l’activité. Il aide à atteindre des objectifs d’autonomie, de travail individuel ou en groupe. L’ordinateur est aussi encyclopédie active, créateur de situation de recherche, affiche évolutive, tableau électronique, outil de calcul et de traitement de données et d’images, instrument de simulation, évaluateur neutre et instantané, répétiteur inlassable, instructeur interactif… L’informatique s’immisce dans l’ « essence des disciplines » et leur enseignement doit en tenir compte. Cela vaut pour tous les ordres et niveaux d’enseignement, et notamment pour les formations techniques et professionnelles, tant les métiers, les processus de travail, les profils et les qualifications requises ont évolué. L’ordinateur est outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et de la communauté éducative. Enfin, l’informatique et les TIC sont objet d’enseignement car composantes incontournables de la culture générale de notre époque. Tous ces statuts ne s’excluent aucunement. Au contraire, ils se complètent et se renforcent. Ainsi le professeur de SVT pourra-t-il d’autant mieux enseigner l’expérimentation assistée par ordinateur et la simulation qu’il pourra s’appuyer sur de solides connaissances de base que ses élèves auront acquises précédemment et ailleurs que dans sa discipline.

Une discipline scolaire ?

En fait, la vraie question posée est celle de savoir s’il doit y avoir, à un moment donné de la scolarité obligatoire, apprentissages en matière de TIC et d’informatique sous la forme d’une discipline scolaire à part entière, comme c’est le cas dans un certain nombre de pays, par exemple la Corée du Sud, la Pologne et dernièrement le Maroc. Différentes raisons, selon nous, militent en faveur d’une réponse positive. D’abord, peuton considérer que « s’immerger c’est apprendre » ? À l’École et hors de l’École. L’utilisation d’un outil, matériel ou conceptuel, suffit-elle pour le maîtriser ? L’existence des enseignements techniques et professionnels est là pour rappeler que la réponse est évidemment non ! Jean-Michel Bérard, Inspecteur général de l’Éducation nationale, dit sans ambages que « l’utilisation d’un outil, si fréquente et diversifiée soit-elle, ne porte pas en elle-même les éléments qui permettent d’éclairer sa propre pratique » [8]. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas s’appuyer sur les pratiques et les expériences des élèves, mais avec l’objectif de les dépasser. Jean-François Cerisier, maître de conférences à l’Université de Poitiers, s’étonne de propos selon lesquels « les jeunes seraient naturellement outillés pour mettre en oeuvre des dispositifs techniques complexes dans une logique d’immersion qui postule implicitement que la pratique naïve des outils suffirait à produire des apprentissages pourtant complexes » [9]. Il indique qu’une étude conduite auprès d’élèves du cycle 3 a montré que la plupart d’entre eux ne disposaient pas d’une représentation suffisamment structurée d’Internet pour engager des démarches de recherche d’information même simples, et qu’ils « peinent à élaborer une requête documentaire lorsqu’ils utilisent un moteur de recherche standard ». Cela ne saurait surprendre quand on sait que le sens des opérateurs logiques (ET, OU) diffère de celui qu’ils ont dans le langage courant, que des éléments de logique figuraient dans les programmes de mathématiques des classes de seconde dans les années soixante-dix, et que leur compréhension n’allait pas de soi. On ne peut donc que le suivre quand, dans un autre article, il demande : « Comment en effet procéder à une recherche d’information efficace lorsque l’on n’a aucune connaissance du mode de fonctionnement de l’instrument utilisé ? » [10]. Par ailleurs, on sait que la science progresse en dégageant du « simple » dans la réalité complexe. Et que la pédagogie recommande de ne pas faire compliqué quand il faut faire simple. Dans une discipline donnée, se fixer, dans le même mouvement, des objectifs cognitifs et d’autres relatifs à l’outil informatique que l’on utilise, risque d’amener à échouer sur les deux tableaux. Chaque chose en son temps. J.-F. Cerisier fait également référence à « l’École comme seul lieu possible de prise en compte systématique des conceptions naïves ». C’est aussi le seul endroit où les élèves rencontrent la connaissance sous une forme structurée et organisée, où ils s’approprient « l’intelligence » des outils conceptuels pour bien s’en servir.

