Google et son robot pipoteur(*), selon Doctorow

Source de commentaires alarmants ou sarcastiques, les robots conversationnels qui reposent sur l’apprentissage automatique ne provoquent pas seulement l’intérêt du grand public, mais font l’objet d’une course de vitesse chez les GAFAM.

Tout récemment, peut-être pour ne pas être à la traîne derrière Microsoft qui veut adjoindre un chatbot à son moteur de recherche Bing, voilà que Google annonce sa ferme résolution d’en faire autant. Dans l’article traduit pour vous par framalang, Cory Doctorow met en perspective cette décision qui lui semble absurde en rappelant les échecs de Google qui a rarement réussi à créer quoi que ce soit…

(*) Merci à Clochix dont nous adoptons dans notre titre la suggestion.

Article original : Google’s chatbot panic

Traduction Framalang : Fabrice, goofy, jums, Henri-Paul, Sysy, wisi_eu,

L’assistant conversationnel de Google en panique

par Cory Doctorow

 

Photo Jonathan Worth CC-BY-SA

 

 

Il n’y a rien d’étonnant à ce que Microsoft décide que l’avenir de la recherche en ligne ne soit plus fondé sur les liens dans une page web, mais de là à la remplacer par des longs paragraphes fleuris écrits dans un chatbot qui se trouve être souvent mensonger… — et en plus Google est d’accord avec ce concept.

Microsoft n’a rien à perdre. Il a dépensé des milliards pour Bing, un moteur de recherche que personne n’utilise volontairement. Alors, sait-on jamais, essayer quelque chose d’aussi stupide pourrait marcher. Mais pourquoi Google, qui monopolise plus de 90 % des parts des moteurs de recherche dans le monde, saute-t-il dans le même bateau que Microsoft ?

le long d'un mur de brique rouge sur lequel est suspendu un personnage ovoïde au visage très inquiet (Humpty-Dumpty le gros œuf), deux silhouettes jumelles (Tweedle-dee et Tweedle-dum les personnages de De l'autre côté du_miroir de Lewis Carroll) représentent avec leur logo sur le ventre Bing et google, chacun d'eaux a une tête qui évoque le robot Hal de 2001, à savoir une lueur rouge sur fond noir qui fait penser à un œil.

Il y a un délicieux fil à dérouler sur Mastodon, écrit par Dan Hon, qui compare les interfaces de recherche merdiques de Bing et Google à Tweedledee et Tweedledum :

https://mamot.fr/@danhon@dan.mastohon.com/109832788458972865

Devant la maison, Alice tomba sur deux étranges personnages, tous deux étaient des moteurs de recherche.
— moi, c’est Google-E, se présenta celui qui était entièrement recouvert de publicités
— et moi, c’est Bingle-Dum, fit l’autre, le plus petit des deux, et il fit la grimace comme s’il avait moins de visiteurs et moins d’occasions de mener des conversations que l’autre.
— je vous connais, répondit Alice, vous allez me soumettre une énigme ? Peut-être que l’un de vous dit la vérité et que l’autre ment ?
— Oh non, fit Bingle-Dum
— Nous mentons tous les deux, ajouta Google-E

Mais voilà le meilleur :

— Cette situation est vraiment intolérable, si vous mentez tous les deux.

— mais nous mentons de façon très convaincante, précisa Bingle-Dum

— D’accord, merci bien. Dans ce cas, comment puis-je vous faire jamais confiance ni / confiance à l’un ni/ou à l’autre ? Dans ce cas, comment puis-je faire confiance à l’un d’entre vous ?

Google-E et Bingle-Dum se tournèrent l’un vers l’autre et haussèrent les épaules.

La recherche par chatbot est une très mauvaise idée, surtout à un moment où le Web est prompt à se remplir de vastes montagnes de conneries générées via l’intelligence artificielle, comme des jacassements statiques de perroquets aléatoires :

La stratégie du chatbot de Google ne devrait pas consister à ajouter plus de délires à Internet, mais plutôt à essayer de trouver comment exclure (ou, au moins, vérifier) les absurdités des spammeurs et des escrocs du référencement.

Et pourtant, Google est à fond dans les chatbots, son PDG a ordonné à tout le monde de déployer des assistants conversationnels dans chaque recoin de l’univers Google. Pourquoi diable est-ce que l’entreprise court après Microsoft pour savoir qui sera le premier à décevoir des espérances démesurées ?

J’ai publié une théorie dans The Atlantic, sous le titre « Comment Google a épuisé toutes ses idées », dans lequel j’étudie la théorie de la compétition pour expliquer l’insécurité croissante de Google, un complexe d’anxiété qui touche l’entreprise quasiment depuis sa création:

L’idée de base : il y a 25 ans, les fondateurs de Google ont eu une idée extraordinaire — un meilleur moyen de faire des recherches. Les marchés financiers ont inondé l’entreprise en liquidités, et elle a engagé les meilleurs, les personnes les plus brillantes et les plus créatives qu’elle pouvait trouver, mais cela a créé une culture d’entreprise qui était incapable de capitaliser sur leurs idées.

Tous les produits que Google a créés en interne, à part son clone de Hotmail, sont morts. Certains de ces produits étaient bons, certains horribles, mais cela n’avait aucune importance. Google, une entreprise qui promouvait la culture du baby-foot et la fantaisie de l’usine Willy Wonka [NdT: dans Charlie et la chocolaterie, de Roald Dahl], était totalement incapable d’innover.

Toutes les réussites de Google, hormis son moteur de recherche et gmail, viennent d’une acquisition : mobile, technologie publicitaire, vidéos, infogérance de serveurs, docs, agenda, cartes, tout ce que vous voulez. L’entreprise souhaite plus que tout être une société qui « fabrique des choses », mais en réalité elle « achète des choses ». Bien sûr, ils sont très bons pour rendre ces produits opérationnels et à les faire « passer à l’échelle », mais ce sont les enjeux de n’importe quel monopole :

La dissonance cognitive d’un « génie créatif » autoproclamé, dont le véritable génie est de dépenser l’argent des autres pour acheter les produits des autres, et de s’en attribuer le mérite, pousse les gens à faire des choses vraiment stupides (comme tout utilisateur de Twitter peut en témoigner).
Google a longtemps montré cette pathologie. Au milieu des années 2000 – après que Google a chassé Yahoo en Chine et qu’il a commencé à censurer ses résultats de recherche, puis collaboré à la surveillance d’État — nous avions l’habitude de dire que le moyen d’amener Google à faire quelque chose de stupide et d’autodestructeur était d’amener Yahoo à le faire en premier lieu.

C’était toute une époque. Yahoo était désespéré et échouait, devenant un cimetière d’acquisitions prometteuses qui étaient dépecées et qu’on laissait se vider de leur sang, laissées à l’abandon sur l’Internet public, alors que les princes duellistes de la haute direction de Yahoo se donnaient des coups de poignard dans le dos comme dans un jeu de rôle genre les Médicis, pour savoir lequel saboterait le mieux l’autre. Aller en Chine fut un acte de désespoir après l’humiliation pour l’entreprise que fut le moteur de recherche largement supérieur de Google. Regarder Google copier les manœuvres idiotes de Yahoo était stupéfiant.

C’était déconcertant, à l’époque. Mais à mesure que le temps passait, Google copiait servilement d’autres rivaux et révélait ainsi une certaine pathologie d’insécurité. L’entreprise échouait de manière récurrente à créer son réseau « social », et comme Facebook prenait toujours plus de parts de marché dans la publicité, Google faisait tout pour le concurrencer. L’entreprise fit de l’intégration de Google Plus un « indictateur1 de performance » dans chaque division, et le résultat était une agrégation étrange de fonctionnalités « sociales » défaillantes dans chaque produit Google — produits sur lesquels des milliards d’utilisateurs se reposaient pour des opérations sensibles, qui devenaient tout à coup polluées avec des boutons sociaux qui n’avaient aucun sens.

La débâcle de G+ fut à peine croyable : certaines fonctionnalités et leur intégration étaient excellentes, et donc logiquement utilisées, mais elles subissaient l’ombrage des incohérences insistantes de la hiérarchie de Google pour en faire une entreprise orientée réseaux sociaux. Quand G+ est mort, il a totalement implosé, et les parties utiles de G+ sur lesquelles les gens se reposaient ont disparu avec les parties aberrantes.

Pour toutes celles et ceux qui ont vécu la tragi-comédie de G+, le virage de Google vers Bard, l’interface chatbot pour les résultats du moteur de recherche, semble tristement familier. C’est vraiment le moment « Mourir en héros ou vivre assez longtemps pour devenir un méchant ». Microsoft, le monopole qui n’a pas pu tuer la jeune pousse Google à cause de son expérience traumatisante des lois antitrust, est passé d’une entreprise qui créait et développait des produits à une entreprise d’acquisitions et d’opérations, et Google est juste derrière elle.

Pour la seule année dernière, Google a viré 12 000 personnes pour satisfaire un « investisseur activiste » privé. La même année, l’entreprise a racheté 70 milliards de dollars en actions, ce qui lui permet de dégager suffisamment de capitaux pour payer les salaires de ses 12 000 « Googleurs » pendant les 27 prochaines années. Google est une société financière avec une activité secondaire dans la publicité en ligne. C’est une nécessité : lorsque votre seul moyen de croissance passe par l’accès aux marchés financiers pour financer des acquisitions anticoncurrentielles, vous ne pouvez pas vous permettre d’énerver les dieux de l’argent, même si vous avez une structure à « double pouvoir » qui permet aux fondateurs de l’emporter au vote contre tous les autres actionnaires :

https://abc.xyz/investor/founders-letters/2004-ipo-letter/

ChatGPT et ses clones cochent toutes les cases d’une mode technologique, et sont les dignes héritiers de la dernière saison du Web3 et des pics des cryptomonnaies. Une des critiques les plus claires et les plus inspirantes des chatbots vient de l’écrivain de science-fiction Ted Chiang, dont la critique déjà culte est intitulée « ChatGPT est un une image JPEG floue du Web » :

https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/chatgpt-is-a-blurry-jpeg-of-the-web

Chiang souligne une différence essentielle entre les résultats de ChatGPT et ceux des humains : le premier jet d’un auteur humain est souvent une idée originale, mal exprimée, alors que le mieux que ChatGPT puisse espérer est une idée non originale, exprimée avec compétence. ChatGPT est parfaitement positionné pour améliorer la soupe de référencement que des légions de travailleurs mal payés produisent dans le but de grimper dans les résultats de recherche de Google.

En mentionnant l’article de Chiang dans l’épisode du podcast « This Machine Kills », Jathan Sadowski perce de manière experte la bulle de la hype ChatGPT4, qui soutient que la prochaine version du chatbot sera si étonnante que toute critique de la technologie actuelle en deviendra obsolète.

