Quand le Saint-Siège veille à l’image du Pape

Alykat - CC byJ’ai vécu pendant deux ans à moins de cent mètres de la place Saint-Pierre (pile à la période où Jean-Paul II est retourné aux cieux). Et lorsque je me penchais à mon balcon le dimanche matin, je pouvais voir un petit bonhomme blanc au loin qui s’agitait du sien.

Hier, le Saint-Siège a communiqué à la presse un court article intitulé : « Déclaration concernant la sauvegarde de l’image du Pape »

Gruntzooki - CC by-saCe qui est intéressant ici ce n’est pas tant que le Saint-Siège décide de protéger sa « marque ». C’est compréhensible après tout qu’elle souhaite avoir un droit de regard sur la création de « l’école Pie XII », « l’association Benoît XVI » ou « le dentifrice Paul VI »[1].

Ce qui est intéressant c’est qu’elle décide de le faire maintenant. Comme si le formidable potentiel d’ouverture de notre nouveau siècle devait nécessairement s’accompagner d’une fermeture de tout ce qui touche aux droits d’auteurs, copyright et propriété intellectuelle.

Nous ne créerons donc pas de « Framakey Pontificale Remix » avec l’intégralité de la Bible dedans. Ce qui nous perturbe guère car ce n’était pas vraiment dans nos projets 😉

Déclaration concernant la sauvegarde de l’image du Pape

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Au cours de ces dernières années tout particulièrement, l’affection croissante et l’estime cordiale de beaucoup envers les Souverains Pontifes ont conduit à vouloir faire usage de leurs noms dans la titulature d’institutions universitaires, académiques ou culturelles et aussi d’associations, de fondations ou d’autres organismes.

Prenant acte de ce fait, il est précisé qu’il est de la compétence exclusive du Saint-Siège de veiller au respect dû aux Successeurs de Pierre et, par conséquent, de sauvegarder leur image et leur identité personnelle vis-à-vis d’initiatives qui, sans autorisation, adoptent le nom et/ou les armoiries des Papes pour des fins et des activités qui n’ont rien ou peu à voir avec l’Église catholique. Parfois, en effet, par l’usage de symboles ainsi que de logos ecclésiaux ou pontificaux, il s’agit de chercher à donner une crédibilité et une autorité à ce qui est promu ou organisé.

En conséquence, l’usage de tout ce qui se réfère directement à la personne et à la mission du Souverain Pontife (nom, image et armoiries), aussi bien que la qualification « pontifical(e) » doit être expressément et préalablement autorisé par le Saint-Siège.

Notes

[1] Crédit photos : Alykat (Creative Commons By) et Gruntzooki (Creative Commons By-Sa)




Le mouvement du logiciel libre vu par Hervé Le Crosnier

Aussiegall - CC by« … mais ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code. »

Quand Hervé le Crosnier s’immisce sur le site de l’association Attac pour leur (et nous) parler du mouvement du logiciel libre, cela donne un article majeur qui vient parfaitement illustrer la citation mise en exergue sur ce blog, permettant de mesurer à l’instant t le chemin parcouru[1].

Extrait : « N’ayons pas peur de dire la même chose avec d’autres mots qui parleront peut-être plus clairement aux héritiers du mouvement social et ouvrier : le mouvement des logiciels libre a fait la révolution, créé de nouveaux espaces de liberté, assuré un basculement des pouvoirs et libéré plus largement autour de lui ce qui aurait pu devenir un ordre nouveau, balisé par les décisions de quelques entreprises. Comme toute révolution, elle est fragile, comporte des zones d’ombres, des « risques » de dérapages ou de récupération. Mais avant tout, comme les révolutions sociales, elle est un formidable espoir qui va ouvrir à la joie du monde non seulement les acteurs, mais tous les autres courants entraînés dans la dynamique… »

À lire, en évitant le « syndrome des textes longs à l’ère de la distraction permanente » (pour vous aider : version PDF de cet article), mais aussi et surtout à faire lire à votre entourage.

Leçons d’émancipation : l’exemple du mouvement des logiciels libres

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Hervé Le Crosnier – 24 avril 2009 – Attac
Licence Creative Commons By-Nc

Un mouvement ne parle que rarement de lui-même. Il agit, propose, théorise parfois sa propre pratique, mais ne se mêle qu’exceptionnellement de la descendance de son action dans les autres domaines, qu’ils soient analogues, tels ici les autres mouvement dans le cadre de la propriété immatérielle, ou qu’ils soient plus globalement anti-systémiques. Les incises sur le rôle politique du mouvement du logiciel libre dans la phase actuelle et sa puissance d’émancipation ne sont donc que mes propres interprétations… même si une large partie du mouvement en partage, si ce n’est l’expression, du moins le substrat. Mais d’autres, pourtant membres du même mouvement, et construisant eux aussi le bien commun du logiciel libre pourraient penser que leur motifs d’adhésion et leur objectifs restent largement différents, considérant l’élaboration de logiciels libres comme une autre approche de l’activité capitalistique et de marché, mais qui leur semble plus adaptée au travail immatériel. Approche « pragmatique » et approche « philosophique » ne sont pas incompatibles, c’est du moins la principale leçon politique que je pense tirer de ce mouvement et de son impact plus global sur toute la société. Car si un mouvement ne parle pas de lui-même, il « fait parler » et exprime autant qu’il ne s’exprime. Le mouvement des logiciels libres, et ses diverses tendances, est plus encore dans ce cas de figure, car son initiateur, Richard M. Stallman n’hésite pour sa part jamais à placer les fondements philosophiques au cœur de l’action du mouvement.

Introduction

Pour saisir la genèse du mouvement des logiciels libres, mais aussi son réel impact libérateur pour toute la société, il convient de revenir à la question même du logiciel. Le néophyte a souvent tendance à assimiler le logiciel aux outils de productivité, tels les traitements de texte ou les navigateurs. Mais il convient de comprendre que le logiciel intervient dès qu’une machine, un microprocesseur, sait « traiter l’information », i.e. transformer des signaux d’entrée (souris, clavier, réseau, mais aussi capteurs les plus divers) en signaux de sortie exploitables soit directement par les humains (écran, impression,…), soit utilisés en entrée par une autre machine de « traitement de l’information ».

Le logiciel est partout dans le monde informatique :

  • c’est l’outil essentiel d’accès aux connaissances et informations stockées dans les mémoires numériques
  • il est lui même une forme d’enregistrement de la connaissance et des modèles du monde produits par les informaticiens
  • enfin chaque logiciel est une brique nécessaire au fonctionnement des ordinateurs (système d’exploitation), des réseaux et de plus en plus de tous les appareils techniques qui incorporent une part de « traitement de l’information », depuis les machines-outils de l’industrie jusqu’aux outils communicants de « l’internet des objets ».

Le logiciel est donc tout à la fois un « produit » (un bien que l’on acquiert afin de lui faire tenir un rôle dans l’activité privée ou industrielle), un service (un système, certes automatisé, auquel un usager va faire remplir des tâches) et une méthode (une façon de représenter le monde et les actions possibles). Ce statut ubiquitaire du logiciel est essentiel pour comprendre certaines des revendications de liberté des acteurs du mouvement : il ne s’agit pas simplement d’un outil (un produit de type « machine-outil »), mais d’un système-monde dans lequel se glissent peu à peu la majeure partie des activités humaines, dans tous les domaines, de la production industrielle à la culture, de la communication à l’éducation,… André Gorz parle d’une « logiciarisation de toutes les activités humaines »[2].

La conception des logiciels s’en trouve affectée, ainsi que sa catégorisation qui lui dessine une place spécifique dans le cadre même du « marché ». Le logiciel est à la fois :

  • une œuvre de création : on peut réellement parler d’un « auteur » de logiciel, au moins collectif grâce au développement de techniques de partage de code et de maintenance (génie logiciel et programmation par objets). Chaque logiciel porte la trace des raisonnements de celui qui l’a programmé ;
  • un travail incrémental : un logiciel comporte des « bugs », qui ne peuvent être corrigés qu’au travers de l’expérience utilisateur, et un logiciel doit suivre l’évolution de son environnement informatique (les autres logiciels). Ceci implique la coopération comme base de la construction de logiciels fiables, évolutifs, et adaptables aux divers besoins ;
  • une production de connaissances (les « algorithmes ») qui pourraient devenir privatisées si les méthodes de raisonnement et les formes du calcul ne pouvaient être reprises par d’autres programmeurs (cette question est au coeur du refus par le mouvement des logiciels libres des brevets de logiciels et de méthodes).

Le développement de l’informatique, et l’extension du réseau et du numérique à tous les aspects de la production, de la consommation et des relations interpersonnelles (au niveau privé comme au niveau public) crée un véritable « écosystème », dans lequel :

  • chaque programme doit s’appuyer sur des couches « inférieures » (des applications déjà existantes jusqu’aux pilotes des machines électroniques dites « périphériques ») et rendre des informations à d’autres logiciels. La définition des « interfaces » entre programmes devient essentielle, et la normalisation de ces échanges une nécessité vitale.
  • les programmes peuvent lire ou écrire des données provenant d’autres programmes ou outils. C’est l’interopérabilité.

Que ces échanges soient « ouvert » ou « à discrétion d’un propriétaire » devient une question déterminante. Dans le premier cas, l’innovation s’appuie sur ce qui existe, et peut rester concurrentielle (nouveaux entrants, mais aussi nouvelles idées) ; dans le second, tout concours à la monopolisation (au sens de monopoles industriels, mais aussi de voie balisée limitant la créativité). D’autant qu’un « effet de réseau » (privilège au premier arrivé[3]) vient renforcer ce phénomène.

Tous ces points techniques forment un faisceau de contraintes et d’opportunités pour les industries du logiciel comme pour les programmeurs individuels :

  • la capacité à « rendre des services aux usagers » sans devoir maîtriser une chaîne complète. Ce qui entraîne la création d’un « marché du service » et la capacité de détournement social de tout système numérique : innovation ascendante, usage de masse, relations ambiguës entre les facilitateurs -producteurs de logiciels ouverts ou de services interopérables – et les usagers,… ;
  • la mise en place d’un espace d’investissement personnel pour les programmeurs (autoréalisation de soi, expression de la créativité, capacité à rendre des services associatifs et coopératifs). On rencontre ici un changement émancipateur plus général que Charles Leadbeater et l’institut Demos a nommé « the pro-am révolution »[4].

Le mouvement des logiciels libres

Les logiciels libres partent de cette intrication du logiciel, de la connaissance et du contenu : tout ce qui limite l’accès au code source des programmes va :

  • limiter la diffusion de la connaissance,
  • privatiser les contenus (avec les dangers que cela peut représenter pour les individus, mais aussi les structures publiques, des universités aux États)
  • brider la créativité

Le « code source » est la version lisible par un « homme de l’art » d’un logiciel. L’accès à ce code est un moyen de comprendre, d’apprendre, de modifier, de vérifier, de faire évoluer un logiciel. C’est de cette liberté là qu’il est question dans le mouvement des logiciels libres.

Il s’agit de construire la « liberté de coopérer » entre les programmeurs. Un logiciel libre respecte quatre libertés :

  • la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0.)
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à ses besoins (liberté 1) ; pour cela, l’accès au code source est nécessaire.
  • la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider son voisin, (liberté 2).
  • la liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté (liberté 3) ; pour cela, l’accès au code source est nécessaire.

On notera que cet ensemble de « libertés » constitue une nouvelle « liberté de coopérer », et non un « droit » au sens où la responsabilité de la continuité de cette liberté reposerait sur des structures et des forces extérieures aux communautés concernées. C’est parce qu’ils ont besoin de coopérer pour libérer leur créativité (et aussi souvent pour gagner leur vie avec cette création de logiciel) que les développeurs ont installé, dans le champ de mines des entreprises du logiciel et de l’informatique, les espaces de liberté dont ils pouvaient avoir besoin. Le maintien de cet espace de liberté peut évidemment demander l’intervention de la « puissance publique » : procès, respect des contrats de licence, mais aussi financement de nouveaux logiciels libres ou amélioration/adaptation de logiciels libres existants, … Mais à tout moment, c’est la capacité à élargir et faire vivre les outils, méthodes, normes et réflexions par la communauté des développeurs du libre elle-même qui détermine l’espace de cette « liberté de coopérer ».

Une des conséquences, souvent marquante pour le grand public, au point d’occulter le reste, vient de la capacité de tout programmeur à reconstruire le programme fonctionnel (le logiciel « objet ») à partir du « code source »… Si le « code source » est accessible, pour toutes les raisons énumérées ci-dessus, il existera donc toujours une version « gratuite » du logiciel. Mais ce n’est qu’une conséquence : un logiciel libre peut être payant, c’est d’ailleurs souvent le cas : mais les copies seront à la discrétion de celui qui aura acheté un logiciel. S’il le souhaite, il peut redistribuer gratuitement. Le produit payant, s’il veut avoir une « raison d’être », y compris dans le modèle du marché, doit donc incorporer du service complémentaire. On passe d’un modèle « produit » à un modèle « service ».

La question économique pour la communauté des développeurs de logiciels libres, tourne alors autour du phénomène de « passager clandestin », celui qui va profiter des logiciels libres produits par d’autres, sans lui-même participer à l’évolution de l’écosystème. Pire, celui qui va privatiser la connaissance inscrite dans les logiciels libres. Par exemple, le système privé Mac OS X s’appuie sur l’Unix de Berkeley. Apple profite du choix des concepteurs de ce dernier, dans la pure tradition universitaire, de considérer leur logiciel comme une « connaissance » construite à l’Université et donc délivrée par elle pour tous les usages, sans règles et sans contraintes… une subtile question de gouvernance au sein du mouvement des logiciels libres, mais qui a des conséquences sociales d’ampleur… Dans la théorie des biens communs, la maintenance de la capacité des communautés à continuer d’accéder aux biens communs qu’elles ont produite est centrale.

