Voudrait-on tuer le logiciel libre que l’on ne s’y prendrait pas mieux

Une de Libération - 10 mars 2009Le titre de mon billet du jour ne sort pas du cerveau torturé d’un gus dans un garage mais d’une émission radiophonique tout bien comme il faut de France-Inter. Il émane de Bernard Maris qui dans son émission L’autre économie du 9 mars dernier nous a proposé un percutant petit édito résumant si bien la situation que nous nous sommes permis de le reproduire ci-dessous.

Jacques Attali par ci, Une de Libération par là… on parle enfin de l’Hadopi en dehors de la blogosphère à la faveur de son passage à l’Assemblée. Et force est de constater que là aussi le projet de loi « Création et Internet » semble faire quasiment l’unanimité contre lui, les observateurs oscillant entre critique non voilée et grande perplexité.

Pour se tenir au courant, rien de tel que la revue de presse de la Quadrature du Net. À parcourir ces articles, on se dit que le chemin de croix de Christine Albanel et du gouvernement ne fait que commencer…

PS : Soit dit en passant, je plaide coupable par naïveté, mais qui peut bien m’expliquer pourquoi les émissions de ce joyau du service public qu’est Radio France ne sont pas librement disponibles en archives (et en formats ouverts) ?

La loi Hadopi

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Bernard Maris – 9 mars 2009 – L’autre économie – France Inter

Cette semaine les députés examinent le projet de loi HADOPI sur le piratage et le téléchargement illégal…

HADOPI qu’est ce que ça veut dire ? ca veut dire « Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet ». Cette Hadopi contrôlera et punira les internautes qui se livrent au téléchargement illégal. En fait le projet de loi sera pompeusement baptisé par le gouvernement « Création et internet » présenté par le ministère de la culture et inspiré par l’ancien PDG d’une grande surface, la FNAC. Que va faire cette autorité ? Lorsqu’un internaute téléchargera illégalement une œuvre musicale ou cinématographique depuis Internet, il sera rappelé à l’ordre, d’abord par l’envoi d’une lettre d’avertissement puis, en cas de récidive d’une lettre recommandée, et enfin par la suspension puis la résiliation de l’abonnement Internet.

C’est donc extrêmement sévère…

C’est sévère, mais on comprend la FNAC qui a envie de vendre des CD. Autrefois il y avait des milliers de marchands de disques en France, autant que de libraires, ils ont été tués par les grandes surfaces, et il est tout à fait humain qu’ayant liquidé les petits vendeurs, les gros veuillent garder leur rente. Les artistes, les créateurs, eux sont beaucoup plus partagés sur le piratage.

Pourquoi ?

Pour deux raisons.

  • Parce que le téléchargement ne les a pas empêché de vendre, au contraire les a fait connaître, n’a jamais diminué le nombre de fan dans les concerts pas plus que le magnétoscope n’a tué le cinéma ou la radio la chanson.
  • Pour une deuxième raison plus profonde. Les artistes, les créateurs savent qu’ils sont des imitateurs, ils ont appris de plus anciens, de plus géniaux, bref de maîtres. S’ils n’avaient pas eu accès à la création d’autrui, ils n’auraient pas créé. On peut aussi interdire les bibliothèques gratuites : c’est ce qu’avaient voulu faire certaines éditeurs. Ça ne favorisera pas l’éclosion des écrivains.

Enfin cette loi est une menace pour le logiciel libre…

Oui, parce qu’il faudra bien mettre des policiers derrière chaque ordinateurs, des mouchards qui seront des logiciels propriétaires, et que le rêve des logiciels propriétaires (Microsoft, Apple) est de tuer les logiciels libres qui sont beaucoup plus efficaces et performants ; et surtout fonctionnent selon un principe qu’ils détestent qui est celui de la coopération et de la réciprocité. Or il est impossible, par définition même, de filtrer les communications d’un logiciel libre. Logiciel livre et dispositifs de contrôle d’usage et de mouchardage sont ontologiquement incompatibles. Voudrait-on tuer le logiciel libre que l’on ne s’y prendrait pas mieux.

La phrase : On copie, on copie, et on finit par faire une œuvre. Picasso.




Un autre monde musical est possible nous dit Trent Reznor

On peut voir le document que nous vous présentons aujourd’hui comme la majeure contribution du Framablog au débat actuel sur le trop fameux projet de loi « Création et Internet », qui porte si mal son nom. Nous sommes en effet fiers de vous proposer la traduction (sous-titrage et transcription écrite ci-dessous) d’une conférence qui apporte comme un grand bol d’oxygène à la période tendue et crispée que nous sommes en train de traverser.

