Largage de liens en vrac #13

Tony the Misfit - CC byUne nouvelle version de nos liens logiciels en vrac d’assez bonne facture ma foi.

Comme pour les éditions précédentes, vous êtes cordialement invité à nous en dire plus dans les commentaires si vous connaissez ou avez testé les logiciels en question[1].

  • Cofundos : Ce n’est pas un logiciel mais un nouveau service web que l’on pourrait définir comme une sorte de place de marché pour les projets de logiciels libres. Structuré en réseau social, il aide à développer de nouvelles idées en regroupant ceux qui en ont besoin avec les développeurs qui sont prêts à les réaliser, moyennant finances (ou non).
  • Mediafox : Lu sur Lifehacker, Mediafox est une assez impressionnante version customisée de Firefox (thème + de nombreuses extensions) portable dédiée au multimédia. C’est aussi une belle démonstration de ce qu’il est possible de faire avec Firefox et ses extensions. Uniquement pour Windows (et en anglais).
  • PhoneGap : Un prometteur environnement JavaScript pour votre téléphone (Android, iPhone, Blackberry) limité pour le moment à quelques fonctionnalités (géolocalisation, vibreur…) pour développer dans le futurs de jolies WebApps.
  • Zekr : Une application Java multilangues destinée à l’étude du Coran.
  • Un livre blanc sur les CMS : Rédigé par Smile, un livre blanc sur les CMS Open Source : Spip, Joomla, Typo3, Drupal, etc. Utile pour faire le bon choix au lancement d’un projet Web (dommage que la licence soit un full copyright).
  • Songbird 1.1 : Nouvelle version majeure pour ce concurrent libre d’iTunes qui a le vent en poupe.
  • Simile Widgets : En JavaScript Ajax, quatre modules pour créer de riches applications web (frise chronologique, géolocalisation, graphiques, et défilement d’images à la sauce Apple),
  • AjaXplorer : Un esthétique gestionnaire de fichiers en ligne en Ajax qui témoigne lui aussi des avancées des applications web (les photos s’affichent, le mp3 et les flv se lisent, etc.).
  • Mixwidget.org : Une vieille K7 qui lit en flash votre playlist mp3. On est loin des formats ouverts mais c’est là encore très joliment réalisé.
  • OpenWith.org : L’un des plus intéressants de la série, à ceci près que ce n’est pas du libre et que c’est que pour Windows, ce qui fait deux lourds handicaps j’en conviens ! C’est aussi bien un service web qu’une application qui associe à tout format de fichier un logiciel libre et/ou gratuit permettant de le lire. Si vous tapez DOC par exemple, le logiciel vous proposera OpenOffice.org pour le lire avec un bouton direct pour le téléchargement. Pas forcément très pertinent avec MP3 (pourquoi Picasa en premier ?) ou PDF (il manque Sumatra !) mais l’idée est plutôt bonne, surtout pour aider votre belle-mère qui vient de vous envoyer un mail vous expliquant qu’elle ne comprend pas pourquoi elle n’arrive pas ouvrir sa pièce jointe en double-cliquant dessus ! Si l’application avait été libre et multi-OS et si les choix proposés se restreignaient au logiciel libre, on aurait obtenu un super service (quand bien même, oui je sais, proposer du freeware rend service à Mme Michu).
  • Creative Commons pour MS Office : Pour ceux qui, pour x raisons, travaillent encore avec la suite bureautique Microsoft MS Office (en particulier chez mes collègues profs) je signale que le plugin permettant de placer facilement son document sous licence Creative Commons, déjà disponible pour MS Office 2003, vient de sortir pour MS Office 2007.
  • 6zap : Une application Ajax-Web très ambitieuse puisqu’elle vous propose sur une même page une messagerie, un calendrier, un gestionnaire de fichiers et de contacts. On aurait donc à faire avec une sorte de groupware capable de potentiellement concurrencer Google, rien que ça ! (la FermeDuWeb en fait un rapide survol).
  • pHash : Un système de marquage (empreinte digitale numérique) qui contrairement à la cryptographie classique se base sur le contenu même du fichier pour son algorithme. Ainsi, à ce que j’en ai compris, le même fichier un peu modifié verra son marquage un peu modifié lui aussi, permettant de retrouver et associer facilement les deux fichiers en question.
  • Shutter : Linux only, et la copie d’écran devint un jeu d’enfants.
  • Qimo 4 Kids : Une distribution Ubuntu totalement orientée enfants avec plein de petites applications dédiées pré-installées. Une fois francisée cela pourrait bien intéresser nos écoles primaires.
  • TurnKey Linux : Basé sur Ubuntu, un système silimaire à Bitnami permettant de faire tourner de manière autonome (disque dur, clé USB, live CD, virtualisation…) des applications web (Drupal, Mediwiki, Joomla…) clé en main puisqu’il embarque le trio LAMP à chaque fois avec lui (du moins je crois). Pour ce qui concerne Windows, Pierre-Yves est en train d’y travailler avec la Framakey.
  • Frescobaldi : Pour faire simple, Frescobaldi est à LilyPond ce que Kile est à LaTeX : un front end graphique pour KDE4 (source LinuxFr).
  • DeskHedron : Le fameux cube 3D de Compiz (et de GNU/Linux) plongé dans l’univers Windows. Absolument aucune idée de ce que ça vaut concrètement.
  • Mahara : Je ne connaissais pas ce gestionnaire de portfolio orienté éducation. Comme ça sans l’avoir du tout testé, je la vois comme une sorte de mix entre un ENT et un Facebook (qui s’accouple bien avec Moodle qui plus est). Entre nous soit dit, les fameux ENT dont parle depuis plusieurs années notre chère Éducation Nationale sans réussir véritablement à les déployer massivement, vous ne trouvez pas qu’ils ont pris un coup de vieux avec l’avènement des réseaux sociaux ?
  • OneSwarm : Développé par des chercheurs de l’Université de Washington, ce logiciel ne fera pas plaisir à Christine Albanel puisqu’il permet d’échanger des fichiers en P2P mais de manière beaucoup plus sécurisé puisque l’on peut restreindre les informations transmises à un cercle d’amis dûment identifiés (du coup ils appellent cela le F2F, Friend-to-Friend). On pourra lire PC Inpact pour de plus amples informations.

Notes

[1] Crédit photo : Tony the Misfit (Creative Commons By)




La gratuité c’est le vol déclare le ministre des finances

Eneas - CC byAppel d’air est un livre des éditions ActuSF (collection Les Trois Souhaits) qui regroupe une trentaine de courtes nouvelles de science-fiction interrogeant le devenir de la France au lendemain des élections présidentielles de 2007. Un fidèle lecteur m’a envoyé un message pour me suggérer de recopier celle de Roland C. Wagner. Why not, me suis-je dit plongés que nous sommes en cette obscure période Hadopi.

On est donc en pleine science-fiction (et dans le pastiche frondeur) mais est-on si loin que cela de la réalité au niveau des mentalités ? Nos sociétés, telles qu’elles sont actuellement organisées, n’ont-elles pas du mal à composer avec ces échanges non marchands souvent tirés vers le haut par l’usage des nouvelles technologies ?

Vous en trouverez la lecture publique récitée non sans verve par son auteur sur le site Dailymotion (issu du même recueil, on notera également Mentions légales de Catherine Dufour)[1].

La gratuité c’est le vol

Roland C. Wagner – avril 2007 – Appel d’Air (éditions ActuSF)

« La gratuité c’est le vol », déclare le ministre des finances.

« La loi sur la préservation de l’économie et la diminution de la dette publique est une loi juste, digne d’une grande démocratie comme la France, » appuie le président. « Il faut préserver notre industrie, notre commerce et nos services contre les ravages de la gratuité. Les revenus des auteurs et des compositeurs ne sont-ils pas en train de plonger à cause de la concurrence déloyale exercée par les artistes qui mettent leur musique en libre accès, contrairement à toutes les règles du marché ? Les ventes des quotidiens ne sont-elles pas en chute libre en raison de la multiplication des sources d’informations gratuites — et, disons-le, le plus souvent douteuses ? Nos artisans ne sont-ils pas menacés par le travail au noir non rémunéré qui se multiplie en catimini ? »

« Il devenait urgent de mettre un terme à ces abus qui mettent en péril le pays tout entier. C’est pourquoi, après avoir écouté avec attention les différents acteurs économiques, le gouvernement a décidé d’interdire toute offre de service ou de produit gratuit dès lors qu’il existe une solution payante équivalente. Par conséquent, le don, le prêt et à plus forte raison la copie des produits culturels est interdite, dans le souci de défendre les créateurs contre la véritable spoliation dont ils sont victimes chaque fois qu’une de leurs œuvres est consommée sans contrepartie financière. De même, il est désormais défendu aux associations caritatives de procurer gratuitement nourriture, vêtements ou services pour ne pas concurrencer les commerces et entreprises au bord de l’asphyxie financière. Recourir aux services de l’État sera désormais facturé à l’acte, afin de donner à chacun la possibilité du libre choix dans tous les domaines, y compris celui de la sécurité des biens et des personnes. »