On ne fait pas des sciences expérimentales, ou de la technologie, de la même façon à l’école primaire et au lycée. La culture informatique s’acquiert donc selon des modalités diversifiées dans le temps. À l’école primaire, le B2i correspond bien aux méthodes d’initiation des enfants aux sciences et aux techniques. De plus, et c’est fondamental, il y a un enseignant unique, qui maîtrise donc ses progressions pédagogiques et leurs cohérences, l’organisation du temps scolaire et qui se coordonne facilement avec lui-même ! Ce qui n’est pas le cas au collège : là résident pour une bonne part les difficultés constatées de mise en oeuvre du B2i. Il n’est déjà pas évident d’organiser des apprentissages progressifs sur la durée lorsque les compétences recherchées sont formulées de manière très générale (du type « maîtriser les fonctions de base » ou « effectuer une recherche simple »), éventuellement répétitives à l’identique d’un cycle à l’autre, et que les contenus scientifiques, savoirs et savoir-faire précis permettant de les acquérir, ne sont pas explicités. Mais, quand, en plus, cela doit se faire dans des contributions multiples et partielles des disciplines, à partir de leurs points de vue, sans le fil conducteur de la cohérence didactique des outils et notions informatiques, on imagine aisément le caractère ardu de la tâche au plan de l’organisation concrète. Ainsi, un rapport de l’IGEN souligne-t-il que, « si différentes circulaires précisent les compétences qui doivent être validées et le support de l’évaluation (feuille de position), elles laissent néanmoins dans l’ombre de l’autonomie les modalités concrètes de mise en oeuvre » [11]. Pour se faire une idée de ces difficultés, il suffit d’imaginer l’apprentissage du passé composé et du subjonctif qui serait confié à d’autres disciplines que le Français, au gré de leurs besoins propres (de leur « bon vouloir »), pour la raison que l’enseignement s’y fait en français.

Former des utilisateurs « intelligents »

Au collège, le cours de technologie nous semble être un lieu institutionnel adapté à l’acquisition d’une maîtrise des outils informatiques, dont les enseignants des autres disciplines peuvent alors bénéficier dans leurs démarches pédagogiques, d’une manière réaliste. La complémentarité objet-outil d’enseignement peut donner toute son efficacité quand on l’envisage dans cette optique.

Au lycée, dans le prolongement des acquis précédents, une approche spécifique et scientifique, dans le cadre d’un enseignement particulier, permet de les capitaliser et de favoriser les usages pédagogiques des TIC dans les autres matières. Elle constitue une étape qualitativement nouvelle permettant de se fixer des objectifs ambitieux et incontournables pour des générations appelées à évoluer dans la société de la connaissance, dans laquelle on sait le rôle éminent joué par les TIC, de former des « utilisateurs intelligents » et des citoyens à part entière. Quand une matière est omniprésente dans la société, elle devient un élément de la culture générale, et de la culture scolaire, sous la forme d’une discipline particulière que l’on étudie pour elle-même afin de mieux la mettre au service des autres disciplines. Avec des enseignants spécialisés, des programmes, des horaires et des épreuves au baccalauréat. Jacques Baudé, président d’honneur de l’EPI (association Enseignement Public et Informatique), rappelle opportunément que « pendant plus de dix ans, le Conseil scientifique national (CSN), pilotant l’option informatique des lycées, a montré que la mise au point de programmes d’enseignement n’a pourtant rien d’impossible ; ce n’est ni plus difficile ni plus facile que dans n’importe quelle autre discipline ! Les invariants enseignables au lycée se dégagent somme toute assez facilement à condition de pratiquer une large concertation avec les universitaires et les enseignants du terrain » [12].

Ces invariants, dont parle Jacques Baudé, doivent inclure des activités d’algorithmique et de programmation, non pas pour former des informaticiens professionnels – même si cela y contribue – mais pour que les élèves comprennent la logique de fonctionnement de l’ordinateur et des environnements informationnels (si l’on apprend à résoudre des équations du second degré ce n’est pas parce qu’on en résout tous les jours !). Charles Duchâteau, professeur aux facultés universitaires N.-D. de la Paix de Namur, s’exprime en ce sens : « J’ai été et je reste parmi ceux qui croient que l’apprentissage de la programmation est formatif et qu’il ne faut pas tout mesurer à l’aune de l’utilité immédiate. Je crois aussi que les méthodes et concepts typiques de l’algorithmique sont parmi les plus fondamentaux de l’informatique et que, de plus en plus, une certaine familiarité avec le “faire faire” qui est au coeur de la programmation, au sens large, fait partie d’une utilisation efficace de beaucoup d’outils logiciels récents » [13]. Écrire des programmes informatiques, même très simples, permet également de donner de la substance à ce que sont les codes source et objet, et donc de mieux percevoir les enjeux des logiciels libres. La « philosophie » de ces logiciels est en phase avec l’objectif de former des utilisateurs « intelligents » car la connaissance du code permet la compréhension de la logique et du fonctionnement des logiciels.

