Quand le patron de Google donne la leçon à l’Angleterre sur l’éducation

Rex Pe - CC byLittéraire ou scientifique ? Non, littéraire et scientifique !

La fameuse séparation culturelle française semble également de mise en Angleterre. Et selon le Directeur exécutif de Google, Eric Schmidt, elle est fortement handicapante dans le monde d’aujourd’hui.

Il est quelque part étrange de voir une multinationale faire la leçon à un État. Mais telle est l’époque dans laquelle nous vivons, et le pire c’est que Schmidt a raison. La critique fait mal pour un pays qui a été si innovant par le passé.

Il juge en outre tout à fait incohérent de ne pas enseigner l’informatique à l’école[1] pour comprendre comment les logiciels sont conçus plutôt que de se contenter de savoir les utiliser.

La situation est peu ou prou identique en France. Et nous risquons fort d’accompagner, voire devancer, la Perfide Albion dans sa chute si nous n’y faisons rien[2].

Eric Schmidt, président de Google, critique vertement le système éducatif britannique

Eric Schmidt, chairman of Google, condemns British education system

James Robinson – 26 août 2011 – The Guardian
(Traduction Framalang : DéKa)

Schmidt critique la division entre les sciences et les arts et lettres et affirme que le Royaume-Uni « devrait revenir sur les heures de gloire de l’ère victorienne ».

Le président de Google a très violemment critiqué le système éducatif britannique soutenant que le pays a échoué à exploiter sa position dominante en matière d’innovation technique et scientifique.

Au cours de la conférence annuelle Mac Taggard à Edimbourg, Eric Schmidt a évoqué « une dérive vers les sciences humaines » et a critiqué l’émergence de deux champs antagonistes « se dénigrant l’un l’autre, autrement dit, pour reprendre une expression locale, vous êtes soit un lettré, soit un matheux ».

Schmidt s’en est également pris à Lord Sugar, haut responsable du Parti travailliste et star du programme de la BBC The Apprentice, qui a récemment déclaré au cours de l’émission que les « ingénieurs n’étaient pas de bons commerciaux ». Schmidt a confié au MediaGuardian Edinburgh international TV festival : « Au cours du siècle dernier, la Grande Bretagne a brusquement cessé de former et d’encourager ses polymathes. Il faut à nouveau réunir les sciences et les arts ».

Ce vétéran de la technologie, qui a rejoint Google il y a dix ans pour aider les fondateurs Larry Page et Sergey Brin à développer la société, soutient que l’Angleterre devrait se pencher sur ses « heures de gloire » de la période victorienne pour se rappeler que les deux disciplines peuvent travailler ensemble.

« Il fut un temps où c’était les mêmes personnes qui écrivaient des poèmes et fabriquaient des ponts », dit-il, « Lewis Carroll n’a pas uniquement écrit l’un des contes les plus célèbres au monde. Il était également professeur de mathématiques à Oxford. Et Einstein disait de James Clerk Maxwell qu’il n’était parmi seulement l’un des meilleurs physiciens depuis Newton mais aussi un poète confirmé. »

Les commentaires de Schmidt font écho à ceux de Steve Jobs, qui a révélé cette semaine qu’il cessait son activité au sein d’Apple. Ce dernier a un jour confié au New York Times que « si le Macintosh a eu un tel succès c’est parce que les gens qui ont participé à sa conception étaient des musiciens, des artistes, des poètes et des historiens, qui se trouvaient être également d’excellents informaticiens ». Schmidt a rendu hommage à la si réputée innovation britannique, rappelant que le Royaume-Uni avait « inventé les ordinateurs aussi bien en théorie qu’en pratique », avant de souligner que le premier ordinateur de bureau « a été construit en 1951 par J. Lyons, originellement une chaîne de magasin de thé ».

« Cependant », dit il, « le Royaume-Uni n’a pas réussi à concrétiser ses idées pour créer de durables industries dominantes sur le marché ».

« Le Royaume-Uni est le berceau de temps d’inventions liées au médias. Vous avez inventé la photographie. Vous avez inventé la télévision », dit-il, « Pourtant aujourd’hui aucun des grands leaders de ces deux domaines ne provient du Royaume-Uni ». Et d’ajouter : « Merci pour vous innovations et vos brillantes idées. Vous n’en tirez cependant aucun bénéfice à l’échelle mondiale ».

Selon lui, les start-ups britanniques d’une certaine dimension ont toujours fini par se vendre à des sociétés étrangères, alors que c’est le contraire qui devrait se produire. « Le Royaume-Uni apporte un réel soutien à ses petites et moyennes entreprise, mais il n’y a pas grand intérêt faire germer des milliers de graines si c’est pour les laisser dépérir ou les transplanter à l’étranger. Les entreprises britanniques ont besoin d’être défendues pour pouvoir se faire une place sur le marché international, sans avoir à se vendre à des sociétés étrangères. Si vous ne relevez pas ce défi, le Royaume-Uni sera toujours le berceau de l’invention, mais pas du succès à long terme. »

Schmidt a expliqué qu’à force de ne pas enseigner la programmation à l’école, le pays inventeur de l’ordinateur était en train de « se débarrasser d’un important héritage informatique ». « J’étais sidéré », dit-il, « d’apprendre qu’il n’existe même pas d’enseignement de base de l’informatique dans les écoles britanniques aujourd’hui. Votre programme de technologie se concentre sur la manière d’utiliser un logiciel, mais n’explique pas comment il a été conçu. »

Barack Obama a annoncé en juin que les Etats-Unis formeraient 10 000 ingénieurs en plus par an. « J’espère que d’autres vont suivre. Le monde a besoin de plus d’ingénieurs », a continué Schmidt. « Pour que les entreprises innovantes britanniques puissent s’épanouir dans l’avenir digital, vous allez avoir besoin de gens capables de comprendre toutes ses facettes. Prenez exemple sur les Victoriens et ignorez les préjugés d’un Lord Sugar : Intégrez des ingénieurs dans vos sociétés à tous les niveaux, même les plus élevés. »

Notes

[1] Crédit photo : Rex Pe (Creative Commons By)

[2] On pourra également lire l’article de Slate.fr La programmation pour les enfants: et pourquoi pas le code en LV3 ?




Les enfants Montessori et le logiciel libre partagent de nombreux points commmuns

Brian Glanz - CC by-saNée dans un quartier pauvre de Rome il y a plus d’un siècle, l’originale pédagogie Montessori n’a jamais cessé d’essaimer et connaît même un fort regain d’intérêt à l’aube de ce nouveau millénaire qui nous demande une solide capacité d’adaptation aux changements.

Les fondateurs de Google ont été dans une école Montessori. Et le créateur du cèlèbre jeu SimCity en parle en ces termes : « Montessori m’a enseigné la joie de la découverte. Cela m’a montré que l’on pouvait s’intéresser à des théories complexes, comme celles de Pythagore par exemple, en jouant avec des cubes. Il s’agit d’apprendre pour soi-même plutôt que de recevoir l’enseignement du professeur. SimCity est directement issu de Montessori – si vous donnez aux gens ce modèle de construction des villes ils en tireront les principes de l’urbanisme ».

Michael Tiemann, figure du logiciel libre travaillant chez Red Hat mais aussi jeune papa, tente ici de rapprocher les deux domaines parce qu’il y voit de nombreux points communs. L’une de ses hypothèses est qu’un enfant qui aura suivi une méthode Montessori sera plus à même de comprendre, s’intéresser et s’impliquer dans le logiciel libre[1].

Par extension et extrapolation, sera-t-il plus à même de comprendre, s’intéresser et s’impliquer dans le monde d’aujourd’hui mais surtout de demain ?

Remarque personnelle : Je constate que de plus en plus de parents « bobos de gauche urbains » placent leurs enfants dans des écoles privées Montessori, pour l’épanouissement général de l’enfant mais aussi pour échapper à la carte scolaire et l’école publique du quartier.

Montessori et la voie de l’Open Source

Michael Tiemann – 12 août 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : ZeHiro et Mammig2)

Montessori and the open source way

J’ai lu avec grand plaisir l’article de Steve Denning « Montessori est-il à l’origine de Google et Amazon ? ». Son argumentaire est solide, il s’appuie sur de nombreux faits scientifiques, et il expose les résultats remarquables que l’on peut obtenir quand nous pouvons Faire confiance à l’enfant. Il écrit si bien et de façon si claire qu’il est inutile que je répète ses propos, vous pouvez (et devriez !) lire directement son article. Mais nous pouvons le compléter, en particulier en comprenant comment les principes et la philosophie de l’open source sont si proches de la méthode éducative de Montessori.

C’est en tant que parent, et assez tardivement, que j’ai découvert l’éducation Montessori. Au début, je ne connaissais strictement rien aux travaux de Montessori, mais l’école de ma fille prenait très au sérieux ses écrits et j’ai ainsi commencé à voir les liens profonds et étroits entre des activités scolaires en apparence simples. Après avoir lu La science derrière le génie, le schéma complet m’est apparu plus clairement, et depuis je suis devenu un fervent partisan de la méthode Montessori.

La thèse Faire confiance à l’enfant, développée par Montessori, repose sur l’idée d’accompagner le développement de l’individu. Montessori a montré que lorsque des enfants sont privés de la possibilité de faire leurs propres choix, alors leur personnalité ne se développe pas complètement, et ils peuvent dépendre beaucoup trop des autres pour prendre des décisions les concernant. Par analogie, l’open source permet à tous les participants, qu’ils soient utilisateurs, développeurs, distributeurs ou mainteneurs de devenir de vrais contributeurs. Cette opportunité encourage non seulement à améliorer le logiciel (dont la qualité peut être perçue comme 100 fois supérieure à celle des logiciels propriétaires), et le plus important est qu’il encourage également les individus à s’améliorer. C’est ce que j’ai pu constater en étant dans l’open source depuis plus de vingt ans et en tant que parent Montessori depuis dix ans.

“Faire confiance à l’enfant” ne se limite pas à observer ce que fera un enfant dans le cadre d’un programme éducatif imposé. Dans l’éducation Montessori, tout l’environnement est disponible pour étudier, et les enfants sont encouragés à passer du temps à l’extérieur, pour observer, inventorier, s’interroger, et chercher les connaissances nécessaires pour répondre à leurs questions. La démarche scientifique est modulaire et évolutive, c’est à dire que des résultats sont obtenus à partir de résultats qui proviennent eux-mêmes d’autres résultats.

Ces résutats scientifiques doivent être reproductibles ou bien ils ne sont pas scientifiquement acceptables. De façon similaire, la modularité naturelle des logiciels open source fait qu’ils deviennent eux-même une forme de science de la programmation. Les modules peuvent être aussi librement utilisés que les résultats scientifiques peuvent être librement reproduits. Et tout comme un grand scientifique essayera de rendre ses résultats aussi simples et accessibles que possible, il existe une forme de reconnaissance similaire pour ceux qui écrivent des logiciels qui sont le plus possible généralistes, portables, et techniquement transparents.

Une valeur primodiale de la méthode Montessori est que l’apprentissage devrait être l’affaire de toute une vie. Denning paraphrase ceci en disant que l’éducation n’est pas une destination mais un voyage. Denning observe également que ceux qui voient dans l’obtention de leurs diplômes universitaires le boût du chemin, se retrouvent dans une impasse en cas de changement. Pour ceux qui envisagent l’apprentissage comme un exercice de longue haleine, alors le changement est simplement une nouvelle opportunité d’apprendre. De la même façon, les logiciels open source ont tendance à avoir un avenir ouvert et en perpétuel développement. De nombreux logiciels et frameworks propriétaires s’élèvent puis chutent car ils sont conçus avec une idée d’achèvement. Au contraire, les logiciels open source sont constament re-écrits, re-inventés et leurs objectifs modifiés. En regardant l’évolution de Linux au court des vingt dernières années je me suis dit : a-t-il déjà existé un système d’exploitation qui ait autant évolué, aussi rapidement et soit allé aussi loin ? Voilà tout le génie d’une vision de l’apprentissage à long terme.

Un dernier point : Les enfants Montessori sont-ils enthousiastes à l’idée de mettre les mains dans le code source ? La réponse evidente vous fournira, s’il en était besoin, une ultime preuve des atomes crochus entre Montessori et l’open source.

Notes

[1] Crédit photo : Brian Glanz (Creative Commons By-Sa)




Aurions-nous un train d’avance sur l’organisation du monde de demain ?

Victor Bezrukov - CC byIl est désormais acquis qu’une expérience de contributeurs dans une ou plusieurs communautés du logiciel libre est un atout dans le secteur professionnel informatique. Mais, dans ce monde qui bouge et qui commence à mettre de l’« open » à toutes les sauces, elle pourrait l’être également bien au-delà.

C’est pourquoi il est bon d’encourager les jeunes à se lancer et participer. C’est pourquoi aussi il est proprement scandaleux que les instances éducatives françaises continuent superbement d’ignorer le logiciel libre et sa culture.