« À partir du premier janvier de l’année prochaine, la vente de produits de seconde main sera interdite, afin de protéger les producteurs. Seuls les objets de collection d’une valeur supérieure à cent euros échapperont à cette règle. De fait, brocantes et vide-greniers sont appelés à disparaître en faveur de foires ne proposant que des objets neufs, dans le but de préserver les emplois de ceux qui fabriquent les objets en question. À cette même date entrera en vigueur l’article 17 de la loi qui condamnera sévèrement le travail gratuit, cette plaie de notre société. Aider quelqu’un à, par exemple, refaire le papier peint de son salon sera dés lors passible de 5 ans de prison et de 375 000 euros d’amende, sauf bien entendu à l’intérieur du cercle familial restreint tel qu’il a été défini par la loi sur la famille du mois dernier — c’est à dire limité aux personnes possédant au minimum 50 % d’ADN en commun, les individus prédisposés génétiquement à la malhonnêteté et à l’incivilité étant bien entendu exclus. »

« C’est ainsi, mes chers compatriotes, que nous sauverons la France et reviendrons à une croissance positive dès l’année prochaine. En supprimant à jamais l’illusion scandaleuse de la gratuité. »

Dépêche AFP : « Un boy-scout qui avait aidé une vieille dame à traverser la rue sans lui réclamer de chèque emploi service a été condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis et 10 000 euros d’amende par le tribunal de Nice. Le ministre de l’intérieur, qui estime la sanction bien légère, a demandé au parquet de faire appel. »

Notes

[1] Crédit photo Eneas (Creative Commons By)




Quand le logiciel libre et Wikipédia donnent de l’espoir à François Bayrou

François Bayrou n’est pas totalement inconnu sur le Framablog. Nous l’avions ainsi gentiment taquiné à propos d’un syndrome qui porte désormais son nom et que nous connaissons assez bien pour en être parfois atteints, à savoir faire la promotion du logiciel libre tout en restant sur du logiciel propriétaire, parce que pas encore le temps, parce que difficile de rompre avec ses habitudes, etc.

Mais nous l’avions surtout apprécié lors de son intervention aux RMLL 2006 de Nancy où il nous exposait sa « vision des deux mondes » (marchand vs non marchand).

Il récidive ici au cours de l’émission de France Info Parlons Net ! du 27 février dernier, en se faisant, au passage et malgré lui, le défenseur d’un Wikipédia critiqué (sans grande imagination) par les journalistes de l’assistance.

—> La vidéo au format webm

Morceaux choisis :

Pourquoi est-ce que je suis intéressé par l’univers des logiciels libres ? Pourquoi est-ce que je suis intéressé par l’univers wiki ? Parce que ce sont des modèles de société non marchands. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens qui à partir du logiciel libre ne font pas du marchand, ne créent pas des activités économiques, mais Wikipédia, pour prendre un exemple, c’est tout de même impressionnant qu’il y ait une encyclopédie de centaines de milliers de pages sur tout sujet, sans que personne n’ait été là pour des raisons marchandes.

(…)

Mais pour l’essentiel, ne prenez le petit défaut ou la petite faille, prenez le fait massif. Il y a là une encyclopédie, free, libre d’accès, à disposition de tout le monde, qui a été développée par des esprits généreux qui ont simplement voulu faire partager à d’autres ce qu’ils savaient. Vous ne trouvez pas que c’est intéressant. Vous ne trouvez pas que c’est intéressant que on ait des logiciels, des systèmes d’exploitation, qui soient constamment enrichis, bénévolement ou gratuitement. Et donc pour moi il y a là un projet de société qui est intéressant au moins à regarder et à réfléchir parce qu’il veut dire que la loi du profit ne commande pas tout. Qu’elle n’est pas totalement absente, on n’est pas naïf, bien sûr que les raisons économiques sont à prendre en compte. Mais elles ne doivent pas prendre la place de toutes les autres raisons de vivre : raison de chercher, raison d’enseigner, raison de transmettre, raison de s’élever, raison de créer, etc.

(…)

C’est important pour beaucoup de ceux qui vous écoutent sur le Net en particulier. Il y a là quelque chose qui donne de l’espoir dans la nature humaine. Alors comme tout, pas que de l’espoir. Mais il y a là quelque chose qui permet d’avoir une autre vision de l’avenir de l’humanité que cet avenir écrasé qu’on nous promet par ailleurs. Parce que si vraiment, ce que je crains, on est en train en France de mettre en place un réseau d’influence et de pouvoir sur des secteurs entiers de la société, où est la capacité de résistance ? Si vous êtes un citoyen moyen, un jeune garçon, une jeune fille ? Qu’est-ce que vous pouvez faire ? Vous défilez une fois, et après il n’y a plus de défilés comme vous le savez. Bon et bien il y a là, dans cette culture civique, quelque chose qui donne de l’espoir, qui en tout cas à moi me donne de l’espoir.

Ce n’est pas pour polémiquer mais, en ces temps troubles d’Hadopi, lorsque l’on entend ce type de discours, lorsque l’on relit le rapport Rocard commandé par Ségolène Royal, ou plus généralement lorsque l’on se remémore les réponses apportées par les candidats 2007 au questionnaire de l’April, on se dit que, dans le domaine précis qui nous préoccupe ici, on n’a pas forcément hérité du meilleur des présidents possibles…




Traduction du plan d’action britannique en faveur de l’Open Source

Paolo Camera - CC byChose promise chose due. Voici la traduction (of course non officielle) du plan d’action gouvernemental britannique du 24 février dernier dont l’objectif clairement affiché est de « passer à la vitesse supérieure » pour ce qui concerne l’usage public du logiciel Open Source.

Nous l’avions évoqué dans deux récents articles qui constituent deux regards intéressants sur l’annonce de ce plan : celui de la BBC et celui du site d’enseignants OpenSourceSchools.

Vous y trouverez bon nombre d’arguments que les défenseurs du logiciel libre portent depuis des années. Reste à voir bien sûr si ces belles déclarations d’intention seront pragmatiquement suivies d’effets. Mais quoiqu’il arrive les Anglais[1] disposent désormais d’un document de poids sur lequel s’appuyer.

Avec ce travail, nous souhaitons informer le public francophone des avancées internationales du logiciel libre mais nous souhaitons également en profiter pour interroger ce qu’il se passe également chez nous. Y a-t-il une volonté similaire en France ? Si oui, les initiatives ont-elles la même envergure et la même ambition ?

Dans la mesure où le doute subsiste, que diriez-vous si nous tentions d’apporter cette traduction sur le bureau de notre nouvelle secrétaire d’État au développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, pour lui poser directement la question ?

PS : Vous trouverez en fin d’article, pour impression ou… ré-utilisation, une version PDF (et OpenOffice.org) de la traduction.

Open Source, standards ouverts et ré-utilisation : le plan d’action du gouvernement

Open Source, Open Standards and Re-Use: Government Action Plan

Gouvernement du Royaume-Uni – 24 février 2009 – CIO.gov.UK
(Traduction Framalang : Poupoul2, Googy, Olivier et Don Rico)

Avant-propos

L’Open Source est l’un des développements majeurs de la culture informatique de ces vingt dernières années : il a démontré que des particuliers, en travaillant ensemble par le biais d’Internet, peuvent créer des produits qui rivalisent avec ceux de gigantesques entreprises, voire les dépassent ; il a également démontré que ces mêmes entreprises, mais aussi les gouvernements, peuvent devenir plus innovants, plus souples et plus efficaces dans leur gestion des coûts en tirant les fruits du travail communautaire. Grâce à cette base informatique, le mouvement Open Source a apporté ses lettres de noblesse à une nouvelle vision des droits de la propriété intellectuelle, du partage et de la disponibilité de l’information pour tout un chacun.

Depuis longtemps, ce gouvernement a pour principe, formellement exprimé pour la dernière fois en 2004, de chercher à utiliser des solutions Open Source là où elles offrent le choix le plus judicieux pour les dépenses du service public financées par le contribuable. Même si nous respectons depuis toujours l’opinion de ceux pour qui les gouvernements devraient favoriser l’Open Source par principe, notre position a toujours été que le critère principal devait être le meilleur rapport qualité-prix pour le contribuable.

Au cours des cinq dernières années, de nombreux services gouvernementaux ont démontré que l’Open Source peut s’avérer le meilleur choix pour le contribuable, dans nos services accessibles sur le Web, dans le National Health Service (NDT : Service de santé publique du Royaume-Uni) et dans d’autres services publics essentiels.

Mais il faut à présent passer à la vitesse supérieure.

  • (1) Nous voulons nous assurer que les services publics bénéficient toujours des meilleures solutions possibles au meilleur rapport qualité-prix, et être surs de payer au plus juste ce que nous achetons.
  • (2) Nous voulons partager et ré-utiliser ce que le contribuable a déjà financé au sein du secteur public, non seulement pour éviter de payer deux fois, mais aussi afin de réduire les risques et trouver des solutions communes aux besoins du gouvernement.
  • (3) Nous voulons encourager l’innovation au sein du Gouvernement, en incitant à penser Open Source, mais aussi en dehors du Gouvernement, en favorisant le développement d’un marché en pleine effervescence.
  • (4) Nous voulons offrir à l’industrie informatique, et plus largement à l’économie, les bénéfices de l’information que nous produisons et des logiciels que le Gouvernement développe.

