Mobicoop : prenez part au covoiturage libre !

Mobicoop, la première plateforme gratuite et collaborative de covoiturage, a lancé le 18 mars dernier la campagne Prenez votre part, prenez le pouvoir ! afin d’ouvrir sa gouvernance à celles et ceux qui souhaitent s’investir au sein de la coopérative.

Mobicoop agit sur les domaines du covoiturage, de l’autopartage entre particulier·ères et du transport solidaire. Les services sont proposés sans commission et sont basés sur les principes coopératifs. Et chez Framasoft, ces principes nous parlent. Nous avons donc donné la parole à Bastien Sibille, président de Mobicoop.

Bonjour Bastien ! Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour ! Alors je me présente rapidement car Mobicoop est un projet coopératif porté par des centaines de coopérateur⋅rice⋅s et je pense que ma trajectoire personnelle n’a pas grand intérêt ;-). Je suis engagé depuis 20 ans pour développer les innovations sociales numériques. Président de covoiturage-libre depuis 2015 et donc de Mobicoop depuis la transformation de l’association en coopérative fin 2018. J’ai beaucoup milité, depuis le début des années 2000, pour les biens communs en général et pour le libre en particulier, notamment à travers l’association Vecam puis l’association internationale du logiciel libre.

Au fait : c’est quoi le problème avec BlaBlaCar ?

On pense qu’imposer une commission sur les trajets est contraire à l’idée d’une mobilité vraiment écologique et accessible à tou⋅te⋅s… Mais sinon on n’a pas vraiment de problème avec Blablacar, notre horizon est beaucoup plus large 😉 ! Pour nous, se déplacer c’est naturel et partager son moyen de mobilité un acte social simple. Avec le développement actuel des plateformes (Uber, Drivy, etc), la mobilité devient un business. Beaucoup de personnes en sont exclues (personnes âgées, personnes handicapées, à faibles revenus, vivant sur des territoires ruraux). Le double enjeu actuel fondamental de la mobilité : la réduction des pollutions liées aux transports par la réduction de l’usage de la voiture, et l’accessibilité de toutes et tous à la mobilité, n’est pas suffisamment pris en compte par ces modèles de plateformes numériques !

Que s’est-il passé ces deux dernières années pour que vous deveniez Mobicoop ?

En 2017, après 6 ans de route, l’association a relevé deux constats :

  • le covoiturage peut et doit être un bien commun, c’est-à-dire un service de transport au service de tou⋅te⋅s, dont les richesses doivent rester entre les mains de ses utilisateur⋅rice⋅s.
  • l’offre de Covoiturage-libre devait s’améliorer, tant au niveau quantitatif (nombre de trajets) que qualitatif (expérience utilisateur⋅rice).

Pour aller dans ce sens, il fallait prendre le tournant et devenir une coopérative pour une mobilité plus partagée : partage de la gouvernance selon le grand principe 1 personne = 1 voix. Tout le monde peut prendre une part et devenir acteur⋅rice pour une mobilité différente, vraiment écolo, inclusive et solidaire.

Aujourd’hui, comment fonctionne concrètement Mobicoop ?

L’équipe s’est agrandie et on se développe autour de 3 axes :

  • le covoiturage : toujours libre et sans commission, il sera bientôt possible de faire un don à la coopérative lors d’un trajet ;
  • l’autopartage entre particulier⋅ère⋅s : mise à disposition de son véhicule pour quelqu’un⋅e qui n’en a pas. Le principe de Mobicoop reste en effet toujours de réduire le nombre de voitures !
  • la mobilité solidaire : pour être vraiment inclusive, Mobicoop sait s’appuyer sur un grand réseau de bénévoles qui peuvent conduire des personnes exclues de la mobilité en raison de leur âge, santé, adresse, revenu…

La plateforme de covoiturage est en ligne et fonctionne grâce à ses 350 000 utilisateur⋅rice⋅s. L’autopartage et la mobilité solidaire sont en cours de développement. Et on a mis en place une gouvernance coopérative la plus inclusive possible, avec des modèles très participatifs (par exemple, tirage au sort d’un membre du CA au sein de l’AG).

En quoi le fait que ça soit une SCIC (et d’ailleurs, c’est quoi une SCIC ?) change-t-il quelque chose à l’affaire ?

Une SCIC c’est une Société coopérative d’intérêt collectif. C’est un des statuts possibles pour une coopérative (les autres sont les SCOP ou les coopératives de consommateurs par exemple) et c’est celui qui nous correspond le mieux. Dans une SCIC, les collectivités peuvent aussi devenir membres. L’objet d’une SCIC est de fournir des services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale : c’est le cas d’une mobilité partagée, non ?

D’ailleurs, c’est quoi l’intérêt de devenir membre coopérateur⋅ices de Mobicoop ?

L’intérêt, il est d’abord social et écologique : on se bat pour un autre modèle de développement des services de la mobilité. Être membre Mobicoop, c’est surtout faire partie de ce grand mouvement, initié par d’autres dans différents domaines : la finance éthique, l’énergie, la consommation, les médias… On fait notre part, et on invite tout le monde à prendre une part ! On dit aussi que prendre une part, c’est prendre le pouvoir : dans ce grand mouvement pour les biens communs, on est plus directement lié⋅e⋅s aux décisions qui nous concernent. Sur le principe 1 personne = 1 voix, chacun⋅e a son mot à dire sur la gouvernance de la coopérative : lors des assemblées générales, et même au Conseil d’Administration…

Et, donc, le code de Mobicoop est libre. Pourquoi avoir fait ce choix ? Qu’est-ce que cela apporte ?

Ce choix était juste une évidence. Comment avoir une approche coopérative sincère dans son ouverture à tous, tout en ne permettant pas à n’importe qui de s’approprier et de s’investir dans nos projets de logiciels ? La bataille de la mobilité partagée est culturelle avant tout : passer de la logique propriétaire sur son automobile à une logique de commun. Avoir un code libre, ça nous apporte de la cohérence dans cette bataille culturelle : nous promouvons une culture des communs de manière systémique.

Quelle est la licence de ce code ? Croyez-vous qu’elle va plaire à tonton Stallman ?

Notre code est en double licence AGPL/propriétaire. Tonton Stallman râlerait forcément un peu… Mais c’est que nous n’avons pas exactement les mêmes objectifs que la FSF. Notre hiérarchie d’objectifs place en effet en premier l’impact écologique et social visé par nos solutions de mobilité, et en deuxième la nature libre de nos services. Le deuxième est un moyen essentiel pour le premier, mais reste au registre des moyens et pas des fins. Par prosaïsme, on ne s’interdit donc pas de vendre du service à des clients qui voudraient une plate-forme en code fermé. Deux raisons sous-tendent cette idée : les ressources financières de ce client profiteraient à la coopérative dans son ensemble et un client en plus c’est toujours plus d’impact écologique et social et plus de pouvoir pour notre position dans cette bataille culturelle de la mobilité partagée.

Quels sont vos espoirs pour cette plateforme ?

Une mobilité partagée tout à fait libre : plus personne seul⋅e dans sa voiture, plus personne bloqué⋅e chez soi, moins de bagnoles, plus de rossignols !

S’attaquer à l’une des (rares) licornes françaises, c’est un vrai pari ! Comment comptez-vous y arriver ?

On s’appuie sur une magnifique et grande communauté de 350 000 personnes qui résistent depuis 2011 ! Grâce à l’équipe élargie des développeurs, nos services vont être très performants, et surtout plus accessibles. On croit aussi que les gens sont attirés par les alternatives aux quasi-monopoles qui dictent leurs faits et gestes ! Enfin, le mouvement écolo actuel prouve que l’enjeu est de plus en plus pris en compte dans les décisions des gens. Et puis, chaque membre est responsable de la coopérative… alors ce sera de plus en plus facile 😉

On ouvre l’open-bar Utopique ! Dans votre Contributopia à vous, il y a quoi et ça se passe comment ?

Dans notre Contributopia à nous, une bascule culturelle a enfin été faite. Pour leur mobilité – comme pour le reste – la majorité ne se perçoit plus dans un dualisme client d’un fournisseur tout puissant ou propriétaire jouissant seul de sa liberté, mais selon un nouveau référentiel usager⋅ère ou contributeur⋅rice de trajets ou voitures partagées en commun selon des règles équitables. De telles bascules ont déjà eu lieu dans l’histoire. Avec Internet qui refaçonne en profondeur nos imaginaires de collaboration, cette bascule paraît tout à fait à portée de main. Et le logiciel libre, précurseur dans cette résurgence des communs, a montré la voie de longue date !

Et comme souvent sur le Framablog, on vous laisse le mot de la fin !

Aujourd’hui, il est possible de Prendre sa part ! Pour ce grand mouvement pour basculer vers la mobilité partagée, rendez-vous sur http://lacampagne.mobicoop.fr ! Merci à tou⋅te⋅s de partager cette campagne à vos connaissances : ensemble, nous libérons la mobilité, parce qu’être mobile, c’est être libre !




Le Libre peut-il faire le poids ?

Dans un article assez lucide de son blog que nous reproduisons ici, Dada remue un peu le fer dans la plaie.

Faiblesse économique du Libre, faiblesse encore des communautés actives dans le développement et la maintenance des logiciels et systèmes, manque de visibilité hors du champ de perception de beaucoup de DSI. En face, les forces redoutables de l’argent investi à perte pour tuer la concurrence, les forces tout aussi redoutables des entreprises-léviathans qui phagocytent lentement mais sûrement les fleurons du Libre et de l’open source…

Lucide donc, mais aussi tout à fait convaincu depuis longtemps de l’intérêt des valeurs du Libre, Dada appelle de ses vœux l’émergence d’entreprises éthiques qui permettraient d’y travailler sans honte et d’y gagner sa vie décemment. Elles sont bien trop rares semble-t-il.

D’où ses interrogations, qu’il nous a paru pertinent de vous faire partager. Que cette question cruciale soit l’occasion d’un libre débat : faites-nous part de vos réactions, observations, témoignages dans les commentaires qui comme toujours sont ouverts et modérés. Et pourquoi pas dans les colonnes de ce blog si vous désirez plus longuement exposer vos réflexions.


L’économie du numérique et du Libre

par Dada

Republication de l’article original publié sur son blog

Image par Mike Lawrence (CC BY 2.0)

 

Avec des projets plein la tête, ou plutôt des envies, et le temps libre que j’ai choisi de me donner en n’ayant pas de boulot depuis quelques mois, j’ai le loisir de m’interroger sur l’économie du numérique. Je lis beaucoup d’articles et utilise énormément Mastodon pour me forger des opinions.

Ce billet a pour origine cet entretien de Frédéric Fréry sur France Culture : Plus Uber perd, plus Uber gagne.

Ubérisation d’Uber

Je vous invite à vraiment prendre le temps de l’écouter, c’est franchement passionnant. On y apprend, en gros, que l’économie des géants du numérique est, pour certains, basée sur une attitude extrêmement agressive : il faut être le moins cher possible, perdre de l’argent à en crever et lever des fonds à tire-larigot pour abattre ses concurrents avec comme logique un pari sur la quantité d’argent disponible à perdre par participants. Celui qui ne peut plus se permettre de vider les poches de ses actionnaires a perdu. Tout simplement. Si ces entreprises imaginent, un jour, remonter leurs prix pour envisager d’être à l’équilibre ou rentable, l’argument du « ce n’est pas possible puisque ça rouvrira une possibilité de concurrence » sortira du chapeau de ces génies pour l’interdire. Du capitalisme qui marche sur la tête.

L’investissement sécurisé

La deuxième grande technique des géants du numérique est basée sur la revente de statistiques collectées auprès de leurs utilisateurs. Ces données privées que vous fournissez à Google, Facebook Inc,, Twitter & co permettent à ces sociétés de disposer d’une masse d’informations telle que des entreprises sont prêtes à dégainer leurs portefeuilles pour en dégager des tendances.

Je m’amuse souvent à raconter que si les séries et les films se ressemblent beaucoup, ce n’est pas uniquement parce que le temps passe et qu’on se lasse des vieilles ficelles, c’est aussi parce que les énormes investissements engagés dans ces productions culturelles sont basés sur des dossiers mettant en avant le respect d’un certain nombre de « bonnes pratiques » captant l’attention du plus gros panel possible de consommateurs ciblés.

Avec toutes ces données, il est simple de savoir quel acteur ou quelle actrice est à la mode, pour quelle tranche d’âge, quelle dose d’action, de cul ou de romantisme dégoulinant il faut, trouver la période de l’année pour la bande annonce, sortie officielle, etc. Ça donne une recette presque magique. Comme les investisseurs sont friands de rentabilité, on se retrouve avec des productions culturelles calquées sur des besoins connus : c’est rassurant, c’est rentable, c’est à moindre risque. Pas de complot autour de l’impérialisme américain, juste une histoire de gros sous.

Cette capacité de retour sur investissement est aussi valable pour le monde politique, avec Barack OBAMA comme premier grand bénéficiaire ou encore cette histoire de Cambridge Analytica.

C’est ça, ce qu’on appelle le Big Data, ses divers intérêts au service du demandeur et la masse de pognon qu’il rapporte aux grands collecteurs de données.

La pub

Une troisième technique consiste à reprendre les données collectées auprès des utilisateurs pour afficher de la pub ciblée, donc plus efficace, donc plus cher. C’est une technique connue, alors je ne développe pas. Chose marrante, quand même, je ne retrouve pas l’étude (commentez si vous mettez la main dessus !) mais je sais que la capacité de ciblage est tellement précise qu’elle peut effrayer les consommateurs. Pour calmer l’angoisse des internautes, certaines pubs sans intérêt vous sont volontairement proposées pour corriger le tir.