Pour Jean-Pierre Demailly, membre de l’académie des Sciences, « un enseignement des langages, des algorithmes et de la programmation serait bien utile à partir du lycée. Tout d’abord parce que c’est un véritable besoin économique de mieux préparer les élèves à acquérir des connaissances technologiques solides, mais aussi parce que cela intéresserait de nombreux jeunes – dont l’informatique est parfois une passion en dehors de l’école » [14].

Pour résumer, une approche équilibrée garante d’une bonne culture générale scolaire doit, selon nous, s’appuyer sur l’utilisation de l’ordinateur dans les disciplines pendant toute la scolarité, le B2i à l’école primaire, le cours de technologie au collège et une matière « Informatique et TIC » au lycée. Avec la conviction que pareille intégration résolue de l’informatique et des technologies modernes dans le système éducatif est de nature à faciliter les évolutions économiques, sociales et culturelles du XXIe siècle.

Notes

[1] Jean-Pierre Archambault – CNDP-CRDP de Paris – Chargé de mission veille technologique

[2] L’illustration est une photographie de foundphotoslj intitulée Student in Class issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY-SA

[3] Jean-Pierre Archambault, « Innover ou protéger ? Un cyberdylemne », Médialog n°58.

[4] lien

[5] Maurice Lévy, Jean-Pierre Jouyet, L’économie de l’immatériel – La croissance de demain, rapport de la commission sur l’économie de l’immatériel remis à Thierry Breton, décembre 2006.

[6] Jean-Pierre Archambault, Démocratie et citoyenneté à l’heure du numérique : les nécessités d’un enseignement lien

[7] lien.

[8] Jean-Michel Bérard, « Ordinateur et système éducatif : quelques questions » in Utilisations de l’ordinateur dans l’enseignement secondaire, Hachette Éducation, 1993.

[9] Jean-François Cerisier, « Qui est derrière Internet ? Des représentations tenaces », Les Cahiers pédagogiques n°446, octobre 2006.

[10] Jean-François Cerisier, « La nature du B2i lui permet-elle d’atteindre ses objectifs ? », Les dossiers de l’ingénierie éducative n°55, septembre 2006.

[11] lien en page 17.

[12] Jacques Baudé, Pour une culture générale intégrant l’Informatique et les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), lien

[13] Charles Duchâteau, Peut-on définir une « culture informatique » ? lien

[14] Jean-Pierre Demailly, professeur à l’université Grenoble I, directeur de l’Institut Fourier, membre de l’académie des Sciences, in interview à l’EPI, avril 2005. lien




Le témoignage qui tue…

By phitar - CC BY-NC-ND

Le témoignage qui tue… Windows !

En April, ne te découvre pas d’un file ! est le récit simple et sincère d’une migration Linux en plusieurs étapes d’un utilisateur pragmatique et enthousiaste. Que dis-je d’un utilisateur… d’une utilisatrice !

Nombreux sont les visiteurs du réseau Framasoft qui s’y reconnaitront pour en être peu ou prou passé par là[1].

Depuis que je suis entrée dans le monde du logiciel libre, j’ai découvert une autre logique : travail coopératif et participation. Je ne code pas, je n’ai pas beaucoup de fric, ce qui limite mon apport à la communauté. Mais je suis un utilisateur permanent. Je peux donc prendre un peu de temps pour rapporter les bugs ou suggérer des améliorations qui apparaissent comme nécessaires à l’usage.

La communauté des développeurs du libre est un monde ouvert et mouvant. Pour discuter avec le concepteur d’un logiciel, le plus souvent, il suffit de se connecter sur le bon canal IRC, et hop, on est en prise directe avec la matière grise qui accouche l’outil ! Je tire une grande fierté d’avoir suggéré des améliorations ergonomiques de Scribus et d’avoir du coup un outil plus intuitif pour tous !

Au passage on nous suggère de participer à la nouvelle campagne d’adhésion de l’APRIL, ce qui est une autre bonne idée.

C’est réaliste, alerte, plein d’humour et d’esprit et au final bigrement convaincant.

Conclusion : Faites tourner 😉

Notes

[1] L’illustration est une photographie de phitar intitulée isoline pushes a broken nosed penguin issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY-NC-ND