Sadowski note que les ingénieurs d’OpenAI font tout leur possible pour s’assurer que la prochaine version ne sera pas entraînée sur les résultats de ChatGPT3. Cela en dit long : si un grand modèle de langage peut produire du matériel aussi bon qu’un texte produit par un humain, alors pourquoi les résultats issus de ChatGPT3 ne peuvent-ils pas être utilisés pour créer ChatGPT4 ?

Sadowski utilise une expression géniale pour décrire le problème :  « une IA des Habsbourg ». De même que la consanguinité royale a produit une génération de prétendus surhommes incapables de se reproduire, l’alimentation d’un nouveau modèle par le flux de sortie du modèle précédent produira une spirale infernale toujours pire d’absurdités qui finira par disparaître dans son propre trou du cul.

 

Crédit image (modifiée) : Cryteria, CC BY 3.0




Refusons la surveillance biométrique

Vous avez hâte de voir les JO de Paris en 2024 ? Non ? Roooh… et la petite loi surveillance qui va avec ? Vous avez hâte de la voir appliquée aussi ? Non ? Alors cette BD est pour vous…

BD réalisée dans le cadre de la campagne de la Quadrature du Net contre l’article 7 de la loi JO.

Refusons la surveillance biométrique

Comme vous le savez, la France doit accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024.

Gee, blasé : « Euuuh… ouaaaaiis…  on a gagnééé… » Geekette, blasée aussi : « On va pouvoir dépenser plein d'argent public et encore bétonner plus de terres pour un concours à l'organisation opaque qui ne profitera qu'à une poignée de gens… »

En plus de ces joyeusetés, côté sécurité/surveillance, c’est pas jojo non plus.

Ainsi, l’Assemblée nationale va se prononcer en mars sur un projet de loi relatif à ces jeux, et dont l’article 7 consiste à autoriser la vidéosurveillance automatisée.

Politicien enthousiaste : « “Vidéosurveillance automatisée”, je n'aime pas ces mots. Je préfère “vidéoprotection intelligente”. » Gee, feignant l'enthousiasme : « Et pourtant, c'est complètement con et ça ne protège pas ! Étonnant, non ? »

La VSA, c’est la vidéosurveillance accompagnée d’algo-rithmes qui analysent les corps et les comportements pour détecter des personnes « suspectes ».

Geekette : « C'est un peu comme Big Brother, mais… » Gee : « Mais quoi ? » Geekette : « Non rien. C'est carrément Big Brother, en fait. » Smiley : « Quand 1984 cesse d'être un exemple de dérive possible mais un exemple tout court, ça pue. »

C’est donc un outil de surveillance de masse qui reproduira les biais bien humains de manière automatique et à grande échelle.

Gee, en panique : « On sait que les personnes noires sont largement plus victimes de faux positifs sur la reconnaissance faciale que les blanches…  Là, avec l'analyse des comportements, ça va être quoi ? Les gens qui ont le regard fuyant ou qui marchent de travers vont être déclarés suspects ? » Smiley : « Z'avez qu'à marcher droit !  GARDE À VOUS ! »

Le pire, c’est que la VSA est déjà déployée dans plus de 200 villes en France en toute opacité, avec notamment le logiciel Briefcam de Canon, utilisé à Nice, Roubaix ou encore Nîmes, et bien d’autres…

Politicien excité : « Bah justement, c'est déjà là ! Ça va pas trop vous changer ! » Geekette : « Quand ça pue, en général, la logique, c'est pas de rajouter une couche de merde dessus… c'est de nettoyer ! » Politicien : « Nettoyer ?  Interdire la vente de logiciels de VSA ? Mais et la CRÔASSANCE, alors ? »

Ajoutons que ces logiciels fonctionnent par des méthodes d’apprentissage automatique de type deep learning, des boîtes noires qui ne sont réellement maîtrisées que par une poignée d’experts pendant que les start-uppers jouent aux apprentis-sorciers avec…

Start-upper, enthousiaste : « Regardez, on a détecté un suspect ! C'est pas trop bien, sans déconner ?! » Gee, méfiant : « Mais c'est quoi, le raisonnement logique qui l'a marqué comme suspect ? » Start-upper : « Euuuh, bah j'sais pas, euuuh…  deep learning…  réseau de gneurones…  euuuh…  C'est magique, quoi. » Gee : « Hyper-rassurant. » Smiley : « Tu le sens, que les possibilités de contrôle diminuent un chouïa ? »

Avec évidemment, en prime, la petite excuse classique si ça déconne : « c’est pas notre faute, c’est l’algorithme ».

Du coup je me permets de recycler ce dessin de ma BD « Google, l’espion le plus con du monde » :

Image extraite de la BD en question. Politicien : « Ah non mais c'est pas nous, c'est l'algori… » Gee qui met une mandale (« SBAF ! ») au politicien : « La ferme ! L'algorithme, c'est vous qui l'avez codé !  Les données d'entraînement, c'est vous qui les fournissez ! Y'a pas d'intelligence supérieure ou externe à l'œuvre, assumez vos merdes ! » Smiley : « Et pi si vous maîtrisez pas vos outils… ARRÊTEZ-LES ! »

Alors bien sûr, on nous dit que ça ne sera qu’une expérimentation pour les JO…

Ce à quoi l’expérience d’à peu près toutes les lois de merde soi-disant temporaires devenues permanentes devrait nous amener à répondre :

Gee, avec un poulet à la place des fesses : « And my ass is chicken ?  You want a wing ? » Le poulet : « PWAAAK ! »

C’est pour toutes ces raisons que la Quadrature du Net lance une campagne avec un récapitulatif des problèmes et contre-arguments, ainsi qu’une plateforme pour contacter vos députés et députées afin de les appeler à voter contre :

www.laquadrature.net/biometrie-jo

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 22 février 2023 par Gee.

Références :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




La dégooglisation du GRAP, partie 3 : Le bilan

On vous a partagé la semaine dernière la deuxième partie de La dégooglisation du GRAP qui vous invitait à découvrir comment iels avaient réussi à sortir de Google Agenda et gmail. Voici donc la suite et fin de ce récit palpitant de dégooglisation. Encore merci à l’équipe informatique du GRAP d’avoir documenté leur démarche : c’est vraiment très précieux ! Bonne lecture !

 

Dans l’épisode précédent…

Après la sortie de Google Drive remplacé par Nextcloud, Google Agenda par Nextcloud Agenda, nous avons fini par le plus gros bout en 2021-2022, sortir de Gmail et en finir avec le tentaculaire Google.

Le mardi 23 novembre, nous débranchions enfin Google. Nous voilà libres ! Presque 😉

Bilan dégooglisation

Après 4 ans de dégooglisation, où en sommes-nous de notre utilisation de logiciels non libres ?

Dans l’équipage ⛵

Système d’exploitation Libre ? Commentaire
Windows 13 personnes
Ubuntu 9 personnes
Gestion documentaire et travail collaboratif
Nextcloud Files Tout le monde depuis 2020 ✅
Nextcloud Agenda Tout le monde depuis 2021 ✅
Téléphonie et visio
3CX Tout le monde  ❌
Nextcloud Discussions
Mail et nom de domaine
Gandi
Tout le monde depuis 2022 ✅
Logiciels métier
Odoo (suivi des actis, achat/revente, facturation)
Pôles info, accompagnement et logistique
EBP (compta)
Pôle compta
Cegid (paie) Pôle social
Gimp, Inkscape, Scribus (graphisme et mise en page)
Pôle communication
BookstackApp (documentation) Tous pôles
Logiciels bureautique
Suite Office
Suite LibreOffice
Réseaux sociaux
Facebook, Linkedin, Twitter, Eventbrite
Peertube

Nos pistes d’amélioration en logiciel libre sont donc du côté du système d’exploitation et des logiciels métiers.

Les blocages sont dus :

  1. à certains logiciels métiers qui n’existent pas en logiciel libre
    → à voir si on arrive à développer certains bouts métier sur Odoo dans les prochaines années
  2. à la difficulté de se passer d’Excel pour certaines personnes grandement habituées à ses logiques et son efficacité
    → à voir si LibreOffice continue à s’améliorer et/ou si on se forme plus sur LibreOffice

Dans la coopérative  🌸

Système d’exploitation Libre ? Commentaire
Ubuntu Dans tous les points de vente
ordinateurs portables
Windows ou Mac Les autres ordinateurs portables
Gestion documentaire et travail collaboratif
Nextcloud Files Tout le monde y a accès depuis 2020 ✅
Fournisseur mail principal
Gandi
55%
Gmail 37%
Ecomail ? 4%
Logiciels métier
Odoo (achat, revente, stock, facturation, intelligence décisionnelle)
Utilisé par 95% des activités
Autres
❌ ✅ Dur à dire, mais la majorité des activités de transformation utilise des tableaux Excel ou des logiciels dédiés
Logiciels bureautique
Suite Office Pas de référencement fait. Aucune visibilité actuellement
Suite LibreOffice

Nos pistes d’amélioration sont donc du côté des logiciels mails et des logiciels métiers.

→ Un des gros chantiers de 2022-2023 est justement le développement et la migration sur Odoo Transfo. Pas pour le côté politique du logiciel libre mais bien de l’amélioration continue d’un même logiciel partagé dans la coopérative.

→ À voir si la dégooglisation de l’équipe « inspire » certaines activités pour se motiver à se dégoogliser. Nous serons là pour les accompagner et continuer à porter le message à qui veut l’entendre.

Bilan humain

À l’heure où nous écrivons (fin octobre 2022), il est trop tôt pour faire le bilan de la sortie de Gmail. Nous comptons d’ailleurs envoyer un nouveau questionnaire dans quelques mois qui nous permettra d’y voir plus clair. Mais nous pouvons d’ores et déjà dire que ce fut clairement l’étape la plus compliquée de la dégooglisation.

Sortir d’un logiciel fonctionnel, performant et joli est forcément compliqué quand on migre vers un logiciel aux logiques différentes (logiciel bureau VS web par exemple) et qui souffre de la comparaison au premier abord. Pour compenser cela, nous avons fait le choix de dédier beaucoup de temps humains (nombreuses formations par mini groupes ou en individuels, réponses rapides aux questions posées) et beaucoup de documentations et de partage de retour d’expériences.

La sortie de Google Drive et Google Agenda furent relativement douces et moins complexes que Gmail. Le logiciel Nextcloud étant assez mature pour assurer un changement plutôt simple et serein.

Ça paraît simple une fois énoncé, mais plus les gens travaillent avec un outil (Google par exemple), plus il sera difficile de les amener à changer facilement d’outil.