Les hommes-sandwichs

Une autre technique est plus sournoise. Pas pour nous autres, vieux loubards, mais pour les jeunes : le placement produit. Même si certain Youtubeurs en font des blagues pas drôles (Norman…), ce truc est d’un vicieux.

Nos réseaux sociaux n’attirent pas autant de monde qu’espéré pour une raison assez basique : les influenceurs et influenceuses. Ces derniers sont des stars, au choix parce qu’ils sont connus de par leurs activités précédentes (cinéma, série, musique, sport, etc.) ou parce que ces personnes ont réussi à amasser un tel nombre de followers qu’un simple message sur Twitter, Youtube ou Instagram se cale sous les yeux d’un monstrueux troupeau. Ils gagnent le statut d’influenceur de par la masse de gens qui s’intéresse à leurs vies (lapsus, j’ai d’abord écrit vide à la place de vie). J’ai en tête l’histoire de cette jeune Léa, par exemple. Ces influenceurs sont friands de plateformes taillées pour leur offrir de la visibilité et clairement organisées pour attirer l’œil des Directeurs de Communication des marques. Mastodon, Pixelfed, diaspora* et les autres ne permettent pas de spammer leurs utilisateurs, n’attirent donc pas les marques, qui sont la cible des influenceurs, ces derniers n’y dégageant, in fine, aucun besoin d’y être présents.

Ces gens-là deviennent les nouveaux « hommes-sandwichs ». Ils ou elles sont contacté⋅e⋅s pour porter tel ou tel vêtement, boire telle boisson ou pour seulement poster un message avec le nom d’un jeu. Les marques les adorent et l’argent coule à flot.

On peut attendre

Bref, l’économie du numérique n’est pas si difficile que ça à cerner, même si je ne parle pas de tout. Ce qui m’intéresse dans toutes ces histoires est la stabilité de ces conneries sur le long terme et la possibilité de proposer autre chose. On peut attendre que les Uber se cassent la figure calmement, on peut attendre que le droit décide enfin de protéger les données des utilisateurs, on peut aussi attendre le jour où les consommateurs comprendront qu’ils sont les seuls responsables de l’inintérêt de ce qu’ils regardent à la télé, au cinéma, en photos ou encore que les mastodontes du numérique soient démantelés. Bref, on peut attendre. La question est : qu’aurons-nous à proposer quand tout ceci finira par se produire ?

La LowTech

Après la FinTech, la LegalTech, etc, faites place à la LowTech ou SmallTech. Je ne connaissais pas ces expressions avant de tomber sur cet article dans le Framablog et celui de Ubsek & Rica d’Aral. On y apprend que c’est un mouvement qui s’oppose frontalement aux géants, ce qui est fantastique. C’est une vision du monde qui me va très bien, en tant que militant du Libre depuis plus de 10 ans maintenant. On peut visiblement le rapprocher de l’initiative CHATONS.

Cependant, j’ai du mal à saisir les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour sa réussite.

Les mentalités

Les mentalités actuelles sont cloisonnées : le Libre, même s’il s’impose dans quelques domaines, reste mal compris. Rien que l’idée d’utiliser un programme au code source ouvert donne des sueurs froides à bon nombre de DSI. Comment peut-on se protéger des méchants si tout le monde peut analyser le code et en sortir la faille de sécurité qui va bien ? Comment se démarquer des concurrents si tout le monde se sert du même logiciel ? Regardez le dernier changelog : il est plein de failles béantes : ce n’est pas sérieux !

Parlons aussi de son mode de fonctionnement : qui se souvient d’OpenSSL utilisé par tout le monde et abandonné pendant des années au bénévolat de quelques courageux qui n’ont pas pu empêcher l’arrivée de failles volontaires ? Certains projets sont fantastiques, vraiment, mais les gens ont du mal à réaliser qu’ils sont, certes, très utilisés mais peu soutenus. Vous connaissez beaucoup d’entreprises pour lesquelles vous avez bossé qui refilent une petite partie de leurs bénéfices aux projets libres qui les font vivre ?

Le numérique libre et la Presse

Les gens, les éventuels clients des LowTech, ont plus ou moins grandi dans une société du gratuit. L’autre jour, je m’amusais à comparer les services informatiques à la Presse. Les journaux ont du mal à se sortir du modèle gratuit. Certains y arrivent (Mediapart, Arrêts sur Image : abonnez-vous !), d’autres, largement majoritaires, non.

Il n’est pas difficile de retrouver les montants des subventions que l’État français offre à ces derniers. Libération en parle ici. Après avoir noué des partenariats tous azimuts avec les GAFAM, après avoir noyé leurs contenus dans de la pub, les journaux en ligne se tournent doucement vers le modèle payant pour se sortir du bourbier dans lequel ils se sont mis tout seuls. Le résultat est très moyen, si ce n’est mauvais. Les subventions sont toujours bien là, le mirage des partenariats avec les GAFAM aveugle toujours et les rares qui s’en sont sortis se comptent sur les doigts d’une main.

On peut faire un vrai parallèle entre la situation de la Presse en ligne et les services numériques. Trouver des gens pour payer l’accès à un Nextcloud, un Matomo ou que sais-je est une gageure. La seule différence qui me vient à l’esprit est que des services en ligne arrivent à s’en sortir en coinçant leurs utilisateurs dans des silos : vous avez un Windows ? Vous vous servirez des trucs de Microsoft. Vous avez un compte Gmail, vous vous servirez des trucs de Google. Les premiers Go sont gratuits, les autres seront payants. Là où les journaux généralistes ne peuvent coincer leurs lecteurs, les géants du numérique le peuvent sans trop de souci.

Et le libre ?

Profil de libriste sur Mastodon.

Dans tout ça, les LowTech libres peuvent essayer de s’organiser pour subvenir aux besoins éthiques de leurs clients. Réflexion faite, cette dernière phrase n’a pas tant que ça de sens : comment une entreprise peut-elle s’en sortir alors que l’idéologie derrière cette mouvance favorise l’adhésion à des associations ou à rejoindre des collectifs ? Perso, je l’ai déjà dit, j’adhère volontiers à cette vision du monde horizontale et solidaire. Malgré tout, mon envie de travailler, d’avoir un salaire, une couverture sociale, une activité rentable, et peut-être un jour une retraite, me poussent à grimacer. Si les bribes d’idéologie LowTech orientent les gens vers des associations, comment fait-on pour sortir de terre une entreprise éthique, rentable et solidaire ?

On ne s’en sort pas, ou très difficilement, ou je n’ai pas réussi à imaginer comment. L’idée, connue, serait de s’attaquer au marché des entreprises et des collectivités pour laisser celui des particuliers aux associations sérieuses. Mais là encore, on remet un pied dans le combat pour les logiciels libres contre les logiciels propriétaires dans une arène encerclée par des DSI pas toujours à jour. Sans parler de la compétitivité, ce mot adoré par notre Président, et de l’état des finances de ces entités. Faire le poids face à la concurrence actuelle, même avec les mots « éthique, solidaire et responsable » gravés sur le front, n’est pas évident du tout.

Proie

Si je vous parle de tout ça, c’est parce que j’estime que nous sommes dans une situation difficile : celle d’une proie. Je ne vais pas reparler de l’achat de Nginx, de ce qu’il se passe avec ElasticSearch ou du comportement de Google qui forke à tout va pour ses besoins dans Chrome. Cette conférence vue au FOSDEM, The Cloud Is Just Another Sun, résonne terriblement en moi. L’intervenant y explique que les outils libres que nous utilisons dans le cloud sont incontrôlables. Qui vous certifie que vous tapez bien dans un MariaDB ou un ES quand vous n’avez accès qu’a une boite noire qui ne fait que répondre à vos requêtes ? Rien.

Nous n’avons pas trouvé le moyen de nous protéger dans le monde dans lequel nous vivons. Des licences ralentissent le processus de digestion en cours par les géants du numérique et c’est tout. Notre belle vision du monde, globalement, se fait bouffer et les poches de résistance sont minuscules.

skieur qui dévale une pente neigeuse sur fond de massif montagneux, plus bas
Le Libre est-il sur une pente dangereuse ou en train de négocier brillamment un virage ? Page d’accueil du site d’entreprise https://befox.fr/

Pour finir

Pour finir, ne mettons pas complètement de côté l’existence réelle d’un marché : Nextcloud en est la preuve, tout comme Dolibarr et la campagne de financement réussie d’OpenDSI. Tout n’est peut-être pas vraiment perdu. C’est juste très compliqué.

La bonne nouvelle, s’il y en a bien une, c’est qu’en parlant de tout ça dans Mastodon, je vous assure que si une entreprise du libre se lançait demain, nous serions un bon nombre prêt à tout plaquer pour y travailler. À attendre d’hypothétiques clients, qu’on cherche toujours, certes, mais dans la joie et la bonne humeur.

 

Enfin voilà, des réflexions, des idées, beaucoup de questions. On arrive à plus de 1900 mots, de quoi faire plaisir à Cyrille BORNE.

 

Des bisous.

 




La bataille du libre, un documentaire contributopique !

Nous avons eu la chance de voir le nouveau documentaire de Philippe Borrel. Un conseil : ne le loupez pas, et surtout emmenez-y vos proches qui ne comprennent pas pourquoi vous les bassinez avec « vos trucs de libristes, là »…

Ce n’est pas de la publicité, c’est de la réclame

Avertissement : cet article de blog est enthousiaste sans être sponsorisé (et oui : nous vivons à une époque où ce genre de précision est devenue obligatoire -_-‘…), car en fait, il est simplement sincère.

Et c’est pas parce qu’on y voit apparaître tonton Richard (the Stallman himself), l’ami Calimaq, les potes de Mozilla ou notre Pyg à nous, hein… C’est parce que ce documentaire montre que la palette du Libre s’étend très largement au-delà du logiciel : agriculture, outils, santé, autogestion… Il montre combien le Libre concrétise dès aujourd’hui les utopies contributives de demain, et ça, bizarrement, ça nous parle.

Sans compter que sa bande annonce a le bon goût d’être présente et présentée sur PeerTube :

Ce qui est brillant, c’est que ce documentaire peut toucher les cœurs et les pensées de nos proches dont le regard divague au loin dès qu’on leur parle de « logiciels », « services », « clients » et autre « code-source »… et qui ne comprennent pas pourquoi certaines variétés de tomates anciennes ont circulé clandestinement dans leur AMAP, ou qui s’indignent de la montée du prix de l’insuline et des prothèses médicales.

Des avant-premières à Fontaine, Nantes et Paris… et sur Arte

Une version « condensée » du documentaire (55 minutes sur les 87 de la version cinéma) sera diffusée le mardi 19 février à 23h45 sur Arte, sous le titre « Internet ou la révolution du partage »… et disponible en accès libre et gratuit sur la plateforme VOD d’Arte jusqu’au 12 avril prochain.

Mais pour les plus chanceuxses d’entre nous, pour celles et ceux qui aiment les grandes toiles et les ciné-débats, il y a déjà quelques avant-premières :

Nous continuerons d’en parler sur nos médias sociaux, car nous considérons que ce documentaire est un bien bel outil dont on peut s’emparer pour se relier à ces communautés qui partagent les valeurs du Libre dans des domaines autre que le numérique… Et il n’est pas impossible que vous rencontriez certain·e·s de nos membres lors d’une projection 😉

 




Framasoft : les chiffres à connaître

Chaque année, nous nous rappelons à votre bon souvenir pour vous inciter à soutenir financièrement nos actions. Vous voyez au fil du temps de nouveaux services et des campagnes ambitieuses se mettre en place. Mais peut-être voudriez-vous savoir en chiffres ce que nous avons réalisé jusqu’à présent. Voilà de quoi vous satisfaire.

Par souci de transparence, nos bilans financiers sont publiés chaque année et nous offrons en temps réel l’accès à certaines statistiques d’usage de nos services. Mais cela ne couvre pas l’ensemble de nos actions et nous nous sommes dit que vous pourriez en vouloir plus que ce qui se trouve sur Framastats.

Libre à vous de picorer un chiffre ou l’autre, d’en faire des quizz ou de les reprendre pour votre argumentaire afin de démontrer l’efficacité du monde associatif. Nous espérons que vous y verrez l’illustration de notre engagement à promouvoir le libre sous toutes ses formes.

  • 1 : Depuis son lancement voilà un an, chaque heure un nouveau site naît sur Framasite.
  • 2,5 : Les 5 000 utilisatrices de Framadrive utilisent 2,5 To de données pour leurs 3 millions de fichiers.
  • 5 : Toutes les 5 secondes en moyenne, un utilisateur se connecte sur les services Framasoft.
  • 10 : Toutes les 10 minutes à peine, une nouvelle visioconférence est créée sur Framatalk, qui accueille environ 400 participant⋅es par jour.

Framatalk, la vision-conférence Libre, vue par Pëhà

  • 11 : C’est le nombre de pizzas, additionné aux 47 plateaux-repas et 25 couscous qu’ont avalé les 25 personnes présentes pendant les 4 jours de l’AG Framasoft 2018.
  • 33 : Framasoft vous propose 33 services en ligne alternatifs, respectueux de vos données et sans publicité.
  • 35 : Grâce aux 300 abonné·e·s à la liste Framalang, ce ne sont pas moins de 35 traductions qui ont été effectuées et publiées sur le Framablog en un an.
  • 252 : http://joinpeertube.org , c’est une fédération de 252 instances (déclarées) affichant 23 017 vidéos libérées de YouTube
  • 750 : Chaque mois, notre support répond à environ 750 demandes, questions et problèmes. Avec un seul salarié !

