De l’efficacité des agités du bocal Internet

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Grégoire Lannoy - CC byNumerama et le Framablog ont une intersection de lecteurs non vide mais une réunion non confondue. Lorsque l’excellent Guillaume Champeau a mis en ligne l’article que je vous propose reproduit ci-dessous, je lui ai de suite envoyé un mail pour le féliciter et lui dire qu’il me dispensait alors d’écrire un billet similaire qui me trottait dans la tête depuis un petit bout de temps (oui, je sais, ça mange pas de pain, et ça fonctionne avec tout le monde  : bonjour Mr Kant, merci pour votre Critique de la raison pure, que j’avais justement pour projet de rédiger…).

Comment se fait-il qu’on se retrouve avec un projet de loi Hadopi qui fait quasiment l’unanimité contre lui sur le Net mais qui se heurte à l’indifférence de Mme Michu  ? La faute aux grands médias  ? Non, la faute aux internautes qui se complaisent à penser qu’en restant assis le cul derrière leur chaise à parer leur site de noir, il vont faire pencher la balance du bon côté. Telle serait, en (très) gros, la problématique posée par l’article.

Bon, il faut dire aussi que l’on n’est pas forcément aidé par nos représentants publiques, à commencer par certains partis politiques[1] traditionnels qui se distinguent par leur… atonie  ! Le parti Chasse, pêche, nature et traditions défend des intérêts bien identifiés, faudra-t-il en venir à la création d’un équivalent du Parti pirate suédois  ?

En apparté  : Même si de gros progrès ont eu lieu ces derniers temps sous l’impulsion de nombreux acteurs de terrain, on est assez proche de la même situation pour ce qui concerne Mme Michu et les logiciels libres  : il y a bien un moment où il faut descendre dans l’arène si on veut réellement être efficace et rassembleur (on en parlait hier justement).

Riposte graduée  : pourquoi la contestation s’arrête aux frontières du net  ?

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Guillaume Champeau – 5 mars 2009 – Numerama.com
Licence Creative Common By-Nc-Nd

A moins d’une semaine de l’examen du projet de loi Création et Internet, le débat sur la riposte graduée et ses implications sur la société tout entière n’a pas émergé. Pas en dehors du net, où les voix, pourtant extrêmement nombreuses et majoritaires, ne se font pas entendre. Pourquoi  ?

Le débat sur la loi Création et Internet et la riposte graduée doit débuter mardi à l’Assemblée Nationale. Et Madame Michu l’ignore.

Elle ignore que le texte présenté par le gouvernement prévoit de l’obliger à sécuriser sa connexion à Internet, et qu’elle n’aura ni les moyens juridiques ni les moyens matériels de se défendre si, par malheur, elle était accusée par l’Hadopi d’avoir téléchargé le dernier single de P. Diddy. Laurence Ferrari ne l’a pas prévenue.

Elle ignore, aussi, que le texte pose la première pierre d’une obligation générale de filtrage qui, sans qu’un juge n’ait son mot à dire, aboutira à limiter la liberté d’expression de ses concitoyens, au bon vouloir du gouvernement. David Pujadas n’en a rien dit.

Elle ignore enfin, que le paysage dévasté par le piratage que décrit Nicolas Sarkozy a été dessiné par les lobbys qui ont intérêt à voir la loi s’appliquer, alors qu’il est en fait riche de mille fleurs et n’a jamais été aussi prolifique. Le Président l’a dit dans sa dernière interview  : «  on m’a fait beaucoup de reproches dans ma vie politique, pas de mentir  ». Comment Madame Michu pourrait-elle en douter  ?

Comment Madame Michu pourrait-elle savoir que le projet de loi anti-piratage qu’on lui présente comme un texte de pédagogie et de méthode douce favorable aux artistes vise en réalité à contourner la justice au bénéfice de quelques intérêts privés et à imposer à tous les internautes des outils de filtrage qui pourront être employés, à des fins politiques, pour censurer tel ou tel site Internet gênant. Ou, de manière plus subtile et en apparence plus démocratique, pour favoriser les sites d’information sponsorisés par l’Etat qui recevront un label de qualité pris en compte par les filtres imposés par l’Hadopi  ?

La loi Création et Internet n’est pas une loi sur le piratage, c’est une loi sur la liberté d’expression, qui concerne tout le monde.

L’opposition, sur Internet, existe. Elle est même très vive. Il est difficile, voire impossible, de trouver des communautés favorables à la loi, y compris dans les rangs de l’UMP. Mais comme au moment de la loi DADVSI, le débat reste figé dans les frontières d’Internet. Les actions, qu’elles soient symboliques ou plus musclées, restent cloîtrées dans les mailles de fibres optiques, sans jamais atteindre le tube cathodique (ou la dalle LCD) de Madame Michu. Même François Bayrou, qui a fait de la défense des valeurs républicaines et d’Internet son cheval de bataille lors la dernière élection présidentielle, se désintéresse totalement de la loi Création et Internet alors qu’elle pourrait apporter au MoDem une vitrine précieuse à quelques mois des élections européennes. Les quelques députés du Parti Socialiste qui s’apprêtent à défendre avec force les internautes à l’hémicycle, le feront sans le soutien public de leur première secrétaire Martine Aubry, qui se garde bien de se mettre les artistes les plus populaires à dos, et surtout sans la force médiatique que peut offrir l’appareil lorsqu’il se met en marche pour attaquer le fichier Edvige ou le CPE.