Ainsi, nous estimons le moment venu de mettre à profit notre réputation d’impartialité et nos réussites, et d’engager de nouvelles actions concrètes pour que le recours aux logiciels libres soit envisagé avec sérieux et impartialité par les services informatiques gouvernementaux. Nous devons aussi rendre publiques nos exigences et publier nos statistiques concernant les formats ouverts, et chercher à atteindre le niveau de souplesse inhérent à l’Open Source dans nos relations avec les fournisseurs de logiciels propriétaires.

Cette stratégie Open Source répond à ces points essentiels. Elle détaille les étapes que nous devons franchir, au Gouvernement et avec nos fournisseurs informatiques, afin de tirer profit des atouts de l’Open Source.

Tom Watson, député au Parlement britannique
Ministre de l’Engagement numérique
(NdT : Équivalent du secrétaire d’état à l’économie numérique français).

Plan d’action gouvernemental

1. Le Gouvernement a revu pour la dernière fois sa politique liée à l’Open Source en 2004[2]. Cette politique indiquait clairement que le Gouvernement examinerait les solutions Open Source au même titre que les solutions propriétaires dans les passations de marchés informatiques et que les contrats seraient jugés sur des critères financiers.

2. Depuis 2004, le Gouvernement utilise davantage de logiciels Open Source, particulièrement en ce qui concerne les systèmes d’exploitation et les composants middleware des solutions métier. Par exemple :

  • 50% des principaux sites Web des services gouvernementaux ont adopté le serveur web Apache.
  • La colonne vertébrale du NHS utilise un système d’exploitation libre, et lorsque le remplacement de Netware par Open Enterprise Server sera achevé, 35 % des services du NHS, représentant 300 000 utilisateurs, seront pris en charge par une infrastructure Linux.
  • Des composants libres sont utilisés dans des systèmes cruciaux pour des missions décisives telles que Directgov (NdT : Site d’accès aux services publics britanniques) ou Electronic Vehicle Licensing (NdT : Service public de réduction fiscale lié à l’utilisation d’un véhicule électrique).

3. Cependant, depuis 2004 l’industrie du logiciel et le marché de l’informatique se sont aussi développés pour rendre les produits Open Source plus compétitifs et plus faciles à intégrer à l’univers professionnel des entreprises. Par exemple :

  • des modèles économiques solides et pérennes ont émergé. Ils permettent l’implémentation et le support des solutions Open Source.
  • un nombre croissant d’acteurs majeurs de l’industrie informatique se sont engagés activement dans l’Open Source et soutiennent l’utilisation de standards ouverts.
  • de grandes entreprises et des ministères font un usage quotidien d’éléments Open Source sur des systèmes sensibles ; par conséquent, les chefs d’entreprise appréhendent mieux les différents modèles commerciaux, ainsi que les modèles de gestion des coûts, des licence et des risques.

4. La manière d’aborder l’informatique gouvernementale a évolué et par conséquent il en est de même pour la manière d’aborder l’Open Source :

  • La création de la profession d’informaticien pour le gouvernement et l’ouverture du recrutement aux professionnels de la technologie ont permis d’améliorer les capacités et les connaissances pour aller vers une concurrence plus ouverte entre fournisseurs de solutions technologiques.
  • La création du Conseil des DSI a conduit à davantage d’ouverture et d’échanges d’informations sur les bonnes solutions logicielles et les expériences positives au sein du gouvernement. Il existe une forte volonté et des structures de service rodées pour réutiliser de façon optimale les produits informatiques déjà existants du gouvernement. L’Open Source et les standards ouverts peuvent apporter une importante contribution à ce processus.
  • La mise en place de la structure interministérielle gouvernementale et son adoption par les principaux fournisseurs informatiques du gouvernement ont permis de morceler les solutions professionnelles « fermées » en composants répondant à des besoins précis. Ceci permet le partage et la réutilisation des briques logicielles entre les différents domaines de l’action publique.
  • Les politiques de licences des fournisseurs de logiciels, en particulier quand le gouvernement n’est pas considéré comme une entité unique, et le manque de transparence des tarifs dans la filière de production sont autant d’obstacles à une réduction des coûts plus efficace et à une meilleure mutualisation des services entre les ministères.
  • Beaucoup de ministères ont d’ores et déjà conçu des « écosystèmes » permettant d’utiliser une gamme élargie de fournisseurs de solutions informatiques grâce à un partenariat général pour les prestations de service.
  • Les technologies et la culture de l’Open Source ont été adoptées dans d’autres domaines de l’action gouvernementale, par exemple pour la consultation publique du Livre blanc des sciences publié par le secrétariat d’état à la Recherche et à l’université (Department for Innovation, Universities and Skills, DIUS) et des conclusions du groupe de travail « Pouvoir de l’information » du Cabinet Office (NdT : Cabinet du premier ministre et secrétariat du Royaume-Unis).
La marche à suivre

5. Le gouvernement considère qu’afin d’atteindre ses objectifs clés, une série de mesures concrètes est nécessaire pour s’assurer qu’il existe une véritable « égalité des chances » entre le logiciel Open Source et le logiciel propriétaire, et pour que soit reconnu le rôle que peuvent jouer les logiciels Open Source concernant des objectifs plus vastes, tels que la réutilisation et les standards ouverts. Ce programme doit comporter à la fois une déclaration plus précise des stratégies menées et des actions concrètes entreprises par le gouvernement et ses fournisseurs. Les objectifs clés seront les suivants :

  • (1) s’assurer que le gouvernement adopte des standards ouverts et les utilise pour communiquer avec les citoyens et les entreprises qui auront adopté des solutions Open Source.
  • (2) s’assurer que les solutions Open Source seront prises en considération avec équité et choisies pour répondre aux appels d’offre gouvernementaux lorsqu’elles présentent le meilleur rapport qualité/prix (en tenant compte d’autres avantages tels que la réutilisation possible et la flexibilité).
  • (3) renforcer les compétences, l’expérience et les capacités au sein du gouvernement et de ses fournisseurs pour utiliser l’Open Source de façon optimale
  • (4) instaurer une culture Open Source du partage, de la réutilisation et du développement collaboratif entre le gouvernement et ses fournisseurs, en s’appuyant sur les processus et stratégies de réutilisation déjà validés par le Conseil des DSI et ainsi stimuler l’innovation, réduire les coûts et les risques, et enfin accroître la réactivité du marché.
  • (5) s’assurer qu’il n’existe pas d’obstacle procédurier à l’adoption des produits Open Source par le gouvernement, en accordant une attention particulière aux filières de productions et modèles économiques impliqués.
  • (6) s’assurer que les intégrateurs de systèmes et les fournisseurs de logiciels propriétaires pourront s’aligner sur le monde de l’Open Source pour ce qui est de la flexibilité et de la réutilisation de leurs produits et de leurs solutions.
Politique

6. La politique du gouvernement est la suivante :

Logiciels Open Source

  • (1) Le gouvernement examinera de façon équitable et approfondie solutions Open Source et solutions propriétaires dans les décisions d’attribution de marchés.
  • (2) Les attributions de marchés seront décidées en fonction du meilleur rapport qualité/prix pour l’objectif recherché, en prenant en compte le coût total de la solution logicielle sur toute sa durée de vie, y compris les coûts de résiliation et de transfert, après s’être assuré que les solutions satisfont aux conditions minimales exigées en termes de capacité, sécurité, extensibilité, possibilité de transfert, support et facilité de maintenance.
  • (3) Le gouvernement attendra des prestataires de TIC qu’ils proposent si nécessaire des produits alliant Open Source et logiciels propriétaires afin de disposer de l’offre la plus complète possible.
  • (4) Lorsque la différence tarifaire entre produits Open Source et propriétaires sera négligeable, les produits Open Source seront choisis au regard de leur plus grande souplesse d’utilisation.

Logiciels non Open Source

  • (5) Le gouvernement évitera, chaque fois que possible, les engagements contraignants qui le lierait à des logiciels propriétaires. Les coûts de résiliation, de renégociation et de redéploiement seront pris en compte dans les attributions de marchés, et il sera demandé aux prestataires de logiciels propriétaires de détailler les modalités de résiliation.
  • (6) Lorsque l’acquisition de produits non Open Source sera nécessaire, le gouvernement demandera que leurs licences soient valables pour l’ensemble du secteur public et que les licences déjà acquises puissent être transférées à tout le secteur public sans surcoût ni restriction. Le gouvernement négociera si nécessaire avec les fournisseurs des accords généraux interministériels afin d’être considéré comme une entité unique pour bénéficier du transfert de licences et des rabais inhérents aux commandes en volume.

Standards ouverts

  • (7) Le gouvernement utilisera les standards ouverts pour passer ses appels d’offres et exigera des solutions compatibles avec les standards ouverts. Le gouvernement soutiendra le développement des standards ouverts et des normes.