Framalibre, l’annuaire à l’origine de Framasoft

  • 871 : Framalibre, l’annuaire du libre vous présente 871 projets, logiciels ou créations artistiques sous licence libre à l’aide de courtes notices.
  • 1 000 : Framaforms c’est environ 1000 formulaires créés quotidiennement et plus de 44 000 formulaires hébergés.
  • 1 800 : Chaque jour, ce sont près de 1 800 images qui viennent s’ajouter aux 770 000 déjà présentes sur les serveurs de Framapic.
  • 2 236 : Le Framablog c’est 2 236 articles et 28 919 commentaires depuis 2006, faisant le lien entre logiciel libre et société/culture libres.
  • 3 000 : 4 000 utilisatrices réparties en 250 groupes ont créé plus de 3 000 présentations et conférences grâce à Framaslides alors qu’il n’est encore qu’en beta !
  • 6 000 : Framemo héberge 6 000 tableaux qui ont aidé des utilisateurs à mettre leurs idées au clair, sans avoir à s’inscrire.

Framacarte, pour ne pas se perdre en chemin

  • 6 000 : Sur Framacarte ajoutez votre propre fond de carte aux 6 000 qui existent déjà, en partenariat avec OpenStreetMap.
  • 6 579 : Framapiaf, c’est 6 579 utilisateurs ayant « pouetté » 734 500 messages sur cette instance Mastodon, elle-même fédérée avec près de 4 000 autres instances (totalisant environ 1,5 million de comptes).
  • 11 000 : Avec Framanews, ce sont 500 lecteurs (limite qu’on a nous même fixée pour restreindre la charge du serveur) qui accèdent régulièrement à leurs 11 000 flux RSS.
  • 13 000 : Près de 4 000 utilisatrices accèdent à leur 13 000 notes depuis n’importe quel navigateur, avec un accès sécurisé, sur Framanotes.
  • 15 000 : Avec Framabag 15 000 personnes ont pu sauvegarder et classer 1,5 million d’articles.

Framagit, pour partager librement votre code

 

  • 25 000 : Notre forge logicielle, Framagit, héberge plus de 25 000 projets (et autant d’utilisateurs).
  • 35 000 : Avec MyFrama, 35 000 utilisatrices partagent librement leurs liens Internet.
  • 43 000 : Accédez à une des 43 000 adresses Web abrégées ou créez-en une grâce au raccourcisseur d’URL Framalink qui ne traque pas vos visiteurs.
  • 52 000 : Découvrez Framasphère, membre du réseau social libre et fédéré Diaspora*, où 52 000 utilisatrices ont échangé environ 600 000 messages et autant de commentaires.
  • 75 000 : Près de 75 000 joueurs ont pu faire une petite pause ludique sans s’exposer à de la publicité sur Framagames.

Framadrop, le partage aisé de gros fichier, en sécurité

  • 100 000 : Sur Framadrop plus de 100 000 fichiers ont pu être échangés en toute confidentialité.
  • 130 000 : Framacalc accueille plus de 130 000 feuilles de calcul, où vos données ne sont pas espionnées ni revendues
  • 142 600 : Sur Framapad, c’est en moyenne plus de 142 600 pads actifs chaque jour et presque 8 millions d’utilisateurs depuis ses débuts.
  • 150 000 : Les serveurs de Framalistes adressent en moyenne 150 000 courriels chaque jour aux 280 000 inscrites à des listes de discussion.
  • 200 000 : Êtes-vous l’une des 200 000 personnes à avoir consulté un des 23 000 messages chiffrés de Framabin ?
  • 500 000 : Framadate c’est plus de 500 000 visites par mois et plus de 1 000 sondages créés chaque jour.

Framapiaf, notre instance Mastodon

  • 2 500 000 : Plus de 2 millions et demi de personnes ont développé leurs idées, échafaudé des projets sur Framindmap depuis sa mise en place.
  • 3 350 000 : Grâce à Framabook, 3 350 000 lecteurs ont pu télécharger en toute légalité un des 47 ouvrages librement publiés.
  • 5 000 000 : Sur Framagenda environ 35 000 utilisateurs gèrent un million de contacts. Ils organisent et partagent près de cinq millions d’événements.
  • 10 000 000 : Comme près de 40 000 personnes, travaillez en équipe sur Framateam et rejoignez un des 80 000 canaux avec presque 10 millions de messages !

 

Et le chiffre essentiel pour que tout cela soit possible, c’est celui de nos donatrices et donateurs (2381 en moyenne chaque année) : appuyez sur ce bouton pour le faire croître de 1

 

+1 : Je fais un don à Framasoft

 

Pour en savoir plus




Changer le monde, un octet à la fois

Cette année, comme les précédentes, Framasoft fait appel à votre générosité afin de poursuivre ses actions.

Depuis 14 ans : promouvoir le logiciel libre et la culture libre

L’association Framasoft a 14 ans. Durant nos 10 premières années d’existence, nous avons créé l’annuaire francophone de référence des logiciels libres, ouvert une maison d’édition ne publiant que des ouvrages sous licences libres, répondu à d’innombrables questions autour du libre, participé à plusieurs centaines d’événements en France ou à l’étranger, promu le logiciel libre sur DVD puis clé USB, accompagné la compréhension de la culture libre, ou plutôt des cultures libres, au travers de ce blog, traduit plus de 1 000 articles ainsi que plusieurs ouvrages, des conférences, et bien d’autres choses encore !

Depuis 4 ans, décentraliser Internet

En 2014, l’association prenait un virage en tentant de sensibiliser non seulement à la question du libre, mais aussi à celle de la problématique de la centralisation d’Internet. En déconstruisant les types de dominations exercées par les GAFAM (dominations technique, économique, mais aussi politique et culturelle), nous avons pendant plusieurs années donné à voir en quoi l’hyperpuissance de ces acteurs mettait en place une forme de féodalité.

Et comme montrer du doigt n’a jamais mené très loin, il a bien fallu initier un chemin en prouvant que le logiciel libre était une réponse crédible pour s’émanciper des chaînes de Google, Facebook & co. En 3 ans, nous avons donc agencé plus de 30 services alternatifs, libres, éthiques, décentralisables et solidaires. Aujourd’hui, ces services accueillent 400 000 personnes chaque mois. Sans vous espionner. Sans revendre vos données. Sans publicité. Sans business plan de croissance perpétuelle.

Parfois, Framasoft se met au vert. Parce qu’il y a un monde par-delà les ordinateurs…

 

 

Mais Framasoft, c’est une bande de potes, pas la #startupnation. Et nous ne souhaitions pas devenir le « Google du libre ». Nous avons donc en 2016 impulsé le collectif CHATONS, afin d’assurer la résilience de notre démarche, mais aussi afin de « laisser de l’espace » aux expérimentations, aux bricolages, à l’inventivité, à l’enthousiasme, aux avis divergents du nôtre. Aujourd’hui, une soixantaine de chatons vivent leurs vies, à leurs rythmes, en totale indépendance.

Il y a un an : penser au-delà du code libre

Il y a un an, nous poursuivions notre virage en faisant 3 constats :

  1. L’open source se porte fort bien. Mais le logiciel libre (c-à-d. opensource + valeurs éthiques) lui, souffre d’un manque de contributions exogènes.
  2. Dégoogliser ne suffit pas ! Le logiciel libre n’est pas une fin en soi, mais un moyen (nécessaire, mais pas suffisant) de transformation de la société.
  3. Il existe un ensemble de structures et de personnes partageant nos valeurs, susceptibles d’avoir besoin d’outils pour faire advenir le type de monde dont nous rêvons. C’est avec elles qu’il nous faut travailler en priorité.

Est-ce une victoire pour les valeurs du Libre que d’équiper un appareil tel que le drone militaire MQ-8C Fire Scout ?
Nous ne le pensons pas.
Cliché
Domaine public – Wikimedia

 

Face à ces constats, notre feuille de route Contributopia vise à proposer des solutions. Sur 3 ans (on aime bien les plans triennaux), Framasoft porte l’ambition de participer à infléchir la situation.

D’une part en mettant la lumière sur la faiblesse des contributions, et en tentant d’y apporter différentes réponses. Par exemple en abaissant la barrière à la contribution. Ou, autre exemple, en généralisant les pratiques d’ouvertures à des communautés non-dev.

D’autre part, en mettant en place des projets qui ne soient pas uniquement des alternatives à des services de GAFAM (aux moyens disproportionnés), mais bien des projets engagés, militants, qui seront des outils au service de celles et ceux qui veulent changer le monde. Nous sommes en effet convaincu·es qu’un monde où le logiciel libre serait omniprésent, mais où le réchauffement climatique, la casse sociale, l’effondrement, la précarité continueraient à nous entraîner dans leur spirale mortifère n’aurait aucun sens pour nous. Nous aimons le logiciel libre, mais nous aimons encore plus les êtres humains. Et nous voulons agir dans un monde où notre lutte pour le libre et les communs est en cohérence avec nos aspirations pour un monde plus juste et durable.

Aujourd’hui : publier Peertube et nouer des alliances

Aujourd’hui, l’association Framasoft n’est pas peu fière d’annoncer la publication de la version 1.0 de PeerTube, notre alternative libre et fédérée à YouTube. Si vous souhaitez en savoir plus sur PeerTube, ça tombe bien : nous venons de publier un article complet à ce sujet !

Ce n’est pas la première fois que Framasoft se retrouve en position d’éditeur de logiciel libre, mais c’est la première fois que nous publions un logiciel d’une telle ambition (et d’une telle complexité). Pour cela, nous avons fait le pari l’an passé d’embaucher à temps plein son développeur, afin d’accompagner PeerTube de sa version alpha (octobre 2017) à sa version bêta (mars 2018), puis à sa version 1.0 (octobre 2018).

Le crowdfunding effectué cet été comportait un palier qui nous engageait à poursuivre le contrat de Chocobozzz, le développeur de PeerTube, afin de vous assurer que le développement ne s’arrêterait pas à une version 1.0 forcément perfectible. Ce palier n’a malheureusement pas été atteint, ce qui projetait un flou sur l’avenir de PeerTube à la fin du contrat de Chocobozzz.

Garder sa singularité tout en étant relié aux autres, c’est ça la force de la fédération PeerTube.
Notre article complet sur PeerTube

 

Nous avons cependant une excellente nouvelle à vous annoncer ! Bien que le palier du crowdfunding n’ait pas été atteint, l’association Framasoft a fait le choix d’embaucher définitivement Chocobozzz (en CDI) afin de pérenniser PeerTube et de lui donner le temps et les moyens de construire une communauté solide et autonome. Cela représente un investissement non négligeable pour notre association, mais nous croyons fermement non seulement dans le logiciel PeerTube, mais aussi et surtout dans les valeurs qu’il porte (liberté, décentralisation, fédération, émancipation, indépendance). Sans parler des compétences de Chocobozzz lui-même qui apporte son savoir-faire à l’équipe technique dans d’autres domaines.

Nous espérons que vos dons viendront confirmer que vous approuvez notre choix.

D’ici la fin de l’année, annoncer de nouveaux projets… et une campagne de don

Comme vous l’aurez noté (ou pas encore !), nous avons complètement modifié notre page d’accueil « framasoft.org ». D’une page portail plutôt institutionnelle, décrivant assez exhaustivement « Qu’est-ce que Framasoft ? », nous l’avons recentrée sur « Que fait Framasoft ? » mettant en lumière quelques éléments clefs. En effet, l’association porte plus d’une cinquantaine de projets en parallèle et présenter d’emblée la Framagalaxie nous semblait moins pertinent que de « donner à voir » des actions choisies, tout en laissant la possibilité de tirer le fil pour découvrir l’intégralité de nos actions.

Nous y rappelons brièvement que Framasoft n’est pas une multinationale, mais une micro-association de 35 membres et 8 salarié⋅es (bientôt 9 : il reste quelques jours pour candidater !). Que nous sommes à l’origine de la campagne « Dégooglisons Internet » (plus de 30 services en ligne)… Mais pas seulement ! Certain⋅es découvriront peut-être l’existence de notre maison d’édition Framabook, ou de notre projet historique Framalibre. Nous y mettons en avant LE projet phare de cette année 2018 : PeerTube. D’autres projets à court terme sont annoncés sur cette page (en mode teasing), s’intégrant dans notre feuille de route Contributopia.

Framasoft n’est pas une multinationale, mais une micro-association

Enfin, nous vous invitons à faire un don pour soutenir ces actions. Car c’est aussi l’occasion de rappeler que l’association ne vit quasiment que de vos dons ! Ce choix fort, volontaire et assumé, nous insuffle notre plus grande force : notre indépendance. Que cela soit dans le choix des projets, dans le calendrier de nos actions, dans la sélection de nos partenaires, dans nos prises de paroles et avis publics, nous sommes indépendant⋅es, libres, et non-soumis⋅es à certaines conventions que nous imposerait le système de subventions ou de copinage avec les ministères ou toute autre institution.

Ce sont des milliers de donatrices et donateurs qui valident nos actions par leur soutien financier. Ce qu’on a fait vous a plu ? Vous pensez que nous allons dans le bon sens ? Alors, si vous en avez l’envie et les moyens, nous vous invitons à faire un don. C’est par ce geste que nous serons en mesure de verser les salaires des salarié⋅es de l’association, de payer les serveurs qui hébergent vos services préférés ou de continuer à intervenir dans des lieux ou devant des publics qui ont peu de moyens financiers (nous intervenons plus volontiers en MJC que devant l’Assemblée Nationale, et c’est un choix assumé). Rappelons que nos comptes sont publics et validés par un commissaire aux comptes indépendant.