Oui, avec du talent et de l’imagination, on peut (économiquement) réussir dans la musique en dehors des circuits traditionnels (comprendre avant tout les Majors du disque) en utilisant à plein les extraordinaires potentialités d’Internet pour se mettre directement en relation avec son public.

C’est ce que démontre le parcours de l’artiste Trent Reznor, chanteur des Nine Inch Nails, brillamment analysé ici par Mike Masnick, dont le blog décrypte les tendances des nouveaux médias sociaux.

Cette conférence d’une quinzaine de minutes a été donnée en janvier dernier au MIDEM 2009 de Cannes. L’étrange équation énoncée, « CwF + RtB = $$$ », tient de la formule magique mais elle est pourtant simple à comprendre pourvu qu’on accepte la nouvelle donne et surtout les nouvelles règles du jeu.

N’ayez pas peur, disait l’autre. Nous ne sommes plus ici dans le monde des « pirates » à éradiquer mais dans celui, passionnant, de ceux qui ouvrent la voie d’un nouveau paradigme…

—> La vidéo au format webm

Trent Reznor et l’équation pour de futurs modèles économiques de la musique

Trent Reznor And The Formula For Future Music Business Models

Mike Masnick – 17 janvier 2008 – TechDirt
(Traduction Framalang : Don Rico, Joan, Yostral)

Je suis Mike Masnick, mon entreprise s’appelle Floor64. Voici notre site web : nous avons diverses activités, travaillons avec différentes entreprises, les aidons à comprendre les tendances des nouveaux médias sociaux et à établir un lien avec les communautés auxquelles elles s’adressent.

On me connaît surtout, quand on me connaît, pour TechDirt, le blog que nous publions sur Floor64. Voilà à quoi ça ressemble. Sur ce blog, j’aborde très souvent le sujet de l’industrie musicale et de l’industrie du disque, et j’ai notamment beaucoup écrit sur les initiatives de Trent Reznor et les modèles économiques qu’il applique et expérimente depuis quelque temps. Ces billets sont bien sûr à l’origine de cette intervention : « Pourquoi Trent Reznor et Nine Inch Nails représentent l’avenir de l’industrie musicale ».

Nous sommes un peu en retard car nous devions commencer à 11h45. Chez moi, en Californie, il est 2h45 du matin. Je souffre du décalage horaire, comme d’autres ici je pense, alors pour qu’on reste éveillés, je vais faire défiler que 280 diapos au cours de cette intervention, car je pense qu’en gardant un rythme soutenu on ne s’endormira pas trop vite. Mais pendant ces 280 diapos je vais quand même aborder quelques points importants sur les actions de Trent Reznor et expliquer pourquoi les modèles économiques qu’il expérimente représentent vraiment l’avenir de la musique.

Sans plus attendre, rentrons dans le vif du sujet.

Chapitre 1

Que ce soit volontaire ou pas, je n’en sais d’ailleurs rien, il semblerait que Trent Reznor ait découvert le secret d’un modèle économique efficace pour la musique. Ça commence par quelque chose de très simple : CwF, qui signifie « Créer un lien avec les fans ». Ajoutez-y une pincée de RtB : « Une Raison d’acheter ». Associez les deux, et vous obtenez un modèle économique. Ça parait très simple, et beaucoup pensent que ça n’a rien de sorcier. Mais le plus stupéfiant, c’est la difficulté qu’ont d’autres à combiner ces deux ingrédients afin de gagner de l’argent, alors que Trent Reznor, lui, s’en est sorti à merveille, à de nombreuses reprises, et de nombreuses façons.

Tout a commencé quand il était encore signé chez une major. Il a appliqué ce modèle de façon très intéressante sur l’album Year Zero, en 2007. Avant la sortie de l’album, il a établi un lien avec ses fans en organisant une sorte de chasse au trésor, ou un jeu de réalité virtuelle. Voici le dos du t-shirt qu’il portait pendant la tournée de 2007. Certaines lettres des noms de ville sont en surbrillance : en les isolant puis en les remettant dans l’ordre, on obtient la phrase « I am trying to believe ». Certains ont été assez futés pour assembler la phrase et y ajouter un « point com ». Puis ils sont allés sur le site « Iamtryingtobelieve.com » et se sont retrouvés dans un jeu de réalité virtuelle, qui était assez marrant. Voici qui a apporté un gros plus à l’expérience générale pour les fans et permis d’établir avec eux un lien qui allait au-delà de la seule musique.