Le « mouvement des logiciels libres » part de cette double contrainte :

  • favoriser la coopération autour du code informatique pour étendre l’écosystème
  • laisser fonctionner un « marché de l’informatique » (tout service mérite rétribution)

L’invention de la GPL (« General Public Licence »)[5] en 1989 par Richard Stallman et Eben Moglen va marquer un tournant :

  • auparavant le modèle « universitaire » produisait des biens de connaissance dont les usagers (étudiants, mais aussi industries) pouvaient disposer sans contraintes. Ceci permettait le développement de plusieurs produits construits sur les mêmes connaissances (vision positive), mais aussi la privatisation par les entreprises associées aux centres de recherche universitaires ou publics ;
  • écrite pour protéger une construction communautaire, celle du projet GNU (GNU’s Not Unix), la GPL produit une forme de gouvernance adaptée à un type de bien, à une série de règles et normes communautaires, et à un projet politique (représenté par la Free Software Foundation).

La GPL s’appuie sur le « droit d’auteur » pour compléter celui-ci par un « contrat privé » (une « licence ») qui autorise tout usage (donc offre les quatre libertés du logiciel libre), mais contraint celui qui s’appuie sur du code libre à rendre à la communauté les ajouts et corrections qu’il aura pu apporter. On parle d’une « licence virale » : tout logiciel qui utilise du logiciel libre doit lui aussi rester un logiciel libre.

Cette invention juridique est fondatrice, non seulement du mouvement des logiciels libres, et du maintien et extension de cet espace alternatif de liberté, mais aussi fondatrice pour d’autres mouvements qui vont exploiter la capacité des détenteurs de connaissance (ou les producteurs de culture) à décider volontairement de construire de nouveaux espaces de coopération et de liberté.

Un mouvement symbole

Le mouvement des logiciels libre représente une expérience sociale de grande ampleur, qui a profondément bouleversé le monde de l’informatique. Il suffit d’imaginer un monde dans lequel seul l’achat d’un logiciel permettait de tester des produits et services informatiques : dans ce monde il n’y aurait pas d’internet (les règles de l’organisme technique qui élabore les normes, l’IETF, imposent l’existence d’au moins un logiciel libre pour valider un protocole), pas d’échange de musique numérique, l’évolution des sites web serait soumise à la décision d’opportunité économique des géants oligopolistiques qui se seraient installés sur l’outil de communication, l’apprentissage des méthodes de développement informatique dans les universités seraient soumises à la « certification » de tel ou tel béhémot du logiciel ou des réseaux,…

N’ayons pas peur de dire la même chose avec d’autres mots qui parleront peut-être plus clairement aux héritiers du mouvement social et ouvrier : le mouvement des logiciels libre a fait la révolution, créé de nouveaux espaces de liberté, assuré un basculement des pouvoirs et libéré plus largement autour de lui ce qui aurait pu devenir un ordre nouveau, balisé par les décisions de quelques entreprises. Comme toute révolution, elle est fragile, comporte des zones d’ombres, des « risques » de dérapages ou de récupération. Mais avant tout, comme les révolutions sociales, elle est un formidable espoir qui va ouvrir à la joie du monde non seulement les acteurs, mais tous les autres courants entraînés dans la dynamique, comme nous le verrons plus loin.

Le mouvement des logiciels libres met en avant la notion de « biens communs » : créés par des communautés, protégés par ces communautés (licence GPL, activité de veille permanente pour éviter les intrusions logicielles[6]) et favorisant l’élargissement des communautés bénéficiaires. La gouvernance des biens communs, surtout quand ils sont dispersés à l’échelle du monde et de milliards d’usagers, est une question centrale pour la redéfinition de l’émancipation. Le mouvement des logiciels libres montre que cela est possible.

C’est un mouvement qui construit de « nouvelles alliances ». Les clivages face au logiciel libre ne recouvrent pas les clivages sociaux traditionnels. Par exemple, le souverainisme ne sait pas comment se situer face à des biens communs mondiaux : il n’y a plus de capacité à défendre des « industries nationales ». Seuls les services peuvent localiser l’énergie économique ouverte par de tels biens. Le mouvement des logiciels libres ne se définit pas en tant que tel « anti-capitaliste », car nombre d’entreprises, parmi les plus importantes et dominatrices (IBM en tête) ont compris que l’écosystème informatique ne pouvait fonctionner sans une innovation répartie, et donc des capacités d’accès et de création à partir des bases communes (le fonctionnement de l’internet et les normes d’interopérabilité). Il est plutôt « post-capitaliste », au sens où il s’inscrit dans le modèle général du « capitalisme cognitif »[7], qui est obligé de produire des externalités positives pour se développer.

Enfin, c’est un mouvement social qui s’est inscrit dès sa formation dans la sphère politique en produisant une utilisation juridique innovante (la GPL) comme moyen de constituer la communauté et protéger ses biens communs. Ce faisant, ce mouvement agit en « parasite » sur l’industrie qui le porte. On retrouve des éléments du socialisme du 19ème siècle : ne plus attendre pour organiser des « coopératives » et des « bourses du travail ». Une logique qui est aussi passée par l’expérience des mouvements dits alternatifs (« californiens ») : construire ici et maintenant le monde dans lequel nous avons envie de vivre.

Cette symbiose entre le mouvement, son radicalisme (c’est quand même un des rares mouvements sociaux qui a produit et gagné une révolution dans les trente dernières années) et les évolutions du capital montre qu’il existe une autre voie d’émancipation que « la prise du Palais d’Hiver », surtout dans un monde globalisé et multipolaire, dans lequel le « Quartier Général » n’existe plus[8].

Enfin, le mouvement des logiciels libres a construit une stratégie d’empowerment auprès de ses membres. La « communauté » protège ses membres. Il y a évidemment les règles juridiques de la GPL d’une part, mais pensons aussi à la capacité à « offrir » du code en coopération pour que chaque membre puisse s’appuyer sur un écosystème en élargissement permanent afin de trouver les outils dont il a besoin ou d’adapter les outils existants à ses besoins. C’est une des raisons de la force du mouvement : en rendant plus solides et confiants ses membres, il leur permet d’habiter la noosphère[9]. Cet empowerment doit beaucoup au mouvement féministe (même si paradoxalement il y a peu de femmes et qu’elles sont souvent traitées avec dédain parmi les activistes du logiciel libre). Comme dans l’empowerment du mouvement féministe, c’est la vie quotidienne et l’activité humaine créatrice qui est au coeur de la réflexion du mouvement social. La « concurrence » entre programmeurs libres se joue sur le terrain de « l’excellence » au sens des communautés scientifiques : il s’agit de donner du code « propre », de qualité, rendant les meilleurs services, autant que de permettre aux débutants de s’inscrire dans la logique globale, par leurs initiatives et activités particulières, sans la nécessité d’être un élément dans un « plan d’ensemble ». C’est un mouvement qui pratique l’auto-éducation de ses membres (nombreux tutoriels sur le web, ouverture des débats, usage des forums ouverts,…).

Enfin, même si de nombreuses structures associatives organisent et représentent le mouvement, la structuration de celui-ci comme mouvement social mondial est beaucoup plus floue. C’est au travers de l’usage des produits du mouvements que l’on devient « membre » du mouvement, et non au travers de la production d’un discours ou d’une activité de lobbyisme ou de conscientisation. On retrouve les formes d’adhésion « à la carte » des autres mouvements sociaux. On s’aperçoit aussi que les mouvements parlent toujours au delà des discours de leurs membres, individus ou organisations…

Extension : les nouveaux mouvements du numérique

Un autre élément essentiel pour comprendre l’importance et l’enjeu du mouvement des logiciels libre est de voir sa descendance dans d’autres mouvements liés à la sphère du numérique. Comme tout mouvement, les acteurs des logiciels libres ne sont pas tous conscients de l’étendu stratégique de leur actions. Nombre des membres se contentent des règles et normes « techniques » établies par le mouvement et se reconnaissent dans l’aspect pratique des résultats. Mais pourtant, les règles et les méthodes mise en place par le mouvement des logiciels libres se retrouvent dans d’autres sphères.

On parle d’une « société de la connaissance » ou « de l’information », ce qui est une expression ambiguë, qu’il conviendrait de mettre en perspective[10]. Mais pour résumée qu’elle soit, l’expression souligne que la propriété sur la connaissance, la capacité à mobiliser « l’intelligence collective » sont des questions organisatrices essentielles de l’économie du monde à venir. Et que ces questions renouvellent autant les formes de domination (par exemple la montée des grands « vecteurs »[11] sur l’internet, comme Google, Yahoo !, Orange, Adobe,… qui souvent s’appuient sur les logiciels libres) que les formes de l’émancipation, et la notion de contournement, de situation (au sens du situationisme) et de symbiose parasitique.

On voit donc apparaître de nouvelles lignes de faille dans les oppositions « de classe » liées au capitalisme mondialisé et technicisé. Et en conséquence de nouveaux regroupements des « résistants » ou des « innovateurs sociaux ». Plusieurs tentatives de théorisation de cette situation existent, depuis la théorie des Multitudes de Toni Negri et Michael Hardt[12], à celle de la Hacker Class de MacKenzie Wark[13], qui décrivent des facettes de ce monde nouveau qui émerge. Toutefois, ces interprétations ne savent pas encore répondre à deux questions centrales. D’abord celle dite traditionnellement des « alliances de classes », notamment la relation entre ces mouvements sociaux et les mouvement de libération issus de l’ère industrielle. Des « alliances » posées non en termes « tactiques » (unité de façade ou d’objectifs), mais bien en termes programmatiques (quelle société voulons-nous construire ? quelle utopie nous guide ? quelle articulation entre l’égalité – objectif social – et l’élitisme – au sens fort des communautés scientifiques ou des compagnons : être un « grand » dans son propre domaine de compétence – ?). Ensuite celle dite de la transition, particulièrement en ce qu’elle porte sur les relations entre les scènes alternatives et les scènes politiques. Le capitalisme, comme forme de sorcellerie[14], ne peut pas s’effondrer de lui-même sous le poids de ses contradictions internes. Le politique, avec toutes les transformations nécessaires des scènes où il se donne en spectacle (médias, élections, institutions,…), garde une place dans l’agencement global des divers dispositifs alternatifs – ou internalisés et récupérés – qui se mettent en place.

Ces questions peuvent avancer quand on regarde l’évolution du mouvement des logiciels libres, qui est né d’une innovation juridique (la GPL), et qui défend aujourd’hui son espace alternatif au travers de multiples actions contres les tentatives, souvent détournées et perverses, de mettre en place des enclosures sur le savoir et la culture. La place du mouvement des logiciels libres en France, avec notamment l’association April[15], au côté du mouvement spécialisé dit « La quadrature du net »[16], sur les dernières lois concernant la propriété immatérielle (lois dites DADVSI et HADOPI) en est un exemple. L’approche de la politique n’est plus « frontale », mais part de la défense des espaces de libertés, des « biens communs » créés, et leur reconnaissance comme forme essentielle de la vie collective. On retrouve les logiques du socialisme du XIXème siècle, des coopératives et de la Première Internationale.

Le mouvement des logiciels libres, s’il est le plus abouti et le plus puissant de ces nouveaux mouvements, n’est plus seul. C’est dans le domaine de la connaissance et de l’immatériel, dont la « propriété » que l’image de la GPL et des logiciels libres a connu une descendance abondante et pugnace. Les questions de la propriété sur la connaissance et de la construction, maintenance et gouvernance des biens communs créés par les communautés concernées sont deux éléments clés de ces nouveaux mouvements sociaux.

Quelques exemples :

  • le mouvement des créations ouvertes (Creative commons[17], Licence Art Libre,…) est construit autour de règles juridiques qui permettent aux auteurs d’autoriser des usages pour mieux faire circuler leurs idées, musiques, travaux divers. Ce mouvement emprunte directement à la « révolution douce » de la GPL pour son côté subversif, et à la fluidification du marché culturel comme conséquence de l’extension des communs de la culture. Une manière pragmatique de poser les problèmes qui évite l’enfermement dans des alternatives infernales[18].
  • le mouvement des malades qui veulent partager les connaissances avec leurs médecins. Avec une participation politique forte des malades de SIDA dans l’opposition aux ADPIC, qui s’est traduite par l’adoption des exceptions pour les médicaments dans les Accords de Doha[19]
  • le mouvement des chercheurs pour le libre-accès aux publications scientifiques et aux données scientifiques
  • le renouveau des mouvements paysans autour du refus de l’appropriation des semences par les trusts multinationaux (contre les OGM, pour le statut de bien communs des « semences fermières »[20] – un exemple symptomatique en est la réalisation d’un numéro de « Campagnes solidaires », journal de la Confédération Paysanne avec Richard Stallman)
  • le mouvement pour un nouveau mode de financement de la recherche pharmaceutique (notamment les propositions de James Love pour l’association KEI – Knowledge Ecology International[21]) et pour l’utilisation de nouveaux régimes de propriété afin de permettre le développement de médicaments adaptés aux « maladies négligées » (Médecins sans frontières, DNDi[22]…)
  • le mouvement mondial pour le libre-accès à la connaissance (a2k : access to knowledge) qui réunit des institutions (États, notamment pour l’Agenda du développement à l’OMPI, constitution du bloc des « like-minded countries »), des réseaux d’associations (IFLA, association internationale des bibliothécaires, Third World Network,…) ou des universitaires (il est intéressant de penser que ce mouvement a tenu sa première conférence mondiale à l’Université de Yale[23])
  • le mouvement OER (Open Educational Ressources[24]) qui réunit autant des grandes institutions (MIT, ParisTech) que des enseignants souhaitant partager leurs cours, avec le parrainage de l’UNESCO… et de HP !
  • le mouvement dit « société civile »[25] lors du SMSI (Sommet mondial sur la société de l’information, sous l’égide de l’ONU en 2003 et 2005) ou du Forum pour la Gouvernance de l’Internet, et tous les mouvement qui s’interrogent sur l’évolution des réseaux, combattent l’irénisme technologique autant que le refus passéiste des nouveaux modes de communication
  • les mouvements portant sur le « précariat intellectuel », depuis les intermittents du spectacle jusqu’à l’irruption d’une « hacker class » (MacKenzie Wark) pratiquant le piratage comme valeur de résistance
  • les mouvements de refus de la mainmise publicitaire sur l’espace mental collectif, qui organisent la dénonciation et le rejet de l’industrie de l’influence (Résistance à l’Agression publicitaire[26], AdBusters…)
  • le Forum Mondial Sciences & Démocratie[27], dont la première édition s’est tenue à Belèm en janvier 2009. Ce mouvement introduit la question des biens communs de la connaissance au coeur d’une nouvelle alliance entre les producteurs scientifiques et techniques et les mouvements sociaux.