En 2019, proposer des outils pour la société de contribution

Fin 2018, nous vous parlerons du projet phare que nous souhaitons développer pendant l’année 2019, dont le nom de code est Mobilizon. Au départ pensé comme une simple alternative à Meetup.com (ou aux événements Facebook, si vous préférez), nous avons aujourd’hui la volonté d’emmener ce logiciel bien plus loin afin d’en faire un véritable outil de mobilisation destiné à celles et ceux qui voudraient se bouger pour changer le monde, et s’organiser à 2 ou à 100 000, sans passer par des systèmes certes efficaces, mais aussi lourds, centralisés, et peu respectueux de la vie privée (oui, on parle de Facebook, là).

Évidemment, ce logiciel sera libre, mais aussi fédéré (comme Mastodon ou PeerTube), afin d’éviter de faire d’une structure (Framasoft ou autre), un point d’accès central, et donc de faiblesse potentielle du système. Nous vous donnerons plus de nouvelles dans quelques semaines, restez à l’écoute !

Éviter de faire d’une structure (Framasoft ou autre), un point d’accès central

D’autres projets sont prévus pour 2019 :

  • la sortie du (apparemment très attendu) Framapétitions ;
  • la publication progressive du MOOC CHATONS (cours en ligne gratuit et ouvert à toutes et tous), en partenariat avec la Ligue de l’Enseignement et bien d’autres. Ce MOOC, nous l’espérons, permettra à celles et ceux qui le souhaitent, de comprendre les problématiques de la concentration des acteurs sur Internet, et donc les enjeux de la décentralisation. Mais il donnera aussi de précieuses informations en termes d’organisation (création d’une association, modèle économique, gestion des usager⋅es, gestion communautaire, …) ainsi qu’en termes techniques (quelle infrastructure technique ? Comment la sécuriser ? Comment gérer les sauvegardes, etc.) ;
  • évidemment, bien d’autres projets en ligne (on ne va pas tout vous révéler maintenant, mais notre feuille de route donne déjà de bons indices)

Bref, on ne va pas chômer !

Dans les années à venir : se dédier à toujours plus d’éducation populaire, et des alliances

Nous avions coutume de présenter Framasoft comme « un réseau à géométrie variable ». Il est certain en tout cas que l’association est en perpétuelle mutation. Nous aimons le statut associatif (la loi de 1901 nous paraît l’une des plus belles au monde, rien que ça !), et nous avons fait le choix de rester en mode « association de potes » et de refuser — en tout cas jusqu’à nouvel ordre — une transformation en entreprise/SCOP/SCIC ou autre. Mais même si nous avons choisi de ne pas être des super-héro⋅ïnes et de garder l’association à une taille raisonnable (moins de 10 salarié⋅es), cela ne signifie pas pour autant que nous ne pouvons pas faire plus !

La seconde année de Contributopia
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

 

 

Pour cela, de la même façon que nous proposons de mettre nos outils « au service de celles et ceux qui veulent changer le monde », nous sommes en train de créer des ponts avec de nombreuses structures qui n’ont pas de rapport direct avec le libre, mais avec lesquelles nous partageons un certain nombre de valeurs et d’objectifs.

Ainsi, même si leurs objets de militantisme ou leurs moyens d’actions ne sont pas les mêmes, nous aspirons à mettre les projets, ressources et compétences de Framasoft au service d’associations œuvrant dans des milieux aussi divers que ceux de : l’éducation à l’environnement, l’économie sociale et solidaire et écologique, la transition citoyenne, les discriminations et oppressions, la précarité, le journalisme citoyen, la défense des libertés fondamentales, etc. Bref, mettre nos compétences au service de celles et ceux qui luttent pour un monde plus juste et plus durable, afin qu’ils et elles puissent le faire avec des outils cohérents avec leurs valeurs et modulables selon leurs besoins.

Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Nous pensons que le temps est venu de faire ensemble.

Framasoft est une association d’éducation populaire (qui a soufflé « d’éducation politique » ?), et nous n’envisageons plus de promouvoir ou de faire du libre « dans le vide ». Il y a quelques années, nous évoquions l’impossibilité chronique et structurelle d’échanger de façon équilibrée avec les institutions publiques nationales. Cependant, en nous rapprochant de réseaux d’éducation populaire existants (certains ont plus de cent ans), nos positions libristes et commonistes ont été fort bien accueillies. À tel point qu’aujourd’hui nous avons de nombreux projets en cours avec ces réseaux, qui démultiplieront l’impact de nos actions, et qui permettront — nous l’espérons — que le milieu du logiciel libre ne reste pas réservé à une élite de personnes maîtrisant le code et sachant s’y retrouver dans la jungle des licences.

Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Nous pensons que le temps est venu de faire ensemble.

Nous avons besoin de vous !

Un des paris que nous faisons pour cette campagne est « d’informer sans sur-solliciter ». Et l’équilibre n’est pas forcément simple à trouver. Nous sommes en effet bien conscient⋅es qu’en ce moment, toutes les associations tendent la main et sollicitent votre générosité.

Nous ne souhaitons pas mettre en place de « dark patterns » que nous dénonçons par ailleurs. Nous pouvions jouer la carte de l’humour (si vous êtes détendu⋅es, vous êtes plus en capacité de faire des dons), celle de la gamification (si on met une jauge avec un objectif de dons, vous êtes plus enclin⋅es à participer), celle du chantage affectif (« Donnez, sinon… »), etc.

Le pari que nous prenons, que vous connaissiez Framasoft ou non, c’est qu’en prenant le temps de vous expliquer qui nous sommes, ce que nous avons fait, ce que nous sommes en train de faire, et là où nous voulons vous emmener, nous parlerons à votre entendement et non à vos pulsions. Vous pourrez ainsi choisir de façon éclairée si nos actions méritent d’être soutenues.

« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose. Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » — Antoine de Saint-Exupéry

Nous espérons, à la lecture de cet article, vous avoir donné le désir de co-construire avec nous le Framasoft de demain, et que vous embarquerez avec nous.

 

Faire un don pour soutenir les actions de Framasoft

 

 




Un jeune libriste part à l’asso des mauvaises habitudes

Neil vient de finir un stage d’étudiant au terme duquel il a réussi à faire adopter des outils libres à une association. Il livre ici le récit de ses tribulations, c’est amusant et édifiant…

On aimerait bien qu’il y en ait beaucoup comme lui pour s’engager de façon aussi déterminée et efficace. Nous espérons entamer une série d’interviews de libristes qui comme lui sont particulièrement impliqué⋅e⋅s dans la diffusion des valeurs et des pratiques libristes.


avatar de Neil, un pigeon sur la tête
Avatar de Neil, image d’après Tunaniverse

Bonjour à tous,

N’ayant encore qu’assez peu d’expérience dans le domaine du libre et s’agissant de mon premier article sur Internet, je sollicite votre bienveillance et vous invite à me signaler toute éventuelle erreur ou mauvais usage des termes dans cet article.

Contexte

Les études

Avant de commencer, un peu de background. J’ai 20 ans et je suis en première année de BTS SIO (branche SLAM), formation post-bac orientée sur l’informatique de gestion et le développement d’applications.

Au bout d’un mois dans cette filière, j’ai senti qu’elle n’était pas pour moi en constatant notamment un retard assez grave dans les notions du référentiel. Mais pour des raisons financières (bourses, appartement, etc.) j’ai dû finir mon année, ce qui implique l’obligation de trouver un stage d’un mois en juin.

Le choix de l’association

J’ai donc choisi une association que je vais appeler Ciné-Asso, qui propose des tarifs réduits pour des séances au cinéma pour les établissements scolaires et ses adhérents. Ses responsables disaient avoir besoin de retravailler leur système d’information.

C’était pour moi une chance que de pouvoir mettre mes connaissances à disposition d’une association, ce qui m’attirait bien plus que les stages choisis par mes camarades de classe (stage en banque, en dépannage/réparation informatique, au supermarché, en startup French Tech qui développe sous WinDev1. Choix judicieux que de choisir un stage WinDev en BTS SIO : WinDev fait partie des logiciels étudiés et utilisés tout comme WordPress, Microsoft Visio, Win’Design, PC Wizard 2015 et plein d’autres. (Vous comprenez pourquoi je n’aime pas cette filière ?)

Et je préférais travailler pour une asso en rapport avec l’art et la culture. Le choix était donc déjà fait.

Un peu de technique

En ce qui concerne les outils utilisés, mon ordinateur tourne sous Debian Buster (prerelease) depuis Janvier 2018. Je code exclusivement sous Vim, mon éditeur préféré. Pour le développement web, j’utilise Apache et MariaDB côté serveur (en local, donc sur mon propre poste). J’utilise souvent MySQL Workbench (la version sous licence GPL par Oracle) pour éditer la BDD, sinon en CLI. Je travaille tout le temps avec draw.io (licence Apache), un logiciel vraiment pratique pour réaliser des schémas en tous genres, des cartes mentales aux modèles relationnels. Je m’estime par ailleurs libriste et refuse, lorsque la situation le permet, de travailler avec des logiciels propriétaires. Vous allez voir que défendre ses valeurs n’est pas facile…

Tâches assignées

Principalement deux tâches me seront confiées durant ce stage d’un mois :

  • Retravailler le site web de Ciné-Asso Leur site web tournait sous une très ancienne version de Joomla ! et franchement, ce n’était pas beau à voir. Bref, un site des années 2006. Ma mission sera de développer un site vitrine pour le remplacer, avec une gestion d’évènements planifiés (de séances de films, en l’occurrence) pour l’association. Cela inclut évidemment la formation des bénévoles à l’outil ;
  • Retravailler la base de données, reconstruire la base de données utilisée pour enregistrer les adhérents et les donateurs de l’asso. La base de données actuelle a été créée il y a 10 ans sous Access 2003 (si ce n’est 98…) et elle est encore utilisée jusqu’à présent. La base n’est pas relationnelle alors qu’elle devrait l’être. Résultat : 35 champs dans une table avec les adhérents et donateurs mélangés, des doublons, des couples sur un seul enregistrement et de sérieuses limites. Je vais donc devoir créer une nouvelle base, migrer toutes les données et former les bénévoles.

Le tout, donc, en un mois, avec la contrainte personnelle de n’utiliser que des logiciels libres.

capture de la liste des entrées de la base de données ancienne
La base d’adhérents au départ…

Présentation de Ciné-Asso

Je vais donc vous présenter brièvement l’équipe de Ciné-Asso. De faux noms leur seront attribués afin de préserver leur anonymat.

M. Touron est le président de l’association. Un esprit juste et logique.

Mme Nougat est la trésorière et celle que je dois convaincre. Elle est très réticente à l’intégration de mon travail au sein de l’asso. Elle sera aussi l’une des principales utilisatrices du logiciel de gestion de base de données. J’ai donc intérêt à faire du bon travail afin de satisfaire ses attentes.

M. Réglisse s’occupe de la communication auprès des adhérents. Il utilise tout le temps l’outil informatique dans son travail, pas toujours comme il le faudrait.

Mme Caramel est une jeune bénévole qui soutient mes idées. Elle s’occupe principalement du site web.

M. Calisson est un bénévole octogénaire et maintient la base de données Access. C’est un autodidacte de l’informatique. Il racontait fièrement qu’il avait programmé en COBOL pour le gouvernement à une époque désormais révolue.

M. Prunelle est un prestataire de services extérieur à l’association et jouera un rôle crucial.

Une réunion est organisée entre deux ou trois bénévoles et moi deux fois par semaine afin de présenter l’avancée de mon travail et de m’ajuster à la demande. En dehors des réunions, je travaille en autonomie.

Un détail important à relever : aucun membre de Ciné-Asso n’est assez compétent en informatique pour s’occuper du côté technique du site après mon départ.

Le site web

J’ai consacré les 15 premiers jours à la réalisation du site web. Et parmi tous les CMS possibles, j’ai choisi… Allez, devinez… WordPress.
Vous avez le droit de jeter vos tomates pourries ; mais je n’avais aucune expérience, ni avec Drupal, ni avec Joomla! et je n’avais clairement pas le temps de tester les solutions (rappelons que j’ai seulement 15 jours pour finaliser le site, formations incluses). De plus, je connaissais déjà bien WordPress pour l’avoir utilisé par le passé. Et croyez-moi, j’ai regretté de ne pas avoir été assez curieux, car ces 15 jours mêlèrent ennuis et souffrance.

Le décor

On commence par le design. J’ai choisi la version gratuite d’un thème qui leur plaisait bien. Je leur conçois une jolie bannière d’en-tête (avec GIMP, bien évidemment). Au final, j’ai dû la refaire 16 fois dans une réunion de 4 heures pour satisfaire aux demandes de M. Touron, président. Mais passons. J’ai dû bidouiller le CSS afin de convenir à leurs attentes, au risque de tout casser à la prochaine mise à jour. En guise de solution, je leur ai demandé de tout mettre à jour, sauf le thème.
C’est sale, ça contourne le problème, mais je ne vois pas d’autre option dans le temps imparti ; de plus, les thèmes souffrent rarement d’une faille de sécurité. J’ai donc jugé le pari suffisamment sûr.
Travailler sur WordPress n’est pas jouissif. Ça me servira de leçon pour mes stages futurs.