Du coup, les fans étaient plus impliqués, motivés et impatients. Il est allé plus loin encore : vous approuverez ou pas, tout dépend de l’endroit où vous êtes assis dans la salle. Ça a mis en rogne la maison de disque de Reznor, parce qu’il s’est amusé à mettre de nouveaux morceaux sur des clés USB qu’il abandonnait ensuite par-terre dans les toilettes à chaque concert qu’il donnait. Les fans trouvaient ces clés USB dans les différentes salles de concert, les ramenaient chez eux, les branchaient sur leur ordinateur et y trouvaient de nouveaux morceaux de Nine Inch Nails, et bien sûr ils les partageaient.

De cette façon, le groupe a impliqué les fans, les a motivés et les a mis dans tous leurs états. Les seuls à ne pas avoir été ravis, c’était la RIAA, qui a envoyé des messages d’avertissement pour de la musique que Trent Reznor lui-même distribuait gratis. Ça, ce n’est pas un moyen d’établir un lien avec les fans, mais plutôt de se les mettre à dos.

Trent Reznor continuait donc à donner aux gens des raisons d’acheter alors qu’il refilait lui-même sa musique. Quand l’album est sorti, le CD changeait de couleur. On le mettait dans le lecteur, et en chauffant la couleur du disque changeait. C’est gadget, mais c’était assez sympa et ça donnait aux fans une raison d’acheter le CD, parce qu’on ne peut pas reproduire ça avec un MP3.

C’était un exemple simple datant de l’époque où il était encore sous contrat avec une major, mais passons au…

Chapitre 2

Après cet album, il n’avait plus de maison de disque, et a préféré voler de ses propres ailes, s’aventurant alors sur les terres soi-disant dévastées de l’industrie musicale d’aujourd’hui. Pourtant ça ne lui a pas posé problème, car il savait qu’en créant un lien avec les fans et en leur donnant une raison d’acheter il pouvait créer un modèle économique efficace. Il a donc commencé par l’album Ghosts I-IV, et il a créé des liens avec ses fans en leur offrant plusieurs choix, au lieu d’essayer de leur imposer une façon unique d’interagir avec sa musique. On avait différentes options, et il leur a donné une raison d’acheter en proposant une offre améliorée.

Je vais rapidement énumérer ces options. À la base, il y avait un téléchargement gratuit. L’album comptait 36 morceaux. On pouvait télécharger gratuitement les 9 premiers, et les 36 étaient sous licence Creative Commons, donc il était possible de les partager légalement. Bref, quand on voulait les télécharger gratuitement sur le site de NIN, on n’avait que les neuf premiers. Pour 5 dollars, on recevait les 36 morceaux et un fichier PDF de 40 pages. 5$ pour 36 morceaux, c’est beaucoup moins cher que le modèle d’iTunes à 1$ par chanson. Pour 10$, vous receviez une boîte avec deux CDs et un livret de 16 pages. 10 $ pour une boîte de 2 Cds, c’est pas mal. Mais ça, beaucoup d’autres le font, tout le monde applique ce principe de musique offerte et de vente de CDs à prix raisonnable sur le site.

Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il a proposé en plus. Là, on commence par un coffret édition deluxe à 75 dollars, qui contenait tout un tas de choses. C’était une sorte de coffret, mais centré sur ce seul album et qui contenait un dvd et un disque blu-ray, un beau livret, le tout fourni dans une boîte sympa. 75$, bonne affaire pour des fans qui veulent vraiment soutenir Reznor. Mais le plus intéressant, c’était le coffret ultra deluxe édition limitée à 300 $.

Comme on le voit sur ce site, tous ont été vendus. Il y a tout un tas de suppléments dans ce coffret. Voici à quoi ça ressemblait.

Là encore, on trouve le contenu du coffret de base, plus d’autres trucs. Mais ce qui est vraiment important, c’est qu’il n’a été tiré qu’à 2500 exemplaires, et que tous étaient dédicacés par Trent Reznor. Le tout coûtait 300$, mais c’était exceptionnel, unique, et ça ajoutait de la valeur à la musique. Les 2500 ont été vendus, ce qui n’a rien d’étonnant. Mais ce qui est impressionnant, c’est la vitesse à laquelle ils sont partis. Moins de 30 heures. Faites le calcul : ça donne 750 000 dollars en 30 heures pour de la musique qu’il donnait gratuitement.

Rien que la première semaine, si l’on inclut les autres offres, ils ont encaissé 1,6 million de dollars, là encore pour de la musique qu’ils distribuaient gratuitement, sans label, mais c’était vraiment une façon de créer un lien avec les fans, de leur donner une raison d’acheter, et de trouver un modèle économique efficace. Même si c’était gratuit et qu’on pouvait tout télécharger légalement une fois les morceaux mis en ligne sur des sites de Torrent ou de partage de fichiers, voici ce qu’a publié Amazon la semaine dernière : la liste de leurs meilleures ventes d’albums au téléchargement en 2008, où Ghosts I-IV arrive en tête.