Les formes de politisation au travers de l’empowerment des membres et des « usagers » de ces mouvements sont largement différentes de celles de la vague précédente des mouvements sociaux du vingtième siècle. La capacité de ces mouvements à s’inscrire directement dans la sphère politique est aussi une particularité. Il ne s’agit pas seulement de « faire pression » sur les décideurs politiques, mais d’imposer à la société politique la prise en compte de biens communs déjà établis et développés.

La problématique des biens communs n’a pas fini de produire une remise en mouvement de la conception d’une révolution émancipatrice, des rythmes de l’activité militante et de la relation entre les communautés de choix et les communautés de destin. Un élément moteur de la réflexion théorique en cours reste la dialectique entre l’empowerment individuel et coopératif/communautaire par la création et la maintenance de biens communs, et la défense des plus fragiles (financièrement, mais aussi juridiquement par des droits leur permettant une nouvelle gouvernance, l’accès à la connaissance ou de respect de leurs formes de connaissances, cf les mouvements « indigènes »[28]).

Car il faudra bien trouver des articulations théoriques, pratiques et politiques entre les diverses formes de résistance aux sociétés de contrôle, de militarisme, d’influence et de manipulation qui se mettent en place.

Pour cela, les pratiques, les réflexions et les succès sur le terrain du mouvement des logiciels libres sont à la fois un encouragement et une première pierre d’une réflexion par l’action. Ici et maintenant. En osant s’opposer aux nouveaux pouvoirs et aux franges les plus avancées des dominants.

Notes

[1] Crédit photo : Aussiegall (Creative Commons By)

[2] L’immatériel, André Gorz, Galilée, 2004

[3] Effet de réseau, Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_de_réseau

[4] The Pro-Am revolution, How enthusiasts are changing our economy and society, Charles Leadbeater, Paul Miller, Pamphlet, 24th November 2004 ISBN : 1841801364. http://www.demos.co.uk/publications/proameconomy

[5] http://www.gnu.org/licenses/licenses.fr.html

[6] C’est par exemple par ce type d’analyse des logiciels propriétaires que l’on a trouvé le « rootkit » (logiciel espion) installé par Sony à chaque fois qu’on lisait un CD de cette entreprise sur un ordinateur. Les logiciels libres, en permanence sous l’oeil des usagers et des membres de la communauté comportent beaucoup moins de failles et de risques d’infections par des virus ou autres « badware ».

[7] Le capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, Yann Moulier-Boutang, Ed. Amsterdam, 2007

[8] Ces deux références renvoient à l’imagerie du mouvement communiste de libération (bien distinct du stalinisme de pouvoir). La prise du Palais d’Hiver de Saint Petersbourg signait le début de la révolution de 1917 et l’écroulement de la dictature tsariste ; le texte de Mao Zedong « Feu sur le Quartier général » était un appel à la révolte contre l’installation bureaucratique « par en haut », qui allait ouvrir la période dite de la « Révolution culturelle ». L’histoire a fini par avoir raison des mouvements de libération, ce qui n’enlève rien à leur force de contestation, mais montre que la vision d’un monde centralisé, avec des noeuds de pouvoir centraux à défaire, reste en deçà des formes exactes du pouvoir… et donc des besoins des révolutions émancipatrices.

[9] Homesteading the noosphere, Eric Raymond http://catb.org/ esr/writings/homesteading/homesteading/ Une traduction française est disponible dans le livre Libres enfants du numériques, Florent Latrive et Olivier Blondeau, Ed. De l’Eclat.

[10] Société de l’information/société de la connaissance, Sally Burch : In : Enjeux de Mots, sous la direction de Valérie Peugeot, Alain Ambrosi et Daniel Pimienta, C&F éditions, 2005. http://vecam.org/article516.html

[11] Tentative de définition du vectorialisme, In : Traitements et pratiques documentaires : vers un changement de paradigme ? Actes de la deuxième conférence Document numérique et Société, 2008 Sous la direction d’Evelyne Broudoux et Ghislaine Chartron. Ed. ADBS

[12] Multitude : Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, Michael Hardt et Antonio Negri, La découverte, 2004

[13] Un Manifeste Hacker : "a Hacker Manifesto", McKenzie Wark, Ed. Criticalsecret, 2006 (traduction française)

[14] La sorcellerie capitaliste : Pratiques de désenvoûtement, Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La Découverte, 2004

[15] http://april.org

[16] http://laquadrature.net

[17] http://fr.creativecommons.org

[18] Construire le libre-accès à la connaissance, Hervé Le Crosnier, In : Entre public et privé, les biens communs de l’information. Colloque, Université de Lyon 2, 20 octobre 2005 http://archives.univ-lyon2.fr/222/

[19] Sida : comment rattraper le temps perdu, Gernan Velasquez, In : Pouvoir Savoir : Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle, C&F éditions, 2005. http://vecam.org/article1035.html

[20] Les paysans sont-ils les protecteurs des semences locales, Guy Kastler, à paraître (version en ligne : http://vecam.org/article1075.html)

[21] Prizes to stimulate innovation, James Love, KEI International http://www.keionline.org/content/view/4/1/

[22] Relancer la recherche et développement de médicaments contre les maladies négligées, Bernard Pecoul et Jean-François Alesandrini In : Pouvoir Savoir, op. Cité. http://vecam.org/article1033.html

[23] Accès à la connaissance : Access to Knowledge, Compte-rendu de la conférence Access to knowledge qui s’est tenue à l’Université de Yale du 21 au 23 avril 2006, par Hervé Le Crosnier http://herve.cfeditions.org/a2k_yale/

[24] Cape Town Open Education Declaration : Unlocking the promise of open educational ressources, http://www.capetowndeclaration.org/read-the-declaration

[25] Relieurs, Première phase du Sommet mondial de la société de l’information – SMSI 2002/2003, Note de synthèse Octobre 2004 par Valérie Peugeot http://vecam.org/article364.html

[26] http://www.antipub.org

[27] http://fm-sciences.org

[28] Forum social mondial : un appel pour « bien vivre » plutôt que vivre mieux, Christophe Aguiton http://www.cetri.be/spip.php?article1037




Numérique, droit d’auteur et pédagogie

Mr. Theklan - CC by-saPour ceux qui arrivent encore à résister aux sollicitations permanentes d’Internet pour réussir l’exploit de parcourir jusqu’au bout de longs documents, nous vous proposons aujourd’hui la lecture d’un article de Jean-Pierre Archambault, paru initialement dans la revue Terminal, qui interroge le présent mais surtout l’avenir des ressources pédagogiques à l’ère du numérique.

Parce que si l’on n’y prend pas garde, on pourrait bien vite se retrouver peu ou prou en face des mêmes tensions que celles qui ont été mises à jour lors de l’examen du projet de loi Création et Internet. Quid en effet d’un monde[1] où la propriété finirait par contraindre de trop l’accès et le partage, a fortiori à l’école ?

Numérique, droit d’auteur et pédagogie

Jean-Pierre Archambault
Terminal n° 102, Automne-Hiver 2008-2009, édition l’Harmattan, p. 143-155.

Les ressources pédagogiques utilisées dans les cours sont l’un des cœurs de l’enseignement, correspondant à des démarches et des conceptions d’apprentissage. Il y a les ressources que se procurent les enseignants. Éditées à des fins explicitement pédagogiques ou matériaux bruts non conçus initialement pour des usages scolaires, mais y trouvant naturellement leur place, comme une œuvre musicale ou une reproduction de tableau. Leurs modèles économiques et leurs modalités de propriété intellectuelle, vis-à-vis de l’institution éducative sont nécessairement distincts.

Il y a aussi les ressources produites par les enseignants eux-mêmes, aujourd’hui dans le contexte radicalement nouveau issu de l’omniprésence de l’ordinateur et d’Internet, à des échelles dont les ordres de grandeur sont sensiblement différents de ceux de l’ère du pré-numérique. Elles sont élaborées dans des processus collaboratifs qui appellent nécessairement des réponses en termes de droits d’auteur de nature à permettre et favoriser l’échange par une circulation fluide des documents.

La problématique juridique est vaste. Nous examinerons les licences de logiciels et de ressources libres – certains points qui font débat comme la sécurité juridique, considération importante pour les établissements scolaires. En effet, elles éclairent et illustrent la situation nouvelle et irréversible créée par l’irruption du numérique dans les processus de création de biens informationnels et la place de ceux-ci, sans cesse croissante, relativement et en valeur absolue. Nous poserons la question de l’exception pédagogique, en relation avec les missions de l’École et l’exercice concret du métier d’enseignant, au temps nouveau du numérique.

Un modèle français

Les ressources pédagogiques, au premier rang desquelles les manuels scolaires, mais aussi la banale préparation de cours, l’article ou la photographie « sur laquelle on est tombé »… ont toujours joué un rôle important dans l’exercice du métier d’enseignant, variable selon les disciplines. Comme support de cours bien sûr, mais aussi comme vecteur de mise en oeuvre de nouveaux programmes ou support de formation (derrière un scénario pédagogique, il y a toujours une pratique professionnelle). Il existe un modèle français de l’édition scolaire dont la figure centrale, le manuel des élèves, relève pour l’essentiel du secteur privé. Ce modèle a acquis ses lettres de noblesse et fait ses preuves depuis deux siècles. L’histoire de l’édition scolaire en France est l’histoire des relations entre trois acteurs majeurs, l’État, les éditeurs et les auteurs – des enseignants et des inspecteurs – et de leurs rapports de force mouvants, dans lesquels il arrive que la technique intervienne. Ainsi, à partir de 1811, un auteur ne peut plus soumettre directement à l’État un manuscrit sous prétexte, parmi d’autres raisons, que son examen est long et difficile. Une proposition de manuel doit être obligatoirement communiquée sous forme d’imprimé. L’éditeur devient, de fait, incontournable.

Depuis une quarantaine d’années, les manuels scolaires se sont profondément transformés. L’iconographie occupe jusqu’à 50 % de la surface. L’ouvrage permet des lectures plurielles et des usages multiples, qui préfigurent ceux de l’hypermédia. Il n’y a plus de cours en tant que tel… Le résultat combiné de cette complexité croissante des manuels, de la concurrence des méthodes actives et de la souplesse de la photocopie est sans appel : on constate depuis les années quatre-vingt une tendance à la perte de vitesse de l’utilisation du manuel traditionnel, même si l’attachement symbolique demeure[2][3]. L’enfant chéri de l’édition scolaire connaît une forme de crise…

Une rupture

…et le numérique arrive dans ce contexte. Rude concurrent ! En effet, le manuel scolaire, ce livre d’une centaine de pages, qu’on ne lit plus d’une façon linéaire mais dans lequel on navigue avec des index et des renvois, ce livre ne saurait rivaliser avec Internet et le multimédia, leurs hyperliens, leurs millions de pages et leurs outils de recherche automatisée. Le livre n’est désormais plus « l’enfant unique ».

Plus généralement, le numérique transforme radicalement le paysage éditorial installé. Certes, les enseignants ont toujours réalisé des documents à l’intention de leurs élèves, en préparant leurs cours. Jusqu’à l’arrivée de l’ordinateur et d’Internet, une élaboration collaborative avec des collègues et la visibilité des ressources produites ne pouvaient aller au-delà d’un cercle restreint et rapproché. Modifier un document écrit à la main était et demeure une opération lourde, qui plus est quand il circule et que chacun y met sa griffe. Dans les années 70 encore, les photocopieuses étaient rarissimes, les machines à alcool fastidieuses à utiliser.

Des échanges sur une plus grande échelle supposaient de mettre en forme des notes manuscrites, et la machine à écrire manquait de souplesse, ne tolérant pas vraiment les fautes de frappe. Le manuel scolaire était alors la seule perspective pour une diffusion élargie, l’éditeur le passage obligé, et on lui accordait d’autant plus facilement des droits sur la fabrication des ouvrages que l’on ne pouvait pas le faire soi-même ! Mais, aujourd’hui, les conditions de la production des ressources pédagogiques, numériques pour une part en augmentation régulière, ont donc radicalement changé, du fait de la banalisation des outils informatiques de réalisation des contenus (du traitement de texte aux logiciels de publication) et d’Internet qui favorise à la fois les productions individuelles et le développement du travail collectif des enseignants, dans leur établissement, ou disséminés sur un vaste territoire, à la manière des programmeurs qui écrivent des logiciels libres.

Il y a une transférabilité de l’approche du libre, des logiciels à la réalisation des autres biens immatériels. Internet permet aux auteurs de toucher un vaste public potentiel qui peut aisément reproduire leurs documents, les utiliser, les modifier… La profusion des ressources éducatives que l’on peut consulter sur Internet est là pour en témoigner. En nombre, les enseignants auteurs-utilisateurs sont devenus un acteur autonome à part entière de l’édition scolaire. On peut, pour le moins, parler de turbulences dans le secteur[4][5].

Sésamath

Cette association est synonyme d’excellence en matière de production pédagogique et de communauté d’enseignants-auteurs-utilisateurs. En effet, Sésamath a reçu une mention d’honneur pour le prix 2007 Unesco-Roi Hamad Bin Isa Al-Khalifa sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans l’éducation. L’Unesco a décidé d’attribuer une mention spéciale au projet de manuel libre « pour la qualité de ses supports pédagogiques et pour sa capacité démontrée à toucher un large public d’apprenants et d’enseignants ». L’association a également été récompensée aux Lutèce d’Or (Paris, capitale du libre). Elle regroupe une soixantaine de professeurs de mathématiques de collèges. De l’ordre de 400 contributeurs-auteurs utilisent régulièrement les outils de travail coopératif qu’elle a mis en place (Wiki, Spip, forums, listes de diffusion…). Animée d’une volonté forte de production de ressources sous licence libre, et si possible formats ouverts, Sésamath ne soutient que des projets collaboratifs dont elle favorise et encourage les synergies. L’association donne les résultats : environ un million de visiteurs sont comptabilisés chaque mois sur l’ensemble de ses sites. Parmi les projets soutenus par l’association figure Mathenpoche. Dix académies hébergent le logiciel sur un serveur local, en plus du serveur mis à disposition par Sésamath pour les professeurs des autres académies, en partenariat avec le Centre de ressources informatiques de Haute-Savoie (Citic74).