Les plugins

Je choisis le plugin WP Theater pour programmer les séances de cinéma.
Évidemment, les fonctions les plus intéressantes sont payantes. Je me contente des fonctions de base et réussis à convenir à leurs demandes. M. Touron m’a proposé d’acheter la version payante du plugin, mais j’ai insisté en disant que n’était pas nécessaire et que pour le prix de la fonctionnalité, ça relevait plutôt de l’escroquerie.

Les deux semaines s’écoulèrent (trop) paisiblement avec quelques ajustements par-ci par-là. La formation fut terminée en une après-midi. L’intéressée, Mme Caramel, appréciait l’interface conviviale du logiciel.

Choses vues

En un mois, j’ai appris à connaître les membres de l’association : leur personnalité, leur empathie et surtout, leur usage de l’outil informatique. J’ai tout de même quelques anecdotes qui font peur.

M. Réglisse et Micro$oft Office

J’apprends que l’un des membres de l’association, M. Réglisse, utilise MS Office 2003 pour travailler sur les documents de l’asso. Malheureusement, ce logiciel de Micro$oft n’arrive plus à exporter en PDF sur son poste, pour une raison inconnue (tout autant à lui qu’à moi). Sans compter que Office 2003 ne lit pas les nouveaux formats MS Office (depuis 2007 : xlsx, docx, etc.) ni les formats libres (odt…). Et ainsi, à chaque fois que M. Réglisse souhaite lire ou éditer un fichier incompatible, il envoie ce fichier par mail à sa collègue qui le convertit en PDF (à l’aide d’Apache OpenOffice) et qui lui renvoie par mail, et ce depuis longtemps.
Il fallait quand même que je me retienne de sourire en écoutant ça.
On me demande conseil.
En bon libriste, j’explique que le logiciel est trop vieux et qu’il faut passer à LibreOffice gratuitement ou acheter le pack Office tous les 3 ans, en insistant bien sur la première option.
« Oui, mais j’ai déjà essayé, ça marche pas, y’a des bugs et c’est pas toujours compatible… » Finalement, j’ai réussi à le convaincre. Ça a changé un peu la mise en forme de ses fichiers et il ne s’est pas gêné de me faire remarquer qu’un pixel dépassait par-ci par-là, mais il devrait s’en satisfaire pour le moment.

Vive le libre !

M. Réglisse et le mailing

Dans les aventures de M. Réglisse, j’ai aussi celle où il souhaite envoyer une newsletter à tous les adhérents de l’association. Il ouvre sa base Access 2003, et demande au logiciel de lui donner tous les mails des membres de l’asso. Il ouvre Thunderbird en parallèle, crée un nouveau groupe… et ajoute tous les mails en les réécrivant un par un à la main ! On m’explique que c’était parce que certains mails peuvent avoir été entrés dans la base de données avec des erreurs (une virgule au lieu d’un point, par exemple…) et que copier coller pose alors des problèmes… Car la base de données ne détecte pas les erreurs de saisie…

Je promets à M. Réglisse que le mailing sera beaucoup plus facile avec ma solution.

La réunion à mi-chemin

Les réunions furent assez régulières avec moi au sein de l’asso, mais celle-ci fut de très loin la plus importante. Je rencontre M. Prunelle, expert en informatique, retraité. Il s’agit d’un prestataire de services extérieur à l’association, contacté par Mme Nougat dans l’idée de contrôler mon travail et de m’aiguiller. Pour la première fois, M. Calisson, mainteneur de la base de données, est présent. M. Prunelle commence donc par parler de son parcours ; il a fondé une entreprise d’informatique pendant sa jeunesse et a déjà programmé en COBOL et en assembleur, raconte-t-il avec nostalgie.

M. Prunelle joue un rôle crucial : il s’engage à maintenir mon travail à mon départ en tant que bénévole si le projet correspond à ses attentes. Il s’agit donc d’une personne avec laquelle je devrais collaborer.

Les deux premières heures

On parle beaucoup du site web. Je l’ai présenté, il était déjà globalement fini, prêt à être basculé en production. M. Prunelle approuve mon choix du CMS WordPress et raconte qu’il a de l’expérience avec. On discute des quelques bidouillages sur le CSS (peu nombreux mais hélas impératifs conformément aux demandes).
Mon code étant commenté et mes modifications légères et peu nombreuses, il les approuve et se propose même de les maintenir si ça casse après une mise à jour. Super, ça m’arrache une épine du pied !

Les deux dernières heures

J’aborde le sujet de la base de données. Il faut savoir que la trésorière, Mme Nougat, s’oppose assez fortement au fait que je travaille sur la BDD. Elle souhaite que je me consacre pleinement au site et veut plutôt confier la base à un intervenant extérieur aux frais de l’association. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a fait appel à M. Prunelle…

J’explique mon projet. Un intranet maison, développé from scratch, une BDD relationnelle. Le tout fait à la main. J’avais déjà préparé un schéma relationnel que je lui montre.

« Ta base m’a l’air bien, relationnelle, tout bien comme il faut, c’est du bon travail. Par contre, je ne suis pas trop d’accord avec ta solution pour l’hébergement de la base de données, Maria DB… Je connais de nom mais ce n’est pas très utilisé dans le domaine professionnel… »

Il sort son cahier. Puis son stylo. Je le remarque alors… Un stylo rose fluo, avec le fameux logo de WINDEV dessus. Gulp. Je sais ce qui m’attend.

M. Prunelle me demande alors d’aller voir sur une page cachée d’un site web sur lequel il avait récemment travaillé. Il m’épelle l’adresse, quelque chose du genre « xalex-xpert.com/xalex_expert ».
S’affiche alors une vieille interface de connexion sans TLS, et je reconnais rapidement WEBDEV, de la même boîte. Je fais la moue. J’explique alors que je ne souhaite travailler qu’avec des logiciels libres, par éthique. Un sourire en coin s’affiche sur le visage de M. Prunelle :

« Ha ha ha, moi aussi, quand j’avais ton âge, j’étais un rebelle et je votais à gauche ! Mais aujourd’hui sur le marché du travail, dans un contexte professionnel de l’industrie informatique, jamais je ne me permettrais de présenter une verrue de Linux chez un client ! »

Hein ? L’industrie professionnelle de l’informatique ? Le marché du travail ? Qui a parlé de Linux ? Une verrue ?
La rébellion gauchiste ? Ce n’est pas un #MercrediFiction ni une exagération. C’est mot pour mot ce qu’il m’a dit. Je suis resté bouche bée pendant quelques secondes avant de passer à l’offensive en défendant mes arguments.

Et là, tout de suite, la grosse condescendance. En puissance. Limite, s’il m’avait versé un coulis de caca sur la tête, ça aurait été plus respectueux.

« Non mais de toute façon voilà, c’est comme ça qu’on débute, on fait tous des erreurs, on progresse ensuite, moi j’en ai vu, c’est pas le premier, je sais comment ça se passe »

Et alors évidemment Mme Nougat s’incruste et en rajoute une couche…

« Moi je pense qu’on a la chance d’avoir un professionnel parmi nous, M. Prunelle sait ce qu’il faut faire. Quand on est jeune, on ne connaît pas le marché du travail, on ne sait pas comment bien faire les choses pour répondre aux demandes du client, c’est normal »

(Allez-y, pissez-moi dessus encore, j’aime ça.) Mais avant que je ne me fasse totalement recaler, M. Touron et Mme Caramel interviennent au moment opportun et insistent pour me laisser une chance. Ouf, c’est sauvé. Par contre, du coup, inutile de compter sur lui pour maintenir ma « verrue de Linux ». Plus qu’à me débrouiller tout seul.

Résultat, les deux solutions seront proposées au conseil d’administration et c’est le conseil qui tranchera. J’ai intérêt à bien faire le boulot.

La veille technologique, ou comment j’ai changé d’avis

Ok, j’ai donc 15 jours pour réaliser une solution convaincante à partir de rien, migrer la solution actuelle vers la mienne et enfin former les nouveaux utilisateurs… Bon, j’ai des bouts de code de prêts pour ça, je suis assez expérimenté en PHP pour me débrouiller comme un grand. Mais 15 jours…

État des lieux

Tout d’abord, le lendemain de la réunion, M. Calisson (mainteneur octogénaire de la BDD) s’est présenté à moi. Il a fait l’effort de se déplacer dans les locaux pour me proposer personnellement son aide.
Face à une telle bienveillance, je ne pouvais refuser. Il m’a donné une documentation utilisateur d’une vingtaine de pages (datant de quelques années), très détaillée, qui m’a beaucoup appris. Il a ensuite pris le temps de m’expliquer chaque détail flou de la base actuelle et décrit les attentes particulières de Mme Nougat, qui attend d’être convaincue par ma solution.

Il n’était pas obligé de faire tout ça et je lui en suis grandement reconnaissant. Avant de le rencontrer, je pensais que ça allait être un esprit conservateur qui considère que sa solution (une table, 35 champs, rappelons-le) est la meilleure de toutes… et je me suis bien trompé. Comme quoi, le code ne fait pas le développeur…

À l’aide, Mastodon !

Dans le doute, je fais appel au réseau des réseaux. Et dans la panade, je fais appel au Fediverse.

Appel à l’aide sur Mastodon…Voyez tous les conseils reçus suite à ma demande !

 

Amis, camarades, connaissances, merci à vous. Vous avez été d’un précieux soutien dans cette situation difficile, vous m’avez aiguillé quand M. Prunelle m’avait lâché. Je savais que je pouvais compter sur vous ! Et j’ai attentivement écouté vos conseils.

Alors que choisir ?

Je peux dire beaucoup de mal (à tort et à raison) de mes professeurs de BTS SIO, mais c’est l’un d’eux qui m’a conseillé Galette en premier (en l’occurrence, ce professeur revendique des valeurs libristes mais enseigne WinDev et Win’Design aux élèves, ironiquement. Il enseigne Merise aussi, en 2018. Mais passons !)

Galette est un CMS libre de gestion d’adhérents pour les associations, inscrit sur Framalibre, l’annuaire contributif où j’aurais dû chercher en premier. Le logiciel a été créé en 2004 et est toujours maintenu à l’heure actuelle via des mises à jour régulières. Il est utilisé par des dizaines d’associations et reste un choix à considérer pour un déploiement rapide et efficace.

La Fediverse m’ayant conseillé (entre autres) Galette, j’ai décidé de m’y intéresser de plus près. Je connaissais déjà Galette (de nom seulement) avant que mon professeur m’en parle, mais tout écrire de soi-même avait l’air tellement plus amusant…

Et la solution avait l’air vraiment sympa. Il m’a fallu quelques jours pour m’assurer qu’elle collait bien au cahier des charges de Mme Nougat, mais tout avait l’air d’aller comme il faut. Et comme je n’ai plus le temps, il vaut mieux choisir cette option plutôt que de partir de zéro et rendre un travail insatisfaisant ou incomplet.

Partons donc pour Galette !

Galette

Abordons un peu l’aspect technique. La formation WordPress et quelques autres tâches ayant un peu débordé sur le planning, il me reste 10 jours pour déployer la solution et former les utilisateurs.

Le cahier des charges

Je rencontre un problème. Le cahier des charges n’est pas respecté sur un point : les statistiques. L’asso a besoin de stats assez précises pour la comptabilité et Galette ne fournit que deux ou trois pauvres camemberts. Galette tournant sous PHP, je prends la décision d’écrire un plugin.

Le plugin

C’est ce qui va prendre le plus de temps. Je travaille dans un environnement avec lequel je ne suis pas familier du tout, même si c’est du PHP, car je n’ai jamais touché à des frameworks PHP ni utilisé une API conçue pour des plugins. Ma première rencontre avec Zend Framework se passe… mal. Très mal, au point où j’interroge directement la base de données avec des requêtes en dur pour faire le boulot.
J’aurais aimé apprendre comment m’en servir, mais « je n’ai pas le temps ». Bon, j’ai moins d’excuses pour le switch à 90 cases avec des requêtes SQL et les 80 lignes de HTML dans un string… Mais chut…

Blague à part, je commence à être vraiment à la bourre. Plus que quelques jours de stage déjà, et c’est fini. Je me débrouille comme je peux pour coder quelque chose qui fonctionne. Qui a parlé de maintenabilité ?
Le prochain qui passera derrière moi sera probablement un stagiaire de BTS SIO, ça lui fera les pieds 🙂 (Il va me retrouver et me tuer pour avoir écrit ça, et je ferai moins le malin quand je tomberai sur un cas similaire. Bon au moins, j’ai mis plein de commentaires)

La demande de dernière minute

J’ai présenté le plugin de stats à Mme Nougat et il a fallu s’adapter à une demande de dernière minute. Totalement justifiée cela dit, ça faciliterait grandement la comptabilité. Il s’agit encore de stats.
J’applique des quickfixes sur le code dégueulasse que j’ai pondu juste avant. Il me reste trois jours. (Comment ça, ce n’est pas une excuse ? Au moins ça fonctionne !)

Bon allez, on plie ça vite fait et on passe à l’importation, qui n’est même pas commencée !

Préparation pour la migration

Un peu plus de technique.
La base de données est sous forme de fichier. MDB (Access), format propriétaire. Elle pèse 8.5 Mo. J’ai des frissons dans le dos. J’utilise le paquet mdb-tools pour convertir la structure et les données en requêtes SQL et je crée une nouvelle DB en local (MariaDB) et j’importe le tout.
Vive le libre.