Conseil n°5 :
Dans la mesure du possible, la meilleure des dégooglisation est celle qui commence dès le début, par l’utilisation d’outils Libres. En 2022, quasiment tout logiciel a son alternative Libre mature et fonctionnel.
Si ce n’est pas possible, dès que les moyens humains sont disponibles et que la majorité le veut, envisagez votre dégooglisation ?

À Grap, il existe une certaine culture politique de compréhension autour des enjeux du logiciel libre et des GAFAM. Cela nous a aidé. Et cela nous parait quasiment obligatoire avant d’envisager une dégooglisation. Car c’est un processus long où l’on a besoin du consentement – au moins théorique – des gens impactés pour que celleux-ci acceptent de se former à de nouveaux outils, s’habituer à de nouvelles habitudes etc.

Conseil n°6 : avant d’entamer une dégooglisation, faire monter en compétences votre groupe sur les sujets autour du Logiciel Libre et des enjeux des Gafam à travers des projections de films par exemple.
Voici un récap de quelques ressources.

Bilan technique

Voici nos choix de logiciels pour notre dégooglisation :

  • Nextcloud pour la gestion documentaire et le travail collaboratif (agenda, visio, gestion de tâches)
    • complété par Onlyoffice avec une image Docker sans limitation d’usage (pendant 2 ans l’image nemskiller007/officeunleashed puis désormais alehoho/oo-ce-docker-license)
    • sauvegarde quotidienne par le logiciel de sauvegarde Borg
  • BookstackApp et Peertube pour la documentation écrite et vidéo
  • Meshcentral pour la prise en main à distance d’autres ordinateurs
  • Gandi pour le prestataire de mails
  • Thunderbird pour le logiciel bureau pour gérer ses mails (et K9Mail sur téléphone)

Voici nos choix d’infrastructure :

  • OVH et Online  pour la location de serveurs faisant tourner ses services (choix historique)
  • 4 serveurs :
    • 1 serveur dédié Nextcloud de 2To (Gamme Start-1-L Intel Xeon E3 1220v2 @3,1 Ghz, 16Go RAM)
    • 1 serveur dédié Nextcloud Test en miroir du Nextcloud
    • 1 serveur de sauvegarde (mutualisé avec d’autres services de la coopérative)
    • 1 serveur dédié à différents services (Peertube, Meshcentral, Bookstackapp)

Bilan économique

Pour calculer le coût économique de notre dégooglisation commencé en 2018, voici les chiffres retenus.

☀️ Le scénario « Dégooglisation » est celui réellement effectué depuis 2018.
Son coût comprend :

  • le temps de travail du service informatique, découpé en
    • l’aide au collègue habituelle : qui subit une augmentation du fait de l’internalisation de certaines questions, notamment avec le changement de Gmail à Thunderbird
    • le support et administration système des services :
      • toutes les recherches techniques (comment bien gérer les installations, sauvegardes etc.)
      • toutes les questions / réponses par mail et téléphone
    • le « temps de dégooglisation » qui correspond
      • les temps d’écriture de documentation et de formation
      • les mails d’annonce, de relance, de re-re-relance  😉
  • le coût des serveurs informatiques pour faire tourner les logiciels remplaçant les services Google et Teamviewer

🤮 À l’opposé, le scénario Google comprend :

  • le temps de travail du service informatique sur l’aide au collègue – accès stable dans le temps – qui augmente par le nombre de gens dans l’équipe, mais diminue par notre appropriation des logiciels, améliorations de l’existant, documentation etc.
  • la facturation des comptes Google Workspace
    • stable depuis 2018, Google a annoncé cet été l’augmentation de ces prix. Les pauvres n’ont eu que 6% de croissance en 2022 avec 14 milliards de dollars de bénéfices. Passant donc les comptes pro de 4€ à 10,40€/mois à partir de juin 2023.
  • la facturation hypothétique (car elle n’a jamais eu lieu) de Teamviewer Pro
    • En effet, jusqu’à juin 2019, nous utilisions Teamviewer pour aider les activités de la coopérative à distance. Mais notre utilisation intensive ne rentrait plus dans la version gratuite et Teamviewer nous bloquait l’usage du logiciel pour que l’on souscrive à leur abonnement.
    • Heureusement, nous sommes passés sur des logiciels auto-hebergés et libre : RemoteHelp (un logiciel libre abandonné depuis) puis en décembre 2020 sur Meshcentral.

En prenant en compte ces données, le scénario « Dégooglisation » finit par devenir moins cher que le scénario « Google ».
Pour le coût mensuel, cela arrive dès septembre 2022 (quasi à la fin de la sortie de Gmail donc) !  🎉
Pour le coût cumulé, cela devient rentable deux ans après, en septembre 2024 !  🎉

Ces chiffres s’expliquent par :

  • le coût important au démarrage de la sortie de Google Drive
    • 128h passées sur les 5 premiers mois pour valider la solution Nextcloud
  • un temps de support / administration système pour Nextcloud qui baisse progressivement
    • passant de 14h mensuels en 2019, à 9h en 2020, à 5h en 2021, à 3h en 2022
  • le prix de Google qui aurait augmenté (mais on y a échappé avant, ouf !)

Bilan politique

Nous sommes fièr·es en tant que coopérative de porter concrètement nos valeurs dans le choix de nos logiciels qui sont plus que de simples outils.

Ces outils sont porteurs de valeurs démocratiques très fortes. Nous ne voulons pas continuer à engraisser Google – et autres GAFAM – de nos données privées et professionnelles qui les revendent à des entreprises publicitaires et des états à tendance anti-démocratique (voir les révélations Snowden, le scandale Facebook-Cambridge Analytica). Cela est en contradiction avec ce que nous prônons : la coopération, de l’entraide et le lien humain.

Nous avons besoin d’outils conviviaux, modulables et modifiables selon qui nous sommes. Nous avons besoin de pouvoir trifouiller les outils que nous utilisons, comme nous pouvons trifouiller un vélo pour y réparer le frein ou y rajouter un porte-bagages. Des outils émancipateurs en somme, qui nous empouvoire et ne rendent pas plus esclave de la matrice capitaliste.

Notre démarche n’aurait pas pu avoir lieu sans le travail et l’aide de millions de personnes qui ont construit des outils Libres, des documentations Libres, des conférences et autres vidéos Libres. Elle n’aurait pas eu lieu non plus sans l’inspiration de structures comme Framasoft ou la Quadrature du Net. Merci.

 🍎 La route est longue, la voie est libre, et sur le chemin nous y cueillerons des pommes bios et paysannes.  🍏

Encore un grand merci aux informaticiens du GRAP pour leur travail de documentation sur cette démarche. D’autres témoignages de Dégooglisation ont été publiés sur ce blog, n’hésitez pas à prendre connaissance. Et si vous aussi, vous faites partie d’une organisation qui s’est lancée dans une démarche similaire et que vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à nous envoyer un message pour nous le faire savoir. On sera ravi d’en parler ici !

 




Le Fediverse n’est pas Twitter, mais peut aller plus loin

Maintenant que Mastodon a suscité l’intérêt d’un certain nombre de migrants de Twitter, il nous semble important de montrer concrètement comment peuvent communiquer entre eux des comptes de Mastodon, PeerTube, Pixelfed et autres… c’est ce que propose Ross Schulman dans ce billet de l’EFF traduit pour vous par Framalang…

 

source : The Breadth of the Fediverse

Traduction Framalang : CLC, Goofy, Henri-Paul

 

L’étendue du Fediverse

par Ross Schulman

Le Washington Post a récemment publié une tribune de Megan McArdle intitulée : « Twitter pourrait être remplacé, mais pas par Mastodon ou d’autres imitateurs ». L’article explique que Mastodon tombe dans le piège habituel des projets open source : élaborer une alternative qui a l’air identique et améliore les choses dont l’utilisateur type n’a rien à faire, tout en manquant des éléments qui ont fait le succès de l’original. L’autrice suggère plutôt que dépasser Twitter demandera quelque chose d’entièrement nouveau, et d’offrir aux masses quelque chose qu’elles ne savaient même pas qu’elles le désiraient.

Nous pensons, contrairement à Megan, que Mastodon (qui fait partie intégrante du Fediverse) offre en réalité tout cela, car c’est un réseau social véritablement interopérable et portable. Considérer que Mastodon est un simple clone de Twitter revient à oublier que le Fediverse est capable d’être ou de devenir la plate-forme sociale dont vous rêvez. C’est toute la puissance des protocoles. Le Fediverse dans son ensemble est un site de micro-blogging, qui permet de partager des photos, des vidéos, des listes de livres, des lectures en cours, et bien plus encore.

Comme beaucoup de gens se font, comme Megan, une fausse idée sur le Fediverse, et comme une image vaut mieux qu’un long discours, voyons comment l’univers plus large d’ActivityPub fonctionne dans la pratique.

Parlons de PeerTube. Il s’agit d’un système d’hébergement de vidéos, grâce auquel les internautes peuvent en suivre d’autres, télécharger des vidéos, les commenter et les « liker ».
Voici par exemple la page de la chaîne principale du projet open source Blender et c’est là que vous pouvez vous abonner à la chaîne…

fenêtre dans la page de peertube.tv où l'on peut s'abonner au canal blender en utilisant son compte activityPub, ici un compte de mastodon

Dans cet exemple nous avons créé un compte Mastodon sur l’instance (le serveur) framapiaf.org. Une fois qu’on clique sur « S’abonner à distance », nous allons sur le compte Mastodon, à partir duquel il nous suffit de cliquer sur « Suivre » pour nous permettre de…suivre depuis Mastodon le compte du PeerTube de Blender.

fenêtre de mastodon dans laquelle on peut confirmer vouloir suivre un canal peertube (de Blender dans cet exemple) en cliquant sur "Suivre"

Maintenant, dès que Blender met en ligne une nouvelle vidéo avec PeerTube, la mise à jour s’effectue dans le fil de Mastodon, à partir duquel nous pouvons « liker » (avec une icône d’étoile « ajouter aux favoris ») la vidéo et publier un commentaire.

… de sorte que le « like » et la réponse apparaissent sans problème sur la page de la vidéo.

un commentaire-réponse posté sur mastodon apparaît sur le canal peertube

Pixelfed est un autre service basé sur ActivityPub prenant la forme d’un réseau social de partage de photographies. Voici la page d’accueil de Dan Supernault, le principal développeur.

On peut le suivre depuis notre compte, comme nous venons de le faire avec la page PeerTube de Blender ci-dessus, mais on peut aussi le retrouver directement depuis notre compte Mastodon si nous connaissons son nom d’utilisateur.

capture : après recherche du nom d’utilisateur « dansup », mastodon retrouve le compte pixelfed recherché

Tout comme avec PeerTube, une fois que nous suivons le compte de Dan, ses images apparaîtront dans Mastodon, et les « likes » et les commentaires apparaîtront aussi dans Pixelfed.

capture d'écran montrant une photo du chat de Dansup publiée sur pixelfed mais qui s'affiche ici sur le compte mastodon que l'on "suit".