Ce sont ainsi 5 000 professeurs qui utilisent la version réseau de Mathenpoche à laquelle sont inscrits 260 000 élèves. Plus de 160 000 connexions élèves sont enregistrées sur les serveurs chaque mois, auxquelles il faut ajouter 236 000 connexions en accès libre sur le site public de Mathenpoche. MathémaTICE est une revue en ligne sur l’intégration des TICE dans l’enseignement des mathématiques, née en septembre 2006. Enfin, Le Manuel Sésamath pour la classe de cinquième, premier manuel scolaire libre, fruit du travail collaboratif d’une cinquantaine de collègues, s’est vendu à 72 000 exemplaires à la rentrée 2006. Le Manuel Sésamath pour la quatrième s’est vendu, lui, à plus de 90 000 exemplaires en septembre 2006. à n’en point douter, en cette rentrée 2008, le Manuel de troisième connaîtra le succès, comme ses prédécesseurs.

Les communautés d’enseignants auteurs-utilisateurs se multiplient[6][7][8]. Utilisant à plein les potentialités d’interaction du Web, elles fonctionnent comme les communautés de développeurs de logiciels libres. Leurs membres ont une vision et une identité communes. Organisées pour fédérer les contributions volontaires, dans une espèce de synthèse de « la cathédrale et du bazar », ces communautés répondent à des besoins non ou mal couverts et doivent compter en leur sein suffisamment de professionnels ayant des compétences en informatique. Les maîtres mots de la division du travail y sont « déléguez » et « distribuez ».

Les licences de logiciels libres

Les logiciels libres sont désormais une composante à part entière de l’informatique[9]. Parmi les raisons qui expliquent cette rapide évolution, le fait que l’approche du libre, qui relève du paradigme de la recherche scientifique, est en phase avec la nature profonde de l’activité d’écriture de logiciels (difficile par exemple de mener des projets combinant des millions et des millions de lignes de programme quand on n’a pas accès au code source) et qu’elle est ainsi gage d’efficacité et de qualité. Les enseignants utilisent des logiciels libres et certains en produisent. Pour autant, le long fleuve du libre, en général et dans l’éducation en particulier, n’est pas toujours tranquille. Intimement liées au modèle économique, il y a les réponses en termes de droit d’auteur. Et il arrive que des questions juridiques soient mises en avant, notamment celles ayant trait à la compatibilité des licences libres avec le droit français, à une certaine insécurité juridique. Qu’en est-il exactement ?[10].

La typologie classique des licences Logiciel libre comprend deux ensembles principaux, licences avec ou sans copyleft, et un cas spécial : le domaine public. La caractéristique des licences sans copyleft, dites type BSD est de ne pas obliger à conserver la même licence pour une oeuvre dérivée. Le code des logiciels utilisant ces licences peut donc être intégré dans du logiciel propriétaire ou du logiciel libre avec copyleft.

Les licences avec copyleft exigent qu’un logiciel dérivé conserve son statut de logiciel libre, notamment par la fourniture du code source de la version modifiée. En pratique, cela signifie qu’il n’est pas possible de diffuser un logiciel propriétaire incorporant du code utilisant une telle licence. La principale licence de ce type est la GNU General Public licence (GNU GPL) de la FSF (Free Software Fondation). D’autres licences de ce type sont la Lesser General Public License (LGPL) de la FSF, qui offre la possibilité de lier dynamiquement le programme à une application propriétaire. La LGPL est notamment utilisée par le projet OpenOffice.org. La licence CeCILL est une licence francophone proposée par le CEA, le CNRS et l’Inria pour les mondes de la recherche, de l’entreprise et des administrations, et plus généralement pour toute entité ou individu désirant diffuser ses résultats sous licence de logiciel libre, en toute sécurité juridique. Les auteurs de CeCILL l’ont déclarée compatible avec la GNU GPL. Et la FSF a indiqué que CeCILL faisait partie des licences compatibles avec la GNU GPL. Chaque licence doit préciser les licences qui lui sont compatibles.

« Une complexité conceptuelle de la licence GPL est qu’elle prétend ne pas être un contrat, ce qui peut poser des difficultés de compréhension en Europe ». Si, aux États-Unis, la GPL s’appuie essentiellement sur le copyright, en France et dans de nombreux pays d’Europe, l’habitude est de licencier les logiciels par des contrats, acceptés par les deux parties avec les clauses de responsabilité inhérentes aux contrats logiciels. « L’utilisation licite d’un programme sous GNU GPL n’impose pas une relation contractuelle entre l’utilisateur et le titulaire des droits d’auteur »[11]. Cette différence d’appréciation et la volonté d’avoir une licence d’origine française ou européenne basée sur une mécanique contractuelle sont à l’origine de la rédaction des licences CeCILL et EUPL. « Néanmoins, la validité de la licence GPL a été confirmée à plusieurs reprises par des tribunaux européens ». La diffusion sous des licences d’origine américaine comme la GNU GPL pouvant poser certaines questions de droit, engendrant des incertitudes qui peuvent dissuader des entreprises ou des organisations d’utiliser ou d’apporter leurs contributions aux logiciels libres. Dans ce contexte, le Cea, le Cnrs et l’Inria ont donc entrepris la rédaction de contrats de licences de logiciels libres visant à accroître la sécurité juridique « en désignant un droit applicable (et les tribunaux compétents pour juger d’éventuels litiges), en l’occurrence le droit français, conforme au droit européen et qui a vocation à concerner 27 pays », à préciser exactement l’étendue des droits cédés et à encadrer « la responsabilité et les garanties accordées par les concédants dans les limites permises par le droit français et européen ». Il y a une version française qui, avec la version anglaise fait également foi. Elle s’impose, de par la loi, aux organismes de recherche et établissements publics français.

L’utilisateur secondaire, c’est-à-dire la personne admise à utiliser un logiciel libre (vous et moi) à l’exclusion de tout acte de copie, de modification, d’adaptation et de distribution, est dans une situation juridique spéciale. Il n’a pas de relation contractuelle avec le concédant de la licence dans la mesure où il n’a pas consenti à la licence et ne connaît pas le plus souvent le concédant, auteur du logiciel libre qu’il utilise. « Il ne paraît pas possible de faire valoir un éventuel consentement implicite à la conclusion d’une licence et ce d’autant plus que le droit français ne permet pas en cette matière les accords tacites ».

Ces difficultés tiennent pour une part au droit, français notamment, qui, s’il accorde aux auteurs un droit exclusif sur leurs créations, ne dit rien d’explicite quant à des modalités leur permettant de faire connaître leurs volontés concernant les usages de leurs œuvres. Il y a là un vide juridique, sinon une forme d’incohérence. Cela étant, les licences de type GPL sont particulièrement protectrices des droits des utilisateurs dans la mesure où les contributeurs successifs s’obligent les uns les autres à respecter les dits droits, en s’appuyant sur les traités internationaux en matière de droit d’auteur. De plus, la publication et l’utilisation par les administrations françaises et européennes de licences libres (comme CeCILL et EUPL) traduisent la maturation juridique de la diffusion du libre, contribuant ainsi de fait, plus que fortement, à créer un environnement « sécurisé » pour les utilisateurs. Et puis, il y a des millions et des millions d’utilisateurs de logiciels libres en France et dans le monde. Une des vertus du droit étant de s’adapter aux évolutions, technologiques en particulier… l’insécurité, très relative, ne manquera pas de n’avoir été que momentanée.

Les licences de ressources libres

Les enseignants et les institutions éducatives ont encore tendance à mettre en ligne des ressources pédagogiques sans se poser explicitement la question de leurs licences. D’où un certain flou. Mais les licences de ressources libres ont commencé à faire leur chemin dans les problématiques éditoriales. Leur objectif est de favoriser le partage, la diffusion et l’accès pour tous sur Internet des œuvres de l’esprit, en conciliant les droits légitimes des auteurs et des usagers. Cela passe par des modalités juridiques correspondant aux potentialités de la Toile, notamment à cette possibilité de diffusion quasi instantanée d’une ressource immatérielle à des milliers et des millions de personnes. Le projet Creative Commons s’y emploie[12]. Il a vu le jour à l’université de Standford, au sein du Standford Law School Center for Internet et Society, Lawrence Lessig en étant l’un des initiateurs. Il s’agit donc d’adapter le droit des auteurs à Internet.

Creative Commons renverse le principe de l’autorisation obligatoire. Il permet à l’auteur d’autoriser par avance, et non au coup par coup, certains usages et d’en informer le public. Il est autorisé d’autoriser. Métalicence, Creative Commons permet aux auteurs de se fabriquer des licences, dans une espèce de jeu de Lego simple, constitué de seulement quatre briques. Première brique : attribution. L’utilisateur, qui souhaite diffuser une œuvre, doit mentionner l’auteur. Deuxième brique : commercialisation. L’auteur indique si son travail peut faire l’objet ou pas d’une utilisation commerciale. Troisième brique : non-dérivation. Un travail, s’il est diffusé, ne doit pas être modifié. Quatrième brique : partage à l’identique. Si l’auteur accepte que des modifications soient apportées à son travail, il impose que leur diffusion se fasse dans les mêmes termes que l’original, c’est-à-dire sous la même licence. La possibilité donnée à l’auteur de choisir parmi ces quatre composantes donne lieu à onze combinaisons de licences. Grâce à un moteur de licence proposé par le site de Creative Commons, l’auteur obtient automatiquement un code HTML à insérer sur son site qui renvoie directement vers le contrat adapté à ses désirs.

L’exception pédagogique

Les enseignants utilisent des documents qu’ils n’ont pas produits eux-mêmes, dans toutes les disciplines, mais particulièrement dans certaines d’entre d’elles comme l’histoire-géographie, les sciences économiques et sociales ou la musique : récitation d’un poème, lecture à haute voix d’un ouvrage, consultation d’un site Web… Ces utilisations en classe ne sont pas assimilables à l’usage privé. Elles sont soumises au monopole de l’auteur dans le cadre du principe de respect absolu de la propriété intellectuelle. Cela peut devenir mission impossible, tellement la contrainte et la complexité des droits se font fortes. Ainsi pour les photographies : droits du photographe, de l’agence, droit à l’image des personnes qui apparaissent sur la photo ou droit des propriétaires dont on aperçoit les bâtiments… Difficile d’imaginer les enseignants n’exerçant leur métier qu’avec le concours de leur avocat ! Mais nous avons vu les licences Creative Commons qui contribuent, en tout cas sont un puissant levier, à développer un domaine public élargi de la connaissance. Et la GNU GPL et le CeCILL qui permettent aux élèves et aux enseignants de retrouver, dans la légalité, leurs environnements de travail sans frais supplémentaires, ce qui est un facteur d’égalité et de démocratisation. Mais la question de l’exception pédagogique dans sa globalité, une vraie question, reste posée avec une acuité accrue de par le numérique : quelque part, le copyright est antinomique avec la logique et la puissance d’Internet.

L’exception pédagogique, c’est-à-dire l’exonération des droits d’auteurs sur les oeuvres utilisées dans le cadre des activités d’enseignement et de recherche, et des bibliothèques, concerne potentiellement des productions qui n’ont pas été réalisées à des fins éducatives. Par exemple, le Victoria and Albert Museum de Londres, à l’instar du Metropolitan Museum of art de New York, a décidé de ne plus facturer le droit de reproduction des œuvres de sa collection lorsqu’elles sont publiées à des fins d’enseignement, leur mise en ligne restant cependant soumise à conditions 13.

La société Autodesk a ouvert un portail étudiant de l’ingénierie et de la conception numérique depuis lequel les élèves, étudiants et enseignants de toutes les disciplines peuvent notamment télécharger gratuitement des versions pour étudiants de ses logiciels, toutes ses ressources concernant la conception architecturale, la conception graphique, le génie civil et la conception mécanique et électrique.

L’activité d’enseignement est désintéressée et toute la société en bénéficie. L’éducation n’est pas un coût mais le plus nécessaire (et le plus noble) des investissements. L’exception pédagogique a donc une forte légitimité sociétale. De plus, entrés dans la vie active, les élèves auront naturellement tendance à, par exemple, préconiser les logiciels qu’ils auront utilisés lors de leur scolarité. En la circonstance le système éducatif promeut des produits qu’il a pendant longtemps payé cher (avant que le libre contribue à une baisse sensible des prix pratiqués). D’un strict point de vue économique, il ne serait nullement aberrant que ce soit au contraire les éditeurs qui payent pour que les élèves utilisent leurs produits ! On n’en est pas encore là. Sans nier certains excès auxquels la photocopie non maîtrisée peut donner lieu, il ne faut pas oublier que les établissements d’enseignement contribuent déjà à la défense du droit d’auteur en versant des sommes importantes (près de trois millions d’euros de la part des universités) pour la photocopie d’œuvres protégées, au nom de la fameuse lutte contre le « photocopillage ». Les bibliothèques, quant à elles, doivent déjà faire face au paiement de droits de prêt diminuant fortement leur pouvoir d’achat.

On distingue le cas de l’édition scolaire dont la raison d’être est de réaliser des ressources pour l’éducation, et qui bien évidemment doit en vivre. L’édition scolaire traverse une période de turbulences de par le numérique. Les questions posées sont notamment celles de son positionnement par rapport aux productions enseignantes, du caractère raisonnable ou non des prix pratiqués, de l’existence d’un marché captif, d’un nouveau modèle économique combinant licences libres et rémunération sur les produits dérivés… mais pas celle du bien-fondé d’une légitime rémunération d’un travail fait, dans le contexte d’une école républicaine gratuite et laïque. Deux types de solutions existent pour assurer l’exception pédagogique : la voie contractuelle et la voie législative.

La voie contractuelle

En mars 2006, le ministère de l’Éducation nationale a signé des accords avec les syndicats d’éditeurs. Ils concernent les œuvres des arts visuels ; les enregistrements sonores d’oeuvres musicales, la vidéo-musique et les interprétations vivantes des œuvres musicales ; les œuvres cinématographiques et audiovisuelles ; les livres et les musiques imprimées ; les publications périodiques imprimées. Ils autorisent et limitent certains usages d’œuvres protégées par les enseignants, à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche. Ils couvrent une période allant de janvier 2007 à 2009, date à laquelle une exception sera inscrite dans le Code de la Propriété intellectuelle (CPI).