Ré-utilisation

  • (8) Le gouvernement veillera à bénéficier des pleins droits sur le code des logiciels modifiés ou adaptés à partir des produits commerciaux d’origine, de manière à s’assurer de leur possible réutilisation directe partout ailleurs dans le secteur public. Le cas échéant, les logiciels d’intérêt général développés pour le compte du gouvernement seront publiés suivant les principes de l’Open Source.
  • (9) Si le secteur public est déjà propriétaire d’un système, d’un outil ou d’une plateforme, le gouvernement exigera que ce produit soit réutilisé et que les contrats commerciaux en tiennent compte. Pour des acquisitions nouvelles, les prestataires devront garantir qu’ils n’ont pas déjà développé ou produit une solution similaire, pour tout ou partie, vendue par le passé au secteur public, ou si tel était le cas, dans quelle mesure ce précédent se traduira par une réduction des coûts, des risques et des délais.
  • (10) Lorsque les fournisseurs proposent un logiciel tiers, la transparence des coûts est de rigueur. En cas d’accord interministériel, il devrait être possible de procéder à la passation de marché au cas où cela conférerait une valeur ajoutée au secteur public dans son ensemble. Seuls les frais du fournisseur devront être facturés au gouvernement, à moins que le prestataire puisse apporter la preuve de façon claire et transparente de la valeur ajoutée du logiciel tiers.
Plan d’action

Les points-clés de l’action gouvernementale sont donc les suivants :

Action 1 : Transparence dans les passations de marchés. Le conseil des DSI, appuyé par « l’Office for Government Commerce » (NdT : L’organisme chargé de définir les appels d’offre pour le gouvernement), assurera l’équité entre les produits Open Source et les produits propriétaires en présentant des lignes directrices construites autour du rapport qualité/prix. Ces lignes directrices seront publiées et comprendront :

  • a) Les moyens de mise en œuvre et d’évaluation de la compatibilité avec les standards ouverts, ainsi que leur réutilisation généralisée potentielle dans le secteur public.
  • b) des formules standards à faire apparaître dans les cahiers des charges pour réaffirmer que la politique du gouvernement est de juger les solutions Open Source en fonction de leurs qualités intrinsèques et de leur coût total d’utilisation.
  • c) un guide faisant autorité, destiné aux acheteurs du secteur public, sur les problèmes spécifiques de licences, garanties et dédommagements inhérents à l’Open Source.

Action 2 : Amélioration des compétences au sein du gouvernement : le Conseil des DSI et l’OGC, en partenariat avec l’industrie et en s’inspirant des bonnes pratiques observées dans d’autres pays, vont lancer un programme de formation et d’acquisition de compétences destiné aux employés en charge de l’informatique et des passations de marchés au gouvernement. Ils pourront acquérir le savoir-faire nécessaire à l’évaluation et à la bonne utilisation des solutions Open Source. Cette opération a pour but d’améliorer l’information des fonctionnaires, leur niveau de compétence et leur assurance par rapport aux problématiques de licence, de maintenance et d’économie propres aux solutions Open Source.

Action 3 : La réutilisation comme principe pratique : les principes de fonctionnement du conseil des DSI mettent en exergue la transmission du savoir. Lorsque les solutions Open Source auront été évaluées et approuvées par une partie du Gouvernement, cette évaluation ne devrait pas être réitérée mais partagée. À cette fin, les ministères conserveront et partageront des archives de leurs approbation et utilisation des solutions Open Source, y compris pour les composants Open Source dans des solutions hybrides.

Action 4 : Maturité et développement durable : il existe une multitude de logiciels Open Source. Selon la nature de la mission gouvernementale, l’aboutissement du produit, la sécurité de son code noyau et la pérennité du projet lui-même sont des critères primordiaux. Le Conseil des DSI effectuera une évaluation régulière de l’aboutissement des produits et recommandera une liste de solutions et d’implémentations qui satisferont à ces critères consensuels.

Action 5 : Mise en demeure des fournisseurs : considérant les actions ci-dessus, les ministères du Gouvernement mettront en demeure leurs fournisseurs de leur démontrer qu’ils sont compétent en matière d’Open Source et que les produits Open Source ont été réellement envisagés comme tout ou partie de la solution logicielle qu’ils proposent. Lorsqu’aucune solution entièrement Open Source n’existe, les fournisseurs seront tenus d’envisager l’utilisation des produits Open Source au sein de solutions globales afin d’optimiser le coût de l’acquisition. Une attention particulière sera portée aux cas où des produits Open Source existent et ont déjà fait leurs preuves ailleurs au sein du gouvernement. Les fournisseurs qui mettront en avant des produits non Open Source auront à fournir la preuve qu’ils ont véritablement recherché des alternatives Open Source et devront expliquer pourquoi elles ont été écartées.

Action 6 : Exemples et politiques dans le monde entier, veille permanente des évolutions : le gouvernement du Royaume-Uni s’intéressera particulièrement aux exemples d’autres pays et d’autres secteurs pour encourager le développement des connaissances sur les produits et favoriser la concurrence entres fournisseurs. Le Royaume-Uni s’impliquera activement dans le développement de stratégies dans toute l’Union européenne et à l’international.

Action 7 : Collaboration active Gouvernement/Industrie : le Conseil des DSI travaillera de pair avec les intégrateurs de systèmes et les fournisseurs de logiciels pour que puissent émerger des solutions qui satisferont aux standards ouverts, intègreront l’Open Source et faciliteront sa réutilisation. Le gouvernement encouragera et facilitera la création de liens étroits entre les fournisseurs Open Source (organisations fournissant aide et support pour l’Open Source comprises) et les intégrateurs de systèmes. Le gouvernement partagera l’information avec l’industrie à propos des déploiements de l’Open Source en cours et des tests déjà effectués, de telle sorte que les connaissances acquises puissent être réutilisées.

Action 8 : Standards ouverts : Le gouvernement précisera les exigences du cahier des charges en référence aux standards ouverts et, dans la mesure du possible, demandera des solutions compatibles avec les standards ouverts. Il soutiendra l’utilisation du format Open Document (ISO/IEC 26300:2006) ainsi que des versions libres émergentes de formats auparavant propriétaires (par ex. ISO 19005-1:2005 (PDF) et ISO/IEC 29500 (formats Office Open XML)). La publication de l’information gouvernementale dans des formats ouverts sera de sa responsabilité, et l’usage de standards ouverts sera exigé sur les sites Web de l’État.

Action 9 : Technologies Open Source, ré-utilisation au sein du Gouvernement et publication adéquate du code : les acheteurs du gouvernement utiliseront une clause standard OJEU approuvée par l’OGC pour établir clairement que les solutions logicielles sont acquises sur la base de leur possible réutilisation partout ailleurs dans le secteur public. Les clauses du contrat standard OGC contiendront un article stipulant que le Gouvernement conservera les pleins droits sur les adaptations du code des logiciels ou les modifications des produits commerciaux tels qu’ils sont vendus, et qui établira clairement que ces droits couvrent la réutilisation partout ailleurs dans le secteur public et la possibilité de publier le code sur le principe de l’Open Source. Le cas échéant, les logiciels d’intérêt général développés par ou pour le gouvernement seront publiés suivant le principe de l’Open Source.

Action 10 : Communication, consultation et suivi : le gouvernement communiquera largement sur cette politique et ses actions connexes, et accroîtra sa communication si nécessaire. Il s’engagera aux côtés de la communauté Open Source et encouragera activement les projets qui pourraient, une fois leurs objectifs atteints, être labellisés comme des produits « Approuvés par le gouvernement ». Il suivra avec soin la stratégie et la politique de ces projets et rendra compte publiquement de leur évolution.

Commentaires

Pour contribuer au débat collectif en ligne à propos de ce plan d’action, nous avons créé une page publique qui recense des liens vers des blogs, des sites d’information et de réactions sur le gouvernement du Royaume-Uni, l’Open Source et les standards ouverts. Si vous publiez en ligne sur ces thèmes, veuillez utiliser le tag #ukgovOSS pour nous permettre de retrouver vos commentaires.

Notes

[1] Crédit photo : Paolo Camera (Creative Commons By)

[2] Usage des logiciels Open Source : Usage au sein du Gouvernement de Grande Bretagne, version 2. Cabinet Office/OGC, 28 octobre 2004.




Voudrait-on tuer le logiciel libre que l’on ne s’y prendrait pas mieux

Une de Libération - 10 mars 2009Le titre de mon billet du jour ne sort pas du cerveau torturé d’un gus dans un garage mais d’une émission radiophonique tout bien comme il faut de France-Inter. Il émane de Bernard Maris qui dans son émission L’autre économie du 9 mars dernier nous a proposé un percutant petit édito résumant si bien la situation que nous nous sommes permis de le reproduire ci-dessous.

Jacques Attali par ci, Une de Libération par là… on parle enfin de l’Hadopi en dehors de la blogosphère à la faveur de son passage à l’Assemblée. Et force est de constater que là aussi le projet de loi « Création et Internet » semble faire quasiment l’unanimité contre lui, les observateurs oscillant entre critique non voilée et grande perplexité.

Pour se tenir au courant, rien de tel que la revue de presse de la Quadrature du Net. À parcourir ces articles, on se dit que le chemin de croix de Christine Albanel et du gouvernement ne fait que commencer…

PS : Soit dit en passant, je plaide coupable par naïveté, mais qui peut bien m’expliquer pourquoi les émissions de ce joyau du service public qu’est Radio France ne sont pas librement disponibles en archives (et en formats ouverts) ?