Voilà seulement quelques exemples de la façon dont des protocoles communs, et ActivityPub en particulier, permettent d’innover en termes de médias sociaux, Dans le Fediverse existent aussi BookWyrm, une plateforme sociale pour partager les lectures, FunkWhale, un service de diffusion et partage de musique ainsi que WriteFreely, qui permet de tenir des blogs plus étendus, pour ne mentionner que ceux-là.

Ce que garantit le Fediverse, c’est que tous ces éléments interagissent de la façon dont quelqu’un veut les voir. Si j’aime Mastodon, je peux toujours y voir des images de Pixelfed même si elles sont mieux affichées dans Pixelfed. Mieux encore, mes commentaires s’afficheront dans Pixelfed sous la forme attendue.

Les personnes qui ont migré de Twitter ont tendance à penser que c’est un remplaçant de Twitter pour des raisons évidentes, et donc elles utilisent Mastodon (ou peut-être micro.blog), mais ce n’est qu’une partie de son potentiel. La question n’est pas celle du remplacement de Twitter, mais de savoir si ce protocole peut se substituer aux autres plateformes dans notre activité sur la toile. S’il continue sur sa lancée, le Fediverse pourrait devenir un nouveau nœud de relations sociales sur la toile, qui engloberait d’autres systèmes comme Tumblr ou Medium et autres retardataires.

 




La dégooglisation du GRAP, partie 2 : Au revoir Google Agenda et Gmail

On vous a partagé la semaine dernière la première partie de la démarche de dégooglisation du GRAP qui vous invitait à découvrir comment iels avaient réussi à sortir de Google Drive. Voici donc la suite (mais pas la fin) de ce récit de dégooglisation qui nous permet de prendre conscience que ce n’est toujours facile de sortir des griffes de ces géants de la tech. Bonne lecture !

Dans l’épisode précédent…

En janvier 2020, après plus d’un an à avoir pris la décision de passer sur Nextcloud en remplacement de Google Drive, la migration était officiellement finie ! Mais voilà, nous passions encore pas mal de temps à ouvrir un onglet Google pour consulter nos agendas, ainsi que nos mails pour les personnes utilisant Gmail en ligne.

/2021/ Fini Google Agenda, go Nextcloud Agenda

Fin septembre 2020, nous décidons collectivement de passer sur l’agenda Nextcloud. Nous nous laissons 3 mois pour commencer l’année 2021 sur le nouvel outil. Quelques personnes (notamment le pôle informatique) vont alors tester en conditions réelles Nextcloud Agenda.

Le challenge est sympa car nous décidons de faire ça en pleine migration d’Odoo de version 8 à la version 12, qui est le résultat de pas moins de 1000 heures de temps de travail et 294 tests de non régression.

L’export de données de Google Agenda se passe relativement bien, et l’import sur Nextcloud Agenda aussi. Les seuls soucis viennent de soucis d’exportation d’évènements récurrents du côté Google. On demande alors de recréer ces évènements du côté de Nextcloud Agenda.

Début 2021, la migration n’est pas possible pour trop de monde dans l’équipe : nous décidons de nous donner du mou et de fixer une date de bascule au 29 mars 2021 après que certains temps collectifs soient passés (l’assemblée générale notamment).

Une procédure est écrite pour que chaque personne s’autonomise dans sa migration, mais la majorité de la migration se fait collectivement à la date choisie du 29 mars :

  • export de l’agenda Google
  • import dans l’agenda Nextcloud
  • partage de son agenda au reste de l’équipe
  • (optionnel) synchronisation de l’agenda avec Thunderbird
  • création des agendas partagés pour les salles de réunion

Tout est documenté ici : https://librairie.grap.coop/books/nextcloud/page/agenda-nextcloud

Depuis avril 2021, nous sommes donc officiellement toustes sur Nextcloud Agenda.

L’application reçoit régulièrement des mises à jour porteuses de fonctionnalités bien chouettes (corbeille, recherche d’évènements, recherche d’un créneau de disponibilité), ou de corrections de bugs.

/2021-22/ La transformation complète : sortir de Gmail

Nous voilà arrivé·es à la dernière étape qui nous permet de sortir des outils Google pour l’équipage (nouveau nom de l’équipe interne). La plus dure. Même si cette étape ne concerne « que » les membres de l’équipage, cette transformation fut la plus longue à mener.

Pourquoi ? Parce que :

  • le mail est l’outil principal de la majorité des salarié·es de l’équipe qui l’utilisent toute la journée
  • Gmail est très performant, notamment dans la recherche de mail
  • certain·es personnes ont jusqu’à 10 ans d’habitudes de travail avec Gmail

D’ailleurs, on l’a constaté empiriquement, les personnes les plus anciennes de Grap furent les personnes les plus compliquées à faire transiter. Autant du point de vue technique (transférer 10 ans de mail est forcement plus compliqué que pour une personne arrivée récemment) que des habitudes prises sur le logiciel.

Conseil n°1 : plus on s’y prend tôt à se dégoogliser, moins ça sera compliqué dans la conduite du changement de logiciel.

🌱 Été 2021 – Trouver la solution technique remplaçante

Gandi pour la gestion de l’hébergement de mail

Nous travaillons avec Gandi pour la majorité des activités de Grap afin de gérer leur nom de domaine et leurs mails. Pourquoi Gandi ?

  • Gandi est engagé depuis longtemps dans le respect de la vie privée
  • Gandi est une entreprise qui roule à priori bien sur laquelle on peut compter sur la durée
  • Gandi a un support de qualité qui répond rapidement à toutes nos demandes (et ce fut bien utile lors des moments de doute technique pour cette dégooglisation)
  • Gandi est une entreprise française qui paye à priori ses impôts en France  😉

Thunderbird comme logiciel bureau

Thunderbird va être notre pierre angulaire pour cette dé-gmail-isation. Autant pour permettre le transfert des mails de Google à Gandi, que pour travailler ses mails pour la suite. Ce fut une évidence de partir sur Thunderbird au début.

  • Ce logiciel libre est complet. Peut-être même trop complet, ce qui rend son ergonomie critiquable.
  • Ce logiciel est aussi assez ancien, ce qui lui donne une bonne robustesse. Peut-être trop ancien, ce qui rend son ergonomie critiquable  😉
  • Ce logiciel a une communauté importante qui développe de très nombreux modules complémentaires (à voir ici) qui viennent se greffer à Thunderbird pour apporter une myriade de possibilités.

Quelques mois plus tard, après la prise en main de certain·es utilisateur·ices, et de leur critique légitime, on s’est senti obligé de réaliser un banc d’essai (benchmark), qui validera définitivement ce choix.

Le benchmark pour choisir notre logiciel de bureau pour la gestion des emails

Les critères suivants ont été retenus :

  • logiciel libre
  • fonctionne sur Linux Ubuntu et Windows
  • communauté vivante et grande
  • modèle économique viable
  • installation simple
  • rempli les fonctionnalités de base demandées par les collègues (voir plus tard dans le texte)

🌿 Automne 2021 – Identifier les besoins et fonctionnalités utilisées

Pour être certain de pouvoir sortir de Google, il faut s’assurer que les collègues vont retrouver leurs petits, ou que l’on assume collectivement que l’on perdra des usages / fonctionnalités en passant sur Thunderbird.

Pour cela, nous envoyons un sondage qui nous permet d’y voir plus clair sur les fonctionnalités utilisées par l’équipe pour ajuster nos formations, documentations et recherches de modules complémentaires dans Thunderbird.

Réponse à la question « Quelles fonctionnalités mail utilises-tu actuellement ? »

 

Réponse à la question « Quelles fonctionnalités mail AIMERAIS-tu découvrir ou utiliser ? »

Sur la question « Sur une échelle de 0 à 6, est-ce que tu souhaites être précurseur·se de ce changement ? (0 : non / 6 : trop chaud·e)« , la moyenne et la médiane est à 3,5. Les gens sont donc.. moyennent chaud·es en général !

⚠️ Voici les points les plus bloquants pour un passage sur Thunderbird selon notre analyse :

  • les mails ne sont pas gérés sous la forme de fils de conversation
  • la recherche Thunderbird est laborieuse et pas aussi précise et rapide que Gmail
  • la peur de perdre des mails anciens
  • l’ergonomie de Thunderbird, notamment la différence de fluidité par rapport à une page web comme Gmail

Pour réussir ce changement de logiciel, il faut que les étapes soient claires et transparentes pour les utilisateur·ices. Cela leur permet de se projeter : « ok dans 6 mois / 1 an je change d’outil et je sais à peu près ce qui m’attend ! ».

Après ce premier sondage, un calendrier a donc été partagé, indiquant les différentes dates menant à la dégooglisation de tout le monde.

🪴 Automne – Hiver 2021 – Formation et Documentation Thunderbird

4 personnes sur 20 utilisent déjà Thunderbird. Pour les 16 autres, nous prévoyons d’étaler les formations par petits groupes sur 3 mois : les personnes les plus intéressées commencent dès mi-octobre, et les personnes les plus frileuses seront formées en janvier, ce qui nous laissera le temps d’avoir des retours, d’ajuster la formation et la documentation.

La formation suit le programme que vous pouvez retrouver ici :

  • une aide à l’installation de Thunderbird et du paramétrage du compte Gmail
  • une présentation globale de l’outil
  • une présentation des fonctionnalités de base
  • des conseils globaux d’utilisation et la présentation des meilleurs modules complémentaires.

La documentation va jouer un rôle très important dans la dégooglisation. Et dès septembre, on va mettre le paquet pour tout bien documenter.

✊ Dégooglisation – sortir de Gmail → https://librairie.grap.coop/books/mail/chapter/degooglisation-sortir-de-gmail
📪 Tutos Thunderbird 💻 → https://librairie.grap.coop/books/mail/chapter/tutos-thunderbird

Ce travail de plusieurs mois va être itératif : chaque formation apporte son lot de questions, ou de bugs, ou de besoins qu’il faut alors documenter et faire repartager à tout le monde. De nombreux points mails (ou des messages informels) sont envoyés à l’équipe pour leur faire part des retours, de l’avancée et des nouveaux modules complémentaires ou paramétrages trouvés pour faciliter l’utilisation de Thunderbird.

🙊 Une difficulté anticipée mais relou : le lien Thunderbird – Gmail

Thunderbird a des défauts indéniables. Mais dans cette dégooglisation, on n’est pas aidé par Gmail qui aime bien avoir des comportements… embêtants. Une de ses particularités est le traitement des mails dans un dossier appelé « Tous les messages ». Pour citer la doc officielle de Thunderbird :

Tous les messages : contient une copie de tous les messages de votre compte Gmail, en incluant le dossier « Courrier entrant », le dossier « Envoyé » et les messages archivés.