Voilà la table à 35 champs… Ma première tâche va être de séparer les entrées des couples (M. et Mme) qui ont été enregistrés en une seule entrée.
Sur le coup, LibreOffice Calc est mon ami. J’importe tous les enregistrements où Sexe=« M. et Mme » et je les sépare à coups de Chercher/Remplacer. Une fois le boulot fini, j’importe tous les autres adhérents enregistrés dans la base jusque là sur le tableur, c’est plus facile que sur Workbench. Et nous y voilà, un total de 1275 lignes.

La grande migration

Allez, c’est parti. Je saisis 1275 adhérents à la main, depuis l’interface de Galette.

Bien sûr que non. Vous croyez vraiment que j’allais faire ça manuellement ?
Je me remémore ce que disait l’un de mes professeurs de BTS SIO :

« Un développeur, c’est un branleur. Une quiche molle. Alors à un m’eng donné, il faut savoir optimiser son traitemeng ou on va se retrouver avec une KYRIELLE de travail à faire. »

Il reste 2 jours. Comptant un jour de formation et d’installation du logiciel, j’ai 24 heures pour réaliser la migration. Admettons que je prenne trois minutes par entrée (adhérent + contribution). (1275 x 3) / 60= 63h45 de travail. C’est hors limites !

La seule solution est donc d’automatiser le tout. Mais il ne s’agit pas d’un simple INSERT INTO dans une table, hélas. Galette utilise un système de champs dynamiques qui permet d’avoir des champs personnalisés par l’association. Il les gère d’ailleurs assez mal : lorsqu’on supprime un adhérent ou une contribution, les champs dynamiques associés ne se suppriment pas avec. Encore un bug à signaler, tiens. Mais passons.

Formatage des données

Je commence par ajouter un adhérent et une cotisation annuelle pour ce dernier et j’identifie dans la BDD les tables mises à jour. Il y en a trois : galette_adherents, galette_cotisations et galette_dynamic_fields.

Ensuite, ça reste quand même assez trivial. J’identifie à quoi correspondent les champs dans les tables et je prépare mes inputs selon mes besoins. Je n’oublie pas de m’adapter au logiciel. Exemple, Galette interdit les adresses mail dupliquées dans la BDD. Je supprime tous les duplicatas depuis LibreOffice avant de commencer quoi que ce soit. Puis vient le plus
pénible. Le formatage des inputs. LibreOffice est pratique pour ça, mais je préfère tellement Vim qui s’avère bien plus efficace quand on a l’habitude du logiciel.

Vérification des données

Je vérifie encore mes inputs. Les erreurs les plus courantes :
– Doubles espaces (un coup de regex et c’est fini)
– Accents dans les adresses mail
– Virgules à la place de points un peu partout
– Formatage pas toujours standardisé du numéro de téléphone… J’étale le champ adresse, unique jusque là, sur deux lignes. C’est long et pénible, un bon travail de stagiaire. Par superstition, j’enlève les guillemets placés inutilement dans les adresses physiques.
– Au passage, je découvre des adresses Yahoo, AOL, Cegetel, Alice, Wanadoo, Neuf et même quelques .gouv.*.
Ça fait un peu peur.

– Le champ galette_adherents.login_adh contient des caractères aléatoires servant d’identifiant pour l’adhérent. L’asso n’utilise pas cette fonctionnalité, mais pour ne pas contrarier Galette, je vais insérer des caractères aléatoires dedans : SUBSTRING(MD5(RAND()) FROM 1 FOR 15)
Ce n’est pas censé être un identifiant hexadécimal, mais ce n’est pas grave.

Enfin, je prends soin de distinguer les champs vides des champs NULL. On peut maudire SQL pour ça, je suppose.

Je termine la migration le 28 juin au soir, soit 24 heures avant la fin du stage. La journée de demain commencera à 09h00.

Déploiement de la solution

Ah oui, à ne pas oublier. Avant de former les utilisateurs, il faut d’abord déployer Galette sur leur réseau (en intranet). Je choisis l’utilisation de XAMPP sur l’un de leurs postes Windows.
Je configure le serveur DHCP de leur box pour que l’IP du poste en question soit fixe. Ma méthode est probablement discutable mais je ne vois pas d’autre option possible, surtout qu’héberger Galette sur le “cloud” ne leur aurait pas servi car ils ne travaillent sur la BDD qu’en local. Enfin, je déploie Galette, j’exporte la BDD depuis mon poste et je l’importe sur le leur. Je transfère aussi les fichiers de mon plugin. Évidemment, l’opération ne s’est pas déroulée sans accroc – surtout sur des postes Windows. J’ai perdu une à deux heures dans la migration.

L’imprévu fatidique

En formant l’une des deux bénévoles, on s’aperçoit ensemble que de nombreuses données de l’ancienne base sont erronées depuis quelques mois (suite à une maintenance de M. Calisson) et que ces erreurs ont été (évidemment) reportées sur la nouvelle base. Nous arrivons à une conclusion terrifiante : il faut repasser manuellement derrière chacune des 1275 adhésions à partir des bordereaux d’adhésion, conservés par précaution. Cette opération nous a coûté 4 à 5 heures. La bénévole a eu la gentillesse de m’apporter une pizza pour que je puisse finir mon travail d’esclave le plus vite possible sans sortir du bureau.

fig.1 Travailler en équipe pour résoudre un problème. La théorie.

fig.2 Travailler en équipe pour résoudre un problème. La réalité.

La formation

Vous imaginez qu’il ne me reste plus beaucoup de temps pour former les utilisateurs. La première bénévole était assez familière avec l’informatique, mais la deuxième ne l’était pas du tout – au contraire, elle détestait l’informatique. J’ai dû abréger beaucoup de points que je préciserai dans une documentation utilisateur à rédiger après mon départ. Ce fut très laborieux, mais l’essentiel a été vu. Il est 18h00, mon stage se termine et ma mission avec. Je remercie M. Touron qui m’offre une gratification de stage de 150 euros.

Le suivi

Le libre, c’est bien, mais quand il est encadré et suivi, c’est mieux. Le site web de l’association est hébergé par la Ligue de l’Enseignement, ce qui leur permet de profiter de tarifs très préférentiels. J’ai pu rencontrer l’un de leurs membres avec M. Touron dans le cadre de la migration du site de Joomla ! vers WordPress.
Ce monsieur, aux antipodes de M. Prunelle, était clairement fâché de mon choix de WordPress, en disant que les webmasters oublient souvent de mettre à jour le CMS et qu’il est généralement considéré comme une usine à gaz trouée par des failles de sécurité. Je ne peux qu’être d’accord avec lui sur ces points-là, malheureusement.
M. Touron aborde finalement la question de la gestion de la base de données (Galette, donc) et ce monsieur semble non seulement connaître le CMS, mais exprime sa satisfaction quant au choix d’un logiciel libre. Quand je lui ai dit que ce choix était par éthique, nous sommes rapidement partis dans une discussion libriste mentionnant La Quadrature du Net, l’April, Framasoft, les RMLL 2018 qui approchent à grands pas…

C’était ma première discussion avec un libriste dans la vraie vie et elle ne pouvait pas tomber à un meilleur timing. La personne idéale pour reprendre le projet était déjà trouvée, je peux dormir sur mes deux oreilles !

Ressenti personnel

Cet article est déjà beaucoup trop long, mais je tiens à exprimer mon ressenti sur ce stage. La rencontre avec M. Prunelle fut très parlante pour moi : j’ai réalisé à quel point les esprits peuvent être conservateurs dans le domaine de l’informatique.

Être libriste, c’est avant tout avoir des convictions que l’on défend au quotidien. Je ne m’attendais pas à entrer en conflit d’éthique avec qui que ce soit pendant ce stage, tout comme je ne m’attendais pas à rencontrer des personnes défendant les mêmes valeurs que moi. C’est aussi inciter les utilisateurs moins familiers vis-à-vis de l’outil informatique à découvrir les outils libres, faire face à leurs réticences dues à la peur de l’inconnu, à leur habitude d’utiliser des outils propriétaires et parfois, à leur manque de confiance en votre personne au prétexte de votre jeune âge et de votre supposé manque d’expérience.

Ce stage fut un véritable combat au nom de l’éthique et de mes propres convictions, mais il fut aussi porteur d’espoir : les libristes sont plus nombreux que je ne le pensais, et mon déplacement à mon tout premier meeting (les RMLL 2018) va probablement m’aider à mieux connaître (et sympathiser !) avec les différentes communautés et me permettre de définir plus précisément mon parcours professionnel en vue, dans l’idéal, d’un métier dans ce domaine.

Vive le libre !

@Neil@shelter.moe




Engagement_atypique

Une trajectoire hors du commun au bénéfice du bien commun : on aimerait bien qu’il y en ait beaucoup comme elle pour s’engager de façon aussi déterminée et compétente. Son parcours méritait bien une interview.

 Nous espérons entamer une série d’interviews de libristes qui comme elle sont particulièrement impliqué⋅e⋅s dans des projets et luttes complexes, au nom de l’intérêt général.

Bonjour, peut-on te demander de te présenter en quelques mots ?

quota_atypique au micro au cours des journées du libre à lyon 2018
Quota_atypique aux JDLL de Lyon, 2018 – photo d’Antoine Lamielle – CC BY-SA 4.0

– Je m’appelle quota_atypique, je suis venue pour vous mobiliser.

Bénévole depuis 2010 à La Quadrature du Net, je suis présidente de la Fédération FDN depuis un an et quelques semaines, et à la tête du groupe de travail de la même association en régulation des télécoms. Dans la vie, je suis doctorante en sciences de l’information et de la communication.

Peux-tu remonter un peu dans le temps et nous dire quand et pourquoi tu as mis le doigt dans l’engrenage de la contribution au Libre ?

Eh bien, ça remonte à… 2010 : je n’étais pas du tout dans le monde du libre à l’époque, mais déjà dans l’associatif –  j’étais au CA du MAG-Jeunes LGBT. J’ai assisté à un cours sur la neutralité du Net qui m’a complètement retournée : le soir même j’étais sur le site de La Quadrature du Net !
Plus tard dans l’année, j’ai entamé une étude ethnologique de quelques semaines au hackerspace Le Loop, pour mon Master. J’étais adoptée par les hackers à la fin.
À l’été 2011, j’ai assisté à ma dernière Marche des Fiertés en tant qu’orga, et ensuite je suis partie au Chaos Communication Camp avec La Quadrature. Le virage était pris. Ça a littéralement changé ma vie 🙂

Ça fait un bon moment qu’on te voit t’impliquer sur des questions de « régulation des télécoms » mais je me demande bien de quoi il s’agit au juste, c’est très technique ? Tu peux nous expliquer ? C’est quoi l’enjeu ?

Ça fait trois ans. Je suis tombée dans la marmite de la régulation des télécoms en 2015, au tout début de ma thèse.
C’est technique à sa manière, en fait : ça parle plus de droit et d’économie que de télécoms. Je trouve que ça donne une entrée assez intéressante pour apprendre les télécoms, pour s’emparer des choses, autre que l’ingénierie télécom. Mais c’est indéniablement ardu, il y a beaucoup de jargon, même si l’ARCEP fait des efforts de pédagogie.

L’enjeu, c’est simple : vous avez d’un côté Internet, l’outil dont on s’est doté pour changer la société (ce que Benjamin Bayart explique bien). De l’autre, vous avez le capitalisme (oui, rien que ça). Le premier a été conçu pour permettre, structurellement, plus d’ouverture. Le deuxième pousse à la recherche d’intérêts personnels à court terme. Si l’on veut que le deuxième respecte le premier et en bonus les droits fondamentaux des gens, il va falloir lui tordre le bras.

Pour moi, l’enjeu fondamental de la régulation des télécoms c’est ça : enrayer les engrenages d’un système, qui, si on le laisse faire, ne laissera aucune place à l’intérêt général et à la sauvegarde de nos droits fondamentaux sur Internet. La régulation seule ne suffit pas. C’est vrai que si on changeait de système ça irait mieux, certes. Mais en attendant, c’est pas plus mal d’enrayer ça et c’est pour moi l’enjeu principal de la régulation.

C’est un sujet dense et compliqué et les textes sont tout sauf minces ! On n’acquiert pas ce savoir-faire du jour au lendemain, surtout quand ce n’est pas ta formation. Est-ce que tu peux nous raconter comment tu y es arrivée et quels conseils tu donnerais aux personnes qui voudraient suivre ta voie ?

Non mais c’est juste le Code des Communications Électroniques Européen qui est énorme. Les autres textes ne sont pas aussi horribles !

Si j’ai appris en grande partie seule, j’ai aussi été soutenue et poussée de l’avant. Je dois beaucoup aux copains, Benjamin Bayart en première ligne, pour avoir eu la patience d’expliquer le fonctionnement de mille choses, et surtout pour m’avoir répété et répété et répété : « tu es légitime » . L’environnement des FAI associatifs est très « capacitant » de ce point de vue, les gens qui y participent ont envie de t’expliquer des choses et vont te pousser devant.

Ce que je conseillerais à d’autres, c’est :
– de ne pas avoir honte de poser des questions à ceux qui savent : il faut bien commencer quelque part et, vraiment, la plupart du temps les fédérés sont ravis d’expliquer.
– de s’accrocher : il y a une part du travail qui est solitaire, personne ne peut lire les premiers documents à ta place, ça il faut le faire toi-même. Après tu peux aller voir Machin qui sait et lui demander si ton interprétation est bonne. Mais si t’as pas essayé, tu peux pas savoir et donc pas poser les questions pour progresser.
– de ne pas avoir peur du jargon, ni de lire beaucoup. Le jargon, ça s’explique, et la régulation c’est vraiment beaucoup de lecture.
– de travailler en équipe : ça m’a beaucoup aidée de fonder ce groupe de travail sur la régulation, parce qu’on s’entraidait : quand je savais quelque chose, j’expliquais, quand je ne savais pas, on m’expliquait. Le savoir et les analyses se construisent beaucoup dans la discussion.