Comme il y a trois ans avec la loi DADVSI, le débat sur la loi Création et Internet restera un débat de spécialistes, concentré sur les questions techniques et sur les dommages causés par le piratage, sans que les questions sociétales ne soient soulevées.

La faute aux médias  ? Non, la faute aux internautes, incapables de porter leur opposition au delà des frontières du numérique.

Nicolas Vanbremeersch, plus connu sous le pseudonyme de Versac, tente une explication intéressante sur le site Slate.fr  : «  Les internautes sont incapables de s’organiser pour faire pression avec efficacité (…) Il existe un camp, en France, prêt à rassembler plusieurs centaines de milliers de signataires sur une pétition, plusieurs dizaines de milliers de relais actifs, mais incapable de transformer cette action dans la vraie vie (…) Le web manque d’acteurs qui ont un réel intérêt dans cette affaire. Pas de génération spontanée d’acteur fédérateur, militant, actif.  »

«  Cette absence de mobilisation est symptomatique, non de la déshérence des internautes, mais de l’atonie des corps constitués, des intermédiaires de représentation, des syndicats et associations, qui, pour la plupart, ne sont pas à la recherche de soutiens populaires, d’appels à mobilisations. C’est également symptomatique d’un corps politique également assez protégé de l’opinion, et attendant plus de son leader politique que des citoyens mobilisés. A force de blocages, de manque d’ouvertures, d’autisme, les corps constitués anéantissent l’espoir des citoyens que leurs mobilisations puissent parvenir à quelque chose. La lassitude est forte.  »

«  A travers le débat sur Hadopi, c’est en fait l’effritement d’un système médiatique et politique, ses failles, ses lambeaux de peinture, qui sont mis sous nos yeux, et la nécessité d’une forme de renouveau, qui peut venir du web, qui est, en creux, mise en exergue  », estime Nicolas Vanbremeersch.

Le net, qui réinvente des modèles économiques parfois proches d’une forme de néo-communisme, porte peut-être en lui le germe d’une nouvelle démocratie qui ne voit pas l’utilité d’aller se faire entendre dans le champ traditionnel de la démocratie déclinante. On commence à voir apparaître, en Suède, toute une nouvelle génération d’électeurs prête à porter aux urnes une nouvelle forme de démocratie. Si les lois ne s’adaptent pas à Internet, les internautes les ignoreront, comme ils l’ont fait depuis 10 ans des lois anti-piratage. Chaque nouvelle législation qui tente de ramener Internet vers les lois historiques de la démocratie traditionnelle en ignorant les spécificités et la culture sociétales portées par Internet accentuent une tension entre deux mondes qui, un jour, explosera, sous une forme ou sous une autre.

Et vous, qu’en pensez-vous  ? Pourquoi sommes nous incapables de lancer des chaussures contre le ministère de la culture, d’entourer le cercueil de la justice dans une longue procession funèbre de la place Vendôme jusqu’à la Bastille, ou de bloquer les trains gare du Nord  ?

Notes

[1] Crédit photo  : Grégoire Lannoy (Creative Commons)

15 Responses

  1. korbé

    Il est vrai que créer un partit politique ne serait pas une si mauvaise idée que ça.
    Mais bon, pas un parti pirate, sauf si on arrive à avoir Jack Sparrow sous la main. Quoi que Buena Vista nous demanderait des royalties…. Bref

    Pourquoi pas un parti pour la défense de la liberté: du logiciel, de la circulation de l’art et de la culture ainsi que de l’accès au savoir?

  2. monGarsBruno

    Le parti pirate paraît difficile à faire émerger avant que la loi soit discutée mais j’en ferais partie s’il existait. En revanche, la quadrature du net est à l’initiative d’un événement sur facebook. Pourquoi ne pas en profiter pour créer un événement "physique" du genre "happening" pour apparaître même 10 secondes sur la dalle LCD de madame Michu. Je pense à un rassemblement immobile un scotch sur la bouche pour symboliser la privation du droit s’expression que sous-tend la loi Hadopi.
    L’inconvénient de ce mode d’expression est qu’il ne permet pas de revendiquer haut et fort 😉

  3. JpmGir

    Je suis chaufeur poid lour. quand on a bloqué la France sa na servi a rein nous somme toujour des criminel du travail.
    Les manif sa marche uniquement si un puissant intéré politique recupere l’action
    ou si vous ete pré a mourrir pour la liberté (moi je le suis) mais les francais eux sont lache et trop attaché a leur eau chaude et au televiseur
    en tout k si sa bouje je suis

  4. Etenil

    Je suis d’accord avec monGarsBruno. Il faudrait se rassembler sous une seule bannière et la quadrature du net semble particulièrement bien indiquée pour ca.