Donc si vous avez 10 000 messages entrants et sortants, Thunderbird va télécharger 20 000 mails. Sachant qu’on retrouve tous ses mails dans Courrier entrant et Envoyés, ce dossier ne sert donc à rien. Après plusieurs semaines d’utilisation, et certains ralentissements au lancement de Thunderbird, nous avons fini par conseiller aux gens de se désabonner de ce dossier.

D’autres conseils seront documentés par la suite ici : https://librairie.grap.coop/books/mail/page/thunderbird-et-gmail

☘️ Avril 2022 – Premier bilan et questionnement technique

Le calendrier des formations a été quasiment tenu. C’est seulement en janvier que certaines formations n’ont pas eu lieu, du fait de difficultés professionnelles rencontrées dans certains pôles de l’équipe. Il ne restait alors que 2 personnes à former.

Mais entre temps, Quentin qui est responsable de cette dégooglisation, est parti en congés sans solde en février-mars. La décision avait été prise de ne pas se presser avant son départ et de faire le point en avril, nous y voilà.

  • 2 personnes non formées en janvier + 2 arrivées
  • Certaines personnes de l’équipe n’ont pas pris le pli et sont revenues un peu / beaucoup sur Gmail
  • Un tableau partagé a fait remonter les problèmes soulevés :
    • La plupart peuvent être réglés par contournement ou par une meilleure documentation.
    • La recherche de mails est laborieuse.

Nous décidons de :

  • former les gens qui ne l’ont pas été
  • continuer à documenter et informer des meilleurs modules et petits paramétrages qui changent la vie
  • s’interroger sur pourquoi certaines personnes n’ont pas pris le pli
  • demander l’avis des membres de l’équipe sur Thunderbird et la dégooglisation en cours
  • faire un benchmark des solutions (voir si Thunderbird est vraiment le cheval gagnant)
  • s’assurer et valider le processus technique de bascule qu’il faudra faire (le voici)
  • prendre une décision lors de notre comité de pilotage informatique qui arrive

Conseil n°2 : Nous prenons aussi la décision que Quentin ne soit pas le seul porter ce projet. Il ressent une charge mentale et une certaine pression à gérer les retours des personnes en difficulté. Pour ne pas non plus tomber dans une posture de l’informaticien libriste qui impose le choix, et pour bien affirmer que nous prenons des choix collectivement, nous allons dé-personnifier le projet. Désormais le travail sera soutenu et partagé avec Sandie, et les mails signés par le pôle informatique.

⚡ Mai 2022 – La recherche boostée à notre rescousse !

Enfin ! Nous avons trouvé un moyen de répondre aux soucis de recherche sur Thunderbird. Avec un habile mélange de dossier virtuel et d’un module complémentaire de recherche avancée, nous parvenons à lier rapidité et complexité de recherche !

Nous le documentons dans la partie 4 de ce tuto : https://librairie.grap.coop/books/mail/page/recherche-mail-booste

🍀 Juin 2022 – Deuxième bilan : on y va, on sort de Google ?

Notre comité de pilotage ne prend pas une décision ferme. On continue juste à valider de travailler sur cette dégooglisation. En dehors de tous les aspects politiques, en sortant de Google, nous allons cesser de payer 2000€/an pour les comptes pros que nous avons, et c’est toujours ça de gagné dans un moment de crise économique !

Deux mois plus tôt, nous avions envoyé ce formulaire à l’équipe, commenté par cette phrase qui résume son intention « Vive le consentement, à bas la coercition 🌞 » pour prendre la température de l’équipe sur l’utilisation de Thunderbird. Voici notre analyse résumée des résultats :

🔴 les personnes n’ayant pas encore franchi l’étape Thunderbird sont :

  • une grande partie d’un pôle en surcharge
  • les « ancien⋅nes » qui sont là depuis longtemps

🔴 les difficultés principales vis-à-vis de l’outil sont :

  • la recherche de mail
  • le changement d’usage ergonomique
  • des problèmes liés à la connexion avec Google
  • des besoins spécifiques non fonctionnels (invitation Outlook)
  • des problèmes spécifiques réglés depuis (soucis d’antivirus, paramétrage mail d’absence, etc.)

✅ l’équipe est chaude pour sortir de Google !

✅ l’équipe se sent bien accompagnée à ce changement.

☑️ une minorité de l’équipe (3~4 personnes) ne se sent pas sécurisée ou perd quelques minutes par jour à l’utilisation de Thunderbird. Ces 3~4 personnes se recoupent avec les personnes utilisant Gmail. Nous pensons qu’avec l’usage et les améliorations du logiciel, nous parviendrons à améliorer ça.

⭕ les personnes revenues sur Gmail l’expliquent par :

  • « la flemme »
  • un mauvais timing / mauvais paramétrage au début
  • pôle ou personne avec grosse charge de travail

Nous décidons alors :

  • de réaliser deux sessions de formation à la recherche boostée  ⚡
  • de travailler sur la solution d’application smartphone adéquate pour sortir de l’application Gmail
  • de redonner une formation aux 5 personnes qui n’ont pas fait le switch afin qu’elles y arrivent
  • de fixer la date de sortie de Google : cela sera la 1ère ou 2ème semaine d’août
  • de commencer à créer toutes les boîtes mails et redirections mails nécessaires

Conseil n°3 : Nous avions 17 boîtes mails à recréer et 80 redirections de mails assez complexes à réaliser. C’est un travail fastidieux qui demande de se concentrer pour ne pas louper un mail dans la redirection mail créée. Car non, il n’existait pas d’export Google des « groupes Google » que nous utilisions. Le conseil est donc le suivant : partagez le travail 🙂 Merci Sandie pour ce gros taf !

🚀 Juillet 2022 – la bonne nouvelle : Thunderbird s’améliore

Alors que nous venions de fixer le créneau de départ de Google (début août), Thunderbird sort sa dernière version (la 102), le 29 juin. Cette version apporte de très nombreuses améliorations ergonomiques, rendant le logiciel bien plus agréable à utiliser. Et quand on utilise un logiciel toute la journée, ce n’est pas un petit détail que de pouvoir modifier la taille d’affichage, la taille de police, les couleurs des dossiers mails ou encore une gestion des contacts totalement re-désignée. Leur annonce officielle ici.

Et les bonnes nouvelles s’enchaînent :

  • Thunderbird annonce rejoindre le projet K-9 Mail pour une application libre sur Android qui va donc s’améliorer encore plus vite !
  • Et leur feuille de route de modifications futures sont très très prometteuses pour répondre aux soucis les plus courants :
    • des fils de conversations natifs !
    • une ergonomie qui s’améliore de jour en jour avec notamment l’affichage des mails sur plusieurs lignes
    • une synchronisation de son compte qui permettrait d’avoir deux Thunderbird sur deux ordis différents

🌸 Voici à quoi pourrait ressembler Thunderbird en mi-2023 🌸

🌲 9 Août 2022 – Le fil rouge sur le bouton rouge..

Depuis quelques mois, on discutait avec Gandi pour nous assurer que la procédure était la bonne. Quel plaisir d’avoir des gens qui répondent rapidement à ces demandes. Merci ! Nous étions donc plutôt prêts pour ce switch. Le mardi 9 août à 22h, alors que les collègues sont pour la plupart en vacances, on change les DNS du domaine grap.coop (DNS = règles techniques qui disent ce qui se passe avec grap.coop) pour débrancher Google et brancher Gandi.

Le mardi 9 août à 23h50, après quelques tests d’envoi et de réception de mails, j’annonce officiellement que tout semble fonctionner comme prévu. Les mails de Gandi partent bien. On reçoit bien les mails sur la nouvelle boîte mail. Le monde n’a pas cessé de tourner. Victoire !

Grap vs Google, allégorie

🙊 Une difficulté pas anticipée : l’envoi de mail par notre logiciel Odoo [tech]

En créant toutes les boîtes mails sur Gandi, nous nous étions rendu compte des cas particuliers (des personnes qui avaient un compte mail mais qui n’étaient pas ou plus dans l’équipe par exemple) mais ce n’est que tardivement qu’on a réalisé que la boîte mail serveurs <arobase> grap.coop servait de boîte d’envoi à l’ensemble des mails du logiciel Odoo utilisé par les 65 activités. Comment cela allait se comporter en passant chez Gandi ? Deux soucis sont encore en cours :

1 – L’usurpation d’identité
  • En fait, chaque activité envoie ses bons de commandes et factures depuis Odoo. Odoo utilise une seule boîte mail serveurs grap.coop mais lors de l’envoi, prend l’identité de l’activité qui envoie un mail.
  • Cette « usurpation d’identité » était bien acceptée car nous étions chez Google. Mais avec le passage chez Gandi, cette usurpation d’identité n’est plus acceptée par les boîtes mail à la réception si celles-ci sont chez Google.
  • L’activité a un mail d’envoi géré par Gandi → envoi par serveurs qui est géré par Gandi → OK
  • L’activité a un mail d’envoi géré par Google / OVH / Ecomail etc. → envoi par serveurs qui est géré par Gandi → NOK si à la réception la personne utilise Google.

La solution future : améliorer l’envoi de mail sur Odoo pour que chaque activité puisse envoyer avec les informations de sa vraie boîte mail.

2 – Les mails envoyés par les serveurs <arobase> grap.coop ne sont pas automatiquement enregistrés dans le dossier Envoyés
  • À priori, l’envoi de mail n’est pas totalement bien développé et il manque quelques informations dans le mail pour que celui-ci soit bien mis dans le dossier Envoyés.
  • Mais avec Google, cela fonctionnait. Il devrait réussir à comprendre qu’un mail partait de sa boite mail, et il le plaçait le mail dans le dossier Envoyés. Ce qui était pratique pour vérifier que le mail était bien parti.

La solution future : améliorer l’envoi de mail sur Odoo pour que le mail arrive dans le dossier Envoyés.

🙊 Un comportement pas anticipé : Google, le mort-vivant

Malgré la déconnexion technique du nom de domaine grap.coop avec Google, il était encore possible de se connecter à Gmail et d’envoyer des mails. Alors certes, les réponses n’arrivaient plus sur Gmail, mais cela permettait encore aux irréductibles de résister au changement ! 😛

Surtout, même après avoir supprimé le compte Google sur Thunderbird (n’ayant alors que le compte Gandi), un paramétrage technique (le serveur SMTP d’envoi) faisait que les mails envoyés l’étaient par le serveur Google.

Donc au moment de la suppression réelle du compte Google, l’envoi par Thunderbird était bloqué. Ce n’est pas un gros souci, mais nous avons documenté le petit changement à faire.