Les publics visés sont notamment la classe et la formation initiale. Les cas autorisés sont la diffusion ou projection en classe d’œuvres protégées de tout enregistrement audio (même intégral), de toute image, texte ou de partition, de toute œuvre audiovisuelle obtenue par un canal hertzien gratuit, de toute représentation (interprétation en particulier) en classe d’une œuvre ; la reproduction papier d’œuvres protégées pour les élèves de la classe (10 % maximum d’un livre ou d’une partition, 30 % d’un périodique) avec selon les types d’établissements un quota de copies par élève et par an ; la reproduction numérique d’images protégées donnée à titre temporaire pour toute œuvre diffusée en classe, avec un maximum de 20 images incorporées dans chaque travail pédagogique ou de recherche mis en ligne sur Intranet et des limitations (400 × 400 pixels, 72 dpi, pas de recadrage, pas d’accès direct aux œuvres, pas d’indexation, déclaration des œuvres par formulaire à l’AVA) ; la diffusion audio et audiovisuelle lors de concours ou colloques (extraits audio d’une œuvre limités à 30 secondes dans la limite de 10 % de la durée totale chacun, représentants, additionnés, moins de 15 % du total).

Les accords ne concernent notamment pas l’analyse d’une œuvre pour elle-même, la formation continue, l’utilisation en classe de DVD ou de VHS du commerce (les droits de diffusions ou de prêt doivent être alors acquittés par les centres de documentation des établissements), la création de bases d’œuvres protégées numérisées consultables en Intranet (sous forme de fichiers image, son ou vidéo en particulier), la distribution de fichiers numériques d’œuvres protégées aux élèves, la possibilité de faire des liens profonds sur des sites pour disposer, par exemple, d’extraits audio organisés de manière thématique.

Pour les livres et les musiques imprimées, les accords prévoient des vérifications (Article 10) : « Les représentants des ayants droit pourront procéder ou faire procéder à des vérifications portant sur la conformité des utilisations d’œuvres visées par l’accord au regard des clauses de l’accord. Les agents assermentés de chaque représentant des ayants droit auront la faculté d’accéder aux réseaux informatiques des établissements afin de procéder à toutes vérifications nécessaires. Ils pourront contrôler notamment l’exactitude des déclarations d’usage et la conformité de l’utilisation des œuvres visées par l’accord avec chaque stipulation de l’accord. En cas de manquement à ces obligations contractuelles, les représentants des ayants droit pourront requérir du chef d’établissement ou du responsable du réseau le retrait des œuvres ou extraits d’œuvres visées par l’accord utilisé illicitement. En cas de contestation sur l’application de l’accord, le comité de suivi se réunit pour constater l’absence de respect d’une clause de l’accord et proposer une solution aux parties. » Cette possibilité d’intrusion sur les réseaux des établissements scolaires a été diversement appréciée.

Des entraves à l’activité pédagogique

Les limitations prévues dans les accords (nombre de pixels, durée des extraits…) ne sont pas sans poser de réels problèmes pédagogiques. Yves Hulot, professeur d’éducation musicale à l’IUFM de Versailles (Cergy-Pontoise), en pointent quelques-uns. La combinaison d’une résolution limitée à 400 × 400 pixels et d’une définition de 72 dpi de la représentation numérique d’une œuvre avec une utilisation portant sur l’œuvre intégrale empêche le recours à des photos de détails des oeuvres.

Par exemple : « Le tableau Les noces de Cana de Véronèse comporte une intéressante viola da braccio au premier plan. Avec une telle limite de résolution sur cet immense tableau, il est impossible de projeter et de zoomer convenablement sur ce détail. Qui peut croire justifier de telles limitations ? » La durée des extraits d’une oeuvre musicale crée également des obstacles de nature pédagogique. « Si je travaille en classe de troisième sur la compagnie des Ballets russes, il me semble évident que pour apprécier l’importance de la révolution qu’elle apporta, une analyse d’au moins deux ballets s’impose, en l’occurrence L’après-midi d’un faune et Le sacre du Printemps, ce qui permet d’aborder deux musiciens capitaux, Debussy et Stravinsky. Le premier dure environ dix minutes, le second environ trente. Habitués que sont nos élèves à côtoyer majoritairement le genre chanson, il me semble utile de les confronter à d’autres durées et d’autres langages musicaux ou chorégraphiques. Mais je crains qu’à trop limiter l’activité pédagogique des enseignants on finisse par empêcher ceux qu’ils éduquent de réellement avoir les clés d’accès à la culture ! »

La voie législative

Les contenus numériques en ligne sont quasiment absents des accords précités. Est-ce un hasard ? L’affrontement fondamental est-il prudemment différé ? C’est principalement l’écrit numérique qui est envisagé, l’audio et l’audiovisuel en étant exclus. La mise en ligne d’images protégées suppose qu’elles soient incorporées à un travail pédagogique ou de recherche, et qu’elles soient limitées en qualité et en quantité. Ces accords couvrent essentiellement des activités de diffusion en classe, les seuls cas de reproduction à des fins de distribution concernent la photocopie. Les possibilités d’échange de fichiers numériques avec les élèves et les étudiants sont donc limitées, tout comme les échanges entre collègues lors de travaux interdisciplinaires.

Ils favorisent une offre éditoriale qui est de type catalogue et non sur-mesure ou granulaire malgré les développements récents de l’offre numérique. « En dehors du cadre et des limites prévus par les accords, l’obtention dans l’enseignement des droits d’exploitation d’œuvres protégées, représente une double difficulté : savoir à quels ayants droit demander les autorisations et avoir le budget éventuellement nécessaire pour s’en acquitter. D’où la nécessité de proposer un dispositif permettant aux enseignants d’être à la fois clairs du point de vue juridique et d’obtenir facilement les droits pour ce qu’ils se proposent de faire pour leurs élèves ou leurs étudiants. »[13]

Les enjeux de l’exception pédagogique demeurent

À l’occasion de la transposition par le Parlement, en 2006, de la directive européenne sur les Droits d’auteurs et les droits voisins dans la société de l’information (Dadvsi), qui prévoit la possibilité d’une exception pédagogique, la CPU (Conférence des présidents d’université) et l’ADBU (Association des directeurs de bibliothèque universitaire), constatant que la France était est l’un des rares pays européens à ne pas l’avoir retenue dans son projet de loi, redoutaient que cette législation n’aboutisse à une domination accrue de la littérature de langue anglaise déjà majoritaire parmi les ressources d’information disponibles en ligne, notre seule référence devenant Google et nos seules sources étant les données anglo-saxonnes.

Un amendement adopté lors du débat de 2006, applicable en 2009 (CPI L122-5 3-e), définit l’exception pédagogique comme : « La représentation ou la reproduction de courtes œuvres ou d’extraits d’œuvres, autres que des œuvres elles-mêmes conçues à des fins pédagogiques, à des fins exclusives d’illustration ou d’analyse dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative, et sous réserve que le public auquel elles sont destinées soit strictement circonscrit au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés, que leur utilisation ne donne lieu à aucune exploitation commerciale, et qu’elle soit compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire nonobstant la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l’article L. 122-10 ». Il comporte des aspects restrictifs. Le rendez-vous de 2009 est important.

Un usage loyal

Pierre-Yves Gosset, délégué de Framasoft, se prononce pour un système de fair use à l’américaine. Aux États-Unis, le fair use, (usage loyal, ou usage raisonnable, ou usage acceptable) est un ensemble de règles de droit, d’origine législative et jurisprudentielle, qui apportent des limitations et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son œuvre (copyright). Il essaie de prendre en compte à la fois les intérêts des bénéficiaires des copy – rights et l’intérêt public, pour la distribution de travaux créatifs, en autorisant certains usages qui seraient, autrement, considérés comme illégaux. Des dispositions similaires existent également dans beaucoup d’autres pays.

Les critères actuels du fair use aux États-Unis sont énoncés au titre 17 du code des États-Unis, section 107 (limitations des droits exclusifs : usage loyal (fair use) : « Nonobstant les dispositions des sections 106 et 106A, l’usage loyal d’une oeuvre protégée, y compris des usages tels la reproduction par copie, l’enregistrement audiovisuel ou quelque autre moyen prévu par cette section, à des fins telles que la critique, le commentaire, l’information journalistique, l’enseignement (y compris des copies multiples à destination d’une classe), les études universitaires et la recherche, ne constitue pas une violation des droits d’auteur. Pour déterminer si l’usage particulier qui serait fait d’une œuvre constitue un usage loyal, les éléments à considérer comprendront : l’objectif et la nature de l’usage, notamment s’il est de nature commerciale ou éducative et sans but lucratif ; la nature de l’œuvre protégée ; la quantité et l’importance de la partie utilisée en rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée ; les conséquences de cet usage sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’œuvre protégée. Le fait qu’une œuvre ne soit pas publiée ne constitue pas en soi un obstacle à ce que son usage soit loyal s’il apparaît tel au vu de l’ensemble des critères précédents ». « L’originalité du fair use par rapport aux doctrines comparables est l’absence de limites précises aux droits ouverts : alors que les autres pays définissent assez précisément ce qui est autorisé, le droit des États-Unis donne seulement des critères (factors) que les tribunaux doivent apprécier et pondérer pour décider si un usage est effectivement loyal. Par conséquent, le fair use tend à couvrir plus d’usages que n’en autorisent les autres systèmes, mais au prix d’un plus grand risque juridique. »

De la propriété à l’accès ?

Lors des Rencontres de l’Orme 2008, Frédérique Muscinési, médiatrice culturelle, a risqué le débat : « Aujourd’hui, l’intermédiaire ne peut plus constituer l’agent de la culture établie, ni du discours officiel. Il doit réfléchir, à l’heure des nouvelles technologies et de la substitution progressive de la propriété par la notion d’accès, à son rôle dans le cadre d’une probable et enfin réalisable démocratisation de la culture, non de sa consommation que son propre rôle antérieur rendait impossible ou invalidait, mais de sa création. » Elle a rappelé que « l’imitation et la modification sont à la base de la création entendue comme mémoire et transmission, puisqu’elles sont le moteur de l’apprentissage, processus ou objet même de la création ».

En conséquence, la propriété intellectuelle appliquée aux objets ou aux expériences artistiques, a passé d’être un appui aux auteurs à celui des industries culturelles qui, restreignant l’accès à l’objet de création, restreignent par là même ses possibilités. Culture et éducation cheminent ensemble, c’est bien connu…

Notes

[1] Crédit photo : Mr. Theklan (Creative Commons By-Sa)

[2] Les manuels scolaires : histoire et actualité, Alain Choppin, INRP, Hachette 1992

[3] « L’édition scolaire au temps du numérique », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 41

[4] Les turbulences de l’édition scolaire, Jean-Pierre Archambault, colloque SIF « Les institutions éducatives face au numérique », organisé par la Maison des Sciences de l’Homme de Paris-Nord, Paris les 12 et 13 décembre 2005

[5] Sur le blog du CNS (Canal numérique des savoirs), Laurent Catach (dictionnaires Le Robert) propose à ses collègues des voies de sortie des turbulences, leur demandant de se montrer optimistes : «  Éditeurs, ayez confiance, le web est une formidable opportunité, comme sans doute il n’en arrive que tous les quelques siècles… ». Il s’emploie à les rassurer : « Il est en effet logique et inévitable que plus la quantité d’informations augmente plus on a besoin de la hiérarchiser, de la filtrer, de la commenter, de l’animer et de la fédérer. Comment par exemple feront les élèves pour se repérer et trouver une juste information dans les 15 millions de livres numérisés de Google ? ». Il voit « se profiler un véritable eldorado éditorial ! ». Il met les points sur les i : « Nous avons à notre disposition un matériau informationnel extraordinaire (toute la richesse du web) à mettre en forme et à mettre en scène. Et l’information et sa mise en scène, n’est-ce pas là très précisément notre métier ?… La question n’est donc pas de savoir si les éditeurs scolaires ont un rôle à jouer sur le web : c’est une évidence. Et c’est même leur responsabilité vis-à-vis des jeunes générations de ne pas laisser les élèves se débrouiller tous seuls avec Internet. La seule et unique question est de savoir comment ils seront rémunérés. »

[6] Squeak – Hilaire Fernandes, « Squeak, un outil pour modéliser », EpiNet n° 86

[7] Abuledu

[8] Voir Wikipédia, notamment un « Wikipédia éducatif » et « Wikipédia : la rejeter ou la domestiquer », Éric Bruillard, Médialog n° 61

[9] Pour l’éducation voir « Les logiciels libres dans le système éducatif », Jean-Pierre Archambault et « Favoriser l’essor du libre à l’École », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 66

[10] Voir le Livre blanc sur les modèles économiques du libre, publié par l’April et Rapport du CSPLA (Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique) sur la diffusion ouverte des oeuvres de l’esprit

[11] Voir note 8, le Livre blanc sur les modèles économiques du libre, publié par l’April

[12] « Naissance d’un droit d’auteur en kit ? », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 55 et « Les licences Creative Commons dans le paysage éducatif de l’édition… rêve ou réalité ? », réflexions de Michèle Drechsler

[13] Arsmusicae Site d’information sur l’exception pédagogique pour l’enseignement et la recherche




Doit-on vendre son âme pour télécharger de la musique ?

Littledan77 - CC byVoilà. Le projet de loi Création et Internet a été adopté hier. Mais c’est une véritable victoire à la Pyrrhus pour le gouvernement et ceux qui l’ont soutenu.

Il existait déjà une fracture numérique sociale, il y aura désormais une fracture numérique « sociétale » profonde et durable entre ceux qui ont soutenu le projet de loi et ceux qui s’y sont opposés[1].

De quel coté se trouve notre ami Cory Doctorow, dont nos vous proposons ci-dessous une nouvelle et intéressante traduction ?

Connaître par avance la réponse ne vous dispense nullement de la lecture 😉

On ne devrait pas être obligé de vendre son âme pour télécharger de la musique

You shouldn’t have to sell your soul just to download some music

Cory Doctorow – 26 février 2009 – The Guardian
(Traduction Framalang : Poupoul2, Yonnel et Don Rico)

Les activités délimitées par les accords de licence de téléchargement vont du ridicule au douteux.

