Quand le patron de Google donne la leçon à l’Angleterre sur l’éducation

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Rex Pe - CC byLittéraire ou scientifique  ? Non, littéraire et scientifique  !

La fameuse séparation culturelle française semble également de mise en Angleterre. Et selon le Directeur exécutif de Google, Eric Schmidt, elle est fortement handicapante dans le monde d’aujourd’hui.

Il est quelque part étrange de voir une multinationale faire la leçon à un État. Mais telle est l’époque dans laquelle nous vivons, et le pire c’est que Schmidt a raison. La critique fait mal pour un pays qui a été si innovant par le passé.

Il juge en outre tout à fait incohérent de ne pas enseigner l’informatique à l’école[1] pour comprendre comment les logiciels sont conçus plutôt que de se contenter de savoir les utiliser.

La situation est peu ou prou identique en France. Et nous risquons fort d’accompagner, voire devancer, la Perfide Albion dans sa chute si nous n’y faisons rien[2].

Eric Schmidt, président de Google, critique vertement le système éducatif britannique

Eric Schmidt, chairman of Google, condemns British education system

James Robinson – 26 août 2011 – The Guardian
(Traduction Framalang  : DéKa)

Schmidt critique la division entre les sciences et les arts et lettres et affirme que le Royaume-Uni «  devrait revenir sur les heures de gloire de l’ère victorienne  ».

Le président de Google a très violemment critiqué le système éducatif britannique soutenant que le pays a échoué à exploiter sa position dominante en matière d’innovation technique et scientifique.

Au cours de la conférence annuelle Mac Taggard à Edimbourg, Eric Schmidt a évoqué «  une dérive vers les sciences humaines  » et a critiqué l’émergence de deux champs antagonistes «  se dénigrant l’un l’autre, autrement dit, pour reprendre une expression locale, vous êtes soit un lettré, soit un matheux  ».

Schmidt s’en est également pris à Lord Sugar, haut responsable du Parti travailliste et star du programme de la BBC The Apprentice, qui a récemment déclaré au cours de l’émission que les «  ingénieurs n’étaient pas de bons commerciaux  ». Schmidt a confié au MediaGuardian Edinburgh international TV festival  : «  Au cours du siècle dernier, la Grande Bretagne a brusquement cessé de former et d’encourager ses polymathes. Il faut à nouveau réunir les sciences et les arts  ».

Ce vétéran de la technologie, qui a rejoint Google il y a dix ans pour aider les fondateurs Larry Page et Sergey Brin à développer la société, soutient que l’Angleterre devrait se pencher sur ses «  heures de gloire  » de la période victorienne pour se rappeler que les deux disciplines peuvent travailler ensemble.

«  Il fut un temps où c’était les mêmes personnes qui écrivaient des poèmes et fabriquaient des ponts  », dit-il, «  Lewis Carroll n’a pas uniquement écrit l’un des contes les plus célèbres au monde. Il était également professeur de mathématiques à Oxford. Et Einstein disait de James Clerk Maxwell qu’il n’était parmi seulement l’un des meilleurs physiciens depuis Newton mais aussi un poète confirmé.  »

Les commentaires de Schmidt font écho à ceux de Steve Jobs, qui a révélé cette semaine qu’il cessait son activité au sein d’Apple. Ce dernier a un jour confié au New York Times que «  si le Macintosh a eu un tel succès c’est parce que les gens qui ont participé à sa conception étaient des musiciens, des artistes, des poètes et des historiens, qui se trouvaient être également d’excellents informaticiens  ». Schmidt a rendu hommage à la si réputée innovation britannique, rappelant que le Royaume-Uni avait «  inventé les ordinateurs aussi bien en théorie qu’en pratique  », avant de souligner que le premier ordinateur de bureau «  a été construit en 1951 par J. Lyons, originellement une chaîne de magasin de thé  ».

«  Cependant  », dit il, «  le Royaume-Uni n’a pas réussi à concrétiser ses idées pour créer de durables industries dominantes sur le marché  ».

«  Le Royaume-Uni est le berceau de temps d’inventions liées au médias. Vous avez inventé la photographie. Vous avez inventé la télévision  », dit-il, «  Pourtant aujourd’hui aucun des grands leaders de ces deux domaines ne provient du Royaume-Uni  ». Et d’ajouter  : «  Merci pour vous innovations et vos brillantes idées. Vous n’en tirez cependant aucun bénéfice à l’échelle mondiale  ».