Cela t’a amenée à fréquenter des institutions telles que l’ARCEP et le RIPE connues mais lointaines pour une bonne partie d’entre nous. Qu’est-ce que tu peux nous en dire ? Ça fait quoi de rencontrer ces personnes et d’évoluer dans ces milieux ?

Je fréquente peu le RIPE, bizarrement, même s’il y aurait des choses à faire. J’ai jamais réussi à m’incruster à un seul événement !

En revanche, oui, j’ai été amenée à fréquenter pas mal l’ARCEP.
Très personnellement ça m’a fait du bien. Je me suis construite quasi toute seule en ce qui concerne les télécoms, et avoir un dialogue aussi constructif avec des agents de l’ARCEP, qui venaient chercher mon avis, aussi – pas seulement celui de Benjamin, ça donne une forme de légitimité.

Ce qu’on fait à l’ARCEP ressemble à du lobbying classique auprès d’instances dirigeantes. Je suis assez partisane de la stratégie qui vise à démontrer par a+b qu’on a raison, calmement, sans forcément aller au fight et c’est ce que j’essaye de faire là. Ça veut pas dire qu’on passe notre temps à leur dire qu’ils ont raison ou qu’ils font bien les choses, ce n’est pas vrai. On dit aussi quand ça ne nous va pas. On est toujours entendus et je crois qu’on est écoutés – je crois que ça paye, d’argumenter solidement. Ça ne suffit pas pour changer les choses – sinon depuis trois ans on aurait vu des changements notables dans la régulation, mais le dialogue qu’on a installé avec l’Arcep, qui est assez franc, me semble sain. Et donc j’en suis contente.

Mais le boulot des FAI associatifs et de leur fédération, c’est juste d’agir sur les régulations et la législation ? Ou y’a aussi des actions plus physiques (genre monter sur les toits) ?

Oui, on monte sur les toits !
Le boulot de la Fédération est surtout d’agir sur le terrain en fait. Ça ne sert à rien de demander à accéder à la fibre optique si on n’opère pas dessus… Notre mission première est de construire le réseau qui fabrique le monde dont on veut. La deuxième est d’empêcher les opérateurs de tourner en rond – en utilisant notre place atypique de citoyens qui font du réseau – avec la régulation.
Donc oui, ça comprend monter sur des toits pour amener de l’Internet là où il n’y a rien, brancher des câbles, racker des routeurs dans des datacenters… il y a une partie physique. C’est avant tout une histoire de fabriquer de l’Internet, ce truc.

Les bénévoles de l’association Illyse installent une antenne pour qu’une « zone blanche » des monts du Lyonnais puisse accéder à Internet.

La FFDN vient tout juste de tenir son assemblée générale annuelle, cela doit être un événement important et riche pour vous, quel bilan en tires-tu ? Dans quelle direction va la fédération ?

D’un point de vue purement associatif, j’en tire un bilan mitigé, mais optimiste. On s’est beaucoup occupé des sujets -– clivants et moins clivants – internes à notre fonctionnement, et je trouve, pas assez des questions qui nous meuvent : c’est quoi nos grands sujets ? c’est quoi l’enjeu de telle et telle action ? C’est dommage, il ne faut pas qu’on perde ça de vue. En revanche, comme chaque année, j’ai la preuve qu’on travaille avec de très belles personnes, que les associations sont capables de vraiment tisser des choses incroyables en fabriquant de l’Internet. Ça donne espoir.

Où va-t-on ? Vers plus d’ouverture, on cherche à agrandir la brèche qu’on a ouverte dans le petit monde des télécoms, je crois. On a envie d’essaimer davantage (d’avoir plus de membres), on est très motivés pour faire bouger les lignes sur l’accès à la fibre optique et je suis assez convaincue qu’on fera bouger des choses, on a entamé un travail sur l’inclusion que je trouve important. Enfin, on a relancé les initiatives de formation. Il y a du travail !

Tu as été réélue coprésidente de la FFDN (félicitations !), qu’est-ce que ça fait d’occuper ce poste ? c’est une lourde responsabilité ? Qu’est-ce que tu retiens de cette première année et que veux-tu pour la prochaine ?

À la Fédération, la plus lourde responsabilité est pénale. C’est (notamment) moi que ça engage, l’action contentieuse de l’association, par exemple. Mais au quotidien, c’est en fait pas si prenant, les fédérés s’auto-organisent beaucoup. Il faut juste avoir un œil sur ce qui se fait, pour suivre. L’autre gros travail consiste à présider les réunions (parfois…) et l’AG formelle.

J’ai longuement parlé de ce que ça fait d’occuper ce poste, ici sur mon blog. Ce que je retiens de ma première année de mandat c’est qu’il s’agit d’un poste qui est difficile à définir (on attend à peu près tout et son contraire de toi), et qui est fatigant, non pas à cause de la charge de travail mais de la charge émotionnelle.

Je me vois plus comme un porte-parole, et c’est comme ça que j’utilise ce poste – c’est l’une des rares choses que j’aie compris devoir faire. Je donne plus de conférences, d’interviews, etc.

J’espère arriver à prendre un peu plus ma place l’année prochaine, avoir un peu plus de vision politique. J’apprends toujours : avec le temps, je pense qu’en mûrissant et en prenant plus de confiance je serai une meilleure présidente 🙂

D’ailleurs, si on veut contribuer à vos actions, on fait comment ? On va où ? (et est-ce que vous mordez ?)

On ne mord pas 🙂
Le meilleur moyen pour s’y mettre c’est de contacter le FAI associatif le plus proche de chez soi ! Il y a une carte sur db.ffdn.org.
La plupart des assos membres de la Fédération tiennent une permanence ou une réunion mensuelle. Certaines ont même un local ! Rien ne vaut le contact humain : venir, poser des questions, discuter…

Contrairement à ce qu’on peut penser, pour contribuer à un opérateur associatif, il n’y a pas besoin d’être forcément très bon en technique.

1/ Ça s’apprend

2/ On a aussi besoin de communicants, de graphistes, de gens doués en compta, en droit, en vidéo en…

Bref on a besoin de tout le monde. Viens, on verra après !

dans un jardin, quelques groupes autour de 3 tables, atmosphère estivale (photo par Opi sur son blog)
Plutôt cool les réunions de travail à la FFDN… Photo par Opi sur son blog (licence wtfpl)

 

Lorsqu’on parcourt ton blog et qu’on suit tes réflexions on y décèle une forte influence de philosophes (Foucault, Platon, Kant et bien d’autres) que tu n’hésites pas à citer et utiliser pour soutenir ton travail et tes analyses. En quoi ces philosophes sont pertinents pour comprendre le numérique ? Quelle lecture tu en fais ?

Un jour, je me suis rendu compte que je n’allais pas pouvoir rattraper les ingénieurs qui m’entouraient sur leur terrain. Par contre, la philo, j’en ai fait à haute dose en prépa, et j’ai une solide culture dans le domaine, qui m’autorise à faire une lecture philosophique du monde sans trop me tromper et en étant à peu près légitime à le faire.

Ces philosophes sont pertinents dans l’analyse parce qu’ils fournissent des cadres de réflexion – pour peu qu’on les utilise rigoureusement, sans faire des enfants dans le dos à l’auteur. Ça permet de voir s’agencer des systèmes.

Aussi, le numérique est un outil pour faire société, on ne dit pas qu’Internet est le fil dont est tissé la société pour rien : au final les bonnes questions sont des questions de société. Moins de solutions d’ingénieurs qui répondent parfois élégamment à de faux problèmes et plus de : qu’est-ce que ça fait au tissu social ? À la démocratie ? Les philosophes se posent ces questions depuis le Ve siècle avant JC, ils sont de bon conseil.

Avant de t’investir dans le milieu libriste, tu avais déjà un engagement associatif et militant. Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours ? Est-ce que ces combats t’accompagnent toujours et est-ce qu’ils sont faciles à mener en milieu libriste ? Comment tu vois la communauté libriste sous ces autres angles ?

Comme je le disais au début de l’interview, j’étais donc militante pour les droits LGBT avant. J’ai fait plusieurs choses. J’ai été administratrice du MAG-Jeunes LGBT au moins 4 ans, au cours desquels je m’occupais surtout d’animer une petite revue, la Magazette qui était lue par les adhérents. C’était passionnant, un vrai travail éditorial et une petite équipe : je tenais la ligne du journal, je faisais des interviews, je critiquais des spectacles… J’ai ensuite fait de l’accueil au local, pour les jeunes qui venaient nous voir. Ça a été un déchirement de rendre les clés du local, j’avais construit des choses fortes avec cette asso, et je lui dois beaucoup, aussi…

Je suis out depuis presque dix ans. Je suis toujours militante pour mes droits à titre privé – même si j’ai plus de mal à me situer dans l’éventail politique des luttes queer d’aujourd’hui.

J’ai hérité de cet engagement l’enracinement de mon travail militant dans celui d’Harvey Milk – c’est pour ça que je commence toujours avec « je suis venue pour vous mobiliser ». Je continue à penser que la visibilité de la différence est importante pour faire avancer les droits. Je me sers pour ça de mon titre de présidente. On peut être une meuf, on peut être queer ; on peut être le porte-voix d’opérateurs associatifs. C’est possible. Je suis contente de voir que d’autres présidentes dans la fédé ont été élues après moi. Mon but est d’ouvrir une brèche.

Enfin, je suis sensibilisée à la lutte contre les discriminations. Je sais ce que c’est que le sexisme et l’homophobie et j’essaye de balayer devant ma porte en amenant les garçons à penser et agir autrement, doucement. Le milieu du libre est très masculin, le milieu des télécoms est encore plus rude, je trouve. C’est loin d’être un hasard si peu de filles et de personnes LGBT l’investissent. Les fédérés sont très à l’écoute et progressent plus vite que le reste du milieu sur ces questions, et c’est génial, mais il y a encore tellement de travail…

Petite question Contributopia : dans le monde rêvé de la FFDN, et dans le tien, il y aurait quoi ? (vas-y, fais-toi plaisir, c’est open-bar utopique !)

Je vais parler juste en mon nom, ça va simplifier. Alors attention, voilà la liste de courses :

  • Un autre système économique moins écrasant – qui rendrait donc la régulation moins nécessaire, j’envisage parfaitement de me mettre au chômage
  • Des filles, partout. Aux postes de direction, dans tous les métiers, juste tellement partout que garçon ou fille pour exercer une activité, c’est plus un critère. Homo ou pas cesse d’être un critère aussi. En fait, de manière générale, j’aimerais que le numérique cesse d’être un truc d’hommes blancs cis. Ce truc sert à nous relier. Il n’y aucune raison de laisser le privilège de nous relier à une seule catégorie de la population, c’est pas fair-play.
  • Une infrastructure en communs : puisque Internet nous permet à tous de communiquer, pourquoi ça ne serait pas dans le giron par la puissance publique ? Genre comme l’eau, comme le rail, comme tout ce qui sert à tout le monde (on m’a dit : open-bar utopique !)
  • Un Internet qui ne sert plus à surveiller ou à vendre des trucs mais à apprendre ensemble et se parler : dans ce monde idéal, on a enfin gagné !

Je pourrais continuer encore, mais c’est pas mal, là.

On aime bien laisser le mot de la fin à nos invités, alors c’est à toi !

Je vais répéter ce que disait Benjamin :

à la fin, on gagne. La question est de savoir quand.

 

 




Aquilenet, 7 ans d’internet libre en Aquitaine

7 ans. Sept ans que Aquilenet, fournisseur d’accès à Internet associatif bordelais, construit de l’Internet bénévolement, localement, politiquement et maintenant en fédération. Sept ans également à faire de la sensibilisation, aussi bien sur les questions d’Internet, de vie privée, de logiciel libre que de critique des médias et de médias indépendants. On aurait pu croire qu’après autant de temps cette association se serait essoufflée mais loin de là : un passage en collégiale, un nouveau local, un data-center associatif et bien plus encore !

Frigo du local – CC-BY-SA – Bram

— Bonjour le collectif d’Aquilenet, c’est un plaisir de vous avoir, est-ce que vous pouvez vous présenter brièvement ?

Bonjour, plaisir partagé 😉, nous sommes donc Aquilenet, Fournisseur d’Accès Internet associatif en Nouvelle Aquitaine, et plus précisément localisé à Bordeaux. Nous comptons actuellement pas loin de 150 membres et sommes actifs depuis 2010 !

Aquilenet est un fournisseur d’accès à internet (FAI) associatif, qu’est-ce que c’est ? En quoi le côté associatif fait une différence ? À qui vous vous adressez ?

Le plus ancien fournisseur d’accès à Internet de France encore actif est un fournisseur d’accès associatif. C’est-à-dire que dès le début de l’Internet en France, on a vu des gens passionnés se rassembler entre eux pour construire quelque chose à leur échelle. Et puis sont arrivés les fournisseurs commerciaux : France Télécom, AOL, Club-Internet, Wanadoo, Neuf… Enfin, maintenant, on connaît leurs nouveaux noms : Orange, SFR, Free, etc. Ce sont d’immenses entreprises, qui couvrent tout le territoire national, et sont là pour faire ce que font les entreprises : vendre des services et faire des bénéfices. On en connaît les dérives : ces entreprises, qui ont la mainmise sur le réseau, peuvent contrôler ce qu’on a le droit – ou non – de consulter, choisir si on peut brider ou non une connexion, desservir volontairement plus ou moins bien le client suivant ce qui les arrange, et évidemment pratiquer une surveillance généralisée : on leur donne les clés et on utilise ce qu’ils veulent bien nous donner.