Voici l’accord de licence le plus court, le plus juste et le plus simple qui puisse exister : « N’enfreignez pas le droit d’auteur ». Si cela ne tenait qu’à moi, chaque œuvre numérique proposée au téléchargement, qu’il s’agisse de musique sur iTunes ou sur la plateforme de vente de MP3 d’Amazon, de livres électroniques pour le Kindle et le Reader de Sony, ou encore de jeux pour une console, porterait cette mention – et cette mention seule – en guise d’accord de licence.

« N’enfreignez pas le droit d’auteur » est une mention qui présente de nombreux avantages, mais son meilleur atout, c’est ce qu’elle explique à l’acheteur, à savoir : « On ne va pas vous entuber ».

La guerre du copyright a parfois eu de drôles de conséquences, mais la plus loufoque, à mon sens, a été la campagne menée par l’industrie du disque afin que l’on éduque davantage la population au problème de copyright sous prétexte que les jeunes gens grandissaient sans la sensibilité morale nécessaire pour devenir des citoyens responsables.

Les mêmes entreprises qui depuis des décennies expliquaient aux législateurs qu’ils ne voulaient surtout pas être les gardiens de la morale des jeunes – et qu’on ne pouvait les juger responsables de la culture « sex, drugs & rock’n’roll », du gangsta-rap et des raves où abondait la drogue – ont opéré un virage à 180 degrés et se sont mises à dénoncer à qui mieux mieux l’influence néfaste du téléchargement sur nos chères têtes blondes.

Bon, ils n’avaient pas tout faux : le fait que les ados – et un paquet d’adultes — ne voient pas de mal à mettre à genoux les maisons de disques est certainement une mauvaise nouvelle pour les maisons de disques. Aux débuts de Napster, voici quel était le sentiment général : les maisons de disques méritaient de crever pour nous avoir imposé leurs boys-bands en boîte, pour avoir cessé de vendre des singles, saccagé le catalogue, s’être entendu sur la fixation du prix des CDs, et enfin pour les contrats notoirement scandaleux qu’ils faisaient signer aux artistes.

Puis vinrent les DRM, les procès (d’abord contre ceux qui fournissaient les outils, tel Napster, puis contre des dizaines de milliers d’amateurs de musique), puis l’utilisation de programmes malveillants pour combattre la copie, le vote de lois inéquitables, la destruction des radios Internet. Petit à petit, les maisons de disque ont rendu légitimes les attaques à leur encontre (les studios de cinéma, les diffuseurs, les éditeurs de livres électroniques et les entreprises de jeux vidéo n’étaient pas en reste). À mesure qu’ils luttaient pour la défense du copyright, démolir l’industrie du divertissement devenait de plus en plus tentant.

Dix ans plus tard, l’industrie du disque a finalement repris la production de singles, et il semblerait qu’on soit revenu à un semblant de concurrence pour les prix (les contrats imposés aux artistes et l’existence de boys-bands figurent toujours dans la colonne des points négatifs, bien sûr). Ils se sont même débarrassés des DRM pour la majorité des ventes de musique, et le catalogue est bien plus fourni qu’à l’époque on l’on achetait sa musique dans un magasin de disques.

Et voilà ce qu’on nous serine, à présent : « Vous avez eu ce que vous vouliez, vous nous avez mis à genoux. Arrêtez donc de nous dépouiller et recommencez à acheter de la musique… c’est un marché équitable ». Mais il suffit d’étudier leur discours de plus près pour se rendre compte de ce qu’il cache : encore un appât pour nous attirer dans un autre piège.

Le piège, c’est cette saleté d’accord utilisateur. Dans les quelques magasins de disques qui restent, il n’y aucun employé posté à côté de la caisse pour déclamer « En achetant ce support musical, vous acceptez les termes et conditions suivantes », avant de déballer une liste interminable de droits auxquels vous renoncez pour avoir eu la témérité de payer la musique que vous écoutez au lieu de la télécharger.

Si leur laïus pour le téléchargement évoque « un accord équitable », alors cet accord doit l’être vraiment. Les activités circonscrites par ces accords de licence vont du ridicule au douteux, alors que toute personne sensée pourrait à mon sens estimer qu’il n’est pas équitable de vendre ou de louer sa collection de musique numérique.

Mais il n’appartient pas à l’industrie du divertissement de me dire ce que sont ou pas des conditions de vente équitables pour mes téléchargements. Si prêter un MP3 devait être illégal, qu’ils fassent voter une loi en ce sens (apparemment, ils sont très doués pour cela – le fait qu’ils n’y soient pas encore parvenu en dit long sur l’aspect aberrant de la proposition). L’accord de licence inéquitable et arbitraire tapi derrière la mention « Cochez cette case pour indiquer que vous avez lu et accepté nos termes de service » représente une vision du processus d’achat d’industriels qui prennent leurs désirs pour des réalités (voire qui se bercent d’illusions).

Si l’on veut nous rebattre les oreilles qu’il s’agit « d’un accord équitable », alors le CLUF devrait être le suivant : « Vous êtes autorisé à faire ce que bon vous semble de ce produit, à la seule condition de ne pas enfreindre la loi ».

Non pas « Toi qui achètes ici, abandonne tout espoir » (NdT : Référence à la Divine comédie de Dante).

Notes

[1] Crédit photo : Littledan77 (Creative Commons By)




Largage de liens en vrac #13

Tony the Misfit - CC byUne nouvelle version de nos liens logiciels en vrac d’assez bonne facture ma foi.

Comme pour les éditions précédentes, vous êtes cordialement invité à nous en dire plus dans les commentaires si vous connaissez ou avez testé les logiciels en question[1].

  • Cofundos : Ce n’est pas un logiciel mais un nouveau service web que l’on pourrait définir comme une sorte de place de marché pour les projets de logiciels libres. Structuré en réseau social, il aide à développer de nouvelles idées en regroupant ceux qui en ont besoin avec les développeurs qui sont prêts à les réaliser, moyennant finances (ou non).
  • Mediafox : Lu sur Lifehacker, Mediafox est une assez impressionnante version customisée de Firefox (thème + de nombreuses extensions) portable dédiée au multimédia. C’est aussi une belle démonstration de ce qu’il est possible de faire avec Firefox et ses extensions. Uniquement pour Windows (et en anglais).
  • PhoneGap : Un prometteur environnement JavaScript pour votre téléphone (Android, iPhone, Blackberry) limité pour le moment à quelques fonctionnalités (géolocalisation, vibreur…) pour développer dans le futurs de jolies WebApps.
  • Zekr : Une application Java multilangues destinée à l’étude du Coran.
  • Un livre blanc sur les CMS : Rédigé par Smile, un livre blanc sur les CMS Open Source : Spip, Joomla, Typo3, Drupal, etc. Utile pour faire le bon choix au lancement d’un projet Web (dommage que la licence soit un full copyright).
  • Songbird 1.1 : Nouvelle version majeure pour ce concurrent libre d’iTunes qui a le vent en poupe.
  • Simile Widgets : En JavaScript Ajax, quatre modules pour créer de riches applications web (frise chronologique, géolocalisation, graphiques, et défilement d’images à la sauce Apple),
  • AjaXplorer : Un esthétique gestionnaire de fichiers en ligne en Ajax qui témoigne lui aussi des avancées des applications web (les photos s’affichent, le mp3 et les flv se lisent, etc.).
  • Mixwidget.org : Une vieille K7 qui lit en flash votre playlist mp3. On est loin des formats ouverts mais c’est là encore très joliment réalisé.
  • OpenWith.org : L’un des plus intéressants de la série, à ceci près que ce n’est pas du libre et que c’est que pour Windows, ce qui fait deux lourds handicaps j’en conviens ! C’est aussi bien un service web qu’une application qui associe à tout format de fichier un logiciel libre et/ou gratuit permettant de le lire. Si vous tapez DOC par exemple, le logiciel vous proposera OpenOffice.org pour le lire avec un bouton direct pour le téléchargement. Pas forcément très pertinent avec MP3 (pourquoi Picasa en premier ?) ou PDF (il manque Sumatra !) mais l’idée est plutôt bonne, surtout pour aider votre belle-mère qui vient de vous envoyer un mail vous expliquant qu’elle ne comprend pas pourquoi elle n’arrive pas ouvrir sa pièce jointe en double-cliquant dessus ! Si l’application avait été libre et multi-OS et si les choix proposés se restreignaient au logiciel libre, on aurait obtenu un super service (quand bien même, oui je sais, proposer du freeware rend service à Mme Michu).
  • Creative Commons pour MS Office : Pour ceux qui, pour x raisons, travaillent encore avec la suite bureautique Microsoft MS Office (en particulier chez mes collègues profs) je signale que le plugin permettant de placer facilement son document sous licence Creative Commons, déjà disponible pour MS Office 2003, vient de sortir pour MS Office 2007.
  • 6zap : Une application Ajax-Web très ambitieuse puisqu’elle vous propose sur une même page une messagerie, un calendrier, un gestionnaire de fichiers et de contacts. On aurait donc à faire avec une sorte de groupware capable de potentiellement concurrencer Google, rien que ça ! (la FermeDuWeb en fait un rapide survol).
  • pHash : Un système de marquage (empreinte digitale numérique) qui contrairement à la cryptographie classique se base sur le contenu même du fichier pour son algorithme. Ainsi, à ce que j’en ai compris, le même fichier un peu modifié verra son marquage un peu modifié lui aussi, permettant de retrouver et associer facilement les deux fichiers en question.
  • Shutter : Linux only, et la copie d’écran devint un jeu d’enfants.
  • Qimo 4 Kids : Une distribution Ubuntu totalement orientée enfants avec plein de petites applications dédiées pré-installées. Une fois francisée cela pourrait bien intéresser nos écoles primaires.
  • TurnKey Linux : Basé sur Ubuntu, un système silimaire à Bitnami permettant de faire tourner de manière autonome (disque dur, clé USB, live CD, virtualisation…) des applications web (Drupal, Mediwiki, Joomla…) clé en main puisqu’il embarque le trio LAMP à chaque fois avec lui (du moins je crois). Pour ce qui concerne Windows, Pierre-Yves est en train d’y travailler avec la Framakey.
  • Frescobaldi : Pour faire simple, Frescobaldi est à LilyPond ce que Kile est à LaTeX : un front end graphique pour KDE4 (source LinuxFr).
  • DeskHedron : Le fameux cube 3D de Compiz (et de GNU/Linux) plongé dans l’univers Windows. Absolument aucune idée de ce que ça vaut concrètement.
  • Mahara : Je ne connaissais pas ce gestionnaire de portfolio orienté éducation. Comme ça sans l’avoir du tout testé, je la vois comme une sorte de mix entre un ENT et un Facebook (qui s’accouple bien avec Moodle qui plus est). Entre nous soit dit, les fameux ENT dont parle depuis plusieurs années notre chère Éducation Nationale sans réussir véritablement à les déployer massivement, vous ne trouvez pas qu’ils ont pris un coup de vieux avec l’avènement des réseaux sociaux ?
  • OneSwarm : Développé par des chercheurs de l’Université de Washington, ce logiciel ne fera pas plaisir à Christine Albanel puisqu’il permet d’échanger des fichiers en P2P mais de manière beaucoup plus sécurisé puisque l’on peut restreindre les informations transmises à un cercle d’amis dûment identifiés (du coup ils appellent cela le F2F, Friend-to-Friend). On pourra lire PC Inpact pour de plus amples informations.

Notes

[1] Crédit photo : Tony the Misfit (Creative Commons By)




Plus de 100 vidéos autour du Libre avec Framatube et Blip.tv

La cola de mi perro - CC byFramatube, contraction pas forcément heureuse mais en tout cas signifiante de Framasoft et YouTube, a récemment franchi le cap symbolique des 100 vidéos (104 pour être précis), presque toutes en français ou sous-titrées, offrant par là-même un catalogue « spécialisé » qui pourra être utile à toute personne souhaitant s’informer et diffuser la « culture » et « l’état d’esprit » du logiciel libre, pris au sens large (et nébuleux) du terme.

Bien que toujours considéré en version bêta, nous le faisons aujourd’hui « sortir de l’ombre » pour vous le présenter plus en détail[1].

En version courte et flash

Si vous êtes un lecteur ou un webmaster pressé, et que le format flash ne vous fait pas peur, vous pouvez tout de suite visiter cette page pour avoir l’occasion de toutes les visionner d’un coup à même notre lecteur embarqué (dont vous obtiendrez le code pour en faire de même sur votre propre site si d’aventure vous le souhaitiez). Vous pouvez également sauter tout notre « inutile verbiage » pour accéder directement à une petite sélection bien sentie de ce que l’on pourrait tout aussi improprement qualifier de « Web TV du Libre » du réseau Framasoft.

Mais, comme nous le verrons ci-après, il est aussi possible (et conseillé) de se rendre sur notre compte hébergé par blip.tv.

Le choix blip.tv

À l’origine il s’agissait de stocker et d’archiver les vidéos présentées sur le Framablog. On avait commencé par les héberger sur nos propres serveurs mais par souci de charge (et d’économie de moyens) on a préféré externaliser le service en ouvrant donc un compte sur la plate-forme blip.tv.

Soit dit en passant ce point de départ explique également le caractère quelque peu éclectique de la sélection. Il n’y a pas eu volonté méthodique de référencer toutes les vidéos évoquant le logiciel libre francophone. Cela s’est fait petit à petit en fonction des sujets mis en ligne sur le blog.

Toujours est-il que pourquoi blip.tv et non pas YouTube ou Dailymotion ?

Pour plusieurs raisons à cela.

  • Blip.tv reconnait et sait convertir le format libre Ogg Theora, on peut donc uploader directement dans ce format.
  • Au delà du streaming en flash, blip.tv propose explicitement le téléchargement, non seulement au format flash (.flv) mais aussi au format d’origine, donc pour ce qui nous concerne le Ogg. Ceci permet aux visiteurs qui ne possèdent pas le plugin flash de ne pas être pénalisés.
  • Blip.tv fait mention explicite de la licence des vidéos (lorsque l’on met en ligne une vidéo, il est en effet proposé un champ spécifique où figure par exemple toute la panoplie des Creative Commons).

À ma connaissance, tout ceci est absent des YouTube et autres Dailymotion. Même si l’un (voir ce billet) comme l’autre (site en Ogg dédié au projet OLPC) ont fait quelques progrès récemment. Le plus choquant restant l’absence de mention des licences qu’il aurait été facile d’inclure mais qui aurait alors posé quelques cas de conscience aux utilisateurs, quitte à ce qu’ils choisissent finalement de ne pas uploader la vidéo (ceci expliquant donc cela et aboutissant au fait qu’on trouve un nombre hallucinant de vidéos diffusées illégalement sur ces plate-formes).