La loi Hadopi

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Bernard Maris – 9 mars 2009 – L’autre économie – France Inter

Cette semaine les députés examinent le projet de loi HADOPI sur le piratage et le téléchargement illégal…

HADOPI qu’est ce que ça veut dire ? ca veut dire « Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet ». Cette Hadopi contrôlera et punira les internautes qui se livrent au téléchargement illégal. En fait le projet de loi sera pompeusement baptisé par le gouvernement « Création et internet » présenté par le ministère de la culture et inspiré par l’ancien PDG d’une grande surface, la FNAC. Que va faire cette autorité ? Lorsqu’un internaute téléchargera illégalement une œuvre musicale ou cinématographique depuis Internet, il sera rappelé à l’ordre, d’abord par l’envoi d’une lettre d’avertissement puis, en cas de récidive d’une lettre recommandée, et enfin par la suspension puis la résiliation de l’abonnement Internet.

C’est donc extrêmement sévère…

C’est sévère, mais on comprend la FNAC qui a envie de vendre des CD. Autrefois il y avait des milliers de marchands de disques en France, autant que de libraires, ils ont été tués par les grandes surfaces, et il est tout à fait humain qu’ayant liquidé les petits vendeurs, les gros veuillent garder leur rente. Les artistes, les créateurs, eux sont beaucoup plus partagés sur le piratage.

Pourquoi ?

Pour deux raisons.

  • Parce que le téléchargement ne les a pas empêché de vendre, au contraire les a fait connaître, n’a jamais diminué le nombre de fan dans les concerts pas plus que le magnétoscope n’a tué le cinéma ou la radio la chanson.
  • Pour une deuxième raison plus profonde. Les artistes, les créateurs savent qu’ils sont des imitateurs, ils ont appris de plus anciens, de plus géniaux, bref de maîtres. S’ils n’avaient pas eu accès à la création d’autrui, ils n’auraient pas créé. On peut aussi interdire les bibliothèques gratuites : c’est ce qu’avaient voulu faire certaines éditeurs. Ça ne favorisera pas l’éclosion des écrivains.

Enfin cette loi est une menace pour le logiciel libre…

Oui, parce qu’il faudra bien mettre des policiers derrière chaque ordinateurs, des mouchards qui seront des logiciels propriétaires, et que le rêve des logiciels propriétaires (Microsoft, Apple) est de tuer les logiciels libres qui sont beaucoup plus efficaces et performants ; et surtout fonctionnent selon un principe qu’ils détestent qui est celui de la coopération et de la réciprocité. Or il est impossible, par définition même, de filtrer les communications d’un logiciel libre. Logiciel livre et dispositifs de contrôle d’usage et de mouchardage sont ontologiquement incompatibles. Voudrait-on tuer le logiciel libre que l’on ne s’y prendrait pas mieux.

La phrase : On copie, on copie, et on finit par faire une œuvre. Picasso.




Un autre monde musical est possible nous dit Trent Reznor

On peut voir le document que nous vous présentons aujourd’hui comme la majeure contribution du Framablog au débat actuel sur le trop fameux projet de loi « Création et Internet », qui porte si mal son nom. Nous sommes en effet fiers de vous proposer la traduction (sous-titrage et transcription écrite ci-dessous) d’une conférence qui apporte comme un grand bol d’oxygène à la période tendue et crispée que nous sommes en train de traverser.

Oui, avec du talent et de l’imagination, on peut (économiquement) réussir dans la musique en dehors des circuits traditionnels (comprendre avant tout les Majors du disque) en utilisant à plein les extraordinaires potentialités d’Internet pour se mettre directement en relation avec son public.

C’est ce que démontre le parcours de l’artiste Trent Reznor, chanteur des Nine Inch Nails, brillamment analysé ici par Mike Masnick, dont le blog décrypte les tendances des nouveaux médias sociaux.

Cette conférence d’une quinzaine de minutes a été donnée en janvier dernier au MIDEM 2009 de Cannes. L’étrange équation énoncée, « CwF + RtB = $$$ », tient de la formule magique mais elle est pourtant simple à comprendre pourvu qu’on accepte la nouvelle donne et surtout les nouvelles règles du jeu.

N’ayez pas peur, disait l’autre. Nous ne sommes plus ici dans le monde des « pirates » à éradiquer mais dans celui, passionnant, de ceux qui ouvrent la voie d’un nouveau paradigme…

—> La vidéo au format webm

Trent Reznor et l’équation pour de futurs modèles économiques de la musique

Trent Reznor And The Formula For Future Music Business Models

Mike Masnick – 17 janvier 2008 – TechDirt
(Traduction Framalang : Don Rico, Joan, Yostral)

Je suis Mike Masnick, mon entreprise s’appelle Floor64. Voici notre site web : nous avons diverses activités, travaillons avec différentes entreprises, les aidons à comprendre les tendances des nouveaux médias sociaux et à établir un lien avec les communautés auxquelles elles s’adressent.

On me connaît surtout, quand on me connaît, pour TechDirt, le blog que nous publions sur Floor64. Voilà à quoi ça ressemble. Sur ce blog, j’aborde très souvent le sujet de l’industrie musicale et de l’industrie du disque, et j’ai notamment beaucoup écrit sur les initiatives de Trent Reznor et les modèles économiques qu’il applique et expérimente depuis quelque temps. Ces billets sont bien sûr à l’origine de cette intervention : « Pourquoi Trent Reznor et Nine Inch Nails représentent l’avenir de l’industrie musicale ».

Nous sommes un peu en retard car nous devions commencer à 11h45. Chez moi, en Californie, il est 2h45 du matin. Je souffre du décalage horaire, comme d’autres ici je pense, alors pour qu’on reste éveillés, je vais faire défiler que 280 diapos au cours de cette intervention, car je pense qu’en gardant un rythme soutenu on ne s’endormira pas trop vite. Mais pendant ces 280 diapos je vais quand même aborder quelques points importants sur les actions de Trent Reznor et expliquer pourquoi les modèles économiques qu’il expérimente représentent vraiment l’avenir de la musique.

Sans plus attendre, rentrons dans le vif du sujet.

Chapitre 1

Que ce soit volontaire ou pas, je n’en sais d’ailleurs rien, il semblerait que Trent Reznor ait découvert le secret d’un modèle économique efficace pour la musique. Ça commence par quelque chose de très simple : CwF, qui signifie « Créer un lien avec les fans ». Ajoutez-y une pincée de RtB : « Une Raison d’acheter ». Associez les deux, et vous obtenez un modèle économique. Ça parait très simple, et beaucoup pensent que ça n’a rien de sorcier. Mais le plus stupéfiant, c’est la difficulté qu’ont d’autres à combiner ces deux ingrédients afin de gagner de l’argent, alors que Trent Reznor, lui, s’en est sorti à merveille, à de nombreuses reprises, et de nombreuses façons.

Tout a commencé quand il était encore signé chez une major. Il a appliqué ce modèle de façon très intéressante sur l’album Year Zero, en 2007. Avant la sortie de l’album, il a établi un lien avec ses fans en organisant une sorte de chasse au trésor, ou un jeu de réalité virtuelle. Voici le dos du t-shirt qu’il portait pendant la tournée de 2007. Certaines lettres des noms de ville sont en surbrillance : en les isolant puis en les remettant dans l’ordre, on obtient la phrase « I am trying to believe ». Certains ont été assez futés pour assembler la phrase et y ajouter un « point com ». Puis ils sont allés sur le site « Iamtryingtobelieve.com » et se sont retrouvés dans un jeu de réalité virtuelle, qui était assez marrant. Voici qui a apporté un gros plus à l’expérience générale pour les fans et permis d’établir avec eux un lien qui allait au-delà de la seule musique.

Du coup, les fans étaient plus impliqués, motivés et impatients. Il est allé plus loin encore : vous approuverez ou pas, tout dépend de l’endroit où vous êtes assis dans la salle. Ça a mis en rogne la maison de disque de Reznor, parce qu’il s’est amusé à mettre de nouveaux morceaux sur des clés USB qu’il abandonnait ensuite par-terre dans les toilettes à chaque concert qu’il donnait. Les fans trouvaient ces clés USB dans les différentes salles de concert, les ramenaient chez eux, les branchaient sur leur ordinateur et y trouvaient de nouveaux morceaux de Nine Inch Nails, et bien sûr ils les partageaient.

De cette façon, le groupe a impliqué les fans, les a motivés et les a mis dans tous leurs états. Les seuls à ne pas avoir été ravis, c’était la RIAA, qui a envoyé des messages d’avertissement pour de la musique que Trent Reznor lui-même distribuait gratis. Ça, ce n’est pas un moyen d’établir un lien avec les fans, mais plutôt de se les mettre à dos.

Trent Reznor continuait donc à donner aux gens des raisons d’acheter alors qu’il refilait lui-même sa musique. Quand l’album est sorti, le CD changeait de couleur. On le mettait dans le lecteur, et en chauffant la couleur du disque changeait. C’est gadget, mais c’était assez sympa et ça donnait aux fans une raison d’acheter le CD, parce qu’on ne peut pas reproduire ça avec un MP3.

C’était un exemple simple datant de l’époque où il était encore sous contrat avec une major, mais passons au…

Chapitre 2

Après cet album, il n’avait plus de maison de disque, et a préféré voler de ses propres ailes, s’aventurant alors sur les terres soi-disant dévastées de l’industrie musicale d’aujourd’hui. Pourtant ça ne lui a pas posé problème, car il savait qu’en créant un lien avec les fans et en leur donnant une raison d’acheter il pouvait créer un modèle économique efficace. Il a donc commencé par l’album Ghosts I-IV, et il a créé des liens avec ses fans en leur offrant plusieurs choix, au lieu d’essayer de leur imposer une façon unique d’interagir avec sa musique. On avait différentes options, et il leur a donné une raison d’acheter en proposant une offre améliorée.