Selon lui, les start-ups britanniques d’une certaine dimension ont toujours fini par se vendre à des sociétés étrangères, alors que c’est le contraire qui devrait se produire. «  Le Royaume-Uni apporte un réel soutien à ses petites et moyennes entreprise, mais il n’y a pas grand intérêt faire germer des milliers de graines si c’est pour les laisser dépérir ou les transplanter à l’étranger. Les entreprises britanniques ont besoin d’être défendues pour pouvoir se faire une place sur le marché international, sans avoir à se vendre à des sociétés étrangères. Si vous ne relevez pas ce défi, le Royaume-Uni sera toujours le berceau de l’invention, mais pas du succès à long terme.  »

Schmidt a expliqué qu’à force de ne pas enseigner la programmation à l’école, le pays inventeur de l’ordinateur était en train de «  se débarrasser d’un important héritage informatique  ». «  J’étais sidéré  », dit-il, «  d’apprendre qu’il n’existe même pas d’enseignement de base de l’informatique dans les écoles britanniques aujourd’hui. Votre programme de technologie se concentre sur la manière d’utiliser un logiciel, mais n’explique pas comment il a été conçu.  »

Barack Obama a annoncé en juin que les Etats-Unis formeraient 10 000 ingénieurs en plus par an. «  J’espère que d’autres vont suivre. Le monde a besoin de plus d’ingénieurs  », a continué Schmidt. «  Pour que les entreprises innovantes britanniques puissent s’épanouir dans l’avenir digital, vous allez avoir besoin de gens capables de comprendre toutes ses facettes. Prenez exemple sur les Victoriens et ignorez les préjugés d’un Lord Sugar  : Intégrez des ingénieurs dans vos sociétés à tous les niveaux, même les plus élevés.  »

Notes

[1] Crédit photo  : Rex Pe (Creative Commons By)

[2] On pourra également lire l’article de Slate.fr La programmation pour les enfants : et pourquoi pas le code en LV3  ?

15 Responses

  1. iri

    « Le Royaume-Uni est le berceau de temps d’inventions liées au médias. Vous avez inventé la photographie. Vous avez inventé la télévision »

    Temps ??

    Plus quelques lettres manquantes par endroit

  2. Papap

    Parce qu’il est président de Google il se permet de faire la morale à un pays. Mais pour qui il se prend celui-là ? Et le président de Facebook aussi il va s’y mettre ? L’avenir des enfants c’est l’informatique? Il faudrait plutôt leur apprendre à faire pousser des plantes par exemple, ça serait bien, ou bien faire la cuisine, bricoler, apprendre l’histoire et les erreurs à ne pas reproduire, etc….

  3. flv

    J’ai lu l’article original, pas la traduction. Mais je trouve que le titre de l’article ici (« donne la leçon ») induit en erreur et engendre un commentaire comme celui qui précède.
    Schmidt ne parle pas au nom de son entreprise, ni au nom des Etats-Unis, il ne fait pas directement partie de l’éducation, il n’est donc pas là pour montrer le bon exemple (donc ne peut donner de leçon).

    Il donne juste son avis, en critiquant certes, en utilisant des exemples pas forcément à prendre à la lettre (« c’était mieux à l’époque Victorienne » … pas pour tout le monde, mais concernant le rapprochement arts/sciences oui).
    Patron de Google ou pas, cela n’a aucune importance. Il soulève une problématique sur laquelle il est important de se pencher.

    Et comme dit en introduction, on a plus ou moins la même chose en France.
    On apprend à utiliser une voiture, un ordinateur, un métier, mais on incite pas les gens à s’intéresser au fond des choses, au pourquoi du comment, comme on l’enseigne (en théorie) dans une filière scientifique.
    Je regrette qu’au lycée, par exemple, les scientifiques soient opposés aux littéraires, aux artistes, ou encore aux économistes.

    Que cela concerne la culture de légumes, un ordinateur, une automobile, l’économie d’une entreprise ou d’un pays, il s’agit de savoir manier des outils, arriver à comprendre un contexte, savoir comment cela fonctionne et pourquoi cela fonctionne ainsi. Les arts cultivent le monde de l’esprit, les sciences cultivent le monde matériel. Aucun n’empiète sur l’autre.

    Inciter les jeunes à être curieux, c’est leur donner le pouvoir de comprendre.
    Inciter les jeunes à être créatifs, c’est leur donner le pouvoir d’innover.

  4. iri

    Certes, mais l’informatique a pris une telle importance qu’il est nécessaire de l’apprendre (en terme de science et non pas de vulgaire outil). Comme d’autres disciplines

  5. pere.despeuples

    je ne vois pas bien le rapport entre déplorer une éducation qui sépare trop les humanités et les sciences d’une part, et militer pour plus de programmation à l’école d’autre part?