Et puis il y a aussi tout ce qui tourne autour de quelque chose que l’on pourrait appeler la confiance. Les « Termes de services » contractés en vous inscrivant à la plate-forme sont plutôt clairs chez blip.tv (voir plus bas) et plutôt confus chez les autres (et je ne vous parle même pas des affres actuelles des utilisateurs, quelque part un peu naïfs, de Facebook). YouTube a ainsi récemment, et sans crier gare, fait apparaitre un moteur de recherche interne à même son lecteur embarqué (quand on passe la souris dessus, c’est très pénible à l’usage). Cela reste gentillet mais que se passera-t-il si un jour ils décident de mettre quelques secondes de pub au démarrage ? Ce sera assurément le pactole avec toutes les vidéos YouTube qui traînent sur des millions de blogs (et, même si ce n’est pas très « courtois » ce genre de petites manipulations doit être certainement prévues dans le « contrat que personne ne lit »). J’ajoute que sur blip.tv, on ne vient pas nous dire « Essayez YouTube dans un autre navigateur Web, téléchargez Google Chrome ».

Sur blip.tv, on lit plutôt ceci :

Nous croyons que le fruit de votre dur travail doit vous appartenir. Quand vous mettez en ligne sur blip.tv vous nous donnez le droit de distribuer votre vidéo tant que vous ne choisissez pas de la supprimer de notre système. Vous n’avez à nous céder aucun droit d’exclusivité, et nous ne vendrons pas votre œuvre, ni ne ferons de la publicité pour celle-ci sans votre autorisation expresse.

Mais surtout cela :

Nous sommes des adeptes convaincus des licences copyleft, telle que Creative Commons les propose. Nous incitons tout le monde à examiner les licences Creative Commons et à les adopter. Chaque vidéo publiée sous licence copyleft enrichit la création collective de façon significative.

Nous vivons à une époque que les historiens qualifieront de démocratisation de l’expression. Tandis qu’autrefois la production et la diffusion des médias étaient concentrées en quelques mains, maintenant elles sont partout : chacun peut proposer un spectacle, une ressource éducative, une expertise. Les contraintes traditionnelles imposées par les coûts de production élevés et la distribution restreinte n’existent plus : maintenant n’importe qui disposant d’une caméra et d’un ordinateur peut produire du contenu vidéo, la seule contrainte est celle qu’imposent les limites de la créativité humaine. Les utilisateurs de blip.tv ont démontré que de telles limites n’existaient pas.

Nous pensons que la libération des moyens de production est une des des choses les plus importantes qui soit arrivée dans l’histoire récente. Elle permet à tout le monde de créer la prochaine comédie géniale, de partager la réalité de la vie quotidienne par-delà les différences culturelles, d’échanger des points de vue politiques et des ressources éducatives. C’est une très bonne chose, et nous nous consacrons à élargir encore cette démocratisation d’une façon qui respecte toujours les droits à la propriété intellectuelle, sur une plateforme où chacun puisse se sentir à l’aise.

Nous sommes pour une nouvelle économie de l’abondance. Il n’est plus dans l’intérêt de quiconque de mettre des chaînes aux médias, de les attacher à un site Web particulier, ou d’être pieds et poings liés à des métadonnées. Nous ne construisons pas un jardin entouré de murailles, nous travaillons activement à faire tomber les murailles pour permettre la libération et le partage ouvert des médias et des contenus des médias sur le Web.

À comparer avec la philosophie générale de la prochaine loi « Internet et Création »…

Merci pour eux donc. J’aurais pu aussi évoquer le fait qu’avec blip.tv vous pouvez dans le même mouvement uploader chez eux mais aussi sur le beau projet qu’est Internet Archive, mais, bon, j’arrête là, on pourrait croire que je suis un VRP de blip.tv 😉

Framatube chez blipt.tv : petit mode d’emploi illustré

Comme cela a été mentionné plus haut, vous pouvez lire les vidéos ou les embarquer via notre lecteur flash disponible sur cette page. Mais se rendre directement sur notre compte blip.tv et y feuilleter le catalogue offre plus d’informations et d’options.

Voici comment se présente une page vidéo sur notre compte blip.tv. Il s’agit en l’occurrence du récent clip Firefox in Motion (découvert of course chez Tristan Nitot).

Copie d'écran - Framatube - Blip.tv

On notera que l’on peut donc embarquer les vidéos une par une plutôt que la « télévision » entière.

Simple et pratique. Sans oublier que vous pouvez vous abonner au flux Framatube de différentes façons :

Firefox 3.1 et sa nouvelle balise vidéo

Nous avons évoqué la prochaine version de Firefox, que nous attendons en version stable avec impatience, dans deux récents billets : Quand Mozilla participe à la libération de la vidéo et Building the world we want, not the one we have.

Retenons que nous pourrons alors lire les vidéos au format Ogg directement dans Firefox sans avoir besoin du moindre plugin. Il suffira, pour le webmaster, d’insérer quelque chose qui ressemblera, en version minimaliste, au code (en HTML 5) suivant :

 <video> <source src="http://framasoft.blip.tv/ma-super-video.ogg"></source> </video> 

(Pour de plus amples informations lire par exemple ce billet de Laurent Jouanneau)

Autrement dit, toutes « nos » vidéos disponibles au format Ogg sur blip.tv pourront être reprises directement par les autres sites, sans passer par la case flash et sans nécessiter de téléchargement pour le visiteur sous Firefox 3.1. Plutôt intéressant non ! Imaginez-vous par exemple, muni de votre Framakey et sa version portable de Firefox 3.1, montrant à votre assistance médusée quelques vidéos issues de Framatube se lançant directement depuis la navigateur, ça peut faire son petit effet…

Intérêt de Framatube

Outre l’avantage pour ce blog, et par extension pour tout le réseau de sites et de projets Framasoft, de proposer des vidéos qui ne tirent pas sur ses serveurs (mais sur celui de blip.tv), il n’est pas forcément inintéressant d’avoir ainsi centralisé de nombreuses ressources vidéos francophones autour du logiciel libre (ressources que nous comptons bien continuer à mettre à jour, voir plus bas le paragraphe qui invite à y participer avec nous).

  • Le visiteur y trouvera matière à s’informer et se tenir au courant de l’actualité francophone en la matière (s’abonner au flux RSS peut être alors judicieux).
  • Le webmaster y puisera les vidéos de son choix dans le format de son choix et participera ainsi à la diffusion du contenu de Framatube, c’est-à-dire « le logiciel libre et son état d’esprit ».
  • Le « conférencier » y cherchera quelques ressources pour une intervention publique (pris au sens large, ça peut être tout aussi bien un éducateur, un associatif sur un stand, un atelier de LUG, un cinéma indépendant, etc.).

Il y aurait également un intérêt « sociologique », mais je marche sur des œufs là, en frisant la condescendance. Mon sentiment de prof, c’est que l’on se retrouve avec toute une catégorie d’internautes, appelons-la « génération YouTube », qui lisent peu (ou en tout cas vite et surtout pas trop long) mais consomment beaucoup de vidéos. Les mêmes, en gros, qui passaient beaucoup de temps devant la télévision avant l’avènement d’Internet. Il y a peut-être moyen ici d’arriver à les toucher pour leur proposer ponctuellement autre chose que les clips people et autres vidéogagueries à la chauffeur de buzz pour les sensibiliser à « nos » problématiques de libertés numériques (qui finissent par devenir des libertés tout court).

Une petite sélection

Vous trouverez la liste de toutes les vidéos, non seulement dans le player mais surtout sur notre compte blip.tv.

Dans la mesure où certaines vidéos n’ont pas pu, faute de temps, être présentées ici, dans la mesure où certains lecteurs du Framablog sont de nouveaux lecteurs (bienvenus, l’abonnement au flux RSS fait office de carte de fidélité), nous vous en proposons ci-dessous une petite sélection, bien entendu non exhaustive, puisque comme cela a été dit nous dépassons désormais la centaine.

Qu’il me soit permis de remercier vivement au passage le travail de JosephK qui aura patiemment converti la quasi-totalité des vidéos au format Ogg.

Conférences « ça, c’est du lourd ! »
  • Michel Serres – La révolution culturelle et cognitive engendrée par les nouvelles technologies
  • Thierry Stœhr – Et les formats ouvœrts
  • Benjamin Bayart – Internet libre ou Minitel 2.0 ? Vous ne l’avez pas encore vue ?
  • Richard Stallman – Parce qu’il faut bien en avoir vue au moins une !
  • Eben Moglen – Le logiciel et la communauté (ma préférée, vous ne l’avez pas encore vue ?)
  • Tim Morley – Espéranto et logiciel libre
Politique (ou apparenté)
  • [Obama et l’Open Source|http://framatube.org/media/cnn-obama-et-lopensource – Le modèle bottom-up et la référence au livre La cathédrale et le bazar
  • Citation de Jacques Attali – Révélatrice ?
  • Michel Rocard – À propos de Ségolène et… des logiciels libres !
  • Jérôme Relinger – PC et adjoint au Maire du 13e arrondissement de Paris
  • François Bayrou – Sa pertinente et éloquente vision des deux mondes
Communauté
  • Ubuntu – Christophe Sauthier, président de l’association francophone
  • Linux à Perpignan – Un exemple exemplaire de diffusion territoriale du logiciel libre
Free Culture
Éducation
Vu à la télé
Pause publicitaire
Les inclassables
Framasofteries

Voilà, c’est déjà pas mal ! Et n’oubliez pas bien entendu de vous rendre régulièrement sur les sites qui non plus diffusent mais directement produisent des vidéos. Je pense par exemple au dépôt de l’APRIL, à Kassandre, Ralamax ou encore Lprod (à compléter dans les commentaires).

Participer au projet Framatube

Si vous trouvez ce projet un tant soit peu pertinent et utile, vous êtes cordialement invité à vous joindre à nous. Nous sommes toujours en sous-effectif chronique (et toujours contents de faire de nouvelles rencontres). Pour ce faire il suffit de nous envoyer un message.

Ce ne sont pas les besoins qui manquent en effet. Il conviendrait d’abord d’améliorer les descriptions souvent trop succinctes des vidéos (il manque ainsi presque systématiquement pour le moment la mention de la source) mais également d’exercer un travail de veille pour évaluer les vidéos « candidates », sans oublier les éventuelles tâches techniques de conversion, montage, etc.

Merci de votre attention, de votre éventuelle participation et n’hésitez pas à nous proposer, dans les commentaires, des vidéos non référencées susceptibles de venir grossir le rang de notre canal (quitte à ce qu’elles ne soient pas en français mais tellement intéressantes que ça vaille le coup de déclencher la « procédure Framalang » de transcription, traduction, sous-titrage).

Notes

[1] Crédit photo : La cola de mi perro (Creative Commons By)




Écrire à l’ère de la distraction permanente

Joi - CC byLe Framablog et ses traducteurs aiment bien de temps en temps sortir des sentiers battus du Libre pour modestement apporter quelques éléments de réflexion autour des changements comportementaux induits par les nouvelles technologies et le monde connecté.

Après Et si cela ne servait plus à rien de mémoriser et d’apprendre par coeur ? et Internet et Google vont-ils finir par nous abrutir ?, voici que nous vous proposons aujourd’hui un article de Cory Doctorow, que je tiens personnellement pour l’une des personnalités les plus intéressantes et influentes de la « culture libre », sur la difficulté non plus de lire mais d’écrire à l’aube de ce nouveau siècle.

En faire un peu tous les jours, savoir suspendre sa plume, ne pas effectuer de recherche, ne pas attendre les conditions parfaites, laisser tomber le traitement de texte, ne pas répondre aux sirènes des messageries instantanées (et autres réseaux sociaux), tels sont les conseils avisés de notre auteur[1] pour y remédier.

Que pensez-vous de ces quelques recommandations ? En apporteriez-vous d’autres ? Qu’est-ce qui nous permet d’échapper à la procrastination du travail rédactionnel qui s’éternise faute d’avoir su dire non aux sollicitations extérieures ? Les commentaires n’attendent que vous réponses… sauf si bien sûr, dans l’intervalle, vous avez le malheur de cliquer ailleurs 😉

Écrire à l’ère où tout est là pour nous distraire

Writing in the age of distraction

Cory Doctorow – 7 janvier 2008 – Locus Mag
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Nous savons que nos lecteurs sont distraits, voire parfois submergés par les innombrables distractions qui se trouvent à portée de clic partout sur Internet, mais il va de soi que les rédacteurs sont tout autant confrontés à ce problème d’envergure, le monde foisonnant d’informations, de communication et de communautés tapis derrière notre écran, à portée des touches alt+tab de notre traitement de texte.

Le pire conseil sur l’écriture qu’on m’ait jamais donné était de me tenir à l’écart d’Internet, soi-disant que j’y perdrais du temps et que ça ne m’aiderait pas à écrire. C’était un conseil erroné du point de vue créatif, professionnel, artistique et personnel, mais je comprends bien ce qui avait incité cet écrivain à m’administrer une telle mise en garde. Régulièrement, quand je vois un site, un jeu ou un service nouveau, je ressens l’attraction irrésistible d’un trou noir de concentration : une activité chronophage prête à me prendre dans ses filets de distraction. Jeune papa impliqué qui écrit au moins un livre par an, une demi-douzaines d’articles par mois, au moins dix billets de blog par jour, auxquels s’ajoutent divers mini-romans, nouvelles et conférences, je suis bien placé pour savoir qu’on manque vite de temps et connaître les dangers de la distraction.

Mais l’Internet m’apporte beaucoup. Il nourrit ma créativité et mon esthétique, il me profite d’un point de vue professionnel et personnel, et pour chaque moment qu’il me vole, le plaisir que j’y prends me le rend au centuple. Je n’y renoncerai pas plus qu’à la littérature ou quelque autre vice délectable.