Je vais rapidement énumérer ces options. À la base, il y avait un téléchargement gratuit. L’album comptait 36 morceaux. On pouvait télécharger gratuitement les 9 premiers, et les 36 étaient sous licence Creative Commons, donc il était possible de les partager légalement. Bref, quand on voulait les télécharger gratuitement sur le site de NIN, on n’avait que les neuf premiers. Pour 5 dollars, on recevait les 36 morceaux et un fichier PDF de 40 pages. 5$ pour 36 morceaux, c’est beaucoup moins cher que le modèle d’iTunes à 1$ par chanson. Pour 10$, vous receviez une boîte avec deux CDs et un livret de 16 pages. 10 $ pour une boîte de 2 Cds, c’est pas mal. Mais ça, beaucoup d’autres le font, tout le monde applique ce principe de musique offerte et de vente de CDs à prix raisonnable sur le site.

Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il a proposé en plus. Là, on commence par un coffret édition deluxe à 75 dollars, qui contenait tout un tas de choses. C’était une sorte de coffret, mais centré sur ce seul album et qui contenait un dvd et un disque blu-ray, un beau livret, le tout fourni dans une boîte sympa. 75$, bonne affaire pour des fans qui veulent vraiment soutenir Reznor. Mais le plus intéressant, c’était le coffret ultra deluxe édition limitée à 300 $.

Comme on le voit sur ce site, tous ont été vendus. Il y a tout un tas de suppléments dans ce coffret. Voici à quoi ça ressemblait.

Là encore, on trouve le contenu du coffret de base, plus d’autres trucs. Mais ce qui est vraiment important, c’est qu’il n’a été tiré qu’à 2500 exemplaires, et que tous étaient dédicacés par Trent Reznor. Le tout coûtait 300$, mais c’était exceptionnel, unique, et ça ajoutait de la valeur à la musique. Les 2500 ont été vendus, ce qui n’a rien d’étonnant. Mais ce qui est impressionnant, c’est la vitesse à laquelle ils sont partis. Moins de 30 heures. Faites le calcul : ça donne 750 000 dollars en 30 heures pour de la musique qu’il donnait gratuitement.

Rien que la première semaine, si l’on inclut les autres offres, ils ont encaissé 1,6 million de dollars, là encore pour de la musique qu’ils distribuaient gratuitement, sans label, mais c’était vraiment une façon de créer un lien avec les fans, de leur donner une raison d’acheter, et de trouver un modèle économique efficace. Même si c’était gratuit et qu’on pouvait tout télécharger légalement une fois les morceaux mis en ligne sur des sites de Torrent ou de partage de fichiers, voici ce qu’a publié Amazon la semaine dernière : la liste de leurs meilleures ventes d’albums au téléchargement en 2008, où Ghosts I-IV arrive en tête.

Donc, voici un album gratuit qui en une seule semaine a rapporté 1,6 million de dollars, et qui a continué à bien se vendre sur Amazon tout le reste de l’année. On se rend bien compte qu’ici, la question ce n’est pas le prix. Le fait que l’album soit disponible gratuitement ne signifie pas la fin du modèle économique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tant que l’on crée un lien avec les fans et qu’on leur donne une raison d’acheter, il y a de l’argent à se faire.

Chapitre 3

Dans cette série d’expériences, deux mois seulement après Ghosts I-IV est sorti The Slip, et cette fois-ci c’était complètement gratuit, il suffisait de donner son adresse e-mail et on pouvait le télécharger en entier. Un lien de plus avec les fans. Les téléchargements étaient de qualité, on avait le choix entre des versions MP3 ou lossless. Pas du tout le principe « on vous file gratis la version merdique, passez à la caisse pour une meilleure version ». Encore une fois, il a essayé d’innover pour créer un lien plus fort avec les fans.

Voici les données de TopSpin, qui fournissait l’infrastructure pour les téléchargements, et qui a créé ces cartes sympas sur Google Earth pour qu’on voit d’où tous les autres téléchargeaient. Pas forcément utile, mais c’était chouette, et ça contribuait à construire la communauté, à créer un lien avec les fans. En parallèle, le jour de la sortie de The Slip, ils ont publié la liste des concerts pour la tournée 2008. On pouvait donc télécharger la musique, l’écouter, et aussitôt acheter des places.

Bien entendu, Reznor et NIN on toujours veillé à ce qu’il y ait une raison d’acheter des billets : ils ne donnent pas de simples concerts, mais offrent un spectacle complet. Ils jouaient devant un grand écran et amenaient plein d’idées afin d’en faire une expérience passionnante pour les fans, et les fans en redemandent. Ils sont emballés à l’idée d’aller à ces concerts, et pas seulement parce qu’ils vont voir Trent Reznor jouer. Bien sûr, Reznor n’en faisait pas profiter que NIN. Il y avait des premières parties sur la tournée, et il a enregistré un disque samplé, téléchargeable gratuitement lui aussi, avec des fichiers de bonne qualité de morceaux des différents groupes qui jouaient en première partie, permettant ainsi aux fans de créer un lien et leur donnant des raisons d’acheter des places de concerts pour aller voir ces groupes s’ils leur plaisaient.

Là encore, même si l’album était gratuit, il a donné d’autres raisons d’acheter en pressant l’album sur CD et vinyl, avec un tas de contenu supplémentaire dans une édition limitée et numérotée. On en revient au procédé de Ghosts I-IV, avec des tas de suppléments. J’insiste sur ce point parce que c’est vraiment important.

Chapitre 4

On n’a parlé que de sortie d’album, mais ces règles ne s’appliquent pas seulement quand on sort un album. Il faut créer un lien avec les fans tout le temps, sans discontinuer. Voici le site Web de Reznor, où il a mis en place des tas d’idées intéressantes, et je vais passer vite dessus parce qu’il y a beaucoup de choses, mais le lien se crée en permanence. Quand on se connecte, on voit les nouveautés, et puis on trouve les fonctions habituelles : de la musique à écouter, des outils communautaires comme les forums, les tchats. Mais il y a aussi des éléments moins évidents. Par exemple ce flux de photos, qui proviennent de Flickr. Ces photos ne sont pas toutes des clichés du groupe prises par des pros, mais ceux que les fans mettent sur Flickr sont regroupés sur le site. Ainsi on peut voir ce que les autres voyaient aux concerts où vous êtes allés, ou à ceux que vous avez manqué.

Il offre aussi des fonds d’écran que l’on peut télécharger, sous licence Creative Commons. On peut les retoucher, et d’ailleurs vous remarquerez que les images d’illustration que j’utilise sont justement tirées de ces fonds d’écran, légèrement modifiés pour que ça rentre sur les diapos. Dans le même esprit que les photos Flickr, il y a les vidéos. En gros, les fans filment des vidéos avec leur téléphone mobile, les mettent en ligne sur YouTube, et elles sont toutes regroupées sur le site. Pas de problème de procès, pas d’avertissements, pas de réclamations de la part de YouTube, les vidéos servent juste à créer du lien avec les fans, à leur donner une raison d’acheter.

Sur le site, on peut aussi télécharger des fichiers bruts, et NIN encourage les fans à les remixer, à les écouter, à les noter, à les échanger, ce qui implique vraiment les fans.

Autres idées amusantes : des concours, par exemple des tickets cachés qu’il faut trouver sur le site, des coordonnées indiquant l’emplacement de places gratuites pour un concert que NIN donnait dans un tunnel d’égout à Los Angeles. Il a mis sur son site une enquête de 10 pages à remplir, ce qui a permis d’élaborer un profil complet de ses fans. Mais le plus intéressant, c’est le courriel qu’il a envoyé, assez long comme vous le voyez, qui a montré que Reznor est proche de ses fans, ce qui hélas est rare dans l’industrie musicale.

À suivre

Passons au dernier chapitre. Je l’intitule « À suivre » plutôt que « Dernier chapitre », parce que c’est loin d’être fini. Reznor continue en permanence à expérimenter de nouvelles idées. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai dû compléter cette intervention, en espérant qu’il allait calmer le rythme de ses expérimentations, parce que ça commençait à être dur de maintenir cette présentation à jour. Il a publié un billet sur son blog expliquant sur le ton de la plaisanterie avoir été contacté par un mystérieux groupe d’agitateurs qui avaient filmé trois concerts et mis en ligne les rushes, des rushes en haute définition. Il y en a pour 450 gigas de rushes. La plupart des disques durs n’ont pas une telle capacité, et ça m’étonnerait que beaucoup d’entre vous ici aient 450 Go sur votre portable. Et puis il y a les fournisseurs comme ComCast qui limitent la bande passante à 250 Go par mois, voire TimeWarner qui descend encore plus bas, à 5 Go par mois. Et voilà Reznor qui refile 450 Go de vidéo HD et déclare : « Je suis sûr que des fans entreprenants vont nous mitonner un truc sympa ». Ça c’est vraiment un super moyen de créer le lien avec les fans, de leur donner une raison d’acheter, et c’est ce qui donne le modèle économique.