    Par contre, bloquer le batiment de france télévision et autre un weekend (plus de gens regardent) me semble etre une bonne idée (télé – oeuvre copyrighté – Mme Michu et Pujadas).

    Je vais essayer d’emailer la quadrature voir s’ils ont prévu quoi que ce soit dans ce sens.

  5. vlopa

    nous sommes incapables de toute action collective généralement je vous rappelle, pas seulement sur Internet. si c’était les citoyens qui gouvernaient, il n’y aurait pas de lois scélérates comme celle-ci. mais nous sommes habitués et préférons déléguer le travail politique à d’autres, s’étonnant des trahisons après coup.

  6. Ginko

    Elessar: "Je préférerais un parti hacker qu’un parti pirate, à choisir…"

    Certes mais d’une part Mme Michu ne sais pas qu’est-ce qu’un hacker et d’autre part, si elle demande à son fils, il lui répondra à 95% de chance: "un pirate". Je ne pense pas que ce serait faire bonne pub au terme hacker qui souffre déjà d’un énorme amalgame dans les média mainstream.

    Quant à l’idée du happening avec scotch sur la bouche (noir de préférence? (pour la référence au black-out de la quadrature du net)), je trouve l’idée bonne. Un certain nombre d’émissions télévisées ont déjà relayé ce genre d’événements, je pense que les journalistes s’en empareraient facilement. Par contre, allez donc savoir ce qu’ils en feront…

    Donc il faudrait aussi un porte-parole (Jérémie Zimmermann, de chez la quadrature du net?) qui se débrouillerait pour passer à l’antenne et expliquer les motivations qui se cachent derrière cette manifestation.

    Si toutes les bonnes conditions sont réunies, on pourrait peut-être se faire entendre…

  7. aveldro

    Je viens de faire un tour sur le site du PS :
    http://www.parti-socialiste.fr/
    J’ai fait une recherche sur "hadopi" et "riposte graduée"
    sur le site général et sur le blog "culture".
    Résultat :
    "Les termes de recherche spécifiés – hadopi – ne correspondent à aucun document."
    Bref, au PS, tout le monde s’en fout. Le sujet n’existe même pas.
    A l’UMP, au moins, ils ont lancé un débat sur le sujet, avec le résultat qu’on sait.

  8. Elessar

    @Ginko : Quand je dis que je préfère l’idée d’un parti hacker, je veux simplement dire que, s’il existe un jour, j’en serai peut-être. Quant à un parti pirate, non, c’est hors de question, jamais je ne m’affilierai à un truc pareil.

  9. Jacques

    Nous avons quand même déjà fait une vraie manif contre les brevets logiciels à Paris !
    (un peu trop noyautée par la CNT mais nous sommes passé sur certains médias)
    Des vrais actions à la FNAC !
    Il y a 4500 inscrits à l’APRIL … peut être de quoi commencer à réfléchir …
    Il y aura de toute façon de plus en plus de décisions à prendre sur la société numérique et l’Hadopi n’est qu’une étape . Commençons d’ailleurs aussi à se demander pourquoi le PS n’a mis personne de compétent sur les listes Européennes (Pellegrini n’y figure pas et bono est écarté )

  10. MPoppins

    Bonsoir

    Marrant comme le succès soudain du parti pirate suédois est contagieux en France…quand ça marche, tout le monde applaudit.
    Cela fait plus de trois ans que l’on a monté le parti pirate, dans les ricanements et beaucoup de mépris du monde du Libre.
    Les Madames Michu ne sont pas forcément ceux qu’on croit.
    Quanr à ceux qui feraient toujours mieux, autrement, etc, on serait très heureux de les voir nous rejoindre depuis le temps.

  11. aveldro

    Je suis tombé l’autre jour sur une intervention de J. Zimmermann sur France Inter (Quartier Libre de Caroline Cartier), le matin. C’était bien vu et pertinent. Il est aussi bon à l’oral qu’à l’écrit ce garçon !

  12. menoft

    Si j’étais à Paris je prendrais une pancarte noir avec pour titre en Blanc "Ensemble Contre l’hadopiPIPI" Je traverserais les Champ Élysée, je passerais sous l’Arc de Triomphe, et je bloquerais la circulation.

    Malheureusement je ne suis pas à Paris, personne ne pourra m’entendre dans ma petite ville tranquille.

  13. Delavy

    Bonjour
    Je plussoie menoft : un désavantage majeur des internaute c’est qu’ils sont dispersé un peu partout, alors que In Real Life, quand un groupe manifeste, ils sont déjà ensemble physiquement avant la manifestation.
    Les gifs noirs de la Quadrature du net c’est rigolo, mais ça reste des gifs, on va pas cliquer dessus, c’est pas très éducatif, Mme Michu ne le différentieras pas de la pub. Je préfère mettre des liens.
    Par contre je pense que la faute en est à 50/50, les médias déforment la réalité mais en effet, je ne voit aucune réaction du milieu étudiant, ou quoi que ce soit. L’atteinte aux droits n’est pas flagrante pour qui ne prend pas la peine de s’y pencher.
    Une manif dans ma ville, je regrette mais je pense que le nombre sera ridicule. Je ne vois pas trop de solution… …