PS : Oui, je sais, ni le titre, ni mon intro, ni la photo[1] ne collent parfaitement avec la traduction qui va suivre, mais bon un peu quand même ! Et puis le titre est joli non ? Vous auriez préféré « Les winners de demain sont dans le logiciel libre » ? Non quand même pas !

Sur un difficile marché du travail, votre expérience dans le monde de l’open source pourrait être un atout à plus d’un titre

In a tough job market, your open source experience may be an asset in more ways than one

Chris Grams – 16 août 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Poupoul2 et Marting)

Cela vous ressemble-t-il ?

Depuis longtemps, vous utilisez des logiciels open source ou contribuez à des projets open source. Vous utilisez peut-être régulièrement des outils open source dans votre activité professionnelle, ou encore préférez-vous seulement vous amuser avec, pour le plaisir ou pour maitriser de nouvelles compétences.

Vous êtes connus pour raconter des histoires (peut-être véridiques) qui montrent que vous appartenez au monde de l’open source depuis longtemps (de « Je me souviens avoir téléchargé la première version de Fedora » à « Je me trouvais dans la pièce où le terme open source a été inventé »). Mais plus important encore, vous vous considérez comme un membre actif d’une ou plusieurs communautés open source.

Pensez-vous que le temps passé à contribuer à ces communautés open source pourrait être plus qu’une bonne expérience technologique ? Qu’il pourrait vous préparer à des emplois qui n’ont aucun rapport avec l’usage ou la fabrication du logiciel ?

J’ai étudié l’histoire et les sciences politiques à l’université. Non parce que je voulais devenir politologue ou historien, mais parce que, enfin… en fait je ne le sais pas vraiment. Mais au final, je suis réellement heureux d’avoir étudié ces matières.

Pourquoi ? Elles m’ont apporté des tonnes d’expérience lorsque je faisais de la recherche ou que j’écrivais, elles m’ont appris à organiser efficacement mes idées et mes pensées. Bien que je ne me rappelle pas comment Alexandre le Grand a battu les Perses à la bataille d’Issos et que je ne sois plus capable de réellement comparer les points de vue de Rousseau et Locke, j’utilise de nombreuses compétences acquises lorsque j’étudiais quotidiennement ces sujets.

Au risque d’avoir l’air de faire de la publicité pour une éducation aux arts libéraux, permettez-moi d’aller plus loin.

Pendant que vous avez joyeusement participé à des communautés open source parce que vous aviez besoin d’un morceau de logiciel ou que vous souhaitiez le rendre meilleur, il se pourrait que vous bénéficiez d’un effet secondaire important. Vous pourriez avoir acquis une expérience de la gouvernance des organisations du futur.

Au cours des quelques années passées, j’ai eu la possibilité de travailler avec des organisations de différentes industries, dont la finance, l’éducation, les services, l’hôtellerie, et même dans des environnements gouvernementaux ou non gouvernementaux. Nombre d’entre-elles sont occupées à explorer comment elles peuvent être plus compétitives, grâce à l’utisation de techniques que nous, dans le monde de l’open source, avons déjà mises en œuvre avec succès.

Par exemple, certaines souhaitent tester des projets collaboratifs à grande échelle, impliquant des participants qui ne sont pas membres de leurs organisations. D’autres veulent savoir comment créer des méritocraties internes où les gens se sentent investis et où les meilleures idées peuvent venir de n’importe où. D’autres encore souhaitent démarrer des relations plus riches avec la communauté de ceux qui se soucient de leurs organisations. Si vous êtes un lecteur d’opensource.com, vous nous avez vu mettre en valeur de nombreux exemples dans les affaires, les gouvernements, l’éducation, la santé ou autres.

Ces organisations ont beaucoup à apprendre de ceux d’entre vous qui ont déjà une expérience pratique réelle dans de véritables communautés.

Dans son libre Outliers, Malcolm Gladwell a introduit l’idée que ceux qui sont devenus des sommités mondiales dans leur art (il cite comme exemples Mozart, Steve Jobs et les Beatles) y sont parvenus en partie parce qu’ils ont été capables de le pratiquer de manière démesurée avant les autres dans leur domaine. Selon les recherches que Gladwell cite dans son livre, une personne a besoin de 10000 heures de pratique pour atteindre la maîtrise.

À combien êtes-vous de ces 10000 heures de participation dans le monde de l’open source ? Si vous avez passé 40 heures par semaine dans des communautés open source pendant 5 ans, vous avez peut-être déjà acquis vos 10000 heures.

Mais même si vous n’avez pas encore vos 10000 heures, je crois que vous en savez déjà beaucoup sur les modes de fonctionnement des communautés open source.

Ainsi, si vous croyez que les organisations du futur pourraient être gouvernées grâce aux principes actuellement utilisés avec succès dans les communautés open source, et que vous y avez une copieuse expérience de contribution, pourriez-vous avantager une organisation qui recherche des moyens plus efficaces, pour être plus compétitive ? Et pourriez-vous être un atout pas uniquement par vos compétences technologiques open source, mais également grâce à votre état d’esprit open source ?

Un exemple : Mes amis Dave Mason et Jonathan Opp, qui totalisent chacun bien plus que 10000 heures d’expérience dans le monde de l’open source, ont récemment fait leur entrée dans le concours Harvard Business Review / McKinsey M-Prize dans la catégorie Management innovant avec un hack profondément inspirée par leur expérience dans l’open source.

Leur idée ? Prendre le principe du « fork » tel que pratiqué dans les projets de développement open source et l’appliquer au management des organisations (tous les détails de leur idée sont ici). Leur bidouille « Prête à forker » a récemment été sélectionnée dans une liste de 150 propositions soumises par des gens du monde entier comme l’une des 20 finalistes du M-Prize. Plutôt impressionnant.

Alors pensez-y : au-delà de votre expérience technologique, qu’avez vous appris d’autre en contribuant à des communautés open source, qui pourrait avoir de la valeur pour un employeur potentiel ? Y a-t-il des compétences et des manières de penser que l’open source vous a enseignées qu’il serait bon de valoriser dans un entretien d’embauche, ou comme argument pour une promotion ou un nouveau poste ? Commencez à voir votre expérience open source comme un nouvel ensemble de compétences en matières de pensée et de travail, qui pourraient être très demandées par les organisations qui voudront rester compétitives dans le futur.

En agissant ainsi, vous pourriez vous ouvrir des opportunités intéressantes que vous n’auriez pas envisagées auparavant.

Notes

[1] Crédit photo : Victor Bezrukov (Creative Commons By)




La neutralité du Net, par Jean-Pierre Archambault

Desbenoit - CC by - Wikimedia Commons« La neutralité du Net ou la neutralité du réseau est un principe qui garantit l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Ce principe exclut ainsi toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau. »

Telle cette introduction Wikipédia ou cette illustration ci-contre, cela semble simple a priori.

Mais si l’on veut mieux la comprendre et en appréhender ses enjeux, le format Twitter ne suffit plus (surtout en cette période trouble où l’illimité pourrait prendre fin en France)

C’est dans ce but que nous publions un nouvel article de Jean-Pierre Archambault qui n’a pas son pareil pour nous présenter progressivement et limpidement un problème complexe 🙂

Et d’achever ainsi son propos : « Diderot et d’Alembert ont peut-être rêvé à un outil miracle faisant accéder en un tour de main tous les humains à toute la connaissance… L’enjeu est de conserver leur rêve devenu réalité. »

La neutralité du Net

URL d’origine du document

Jean-Pierre Archambault – juin 2011 – Association EPI

Le numérique est partout. Les débats sociétaux qu’il suscite se multiplient. Ainsi celui sur la neutralité du Net qui s’est installé de plain-pied dans l’actualité. Deux raisons principales sont à l’origine de ce débat : l’accroissement du trafic et la montée de questions juridiques et marchandes. S’interpénètrent des questions scientifiques, techniques, juridiques, économiques, commerciales, politiques, ainsi que celles de la liberté d’expression et de la citoyenneté, géopolitiques.

Le trafic sur internet ne cesse de croître, une évidence que cette rançon du succès ! La vidéo, gourmande en bande passante, sature les réseaux. Le marché mobile des terminaux explose. Les infrastructures doivent évoluer et se développer, le haut débit en premier lieu. Qui doit payer ? Qui pourrait payer ? Des mesures de discrimination, blocage et filtrage (pour les flux illicites), antinomiques avec la philosophie du Net, sont mises à l’ordre du jour, issues de problématiques comme la lutte contre la cybercriminalité, les modèles économiques de l’immatériel, des industries culturelles. La neutralité du Net rencontre ici les débats qui ont accompagné la transposition de la DADVSI, la loi Hadopi… La question se pose également de savoir si le Net est vraiment neutre. Et si la vision d’un cyberespace « idéal » et insensible aux réalités géopolitiques de la planète est réaliste et pertinente.

Un réseau de réseaux

Internet est un réseau de réseaux (de beaucoup de réseaux, grande distance, intranets, locaux) en trois couches : une couche physique (le fil de cuivre des réseaux téléphoniques, la fibre optique…), une couche logique (les logiciels, les protocoles d’internet) et des contenus[1]. Les câbles et les réseaux qu’ils interconnectent appartiennent à l’État ou à des entreprises privées. Les ordinateurs au sein du réseau fournissent un service de base – le transport des données – avec des fonctions très simples nécessaires pour les applications les plus diverses. L’intelligence et la complexité, à savoir le traitement de l’information, sont situées dans des ordinateurs à la lisière du réseau.

La philosophie d’internet repose fondamentalement sur l’absence de discrimination dans l’acheminement des flux et dans le fait de pouvoir, pour tout un chacun, accéder librement au réseau sans avoir à en demander la permission à une autorité. Des travaux montrent qu’un réseau d’information public est d’efficacité maximale s’il aspire à traiter tous les contenus, sites et plates-formes, de manière égale[2].

Cette architecture favorise l’innovation. En effet, les inventeurs ont seulement besoin de connecter leurs ordinateurs, sans qu’il faille modifier ceux de l’intérieur. La structure d’internet n’est optimisée pour aucune application existante spécifique, en conséquence le réseau est ouvert à toute innovation non prévue à l’origine. Il est neutre, au sens où un propriétaire du réseau ne peut pas sélectionner des données au détriment d’une nouvelle structure innovante qui menace une application en situation dominante. Les créateurs n’ont pas besoin d’obtenir une permission de quiconque pour développer une nouvelle application. Les opérateurs réseaux qui font circuler les paquets d’informations ne doivent pas y toucher. Sauf cas de force majeure, comme une congestion de réseau ou une attaque, ils doivent les transporter sans discrimination que ce soit, selon la source, la destination ou le type de message auquel le paquet appartient (données, voix, audio, vidéo). Ce principe est étendu aux services et applications, ce qui interdit les pratiques commerciales de distribution exclusive, d’exclusion et de traitement prioritaire au sein des offres internet.

D’autres réseaux fonctionnent « comme internet » : le réseau électrique auquel tout un chacun peut se connecter pourvu que son équipement corresponde aux normes du système, le réseau autoroutier car, à partir du moment où la voiture a été homologuée et où le conducteur a son permis de conduire, le concessionnaire de l’autoroute n’a pas à savoir pourquoi ni quand l’usager emprunte celle-ci.

Internet repose sur des standards ouverts de formats de données (HTML pour écrire des pages web) et de protocoles de communication (TCP/IP, HTTP). Il fonctionne à base de logiciels libres : Apache, SendMail, Linux… Il est donc difficile de verrouiller le réseau par la pratique du secret. Les logiciels libres contribuent à construire une plate-forme neutre. Ils la protègent par des licences comme la GPL et la diffusion du code source, garantissant aux développeurs qu’elle le restera dans l’avenir.

Au-dessus du réseau internet « se répandent à grande vitesse des applications du web comme les réseaux sociaux, le commerce électronique, l’usage des smartphones ou des tablettes, les blogs, les chats, la téléphonie sur IP, la géolocalisation, les sites de notation des restaurants, hôtels, voyages, les sites de rencontres, les sites de partage de vidéos, les jeux en ligne, etc. On pourrait se dire qu’on est vraiment embarqués sur un “bateau ivre”… De plus, vu les dangers et les menaces de piratage dont les médias se font écho pratiquement chaque jour, on peut également se dire que le bateau, en plus d’être “ivre”, navigue dans un véritable “champ de mines” !!! »[3]. Nous y reviendrons.