On peut voir ça sous un autre angle : au lieu de signifier Connect with Fans, CtW pourrait être l’acronyme de Compete With Free (NdT : le Gratuit Compétitif) et Rtb, au lieu de Reason to Buy, peut être l’abréviation de Retour au Business. Au lieu de se plaindre sans cesse du piratage et de diaboliser les nouvelles technologies, il vaut mieux s’efforcer de trouver un modèle économique qui fonctionne.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ça fonctionne pour de bon, sans qu’il y ait besoin de recourir aux licences collectives, aux DRM ou aux procès. Techniquement parlant, et c’est ce qui agace certains, il n’y a pas besoin de recourir aux droits d’auteur pour que ça marche: il suffit de créer le lien avec les fans et de leur donner une raison d’acheter.

Ce qu’il faut retenir aussi, c’est que ça vaut pour tous les musiciens, connus ou moins connus. Je me suis concentré sur Reznor, parce que c’est le sujet de mon intervention, mais des tas de petits groupes appliquent ce même modèle. En gros, Reznor ne fait qu’ouvrir la voie pour des tas d’autres et permettre que ça fonctionne. Quant aux autres, ils ne plagient pas, ils ne se contentent pas de copier les idées de Reznor. Ils partent de la recette de départ pour l’adapter à leur façon, et ça fonctionne aussi pour eux sans qu’ils aient à se soucier des licences, des DRM ou des procès. Pas de problème de copyright. Ils ne leur reste qu’à se concentrer sur l’avenir, sur la musique, et à inventer les modèles économiques qui fonctionnent de nos jours.

Voilà, j’ai expliqué dans cette intervention pourquoi Trent Reznor et NIN représentent l’avenir de l’industrie musicale. Si vous souhaitez me contacter, voici mes deux adresses e-mail.

Merci.




Petit précis de lutte contre le copyright par Cory Doctorow

Joi - CC byEn ces temps troublés où fait rage le débat (ou plutôt la lutte en ce qui nous concerne) sur l’adoption du projet de loi Hadopi, où l’engagement et l’indignation des uns se heurte à l’indifférence, à la mauvaise foi ou à l’entêtement forcené des autres, il est bon d’avoir l’avis d’un artiste, un écrivain en l’occurrence, qui sait de quoi il parle.

Il s’agit de Cory Doctorow, dont nous avions déjà traduit ses difficultés existentielles d’écrivain à l’ère d’Internet.

Petit rappel : Cory Doctorow[1] est un auteur de science-fiction d’origine canadienne, journaliste et blogueur, animateur du site BoingBoing, militant à l’EFF, partisan de la free-culture et, comme il se définit lui-même, « activiste du numérique ».

En plus d’écrire des romans de qualité (Dans la dèche au royaume enchanté, Folio SF ; et son dernier, Little Brother, doit bientôt paraître chez Pocket, et ça les amis, c’est un scoop, de l’insider information.) publiés de façon classique, Cory Doctorow met à disposition toutes ses œuvres sous licence Creative Commons, à télécharger gratuitement (en anglais, les traductions françaises sont quant à elles soumises au régime des droits d’auteur).

Dans la préface à ses romans proposés au format pdf, il explique que cette démarche est pour lui la meilleure façon de ne pas vivre dans l’ombre et de voir son art diffusé, citant l’aphorisme de Tim O’Reilly : « Pour la majorité des écrivains, le gros problème ce n’est pas d’être piraté, c’est de rester inconnu ».

Dans cet article publié sur LocusMag.com (site d’un magazine de SF), Cory Doctorow expose de façon claire et pédagogique son point de vue sur le copyright (on pourrait dire droit d’auteur mais la notion n’est pas exactement la même), et explique en substance qu’à trop vouloir verrouiller le partage, on va finir par tuer la culture.

J’adapterai sa conclusion à la situation que nous vivons en ce moment en France et qui est en plein dans l’actualité, le projet de loi « Création et Internet » devant être examiné aujourd’hui, et ajouterai qu’en cherchant à préserver un modèle obsolète de diffusion du contenu culturel, les soi-disant défenseurs de la culture ne font que scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Why I Copyfight : pourquoi je suis contre le copyright

Why I Copyfight

Cory Doctorow – novembre 2008 – LocusMag
(Traduction Framalang : Don Rico)

Pourquoi accorder tant d’importance à la question de la réforme du copyright ? Qu’est-ce qui est en jeu ?

Tout.

Jusqu’à une époque récente, le copyright était une réglementation industrielle. Si l’on tombait dans le domaine du copyright, cela signifiait que l’on utilisait quelque prodigieuse machine industrielle – une presse d’imprimerie, une caméra de cinéma, une presse à disques vinyles. Le coût d’un tel équipement étant conséquent, y ajouter deux cents billets pour s’offrir les services d’un bon avocat du droit de la propriété intellectuelle n’avait rien d’un sacrifice. Ces frais n’ajoutaient que quelques points de pourcentage au coût de production.

Lorsque des entités n’appartenant pas une industrie (individus, écoles, congrégations religieuses, etc.) interagissaient avec des œuvres soumises au copyright, l’utilisation qu’elles en avaient n’était pas régie par le droit de la propriété intellectuelle : elles lisaient des livres, écoutaient de la musique, chantaient autour du piano ou allaient au cinéma. Elles discutaient de ces œuvres. Elles les chantaient sous la douche. Les racontaient (avec des variations) aux enfants à l’heure du coucher. Les citaient. Peignaient des fresques inspirées de ces œuvres sur le mur de la chambre des enfants.

Puis vinrent les débuts du copyfight (NdT : lutte contre le copyright, abrégé ici en « anti-copyright ») : ce fut l’ère analogique, lorsque magnétoscopes, double lecteurs de cassettes, photocopieuses et outils de copie apparurent. Il était alors possible de se livrer à des activités relevant du droit de la propriété intellectuelle (copie, interprétation, projection, adaptation) avec des objets de tous les jours. On trouvait parfois sur les stands de vente des conventions SF des « romans » fanfics grossièrement reliés, les ados se draguaient à coups de compils, on pouvait apporter un film enregistré sur cassette chez les voisins pour se faire une soirée vidéo.

Pourtant, en comparaison, on risquait alors beaucoup moins gros. Même si l’on pouvait douter du caractère légal de certaines de ces activités (nul doute que les gros détenteurs de droits d’auteur les considéraient comme des valises nucléaires technologiques, comparaient les magnétoscopes à Jack l’Éventreur et affirmaient que « copier un disque sur une cassette allait tuer la musique »), faire appliquer la loi coûtait très cher. Éditeurs, maisons de disques et studios de cinéma ne pouvaient surveiller les activités auxquelles vous vous livriez chez vous, au travail, dans les fêtes ou aux conventions ; en tout cas pas sans recourir à un réseau ruineux de cafteurs rémunérés dont les salaires auraient dépassé les éventuelles pertes subies.

Arrive alors l’Internet et l’ordinateur personnel. Voici deux technologies qui forment une combinaison parfaite pour précipiter les activités ordinaires des gens ordinaires dans le monde du copyright : chaque foyer possède l’équipement nécessaire pour commettre des infractions en masse (le PC), lesquelles infractions se déroulent par le biais d’un vecteur public ‘l’Internet) que surveiller ne coûte rien, permettant ainsi une mise en application du copyright à faible coût dirigée contre des milliers d’Internautes comme vous et moi.

Qui plus est, les échanges effectués par Internet sont davantage susceptibles de représenter une violation du copyright que leur équivalent hors-ligne, car chaque échange sur Internet implique une copie. L’Internet est un système conçu pour produire de façon efficace des copies entre ordinateurs. Alors qu’il suffit de simples vibrations de l’air pour rendre possible une discussion dans votre cuisine, la même discussion passant par Internet génère des milliers de copies. Chaque fois que vous pressez une touche, cette action est copiée plusieurs fois sur votre ordinateur, copiée vers votre modem, puis copiée sur toute une série de routeurs, et ensuite (souvent) sur un serveur, processus qui aboutit à des centaines de copies, éphémères ou durables, pour enfin parvenir aux autres participants à la discussion, chez qui seront sans doute produites des dizaines de copies supplémentaires.

Dans le droit de la propriété intellectuelle, on considère la copie comme un événement rare et non négligeable. Sur Internet, la copie est automatique, instantanée, et produite en masse. Punaisez une vignette de Dilbert sur la porte de votre bureau, vous n’enfreignez pas le copyright. Prenez une photo de la porte de votre bureau et publiez-la sur votre site perso de sorte que vos mêmes collègues la voient, vous avez enfreint le copyright. Et puisque le droit de la propriété intellectuelle considère la copie comme une activité très réglementée, il impose des amendes pouvant atteindre des centaines de milliers de dollars pour chaque infraction.

Il existe un mot pour désigner tout ce que nous faisons à partir de créations intellectuelles – discuter, raconter, chanter, jouer, dessiner et réfléchir : ça s’appelle la culture.

La culture est ancienne. Elle existait bien avant le copyright.

L’existence de la culture, voilà qui rend le copyright rentable. Notre soif infinie de chansons à chanter ensemble, d’histoires à partager, d’art à admirer et à ajouter à notre vocabulaire visuel, telle est la raison qui nous pousse à dépenser de l’argent pour satisfaire ces désirs.

J’insiste sur ce point : si le copyright existe, c’est parce que la culture génère un marché pour les œuvres de l’esprit. Sans marché pour ces œuvres, il n’existerait aucune raison de se soucier du copyright.

Le contenu n’est pas roi : c’est la culture qui est reine. Si nous allons au cinéma, c’est pour discuter du film. Si je vous expédiais sur une île déserte et vous sommais de choisir entre vos disques et vos amis, vous seriez un sociopathe si vous choisissiez la musique.

Pour qu’il y ait culture, il faut partager l’information : la culture, c’est le partage de l’information. Les lecteurs de science-fiction le savent : dans le métro, le gars assis en face de vous qui est en train de bouquiner un roman de SF à couverture tapageuse fait partie de votre clan. Il y a de fortes chances que vous partagiez certains goûts de lecture, les mêmes références culturelles, et des sujets de discussion.

Si vous adorez une chanson, vous la faites écouter aux autres membres de votre tribu. Quand vous adorez un livre, vous le fourrez dans les mains de vos amis pour les encourager à le lire à leur tour. Quand vous voyez une émission géniale à la télé, vous incitez vos amis à la regarder aussi, ou bien vous cherchez ceux qui l’ont déjà regardée et entamez la conversation.

La réflexe naturel de quiconque s’entiche d’une œuvre de création, c’est de la partager. Et puisque sur Internet « partager » équivaut à « copier », voilà qui vous met directement dans le colimateur du copyright. Tout le monde copie. Dan Glickman, ancien membre du Congrès à présent à la tête de la Motion Picture Association of America (NdT : équivalent pour le cinéma de la tristement célèbre RIAA), défenseur on ne peut plus zélé du copyright, a reconnu avoir copié le documentaire de Kirby Dick This Film is Not Yet Rated (NdT : ce film n’a pas encore été classé), une critique au vitriol du processus de classement des films par la MPAA, mais a pris comme prétexte que la copie se trouvait « dans (son) coffre-fort ». Prétendre qu’on ne pratique pas la copie, c’est être aussi crispé et hypocrite que les anglais de l’époque victorienne qui juraient ne jamais, au grand jamais, se masturber. Chacun sait qu’il nous arrive à tous de mentir, et un grand nombre d’entre nous sait que tous les autres mentent aussi.

Mais le problème auquel est confronté le copyright, c’est que la plupart de ceux qui copient le reconnaissent volontiers. La majorité des internautes américains pratiquent l’échange de fichiers, considéré comme illégal. Si demain l’échange de fichiers par réseau P2P était enrayé, ceux qui le pratiquent partageraient les mêmes fichiers, et plus encore, en échangeant des disques durs, des clés USB ou encore des cartes mémoire (et davantage de données changeraient de main, bien que plus lentement).

Ceux qui copient savent qu’ils enfreignent les lois du copyright mais ne s’en inquiètent pas, ou croient que la loi ne peut criminaliser leurs pratiques, et pensent qu’elle lutte contre des formes de copie plus extrêmes telles que la vente de DVD pirates à la sauvette. En réalité, le droit du copyright réprime beaucoup moins lourdement ceux qui revendent des DVD que ceux qui téléchargent les mêmes films gratuitement sur Internet, et l’on risque beaucoup moins gros en achetant un de ces DVD (à cause des coûts très élevés de la lutte contre ceux qui font du commerce dans le monde réel) qu’en les téléchargeant sur le Net.

D’ailleurs, ceux qui pratiquent la copie s’attachent à établir une philosophie très élaborée à propos de ce qu’on a le droit ou pas de télécharger, avec qui et dans quelles circonstances. Ils intègrent des cercles privés de partage, décident entre eux de normes à respecter, et créent une multitude de para-copyrights qui constituent l’expression d’un accord culturel définissant la façon dont ils doivent se comporter.

Le gros problème, c’est que ces para-copyrights n’ont quasi rien en commun avec le véritable droit du copyright. Peu importe que vous en soyez partisan ou non, vous enfreignez sans doute la loi – alors si vous concevez des vidéo-clips d’animés (des clips de musique conçus en mettant bout à bout des séquences de films mangas — cherchez « vidéo-clips d’animés » dans Google pour en voir des exemples), vous aurez beau respecter les règles établies par votre groupe – par exemple l’interdiction de montrer vos créations à des personnes extérieures à votre groupe et l’obligation de n’utiliser que certaines sources de musique et de vidéos –, vous n’en commettrez pas moins pour des millions de dollars d’infractions à chaque fois que vous vous installerez devant votre PC.

Rien d’étonnant à ce que le para-copyright et le copyright ne puissent trouver de terrain d’entente. Car après tout, le copyright réglemente les pratiques commerciales entre entreprises géantes. Le para-copyright ne réglemente que les pratiques d’individus dans un cadre culturel donné. Normal que ces ensembles de règles n’aient rien en commun.

Il est tout à fait possible qu’on parvienne un jour à une détente entre ceux qui pratiquent la copie et les détenteurs de copyright : par exemple avec un ensemble de règles qui ne s’appliqueraient qu’à la « culture » et non à « l’industrie ». Mais pour amener autour de la table ceux qui copient, il faut impérativement cesser d’insinuer que toute copie non autorisée équivaut à du vol, à un crime, à un acte condamnable. Face à de tels propos, ceux qui savent la copie facile, juste et bénéfique estiment que ses détracteurs racontent n’importe quoi ou que leurs arguments ne les concernent pas.

Si demain l’on mettait fin à la copie sur Internet, on mettrait également fin à la culture sur Internet. Sans sa mine de vidéos considérées en infraction, YouTube disparaîtrait ; sans ses petits avatars et ses passionnants extraits de livres, d’articles et de blogs, LiveJournal passerait l’arme à gauche ; sans toutes ses photos d’objets, d’œuvres et de scènes sous copyright, sous marque déposée ou protégées d’une façon ou d’une autre, Flickr se viderait de sa substance et crèverait.

C’est grâce à nos discussions que nous voulons acquérir les œuvres dont nous discutons. Les fanfics sont écrits par des fanas de littérature. Les vidéos sur YouTube sont mises en ligne par ceux qui veulent vous donner envie de regarder les émissions dont elles sont extraites afin d’en discuter. Les avatars de LiveJournal permettent de montrer que l’on apprécie une œuvre.

Si la culture perd la guerre du copyright, ce que le copyright est censé défendre mourra avec lui.

Notes

[1] Crédit photo : Joi Ito (Creative Commons By)




Nous sommes tous des gus dans un garage

Shym0n - CC by« Nous sommes tous des juifs allemands » est l’une des citations célèbres de mai 68, proclamée par la jeunesse en signe de solidarité à Daniel Cohn-Bendit, alors interdit de séjour en France.

Ce soir, la Quadrature du Net peut compter sur « un gus de plus dans son garage », suite à la rocambolesque affaire de la dépêche AFP modifiée que nous relate le site PC INpact.

Ce dimanche 8 mars à 8h13, la dépêche AFP, titrée « Internet : texte antipiratage à l’Assemblée pour la défense de la création », se terminait ainsi :

Un collectif de citoyens, la Quadrature du Net, encourage les internautes à abreuver les députés de mails hostiles à cette loi. « Ce sont cinq gus dans un garage qui font des mails à la chaîne », relativise le cabinet de Mme Albanel.

Une « pointe » de mépris que ne manquât pas de relever PC INpact dans son premier article La Quadrature ? « 5 gus dans un garage » pour le cabinet d’Albanel.

Consciencieux, PC INpact nous a alors pondu un deuxième article : Réaction de la Quadrature du Net aux propos du ministère dont voici un large extrait :

Jérémie Zimmermann : « Nous sommes flattés de tant d’attention de la part du ministère ! Cela prouve que l’action des nombreux citoyens épris de liberté qui contactent leurs députés commence à porter ses fruits. Cela révèle la peur de la ministre de se retrouver confrontée aux réalités techniques et à l’opinion des citoyens. Quelque chose nous dit qu’elle n’a pas fini de nous faire rire !

Internet et les technologies numériques, dont le cabinet de la ministre démontre sa méconnaissance totale dans cette loi imbécile, ont été en grande partie inventés par des gus dans des garages ! C’est peut-être un juste retour des choses : l’arrivée dans le débat des gus dans les garages après des années de lobbyistes dans les cabinets ministériels.

Il faut continuer à informer ses députés, en prenant bien soin d’envoyer des mails personnalisés, et surtout en téléphonant et sollicitant des entretiens ! »

Un peu plus tard dans la journée, troisième épisode et coup de théâtre : la dépêche originale de l’AFP a été « mise à jour » et ne figure alors plus la mention des « gus dans leur garage » !

Le problème c’est qu’il est assez difficile de jouer les cachottiers sur Internet[1]. Toujours aussi consciencieux, PC INpact a en effet gardé une copie écran de la première version de la dépêche dans ce dernier article intitulé La communication autour de la loi antipiratage commence mal.

Vous voulez que je vous dise… je crois que nous nous sommes trouvés un beau slogan !

Merci l’AFP, Mme Albanel et son cabinet.

Notes

[1] Crédit photo : Shym0n (Creative Commons By)