Un FAI associatif, c’est un petit ensemble de gens passionnés, qui veulent faire du réseau propre et fournir un Internet libre. On peut boire une bière avec. On peut littéralement voir comment c’est fait, voir ce qu’ils font de nos données. Il n’y a pas de dérives mercantiles, car ce n’est de toute manière pas concurrentiel avec les FAI dits « commerciaux ».
En bref, les clés sont à nous, et on se réapproprie Internet, le réseau, et nos données : on fabrique nos propres bouts d’Internet, on est Internet !

En plus de cela, notre volonté étant de créer du réseau, on peut amener Internet là où les FAI commerciaux n’en voient pas l’intérêt. Ce sont les fameuses « zones blanches » dont on entend parfois parler. Pour nous, l’intérêt, c’est d’apporter l’accès au net à tout le monde, partout.

On s’adresse à tout le monde, comme n’importe quel autre FAI, à la différence que les assos sont essaimées partout en francophonie ; et qu’on va donc plutôt essayer d’agir en tant qu’acteur local. Parce qu’une fois de plus, un FAI associatif, c’est à l’échelle humaine. On peut discuter directement avec, on peut s’investir dedans. Et on peut, bien entendu, se contenter d’avoir une connexion Internet propre, neutre et libre de toute surveillance.

En gros, on est un peu comme une « AMAP » (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) de l’Internet !

Bien sûr, on ne peut pas profiter des tarifs de gros auxquels les gros opérateurs ont accès, donc les accès ADSL sont typiquement un peu plus chers : 35-40€ par mois pour de l’ADSL sans téléphone. Mais d’autres fonctionnements sont possibles: des voisins peuvent se regrouper pour partager une ligne ADSL tout en ayant chacun son adresse IP propre, partageant ainsi les coûts.

C’est une démarche fortement engagée politiquement, qu’est-ce qui vous a poussé⋅e⋅s à vous lancer dans cette aventure et à la continuer ?

Pour n’importe quel être humain ayant été connecté à Internet, construire et cultiver son propre carré vert d’Internet peut sembler être une expérience excitante et passionnante ! La soif d’apprendre, la quête de sens avec la participation à la construction d’un Internet « propre », et le fait de devenir un acteur sur le sujet sont des éléments qui nous ont vite motivés à nous lancer dans cette aventure.

D’autre part fournir de l’accès à Internet avec une infrastructure permet d’aider aussi de nombreux projets à émerger, et aussi d’aider pas mal les copains, nous fabriquons ensemble notre bout d’Internet.

Mais au fait il est à qui le net ? À NOUS !!!

Et au-delà de Aquilenet on entend dire que vous lancez une structure qui s’appelle « C’est le bouquet », qu’est-ce que c’est ? Pourquoi vous le faites ? Qui est-ce que vous visez ?

C’est Le Bouquet est une initiative qui a commencé à pointer le bout de son nez en 2017. Nous avons été contacté⋅e⋅s par un certain nombre d’associations ou de collectifs, qui voulaient plus que les services qu’Aquilenet fournit historiquement. Il leur fallait un ensemble d’outils propres, dégooglisés – le lectorat saura de quoi on parle – et sous leur contrôle. Des outils fiables, parce qu’on parle d’associations, ONG, collectifs, et que leurs communications doivent être sous leur contrôle : courriels, travail collaboratif… Pour tout cela, il faut du libre, sur un réseau qu’on sait propre, en lequel ils peuvent avoir confiance et qui sera maîtrisé sur toute la chaîne ou presque.

Alors l’idée a germé de créer quelque chose qui proposerait un bouquet de services libres et neutres, avec tout ce qu’il faut pour que ces structures puissent travailler efficacement. C’est le bouquet était né !

À cela s’ajoute la création d’outils permettant de gérer l’ensemble efficacement, et la mise en place de formations et de SAV pour pouvoir en permanence répondre aux questions, intervenir au besoin, sensibiliser et éduquer à des manières de travailler qui seront parfois nouvelles.

Courriels, CRM, pads, hébergement de document, newsletters, listes de diffusion, et bien plus encore : tout le nécessaire sans Google, équipé de logiciels libres, hébergé sur des serveurs propres et locaux, sans filtrage, ni exploitation de données, ni surveillance, et le tout qui passe par l’Internet propre des tuyaux d’Aquilenet !
Il reste encore beaucoup à faire !

Mais… ça ressemble furieusement à un CHATONS ! Vous en êtes un ? Est-ce que vous pensez rejoindre ce collectif ?

Pour l’instant, ni Aquilenet, ni C’est le Bouquet ne se revendiquent CHATONS. Il n’y a pas pour l’instant de décision tranchée sur si oui ou non nous rejoindrions ce collectif… Le débat continue, entre la volonté d’indépendance de toute étiquette et le fait que, concrètement, les idées se croisent !

La preuve en est qu’il n’est pas besoin de faire partie des CHATONS pour proposer des services web de manière éthique ! Dites, comment on fait pour faire un fournisseur d’accès à Internet ? Comment on se connecte à Internet et on l’amène à des gens ?

Il y a de nombreuses façons d’y arriver, le mieux est de venir nous poser la question à la Fédération FDN, nous avons des documentations sur le sujet, nous pouvons accompagner et fournir des ressources pour aider au démarrage. D’autre part nous pouvons mettre en contact avec une association fédérée géographiquement proche du demandeur. Ce qui est motivant c’est que nous continuons à voir de nouvelles initiatives émerger et nous rejoindre.

Est-ce que vous ne faites que fournir de l’accès à Internet à des gens ?

Non ! À vrai dire, la fourniture d’accès à Internet est une toute petite partie de notre activité. On pourrait dégager deux grands axes pour décrire les activités d’Aquilenet. Un premier axe est davantage centré sur les services. Au-delà des accès ADSL, l’association propose également des accès VPN (bon… c’est un accès à Internet en fait), des machines virtuelles, de l’espace de stockage, du mail ou encore de la VoIP. Nous sommes également parmi les fournisseurs de Brique Internet. Nous participons à différents projets comme The DCP Bay, de la distribution de films pour les salles de cinéma indépendantes. Tout ça repose bien entendu sur du logiciel libre et est garanti sans filtrage ! La seconde activité d’Aquilenet est plus d’ordre militant dans le sens où nous travaillons beaucoup à faire connaître la neutralité du net, le Libre ou à communiquer sur des thématiques dont nous nous sentons proches. Nous sommes impliqués localement pour sensibiliser sur ces thématiques et poussons pour un développement de l’Internet local plus accessible aux petites structures.

Capture d’écran du débat entre Pierre Carles et Usul

D’autre part, nous organisons régulièrement des ateliers pour former les gens qui le souhaitent à des technologies très variées. Nous proposons aussi de temps en temps des projections au cinéma l’Utopia à Bordeaux ou des débats avec des intervenants toujours passionnants. Notre dernière projection en date était le documentaire Nothing to Hide dont nous avons participé à la distribution sur Internet. Dernièrement, nous avons également participé à la venue de Pierre Carles et Usul pour une soirée de discussion ouverte à toutes et à tous . Nous essayons aussi d’ouvrir des sentiers pas encore tracés : nous réfléchissons, par exemple, à l’intégration de Duniter, une cryptomonnaie libre qui se veut plus juste, dans nos moyens de paiement !

En interne, nous organisons des ateliers ouverts à toutes et tous, pour permettre à chacun de se former et de s’investir à son échelle. Nous avons lancé des groupes de travail aussi divers que la desserte en Wi-Fi des zones blanches, la communication, l’administration système, l’accueil, le support… Tout le monde peut mettre la main à la pâte quelles que soient ses compétences : on se forme entre nous !

Vous n’êtes pas le seul FAI associatif qui existe, il y a une même, on l’a vu, une fédération, la FFDN, dont vous êtes fondateurs.  Est-ce que vous pouvez un peu nous en parler ? Quelle est vous relation avec cette fédération ?

Carte des fournisseurs d’accès à internet associatifs montrant ceux de la FFDN (en bleu)

Nous sommes parmi les membres fondateurs de la  FFDN, la fédération qui rassemble les FAI associatifs de toutes tailles et de toutes localisations. Nos membres sont par définition également membres de celle-ci, certains y sont très actifs, d’autres non. Elle se compose donc de camarades d’un peu partout, avec qui nous échangeons nos questions, nos évolutions, nos volontés et nos besoins. Nous partageons ainsi nos connaissances tant techniques que, par exemple, juridiques, afin de toujours pousser le groupe vers l’avant. Les bons plans également, comme des solutions de financement de projets par des organismes publics nationaux ou internationaux. Lorsqu’un besoin se fait connaître, des membres de partout peuvent y répondre. Afin de maintenir ce maillage, des points « bilan » sont régulièrement faits par toutes les associations membres de la FFDN : quels sont les projets, les nouvelles, l’état de santé de l’association, ses besoins, etc. En fait, la FFDN nous permet d’être à la fois beaucoup et peu, partout et juste à un endroit. Elle nous donne une force commune sur tout le territoire, tout en laissant un ensemble de petits acteurs agir localement.

Ça fait sept ans que vous existez, vous avez été jusqu’à présent en structure associative classique avec CA, président etc. et vous avez récemment décidé de passer à une structure de collégiale, pourquoi vous avez fait ce choix ? Comment vous vivez cette aventure et qu’est-ce que ça change pour vous ?

Nous venons en effet de voter le passage en collégiale pour Aquilenet. Il n’y a plus de bureau, de président, de trésorier, mais des bénévoles motivé·e·s. Chacun·e a accès aux droits nécessaires aux actions qu’il ou elle entreprend, les tâches sont réparties entre les adhérents volontaires qui auront rejoint la collégiale, et il n’y a aucune centralisation des pouvoirs. Tout repose désormais sur la volonté de chaque adhérent et sur la confiance mutuelle. C’est un tournant humain, égalitaire, et qui vise à décharger des épaules en invitant tout le monde à faire sa part et à partager le savoir-faire. Là-dessus, nos craintes sont relatives : en dehors de questions technico-juridiques, nous avions déjà un système assez proche de la collégiale. Quiconque voulait faire avait le droit de le faire. L’idée, c’était d’officialiser ça une bonne fois pour toutes !

Et en plus de cette transformation vous avez également désormais un local ! C’est aussi un grand changement, en quoi ça vous impacte ? Qu’est-ce que ça vous permet de nouveau ? On me souffle que vous êtes en train de lancer un data-center associatif, qu’est-ce que c’est et à quoi ça sert ?

On l’a dit plusieurs fois depuis novembre, lors de nos réunions : c’est quelque chose d’important. Nous avons un lieu où nous nous rencontrons, de manière bien plus régulière et libre qu’auparavant. Depuis sa création, Aquilenet se rassemblait mensuellement dans un bar. Lorsque des ateliers avaient lieu, on faisait ça où l’on pouvait (souvent au Labx, hackerlab de Bordeaux). En cas de réunion, nous utilisions une salle… dans un bar, encore ! Maintenant, dès que quelqu’un veut travailler, dès qu’on veut discuter de quelque chose, débattre, préparer, planifier, faire un atelier : on se retrouve à « la Mezzanine », notre local. Il y a presque toujours quelqu’un de présent le mardi soir, toujours des petites réunions entre deux, trois, cinq, dix membres. Ça a donné une vraie existence physique à ce qui était, la majorité du temps, des appels, SMS, emails, échanges sur IRC.

Data-center en tout début de construction – CC-BY-SA – Bram

 

Si le local s’appelle « La Mezzanine », ce n’est pas pour rien : il s’y trouve une Mezzanine que nous allons transformer en data-center associatif. Il possède son propre réseau électrique à part du reste du local, d’origine 100% renouvelable. Une fois que tout sera en place, tout le monde pourra librement y installer son serveur, quelle que soit sa forme et sa taille, du Raspberry Pi à la tour de PC, et l’y poser. Nous fournissons l’énergie, la connexion, au besoin des IP Aquilenet, tout ce qu’il faut ! Un groupe de travail planche actuellement dessus. Il y a du travail encore, mais ça prend forme petit à petit !

Et comment vous rejoindre dans cette belle aventure ?

On est joignables en permanence par courriel depuis la section contact de notre site Internet, et tout le nécessaire pour adhérer à l’association et/ou profiter des services qu’on propose y est disponible ! Et pour plus de chaleur humaine (et de bière1), on se donne rendez-vous chaque premier mardi du mois, 21h, à la mezzanine, le local d’Aquilenet – 20 rue Tourat, Bordeaux, pour accueillir à la fois les membres, les curieuses et les curieux !

Un mot de la fin ?

Devenir fournisseur d’accès Internet est à la portée de tous, si vous n’en avez pas dans votre région et êtes motivés n’hésitez pas à nous contacter, c’est une formidable école sur le fonctionnement de l’Internet et c’est aussi une contribution très utile au développement de la liberté dans notre pays. Enfin sachez que nos associations sont toujours ouvertes à toute personne motivée qui souhaiterait nous aider, les thématiques ne manquent pas et ne sont pas uniquement que techniques, vous êtes toutes et tous bienvenus !

« Sous les pavés, la fibre ! » 😀
Une autre fin du net est possible.
Hacker vaillant rien d’impossible !

 

  1. L’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération.