Rencontre avec le Parti Pirate suédois

Ann Catrin Brockman - CC by-saDans notre imaginaire collectif la Suède est un pays où il fait bon vivre, auquel on accole souvent certains adjectifs comme « social », « mesuré », « organisé », « tranquille, voire même « conservateur ».

C’est pourquoi l’irruption soudaine dans le paysage politique local du Parti Pirate (ou Piratpartiet) a surpris bon nombre d’observateurs.

Surprise qui a dépassé les frontières lors du récent et tonitruant succès du parti aux dernières élections européennes (7% des voix, 1 et peut-être 2 sièges).

Nous avons eu envie d’en savoir plus en traduisant un entretien réalisé par Bruce Byfield avec le leader du parti, Rickard Falkvinge (cf photo[1] ci-dessus).

Ce succès est-il reproductible dans d’autres pays à commencer par l’Europe et par la France ? C’est une question que l’on peut se poser à l’heure où les différents (et groupusculaires) partis pirates français ont, semble-t-il, décidé d’unir (enfin) leurs forces. À moins d’estimer que l’action, l’information et la pression d’une structure comme La Quadrature du Net sont amplement suffisants pour le moment (j’en profite pour signaler qu’eux aussi ont besoin de sou(s)tien actuellement).

Remarque : C’est le troisième article que le Framablog consacre directement au Parti Pirate suédois après l’appel à voter pour eux (vidéo inside) et la toute récente mise au point de Richard Stallman sur les conséquences potentielles pour le logiciel libre de leur programme politique (question précise que le journaliste n’évoque pas dans son interview).

Interview avec le leader du Parti Pirate : « Des libertés cruciales »

Interview with Pirate Party Leader: "These are Crucial Freedoms"

Bruce Byfield – 16 juin 2009 – Datamation
(Traduction Framalang : Tyah, Olivier et Severino)

Le 7 Juin 2009, les électeurs suédois ont élu un membre du PiratPartiet (Parti Pirate) au Parlement Européen. Ils bénéficieront même d’un second siège si le Traité de Lisbonne est ratifié, celui-ci octroyant à la Suède deux sièges supplémentaires.

Bien que relativement faibles, ce sont de bons résultats pour un parti fondé il y a à peine trois ans, et qui fait campagne avec très peu de moyens, s’appuyant essentiellement sur ses militants. Que s’est-il passé et pourquoi cet événement est-il important bien au-delà de la Suède ?

Pour Richard Falkvinge, fondateur et leader du Parti Pirate, l’explication est simple : les pirates ont fait entrer pour la première fois dans le débat public les préoccupations de la communauté libre concernant la question du copyright et du brevet, et cela en utilisant les réseaux sociaux, un média complètement ignoré par leurs opposants.

Falkvinge nous en a dit un peu plus sur le sujet à l’occasion d’une présentation au cours du récent congrès Open Web Vancouver, ainsi que dans une brève interview qu’il nous a accordée le lendemain.

Falkvinge, entrepreneur depuis son adolescence, s’est intéressé à l’informatique toute sa vie d’adulte, et naturellement aux logiciels libres. « J’ai participé à différents projets open source » dit-il en ajoutant promptement : « Vous ne risquez pas d’avoir entendu parler des projets auxquels j’ai participé. Je fais partie des gens qui ont la malchance de toujours s’engager dans des projets qui ne vont nulle part – excepté celui-ci, évidemment. »

Comme pour de nombreuses autres personnes, le tournant fut pour Falkvinge la volonté de l’Europe d’imposer des droits d’auteurs plus strictes encore en 2005. Selon Falkvinge, le sujet fut largement couvert et débattu en Suède par tout le monde – sauf par les politiciens.

« Je me suis donc demandé : que faut-il faire pour obtenir l’attention des politiciens ? J’ai réalisé que l’on ne pouvait sûrement pas capter leur attention sans amener le débat sur leur terrain. Le seul recours était de contourner totalement les politiciens et de s’adresser directement aux citoyens lors des élections, de nous lancer sur leur terrain pour qu’ils ne puissent plus nous ignorer. »

Si pour les nord-américains, le nom peut sembler provocateur, Falkvinge explique que c’était un choix évident étant donné le contexte politique. En 2001 fut fondé un lobby défendant le copyright nommé le Bureau Anti-Pirate, donc quand un think-tank adverse s’est créé en 2003, il prit tout naturellement le nom de Bureau Pirate.

Selon Falkvinge, « la politique pirate devint connue et reconnue. Chacun savait ce qu’était la politique pirate, l’important n’était donc pas de réfléchir à un nom, mais bien de fonder le parti. », ce qu’il fit le 1er janvier 2006.

Dès le départ, Falkvinge rejetta l’idée de s’appuyer sur les vieux média : TV, radio, presse.

« Ils n’auraient jamais accordé le moindre crédit à ce qu’ils considéraient comme une mouvance marginale. Ils n’auraient jamais parlé suffisamment de nous pour que nos idées se répandent. Il faut dire aussi qu’elles ne rentrent pas vraiment dans leur moule, alors comment expliquer quelque chose que vous avez du mal à saisir ? »

« Nous n’avions d’autre choix que de construire un réseau d’activistes. Nous savions que nous devions faire de la politique d’une manière jamais vue auparavant, de proposer aux gens quelque chose de nouveau, de nous appuyer sur ce qui fait le succès de l’open source. Nous avons essentiellement contourné tous les vieux médias. Nous n’avons pas attendu qu’ils décident de s’intéresser à nous; nous nous sommes simplement exprimés partout où nous le pouvions. »

Leur succès prit tous les autres partis politiques par surprise. Seulement quelques jours après avoir mis en ligne le premier site du parti, le 1er janvier 2006, Falkvinge apprit que celui-ci comptabilisait déjà plusieurs millions de visiteurs. La descente dans les locaux de Pirate Bay et les élections nationales suédoises qui se sont tenues plus tard dans l’année ont contribué à faire connaître le parti, mais c’est bien sur Internet, grâce aux blogs et à d’autres médias sociaux, qu’il a gagné sa notoriété.

Aujourd’hui c’est le troisième parti le plus important de Suède, et il peut se vanter d’être le parti politique qui rassemble, et de loin, le plus de militants parmi les jeunes.

« Ce n’est pas seulement le plus grand parti en ligne », dit Falkvinge. « C’est le seul parti dont les idées sont débattues en ligne. »

Les analystes politiques traditionnels avaient du mal à croire que le Parti Pirate puisse être régulièrement crédité de 7 à 9% d’intentions de vote dans les sondages.

« J’ai lu une analyste politique qui se disait complètement surprise » rapporte Falkvinge. « Elle disait : « Comment peuvent-ils être si haut dans les sondages ? Ils sont complètement invisibles ». Son analyse était évidemment entièrement basée sur sa connaissance classique de la politique. La blogosphère de son côté se demandait si elle n’avait pas passé ces dernières années dans une caverne. »

La plateforme du Parti Pirate

Aux yeux de Falkvinge, la lutte pour l’extension des droits d’auteurs et des brevets, c’est l’Histoire qui bégaye. Il aborde le sujet des droits d’auteurs en rappelant que l’Église catholique réagit à l’invention de l’imprimerie, qui rendait possible la diffusion de points de vue alternatifs, en bannissant la technologie de France en 1535.

Un exemple plus marquant encore est celui de l’Angleterre, qui créa un monopole commercial sur l’imprimerie. Bien qu’elle connue une période sans droit d’auteur, après l’abdication de Jacques II en 1688, il fut restauré en 1709 par le Statute of Anne. Les monopolistes, qui affirmaient que les écrivains tireraient bénéfice du droit d’auteur, ont largement pesé sur cette décision.

Dans les faits, explique Falkvinge, « le droit d’auteur a toujours bénéficié aux éditeurs. Jamais, ô grand jamais, aux créateurs. Les créateurs ont été utilisés comme prétexte pour les lois sur les droits d’auteur, et c’est toujours le cas 300 ans plus tard. Les politiciens emploient toujours la même rhétorique que celle utilisée en 1709, il y a 300 foutues années ! »

Aujourd’hui, Falkvinge décrit le droit d’auteur comme « une limitation du droit de propriété » qui a de graves conséquences sur les libertés civiles. Pour Falkvinge, les efforts faits par des groupes comme les distributeurs de musique et de films pour renforcer et étendre les droits d’auteurs menacent ce qu’il appelle le « secret de correspondance », la possibilité de jouir de communications privées grâce à un service public ou privé.

Partout dans le monde les pressions montent pour rendre les fournisseurs d’accès responsables de ce qui circule sur leurs réseaux, ce qui remet en cause leur statut de simple intermédiaire. « C’est comme si l’on poursuivait les services postaux parce que l’on sait qu’ils sont les plus gros distributeurs de narcotiques en Suède », raisonne Falkvinge par analogie.

Une autre conséquence concerne la liberté de la presse, sujet cher aux journalistes et aux dénonciateurs. « Si vous ne pouvez confier un scandale à la presse sans que des groupes privés ou gouvernementaux y jettent un œil avant qu’il ne parvienne à la presse, quels sujets allez-vous traiter ? Et bien, rien ne sera révélé, car personne ne sera assez fou pour prendre ce risque. À quoi vous servira alors la liberté de la presse ? À écrire des communiqués de presse ? »

Falkvinge défend un droit d’auteur beaucoup plus souple, réservé uniquement à la distribution commerciale et sévèrement restreint ; cinq ans serait une durée raisonnable, suggère-t-il. « Il faut que les droits d’auteurs sortent de la vie privée des personnes honnêtes. Les droits d’auteurs ressemblent de plus en plus à des policiers en uniformes qui font des descentes avec des chiens chez les gens honnêtes. C’est inacceptable. »

Il croit aussi que la copie privée est un progrès social, en faisant valoir que « Nous savons que la société avance quand le culture et les connaissances se diffusent aux citoyens. Nous voulons donc encourager la copie non-commerciale. »

De même, le Parti Pirate s’oppose aux brevets, particulièrement aux brevets logiciels, mais aussi dans d’autres domaines.

« Chaque brevet, dans sa conception même, inhibe l’innovation », maintient-il. « Les brevets ont retardé la révolution industrielle de trente ans, ils ont retardé l’avènement de l’industrie aéronautique nord-américaine de trente autres années, jusqu’à ce que la Première Guerre mondiale éclate et que le gouvernement des États-Unis confisque les brevets. Ils ont retardé la radio de cinq ans. » Aujourd’hui, suggère t-il, les progrès technologiques en matière de voitures électriques et d’infrastructures écologiques sont bloqués par les brevets.

« Tout cela n’est en rien différent de la réaction de l’Église Catholique », explique Falkvinge. « Quand il y a une technologie dérangeante, vecteur d’égalisation, la classe dirigeante n’attaque pas les personnes qui essaient de devenir égales. Elle s’en prend à la technologie qui rend cela possible. On le voit dans le monde entier, la classe dirigeante attaque Internet. »

« Les excuses varient. En Chine, c’est le contrôle. En Asie du Sud, c’est la morale publique, dans d’autres endroits, c’est l’ordre et la loi. En Égypte, je pense, la raison est de respecter les préceptes de la religion, l’Islam dans leur cas. Aux États-Unis, il y a trois excuses majeures : le droit d’auteur, le terrorisme et la pédophilie. Ces excuses sont en train d’être utilisées pour briser le plus grand égalisateur de population jamais inventé. »

« Voilà le véritable enjeu. Les libertés fondamentales doivent être grignotées ou abolies pour sauvegarder un monopole chancelant d’industries obsolètes. Il est compréhensible qu’une industrie déliquescente se batte pour sa survie, mais il appartient aux politiciens de dire que, non, nous n’allons pas démanteler les libertés fondamentales juste pour que vous n’ayez pas à changer. Adaptez-vous ou bien mourrez. »

C’est dans cette situation, déclare Falkvinge, que les perspectives du Parti Pirate sont si importantes.

Le Parti Pirate « adopte une position sur les droits civiques que les politiciens ne comprennent pas. Ils écoutent les lobbys et s’attaquent de manière extrêmement dangereuse aux libertés fondamentales. »

Les efforts du lobby pro-copyright pourraient se révéler en fin de compte futiles, pour Falkvinge ils se battent pour une cause perdue. Mais il met aussi en garde contre les dommages considérables que pourrait causer le lobby avant d’être finalement emporté par l’inéluctable.

Courtiser les Pirates

Cybriks - CC byÀ la prochaine séance du Parlement Européen, Christian Engstrom siègera dans l’hémicycle, un entrepreneur devenu activiste qui milite contre les brevets depuis ces cinq dernières années. Si le Parti Pirate obtient un second siège, Engstrom sera rejoint par Amelia Andersdotter (cf photo ci-contre), que Falksvinge décrit comme « un des plus brillants esprits que nous ayons dans le Parti Pirate ». Elle serait alors la plus jeune membre jamais élue du Parlement Européen.

Le Parti Pirate aborde des problèmes dont personne, jusqu’à maintenant, n’a vraiment pris conscience. Est-ce là l’explication pour le soudain intérêt dont bénéficie le parti ? Peut-être. Mais leur popularité chez les électeurs de moins de trente ans, un groupe que les autres partis ont toujours eu du mal à séduire, compte au moins autant.

De plus, avec un électorat divisé entre une multitude de partie, les 7% recueillis par le Parti Pirate sont loin d’être négligeables.

« Ces sept coalitions se mettent en quatre pour s’approprier notre crédibilité », résume Falkvinge. « Nous jouissons d’un vrai soutien populaire que ces partis se battent pour nous avoir. »

S’exprimant quelques jours après les élections, Falkvinge ne cachait pas sa satisfaction. Malgré tout, il se prépare déjà pour les prochaines élections nationales en Suède, où il espère que le Parti Pirate jouera un rôle dans un gouvernement minoritaire. Le prix d’une alliance avec les Pirates sera, bien sûr, l’adoption de leurs idées.

« Aux élections européennes nous avons gagné notre légitimité », constate Falkvinge. « Les prochaines élections nationales nous permettront de réécrire les lois. »

Si tel est le cas, l’Union Européenne et le reste du monde pourront peut-être en sentir les effets. Déjà, des Partis Pirates se mettent en place à l’image du parti suédois, et, comme le montre leur faculté à attirer les jeunes, pour des milliers d’entre eux le Parti Pirate est le seul parti politique qui aborde les questions qui les intéressent.

« Il y a deux choses qu’il ne faut pas perdre de vue » remarque Falkvinge. « Premièrement, nous faisons partie de la nouvelle génération de défenseurs des libertés fondamentales. C’est un mouvement pour les libertés fondamentales. Des libertés fondamentales et des droits fondamentaux essentiels sont compromis par des personnes voulant contrôler le Net, et nous voulons sauvegarder ces droits. Au fond, nous voulons que les droits et devoirs fondamentaux s’appliquent aussi bien sur Internet que dans la vie courante. »

« Le deuxième point que je voudrais souligner c’est que nous nous faisons connaître uniquement par le bouche à oreille. Nous avons gagné à peu près un quart de million de voix, 50 000 membres, 17 000 activistes, par le bouche à oreille, conversation après conversation, collègue, parent, étudiant, un par un, en trois ans. »

« C’est, je crois, la meilleure preuve que c’est possible. Vous n’êtes plus dépendants des médias traditionnels. Si vous avez un message fort et que les gens s’y reconnaissent, vous pouvez y arriver. »

Notes

[1] Crédit photos : 1. Ann Catrin Brockman (Creative Commons By-Sa) 2. Cybriks (Creative Commons By)




Mésentente cordiale entre Stallman et le Parti Pirate suédois sur le logiciel libre

Mecredis - CC byPourquoi les propositions du Parti Pirate suédois sont paradoxalement susceptibles de se retourner contre le logiciel libre ?

C’est ce que nous relate Richard Stallman[1] dans un récent article traduit pas nos soins, où l’on s’apercevra que la réduction du copyright et la mise dans le domaine public ont peut-être plus d’inconvénients que d’avantages lorsqu’il s’agit du cas très particulier des logiciels libres.

Remarque : Cette traduction vous est proposée par Framalang dans le cadre d’une collaboration avec l’April (dont Cédric Corazza a assuré la relecture finale).

Pourquoi les propositions du Parti Pirate suédois se retournent contre le logiciel libre

How the Swedish Pirate Party Platform Backfires on Free Software
URL d’origine de la traduction

Richard Stallman – 24 juillet 2009 – GNU.org
(Traduction Framalang : Don Rico, Goofy et aKa)

La campagne de harcèlement à laquelle se livre l’industrie du copyright en Suède a conduit à la création du premier parti politique dont le programme vise à réduire les restrictions dues au copyright : le Parti Pirate. Parmi ses propositions, on trouve l’interdiction des DRM, la légalisation du partage à but non lucratif d’œuvres culturelles, et la réduction à une durée de cinq ans du copyright pour une utilisation commerciale. Cinq ans après sa publication, toute œuvre publiée passerait dans le domaine public.

Dans l’ensemble, je suis favorable à ces changements, mais l’ironie de la chose, c’est que ce choix particulier effectué par le Parti Pirate aurait un effet néfaste sur le logiciel libre. Je suis convaincu qu’ils n’avaient nulle intention de nuire au logiciel libre, mais c’est pourtant ce qui se produirait.

En effet, la GNU General Public License (NdT : ou licence GPL) et d’autres licences copyleft se servent du copyright pour défendre la liberté de tous les utilisateurs. La GPL permet à chacun de publier des programmes modifiés, mais à condition de garder la même licence. La redistribution d’un programme qui n’aurait pas été modifié doit elle aussi conserver la même licence. Et tous ceux qui redistribuent doivent donner aux utilisateurs l’accès au code source du logiciel.

Pourquoi les propositions du Parti Pirate suédois affecteraient-elles un logiciel libre placé sous copyleft ? Au bout de cinq ans, son code source passerait dans le domaine public, et les développeurs de logiciel privateur pourraient alors l’inclure dans leurs programmes. Mais qu’en est-il du cas inverse ?

Le logiciel privateur est soumis à des CLUF, pas seulement au copyright, et les utilisateurs n’en ont pas le code source. Même si le copyright permet le partage à but non commercial, il se peut que les CLUF, eux, l’interdisent. Qui plus est, les utilisateurs, n’ayant pas accès au code source, ne contrôlent pas les actions du programme lorsqu’ils l’exécutent. Exécuter un de ces programmes revient à abandonner votre liberté et à donner au développeur du pouvoir sur vous.

Que se passerait-il si le copyright de ce programme prenait fin au bout de cinq ans ? Cela n’obligerait en rien les développeurs à libérer le code source, et il y a fort à parier que la plupart ne le feront jamais. Les utilisateurs, que l’on privera toujours du code source, se verraient toujours dans l’impossibilité d’utiliser ce programme en toute liberté. Ce programme pourrait même contenir une « bombe à retardement » conçue pour empêcher son fonctionnement au bout de cinq ans, auquel cas les exemplaires passés dans le « domaine public » ne fonctionneraient tout simplement pas.

Ainsi, la proposition du Parti Pirate donnerait aux développeurs de logiciels privateurs la jouissance du code source protégé par la GPL, après cinq ans, mais elle ne permettrait pas aux développeurs de logiciel libre d’utiliser du code propriétaire, ni après cinq ans, ni même cinquante. Le monde du Libre ne récolterait donc que les inconvénients et aucun avantage. La différence entre code source et code objet, ainsi que la pratique des CLUF, permettraient bel et bien au logiciel privateur de déroger à la règle générale du copyright de cinq ans, ce dont ne pourrait profiter le logiciel libre.

Nous nous servons aussi du copyright pour atténuer en partie le danger que représentent les brevets logiciels. Nous ne pouvons en protéger complètement nos programmes, nul programme n’est à l’abri des brevets logiciels dans un pays où ils sont autorisés, mais au moins nous empêchons qu’on les utilise pour rendre le programme non-libre. Le Parti Pirate propose d’abolir les brevets logiciels, et si cela se produisait, ce problème ne se poserait plus. Mais en attendant, nous ne devons pas perdre notre seul moyen de protection contre les brevets.

Aussitôt après que le Parti Pirate a annoncé ses propositions, les développeurs de logiciel libre ont décelé cet effet secondaire et proposé qu’on établisse une règle à part pour le logiciel libre : on allongerait la durée du copyright pour le logiciel libre, de sorte que l’on puisse le garder sous licence copyleft. Cette exception explicite accordée au logiciel libre contrebalancerait l’exception de fait dont bénéficierait le logiciel privateur. Dix ans devraient suffire, à mon sens. Toutefois, cette proposition s’est heurtée à une forte résistance des dirigeants du Parti Pirate, qui refusent de faire un cas particulier en allongeant la durée du copyright.

Je pourrais approuver une loi par laquelle le code source d’un logiciel placé sous licence GPL passerait dans le domaine public au bout de cinq ans, à condition que cette loi ait le même effet sur le code source des logiciels privateurs. Car le copyleft n’est qu’un moyen pour atteindre une fin (la liberté de l’utilisateur), et pas une fin en soi. En outre, j’aimerais autant ne pas me faire le chantre d’un copyright plus fort.

J’ai donc proposé que le programme du Parti Pirate exige que le code source des logiciels privateurs soit déposé en main tierce dès la publication des binaires. Ce code source serait ensuite placé dans le domaine public au bout de cinq ans. Au lieu d’accorder au logiciel libre une exception officielle à la règle des cinq ans de copyright, ce système éliminerait l’exception officieuse dont bénéficierait le logiciel privateur. D’un côté comme de l’autre, le résultat est équitable.

Un partisan du Parti Pirate a proposé une variante plus large de ma première suggestion : une règle générale selon laquelle le copyright serait allongé à mesure que l’on accorde plus de liberté au public dans l’utilisation du programme. Cette solution présente l’avantage d’insérer le logiciel libre dans un mouvement collectif de copyright à durée variable au lieu de n’en faire qu’une exception isolée.

Je préfèrerais la solution de la main tierce, mais l’une ou l’autre de ces méthodes éviterait un retour de flamme, particulièrement nuisible au logiciel libre. Il existe sans doute d’autres solutions. Quoi qu’il en soit, le Parti Pirate suédois devrait éviter d’infliger un handicap à un mouvement spécifique lorsqu’il se propose de défendre la population contre les géants prédateurs.

Notes

[1] Crédit photo : Mecredis (Creative Commons By)




National Portrait Gallery vs Wikipédia ou la prise en étau et en otage de la Culture ?

Cliff1066 - CC byTous ceux qui ont eu un jour à jouer les touristes à Londres ont pu remarquer l’extrême qualité et la totale… gratuité des grands musées nationaux. Rien de tel pour présenter son patrimoine et diffuser la culture au plus grand nombre. Notons qu’à chaque fois vous êtes accueilli à l’entrée par de grandes urnes qui vous invitent à faire un don, signifiant par là-même qu’ils ne sont plus gratuits si jamais vous décidez d’y mettre votre contribution.

Parmi ces musées on trouve le National Portrait Gallery qui « abrite les portraits d’importants personnages historiques britanniques, sélectionnés non en fonction de leurs auteurs mais de la notoriété de la personne représentée. La collection comprend des peintures, mais aussi des photographies, des caricatures, des dessins et des sculptures. » (source Wikipédia).

Or la prestigieuse galerie vient tout récemment de s’illustrer en tentant de s’opposer à la mise en ligne sur Wikipédia de plus de trois mille reproductions photographiques d’œuvres de son catalogue tombées dans le domaine public. Le National Portrait Gallery (ou NPG) estime en effet que ces clichés haute-résolution lui appartiennent et ont été téléchargés sans autorisation sur Wikimedia Commons, la médiathèque des projets Wikimédia dont fait partie la fameuse encyclopédie. Et la vénérable institution va même jusqu’à menacer d’une action en justice !

Il est donc question, une fois de plus, de propriété intellectuelle mais aussi et surtout en filigrane de gros sous. Personne ne conteste que le National Portrait Gallery ait engagé des dépenses pour numériser son fond et qu’elle ait besoin d’argent pour fonctionner. Mais n’est-il pas pour le moins choquant de voir un telle institution culturelle, largement financée par l’État, refuser ainsi un accès public à son contenu, sachant qu’elle et Wikipédia ne sont pas loin de poursuivre au final les même nobles objectifs ?

C’est ce que nous rappelle l’un des administrateurs de Wikipédia dans un billet, traduit ci-dessous par nos soins, issu du blog de la Wikimedia Foundation. Billet qui se termine ainsi : « Quoi qu’il en soit, il est difficile de prouver que l’exclusion de contenus tombés dans le domaine public d’une encyclopédie libre à but non lucratif, serve l’intérêt général. »

Remarque : L’illustration[1] choisie pour cet article représente le moment, en janvier dernier, où le célèbre portrait d’Obama réalisé par l’artiste Shepard Fairey entre au National Portrait Gallery, non pas de Londres mais de Washington. Ce portrait a lui aussi fait l’objet d’une forte polémique puisqu’il s’est directement inspiré d’une image d’un photographe travaillant pour l’Association Press qui a elle aussi tenté de faire valoir ses droits (pour en savoir plus… Wikipédia bien sûr). Décidément on ne s’en sort pas ! Heureusement que le portrait s’appelle « Hope »…

Protection du domaine public et partage de notre héritage culturel

Protecting the public domain and sharing our cultural heritage

Erik Moeller – 16 juillet 2009 – Wikimedia Blog
(Traduction Framalang : Claude le Paih)

La semaine dernière, le National Portrait Gallery de Londres, Royaume Uni, a envoyé une lettre menaçante à un bénévole de Wikimédia concernant la mise en ligne de peintures du domaine public vers le dépôt de Wikimédia : Wikimédia Commons.

Le fait qu’une institution financée publiquement envoie une lettre de menace à un bénévole travaillant à l’amélioration d’une encyclopédie sans but lucratif, peut vous paraitre étrange. Après tout, la National Portrait Gallery fut fondée en 1856, avec l’intention déclarée d’utiliser des portraits « afin de promouvoir l’appréciation et la compréhension des hommes et femmes ayant fait, ou faisant, l’histoire et la culture britannique » (source) Il parait évident qu’un organisme public et une communauté de volontaires promouvant l’accès libre à l’éducation et la culture devraient être alliés plutôt qu’adversaires.

Cela parait particulièrement étrange dans le contexte des nombreux partenariats réussis entre la communauté Wikimédia et d’autres galeries, bibliothèques, archives et musées. Par exemple, deux archives allemandes, la Bundesarchiv et la Deutsche Fotothek, ont offert ensemble 350 000 images protégées par copyright sous une licence libre à Wikimédia Commons, le dépôt multimédia de la Fondation Wikimédia.

Ces donations photographiques furent le résultat heureux de négociations intelligentes entre Mathias Schindler, un bénévole de Wikimédia, et les représentants des archives. (Information sur la donation de la Bundearchiv ; Information sur la donation de la Fotothek).

Tout le monde est alors gagnant. Wikimédia aida les archives en travaillant à identifier les erreurs dans les descriptions des images offertes et en associant les sujets des photographies aux standards des métadatas. Wikipédia a contribué à faire mieux connaître ces archives. De même, les quelques trois cent millions de visiteurs mensuels de Wikipédia se sont vus offrir un accès libre à d’extraordinaires photographies de valeur historique, qu’ils n’auraient jamais pu voir autrement.

Autres exemples :

  • Au cours des derniers mois, des bénévoles de Wikimédia ont travaillé avec des institutions culturelles des États-Unis, du Royaume-Uni et des Pays-Bas afin de prendre des milliers de photographies de peintures et d’objets pour Wikimédia Commons. Ce projet est appelé « Wikipédia aime les arts ». Une nouvelle fois, tout le monde y gagne : les musées et galeries s’assurent une meilleure exposition de leur catalogue, Wikipédia améliore son service, et les gens du monde entier peuvent voir des trésors culturels auxquels ils n’auraient pas eu accès sinon. (voir la page anglaise de Wikipédia du projet et le portail néerlandais du projet).
  • Des bénévoles de Wikimédia travaillent individuellement, avec des musées et des archives, à la restauration numérique de vieilles images en enlevant des marques telles que taches ou rayures. Ce travail est minutieux et difficile mais le résultat est formidable : l’œuvre retrouve son éclat originel et une valeur informative pleinement restaurée. Le public peut de nouveau l’apprécier (le travail de restauration est coordonné grâce à la page « Potential restorations » et plusieurs exemples de restaurations peuvent être trouvés parmi les images de qualité de Wikimédia).

Trois bénévoles de Wikimédia ont résumé ces possibilités dans une lettre ouverte : Travailler avec, et non pas contre, les institutions culturelles. Les 6 et 7 Août, Wikimédia Australie organise une manifestation afin d’explorer les différents modèles de partenariats avec les galeries, bibliothèques, archives et musées (GLAM : Galleries, Libraries, Archives and Museums).

Pourquoi des bénévoles donnent-ils de leur temps à la photographie d’art, à la négociation de partenariat avec des institutions culturelles, à ce travail minutieux de restauration ? Parce que les volontaires de Wikipédia veulent rendre l’information (y compris des images d’importance informative et historique) librement disponible au monde entier. Les institutions culturelles ne devraient pas condamner les bénévoles de Wikimédia : elles devraient joindre leurs forces et participer à cette une mission.

Nous pensons qu’il existe pour Wikipédia de nombreuses et merveilleuses possibilités de collaborations avec les institutions culturelles afin d’éduquer, informer, éclairer et partager notre héritage culturel. Si vous souhaitez vous impliquer dans la discussion, nous vous invitons à rejoindre la liste de diffusion de Wikimédia Commons : la liste est lue par de nombreux bénévoles de Wikimédia, quelques volontaires liés aux comités de Wikimédias ainsi que des membres de la Fondation. Sinon, s’il existe un comité dans votre pays, vous pourriez vous mettre en contact directement avec eux. Vous pouvez également contacter directement la Wikimedia Foundation. N’hésitez pas à m’envoyer vos premières réflexions à erik(at)wikimedia(dot)org, je vous connecterai d’une manière appropriée.

La NPG (National Portrait Galery) est furieuse qu’un volontaire de Wikimédia ait mis en ligne sur Wikimédia Commons des photographies de peintures du domaine public lui appartenant. Au départ, la NPG a envoyé des lettres menaçantes à la Wikimedia Foundation, nous demandant de « détruire toutes les images » (contrairement aux déclarations publiques, ces lettres n’évoquaient pas un possible compromis. La NPG confond peut être sa correspondance et un échange de lettre en 2006 avec un bénévole de Wikimédia, (que l’utilisateur publie ici). La position de la NPG semble être que l’utilisateur a violé les lois sur le droit d’auteur en publiant ces images.

La NPG et Wikimédia s’accordent toutes deux sur le fait que les peintures représentées sur ces images sont dans le domaine public : beaucoup de ces portraits sont vieux de plusieurs centaines d’années, tous hors du droit d’auteur. Quoiqu’il en soit, la NPG prétend détenir un droit sur la reproduction de ces images (tout en contrôlant l’accès aux objets physiques). Autrement dit, la NPG pense que la reproduction fidèle d’une peinture appartenant au domaine public, sans ajout particulier, lui donne un nouveau droit complet sur la copie numérique, créant l’opportunité d’une valorisation monétaire de cette copie numérique pour plusieurs décennies. Pour ainsi dire, La NPG s’assure dans les faits le contrôle total de ces peintures du domaine public.

La Wikimedia Foundation n’a aucune raison de croire que l’utilisateur en question ait transgressé une loi applicable, et nous étudions les manières de l’aider au cas ou la NPG persisterait dans ses injonctions. Nous sommes ouvert à un compromis au sujet de ces images précises, mais il est peu probable que notre position sur le statut légal de ces images change. Notre position est partagée par des experts juridiques et par de nombreux membres de la communauté des galeries, bibliothèques, archives et musées. En 2003, Peter Hirtle, cinquante-huitième président de la Society of American Archivists (NdT : Société des Archivistes Américains), écrivit :

« La conclusion que nous devons en tirer est inéluctable. Les tentatives de monopolisation de notre patrimoine et d’exploitation commerciale de nos biens physiques appartenant au domaine public ne devraient pas réussir. De tels essais se moquent de l’équilibre des droits d’auteur entre les intérêts du créateur et du public. » (source)

Dans la communauté GLAM internationale, certains ont choisi l’approche opposée, et sont même allés plus loin en proposant que les institutions GLAM utilisent le marquage numérique et autres technologies de DRM (Digital Restrictions Management) afin de protéger leurs supposés droits sur des objets du domaine public et ainsi renforcer ces droits d’une manière agressive.

La Wikimedia Foundation comprend les contraintes budgétaires des institutions culturelles ayant pour but de préserver et maintenir leurs services au public. Mais si ces contraintes aboutissent à cadenasser et limiter sévèrement l’accès à leur contenu au lieu d’en favoriser la mise à disposition au plus grand nombre, cela nous amène à contester la mission de ces institutions éducatives. Quoi qu’il en soit, il est difficile de prouver que l’exclusion de contenus tombés dans le domaine public d’une encyclopédie libre à but non lucratif, serve l’intérêt général.

Erik Moeller
Deputy Director, Wikimedia Foundation

Notes

[1] Crédit photo : Cliff1066 (Creative Commons By)




Le socialisme nouveau est arrivé

Copyleft FlagLe socialisme est mort, vive le socialisme ? À l’instar de Is Google making us stupid? c’est une nouvelle traduction de poids que nous vous proposons aujourd’hui.

Un socialisme nouveau, revu et corrigé, est en train de prendre forme sur Internet. Telle est l’hypothèse de Kevin Kelly, célèbre éditorialiste du célèbre magazine Wired. Et l’on ne s’étonnera guère d’y voir le logiciel libre associé aux nombreux arguments qui étayent son propos.

Vous reconnaissez-vous dans ce « socialisme 2.0 » tel qu’il est présenté ici ? Peut-être oui, peut-être non. Mais il n’est jamais inutile de prendre un peu de recul et tenter de s’interroger sur ce monde qui s’accélère et va parfois plus vite que notre propre capacité à lui donner du sens.

Le nouveau Socialisme : La société collectiviste globale se met en ligne

The New Socialism: Global Collectivist Society Is Coming Online

Kevin Kelly – 22 mai 2009 – Wired
(Traduction Framalang : Poupoul2, Daria et Don Rico)

Bill Gates s’est un jour moqué des partisans de l’Open Source avec le pire épithète qu’un capitaliste puisse employer. Ces gens-là, a-t-il dit, sont « une nouvelle race de communistes », une force maléfique décidée à détruire l’incitation monopolistique qui soutient le Rêve Américain. Gates avait tort : les fanatiques de l’Open Source sont plus proches des libertariens que des communistes. Il y a pourtant une part de vérité dans son propos. La course effrénée à laquelle on se livre partout sur la planète pour connecter tout le monde avec tout le monde dessine doucement les contours d’une version revue et corrigée du socialisme.

Les aspects communautaires de la culture numérique ont des racines profondes et étendues. Wikipédia n’est qu’un remarquable exemple de collectivisme émergeant parmi d’autres, et pas seulement Wikipédia mais aussi toute le système des wikis. Ward Cunningham, qui inventa la première page web collaborative en 1994, a recensé récemment plus de cent cinquante moteurs de wiki différents, chacun d’entre eux équipant une myriade de sites. Wetpaint, lancé il y a tout juste trois ans, héberge aujourd’hui plus d’un million de pages qui sont autant de fruits d’un effort commun. L’adoption massive des licences de partage Creative Commons et l’ascension de l’omniprésent partage de fichiers sont deux pas de plus dans cette direction. Les sites collaboratifs tels que Digg, Stumbleupon, the Hype Machine ou Twine poussent comme des champignons et ajoutent encore du poids à ce fantastique bouleversement. Chaque jour nous arrive une nouvelle start-up annonçant une nouvelle méthode pour exploiter l’action communautaire. Ces changements sont le signe que l’on se dirige lentement mais sûrement vers une sorte de socialisme uniquement tourné vers le monde en réseau.

Mais on ne parle pas là du socialisme de votre grand-père. En fait, il existe une longue liste d’anciens mouvements qui n’ont rien à voir avec ce nouveau socialisme. Il ne s’agit pas de lutte des classes. Il ne s’agit pas d’anti-américanisme. Le socialisme numérique pourrait même être l’innovation américaine la plus récente. Alors que le socialisme du passé était une arme d’État, le socialisme numérique propose un socialisme sans État. Cette nouvelle variété de socialisme agit dans le monde de la culture et de l’économie, plutôt que dans celui de la politique… pour le moment.

Le communisme avec lequel Gates espérait salir les créateurs de Linux est né dans une période où les frontières étaient rigides, la communication centralisée, et l’industrie lourde et omniprésente. Ces contraintes ont donné naissance à une appropriation collective de la richesse qui remplaçait l’éclatant chaos du libre marché par des plans quinquennaux imposés par un politburo tout puissant.

Ce système d’exploitation politique a échoué, c’est le moins que l’on puisse dire. Cependant, contrairement aux vieilles souches du socialisme au drapeau rouge, le nouveau socialisme s’étend sur un Internet sans frontières, au travers d’une économie mondiale solidement intégrée. Il est conçu pour accroître l’autonomie individuelle et contrecarrer la centralisation. C’est la décentralisation à l’extrême.

Au lieu de cueillir dans des fermes collectives, nous récoltons dans des mondes collectifs. Plutôt que des usines d’État, nous avons des usines d’ordinateurs connectées à des coopératives virtuelles. On ne partage plus des forêts, des pelles ou des pioches, mais des applications, des scripts et des APIs. Au lieu de politburos sans visage, nous avons des méritocracies anonymes, où seul le résultat compte. Plus de production nationale, remplacée par la production des pairs. Finis les rationnements et subventions distribués par le gouvernement, place à l’abondance des biens gratuits.

Je reconnais que le terme socialisme fera forcément tiquer de nombreux lecteurs. Il porte en lui un énorme poids culturel, au même titre que d’autres termes associés tels que collectif, communautaire ou communal. J’utilise le mot socialisme parce que techniquement, c’est celui qui représente le mieux un ensemble de technologies dont l’efficience dépend des interactions sociales. L’action collective provient grosso modo de la richesse créée par les sites Web et les applications connectées à Internet lorsqu’ils exploitent du contenu fourni par les utilisateurs. Bien sûr, il existe un danger rhétorique à réunir autant de types d’organisation sous une bannière aussi provocatrice. Mais puisqu’il n’existe aucun terme qui soit vierge de toute connotation négative, autant donner une nouvelle chance à celui-là. Lorsque la multitude qui détient les moyens de production travaille pour atteindre un objectif commun et partage ses produits, quand elle contribue à l’effort sans toucher de salaire et en récolte les fruits sans bourse délier, il n’est pas déraisonnable de qualifier ce processus de socialisme.

À la fin des années 90, John Barlow, activiste, provocateur et hippie vieillissant, a désigné ce courant par le terme ironique de « point-communisme » (NdT : en référence au point, dot, des nom de domaines des sites Web comme framablog point org). Il le définissait comme une « main d’œuvre composée intégralement d’agents libres », « un don décentralisé ou une économie de troc où il n’existe pas de propriété et où l’architecture technologique définit l’espace politique ». En ce qui concerne la monnaie virtuelle, il avait raison. Mais il existe un aspect pour lequel le terme socialisme est inapproprié lorsqu’il s’agit de désigner ce qui est en train de se produire : il ne s’agit pas d’une idéologie. Il n’y a pas d’exigence de conviction explicite. C’est plutôt un éventail d’attitudes, de techniques et d’outils qui encouragent la collaboration, le partage, la mise en commun, la coordination, le pragmatisme, et une multitude de coopérations sociales nouvellement rendues possibles. C’est une frontière conceptuelle et un espace extrêmement fertile pour l’innovation.

Socialisme 2.0 - HistoriqueDans son livre publié en 2008, Here Comes Everybody (NdT : Voici venir chacun), le théoricien des médias Clay Chirky propose une hiérarchie utile pour classer ces nouveaux dispositifs. Des groupes de personnes commencent simplement par partager, puis ils progressent et passent à la coopération, à la collaboration et, pour finir, au collectivisme. À chaque étape, on constate un accroissement de la coordination. Une topographie du monde en ligne fait apparaître d’innombrables preuves de ce phénomène.

I. Le partage

Les masses connectées à l’Internet sont animées par une incroyable volonté de partage. Le nombre de photos personnelles postées sur Facebook ou MySpace est astronomique, et il y a fort à parier que l’écrasante majorité des photos prises avec un appareil photo numérique sont partagées d’une façon ou d’une autre. Sans parler des mises à jour du statut de son identité numérique, des indications géographiques, des bribes de réflexion que chacun publie çà et là. Ajoutez-y les six milliards de vidéos vues tous les mois sur Youtube pour les seuls États-Unis et les millions de récits issus de l’imagination de fans d’œuvres existantes. La liste des sites de partage est presque infinie : Yelp pour les critiques, Loopt pour la géolocalisation, Delicious pour les marque-pages.

Le partage est la forme de socialisme la plus tempérée, mais elle sert de fondation aux niveaux les plus élevés de l’engagement communautaire.

II. La coopération

Lorsque des particuliers travaillent ensemble à atteindre un objectif d’envergure, les résultats apparaissent au niveau du groupe. Les amateurs n’ont pas seulement partagé plus de trois milliards de photos sur Flickr, ils les ont aussi associées à des catégories ou des mots-clés ou les ont étiquetées (NdT : les tags). D’autres membres de la communauté regroupent les images dans des albums. L’usage des populaires licences Creative Commons aboutit à ce que, d’une façon communautaire, voire communiste, votre photo devienne ma photo. Tout le monde peut utiliser une photo, exactement comme un communiste pourrait utiliser la brouette de la communauté. Je n’ai pas besoin de prendre une nouvelle photo de la tour Eiffel, puisque la communauté peut m’en fournir une bien meilleure que la mienne.

Des milliers de sites d’agrégation emploient la même dynamique sociale pour un bénéfice triple. Premièrement, la technologie assiste directement les utilisateurs, en leur permettant d’étiqueter, marquer, noter et archiver du contenu pour leur propre usage. Deuxièmement, d’autres utilisateurs profitent des tags et des marque-pages des autres… Et tout ceci, au final, crée souvent une valeur ajoutée que seul le groupe dans son ensemble peut apporter. Par exemple, des photos d’un même endroit prises sous différents angles peuvent être assemblées pour former une reproduction du lieu en 3D stupéfiante. (Allez voir du côté de Photosynth de Microsoft). Curieusement, cette proposition va plus loin que la promesse socialiste du « chacun contribue selon ses moyens, chacun reçoit selon ses besoins », puisqu’elle améliore votre contribution et fournit plus que ce dont vous avez besoin.

Les agrégateurs communautaires arrivent à d’incroyables résultats. Des sites tels que Digg ou Reddit, qui permettent aux utilisateurs de voter pour les liens qu’ils souhaitent mettre en évidence, peuvent orienter le débat public autant que les journaux ou les chaînes de télévision (pour info Reddit appartient à la maison mère de Wired, Condé Nast). Ceux qui contribuent sérieusement à ces sites y consacrent plus d’énergie qu’ils ne pourront jamais en recevoir en retour, mais ils continuent en partie à cause du pouvoir culturel que représentent ces outils. L’influence d’un participant s’étend bien au-delà d’un simple vote, et l’influence collective de la communauté surpasse de loin le nombre de ses participants. C’est l’essence même des institutions sociales, l’ensemble dépasse la somme de ses composants. Le socialisme traditionnel visait à propulser cette dynamique par le biais de l’État. Désormais dissociée du gouvernement et accrochée à la matrice numérique mondiale, cette force insaisissable s’exerce à une échelle plus importante que jamais.

III. La collaboration

La collaboration organisée peut produire des résultats dépassant ceux d’une coopération improvisée. Les centaines de projets de logiciel Open Source, tel que le serveur Web Apache, en sont le parfait exemple. Dans ces aventures, des outils finement ciselés par la communauté génèrent des produits de haute qualité à partir du travail coordonné de milliers ou dizaines de milliers de membres. Contrairement à la coopération traditionnelle, la collaboration sur d’énormes projets complexes n’apporte aux participants que des bénéfices indirects, puisque chaque membre du groupe n’intervient que sur une petite partie du produit final. Un développeur motivé peut passer des mois à écrire le code d’une infime partie d’un logiciel dont l’état global est encore à des années-lumière de son objectif. En fait, du point de vue du marché libre, le rapport travail/récompense est tellement dérisoire (les membres du projet fournissent d’immenses quantités de travail à haute valeur ajoutée sans être payés) que ces efforts collaboratifs n’ont aucun sens au sein du capitalisme.

Pour ajouter à la dissonance économique, nous avons pris l’habitude de profiter du fruit de ces collaborations sans mettre la main à la poche. Plutôt que de l’argent, ceux qui participent à la production collaborative gagnent en crédit, statut, réputation, plaisir, satisfaction et expérience. En plus d’être gratuit, le produit peut être copié librement et servir de socle à d’autres produits. Les schémas alternatifs de gestion de la propriété intellectuelle, parmi lesquelles Creative Commons ou les licences GNU, ont été créés pour garantir ces libertés.

En soi, la collaboration n’a bien sûr rien de spécialement socialiste. Mais les outils collaboratifs en ligne facilitent un style communautaire de production qui exclut les investisseurs capitalistes et maintient la propriété dans les mains de ceux qui travaillent, voire dans celles des masses consommatrices.

IV Le collectivisme

Socialisme 2.0 - Ancien / NouveauAlors qu’une encyclopédie peut être rédigée de façon coopérative, nul n’est tenu pour responsable si la communauté ne parvient pas au consensus, et l’absence d’accord ne met pas en danger l’entreprise dans son ensemble. L’objectif d’un collectif est cependant de concevoir un système où des pairs autogérés prennent la responsabilité de processus critiques, et où des décisions difficiles, comme par exemple définir des priorités, sont prises par l’ensemble des acteurs. L’Histoire abonde de ces centaines de groupes collectivistes de petite taille qui ont essayé ce mode de fonctionnement. Les résultats se sont révélés peu encourageants (quand bien même on ne tienne pas compte de Jim Jones et de la « famille » de Charles Manson).

Or, une étude approfondie du noyau dirigeant de Wikipédia, Linux ou OpenOffice, par exemple, montre que ces projets sont plus éloignés de l’idéal collectiviste qu’on pourrait le croire vu de l’extérieur. Des millions de rédacteurs contribuent à Wikipédia, mais c’est un nombre plus restreint d’éditeurs (environ mille cinq cents) qui est responsable de la majorité de l’édition. Il en va de même pour les collectifs qui écrivent du code. Une myriade de contributions est gérée par un groupe plus réduit de coordinateurs. Comme Mitch Kapor, membre fondateur de la Mozilla Open Source Code Factory, le formule : « au cœur de toutes les anarchies qui marchent, il y a un réseau à l’ancienne ».

Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Certaines formes de collectivisme tirent avantage de la hiérarchie, alors que d’autres en souffrent. Des plateformes tels qu’Internet et Facebook, ou même la démocratie, qui servent de substrat à la production de biens ou à la fourniture de services, profitent de l’absence quasi totale de hiérarchie, laquelle réduit les obstacles à l’intégration et permet la répartition équitable des droits et responsabilités. Lorsque des acteurs puissants émergent, la structure dans son ensemble souffre. D’un autre côté, les organisations bâties pour créer des produits ont souvent besoin de dirigeants forts, et de hiérarchies organisées capable de se projeter dans l’avenir : l’un des niveaux se concentre sur les besoins immédiats, l’autre sur les cinq années à venir.

Par le passé, il était quasi impossible de construire une organisation qui exploitait la hiérarchie tout en maximisant le collectivisme. Désormais, les réseaux numériques fournissent l’infrastructure nécessaire. Le Net donne la possibilité aux organisations concentrées sur le produit de fonctionner collectivement, tout en empêchant la hiérarchie d’en prendre totalement le pouvoir. L’organisation qui conçoit MySQL, une base de données Open Source, n’est pas animée par un refus romantique de la hiérarchie, mais elle est bien plus collectiviste qu’Oracle. De la même manière, Wikipédia n’est pas un bastion d’égalité, mais elle est largement plus collectiviste que l’encyclopédie Britannica. Le cœur élitiste que nous trouvons au centre des collectifs en ligne est en fait un signe que le socialisme sans État peut fonctionner à grande échelle.

La plupart des occidentaux, moi y compris, ont été endoctrinés par l’idée que l’extension du pouvoir des individus réduit forcément le pouvoir de l’État, et vice versa. Pourtant, dans la pratique, la plupart des politiques socialisent certaines ressources et en individualisent d’autres. Les économies de marché ont pour la plupart socialisé l’éducation, et même les sociétés les plus socialisées autorisent une certaine forme de propriété privée.

Plutôt que de voir le socialisme technologique comme une sorte de compromis à somme nulle entre l’individualisme du marché libre et une autorité centralisée, on peut le considérer comme un système d’exploitation culturel qui élève en même temps l’individu et le groupe. Le but, largement désarticulé mais intuitivement compréhensible, de la technologie communautaire consiste à maximiser l’autonomie individuelle et le pouvoir de ceux qui travaillent ensemble. Ainsi, on peut voir le socialisme numérique comme une troisième voie rendant les vieux débats obsolètes.

Ce concept de troisième voie est également rapporté par Yochai Benkler, auteur de The Wealth of Networks (NdT : La richesse des réseaux), qui a probablement réfléchi plus que quiconque aux politiques des réseaux. Il affirme voir « l’émergence de la production sociale et de la production collective comme une alternative aux systèmes propriétaires et fermés, basés sur l’État ou le marché », notant que ces activités « peuvent accroître la créativité, la productivité et la liberté ». Le nouveau système d’exploitation, ce n’est ni le communisme classique et sa planification centralisée sans propriété privée, ni le chaos absolu du marché libre. C’est au contraire un espace de création émergeant, dans lequel la coordination publique décentralisée peut résoudre des problèmes et créer des richesses, là où ni le communisme ni le capitalisme purs et durs n’en sont capables.

Les systèmes hybrides qui mélangent les mécanismes marchands et non marchands ne sont pas nouveaux. Depuis des décennies, les chercheurs étudient les méthodes de production décentralisées et socialisées des coopératives du nord de l’Italie et du Pays Basque, dans lesquelles les employés sont les propriétaires, prennent les décisions, limitent la distribution des profits et sont indépendants du contrôle de l’État. Mais seule l’arrivée de la collaboration à bas prix, instantanée et omniprésente que permet Internet a rendu possible la migration du cœur de ces idées vers de nombreux nouveaux domaines telle que l’écriture de logiciels de pointe ou de livres de référence.

Le rêve, ce serait que cette troisième voie aille au-delà des expériences locales. Jusqu’où ? Ohloh, une entreprise qui analyse l’industrie de l’Open Source, a établi une liste d’environ deux cent cinquante mille personnes travaillant sur deux cent soixante-quinze mille projets. C’est à peu près la taille de General Motors et cela représente énormément de gens travaillant gratuitement, même si ce n’est pas à temps complet. Imaginez si tous les employés de General Motors n’étaient pas payés, tout en continuant à produire des automobiles !

Jusqu’à présent, les efforts les plus importants ont été ceux des projets Open Source, dont des projets comme Apache gèrent plusieurs centaines de contributeurs, environ la taille d’un village. Selon une étude récente, la version 9 de Fedora, sortie l’année dernière, représenterait soixante mille années-homme de travail. Nous avons ainsi la preuve que l’auto-assemblage et la dynamique du partage peuvent gouverner un projet à l’échelle d’une ville ou d’un village décentralisé.

Évidemment, le recensement total des participants au travail collectif en ligne va bien au-delà. YouTube revendique quelques trois cent cinquante millions de visiteurs mensuels. Presque dix millions d’utilisateurs enregistrés ont contribué à Wikipédia, cent soixante mille d’entre eux sont actifs. Plus de trente-cinq millions de personnes ont publié et étiqueté plus de trois milliards de photos et vidéos sur Flickr. Yahoo héberge près de huit millions de groupes sur tous les sujets possibles et imaginables. Google en compte près de quatre millions.

Ces chiffres ne représentent toujours pas l’équivalent d’une entière nation. Peut-être ces projets ne deviendront-ils jamais grand public (mais si Youtube n’est pas un phénomène grand public, qu’est-ce qui l’est ?). Pourtant, la population qui baigne dans les médias socialisés est indéniablement significative. Le nombre de personnes qui créent gratuitement, partagent gratuitement et utilisent gratuitement, qui sont membres de fermes logicielles collectives, qui travaillent sur des projets nécessitant des décisions collectives, ou qui expérimentent les bénéfices du socialisme décentralisé, ce nombre a atteint des millions et progresse en permanence. Des révolutions sont nées avec bien moins que cela.

On pourrait s’attendre à de la démagogie de la part de ceux qui construisent une alternative au capitalisme et au corporatisme. Mais les développeurs qui conçoivent des outils de partage ne se voient pas eux-mêmes comme des révolutionnaires. On n’est pas en train d’organiser de nouveaux partis politiques dans les salles de réunions, du moins pas aux États-Unis (en Suède, le Parti Pirate s’est formé sur une plateforme de partage, et il a remporté un piètre 0,63% des votes aux élections nationales de 2006).

En fait, les leaders du nouveau socialisme sont extrêmement pragmatiques. Une étude a été menée auprès de deux mille sept cent quatre-vingt-quatre développeurs Open Source afin d’analyser leurs motivations. La plus commune d’entre elles est « apprendre et développer de nouvelles compétences ». C’est une approche pratique. La vision académique de cette motivation pourrait être : « si je bosse sur du code libre, c’est surtout pour améliorer le logiciel ». En gros, la politique pour la politique n’est pas assez tangible.

Même ceux qui restent et ne participent pas au mouvement pourraient ne pas être politiquement insensibles à la marée montante du partage, de la coopération, de la collaboration et du collectivisme. Pour la première fois depuis des années, des pontes de la télévision et des grands magazines nationaux osent prononcer le mot tabou « socialisme », désormais reconnu comme une force qui compte dans la politique des États-Unis. À l’évidence, la tendance à la nationalisation de grosses portions de l’industrie, à l’établissement d’un système de santé public et à la création d’emplois avec l’argent du contribuable n’est pas dû en totalité au techno-socialisme. Ainsi les dernières élections ont démontré le pouvoir d’une base décentralisée et active sur le Web, dont le cœur bat au rythme de la collaboration numérique. Plus nous tirons les bénéfices d’une telle collaboration, plus nous nous ouvrons la porte à un avenir d’institutions socialistes au gouvernement. Le système coercitif et totalitaire de la Corée du Nord n’est plus, le futur est un modèle hybride qui s’inspire de Wikipédia et du socialisme modéré de la Suède.

Jusqu’où ce mouvement nous rapprochera-t-il d’une société non capitaliste, Open Source, à la productivité collaborative ? Chaque fois cette question apparue, la réponse a été : plus près que nous le pensons. Prenons Craigslist, par exemple. Ce ne sont que des petites annonces classées, n’est-ce pas ? Pourtant, ce site a démultiplié l’efficacité d’une sorte de troc communautaire pour toucher un public régional, puis l’a amélioré en intégrant des images et des mises à jour en temps réel, jusqu’à devenir soudain un trésor national. Fonctionnant sans financement ni contrôle public, connectant les citoyens entre eux sans intermédiaire, cette place de marché essentiellement gratuite produit du bien et du lien social avec une efficacité qui laisserait pantois n’importe quel gouvernement ou organisation traditionnelle. Bien sûr, elle ébranle le modèle économique des journaux, mais en même temps il devient indiscutable que le modèle de partage est une alternative viable aux entreprises à la recherche permanente de profits et aux institutions civiques financées par les impôts.

Qui aurait cru que des paysans précaires pourraient obtenir et rembourser des prêts de cent dollars accordés par de parfaits étrangers vivant à l’autre bout du monde ? C’est ce que réussit Kiva en fournissant des prêts de pair-à-pair. Tous les experts de santé publique ont déclaré sous le sceau de la confidentialité que le partage, ça convenait pour les photos, mais que personne ne partagerait son dossier médical. Pourtant, PatientsLikeMe, où les patients mettent en commun les résultats de leurs traitements pour échanger et mieux prendre soin d’eux-mêmes, a montré que l’action collective peut contredire les médecins et leurs craintes concernant la confidentialité.

L’habitude de plus en plus répandue qui consiste à partager ce que vous pensez (Twitter), ce que vous lisez (StumbleUpon), ce que vous gagnez (Wesabe), bref tout et n’importe quoi (le Web) est en train de prendre une place essentielle dans notre culture. En faire de même en créant des encyclopédies, des agences de presse, des archives vidéo, des forges logicielles, de façon collaborative, dans des groupes rassemblant des contributeurs du monde entier sans distinction de classe sociale, voilà ce qui fait du socialisme politique la prochaine étape logique.

Un phénomène similaire s’est produit avec les marchés libres du siècle dernier. Chaque jour, quelqu’un demandait : « Y a-t-il quelque chose que les marchés ne peuvent pas faire ? ». Et on établissait ainsi une liste de problèmes qui semblaient nécessiter une planification rationnelle ou un mode de gouvernance paternaliste en leur appliquant une logique de place de marché. Dans la plupart des cas, c’était la solution du marché qui fonctionnait le mieux, et de loin. Les gains de prospérité des décennies récentes ont été obtenus en appliquant les recettes du marché aux problèmes sociaux.

Nous essayons aujourd’hui d’en faire de même avec la technologie sociale collaborative, en appliquant le socialisme numérique à une liste de souhaits toujours plus grande (jusqu’aux problèmes que le marché libre n’a su résoudre) pour voir si cela fonctionne. Pour l’instant, les résultats ont été impressionnants. Partout, la puissance du partage, de la coopération, de la collaboration, de l’ouverture, de la transparence et de la gratuité s’est montrée plus pragmatique que nous autres capitalistes le pensions possible. À chaque nouvelle tentative, nous découvrons que le pouvoir du nouveau socialisme est plus grand que nous ne l’imaginions.

Nous sous-estimons la capacité de nos outils à remodeler nos esprits. Croyions-nous réellement que nous pourrions construire de manière collaborative et habiter des mondes virtuels à longueur de temps sans que notre perception de la réalité en soit affectée ? La force du socialisme en ligne s’accroît. Son dynamisme s’étend au-delà des électrons, peut-être même jusqu’aux élections.




Firefox 3.5 en vidéo 3 minutes chrono

Ce n’est pas peu dire qu’on attend avec impatience la sortie officielle (et désormais imminente) de la première version stable 3.5 du célèbre navigateur qui a changé la face du Web !

Vous voulez savoir pourquoi ? Alors jetez un coup d’œil sur cette vidéo présentée par Mike Beltzner, le boss du développement Firefox chez Mozilla.

Cela dure moins de trois minutes, mais c’est normal puisqu’on vous dit que cette version est rapide, rapide…

Un sous-titrage collectif de toute l’équipe Framalang qui souhaitait marquer le coup et participer elle aussi à l’évènement 😉

What’s new in Firefox 3.5 ?

URL d’origine de la vidéo

—> La vidéo au format webm




Difficile de supporter Microsoft quand il supporte ainsi l’ODF

Ndanger - CC by-saLa lecture régulière du Framablog nous apprend, si ce n’est à nous méfier, en tout cas à être très prudent face aux effets d’annonce de Microsoft. Et pourtant, en avril dernier, un brin naïf je titrais : Le jour où la suite bureautique MS Office devint fréquentable ? en évoquant le support imminent du format ouvert OpenDocument (ou ODF) dans le tout nouveau service pack 2 de la version 2007 de la célèbre suite propriétaire de la firme de Redmond.

A posteriori je me rends compte qu’il aurait peut-être mieux valu attendre les tests techniques avant de témoigner d’un quelconque enthousiasme. Ce que n’ont pas manqué de pointer certains commentateurs lucides[1] du billet en question.

Or justement les premiers tests poussés ont été effectués. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne sont pas bons. C’est ce que nous expose l’ODF Alliance dans un article traduit ci-dessous pas nos soins.

Dit autrement sur un mode plus familier, Microsoft s’est légèrement foutu de notre gueule. Sauf qu’on n’est pas là pour rigoler parce que les enjeux sont très importants. En effet Microsoft possède aussi son format bureautique, l’Office Open XML (ou OOXML), qu’elle tente par tous les moyens d’imposer, avec la complicité de l’ISO.

Que dans ce contexte le gouvernement, en publiant (enfin) récemment une nouvelle version de travail du Référentiel Général d’Interopérabilité (RGI), n’ait rien trouvé de mieux à faire que de… ne pas choisir et donc légitimer de fait le format OOXML, est un véritable camouflet infligé à ceux qui se battent pour dénoncer de tels agissements. Merci à l’April de « dénoncer une capitulation du gouvernement français qui soigne le marché de Microsoft au détriment de l’objectif d’interopérabilité » (même si à titre personnel je souhaite qu’on aille plus loin que la mise en ligne d’un simple communiqué).

Loin de l’opinion (qu’on a déjà eu du mal à intéresser à l’Hadopi), la guerre des formats bureautiques entre l’ODF et l’OOXML se poursuit. On se croirait dans le film Le bon, la brute et le truand, Microsoft jouant à la fois le rôle de la brute et du truand.

Le support du format ODF par Microsoft laisse à désirer

Microsoft’s ODF Support Falls Short

Communiqué de presse (Marino Marcich et Beth Dozier) – 19 mai 2009 – ODF Alliance
(Traduction Framalang : Yonnel et Daria)

Les conclusions de l’ODF Alliance montrent qu’on est encore loin d’une réelle interopérabilité.

En ce jour, l’OpenDocument Format (ODF) Alliance signale que de sérieuses carences dans le support d’ODF par Microsoft doivent être corrigées pour assurer une meilleure interopérabilité avec les autres logiciels qui supportent ODF.

« Le support d’ODF représente un test important, sur le long terme, de l’engagement de Microsoft pour une réelle interopérabilité », a déclaré le directeur général de l’ODF Alliance, Marino Marcich. « Malheureusement, de graves défauts ont été identifiés dans le support ODF de Microsoft. Le fait de mettre potentiellement en circulation des millions de fichiers ODF non-interopérables et incompatibles avec le support ODF que garantissent d’autres éditeurs ne peut que mener à la décomposition du standard. »

Le 28 avril 2009, Microsoft a publié le Service Pack 2 pour Office 2007, qui donne aux utilisateurs la possibilité d’ouvrir et de sauvegarder des fichiers ODF. Pourtant, un premier test du support d’ODF dans Office 2007 (voir l’analyse) a révélé de graves défauts qui, sans correction, iraient à l’encontre de l’interopérabilité basée sur les standards ouverts que le marché, et en particulier les gouvernements, exige.

« Un bon nombre de tests d’interopérabilité de base entre Microsoft Office 2007 et diverses suites logicielles compatibles avec ODF ont révélé que le niveau d’interopérabilité est bien loin des exigences gouvernementales partout dans le monde », a ajouté Marcich. « Par exemple, même les fonctions de tableur les plus basiques, comme l’ajout des nombres de deux cellules, étaient simplement supprimées dans un fichier ODF qu’on a ouvert et re-sauvegardé dans Microsoft Office 2007. Un document créé dans une autre application supportant l’ODF, puis re-sauvegardé dans Microsoft Office 2007, a un rendu différent (disparition de puces, numéros de page, tableaux et autres objets, polices altérées), compliquant sérieusement la collaboration avec Office 2007 sur un fichier ODF. On a même découvert que certains plugins créés par d’autres que Microsoft offraient un meilleur support ODF que le récent Microsoft Office 2007 SP2. C’est tout sauf un moyen d’arriver à l’interopérabilité demandée par le marché autour de ce format. »

« Les historiques de modifications sont essentiels pour le travail collaboratif, et les formules sont l’essence des feuilles de calcul. L’échec de Microsoft de supporter l’un comme l’autre dans le SP2 est révélateur de sa volonté concrète d’arriver à une réelle interopérabilité », a poursuivi Marcich. « Compte tenu des lacunes dans le support de l’ODF, il faut que les gouvernements continuent d’exiger que Microsoft implémente le support pour une bonne utilisation avec les logiciels d’autres éditeurs. »

Malgré ces problèmes, Marcich a noté l’intérêt croissant pour l’ODF. « Le fait que Microsoft se soucie fortement désormais du support de l’ODF suggère que le débat public autour des formats de documents n’est pas prêt de se terminer », a conclu Marcich. « Ce qui est clair, c’est que l’époque où les informations publiques étaient emmurées dans un format fermé, imposant l’achat d’un logiciel particulier, est en train de toucher à sa fin, en grande partie grâce au courage et à la vision de gouvernements à la pointe dans le soutien de l’ODF, qui ont bien voulu prendre position sur ce problème important de politique publique. »

À propos de l’ODF Alliance : L’OpenDocument Format Alliance est une organisation de gouvernements, d’institutions universitaires, d’ONG et d’entreprises qui a pour but d’informer les responsables politiques, les responsables informatiques et le public sur les bénéfices et les opportunités offerts par le format ODF.

MS Office 2007 Service Pack 2 avec support ODF : comment est-ce que cela fonctionne ?

Résumé des premiers résultats de tests sur le support ODF de Microsoft

Le support de Microsoft pour le format OpenDocument (ODF) représente un test important, et sur le long terme, de son engagement à aller vers une réelle interopérabilité. Avec le SP2, Microsoft devient instantanément la suite bureautique ODF avec la plus grande part de marché. Toutefois, le fait de mettre en circulation des millions de fichiers ODF non-interopérables et incompatibles avec le support ODF que garantissent d’autres éditeurs ne peut que mener à la décomposition du standard. Dans les faits, cela mettrait fin à l’interopérabilité basée sur les standards ouverts en bureautique.

Vous trouverez ci-dessous un résumé des principaux défauts du support ODF de Microsoft, identifiés après les premiers tests. Sans corrections, c’est la divergence qui prédominera, au lieu d’une convergence autour d’un format d’échange ouvert et éditable, que le marché, y compris et surtout les gouvernements, réclame. Pour être constructif, nous avons fait plusieurs recommandations pour que Microsoft puisse enfin réellement honorer son engagement de support interopérable pour l’ODF.

Interopérabilité pour le tableur ODF

Lors de la lecture d’une feuille de calcul ODF, MS Office Excel 2007 efface les formules, ce qui casse l’interopérabilité avec tous les autres tableurs qui supportent l’ODF. Adapté pour la lecture, le support Microsoft pour le travail collaboratif sur les feuilles de calcul ODF est comme inexistant dans la pratique.

Une feuille de calcul de test créée dans Google Docs, KSpread, Symphony, OpenOffice, et le plugin Sun 3.0 pour MS Office, par exemple, n’est pas correctement interprétée par MS Excel 2007. La raison en est que les formules utilisées pour faire des calculs dans un tableur (par exemple ajouter des nombres dans plusieurs cellules d’une colonne) sont tout simplement effacées dans MS Excel 2007. Au lieu d’effectuer les opérations, ce qui reste lors du chargement de la feuille de calcul dans MS Excel 2007 est la dernière valeur de la cellule de la dernière sauvegarde.

La même feuille de calcul de test, ouverte puis enregistrée dans toutes les applications, à part MS Excel 2007 (par exemple entre KSpread et Google Docs), est correctement interprétée. La plupart des autres tableurs ODF sont parfaitement capables d’interopérer. La bonne approche pour Microsoft aurait été de faire de même, pour assurer aux utilisateurs de MS Office la possibilité de partager des feuilles de calcul avec d’autres suites bureautiques supportant ODF.

Les plugins ODF pour Microsoft Office édités par des tierces parties se sont révélées proposer un meilleur support ODF que le récent Microsoft Office 2007 SP2. MS Excel 2007 traite bien les feuilles de calcul ODF lorsqu’elles sont chargées par l’intermédiaire du plugin Sun 3.0 pour MS Office ou du « OpenXML/ODF Translator Add-in for Office », mais ce n’est pas le cas lorsque l’on utilise le support intégré d’Office 2007 SP2.

Bien que les formules de calcul pour ODF 1.0/1.1 (la version supportée par Office 2007, selon Microsoft) sont spécifiques à chaque implémentation, elles ont pourtant convergé vers des formules de calcul de plus en plus interopérables. Microsoft a participé au vote à l’OASIS à l’époque de l’approbation d’ODF 1.0/1.1. ODF 1.2, qui devrait bientôt passer au vote pour approbation comme un standard OASIS, définira les formules de calcul à l’aide d’OpenFormula.

En fait, les feuilles de calcul créées dans Excel 2007 SP2 ne sont pas conformes à ODF 1.1, car Excel 2007 encode mal les formules avec des numéros de cellules. Selon la section 8.3.1 de l’ODF 1.1, les adresses de cellules dans les formules doivent commencer par un crochet ouvert et se terminent par un crochet fermé. Dans Excel 2007, les adresses de cellules ne sont pas comprises entre ces crochets obligatoires, ce qui pourrait pourtant être facilement corrigé.

Pour de plus amples lectures, voir Mise à jour de l’interopérabilité des feuilles de calcul ODF, par Rob Weir/IBM, sur , et À propos du fiasco du support ODF de Microsoft, par Ditesh Gathani.

Cryptage

Microsoft Office 2007 ne supporte pas le cryptage (protection par un mot de passe) dans les fichiers ODF.

Un utilisateur de MS Office 2007 connaissant le mot de passe ne peut pas ouvrir un document protégé par un mot de passe, créé dans n’importe quelle autre suite majeure supportant ODF.

La protection par mot de passe est une fonctionnalité interopérable, supportée par et entre les autres suites majeures supportant ODF, dont KOffice, Open Office et Lotus Symphony.

Dans l’autre direction, les fichiers ODF créés dans MS Office 2007 ne peuvent pas être protégés par un mot de passe. Les utilisateurs de MS Office 2007 ont un message d’avertissement, « Vous ne pouvez pas utiliser la protection par mot de passe avec le format ODF. »

Le cryptage et la protection par mot de passe sont pourtant pleinement spécifiés dans ODF 1.0/1.1 (item 17.3 de la spécification). Il en résulte qu’une mauvaise définition de cette fonctionnalité dans ODF ne peut pas être invoquée comme une explication plausible. Microsoft devrait implémenter immédiatement le support du cryptage. ODF 1.2 apportera le support des signatures numériques. Microsoft devrait ajouter le support des signatures numériques dès que ODF 1.2 sera approuvé.

Pour de plus amples lectures, voir Maintenant Microsoft essaie de fragmenter ODF, par Jomar Silva/ODF Alliance.

Historique de modifications

Microsoft Office 2007 ne supporte pas l’historique de modifications dans ODF.

L’historique de modifications est essentiel au travail collaboratif. Le fait de ne pas supporter cette fonctionnalité empêche une vraie collaboration sur un fichier ODF entre utilisateurs de MS Office 2007 et des autres logiciels compatibles ODF qui eux supportent bien cette fonctionnalité (OpenOffice.org, StarOffice, Lotus Symphony et Google Docs, entre autres).

L’historique de modifications est spécifié dans ODF 1.0/1.1, donc là encore l’absence de définition de cette fonctionnalité dans ODF ne peut pas être invoquée comme une explication plausible. Microsoft devrait implémenter le support interopérable de l’historique de modifications immédiatement.

Le support d’ODF uniquement dans MS Office version 2007

MS n’a pas implémenté le support natif pour ODF dans Office 2003 ou ses prédécesseurs.

La grande majorité des utilisateurs de Microsoft Office, dont la plupart des gouvernements, utilisent actuellement encore Office 2003 ou ses prédécesseurs.

Pour bénéficier du support natif d’ODF, les utilisateurs gouvernementaux de MS Office seront obligés de passer à MS Office 2007.

Pour les utilisateurs d’Office 2003 et ses prédécesseurs, Microsoft a promis de continuer à supporter le « OpenXML/ODF Translator Add-in for Microsoft Office », et le plugin Sun 3.0 est également disponible pour les utilisateurs de MS Office. Alors que ces plugins égalent ou dépassent les performances du support de MS Office 2007 SP2, ils ne peuvent pas se substituer sur le long terme à un support complet, natif, et interopérable.

L’engagement de supporter les futures versions d’ODF

L’annonce de Microsoft concernant la sortie du Service Pack 2 ne contient aucune promesse de mise à jour du support d’ODF dans les prochaines versions.

Microsoft traîne les pieds depuis plus de 3 ans (ODF 1.0 a été approuvé comme standard OASIS en mai 2005, et comme standard ISO en mai 2006 ; ODF 1.1 par l’OASIS en février 2007), malgré les appels répétés de gouvernements partout en Europe et ailleurs pour l’implémentation du support d’ODF.

L’implémentation de versions incompatibles et de bas niveau des standards ouverts empêchera l’interopérabilité en bureautique, surtout si l’on prend en compte la base potentiellement importante d’utilisateurs d’ODF.

Microsoft est bien connu pour ses implémentation de bas niveau de standards ouverts. Comme par exemple Java dans Internet Explorer, où Microsoft a pré-installé une version incompatible avec des extensions propriétaires, pour ensuite ne plus s’en occuper en ne la mettant pas à jour au fur et à mesure de l’évolution de la technologie Java.

ODF 1.2, qui inclut le support des formules de calcul, des métadonnées et de la signature numérique, sera bientôt examiné pour devenir un standard OASIS, et est consultable par tous sur le site web de l’OASIS OpenDocument Technical Committee (auquel Microsoft participe).

Microsoft et d’autres éditeurs supportant ODF devraient s’engager publiquement à mettre à jour leur implémentation en suivant la dernière version d’ODF. Une nouvelle version d’ODF devrait être obligatoirement supportée dans n’importe quelle version (ou Service Pack) de MS Office parue après la sortie d’une nouvelle version d’un standard ODF.

Notes

[1] Crédit photo : Ndanger (Creative Commons By-Sa)




Des citoyens plus libres dans l’État de New York

Aku Busy - CC byLe Sénat de l’État de New York vient d’afficher sa volonté d’ouverture en créant un espace dédié (dont nous avons traduit la page d’accueil ci-dessous) où il annonce son intention de proposer à ses administrés des « Free and Open-Source Software & Services ».

Ce billet est à rapprocher de S’il te plaît… dessine-moi une ville libre qui concernait la ville de Vancouver, ainsi que du plan d’action britannique en faveur de l’Open Source. Sans oublier bien sûr l’article New York : déduction d’impôts pour les développeurs Open Source ?[1] qui témoigne du réel intérêt porté par cet état américain vis-à-vis du logiciel libre.

Formats ouverts, accès aux données et logiciels maisons mis à disposition sous licence libre, cela semble n’être que du bon sens lorsqu’il s’agit de politique et de deniers publics. Cela ne va pourtant pas encore de soi, parce que nous héritons le plus souvent d’une situation antérieure baignant consciemment ou non dans une « culture propriétaire ».

Ce n’est pas la France qui nous contredira, dont la nouvelle version de travail du Référentiel Général d’Interopérabilité (RGI) constitue plus qu’une déception en la matière.

Le Sénat de l’État de New York en route vers l’Open Source

Free and Open-Source Software & Services

New York State Senate – juin 2009 – Licence Creative Commons By-Nc-Nd
(Traduction non officielle Framalang : Poupoul2 et Tyah)

Bienvenue au Sénat ouvert de New York

Afin de poursuivre son engagement de transparence et d’ouverture, le Sénat de l’État de New York s’engage dans un programme de pointe afin non seulement de libérer les données, mais également d’aider les citoyens et de donner un exemple de restitution à la communauté. Sous ce programme et pour la toute première fois, le Sénat de New York donnera aux développeurs et aux autres utilisateurs un accès direct à ses données grâce à des API et publiera ses propres logiciels. En plaçant dans le domaine public les données et développements technologiques créés par le Sénat, le Sénat de New York espère animer, renforcer et engager les citoyens dans la création politique et le dialogue.

Ce que vous trouverez ici :

  • Des interfaces de programmation (API) pour construire vos propres applications et services
  • Des widgets interactifs pour faciliter le partage sur vos sites, profils ou blogs
  • Des logiciels originaux tels que des modules Drupal et des librairies Java
  • Des ensembles de données dans des formats variés, accompagnés de langages simples et d’explications graphiques sur des documents importants et des définitions
  • Les règles légales et les licences adoptées par le Sénat garantissant que ces informations et ces outils peuvent être librement utilisés

Merci d’utiliser les données et outils offerts ici, de les mixer, de les améliorer, et de les re-distribuer pour aider le Sénat à former et impliquer les citoyens de New York.

API

Le Sénat de New York a créé une API développeur afin d’aider les organisations et les particuliers à compiler les données du Sénat tel qu’ils le souhaitent. L’objectif principal était de proposer les enregistrements du LRS (NdT : Legislative Retrieval System, base de données de suivi des décisions législatives, de la proposition jusqu’au vote) dans un format ouvert. Ces donnés peuvent alors être interrogées au travers d’une simple API afin de produire des résultats dans de nombreux formats ou standards, XML (RSS, Atom, schémas personnalisés), JSON, CSV, HTML (widgets).

Widgets embarqués

Les widgets sont un moyen agréable et simple de diffuser des informations importantes auprès du public. Merci de consulter notre bibliothèque de widgets et servez-vous dans les outils qui amélioreront l’expérience de vos utilisateurs et des nôtres, sur l’ensemble du Web. Si vous avez votre propre widgets utilisant notre API ou nos données, contactez-nous et nous pourrions le présenter ici.

Logiciels originaux

En tant qu’utilisateur de logiciel Open Source, le Sénat de New York souhaite restituer à la communauté qui lui a tant donné, y compris ce site Web. Afin de satisfaire ses besoins, le Sénat crée en permanence du nouveau code et corrige des dysfonctionnements existants. Non seulement le Sénat reconnaît qu’il a une responsabilité de restitution à la communauté Open Source, mais les développements publics, réalisés avec de l’argent public devraient être publics.

Vous pouvez trouver tout le code source du Sénat de New York publié sur Github à http://github.com/nysenatecio.

Ensembles de données

La page Open Data (NdT : Données ouvertes) du Sénat de New York est le dépôt officiel de toutes les données gouvernementales. Vous pourrez ici naviguer au travers des données produites et étudiées par le Sénat dans leur forme originale ainsi que d’autres types de fichiers variés créés pour votre confort, y compris : des feuilles de calcul Excel, des fichiers CSV, texte ou PDF (liste non exhaustive). Afin de compléter les données source qu’il rend publiques, le Sénat a également créé l’Initiative Langage Simple (NdT : Plain Language Initiative) conçue afin de permettre d’expliquer les jeux de données complexes et les mentions légales en langage simple.

Logiciels Open Source et licences de logiciels

Afin de rendre public au maximum les informations et les logiciels du Sénat, Il a été adopté un système unique de double licence : la GNU General Public License ainsi que la BSD License. Ce système a pour objectif de garantir que les licences publiques sont utilisées dans chaque cas particulier tels que :

  1. Chaque logiciel publié et contenant des composants initialement sous licence GPL doit être publié conformément aux termes de la licence GPL V3.
  2. Chaque logiciel créé indépendamment par le Sénat sans licence initiale sur aucun de ses composants sera publié sous double licence et prendre l’une de ces formes : (a) licence BSD, ou (b) licence GPL. L’utilisateur final d’un tel logiciel choisira la licence qui aura le plus de sens pour son projet.
  3. Concernant les logiciels contenant des mentions légales autres que la GPL, le CIO (NdT : Chief Information Officer, responsable des technologies de l’information et de la communication) décidera du mode de publication de tels logiciels.

Notes

[1] Crédit photo : Aku Busy (Creative Commons By)




Google Wave : une bonne nouvelle pour le logiciel libre ?

Rappensuncle - CC by-sa« Google Wave, c’est ce que pourrait être le mail si on devait l’inventer aujourd’hui » s’exclame le grand Tim O’Reilly, se mettant ainsi au diapason de cette autre citation, « Wave va rendre caducs tous les outils actuels de communication », entendue au moment même de la présentation de ce nouveau projet, il y a quinze jours de cela.

Le dévoilement de Wave a d’abord valu à Google une standing ovation au sortir de la conférence inaugurale. Puis, dans la foulée, des articles souvent dithyrambiques sont apparus sur la Toile. C’est donc clairement la sensation du moment, avant même que le moindre utilisateur ait pu tester quoi que ce soit. Une nouvelle vague (wave en anglais) va-t-elle déferler sur le Web ?

Si vous voulez en savoir plus quant à son approche originale et à ses fonctionnalités, je vous invite à lire theClimber, TechCrunch ou Transnets. Outre tout ce qu’il nous propose de faire, retenons qu’on a besoin du HTML 5 et surtout que le protocole sera Open Source, basé sur XMPP (Jabber), avec un serveur qui sera libre et qu’on pourra installer chez soi (cf Minitel 2.0).

Cet aspect libre (ou prétendu tel) est très important et n’a pas forcément été mis en avant par la blogosphère (sauf l’inévitable journal LinuxFr). Pour marquer le coup et nous interroger ensemble sur l’impact potentiel d’une telle nouveauté sur le logiciel libre, nous avons choisi de traduire un article enthousiaste (peut-être trop ?) issu de la revue Free Software Magazine.

Cet article envisage Google Wave sous l’angle de ce qu’il pourrait apporter à une communauté agrégée autour d’un logiciel libre. Jusqu’à se demander si Wave ne va pas se substituer aux bons vieux outils que sont les logiciels de gestion de versions (CVS, etc.), les wikis, et autres listes de discussion. Ce qui, au sein des développeurs, serait effectivement une petite révolution dans la manière de travailler et de communiquer.

Mais il n’entre pas dans le détail des licences, dans l’évalutation du degré réel ou supposé de l’ouverture annoncée par Google (à sa décharge, on ne dispose à l’heure actuelle que le peu d’informations qu’a bien voulu nous donner la société). Et surtout il oublie d’évoquer une, pour ne pas dire la, question majeure que l’on résume souvent dans la formule « Google everywhere ». Ok pour la possibilité d’avoir son petit serveur à domicile mais dans la pratique la grande majorité se connectera à n’en pas douter chez Google. Du Google partout, tout le temps, qui va finir par devenir problématique (si ça ne l’est pas déjà !). On peut, par exemple, compter sur Google pour nous proposer son navigateur Chrome configuré aux petits oignons pour Google Wave, si vous voyez ce que je veux dire.

Aussi puissant, séduisant et ouvert (protocole, API…) soit Google Wave, le logiciel libre a-t-il intérêt à surfer tête baissée sur cette vague[1], ou bien laisser couler et continuer tranquillement dans son coin à ériger sa petite berge qui deviendra un jour si haute que pas même un tsunami ne pourra l’emporter ?

Google Wave va-t-il révolutionner la collaboration dans le logiciel libre ?

Will Google Wave revolutionise free software collaboration?

Ryan Cartwright – 15 juin 2009 – Free Software Magazine
(Traduction Framalang : Poupoul2, Daria et Tyah)

Si vous n’en avez pas encore entendu parler, Google a publié une version de développement de Wave, son nouvel outil de réseau social et collaboratif. Quel impact cela peut-il avoir sur les utilisateurs et les développeurs de logiciel libre ?

Wave est ce que Google appelle un « nouvel outil de communication et de collaboration sur le Web ». Voyez-le comme un carrefour entre le courriel, le réseau social, la messagerie instantanée, l’IRC et Twitter. Wave apporte (ou plus exactement apportera) non seulement de nouveaux moyens de communication, mais offre également un retour instantané aux autres participants. En utilisant la base d’une vague comme une conversation, il permet aux destinataires de vos conversations de voir ce que vous écrivez en temps réel, au moment où vous l’écrivez. Plus besoin d’attendre que votre contact de messagerie instantanée termine son message. Wave offre également aux participants, dans le même outil, des messages de type panneau d’affichage, afin de savoir à quel moment ils se reconnectent. Il propose des fonctionnalités sympathiques qui permettent contextuellement de répondre à différentes parties d’un message. De nouveaux participants peuvent entrer à n’importe quel moment, tout en bénéficiant à la fois de l’historique complet de la vague, mais aussi en ayant la possibilité de « rejouer la vague » telle qu’elle s’est formée, en voyant qui a écrit quoi et dans l’ordre chronologique.

Ouais, ouais, encore un outil de réseautage social… allez, circulez !

Aussi intéressant, ou pas, que cela puisse paraître, quel impact cela aura-t-il pour nous, utilisateurs de logiciels libres et plus particulièrement développeurs ? Et bien, tout d’abord, Wave est développé grâce à un nouveau protocole ouvert et Google souhaite que nous l’aidions à le développer. Ce protocole est disponible sous les termes ouverts d’une licence que Google considère « libérale » (Un oxymore peut-être ?). En plaçant un protocole ouvert derrière cette technologie, Google nous invite activement à contribuer, distribuer et propager cette technologie. Cela signifie que nous, utilisateurs de logiciels libres, pouvons créer des outils libres qui utilisent le protocole Wave. Un protocole ouvert est assurément une bonne chose dans ce contexte : Pas d’accord de confidentialité, pas de royalties liées à des licences telles que pour les formats GIF ou MP3. Google nous demande également que nous aidions à donner forme au protocole. Les contributions sont réalisées sous un contrat de licence contributeur, qui insiste sur le fait que vous donnez à Google, le droit de « reproduire, construire des travaux dérivés, publier, exécuter en public, sous-licencier et distribuer vos contributions et les travaux dérivés associés ». Google semble être parti sur la bonne voie. Le temps nous en dira bien sûr plus, mais nous ne devrions pas être trop sceptique, c’est une opportunité réelle. Là où Android est un système ouvert sur un matériel fermé, en devenant ainsi de fait semi-fermé, nous avons une chance de développer Wave avec une foule d’outils libres et ouverts basés sur l’API et le protocole de Wave.

Google a livré quelques informations sur le fait de conserver le code source ouvert. Mais jusqu’à présent, ils n’ont publié aucun code source (à l’exception peut-être pour la version développeur, dont je ne fais pas partie), Cependant, même s’ils conservent les sources de l’API fermées, disposer d’un protocole ouvert (et d’une licence libérale) signifie que nous pouvons créer des outils qui utiliseront ce protocole et que ceux qui utiliseront les outils de Google pourront collaborer avec ces outils libres, du moins en théorie.

Mais qu’est-ce que cela peut nous apporter ?

Pensez à la manière de développer du logiciel libre. Peut-être plus que n’importe quel autre type de produits, le logiciel libre a besoin d’un effort collaboratif intense de la part de ses créateurs. Grâce à SVN, Sourceforge et consorts, nous avons des moyens de partager du code source et nous possédons des outils de communication durant le cycle de développement : wiki, panneaux d’affichage, liste de dicusssions, etc. Imaginez que vous disposez d’une « vague » pour les développeurs d’un projet logiciel. Chaque contributeur, en temps réel s’il le souhaite, dispose d’une conversation sans peur de perdre le fil dans de multiples embranchements. Les nouveaux membres peuvent rejouer la discussion pour comprendre l’état présent. Des fragments de code pourraient être placés à l’intérieur de la conversation et édités en temps réel par les autres membres. Et tout cela se déroule dans un des outils les plus communs, le navigateur. Les rassemblements de développeurs pourraient inclure ceux qui ne peuvent participer physiquement grâce à l’utilisation d’une vague. Les meilleurs esprits ne seront plus exclus parce qu’ils n’ont pu réserver une place dans l’avion[2].

Si cela semble excitant, c’est parce que je m’exalte. Google Wave a le potentiel pour aller bien au-delà du simple buzz pour foules numériques. Wave a la possibilité de réellement faire du bruit et de représenter un grand pas dans la manière dont nous développons du logiciel libre. Évidemment, il m’est venu à l’esprit que les développeurs de logiciels propriétaires pourraient utiliser le même système pour produire leurs logiciels, mais soyons honnêtes : qui de deux est le plus habitué à la collaboration (en réalité, en dépend même) ?

J’ai entendu certaines personnes dire que Google Wave pourrait dépasser Twitter et Facebook d’ici 2011. Je n’en sais rien, et même peu m’importe, mais je crois que Wave peut avoir un impact aussi fort sur le développement de logiciel libre que CVS ou les wikis.

Notes

[1] Crédit photo : Rappensuncle (Creative Commons By-Sa)

[2] Non pas que j’ai entendu que cela arrive, je conjecture juste.