Les acteurs du Net

Quels sont les acteurs du Net ? Les internautes bien sûr. La puissance publique. Sur le plan économique, « la dernière décennie a consacré l’organisation économique d’Internet en quatre groupes d’acteurs : producteurs d’éléments de réseaux et de terminaux (ex. Intel, Microsoft, Cisco, Alcatel-Lucent, Dassault Systems), opérateurs réseaux (ex. AT&T, Verizon, France Télécom), fournisseurs de services et intermédiaires (ex. Google, Amazon, eBay, Pages Jaunes) et producteurs de contenus (ex. The Walt Disney Company, Time Warner, Lagardère, Reed Elsevier). La catégorie la plus récente, les intermédiaires, est celle qui participe le moins à l’investissement dans les réseaux, échappe largement à l’impôt et réalise les bénéfices les plus importants. C’est aussi celle qui occupe une part croissante des ressources en bande passante »[4]. On compte de l’ordre de 27 000 acteurs de par le monde.

Internet est une plate-forme qui semble mettre les internautes en relation directe, ce qu’elle n’est pas. Il y a le coeur du réseau, à savoir les réseaux d’accès avec la boucle locale (dédiée à une habitation ou à une entreprise) en cuivre ou en fibre optique, les opérateurs étant les fournisseurs d’accès à internet. Les points d’interconnexion assurent l’ouverture sur les autres réseaux d’accès par l’intermédiaire des « backbones », épine dorsale du réseau mondial[5]. Concernant les tuyaux et les flux de données, il y a donc les fournisseurs d’accès au client final, les opérateurs de transit au niveau du backbone, les hébergeurs qui stockent les données (dans des serveurs, les « data center »), les fournisseurs de « cache ».

Qui paye ?

Au plan mondial, le marché du transit et du cache représente quelques milliards d’euros, celui de l’accès plusieurs centaines de milliards d’euros. Historiquement les fournisseurs de contenus payaient les opérateurs de transit mais pas les fournisseurs d’accès. Aujourd’hui, les fournisseurs d’accès font payer une partie de leurs contrats aux fournisseurs de contenus. La téléphonie subventionne l’accès à internet. Nous avons vu ci-avant que la catégorie des intermédiaires (Google…) était celle qui participait le moins à l’investissement dans les réseaux, échappant largement à l’impôt et réalisant les bénéfices les plus importants. Les consommateurs payent davantage que les fournisseurs de contenus. Les enjeux sont d’importance et la bataille fait rage.

Le trafic va continuer à augmenter. La qualité de l’internet dépend en grande partie du dimensionnement des interconnexions, de la taille des tuyaux entre les réseaux des fournisseurs d’accès et les autres opérateurs de l’internet. Il va falloir investir dans les infrastructures fixes et mobiles. Qui va payer ? L’écosystème d’internet est complexe. Ménager un bon équilibre économique ne va pas de soi car les conflits d’intérêt sont bien réels. Comment par exemple mettre en place des mécanismes amenant les opérateurs qui induisent un trafic à payer aux fournisseurs d’accès un montant dépendant de la partie asymétrique des flux qu’ils engendrent ?

Certains, se fondant sur le fait qu’internet est et doit rester un bien commun de l’humanité, avancent l’idée d’un caractère et d’un financement publics, reposant donc sur l’impôt (notamment la fiscalité numérique qui reste un objectif majeur à mettre en oeuvre), d’une infrastructure publique d’intérêt général. Au même titre que d’autres infrastructures, par exemple les adductions d’eau, le réseau ferré ou les réseaux électriques qui le sont, l’étaient ou devraient le redevenir. Car le risque existe de dégradation de la qualité si les opérateurs n’investissent pas dans les réseaux ou privilégient la commercialisation des services gérés, mettant ainsi à mal le principe de non-discrimination, un des piliers de la neutralité du Net. Par exemple, les opérateurs réseaux sont tentés de facturer aux offreurs de contenus des services de livraison prioritaire, et aux abonnés une qualité de service privilégiée ou des bouquets de contenus exclusifs. En tout état de cause, la puissance publique ne saurait se désintéresser d’une infrastructure sociétale stratégique.

Une question centrale : la gestion du trafic

Faut-il mettre de l’intelligence dans le réseau ? Internet ne donne pas de garanties de performances dans l’acheminement, contrairement aux réseaux de type « circuits virtuels ». Les applications n’ont pas les mêmes besoins en termes de performances. La vidéo requiert beaucoup de bande passante, ce qui n’est pas le cas de la messagerie. Les applications en temps réel, synchrones, comme la téléphonie, se distinguent des applications asynchrones, le transfert de fichiers par exemple. La qualité dépend de l’interconnexion, de l’éloignement aussi, ce qui met en évidence l’intérêt du « peer to peer » qui distribue les échanges de fichiers entre plusieurs utilisateurs. Des routeurs sont capables de faire de la gestion de trafic à très haut débit avec des priorités. Faut-il permettre la discrimination des flux, mettre des priorités (ce qui n’est pas le cas en France pour les offres « triple play ») ? Les marchands répondent oui, on s’en doute. D’autres font dépendre la réponse du caractère commercial ou non des applications. Il y aurait alors l’internet et le non internet des services gérés. Ce qui supposerait que le commercial ne pénalise pas l’internet, qu’il y ait une garantie de qualité. Et il y a ceux pour qui il ne saurait y avoir de priorisation sur internet, bien commun, les services gérés n’existant que pour des applications qui en ont vraiment besoin. On pense par exemple à des services d’urgence médicale. Dans tous les cas, assurer la protection du principe de neutralité suppose des obligations de transparence imposées aux opérateurs en matière de gestion de trafic.

Sous l’angle du blocage et du filtrage

Le débat sur la neutralité du Net s’est aussi développé sous l’angle du « blocage », qui consiste à empêcher une communication sans inspection de contenu, et du « filtrage », qui repose sur une inspection de contenu, les deux soulevant des questions liées à la liberté d’expression sur internet. Les pouvoirs publics recherchent en la circonstance des moyens pour faire respecter la loi sur internet et lutter contre la cybercriminalité. Effectivement, l’État doit combattre les comportements attentatoires aux principes et valeurs de la société. Internet n’est pas un espace de non-droit. Les industries culturelles font pression, au nom de leurs modèles économiques traditionnels, pour empêcher l’accès aux contenus « illicites ». Mais l’on sait que la frontière avec les contenus « licites » peut être franchie. Et l’on sait surtout que les modèles économiques de l’immatériel ne peuvent pas être ceux de la production des biens matériels, les coûts marginaux de production et de diffusion d’un exemplaire supplémentaire étant quasi nuls[6]. Un vaste et tumultueux débat qui est loin d’être clos !

Un opérateur d’accès qui aurait une obligation légale de blocage serait amené à intervenir sur les contenus alors que son métier consiste à les acheminer. Les techniques de blocage (d’adresses IP, de noms de domaine, d’URL) et de filtrage ont un coût. Sont-elles efficaces ? Elles se contournent (utilisation de sites « miroir », de proxy, recours à un réseau privé virtuel) et peuvent engendrer des effets pervers (sur-blocage – les faux positifs – et sous-blocage – les faux négatifs –, chiffrement qui présente des risques pour la sécurité bien supérieurs à la défense des intérêts protégés…). Il est interdit d’utiliser son téléphone portable au volant. Pour autant, on n’a pas (encore ?) mis en place des dispositifs de blocage de cet usage-là.

Le rapport d’information déjà cité rappelle (page 34) : « Bien que, de manière générale, la Constitution n’oblige pas le législateur à prévoir l’intervention du juge pour prononcer toute mesure de restriction de la liberté individuelle, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision sur la loi HADOPI, qu’en raison de l’importance de la liberté d’expression et de communication et du rôle que joue l’accès à internet à l’égard de cette liberté, le législateur ne peut pas laisser une autorité administrative prononcer la sanction de suspension de cet accès. Il a ensuite précisé dans sa décision sur la LOPPSI que les dispositions confiant à l’autorité administrative le pouvoir de prononcer des mesures obligatoires de blocage “assurent une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789”, la décision de l’autorité administrative étant notamment toujours contestable devant le juge. »

Mais internet est-il vraiment neutre ?

Prenant un peu à contre-pied le débat sur la neutralité du Net, certains posent la question (iconoclaste ?) de savoir s’il est vraiment neutre. Serait-ce un mythe ?[7] La neutralité débattue est relativisée.

Le grand public ne le sait pas toujours mais l’ICANN, une association de droit californien, contrôle les ressources critiques que sont les adresses IP, les extensions et noms de domaines (fonction importante, noeud stratégique qui conditionne la visibilité sur le réseau), de par une dévolution du Ministère Américain du Commerce et dans l’absence de transparence requise ! Ainsi la France gère-t-elle son domaine national (.fr) en vertu d’une délégation accordée par cette association. Il est pour le moins surprenant et paradoxal de voir un espace public mondial géré par une association californienne ! Une nouvelle gouvernance, dans laquelle notamment chaque État aurait voix au chapitre dans des rapports d’égalité et en toute indépendance, s’impose car elle est une exigence légitime.

La couche basse d’internet, son épine dorsale en particulier, ce sont des câbles qu’il faut fabriquer et poser, sous la terre, les mers et les océans, ce sont des satellites. Et il faut gérer ces infrastructures. Ce monde est opaque et non régulé. Il est tenu par un club très fermé de gros transporteurs, pour l’essentiel des firmes états-uniennes. Elles contrôlent la quasi-totalité du trafic au plan mondial, ce qui leur procure en passant des profits substantiels.

On a vu que la mise en relation des internautes était loin d’être directe. Il y a des intermédiaires, qui plus est, de plus en plus puissants et concentrés : Google, Amazon, eBay, Apple, Yahoo, MSN, Facebook et autres compagnies. Ils commercialisent tout ce qui peut l’être dans le nouveau monde numérique : données personnelles, données de connexions, statistiques, musique, livres… Et si l’on ne connaît pas les algorithmes que Google utilise, en revanche on sait qu’il leur arrive d’accorder des « faveurs » dans leurs classements au bénéfice de sites avec lesquels l’entreprise entretient des relations commerciales. L’attention des internautes est captée à leur insu. Ils sont devenus la cible de producteurs de contenus en recherche de consommateurs. L’informatique est à la fois du calcul, du stockage et de la communication. L’approche de la neutralité du Net doit être globale. Elle doit aussi s’intéresser aux programmes et aux applications dont on doit savoir ce qu’ils font exactement. Et aux informations (quelles informations ?) qu’ils stockent on se sait trop où pour des utilisations dont il arrive qu’on les ignore.

Des questions de fond, planètaires

Avec internet, nous sommes de plain-pied dans des questions qui ont à voir avec l’état du monde et son devenir[8]. L’économie de la planète s’est réorganisée autour d’internet. Est en question le contrôle du commerce mondial, enjeu majeur comme ont pu l’être dans les siècles passés le contrôle du détroit des Dardanelles ou du canal de Suez. La mondialisation des activités humaines, long processus qui ne date pas d’hier, signifierait-elle dissolution des civilisations, des cultures, des langues (il existe d’autres caractères que latins sans accent : indiens, cyrilliques, arabes, mandarin… et un DNS peut s’écrire avec des idéogrammes), des systèmes économiques, des frontières, des modèles juridiques, des distances… des différences entre les hommes ? Fort improbable (on peut légitimement penser que c’est mieux ainsi) si l’on se réfère à la réalité observée. Quid alors de cette perception d’internet système global, homogène, offrant une plate-forme universelle de communications multimédia ? Exception paradoxale ou mythe, un de plus ? « L’internet est un réseau de réseaux autonomes depuis son ouverture commerciale au début des années 80. Il est fragmenté par construction, et il le restera »[9]. Et cette fragmentation devrait se renforcer. Avec « des webs “régionaux” ou même “continentaux”, à l’instar de la Chine et de son “AsiaNet” ; des webs “linguistiques”, où l’on pourra utiliser toute la puissance de sa langue maternelle pour exprimer une recherche, une adresse email ; des webs “culturels” qui embarqueront ou non des webs sectaires et/ou ethniques ; des webs “fermés”, sécurisés, anonymisés, plus ou moins cachés selon les objectifs suivis par leurs promoteurs et/ou utilisateurs ; des webs commerciaux, sur base “navigation” et/ou activité sociétale, essayant avec des bonheurs divers d’attirer des internautes dans leurs filets pour en revendre l’identité et leurs besoins et/ou habitude et/ou opinion… »[10]. La Chine s’est émancipée du contrôle américain de l’internet et ce sera bientôt le cas de l’Inde. Cela a nécessité le travail de milliers d’ingénieurs pendant des années.

Pourtant, « un épouvantail agité fréquemment par les gardiens du temple est la balkanisation ou fragmentation du réseau, avec son cortège de calamités, discontinuité des communications, confusion des noms et adresses, instabilité, insécurité, perte de fiabilité… Faudrait-il s’efforcer de maintenir au maximum un système de contrôle historique dont les éléments critiques sont verrouillés par le gouvernement des États Unis ?… oubliant au passage que la Chine a construit son propre internet, qu’il existe des milliers d’intranets… S’il fut un temps où l’ICANN, mandataire du gouvernement US, faisait la loi, on observe maintenant un réveil des gouvernements dits du sud… Le tropisme de fragmentation se renforce à mesure que les enjeux techniques deviennent minoritaires au regard d’autres domaines comme la propriété intellectuelle, le filtrage des informations, les investissements en infrastructure, la législation, la criminalité, ou les facteurs culturels et religieux »[11]. S’affrontent des modèles de cybersociétés, ayant chacune leurs valeurs, avec leur cortège de cyberconflits, cyberattaques[12], opérations de manipulation et désinformation, leurs enjeux en matière de souveraineté, de régulation et de sécurité des systèmes d’information. Dernière illustration en date, la publication par les États-Unis de leur « International Strategy for Cyberspace » dans laquelle ils indiquent leur volonté de réguler l’internet, de promouvoir un Internet « ouvert, interopérable, sécurisé et fiable »[13]. Un objectif louable mais, pour autant, les moyens annoncés ne manquent pas d’en inquiéter légitimement plus d’un de par le monde. En effet, « pour réaliser ce futur et aider à promulguer des normes positives, les États-Unis associeront diplomatie, défense et développement pour favoriser la prospérité, la sécurité et l’ouverture afin que chacun puisse bénéficier de la technologie du réseau ». Et les points sont mis sur les « i » : « Les États-Unis vont, avec d’autres nations, encourager un comportement responsable et s’opposer à ceux qui chercheront à perturber les réseaux et systèmes, en dissuadant et démasquant les acteurs malicieux, en défendant ces installations nationales vitales de façon aussi nécessaire et appropriée qu’il faudra. Nous nous réservons le droit d’utiliser tous les moyens – diplomatiques, informatifs, militaires et économiques – si appropriés et compatibles avec la loi internationale, afin de défendre notre nation, nos alliés, nos partenaires et nos intérêts. Nous épuiserons toutes les options avant d’en venir à la force militaire à chaque fois que nous le pourrons. » Le cyberespace est décidément bien dans l’espace « réel » !

Des mesures à prendre

L’enjeu de défense d’un bien commun et d’un bien public à l’échelle de la planète se situe donc dans un contexte global pluraliste. Cela étant, réaffirmer ces caractères de bien commun et bien public ainsi que le bien-fondé de l’intervention de la puissance publique reste fondamental. Cela implique quelques mesures qui figurent dans le rapport parlementaire déjà cité : inscrire dans la loi le principe de neutralité ; prévoir a minima l’intervention systématique du juge pour éviter les dérives en matière de blocage et s’interroger sur son efficacité ; réserver l’appellation internet aux services respectant le principe de neutralité et ainsi les distinguer des services gérés à caractère commercial ; obliger à une qualité « suffisante » pour tous les internautes. En définitive, faire en sorte qu’internet reste une plate-forme ouverte. Diderot et d’Alembert ont peut-être rêvé à un outil miracle faisant accéder en un tour de main tous les humains à toute la connaissance… L’enjeu est de conserver leur rêve devenu réalité.

Jean-Pierre Archambault
Président de l’EPI

PS : le débat sur la neutralité du Net est un débat de société qui concerne tous les citoyens. Il mêle d’une manière inextricable des questions politiques, économiques, juridiques et des concepts scientifiques et techniques : couches et protocoles de l’internet, adresses IP, réseaux d’accès et de transit, réseaux privés virtuels, routage, gestion du trafic, interconnexion des réseaux, chiffrement, standards ouverts… D’une manière évidente, un exercice plein de la citoyenneté suppose des connaissances de la science informatique, des représentations mentales efficientes. Fort opportunément, le programme de l’enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » créé en Terminale S à la rentrée 2012 comporte une partie consacrée aux réseaux. Une première avancée bienvenue pour les élèves de la filière scientifique ! Et tous sont concernés.

Notes

[1] Rapport parlementaire d’information déposé par la Commission des Affaires Économiques sur la neutralité des réseaux : Voir « Internet en 32 points », pages 16 à 20. « Innover ou protéger ? Un cyber-dilemme », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 58 de juin 2006, p. 42-45.

[2] Voir rapport parlementaire ci-dessus note 2, page 13.

[3] « La Netocratie », Mauro Israël, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ?, juin 2011. http://www.forumatena.org…

[4] « La neutralité du Net, un mythe paradoxal », Dominique Lacroix, Forum Atena Mythes et légendes des TIC, page 16. http://www.forumatena.org

[5] Voir rapport parlementaire ci-dessus note 2, « Interconnexion, transit et peering », pages 52 à 56.

[6] « Téléchargement sur Internet : quelle légitimité ? », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 57 de mars 2006, p. 42-45.

[7] Voir note 5 « La neutralité du Net, un mythe paradoxal », Dominique Lacroix, Forum Atena Mythes et légendes des TIC, page 16.

[8] Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011. http://www.forumatena.org…

[9] « Où va l’internet ? Mondialisation et balkanisation », Louis Pouzin, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011. http://www.forumatena.org…

[10] Michel Charron, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011. http://www.forumatena.org…

[11] Voir note 10 « Où va l’internet ? Mondialisation et balkanisation », Louis Pouzin, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011. http://www.forumatena.org…

[12] « The Malicious Flash Crash Attack ou pourquoi il faudra peut-être ralentir les transactions électroniques », Robert Erra, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011 http://www.forumatena.org…

[13] « Les États-Unis veulent réguler Internet », Orianne Vatin, L’informaticien, le 18 mai 2011.




Les brevets logiciels : une histoire de fous !

Kalidoskopika - CC by-sa« Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits. » Tel est le cinglant résumé de ce récent éditorial du Guardian qui prend appui sur l’actualité, dont le fameux rachat de Motorola par Google, pour nous livrer un constat aussi amer qu’objectif[1].

« Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. » Voilà où nous en sommes clairement maintenant.

Un nouvel exemple d’un monde qui ne tourne pas rond. Un nouvel exemple où le logiciel libre pourrait aider à améliorer grandement la situation si le paradigme et les mentalités voulaient bien évoluer.

Brevets logiciels : une histoire de fous

Software patents: foolish business

Éditorial du Guardian – 21 aout 2011 (Traduction Framalang : Goofy et Pandark)

Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits.

La plupart des gens comprennent les raisons et les arguments en faveur des brevets industriels. Ces derniers fournissent à un laboratoire pharmaceutique — qui a investi une fortune dans le développement d’un nouveau médicament — une sorte d’opportunité pour, pendant une période limitée, rentabiliser sa mise initiale avant que le reste du monde ne puisse en faire des versions moins chères. Mais les brevets logiciels, bien que semblables au plan juridique, sont très différents sur le plan pratique. Quand Google a racheté la division téléphone mobile de Motorola pour 12, 5 milliards de dollars la semaine dernière, l’événement a fait des vagues dans le commerce comme dans l’industrie, parce qu’il ne s’agissait pas d’acheter les mobiles de Motorola mais son portefeuille de plus de 17000 brevets logiciels, denrée devenue la poudre d’or de l’âge numérique.

Les brevets constituent une industrie qui brasse plusieurs milliards, et les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant des procès qu’en créant un produit. Jusqu’au milieu des années 90 l’industrie informatique — Microsoft compris — étaient opposée à cet abus de licences. essentiellement parce que l’industrie était suffisamment innovatrice pour pouvoir se passer de la protection des brevets, qui de toutes façons incluaient des avancées technologiques relativement ordinaires, considérées comme la routine du travail d’ingénieur.

Puis, la tentation entra en scène. Les juristes des entreprises prirent conscience qu’ils pouvaient poursuivre les autres pour infraction aux brevets souvent achetés par lots. Ils furent rejoints par des entreprises « troll », constituées dans l’unique but d’acheter des brevets et de faire des procès aux autres entreprises et aux développeurs, sachant pertinemment que la plupart accepteraient une transaction à l’amiable plutôt que d’affronter les coûts prohibitifs de leur défense juridique. Les entreprise qui étaient précédemment opposées aux brevets logiciels se sont aujourd’hui lancées dans la course à l’armement. Microsoft a accumulé un gigantesque arsenal de brevets et peut taxer un fabricant comme HTC à raison de 5 dollars par téléphone portable vendu — même si le système d’exploitation Android (développé par Google) utilisé sur les téléphones HTC est « open source » et supposé disponible pour tous. Avec des centaines, si ce n’est des milliers de brevets maintenant en jeu dans un téléphone mobile, il est pratiquement impossible de ne pas enfreindre un brevet d’une manière ou d’une autre. Dans le même temps Google, confronté au puissant aspirateur à brevet de ses rivaux, a été contraint de s’acheter son propre portefeuille en réaction d’auto-défense.

Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. De telles acquisitions peuvent entraîner les entreprises de technologies de l’information bien loin de leur cœur de métier. Une recherche universitaire menée par le Berkman Center for Internet and Society a montré que les brevets logiciels n’ont procuré aucun bénéfice à l’industrie du logiciel, et encore moins à la société dans son ensemble. C’est dramatique, car un grand nombre d’entreprises qui étaient auparavant opposées aux brevets logiciels se sont ralliées à ce système, rendant plus difficile de trouver une solution efficace. Une fois de plus les consommateurs sont vent debout contre les entreprises. Où sont les forces régulatrices quand on en a besoin ?

Notes

[1] Crédit photo : Kalidoskopika (Creative Commons By-Sa)




Reprenons possession d’Internet – Rebecca MacKinnon – TED Talk

Internet doit-il être au service des citoyens, des gouvernements ou des multinationales ? C’est en caricature la grande question sous-jacente de ce brillant TED talk de Rebecca MacKinnon.

Il s’agit du reste d’un étonnant mais révélateur paradoxe puisque si nous savons depuis longtemps que les intérêts des multinationales ne se confondent pas avec ceux des citoyens, il devrait en être autrement pour les gouvernements. Mais, par exemple chez nous en France, l’Hadopi est passée par là et la méfiance est plus que jamais de mise.

Liberté et contrôle dans le cyberespace… telle est l’une des tensions fondamentales de ce début de siècle. Nous pouvons faire semblant de ne pas la voir (trop occupé à modifier notre statut Facebook) mais nous pouvons aussi faire le choix de tenter de l’infléchir en notre faveur. Ce blog a l’immodestie de penser qu’il y participe dans son petit coin.

Remarque : on notera que si Apple en prend (justement) pour son grade en introduction, M. Sarkozy n’est pas non plus épargné.

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Traduction française Anna Cristiana Minoli (relecture Elisabeth Buffard)
Licence Creative Commons By-Nc-Sa

Je commence avec une publicité inspirée par George Orwell qu’Apple a sortie en 1984.

(Vidéo) Big Brother : Nous sommes une seule personne avec une seule volonté, une seule résolution, une seule cause. Nos ennemis peuvent parler jusqu’à la mort, et nous les combattrons avec leur propre confusion. Nous l’emporterons. Narrateur : Le 24 Janvier, Apple Computer lancera Macintosh. Et vous verrez pourquoi 1984 ne ressemblera pas à « 1984 ».

Rebecca MacKinnon : Le message implicite de cette vidéo reste très puissant encore aujourd’hui. La technologie créée par des sociétés innovatrices nous rendra la liberté. Avancez rapidement de plus de deux décennies. Apple lance l’iPhone en Chine et censure le Dalai Lama ainsi que plusieurs autres applications politiquement sensibles à la demande du gouvernement chinois pour son app store Chinois. Le dessinateur politique Mark Fiore a également vu son application satirique censurée aux États-Unis parce que le personnel Apple s’inquiétait qu’elle puisse offenser certains groupes. Son appli n’a été republiée que quand il a gagné le Prix Pulitzer. Le magazine allemand Stern, un magazine d’actualité, s’est vu censurer son appli parce que les nourrices de Apple l’ont considérée un petit peu trop osée pour ses utilisateurs, et ce malgré le fait que ce magazine est en vente parfaitement légale dans les kiosques en Allemagne. Et encore plus controversé, récemment, Apple a censuré une appli de contestation palestinienne après que le gouvernement israélien ait exprimé des inquiétudes sur la possibilité qu’elle soit utilisée pour organiser des attaques violentes.

Donc voilà, nous sommes dans une situation où des sociétés privées appliquent des standards de censure qui sont souvent très arbitraires et généralement plus stricts que les standards constitutionnels de liberté de parole que nous avons dans les démocraties. Ou bien elles répondent aux demandes de censure de la part de régimes autoritaires qui ne reflètent pas le consentement de ceux qu’ils gouvernent. Ou bien ils répondent aux demandes et aux inquiétudes de gouvernements qui n’ont aucune juridiction sur plusieurs, ou sur la plupart, des usagers qui interagissent avec le contenu concerné.

Donc voici la situation. Dans un monde pré-Internet, la souveraineté sur les libertés physiques, ou son absence, était presque entièrement contrôlée par les états nation. Mais nous avons maintenant cette nouvelle couche de souveraineté privée dans le cyberespace. Et leurs décisions sur le codage des logiciels, sur l’ingénierie, la conception, les conditions d’utilisation agissent toutes comme une sorte de loi qui façonne ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire avec nos vies numériques. Et leur souveraineté, transversale, mondialement interconnectée, peut d’une certaine façon défier la souveraineté des états nations de manière formidable, mais parfois agir également pour projeter et s’étendre au moment où le contrôle sur ce que les personnes peuvent et ne peuvent pas faire avec l’information a plus d’effet que jamais sur l’exercice du pouvoir dans notre monde physique. Après tout, même le leader du monde libre a besoin d’un peu d’aide du sultan du Facebookistan s’il veut être réélu l’année prochaine.

Et ces plateformes ont surement été très utiles aux activistes en Tunisie et en Égypte au printemps dernier et au delà. Comme Wael Ghonim, le cadre égyptien de Google le jour, et activiste secret de Facebook la nuit, a raconté à la CNN après la démission de Moubarak, « Si vous voulez libérer une société, il suffit de lui donner Internet. » Mais renverser un gouvernement est une chose et construire une démocratie stable est un peu plus compliqué. Sur la gauche une photo prise par un activiste égyptien qui était de ceux qui ont pris d’assaut les bureaux de la sécurité d’état égyptienne en Mars. Et de nombreux agents ont broyé le plus de documents possible et les ont laissé derrière eux en tas. Mais certains des fichiers sont restés intacts, et les activistes, certains d’entre eux, ont trouvé leurs propres dossiers de surveillance remplis de transcriptions de leurs propres échanges d’emails, leurs échanges de textos, même les conversations sur Skype. Et un activiste en fait a trouvé un contrat d’une société occidentale pour la vente d’une technologie de surveillance aux forces de sécurité égyptiennes. Et les activistes égyptiens présument que ces technologies de surveillance sont encore utilisées par les autorités transitoires qui gèrent les réseaux dans le pays.

Et en Tunisie, la censure a en fait commencé à revenir en Mai — pas aussi considérablement que sous la présidence de Ben Ali. Mais vous voyez ici une page bloquée, c’est ce qui se passe quand vous essayez de vous connecter à certaines pages de Facebook et à d’autres sites qui, selon les autorités de transition, peuvent inciter à la violence. Pour protester contre ça, le blogger Slim Amamou, qui avait été emprisonné sous Ben Ali et ensuite était rentré dans le gouvernement de transition après la révolution, a démissionné en signe de protestation. Mais de nombreux débats ont eu lieu en Tunisie sur la façon de gérer ce type de problème.

En fait, sur Twitter, il y avait un certain nombre de gens qui soutenaient la révolution qui disait, « Et bien, en fait, nous voulons la démocratie et la liberté d’expression, mais il y a certains discours qui doivent être tenus à l’écart parce qu’ils sont trop violents et pourraient déstabiliser notre démocratie. Mais le problème est, comment décider qui a le pouvoir de prendre ce genre de décisions et comment s’assurer qu’ils n’abusent pas de leur pouvoir ? Comme Riadh Guerfali, l’activiste numérique vétéran tunisien, a commenté l’incident, « Avant les choses étaient simples : il y avait les gentils d’un côté et les méchants de l’autre. Aujourd’hui, les choses sont plus subtiles. » Bienvenue dans la démocratie, amis tunisiens et égyptiens.

La réalité est que même dans les sociétés démocratiques d’aujourd’hui, nous n’avons pas de bonnes réponses à la question de comment équilibrer le besoin de sécurité et l’application des lois d’un côté et la protection des libertés civiles et la liberté de parole de l’autre dans nos réseaux numériques. En fait, aux États-Unis, quoi que vous pensiez de Julian Assange, même ceux qui ne sont pas nécessairement des grands fans sont très inquiets de la manière avec laquelle le gouvernement des États-Unis et certaines sociétés ont traité Wikileaks. Amazon en tant qu’hébergeur web a laissé tomber Wikileaks en tant que client après avoir reçu une plainte du sénateur américain Joe Lieberman, malgré le fait que Wikileaks n’ait pas été inculpé, encore moins condamné, pour aucun crime.

On présume donc qu’Internet est une technologie qui fait voler les frontières en éclat. Voici une carte des réseaux sociaux dans le monde, et il est certain que Facebook a conquis la plus grande partie du monde, ce qui peut être une bonne ou une mauvaise chose, selon que vous aimiez ou non la manière dont Facebook gère son service. Mais les frontières demeurent dans certaines parties du cyberespace. Au Brésil et au Japon, c’est pour des raisons culturelles et linguistiques uniques. Mais si vous regardez la Chine, le Vietnam et certains des anciens états soviétiques, ce qui s’y passe est plus inquiétant. Vous avez une situation où la relation entre le gouvernement et les sociétés de réseaux sociaux locales est en train de créer une situation où, effectivement, le pouvoir que pourrait donner ces plateformes est contraint à cause de ces relations entre les compagnies et le gouvernement.

En Chine, vous avez maintenant, le “grand pare-feu”, comme on l’appelle, qui bloque Facebook, Twitter et maintenant Google+ et de nombreux autres sites étrangers. Et ceci est fait en partie avec l’aide de la technologie occidentale. Mais ce n’est que la moitié de l’histoire. L’autre partie de l’histoire ce sont les conditions que le gouvernement chinois impose à toutes les sociétés qui opèrent sur Internet en Chine, qu’on connait comme un système d’autodiscipline. En anglais courant, cela signifie censure et surveillance des utilisateurs. Voici donc une cérémonie à laquelle j’ai assisté en 2009 où la Internet Society of China a remis des prix aux 20 premières sociétés chinoises les meilleures dans l’exercice de l’autodiscipline — c’est-à-dire dans le contrôle de leurs contenus. Et Robin Li, Directeur Général de Baidu, le premier moteur de recherche en Chine, faisait partie des lauréats.

En Russie, généralement ils ne bloquent pas Internet et ne censurent pas directement les sites. Mais voici un site qui s’appelle Rospil c’est un site anti-corruption. Et cette année, il y a eu un incident troublant au cours duquel les gens qui avaient fait des dons à Rospil à travers un système de paiement qui s’appelle Yandex Money ont soudain reçu des menaces par téléphone de la part de membres du parti nationaliste qui avaient obtenu des détails sur les donateurs de Rospil par le biais des membres des services de sécurité qui avaient d’une façon ou d’une autre obtenu ces informations des gens de Yandex Money. Cela a refroidi les gens quant à leur capacité d’utiliser Internet pour tenir le gouvernement responsable. Nous avons donc une situation dans le monde aujourd’hui où dans de plus en plus de pays la relation entre les citoyens et les gouvernements se fait au moyen d’Internet, qui est compromis à l’origine par des services privés.

Alors la question importante, je crois, ce n’est pas le débat pour savoir si Internet aidera les gentils plutôt que les méchants. Bien sûr, cela donnera du pouvoir à quiconque a le plus de talent dans l’utilisation de la technologie et comprend le mieux Internet par rapport à son adversaire, qui que ce soit. La question la plus urgente que nous devons nous poser aujourd’hui est comment pouvons-nous être sûrs que l’évolution d’internet est centrée sur les citoyens. Parce que je pense que vous serez tous d’accord que le seul but légitime d’un gouvernement est de servir les citoyens. Et je pourrais affirmer que le seul but légitime de la technologie est d’améliorer nos vies, et non de les manipuler ou de nous réduire à l’esclavage.

La question est donc, nous savons comment tenir le gouvernement responsable. Nous ne le faisons pas nécessairement très bien, mais nous avons une bonne idée des modèles politiques et institutionnels pour le faire. Comment tenir les souverains du cyberespace responsable de l’intérêt public quand la plupart des directeurs généraux affirment que leur principale obligation est de maximiser les profits des actionnaires ?

Et souvent la régulation du gouvernement n’aide pas beaucoup. Vous avez des situations, par exemple, en France dans laquelle le président Sarkozy dit aux directeurs généraux des compagnies Internet, « Nous sommes les seuls et légitimes représentants de l’intérêt public. » Mais ensuite il soutient des lois comme la tristement célèbre Hadopi qui déconnecte les citoyens d’Internet suite au partage de fichiers, ce que le Rapporteur Spécial des Nations-Unies pour la liberté d’expression a condamné comme une violation disproportionnée des droits de communication des citoyens, et a soulevé des questions parmi les groupes de société civique pour savoir si oui ou non certains représentants politiques sont plus intéressés par la préservation des intérêts de l’industrie du divertissement plutôt que pas la défense des droits de leurs citoyens. Et ici au Royaume-Uni on s’inquiète aussi d’une loi du nom de Digital Economy Act qui est en train de placer plus d’obligation sur les intermédiaires privés à surveiller les comportements des citoyens.

Nous devons donc reconnaitre c’est que si nous voulons avoir dans le futur un Internet centré sur le citoyen, nous avons besoin d’un mouvement sur Internet plus large et plus soutenu. Après tout, les sociétés n’ont pas arrêté de polluer les eaux, bien entendu, ou d’employer des gamins de 10 ans, uniquement parce que les cadres se sont levés un jour et ont décidé que c’était la bonne chose à faire. C’est le résultat de décennies d’activisme soutenu, de soutien de l’actionnariat et de soutien des consommateurs. De la même façon, les gouvernements ne promulguent pas de lois intelligentes concernant l’écologie et le travail uniquement parce que les politiciens se sont levés un jour. C’est le résultat d’un activisme politique très soutenu et prolongé. qui aboutit à de bons règlements, et avec lequel vous obtenez le bon comportement collectif. Nous avons besoin de la même approche avec Internet.

Nous aurons également besoin d’innovation politique. Il y a 800 ans, à peu près, les barons anglais ont décidé que le droit divin des rois ne leur allait plus tellement bien, et ils ont forcé le roi Jean à signer la Magna Carta, qui reconnaissait que même le roi qui prétendait régner de droit divin devait tout de même respecter une série de règles élémentaires. Ceci a mis en route un cycle de ce que nous pouvons appeler innovation politique, qui a conduit à l’idée de consentement des gouvernés — ce qui a été appliqué pour la première fois par ce gouvernement révolutionnaire radical en Amérique au delà de l’océan. Maintenant nous avons donc besoin de comprendre comment construire un consentement des utilisateurs du réseau.

Et à quoi cela ressemble ? Pour le moment, nous ne le savons pas encore. Mais cela demandera de l’innovation, qui ne devra pas se contenter de se concentrer sur la politique, ou sur la géopolitique, elle devra également s’occuper de questions de gestion des affaires, du comportement des investisseurs, des choix des consommateurs et également de création et construction de logiciels. Nous avons tous un rôle à jouer dans la construction du genre de monde dans lequel le gouvernement et la technologie servent les gens et non le contraire.




Google m’a tuer

Stephen Brace - CC byVous vous réveillez un matin et constatez la disparition de la totalité de votre vie numérique !

Plus de mails, plus de contacts, plus de photos, plus de vidéos, plus de documents, plus de calendrier, plus de blog, plus de favoris, plus de flux RSS… tout, absolument tout, s’est évanoui !

De la science-fiction ?

Non, un simple compte Google désactivé unilatéralement et sans préavis par la société.

En l’occurrence le compte de Dylan M. (@ThomasMonopoly sur Twitter) qui avait décidé peu de temps auparavant de tout faire migrer sur son unique compte Google. Compte sur lequel étaient attachés les nombreux services qu’offre la firme de Mountain View (Gmail, Picasa, Google Docs, Calendar, Reader, Blogger, etc.).

Et ce sont donc ici 7 années digitales qui partent en fumée d’un simple clic. Adieu données personnelles. Ce n’est alors pas que votre identité numérique qui vacille, mais votre identité toute entière…

Cette triste ou effroyable histoire vraie est malheureusement riche d’enseignements. D’abord parce qu’elle peut arriver à n’importe quel possesseur d’un compte Google (ici on ne saura pas pourquoi le compte a été désactivé et rien ne pourra être fait pour le rétablir !). Mais aussi et surtout parce qu’elle en dit long sur ce que nous acceptons tacitement lorsque nous décidons de faire confiance à ces « sociétés du nuage » en nous inscrivant, le plus souvent gratuitement, à leurs services en ligne.

Et il va sans dire que Facebook, Twitter ou Apple ont toutes le droit d’en faire autant.

Exaspéré et désespéré, Dylan M. a conté sa mésaventure dans une longue lettre ouverte à Google, que vous trouverez traduite ci-dessous. Une lettre publiée sur… TwitLonger et non sur son blog, puisque ce dernier était sur Blogger et dépendait lui aussi de son compte Google !

De quoi faire réfléchir non seulement sur les pratiques du géant Google mais également sur le monde dans lequel nous avons choisi de vivre…

Je vous laisse, j’ai quelques sauvegardes urgentes à faire sur mon disque dur[1].

Edit du 17 août : Il y a une suite à cette histoire.

Cher Google…

Dear Google…

Thomas Monopoly – 22 juillet 2011 – TwitLonger
(Traduction Framalang : Marting, Slystone, Siltaar, Juu, Padoup et Goofy)

Cher Google,

Je voudrais attirer votre attention sur quelques points avant de me déconnecter définitivement de tous vos services.

Le 15 juillet 2011 vous avez bloqué la totalité de mon compte Google. Vous n’aviez absolument aucune raison de faire cela, même si votre message automatique me disait que votre systeme avait repéré une « violation ». Je n’ai en aucun cas violé les Conditions Génerales d’Utilisation, que ce soit celles de Google ou celles spécifiques au compte, et votre refus de me fournir une quelconque explication ne fait que renforcer ma certitude. Et je souhaiterais vous montrer les dégâts que votre négligence a causés.

Mon compte Google était lié à presque tous les produits que Google a développés, ce qui veut dire que j’ai aussi perdu tout ce qui était dans ces comptes. Je venais aussi d’entreprendre de tout regrouper sur un seul compte Google. En fait, j’avais réfléchi à tout cela voici quelques mois et avais décidé que Google était une entreprise sérieuse et digne de confiance. Donc j’ai tout importé de mes autres comptes Hotmail, Yahoo…, dans mon unique compte Gmail. J’ai passé environ 4 mois à migrer lentement toute ma présence en ligne : comptes email, informations bancaires, documents professionnels, etc., dans cet unique compte Google, l’ayant déterminé comme étant fiable. Cela signifie en termes d’informations environ 7 années de correspondances, plus de 4800 photographies et vidéos, mes messages Google Voice, plus de 500 articles enregistrés dans mon compte Google Reader pour mes études (lorsque j’ai fermé mon compte Reader d’origine pour tout regrouper dans mon unique compte portant mon nom, j’ai ré-enregistré plusieurs centaines d’articles et de flux moi-même, à la main, un par un dans ce nouveau compte, celui que vous avez fermé et dont j’ai maintenant perdu tous les articles). J’ai également perdu tous mes favoris, ayant utilisé Google Bookmarks.

J’avais migré mes favoris d’ordinateur à ordinateur pendant peut-être 6 ans, environ 200, et je les ai finalement tous envoyés sur Google Bookmarks, content d’avoir trouvé une solution pour les migrer et content de me préserver de leur perte. J’ai aussi perdu plus de 200 contacts. Nombreux sont ceux pour lesquels je n’ai pas de sauvegarde. J’ai aussi perdu l’accès à mon compte Google Docs avec des documents partagés et des sauvegardes de fichiers archivés. J’ai par ailleurs perdu l’accès à mon calendrier. Avec cela, j’ai perdu non seulement mon propre calendrier personnel avec des rendez-vous chez le médecin, des réunions et autres, mais j’ai aussi perdu mes calendriers collaboratifs que j’avais créés et pour lesquels plusieurs heures de travail humain ont été nécessaires, des calendriers communautaires qui sont maintenant perdus.

Aucun de ces calendriers n’était non plus sauvegardé. J’ai également perdu mes cartes Google Maps sauvegardées et mon historique de voyages. J’ai perdu mes dossiers de correspondances médicales et diverses notes très importantes qui étaient attachées à mon compte. Mon site Web, un compte Blogger pour lequel j’ai acheté le domaine via Google et que j’ai conçu moi-même, a été aussi désactivé et perdu. Pensez-vous réellement que je ferais sciemment quelque chose qui mettrait en péril autant de données personnelles et professionnelles ? Au fur et à mesure que les jours passent, je suis certain que je vais prendre connaissance d’autres choses que Google a détruites dans la désactivation injustifiée de mon compte. Je suis seulement trop en colère en ce moment pour réflechir correctement et tout passer en revue. Pourquoi quelqu’un confierait-il quoi que ce soit à « l’informatique dans les nuages » après ce que j’ai traversé ? C’est quelque chose qui me dépasse complétement.

Je voudrai aussi préciser que je suis en fait un client payant, au point que j’ai acheté mon domaine via Google et j’ai aussi acheté de l’espace de stockage supplémentaire.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments : je suis en ce moment en train de soumettre ma candidature pour les études supérieures. Je recevais occasionnellement des courriels de professeurs et d’autres personnes que je n’attendais pas et dont je n’avais pas les coordonnées. Ceci entraînant qu’en plus de mes amis et de ma famille à l’étanger ou des gens qui ne pouvaient pas me joindre autrement, ces personnes recevront maintenant un message de Google leur signalant que mon adresse électronique n’existe pas. Et j’ose imaginer que certains d’entre eux n’auront pas le temps de trouver d’autres moyens de contacter un candidat à qui ils faisaient une faveur en faisant le premier pas.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments : J’ai été ce que l’on pourrait appeler un supporter enthousiaste de Google en tant qu’entreprise. Étant un utilisateur de la première heure, on pourrait presque dire que j’ai été un apôtre du travail de Google. Google sortait ses produits prématurément, et je contribuais au feedback sur ces produits. Lorsque Google a réussi son coup politique en Chine en re-routant les serveurs vers Hong-Kong, j’ai applaudi et j’ai posté des articles à ce sujet sur tous mes réseaux sociaux, et j’ai fait la remarque, par ces mots, à plusieurs personnes que je connais : « Ils l’ont fait avec classe et dignité ». J’ai également convaincu l’entreprise pour laquelle je travaillais de migrer vers Google Business Apps et d’utiliser les Google Apps pour à peu près tout. Je les ai aussi encouragés à acheter de l’espace de stockage avec Picasa pour construire notre base de données d’images. De plus, j’ai convaincu presque toute ma famille et mes amis d’ouvrir un compte Google ou Gmail dans les deux dernières années, et j’ai montré aux gens comment les utiliser et leur ai expliqué les bénéfices de Chrome sur les autres navigateurs. J’ai même des actions Google.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments encore : je ne suis pas fâché que Google ait suspendu mon compte s’ils pensent qu’il a été corrompu, mais je suis absolument furieux qu’ils aient suspendu mon compte sans me prévenir, sans même me donner une raison, et sans me donner quelque moyen que ce soit pour le réactiver, et ensuite ignorer toutes mes tentatives de trouver un interlocuteur. Aucun autre prestataire de service Internet ne se comporte ainsi. Je comprends que Google ne puisse pas offrir de l’aide personnalisée pour chaque demande de ses utilisateurs, mais quand une société comme Google a pris une position de monopole sur des pans entiers de l’Internet, elle a le devoir de se montrer responsable envers leurs clients quand des évènements comme ceux-ci arrivent. J’ai utilisé tous les forums d’aide : en vain. Et cela n’a fait que me mettre davantage en colère. Je ne vais pas prendre la peine de citer toutes les conversations absurdes que j’ai eues, elles sont trop nombreuses et elles vont seulement me rendre de plus mauvaise humeur.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est quand un « top contributeur » a déplacé le fil de la discussion du forum d’aide initial sur lequel je postais vers un autre forum sans ma permission. Puis, quelques jours plus tard, un autre « top contributeur » a laissé un message indiquant que le fil se trouvait dans le mauvais forum et a fermé la conversation, m’empêchant dorénavant au même titre que n’importe quelle autre personne d’y participer ou de faire des progrès. Les forums d’utilisateurs ne sont pas des sources d’information contrairement à ce que pense Google. Et la seule fois qu’un employé de Google a contribué dans mon fil, cela a été pour dire que ma question n’était pas posée dans le bon forum, et pour me dire que j’aurais dû poster dans le forum où je l’avais initialement placé. Cela s’est produit quand j’ai reposé sans arrêt les mêmes questions. En voici un exemple :

Moi : S’il vous plait, aidez-moi, mon compte a été désactivé et je ne sais pas pourquoi !

Utilisateur 1 : Connectez-vous simplement au tableau de bord et faites quelque chose.

Moi : Je ne peux pas, mon compte a été désactivé.

Utilisateur 2 : Salut, je viens juste de voir votre post. Pouvez-vous vous connecter à votre compte et me dire ce que quelque chose dit ?

Moi : Mais puisque JE VOUS DIS que JE NE PEUX PAS me connecter à mon compte !

Utilisateur 1 : Ok, ne vous énervez pas, pouvez-vous faire quelque chose qui implique que je sois connecté ?

Moi : Mais NON ! Je ne peux pas DU TOUT me connecter à mon compte !!!

Puis la conversation a été fermée par quelqu’un et j’ai abandonné, après 5 jours. Je comprends la philosophie qui est derrière les forums modérés par les utilisateurs eux-mêmes. Mais dans de nombreux cas, les problèmes sont hors de portée des autres utilisateurs. Je ne demande pas comment activer les émoticônes dans une signature Gmail ou comment modifier ma photo de profil. Mon problème est un problème grave pour lequel une voie de secours sérieuse devrait être disponible. Je pense mettre le doigt sur une critique valide des insuffisances de l’aide géré par les communautés d’utilisateurs en ligne. Google a mis en place une gestion type Ferme des Animaux sur son site avec des utilisateurs qui pour la plupart sont bien intentionnés mais complètement incapables de prendre des décisions à un niveau administrateur ou d’offrir de l’aide à un tel niveau.

Et cela peut fonctionner en douceur aussi bien pour l’utilisateur que pour l’entreprise, du moment que l’entreprise reste impliquée et prend ses responsabilités quand la résolution d’un problème est entièrement hors de portée d’un autre utilisateur. Google ne fait pas cela.

Je me fiche qu’un service Google soit gratuit. C’est Google qui adopte l’approche : « Vous n’aimez pas ? Tant pis, de toutes façons c’est gratuit ». Gratuit ou non, tous les utilisateurs sont dans l’orbite de Google et c’est en nous montrant des publicités que Google a gagné ses milliards de dollars. Il n’y a pas d’autre société côtée en bourse du niveau de Google qui ne propose pas un support simple et complet à ses utilisateurs.

En plus des forums, j’ai également rempli tous les formulaires et demandes que j’ai pu trouver, et tenté de contacter chaque bureau et même chaque personne dans les deux bureaux de Manhattan. Mais pas une seule personne n’a été capable de m’aider, ce que je trouve choquant et exaspérant comme dans un cauchemar kafkaïen. Un employé m’a même répondu qu’il ne savait pas ce que je devais faire, ajoutant : « honnêtement, je n’utilise même pas Google » !

Après avoir exploré tous les canaux possibles pour obtenir de l’aide, j’ai finalement été contacté tout à coup par un employé de Google qui a vu par hasard mes protestations sur Twitter, un service que j’ai utilisé suite à l’absence complète de support à la clientèle de Google. Il a dit qu’il allait essayer de contacter des personnes chez Google pour m’aider à restaurer mon compte. Après plusieurs échanges d’emails avec lui, il m’a rapporté qu’il avait parlé à quelqu’un de chez Google qui lui a dit que mon compte avait été désactivé, sans lui dire pourquoi. Il a essayé d’expliquer que ça devait être une erreur, mais ils ne pouvaient pas se l’expliquer eux-mêmes.

Alors Google, voici autre chose à laquelle je voudrais que vous réfléchissiez. L’un de vos propres employés est allé vers vous pour moi et vous a indiqué que vous aviez désactivé mon compte par erreur, et votre réponse a été : « Non, on est presque sûr que non ». Votre propre employé a dit : « Écoutez, j’ai parlé à cette personne et je pense qu’une erreur a été faite, vous devriez revérifier ou lui parler ». Et à nouveau, votre réponse a été « Non, on est presque sûr ». Alors, posez-vous la question, quelqu’un comme moi qui a vu son compte être désactivé se lancerait-il dans une telle campagne vociférante et bruyante pour parler à quelqu’un de chez Google afin de leur expliquer qu’une erreur a été commise et que des années de données importantes ont été détruites, quelqu’un comme moi qui aurait volontairement mené des activités illégales sur son compte ferait-il cela ? Vous avez seulement besoin de bon sens pour répondre.

D’autres éléments : J’ai eu des comptes Hotmail, Yahoo, AOL et Compuserve et jamais l’un de ces comptes n’a été désactivé. Lorsque l’une de ces entreprises pensait que mon compte était compromis, il m’en ont averti et j’ai changé mon mot de passe. Pourquoi Google ne m’a-t-il pas notifié, à l’adresse email alternative que j’ai fournie à l’inscription, avant de prendre la décision de désactiver mon compte ? Cela me laisse perplexe. Si vous dites que j’ai violé certaines Conditions Génerales d’Utilisation c’est votre droit, et dans ce cas il est justifié de résilier mon compte. Mais je vous demande maintenant un minimum de preuves de cette violation.

Concernant toute violation, je veux être tout à fait clair : je n’ai causé aucune infraction aux Conditions Génerales d’Utilisation. Si Google pense que quelque chose a été fait de mon côté, je les défie de me dire ce que c’est. Je n’ai d’aucune façon violé de Conditions d’Utilisation, c’est un fait. Je voudrais signaler que quelques jours avant que mon compte ne soit désactivé j’obtenais des messages d’erreur quand j’essayais d’accéder à Google.com via Chrome. Je sais que je ne suis pas la seule personne que je connais à qui cela est arrivé. Mes amis et membres de ma famille utilisant Chrome obtenaient des messages d’erreur en essayant d’accéder à Google.com. Je pense que c’était des avertissements de redirections ou de certificat du site. J’ajoute que mon compte Google Plus se comportait de façon étrange lui aussi avant la désactivation de mon compte. Mais je lance des vérifications antivirus régulièrement et je n’ai jamais eu de virus. Une quelconque « violation perçue » est une méprise de la part de Google, ceci aussi est un fait.

Vous avez coupé mes moyens de communication, perturbé ma vie personnelle et professionnelle, détruit de larges parties des mes données personnelles et professionnelles, m’avez accusé de quelque chose sans me dire de quoi, avez bloqué toute communication directe avec mon accusateur, et ne m’avez donné aucune possibilité de faire appel de cette décision ou de parler à quelqu’un des faits connus dans cette affaire. Cette entreprise se dirige vers une voie très, très menaçante, si elle continue ainsi.

Plusieurs appels ont été faits à l’ONU pour que l’accès à Internet, aux communications essentielles et aux services d’information deviennent des Droits de l’Homme. En Grèce, en Espagne, en France et en Scandinavie, cela a déjà été accordé. Ce ne sera pas long avant que des lois ne soient mises en place concernant les comptes personnels utilisés pour accéder à ces services de communication et d’information, et des lois régulant la sauvegarde des informations personnelles contenues dans ces comptes, comme les correspondances. Il est impardonnable qu’une entreprise telle que Google, qui fait tant de déclarations sur les bonnes pratiques dans les domaines de la communication et de l’information, n’ait pas pris d’elle-même l’initiative et ait à la place choisi de traîner les pieds tant qu’ils n’y sont pas contraints par les gouvernements.

Les entreprises comme Google profitent des lois actuelles et écrivent dans leurs Conditions Générales d’Utilisation des choses telles que :

« …vous accordez à Google le droit permanent, irrévocable, mondial, gratuit et non exclusif de reproduire, adapter, modifier, traduire, publier, présenter en public et distribuer tout Contenu que vous avez fourni, publié ou affiché sur les Services ou par le biais de ces derniers. »
(NdT : Tiré directement de la version française)

Ces conditions ne sont pas viables et je ne doute pas qu’elles seront modifiées à un moment ou à un autre à l’avenir. De nombreux grands médias, tel que le Washington Post, ont déjà commencé à scruter Google et d’autres entreprises qui ont choisi d’imposer de telles drastiques conditions à leurs clients. Voir Google agir de la sorte est infect et inexcusable.

Et je m’inquiète réellement de l’avenir de la dissidence sociale et politique qui devra se battre pour exister dans l’œil du cyclone formé par les réseaux sociaux et l’actuelle politique de Google. Un climat dans lequel la Responsable de la Vie Privée chez Google, Alma Whitten, a encensé YouTube comme un moyen pour les activistes politiques de poster du contenu de manière anonyme. Quelques mois plus tard, une nouvelle décision interne éliminait tranquillement toute possibilité de publier anonymement.

Je tiens aussi à mentionner qu’en aucun cas je n’ouvrirai un autre compte Google.

Comme je l’ai déjà dit, j’ai toujours été un apôtre et un fidèle de Google. Aujourd’hui c’est terminé. Je vais en finir avec les Google Apps qu’utilise mon entreprise et laisser tomber tous les autres produits Google que j’utilise, même les services comme Google News que je consultais auparavant plusieurs fois par jour. J’étais même sur le point de remplacer mon iPhone par un téléphone tournant sous Android. Au lieu de cela, je vais dépenser la même énergie que je consacrais à encenser Google à dénoncer cette entreprise que je considère désormais comme extrêmement nuisible et aux pratiques honteuses. Je vais écrire à mon sénateur, vendre mes actions et contacter ma banque à propos de l’argent que j’ai versé pour le domaine et l’espace de stockage qui sont à présent inaccessibles. Je vais faire pression sur Google par tous les biais possibles pour qu’ils m’expliquent ce qu’ils ont perçu comme une violation de leurs Conditions d’Utilisation. Ces conditions que Google nous présente lors de l’ouverture d’un compte : « Google se réserve le droit de clore votre compte à n’importe quel moment, pour n’importe quelle raison, avec ou sans préavis » ne sont pas des termes défendables (pour certains points, je pense qu’un tribunal pourrait conclure que ces termes sont inacceptables).

Google est une entreprise à qui les gens confient de nombreuses données personnelles dont ils dépendent fortement. C’est pourquoi Google doit fournir la preuve de ce qui cause la désactivation d’un compte. Une fois de plus, on ne peut pas prendre l’argent des gens et avoir un monopole sur des pans entiers de l’Internet sans montrer un minimum de responsabilité vis-à-vis de ses clients. J’ose espérer que Google sera forcé de fournir un moyen de récupérer ses données personnelles telles que sa correspondance ou ses contacts lors de la fermeture d’un compte.

Le fait que pour le moment Google n’offre pas cette option lorsqu’il désactive arbitrairement le compte d’un utilisateur ne fait qu’ajouter l’insulte aux dommages causés.

Quand je pense à tout le business que j’ai fait faire à Google, à tout l’argent que j’ai apporté à cette entreprise, à tous les gens que j’ai convertis de Yahoo ou d’Hotmail, à tous les prêches que j’ai faits envers Android, à tout le travail que j’ai consacré à la souscription de mon entreprise à Google Apps, ça me met en rage et je regrette tout ce que j’ai fait. Et je vais faire tout ce qui est humainement possible pour défaire toutes ces actions, ainsi que pour mettre Google sous pression pour qu’elle devienne une entreprise plus responsable.

Honte à vous et à vos associés ainsi qu’à vos employés qui tolèrent de telles pratiques d’entreprise déplorables, déshonorantes et répréhensibles !

Notes

[1] Crédit photo : Stephen Brace (Creative Commons By)




Unhosted : libre et salutaire tentative de séparer applications et données sur le Web

Michiel de JongIl est désormais possible de se passer de la suite bureautique Microsoft Office et du système d’exploitation Windows en utilisant de fiables alternatives libres (GNU/Linux et Libreoffice pour ne pas les nommer).

Mais quid du réseau social Facebook et des services Google par exemple ? Est-il possible de proposer des alternatives libres à ces applications dans les nuages du web qui demandent une énorme bande passante et nécessitent des batteries de serveurs, avec tous les coûts faramineux qui vont avec (et que ne pourra jamais se permettre le moindre projet libre qui commence avec cinq gus dans un garage) ?

L’enjeu est de taille car c’est de nos données qu’il s’agit et dont on fait commerce.

Une piste de solution, qui sur le papier semble tout autant lumineuse que triviale, serait de pouvoir séparer l’application web des données que cette application traite. L’application serait quelque part sur un serveur et les données ailleurs sur un autre serveur (chez vous par exemple).

Imaginez un Facebook où toutes les données de ses utilisateurs ne seraient plus sur le site et les serveurs de Facebook ! Facebook serait bien bien plus léger du coup à administrer (moins rentable aussi c’est sûr).

Finis la centralisation et le contrôle sur vos données qui retrouvent du même coup une liberté qu’elles n’auraient jamais dû perdre. Et le web (re)devient un meilleur web.

C’est l’objectif pour le moins ambitieux mais ô combien urgent et utile du projet Unhosted conduit par Michiel de Jong dont nous vous proposons une instructive et enthousiasmante interview ci-dessous.

On notera au passage que le projet collabore avec Libreoffice. À quand un « Google Docs Killer » basé sur unhosted ?

On remarquera également que le projet n’hésite pas à accorder de suite une forte importance au confort de l’utilisateur. Extrait : « Nous avons besoin que les utilisateurs finaux sautent le pas, or les utilisateurs finaux ne comprennent souvent pas bien les principes du logiciel libre, mais si on fait des applications vraiment agréables, ils viendront pour les applications, et resteront pour la liberté. »

Bonne lecture. La problématique exposée ici constitue certainement l’un de nos prochains combats. En fait la bataille a déjà commencé. Elle s’annonce rude mais on déplacé tant de montagnes par le passé qu’il n’y a aucune raison de perdre confiance et de laisser le champ… libre aux seuls monopoles commerciaux à la taille démesurée.

Mais avant cela rien de tel que cette courte vidéo introductive pour se mettre dans le bain et comprendre plus encore de quoi il est question :

—> La vidéo au format webm
—> Le fichier de sous-titres

Entretien de Michiel de Jong avec la communauté

Fellowship interview with Michiel de Jong

Chris Woolfrey – 23 avril 2011 – Followship of FSFE
(Traduction Framalang : Pandark, Pyc et Slystone)

Michiel de Jong a travaillé comme programmeur, chercheur et administrateur système à Amsterdam, Oxford, Londres et récemment à Madrid en tant qu’ingénieur en scalabilité (ou adaptabilité) pour le réseau social espagnol Tuenti. L’hiver dernier il a pris deux mois de vacances (de hacker) à Bali pour monter le projet Unhosted. Il vit maintenant à Berlin avec Kenny Bentley et Javier Diaz, où ils prévoient de travailler à plein temps sur le projet si les donations le permettent.

Chris Woolfrey : Pouvez-vous expliquer ce qu’est le projet Unhosted avec vos propres mots ?

Michiel de Jong : Il y a plusieurs manières de le présenter ; mon approche préférée est l’angle du logiciel libre. Le terme de logiciel libre signifiait auparavant que l’on avait un pouvoir de contrôle (utilisation, partage, étude et amélioration) sur le code source et le logiciel exécuté par l’application, c’est la définition utilisée par la FSFE.

À l’époque, c’était suffisant. On considérait comme acquis le contrôle des données traitées par l’application ; c’est évident, elles sont sur votre ordinateur ou votre serveur, sur lequel vous avez un accès complet aux données utilisées par vos applications.

Concernant les logiciels installés, que ce soit sur un ordinateur de bureau ou sur un serveur, cette vision était juste : si vous contrôlez le code source, vous possédez la liberté logicielle. Mais ensuite, lentement, les logiciels installés ont été remplacés chez l’utilisateur par des logiciels hébergés (comme Google Docs, Facebook et Twitter). Ces sites web hébergés ne sont alors plus une source d’information comme les classiques sites web d’avant ; ce sont des applications interactives, et la liberté logicielle n’existe pas dans ce contexte.

Il est absurde que les logiciels hébergés vous fassent céder vos données à l’auteur de l’application en question, mais c’est ainsi que cela se passe. Cela s’est installé progressivement et insidieusement, car les sites web d’information sont devenus peu à peu des sites dynamiques, et ces sites dynamiques ont commencé à accepter les contributions d’utilisateurs et sont peu à peu devenu des applications interactives. Désormais, les logiciels hébergés sont largement utilisés, souvent en lieu et place d’anciennes applications installées localement sur les ordinateurs.

Dans la transition des applications locales aux application hébergées, la liberté logicielle a été oubliée. Personne ne parle plus désormais de logiciels installés localement, on parle de logiciels hébergés, et pourtant certains disent « Mon ordinateur ne contient que des logiciels libres ; seul le microprogramme de la carte graphique est propriétaire », et c’est une erreur car une bonne partie des « logiciels » qu’ils utilisent ne sont pas installés localement sur leur ordinateur mais utilisés au travers d’un navigateur internet.

Le projet Unhosted a pour but d’inventer et promouvoir un moyen de résoudre ces problèmes. La liberté logicielle doit, de nos jours, être non seulement la liberté du code mais aussi celle des données.

CW : Comment Unhosted permet-il ceci ?

MdJ : Nous séparons le code d’une application de ses données.

Quand vous vous connectez à une application web Unhosted, l’URI affichée dans la barre d’adresse indique l’emplacement du code de l’application, mais le nom de domaine suivant l’arobase de votre identifiant indique l’emplacement de vos données ; ce qui libère vos données de l’emprise du serveur de l’application, tout en libérant ledit serveur de la charge de l’hébergement de vos données.

Ceci implique que l’hébergement d’applications libres redevient possible sur le web. Après tout, il existe un évident substitut libre à Microsoft Windows : GNU/Linux, comme il existe un évident substitut libre à Microsoft Office : Libre Office.

Mais quel logiciel libre pour remplacer aussi évidemment Google Docs ? Pourquoi ne pas se connecter à « www.libredocs.org », par exemple, et utiliser là des applications web libres, comme pour un logiciel installé localement ?

La réponse simple est le coût inhérent au fonctionnement d’une application distante, trop élevé pour permettre la fourniture de ces services gratuitement. Pour coder du logiciel libre, il suffit que des développeurs y consacrent du temps et du savoir-faire. Mais il est impossible de proposer des logiciels libres en ligne sans coût financier, parce que cette activité nécessite l’utilisation de serveurs, et qu’il faut rétribuer les hébergeurs.

En séparant le code des données, laissant leur traitement au navigateur, notre solution règle ce problème : il devient très économique d’héberger des applications web libres parce que vous n’avez à héberger que l’application elle-même, son code, pas les données qu’elle doit traiter.

C’est le côté « libérez les applications du poids des données » de notre projet. Puis arrive l’autre coté : le logiciel c’est du code et des données, le logiciel libre c’est du code libre et des données libres.

Avec Unhosted, la liberté des données est assurée par le choix, lors de l’inscription à une application, du domaine devant héberger vos données pour vous. Vous pouvez ouvrir un compte chez un fournisseur de services (ils sont en train d’être mis mettre en place) ou demander à l’administrateur réseau de votre université ou de votre entreprise d’héberger un nœud pour celle-ci ; de cette façon, tout bénéficiaire d’une adresse « @quelquepart » aura la possibilité d’obtenir un compte Unhosted avec le même nom d’utilisateur.

CW : Y a-t-il des bénéfices en termes de vie privée à utiliser Unhosted en comparaison avec une application web qui conserve à la fois le code et les données à distance ?

MdJ : En utilisant une application Unhosted, toutes vos données sont chiffrées par le navigateur avant d’être transmises au serveur hébergeant votre compte Unhosted. De cette façon, les données confiées à votre compte Unhosted peuvent se trouver sur n’importe quel serveur, parce que, bien que vous vous reposiez sur ce serveur pour permettre un accès à vos données, ces données sont stockées et chiffrées, ainsi vous n’avez pas à craindre que l’hébergeur du compte lise vos messages, par exemple. Les données stockées par une application Unhosted sont chiffrées par votre navigateur avant d’être transmises et enregistrées sur votre compte, et elles seront déchiffrées au moment de leur sollicitation par le navigateur, au moment de leur utilisation. Le serveur hébergeant vos données Unhosted est aveugle ; il transmet vos données vers et depuis des sites web Unhosted sans pouvoir lire leur contenu.

Utiliser JavaScript pour la cryptographie n’a habituellement aucun intérêt, parce que si un site web contient des scripts JavaScripts pour chiffrer des données, alors ces mêmes scripts peuvent être utilisés pour espionner ces données chiffrées.

Avec Unhosted il en va autrement car nous séparons le domaine qui fournit l’application de celui qui héberge les données. L’hébergeur du compte Unhosted (celui des données) ne pourra pas accéder aux scripts de cryptographie de l’application, donc l’application Unhosted peut chiffrer des données que le serveur du compte Unhosted ne poura pas déchiffrer.

CW : Quel genre d’applications convient d’après vous le mieux à l’utilisation d’Unhosted ? Quel types d’applications Web vous attendez-vous à voir adopter Unhosted en premier ?

MdJ : Toutes les applications qui n’enregistrent pas un grand nombre de données utilisateur peuvent être facilement adaptées à Unhosted.

Ce sont toutefois les applications comme Google Docs, nécessitant le stockage de beaucoup de données utilisateur importantes, qui bénéficieraient le plus du passage à Unhosted. Celà pourrait aussi bénéficier grandement au parallélisme (informatique). Cependant, pour d’autres services, comme les moteurs de recherche, il faudra trouver de bons algorithmes pour permettre un fonctionnement plus décentralisé. En général, toute application web qui nécessite le stockage d’un grand nombre de données personnelles peut tirer profit d’Unhosted.

CW : Il y a une effervescence actuellement autour de projets libres décentralisé pour proposer des alternatives au réseau social Facebook (Diaspora, Appleseed…) ou au moteur de recherche Google (YaCy, Seeks…). Quel impact et comment pourrait s’adapter votre travail à des projets comme Diaspora, Appleseed et, Seeks ou YaCy ?

MdJ : Unhosted a été d’une certaine façon créé sur la mailing list des développeurs de Diaspora. Nous discutions du basculement de Diaspora de PGP vers SSL, et de la façon dont un chiffrement « de bout en bout » serait plus adapté. Alors j’ai commencé à développer un système de chiffrement de données en Ajax. Il était destinée à intégrer Diaspora. Plus tard, j’ai réalisé qu’il pourrait avoir bien d’autres applications.

Il nous reste encore à écrire une application « sociale » Unhosted qui pourrait fédérer Diaspora et Appleseed. YaCy étant un moteur de recherche, il nécessitera un travail travail d’ingénierie plus conséquent avant de l’intégrer dans l’architecture des applications web d’Unhosted.

Outre ceux que vous avez évoqués, nous avons aussi été approchés par LibreOffice pour discuter de la façon de faire fonctionner ensemble Unhosted et LibreOffice. Ce fut un grand honneur. Nous mettons actuellement en œuvre un cloud-sync Unhosted pour LibreOffice. Il ne déplace pas exactement LibreOffice sur le web, c’est à dire que toute l’application n’est pas dans votre navigateur, mais il fait de LibreOffice un « navigateur de documents », similaire à un « navigateur web », et il sera compatible avec les standards web que nous avons rendu publiques il y a trois semaines.

Pour le reste, nous ne faisons que commencer. Nous avons mis en ligne une application de démonstration qui montre le principe : http://myfavouritesandwich.org. Les gens peuvent copier cette démo et s’en servir comme un « Hello World! », de base pour l’utilisation d’Unhosted.

CW : En voilà un super nom de domaine !

MdJ : Au départ c’était myfavouritecar.org mais Javier estimait que myfavouritesandwich.org était plus marrant.

CW : L’apparence du projet est-elle importante pour vous ?

MdJ : 33% de notre équipe à plein temps est un graphiste. C’est une autre caractéristique relativement unique de ce projet ; je ne pense pas que beaucoup de projets de logiciels libres atteignent ce pourcentage. Nous avons besoin que les utilisateurs finaux sautent le pas, or les utilisateurs finaux ne comprennent souvent pas bien les principes du logiciel libre, mais si on fait des applications vraiment agréables, ils viendront pour les applications, et resteront pour la liberté.

Il n’y a pas de barrière d’entrée pour l’utilisateur : c’est une caractéristique importante pour nous. L’utilisateur n’a pas besoin de savoir si une application est complètement hébergée ou Unhosted. Si l’utilisation d’Unhosted devient transparente, alors nous aurons fait un bon travail.

Il nous faut convaincre les développeurs web de créer des applications Unhosted, et leurs clients n’ont même pas besoin de savoir précisément ce que c’est. Si un client demande à un développeur une nouvelle application, le développeur doit pouvoir juste répondre « OK, on va utiliser la dernière technologie pour développer cette application pour vous », et créer alors une application Unhosted. Le client n’a pas besoin qu’on lui signale l’utilisation d’une architecture Unhosted, seul le développeur doit le savoir.

Nous voulons créer quelques applications de démonstration qui soient vraiment agréables à utiliser, de façon à pouvoir éviter les stigmates qu’associent souvent les non-convertis aux logiciels libres (par exemple un logiciel libre peut bien fonctionner mais il est souvent moche). Je pense qu’il est important que les logiciels libres soient beaux et agréables à utiliser. Beaucoup de projets font du très bon travail aujourd’hui, et nous voulons être l’un d’eux. Voilà pourquoi 33% de notre équipe à plein temps est consacrée au graphisme.

CW : Il semble que vous essayez d’attirer des gens en dehors de l’écosystème existant des logiciels libres. Pensez-vous qu’il y ait des avantages évidents à utiliser Unhosted pour des entreprises et associations non concernées par les logiciels libres ?

MdJ: Oui, certainement. Tout d’abord, une entreprise qui utilise des logiciels comme moyen de production peut vouloir utiliser un chiffrement de bout en bout, de façon à ce que les secrets de l’entreprise ne quittent pas son réseau privé virtuel, mais qu’elle puisse tout de même utiliser le stockage sur les serveurs d’Amazon, par exemple. Ainsi, ils peuvent bénéficier d’applications web Unhosted avec des comptes Unhosted qui stockent des données chiffrées sur des serveurs Amazon, et le tout fonctionnera dans les navigateurs web de leur personnel, sans avoir à installer de logiciels chez eux.

De plus, l’évolutivité et la robustesse d’une architecture distribuée peuvent être un choix stratégique pour une entreprise : si vous désirez proposer une application propriétaire, mais ne voulez pas que vos serveurs soient le maillon faible du système, alors Unhosted apportera à vos applications moins d’indisponibilité, ou au moins les incidents ne toucheront pas tous les utilisateurs et votre application ne sera pas entièrement indisponible à cause de problèmes localisés. Enfin, le coût d’hébergement d’une application Unhosted est bien moins élevé que celui d’une application traditionnelle.

C’est un grand avantage pour les projets libres qui, à l’heure actuelle, ne peuvent simplement pas s’offrir l’hébergement d’applications web, mais pour les applications propriétaires c’est aussi une opportunité intéressante, parce que cela permet de réduire les coûts. Il y a donc là une activité commerciale possible comme fournisseur de comptes Unhosted. Selon le nombre d’applications intéressantes que nous pouvons susciter et promouvoir, des entreprises de ce type écloront, et alors les utilisateurs pourraient avoir un unique identifiant pour l’ensemble des applications Unhosted qu’ils utiliseront.

Les possibilités d’interopérabilité entre les applications sont elles aussi enthousiasmantes — la séparation des applications et des données permettra aussi (quand une complète compatibilité des formats le permettra) de basculer sur un autre site et constater, par exemple, que tous vos albums de photos sont bien là, pour revenir au site précédent pour voir que vos modifications ont été prises en compte instantanément, sans avoir à faire d’import ou d’export, parce que les données sont les mêmes.

Ce sera une expérience incroyable pour les utilisateurs finaux quand nous arriverons à faire fonctionner tout cela ! Certaines personnes ne se soucient pas d’évolutivité, de pérennité, de robustesse, de chiffrement, de vie privée, des applications dans le domaine public ou de logiciels libres, etc., ils ne se soucient que des possibilités d’interopérabilité des données. Ce type d’interopérabilité pourrait être le meilleur atout du projet Unhosted.

CW : Pourquoi a-t-il fallu attendre jusqu’à maintenant pour qu’un projet comme Unhosted voit le jour ?

MdJ: Je pense que tout cela est très récent. Il y a un an, on ne se rendait pas forcément compte qu’il y avait un problème avec nos données. Oui, il y a eu l’article de Richard Stallman au sujet de SaaS, puis les excellentes présentations de Eben Moglen, mais pendant ce temps-là, Facebook est devenu de plus en plus dominant. Sans oublier des projets tout neuf comme le Chrome Web Store et Chrome OS.

Il y a deux ans, ça n’était pas aussi évident. Enfin, je sais que je n’aurais pas pu envisager tout cela il y a deux ans, mais je pense que c’est le bon moment maintenant. Un grand nombre de ces idées ne sont pas les miennes. Certains principes importants viennent de Tim Berners-Lee et Zooko, je les ai juste rassemblées et ai rédigé un « manifeste » sur le sujet, ce qui encore une fois, est essentiellement copié d’Eben Moglen et Richard Stallman.

CW : Comment prévoyez-vous de travailler à plein temps sur Unhosted ?

MdJ : Nous ambitionnons de récolter pendant les prochains mois 36000 €. Nous avions le choix entre créer une entreprise ou développer entièrement le projet dans le cadre d’une association à but non lucratif.

Nous avons choisi la voie non marchande car nous pensons qu’il est important de le faire de cette façon. Nous sommes trois ingénieurs à plein temps, et nous avons l’intention de trouver un hackerspace à Berlin pour nous accueillir tous les trois, plus deux bureaux libres pour les hackers en visite. Nos locaux seront ouverts aux vacanciers qui voudraient passer une semaine à Berlin, trainer dans nos locaux et contribuer à libérer le web. Les loyers sont très bon marché à Berlin, toutefois chacun de nous a besoin d’environ 1000 € par mois pour vivre.

Nous sommes très impliqués dans ce projet. Prochainement, nous publierons des outils et des applications de démonstration afin de faire avancer le web Unhosted, et nous nous occuperons des détails à mesure que nous progresserons. Unhosted est un projet communautaire, entièrement ouvert, mais je pense qu’il est bon d’avoir une structure « fondation plus communauté », avec une petite équipe entièrement dédiée au projet, pour constamment lui donner une impulsion.

Nous encourageons les personnes intéressées à s’inscrire à notre liste de discussion, nous suivre sur Identi.ca et Twitter, et à rejoindre notre canal IRC. D’autre part, nous encourageons les développeurs à forker nos applications de démonstration pour développer leurs propres applications Unhosted.

Le web Unhosted commence aujourd’hui…