🐢 Septembre 2022 – La fin de la route est longue, mais la voie est libre

Après la dégooglisation technique, place à la dernière étape, supprimer réellement les comptes Google. Chaque personne devait suivre un tutoriel nommé « Google débranché 💃🕺 La suite ✌️ » comportant ces étapes :

  • 🧹 Nettoyer derrière soi
  • 🚪 Fermer la porte
  • 🔧 S’assurer que l’on envoie ses mails avec les bons paramétrages
  • 🫑 Embellir son nouveau jardin
  • 📫 Découvrir le webmail (logiciel en ligne) de Gandi
  • 📱 Connecter son ordiphone
  • 💥 Quitter définitivement Google

Il a fallu 2 mois pour que les 30 personnes concernées suivent réellement ce tutoriel – voire rattrapent leur « retard » pour sortir leur mail de Google. Ce fut l’une des étapes les plus chronophages en termes de relance, de suivi personnel, de questions / réponses, de gestion de cas particuliers (certaines personnes n’avaient pas pu transférer leur mail à cause d’une connexion Internet trop faible par exemple). C’est aussi à ce moment que l’on devait bien vérifier qu’aucune autre donnée n’était encore stockée sur Google Drive / Google Photos / Agenda etc., ce qui a ralenti quelques personnes.

Conseil n°4 : pour motiver chaque personne à passer le pas, communiquer de façon informelle et encourageante !

💀 Octobre 2022 – Au revoir Google, tu ne vas pas me manquer

Même si nous avons tout fait pour être coercitifs, certaines personnes ont besoin de date limite pour prioriser leur travail. Trois semaines avant, la date butoir du 07 octobre est donc fixée pour motiver les dernières personnes.

🎄 Novembre 2022 – Jusqu’au bout !

La première date butoir et les nombreuses relances n’ont pas suffi à faire remonter en priorité n°1 à tou·te·s les collègues de sortir de Gmail.

Comme nous ne sommes pas des grands méchants, et que nous comprenons les difficultés et calendrier de chacun·e, nous redonnons du rab : le mardi 23 novembre. La veille de la fête des 10 ans de Grap, cela semble une date symbolique et assez lointaine pour réellement partir. Pour de bon.

Le mardi 23 novembre, à 13h35, nous étions 5 à nous réunir autour d’un ordinateur, observant ce moment… un peu stressant, comme quand on part d’un lieu en espérant n’y avoir rien oublié. À 13h43, Google était derrière nous.  ✊

To be continued…

Dans la troisième (et dernière) partie, nous continuerons notre récit de dégooglisation en faisant le bilan de cette démarche. A la semaine prochaine !

Si vous aussi, vous faites partie d’une organisation qui s’est lancée dans une démarche similaire et que vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à nous envoyer un message pour nous le faire savoir. On sera ravi d’en parler ici !




La dégooglisation du GRAP, partie 1 : La sortie de Google Drive

A l’été 2020, nous avons commencé à publier une série d’articles faisant le récit de démarches de transitions numériques éthiques réalisées au sein de plusieurs organisations. Nous avons mené les interviews de 3 structures (WebAssoc, l’Atelier du Chat Perché et la maison d’édition Pourpenser) et puis… ça s’est arrêté. Il y avait sûrement quelque chose de plus urgent à faire ensuite… ou peut-être que le second confinement fin 2020 nous a démotivé. Peu importe la raison en fait, l’important est qu’on s’y remette !

On a donc sauté sur l’occasion lorsque le GRAP (Groupement Régional Alimentaire de Proximité), une coopérative réunissant des activités de transformation et de distribution dans l’alimentation bio-locale, a publié le récit de sa dégooglisation. Nous reproduisons ici ce long texte en trois parties pour vous partager leur expérience.

 

De 2018 à cette fin 2022, nous avons travaillé à Grap à notre dégooglisation. Nous vous proposons ce long texte en trois parties pour vous partager notre expérience.

Son premier intérêt est de laisser une trace du travail fourni et d’en faire le bilan.
Le deuxième intérêt est de partager cette expérience à d’autres structures qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure.

Nous partageons dans ce texte les processus mis en place, les différentes étapes de cette dégooglisation, les difficultés rencontrées et quelques conseils.

Pour toute question ou retour, vous pouvez contacter le pôle informatique de Grap : pole-informatique <arobase> grap.coop

Bonne lecture et longue vie aux outils numériques émancipateurs et Libres !  🚲

Au début de Grap en 2012…

Il y a 10 ans, Grap naissait en tant que SCIC – Société Coopérative d’Intérêt Collectif. En 2012 est écrite une 1ère version du préambule des statuts qui décrit l’intérêt collectif qui réunit les associé·e·s de la SCIC. Ce préambule présentait alors que Grap aller « Contribuer au développement d’activités économiques citoyennes et démocratiques, c’est-à-dire […] travaillant dans une logique de partage des savoirs, en phase avec la philosophie Creative Commons ».

Cette 1ère référence au monde du Libre est complétée et enrichie 5 ans plus tard à l’occasion d’une révision du préambule des statuts, en 2017. Désormais le préambule des statuts indique que Grap entend :

Contribuer au développement d’activités économiques citoyennes et démocratiques […] promouvant l’économie des biens communs, c’est à dire :

  • Travailler dans une logique de partage des savoirs, en phase avec la philosophie Creative Commons
  • Promouvoir, contribuer et utiliser des logiciels libres au sens de la Free Software Foundation ; minimiser l’utilisation de logiciels sous licences privatives
  • Promouvoir, contribuer et utiliser des solutions informatiques qui n’exploitent pas de façons commerciales les données des utilisateurs et qui respectent leurs vies privées

Notre démarche de dégooglisation s’inscrit donc dans la continuité des choix politiques portés par les associé·e·s de la coopérative depuis sa création. Par dégooglisation, nous entendons ici le remplacement des logiciels propriétaires – qu’ils soient détenus par les GAFAM ou non – par des logiciels Libres.

Dès le début, il est décidé d’internaliser une partie de l’informatique au sein de l’équipe qui rend les services aux activités de la coopérative. [À Grap, nous utilisons le terme d’activité pour désigner les entreprises associées à Grap et les activités économiques de la Coopérative d’Activités et d’Emploi]. La majorité du temps informatique sera dédié au développement du progiciel libre OpenERP (nommé désormais Odoo) pour gérer la première activité d’épicerie (3 P’tits Pois à Lyon) de la coopérative.

Par pragmatisme économique et choix stratégique, les autres outils de la coopérative ne sont pas choisis par le critère de logiciel Libre ou non. Ainsi, la coopérative va utiliser Google Drive, Google Mail, Google Agenda, et aussi d’autres logiciels spécifiques comme EBP pour la compta ou Cegid Quadra pour la paie.

2018-2020/ Sortir de Google Drive pour Nextcloud

Après le départ d’un des cofondateurs et d’un informaticien en 2014, le service informatique va fonctionner avec 1 seule personne jusqu’à fin 2017. Sylvain Le Gal va alors consolider le périmètre existant (gestion d’une eBoutique, développements spécifiques à l’alimentaire dans OpenERP, connexion avec des balances client·es et migration de OpenERP 7.0 à Odoo 8.0).

Fin 2017, l’embauche de Quentin Dupont permet de gagner en temps de travail disponible et d’agrandir le périmètre des services du pôle informatique.

🌻 L’été 2018 pour valider l’alternative à Google Drive

Le choix du logiciel remplaçant se fait très facilement : Nextcloud est LA solution Libre qui s’impose autant par sa prise en main relativement simple pour des utilisateur·ices de tout niveau, que par l’engouement de sa communauté et son administration alors maîtrisée par le pôle informatique.

Il faut quand même s’assurer que toutes les fonctionnalités utilisées actuellement trouvent leur équivalent. Grâce aux différentes applications existantes sur Nextcloud, les différents besoins se retrouvent bien couverts.

🌸 À l’automne 2018, on prend la décision de sortir de Google Drive

Un changement de logiciel peut être l’occasion de revoir ses pratiques. Nous en profitons pour revoir notre arborescence de fichiers et de dossiers. Nous créons alors :

  • Un compte Nextcloud par :
    • personne physique de l’équipe interne
    • personne physique des activités qui ont des mandats particuliers (administrateur·ice au CA par exemple)
    • activité de la coopérative (donc par « personne morale ») et non pas par personne physique de la coopérative pour différentes raisons :
        • de nombreuses activités partagent réellement leurs ordinateurs tout au long de la journée
        • aucun intérêt à ce que chaque personne ait son compte, cela rajouterait une dose énorme de suivi de création de compte, de support, etc.
        • ce choix vient avec une limite : l’accès aux documents personnels avec le pôle social n’est pas possible
  • Un « groupe » Nextcloud pour chaque groupe autonome
    • un groupe par pôle de l’équipe interne
    • un groupe par mandat : DG, CA
    • un groupe par activité de la coopérative – regroupant le compte de la personne morale + les comptes des personnes physiques de cette activité qui ont des mandats particuliers.
  • Des dossiers communs pour travailler collaborativement
    • entre pôles de l’équipe
    • entre membres de la coopérative
    • entre mandataires (DG ou CA)

structure des dossiers NC au GRAP
La structure de dossiers présentée en nov. 2018 et qui est en place depuis.

Avec Nextcloud, nous avons donc pu créer une architecture plutôt simple pour les utilisateur·ices mais permettant de répondre aux complexités du travail collaboratif entre des profils bien différents.

Grâce aux droits d’accès paramétrables finement, le Nextcloud permet ainsi d’offrir plus de transparence et de collaboration dans la coopérative, que ce soit par les dossiers partagés totalement ou, à l’inverse, les dossiers dont l’accès n’est possible qu’en lecture sans possibilité de modifier.

💮 2019 – 2020 : la dégooglisation de 150 personnes dans 50 activités

Google Drive n’est pas seulement utilisé par l’équipe interne. L’outil est partagé à l’ensemble de la coopérative. C’est à dire à une cinquantaine – à l’époque – d’activités indépendantes, allant de l’entrepreneuse seule à la petite équipe de 10 personnes.

Il faut donc embarquer tout le monde dans ce changement.

  • Politiquement/théoriquement pas de soucis. Les méfaits de Google sont connus de la majorité des gens et théoriquement, nous n’avons jamais eu de désaccords sur l’idée de sortir de Google Drive.
  • En pratique, Google Drive s’avère être plutôt lourd à l’utilisation, pas bien maîtrisé ni maîtrisable, surtout concernant la gestion des partages qui est un véritable enfer (« Qui est le fichu propriétaire de ce fichier dont le propriétaire originel est parti de la structure / n’a plus de compte Google ? »).

En allant sur Nextcloud, nous allions maîtriser – et donc être responsables – des données de la coopérative, nous allions retrouver de la souveraineté et de la compétence sur le sujet.