  6. iri

    Ce n’est pas la programmation mais l’informatique en tant que science.
    Il ne s’agit pas d’apprendre à programmer un logiciel en classe élémentaire !

  7. pere.despeuples

    ok, alors je reformule ma question :
    je ne vois pas bien le rapport entre déplorer une éducation qui sépare trop les humanités et les sciences d’une part, et militer pour plus « d’informatique en tant que science » à l’école d’autre part?

  8. adoucisseur d'eau

    Ok, mais Le programme de bourses Entente Cordiale est un prestigieux programme de financement bilatéral destiné aux étudiants français et britanniques de niveau «postgraduate» (bac + 3 et supérieur) souhaitant effectuer une année d’études ou de recherche de l’autre côté de la Manche. Financé entièrement par le secteur privé, le programme attribue chaque année environ 20 bourses aux étudiants français et britannique confondus.

  9. Christophe

    Il y a bien longtemps que l’enseignement des deux premiers cycles comporte des « sciences naturelles », venues s’immiscer aux cotés d’un discours religieux.
    Puis, voilà une cinquantaine d’années (je l’ai vécu), une dose de « technologie » s’est greffée aux enseignement de base (comment marche un pied à coulisse, un verrou, un va et vient d’éclairage; que des trucs basiques).

    Faire acquérir au plus jeunes les fondements de la société dans laquelle ils vivent leur permet d’en être partie prenante; du moins, c’est le but recherché.
    A quoi servirait de développer par un enseignement « littéraire » les capacités d’analyse et de réflexion sans cette compréhension ? A quoi sert de bien réfléchir si on ne comprend pas le problème ?

    A ce titre, et vu l’omniprésence de l’informatique dans notre société (et d’Internet dans celle de demain), en faire comprendre la nature semble être une approche logique, destinée à éviter que cette connaissance ne devienne l’apanage de quelques-uns et, par là même, la source d’un pouvoir.
    Voilà pour le fond.

    Après, pour la forme, que se soit le patron de Google qui fasse cette remarque …

  10. lentdormi

    « Le Royaume-Uni est le berceau de temps d’inventions liées au médias »
    Je ne suis pas habitué à voir de si grosses fautes sur le framablog. J’espère qu’elles seront corrigées.

  11. Pierre Choisir

    Le fait que ce soit le patron de Google qui fasse cette remarque « justifiée » permet de donner un écho à ce problème. On se spécialise de plus en plus tôt car tout est de plus en plus complexe. On ne peut pas tout savoir… Mais éveiller la curiosité devrait être obligatoire !

  12. ange16

    A ce moment là pas des ingénieurs à la française, qui sont plus des managers et des commerciaux que de véritables têtes pensantes: je vérai plus des options d’ouverture dans le programme de master d’informatique.

    Je suis d’accord avec la position prise: avoir une formation pluridisciplinaire est un réel plus, encore faut-il que les entreprises et les mentalités évoluent pour motiver les jeunes à adopter ce genre de profil. Qui payera aussi cher un élève ayant fait une licence RH suivi d’une formation complémentaire en info qu’un gars qui sort de Sup’info?

    Aujourd’hui les gens doués font prépa (bourrage de cranes dans des matières inutiles) puis école d’ingé (acquisition de connaissances pluridisciplinaires moyennes, + management et anglais) et enfin ils postulent à des cadres de managers parce que développer ben c’est un boulot de technicien mal payé de nos jours.
    Rares sont les formations actuelles d’expert technique également, le master étant actuellement plus technique qu’un diplôme d’ingé mais quand même généraliste…

    Payez mieux les gens qui font réellement le boulot, et on progressera plus vite 🙂

  13. le hollandais volant

    Donner du bon savoir n’est pas dans l’intérêt des gouvernements. Bien au contraire.

    « La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être de la plus pauvre sorte, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures.

    Avec un tel handicap initial, même de brillants éléments des classes inférieures n’ont que peu d’espoir de s’extirper du lot qui leur a été assigné dans la vie.

    Cette forme d’esclavage est essentielle pour maintenir un certain niveau d’ordre social, de paix, et de tranquillité pour les classes supérieures dirigeantes. »

  14. JM

    Ah mais c’est pas les USA qui font couler les belles PME européennes qui réussissent comme dans l’affaire Gemplus par exemple ? Avec des pratiques pareilles, on peut toujours essayer de créer, on se fera saborder dès que ça commence à marcher…

    Sinon sur le fond il n’a pas tord, on fait de nos chers enfants de bêtes consommateurs de produits technologiques. M’enfin font-ils mieux outre-manche ?