Je crois avoir réussi à trouver un équilibre grâce à quelques techniques simples que je perfectionne depuis des années. Il m’arrive toujours de me sentir lessivé et ivre d’infos, mais c’est rare. La plupart du temps, c’est moi qui ai la maîtrise de ma charge de travail et de ma muse. Voici comment je procède :

  • Des plages de travail courtes et régulières
    Lorsque je travaille à l’écriture d’une nouvelle ou d’un roman, je me fixe chaque jour un objectif modeste, en général une page ou deux, et je m’emploie à l’atteindre, ne faisant rien d’autre tant que je n’ai pas fini. Il n’est pas réaliste, ni souhaitable, de vouloir se couper du monde des heures durant, mais il est tout à fait possible de le faire pendant vingt minutes. En rédigeant une page par jour, je publie plus d’un livre par an, faites le calcul, et il est facile de trouver vingt minutes dans une journée, quelles que soient les circonstances. Vingt minutes, c’est un intervalle assez court pour être pris sur votre temps de sommeil ou votre pause déjeuner (même si cela ne doit pas devenir une habitude). Le secret, c’est de s’y astreindre tous les jours, week-end inclus, pour ne pas vous couper dans votre élan, et pour qu’entre deux séances de travail vos pensées puissent cheminer tranquillement jusqu’à la page du lendemain. Essayez de trouver un ou deux détails accrocheurs, ou un bon mot, à exploiter dans la page suivante, afin de savoir par où commencer lorsque vous vous installerez derrière votre clavier.
  • Ne vous arrêtez pas sur un travail fini
    Dès que vous atteignez votre objectif quotidien, arrêtez-vous. Même si vous êtes au beau milieu d’une phrase. Surtout si vous êtes au beau milieu d’une phrase, en fait. Ainsi, lorsque vous vous mettrez au travail le lendemain, vos cinq ou dix premiers mots seront déjà en place, ce qui vous donnera un petit coup de pouce pour vous lancer. Les tricoteuses laissent un bout de laine dépasser du dernier rang, afin de savoir où reprendre, une sorte de pense-bête. Les potiers, quant à eux, n’égalisent pas le pourtour de l’argile humide avant de la recouvrir de plastique pour la nuit, difficile de repartir sur une surface trop lisse.
  • N’effectuez aucune recherche
    Faire des recherches, ça n’est pas écrire, et vice-versa. Lorsque vous butez sur un point technique qu’une rapide recherche sur Google suffirait à éclaircir, abstenez-vous. Ne cédez pas à l’envie de chercher la longueur du pont de Brooklyn, le nombre d’habitants que compte de Rhode Island ou la distance qui sépare la Terre du Soleil. Ce serait alors la déconcentration assurée : une valse de clics sans fin qui transformerait vos vingt minutes de rédaction en une demi-journée à flâner sur le Web. Adoptez la méthode des journalistes (NdT : ces conseils s’adressent à des anglophones, pour le français il faudra bien sûr adapter) : tapez par exemple « TK » là où doit apparaître votre donnée, comme par exemple « Le pont de Brooklyn, d’un bout à l’autre de ses TK mètres, vacillait tel un cerf-volant." La graphie « TK » n’apparaissant que dans très peu de mots anglais (le seul sur lequel je sois tombé est « Atkins »), une recherche rapide de « TK » dans votre document suffira pour savoir si vous devez vérifier des détails techniques. Si vous en oubliez un, votre préparateur ou correcteur le repérera et vous le signalera.
  • Ne soyez pas trop à cheval sur vos conditions de travail
    N’écoutez pas ceux qui conseillent de créer l’atmosphère idéale pour attirer votre muse dans la pièce. Les bougies, la musique, le silence, le fauteuil confortable, la cigarette, attendre d’avoir couché les enfants… laissez tomber tout ça. Certes, il est agréable de se sentir à l’aise pour travailler, mais si vous vous persuadez que vous ne pouvez écrire que dans un monde parfait, vous vous retrouvez devant une double difficulté : trouver à la fois vingt minutes de libre et l’environnement idéal. Lorsque vous avez le temps, mettez-vous à votre clavier et écrivez. Vous pouvez bien tolérer le bruit/le silence/les enfants/l’inconfort/la faim pendant vingt minutes.
  • Éteignez votre traitement de texte
    Word, Google Docs et OpenOffice.org sont bardés d’une panoplie déconcertante de paramètres de mise en forme et de complétion automatique avec lesquelles vous pouvez passer votre temps à faire mumuse. Laissez tomber. Tout ça, c’est de la distraction, et ce qu’il faut absolument éviter, c’est que votre outil essaie de deviner ce que vous avez en tête, corrige votre orthographe, ou critique la construction de votre phrase, etc. Les programmeurs qui ont conçu votre traitement de texte passent leur journée à taper, tous les jours, et ils ont les moyens d’acheter ou de se procurer n’importe quel outil imaginable servant à entrer du texte dans un ordinateur. Et pourtant ils n’utilisent pas Word pour créer leur logiciel. Il se servent d’un éditeur de texte, comme vi, Emacs, TextPad, BBEdit, Gedit, et bien d’autres encore. Il s’agit là des outils les plus puissants, vénérables et fiables de l’histoire du logiciel (car ils sont au cœur de tous les autres logiciels), et ils ne comportent quasi aucune fonctionnalité susceptible de vous distraire ; en revanche, ils possèdent des fonctions chercher/remplacer très puissantes. Le plus gros avantage, c’est qu’un modeste fichier .txt peut être lu par presque toutes les applications présentes sur votre ordinateur, ou collé directement dans un courriel, sans risque de transmettre un virus.
  • Les outils de communication instantanée : à proscrire
    Ce qui nuit le plus à la concentration, c’est la présence sur votre ordinateur d’un écosystème d’applications intrusives : messagerie instantanée, alertes e-mail, alertes RSS, appels Skype, etc. Toute application exigeant que vous attendiez une réponse, même inconsciemment, accapare votre attention. Tout ce qui surgit sur votre écran pour vous annoncer un fait nouveau l’accapare aussi. Plus vous habituerez vos proches et amis à préférer les courriels, les forums et les technologies similaires qui vous permettent de choisir la plage de temps à consacrer à vos conversations au lieu d’exiger votre attention immédiatement, plus vous réussirez à vous ménager vos vingt minutes. En cas de besoin, vous pouvez prévoir une conversation, par VoIP, texte ou vidéo, mais laisser votre messagerie instantanée allumée revient à vous mettre au travail avec sur votre bureau un panneau géant DÉCONCENTREZ-MOI, du genre qui brille au point d’être visible du monde entier.

Je ne prétends pas être l’inventeur de ces techniques, mais grâce à elles je peux profiter pleinement du XXIème siècle.

Notes

[1] Crédit photo : Joi (Creative Commons By)




USA – Obama – 3 principes pour assurer un gouvernement ouvert

Matthias Winkelmann - CC byDésolé d’en remettre une couche sur Barack Obama et son site de transition Change.gov mais il se passe décidément des choses bien intéressantes actuellement du côté des États-Unis.

Comment en effet ne pas mettre en lumière cette initiative (sous forme de lettre ouverte) qui propose trois principes clairs et plein de bon sens non seulement en direction de cette transition mais également pour le futur gouvernement.

Ne pas mettre de barrières juridiques et technologiques au partage dans un environnement qui garantit la libre concurrence (aussi bien entre les entreprises privées qu’entre le privé et le public), tels sont résumés ces trois principes qui valent pour le prochain gouvernement américain mais peut-être aussi pour d’autres pays ![1]

On en profite pour tacler au passage YouTube (qui l’a bien mérité).

Vous trouverez sur le site d’origine la liste des premiers signataires et le moins que l’on puisse dire c’est que l’on y retrouve du beau monde : Mozilla, Cory Doctorow, Dan Gillmor, Internet Archive, Xiph.Org, Mitch Kapor, Tim O’Reilly, Jimmy Wales, etc.

Sans oublier Lawrence Lessig que je soupçonne d’être directement à l’initiative de la chose ne serait-ce que parce que c’est lui qui intervient dans l’allocution audio qui est également proposée sur le site (allocution qui a été placée sur blip.tv mais est aussi disponible en téléchargement direct et au format ouvert ogg theora, histoire d’être en parfaite cohérence avec les principes exposées).

Nombreux sont ceux qui prétendent que le gouvernement américain a eu souvent tendance à donner le mauvais exemple ces dernières années. Pour ce qui concerne les libertés numériques il se pourrait bien que dans un futur proche le mouvement s’inverse, surtout si ces principes se trouvent réellement mis en œuvre et respectés.

Principes pour une transition ouverte

Principles for an Open Transition

Collectif d’auteurs – 2 décembre 2008 – Open-Government.us
(Traduction Framalang : Eric Moreau)

Le futur Président, Barack Obama, s’est clairement engagé à changer la façon dont le gouvernement interagit avec le Peuple. Sa campagne a été une démonstration de la valeur d’un tel changement, et offert un aperçu de son potentiel. Son équipe de transition vient de franchir un pas décisif en rendant ce travail de transition légalement ouvert au partage, apportant ainsi la preuve que les valeurs qu’a prônées Obama sont celles qui guideront son administration.

Afin de soutenir plus avant cet engagement en faveur du changement et favoriser sa mise en œuvre, nous proposons tois « principes pour une transition ouverte » destinés à orienter cette équipe de transition dans l’usage qu’elle fera d’Internet pour produire ce qui se fera de mieux en matière de gouvernement ouvert.

1. Pas d’obstacles légaux au partage

Le contenu mis publiquement à disposition au cours de cette transition, telles que les vidéos du futur Président Obama, ou les projets politiques publiés sur le site Change.gov, devrait être placé sous licence libre de sorte que les citoyens puissent le partager, en citer des extraits, le retravailler ou encore le redistribuer sans être freiné par la complexité inutile qu’impose la loi.

Le sénateur McCain et le futur Président Obama se sont tous les deux prononcés en faveur de ce principe pour ce qui concernait les droits de diffusion du débat présidentiel. Ce même principe devrait être appliqué à la transition.

Le site Change.gov respecte à présent ce principe. Le contenu présent sur ce site est placé par défaut sous une licence Creative Commons Paternité, laquelle en autorise l’usage, à but commercial ou non, tant que la source du document est citée. Cette liberté est cohérente avec les valeurs promises par la nouvelle administration. L’application de droits d’auteurs restrictifs est parfois nécessaire pour créer une créativité productrice de valeur, mais dans le cas de discours politiques et de débats publics, celle-ci ne serait qu’un obstacle réglementaire superflu.

L’engagement de l’équipe de transition en faveur de ce principe est d’une importance capitale, et l’attention qu’elle porte à cette question, aussi rapidement, malgré d’innombrables problèmes urgents, est fort louable.

2. Pas d’obstacles technologiques au partage

Une liberté de partager et de modifier le contenu qui ne serait que juridique peut néanmoins être entravée par des limitations techniques. Le contenu mis à la disposition de tous devrait aussi être librement accessible, et non contraint par des obstacles technologiques. Les citoyens doivent être en mesure de télécharger du contenu en rapport avec cette transition de sorte qu’il soit aisé de le partager, d’en citer des extraits, de le modifier ou de le redistribuer. Il s’agit là d’une liberté numérique essentielle.

Par exemple, quand bien même ce contenu pourrait être mis en ligne sur un site donné tel que YouTube, ce dernier n’autorisant pas le téléchargement des vidéos présentes sur son site, le contenu créé par l’équipe de transition devrait être également mis à disposition sur un site qui lui le permet. Il serait par ailleurs inacceptable que les sites du gouvernement empêchent les copier/coller de texte mis à la disposition du public ; de la même façon, mettre en ligne des vidéos à l’aide d’un procédé ne permettant pas d’en extraire et d’en réutiliser des passages facilement et légalement en empêche l’accès et interdit la participation.

Nous encourageons donc fortement l’équipe de transition à faire en sorte que le matériau qu’elle a placé sous licence libre soit en outre librement accessible. Il existe un grand nombre de services, tel que blip.tv, qui en plus de permettre aux utilisateurs de télécharger librement du contenu sous licence libre indiquent clairement les libertés associées au contenu proposé. Quelle que soit la façon dont l’équipe de transition choisira de distribuer le contenu qu’elle créera, elle devrait s’assurer qu’un moins un canal de diffusion respecte cette liberté numérique essentielle.

3. La libre concurrence

Les gouvernements doivent rester neutres sur le marché des idées. Le contenu créé par l’équipe de transition devrait ainsi ne pas être publié de manière à avantager de façon déloyale une entité commerciale par rapport à une autre, ou des entités commerciales par rapport à des entités non commerciales.

Par exemple, si la vidéo d’une conférences de presse est fournie en temps réel à des chaînes de télévision, elle devrait mise à disposition sur le Web en simultané sous un format standard et universel permettant le téléchargament et le partage. La décision de l’équipe de transition de rendre les vidéos de conférences de presse sur son site est un pas dans la bonne direction. Enfin, pour s’assurer que les nouveaux médias puissent faire jeu égal avec les médias traditionnels dans le traitement des nouvelles à chaud, il serait souhaitable de diffuser en temps réel sur le site Web conférences de presse et autres évènements médiatiques en direct.

De la même façon, si l’équipe de transition choisit de mettre à disposition une vidéo sur YouTube, diffuser la même vidéo dans un format standard et universel permettra aux autres sites de vidéo de publier eux aussi ce contenu.

Dans l’idéal, ce format devrait être un format ouvert, non propriétaire. Mais le contenu étant placé sous licence libre (cf. Principe n°1), et l’accès libre à ce contenu étant garanti (Principe n°2), la conversion dans un autre format ne sera pas interdite. L’équipe de transition ne favorisera donc pas une plateforme à l’exclusion des autres.

Au cours de la campagne, nous avons tous été galvanisés par l’engagement du futur Président en faveur d’un gouvernement ouvert, idéaux qui ont en partie poussé une génération à l’action. Son équipe de transition vient de faire un pas important pour concrétiser cet engagement.

Ce pas en avant mérite des éloges sincères. Sans vouloir minimiser son importance, nous proposons cependant dans ce texte ces principes supplémentaires comme une manière concrète de rendre tangibles les valeurs que le Président désigné a défendu avec tant de verve. Nous sommes convaincus que ces valeurs devraient servir de guide pour toute son entreprise de transition, ainsi qu’au nouveau gouvernement. Nous sommes aussi convaincus qu’elles sont cohérentes avec les idéaux que le futur Président a placés au cœur de sa campagne.

Notes

[1] Crédit photo : Matthias Winkelmann (Creative Commons By)