Au printemps 2019, nous changeons aussi d’outil de documentation. Pour sa simplicité d’utilisation et son ergonomie générale, nous choisissons le logiciel Libre BookstackApp. Depuis, notre librairie tourne toujours aussi bien et héberge notre documentation informatique mais aussi toute la documentation stable de la coopérative.

Depuis 2020, la documentation informatique est librement consultable ici : https://librairie.grap.coop/shelves/informatique

💩 Une première difficulté : l’export des données de Google

L’export fut en effet très compliqué, trop compliqué pour un logiciel conçu par l’une des entreprises les plus puissantes au monde. L’export des données d’un Google Drive (à l’époque en tout cas) est extrêmement long et très peu sécurisant : Google fournit l’export en archives coupées en plusieurs parties (du style « ARCHIVE-PART01 » « ARCHIVE-PART02 »), archives dont une partie… pouvait être manquante (ex : on a la partie 01, 02, 04, 05 mais pas la partie 03), nécessitant de refaire un export entier.

Nous avons donc passé de nombreuses heures à exporter les données, puis nous les avons sécurisées sur un disque dur externe, avant de les envoyer sur notre Nextcloud.

🚀 Et tu formes formes formes, c’est ta façon d’aimer

Pour réussir à dégoogliser la coopérative, pas de miracle, on a enchaîné la formation des activités une à une, en mutualisant des formations par territoire géographique.

Chaque formation durait environ 1h30. En 2019, nous avons passé environ 150 heures de travail à la formation, l’accompagnement et la documentation de cette étape de dégooglisation (+ les heures techniques, voir bilan financier à la fin de ce récit). L’ensemble de la documentation – qui est un travail continu – est consultable ici : https://librairie.grap.coop/books/nextcloud

En janvier 2020, soit plus d’un an après la décision de passer sur Nextcloud, la migration était officiellement finie ! 🎉

🙊 Une difficulté pas anticipée : les limitations d’Onlyoffice pour les commandes groupées

Tout allait bien dans la dégooglisation progressive de la coopérative. Au cours de l’année 2019, la moitié de la coopérative utilise désormais Nextcloud au lieu de Google Drive !

Un des avantages de la coopérative pour les activités est de pouvoir mutualiser de nombreux sujets. Un de ces sujets est l’approvisionnement en produits artisanaux en circuits courts grâce à une logistique interne – Coolivri. Cette logistique s’appuyait à l’époque sur un GROS fichier tableur en ligne sur Google Drive.

Le 2 août 2019, une première commande groupée d’oranges et d’agrumes est lancée sur le Nextcloud et toutes les prochaines commandes groupées vont débarquer sur le Nextcloud, géré par l’application Onlyoffice.

Et c’est vers cette période que l’on se rend compte que l’application disponible d’Onlyoffice a une limitation : pas plus de 20 personnes connectées simultanément sur l’ensemble des fichiers collaboratifs du nuage ! À l’époque nous devions avoir une soixantaine d’utilisateur·ices et une équipe interne qui l’utilise toute la journée : ce n’était pas tenable.

mème limitations OnlyOffice

Cette limitation n’est pas technique, mais bien un choix délibéré de l’entreprise développant le logiciel pour amener à payer une licence permettant d’accéder au logiciel sans limitation. Un modèle freemium en soi. Cette question du modèle économique et de ce qu’est un « vrai » logiciel libre est bien sûr compliqué, et amènera de nombreux débats dans les forums de discussion de Nextcloud.

Fin 2019, nous nous questionnons réellement sur le fait de payer cette licence (coût à l’époque : ~1500€ en une fois pour 100 utilisateur·ices simultanées).

Après avoir écumé les Internets, contacté toutes les structures amies qui auraient la même problématique, la solution vient finalement de la communauté elle-même qui est partagée sur le fait de contourner cette limitation qui constitue le modèle économique de l’entreprise développant Onlyoffice. Un développeur bénévole a réussi à reproduire le logiciel (légalement car le logiciel est Libre) en enlevant cette limitation !

Depuis, nos commandes groupées ont été rapatriées sur Odoo grâce à un gros développement interne, en faisant un outil beaucoup plus résilient et solide. Et nous continuons d’utiliser Onlyoffice dans des versions communautaires trouvées par ci par là.

Google en 2022 s’inquiète 😉

To be continued…

Dans la seconde partie, nous continuerons notre récit de dégooglisation, nous permettant de nous débarrasser de Google Agenda puis du mastodonte.. Gmail !

Si vous aussi, vous faites partie d’une organisation qui s’est lancée dans une démarche similaire et que vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à nous envoyer un message pour nous le faire savoir. On sera ravi d’en parler ici !




L’aventure de la modération – épisode 5 (et dernier ?)

Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.

Voici le cinquième. Le dernier, pour l’instant.

Si vous avez raté les articles précédents, vous pouvez les retrouver par ici :
– Chapitre 1 : Un contexte compliqué
– Chapitre 2 : La découverte de la modération
– Chapitre 3 : La pratique de la modération
– Chapitre 4 : Bilan

 

Pour conclure cette série de textes sur la modération, et maintenant que j’ai grandement détaillé comment il est possible, sur Mastodon, d’avoir une modération qui fait le taf, je voulais revenir sur pourquoi, à mon avis, il est impossible pour les grandes entreprises capitalistes de faire correctement de la modération (et pourquoi ça ne sert à rien de leur demander de faire mieux !).

 

C’est le cœur de cette série car je suis très frustrée de voir systématiquement une bonne analyse faite sur les problèmes des outils, qui se casse la figure au moment d’évoquer les solutions. Alors c’est parti !

 

N.B. : je fais cette analyse sans considérer qui est le PDG au moment où je publie car je pense que ça ne change pas grand chose sur le fond, au pire le nouveau sera plus transparent sur sa (non-)politique de modération.

 

Twitter ne fera pas mieux car…

Twitter ne veut pas dépenser d’argent pour construire des équipes de modération

 

Vous le savez sans doute, c’est passé dans de nombreux articles comme celui de Numérama : Twitter assume n’avoir quasiment pas de modérateurs humains

Twitter emploie 1 867 modérateurs dans le monde.

 

Pour 400 millions d’utilisateurices, ça fait 1 modérateurice pour 200 000 comptes. Donc évidemment la modération ne peut pas être suffisante et encore, on ne sait pas comment les effectifs de modération sont répartis selon les langues. Il est évident qu’il est extrêmement difficile de modérer, alors modérer dans une langue qu’on ne maitrise pas c’est mission impossible !

 

Je rajoute rapidement qu’en plus, contrairement à ce que j’évoquais dans mes articles précédents sur « comment prendre soin » et construire un collectif de modération, il n’y a absolument aucune notion de soin et de collectif lorsque l’on est modérateurice chez Twitter. Il y a au contraire des conditions de travail délétères qui amplifient le problème : interdiction de parler à ses collègues, de raconter à l’extérieur ce à quoi on a été confronté, pression temporelle intense donc pas possible de récupérer après un moment violent.

 

Bref, Twitter veut économiser de l’argent, et le fait notamment sur le dos de ses modérateurices qui sont envoyées au massacre psychologique de la modération, et donc au détriment de ses utilisateurices les plus fragiles.

 

 

Pepper la sorcière et Carrot le chat dorment paisiblement contre un éléphant (un mastodonte) dans une jolie jungle.
My Neighbor Mastodon – CC-BY David Revoy

Twitter préfère les robots

Face aux critiques qui lui sont faites, Twitter répond qu’il compte sur l’automatisation des robots pour faire ce travail pénible.

Je pense que cette posture ne tient pas pour plusieurs raisons :
1. C’est technosolutionniste que de penser que des robots peuvent répondre à un problème social (et donc à mon avis voué à l’échec).

2. Les robots sont alimentés par ce que nous leur donnons, et donc remplis de biais qu’ils vont répercuter dans leur politique de modération. Dans un collectif de modérateurices, ces biais sont atténués par les débats et discussions. Je ne crois pas que les robots soient très portés sur la discussion de ce qui est juste ou non.

3. Le contexte est primordial en modération, et un robot ne peut pas être assez « intelligent » pour comprendre ce contexte. Pour exactement le même contenu, selon d’où parle la personne, la réponse de modération ne sera pas la même. Vous imaginez bien qu’entre une femme qui dit subir du sexisme ou un homme, on n’est pas sur la même action à réaliser, l’une subit une oppression systémique tandis que l’autre récupère maladroitement ou stratégiquement un mot en le détournant.

 

Les robots ne sont donc pas une solution sur laquelle on peut compter, mais sont une bonne façon de détourner la discussion du sujet « Pourquoi n’avez-vous pas plus de modérateurices ? ». Il vaut mieux répondre « Le boulot est trop ingrat, on préfère que se soit des robots, on les améliore chaque jour » plutôt que « on ne veut pas mettre d’argent à payer des modérateurices et puis quoi encore ? ». (Quoique en ce moment, il y a une bonne clarification des postes considérés comme utiles chez Twitter, et la modération n’en fait pas partie !).

 

On pourra me dire : «oui mais un robot, c’est fiable car ça prend toujours les mêmes décisions !»

Et c’est peut-être vrai, mais pourquoi avons-nous besoin d’une modération qui ne bouge pas dans le temps ? Comment s’améliorer, comment faire évoluer nos pratiques si toute la connaissance est refilée aux robots ?

 

Nous avons besoin de remettre de l’humain dans nos médias sociaux, et déléguer aux robots ne fait que contourner le problème.

 

Twitter a besoin que les gens soient blessés

 

Enfin, de par le fonctionnement même de Twitter, le réseau social a besoin pour son modèle économique de gens qui souffrent, qui sont malheureux, blessés, en colère, pour gagner plus d’argent.

 

C’est le principe de l’économie de l’attention : plus vous restez sur un média social, plus vous partagez vos données, regardez des pubs, interagissez et faites rester les autres.

 

Et pour vous faire rester, rien de tel que de vous confronter à ce qui vous énerve, ce qui vous fait vous sentir mal, ce qui vous fait réagir.

 

Pour cela, les comptes d’extrême-droite sont de l’or en barre : ils passent leur temps à dire des saloperies, et à un moment l’une d’elle va forcément vous toucher plus particulièrement qu’une autre, soit parce que vous êtes concerné·e, soit parce que quelqu’un de votre entourage l’est.

 

Ensuite on cite le tweet concerné en disant qu’il faut surtout pas écouter ce genre de personne, on déconstruit l’argumentaire en un fil de huit tweets, tout cela augmente la visibilité du contenu initial et donc d’idées d’extrême-droite, personne n’a changé d’avis à la fin mais vous vous sentez sans doute encore moins bien qu’au début, ou plus énervé·e… et chouette pour Twitter, parce qu’être en colère ou triste ça rend davantage sensible à la publicité.

 

Vous l’aurez compris, il y a donc par nature un problème de fond : si Twitter vire tous les comptes d’extrême-droite, son chiffre d’affaire va chuter. Alors il peut promettre la main sur le cœur qu’il compte le faire, les yeux dans les yeux, et vous avez le droit de le croire.

 

Pour moi les résultats sont là, rien ne se passe, et il n’y a pas de raison que ça s’arrange avec le temps (au contraire !).

 

Oui mais… et la violence à laquelle sont soumis les modérateurices dans tout ça ?

 

Les entreprises capitalistes du numérique entretiennent savamment la croyance que puisqu’il y a de la violence dans le monde, il n’y a rien à faire, quelqu’un doit bien se farcir le taf ingrat de subir cette violence transposée sur les réseaux sociaux, et ces personnes, ce sont les modérateurices.

 

Je ne suis pas d’accord.

 

Je pense que nous pouvons collectivement améliorer de beaucoup la situation en priorisant des technologies qui prennent soin des humains, et qu’il est immoral de perpétuellement déléguer le travail de soin (des enfants, de la maison, des espaces en ligne) à des personnes qui sont toujours plus mal payées, plus précaires, plus minorées, à l’autre bout du monde…

 

Nous pouvons avoir des réseaux qui fonctionnent correctement, mes articles sur Mastodon en font l’exemple.

 

Est-ce que c’est parfait ? Non, mais au moins, la modération est gérée à petite échelle, sans la déléguer à des personnes inconnues qu’on rémunère de façon honteuse pour faire le « sale travail » en leur détruisant la santé.

 

Et si à terme Mastodon grossit tellement qu’il sera soumis aux contenus les plus atroces, et que cela rendra la modération impossible ou complètement délétère pour les modérateurices, eh bien il sera temps de l’améliorer ou de tout fermer. Parce que nous pouvons aussi faire le choix de ne pas utiliser un outil qui abime certain·es d’entre nous plutôt que de fermer les yeux sur cette violence.

 

Peut-être que le fonctionnement fondamental des réseaux sociaux a finalement des effets délétères intrinsèques, mais pourquoi se limiter à ça ? Pourquoi ne pas discuter collectivement de comment faire mieux ?

 

Et sur un autre registre, il est aussi possible de mettre de l’énergie en dehors de la technologie, sur un retour à plus de démocratie, plus de débat apaisé. Parce que peut-être que si chacun·e retrouve une confiance sur le fait que son avis et ses besoins seront entendus, il sera possible de retrouver collectivement plus de sérénité, et cela se ressentira sûrement dans nos interactions numériques.

 

Un autre monde (numérique) est possible, il nous reste à le construire, pour contribuer à une société empreinte de justice sociale où le numérique permet aux humain·es de s’émanciper, à contre-courant des imaginaires du capitalisme (de surveillance).

 

« Mastodon, c’est chouette » sur Grise Bouille, par @gee@framapiaf.org
https://grisebouille.net/mastodon-cest-chouette




L’aventure de la modération – épisode 4

Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.

Voici le quatrième.

Alors maintenant que je vous ai dit tout ça, faisons un petit bilan des avantages et surtout des limites de ce système !

Si vous avez raté les articles précédents, vous pouvez les retrouver par ici :
– Chapitre 1 : Un contexte compliqué
– Chapitre 2 : La découverte de la modération
– Chapitre 3 : La pratique de la modération

 

Pepper la sorcière et Carrot le chat dorment paisiblement contre un éléphant (un mastodonte) dans une jolie jungle.
My Neighbor Mastodon – CC-BY David Revoy

Les avantages

Je vais être courte parce que mon point n’est pas ici d’encenser Mastodon, donc je ne creuserai pas trop les avantages. Cependant je ne peux pas m’empêcher de remettre en avant deux points majeurs :

Indéniablement, on bloque très vite les fachos. C’est quand même, à mon avis, le grand intérêt, qui n’est pas assez connu au-delà de Mastodon. De ce fait nous avons une exigence collective très faible par rapport à la modération : quand Twitter annonce qu’il ne peut pas faire mieux, on le croit sur parole alors qu’une alternative sans moyens d’envergure y arrive… Journalistes spécialisés si vous lisez ce message !

 

Ensuite, le fonctionnement est beaucoup plus démocratique car : ce sont des humains que vous choisissez qui font la modération. Et ça, ça change beaucoup de choses. Déjà parce qu’on est dans un fonctionnement beaucoup plus… artisanal de la modération, donc potentiellement avec plus de proximité, dans l’idéal on peut discuter / appeler à l’aide ses modérateurices… et même selon les endroits, proposer de participer à la modération et ça, ça compte pour se rendre compte du boulot que c’est, et participer aux décisions importantes !

 

Les limites

 

Comme rien n’est parfait, et que nous sommes sur une alternative qui évolue tout le temps, quelques points qui restent des limites malgré le modèle anti-capitaliste de Mastodon.

 

Temps de traitement d’un signalement

 

Il y a un difficile équilibre entre le temps de traitement d’un signalement et le temps d’entendre plusieurs avis du collectif de modération. Je pense qu’il est sain de prendre le temps, mais il y a des situations où l’un·e des modérateurices peut considérer qu’il y a « urgence » et dans ce cas, attendre 48h c’est beaucoup (pour protéger une personne par exemple). C’est un point que nous n’avons pas encore creusé à Framasoft (comment gérer le dilemme rapidité d’action vs. disponibilité du collectif), mais que je me note de rajouter en discussion pour nos prochaines retrouvailles !

 

Encore une fois je parle là des cas difficiles à départager. Si il s’agit de pédopornographie, les salariés de Framasoft sont déjà habitués à devoir réagir rapidement pour supprimer le contenu, donc je ne traite pas ce sujet ici car il n’est pas spécifique.

 

Beaucoup d’utilisateurices, beaucoup de problèmes

Framasoft est une association très connue, et nos utilisateurices nous choisissent souvent car iels ont confiance en nous (merci !).

Mais cela entraine une responsabilité compliquée à gérer : plus de monde chez nous, ça nous fait plus de travail, de modération notamment.

 

Aussi, dans un cadre plus large qui était celui de la déframasoftisation d’Internet, nous avons fermé les inscriptions, ce qui nous a permis d’alléger la charge de notre coté.

 

Et comme tous les Mastodon sont interconnectés, il est possible d’aller s’inscrire ailleurs pour suivre ce qui se passe chez nous, donc c’est un fonctionnement technique qui nous permet de mieux vivre le travail de modération… youpi !

 

Éviter la « spécialisation » des modérateurices

 

Lors de la mise en place d’une équipe de modération à Framasoft, il a fallu faire un petit temps de formation-découverte à l’interface de modération de Mastodon.

 

Or on a vu apparaitre assez rapidement une « spécialisation » entre celleux qui « savaient » utiliser l’interface, et celleux qui n’osaient pas car ne « savaient pas » l’utiliser.

 

Pourtant il y a beaucoup de valeur à ce que la connaissance autour des outils circule auprès de tou·tes celleux que cela peut intéresser :
— Pour qu’il y ait de plus en plus de modérateurices, ce qui répartit le temps dédié à la modération,
— Pour que la discussion soit ouverte à des personnes qui n’ont pas la tête plongée dans la modération, ça permet d’entendre d’autres paroles, c’est appréciable.

 

Pour résoudre ce problème, nous avons organisé des visios de modération !

C’est une pratique que nous avons dans ma coopérative : faire des tâches chiantes, c’est quand même bien plus sympa ensemble !

Alors quand l’un de nous disait « bon, là, il y a quand même beaucoup de signalements qui s’accumulent » je répondais parfois « ça vous dit on fait une visio pour les traiter ensemble ?! »

 

Nous n’avions pas besoin d’être beaucoup, à 2, 3 ou 4 c’était déjà bien plus sympa, même les contenus agressifs sont plus faciles à traiter quand les copains sont là pour faire des blagues ou râler avec toi ! Nous lancions un partage d’écran, idéalement d’une personne pas hyper à l’aise pour l’accompagner, et nous traitions les signalements.

 

Autre effet bénéfique : la boucle de « je demande leur avis aux copaines, j’attends, je traite le signalement » est raccourcie car nous pouvons collectivement débattre en direct du problème. C’est vraiment une façon très sympa de faire de la modération !

 

Les « On va voir » et autres « On peut pas savoir »

 

Enfin, si tout cela est possible actuellement, une part de moi me demande si ce n’est pas dû au fait que Mastodon passe encore « sous les radars ».

C’est un sentiment que j’ai tendance à minimiser vu que cela ne nous a pas empêché d’avoir des hordes de comptes d’extrêmes droites qui se ramenaient. Donc une part de moi pense que le réseau (qui a déjà six ans donc on est loin du petit truc tout nouveau qui a six mois) a un fonctionnement déjà résilient.

Et une autre partie de moi sait qu’elle n’est pas voyante, donc on verra bien dans le futur !

 

Par contre je voudrais insister sur le fait qu’on ne peut pas savoir. Tous les articles qui vous expliqueront que Mastodon ne peut pas fonctionner parce que « intégrer un argument d’autorité sur le fait que ce n’est pas assez gros » ne sont pas mieux au courant que les utilisateurices et administrateurices depuis des années. Et je n’ai pour l’instant vu aucun argument pertinent qui aurait tendance à montrer que le réseau et ses modérateurices ne peut pas supporter une taille critique.

 

Comme d’hab, le secret : il faut prendre soin

 

Cette conclusion ne va étonner personne : La solution pour une bonne modération, c’est de prendre soin.

 

Prendre soin des utilisateurices en n’encourageant pas les discours haineux (techniquement et socialement), en ne les propageant pas (techniquement et socialement).

 

Prendre soin des structures qui proposent des petits bouts de réseaux en leur évitant d’avoir trop de pouvoir et donc trop de responsabilités sur les épaules (et trop de coûts).

 

Prendre soin des modérateurices en les soutenant via un collectif aimant et disponible pour leur faire des chocolats chauds et des câlins.

Cher·e modérateurice qui me lis, tu fais un boulot pas facile, et grâce à toi le réseau est plus beau chaque jour. Merci pour ton travail, j’espère que tu as un collectif qui te soutiens, et que se soit le cas ou non, pense à avoir sous la main le numéro d’un·e psychologue, au cas où un jour tu tombes sur quelque chose de vraiment difficile pour toi/vous.

 

Cœur sur vous <3

 

Et pour finir ?

Je n’ai pas pu m’empêcher de conclure avec un billet dédié au contraste entre mon expérience de la modération et ce qui se passe sur Twitter. La semaine prochaine paraîtra donc un billet spécialement dédié à l’oiseau bleu : et Twitter alors ?