Donc, voici un album gratuit qui en une seule semaine a rapporté 1,6 million de dollars, et qui a continué à bien se vendre sur Amazon tout le reste de l’année. On se rend bien compte qu’ici, la question ce n’est pas le prix. Le fait que l’album soit disponible gratuitement ne signifie pas la fin du modèle économique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tant que l’on crée un lien avec les fans et qu’on leur donne une raison d’acheter, il y a de l’argent à se faire.

Chapitre 3

Dans cette série d’expériences, deux mois seulement après Ghosts I-IV est sorti The Slip, et cette fois-ci c’était complètement gratuit, il suffisait de donner son adresse e-mail et on pouvait le télécharger en entier. Un lien de plus avec les fans. Les téléchargements étaient de qualité, on avait le choix entre des versions MP3 ou lossless. Pas du tout le principe « on vous file gratis la version merdique, passez à la caisse pour une meilleure version ». Encore une fois, il a essayé d’innover pour créer un lien plus fort avec les fans.

Voici les données de TopSpin, qui fournissait l’infrastructure pour les téléchargements, et qui a créé ces cartes sympas sur Google Earth pour qu’on voit d’où tous les autres téléchargeaient. Pas forcément utile, mais c’était chouette, et ça contribuait à construire la communauté, à créer un lien avec les fans. En parallèle, le jour de la sortie de The Slip, ils ont publié la liste des concerts pour la tournée 2008. On pouvait donc télécharger la musique, l’écouter, et aussitôt acheter des places.

Bien entendu, Reznor et NIN on toujours veillé à ce qu’il y ait une raison d’acheter des billets : ils ne donnent pas de simples concerts, mais offrent un spectacle complet. Ils jouaient devant un grand écran et amenaient plein d’idées afin d’en faire une expérience passionnante pour les fans, et les fans en redemandent. Ils sont emballés à l’idée d’aller à ces concerts, et pas seulement parce qu’ils vont voir Trent Reznor jouer. Bien sûr, Reznor n’en faisait pas profiter que NIN. Il y avait des premières parties sur la tournée, et il a enregistré un disque samplé, téléchargeable gratuitement lui aussi, avec des fichiers de bonne qualité de morceaux des différents groupes qui jouaient en première partie, permettant ainsi aux fans de créer un lien et leur donnant des raisons d’acheter des places de concerts pour aller voir ces groupes s’ils leur plaisaient.

Là encore, même si l’album était gratuit, il a donné d’autres raisons d’acheter en pressant l’album sur CD et vinyl, avec un tas de contenu supplémentaire dans une édition limitée et numérotée. On en revient au procédé de Ghosts I-IV, avec des tas de suppléments. J’insiste sur ce point parce que c’est vraiment important.

Chapitre 4

On n’a parlé que de sortie d’album, mais ces règles ne s’appliquent pas seulement quand on sort un album. Il faut créer un lien avec les fans tout le temps, sans discontinuer. Voici le site Web de Reznor, où il a mis en place des tas d’idées intéressantes, et je vais passer vite dessus parce qu’il y a beaucoup de choses, mais le lien se crée en permanence. Quand on se connecte, on voit les nouveautés, et puis on trouve les fonctions habituelles : de la musique à écouter, des outils communautaires comme les forums, les tchats. Mais il y a aussi des éléments moins évidents. Par exemple ce flux de photos, qui proviennent de Flickr. Ces photos ne sont pas toutes des clichés du groupe prises par des pros, mais ceux que les fans mettent sur Flickr sont regroupés sur le site. Ainsi on peut voir ce que les autres voyaient aux concerts où vous êtes allés, ou à ceux que vous avez manqué.

Il offre aussi des fonds d’écran que l’on peut télécharger, sous licence Creative Commons. On peut les retoucher, et d’ailleurs vous remarquerez que les images d’illustration que j’utilise sont justement tirées de ces fonds d’écran, légèrement modifiés pour que ça rentre sur les diapos. Dans le même esprit que les photos Flickr, il y a les vidéos. En gros, les fans filment des vidéos avec leur téléphone mobile, les mettent en ligne sur YouTube, et elles sont toutes regroupées sur le site. Pas de problème de procès, pas d’avertissements, pas de réclamations de la part de YouTube, les vidéos servent juste à créer du lien avec les fans, à leur donner une raison d’acheter.

Sur le site, on peut aussi télécharger des fichiers bruts, et NIN encourage les fans à les remixer, à les écouter, à les noter, à les échanger, ce qui implique vraiment les fans.

Autres idées amusantes : des concours, par exemple des tickets cachés qu’il faut trouver sur le site, des coordonnées indiquant l’emplacement de places gratuites pour un concert que NIN donnait dans un tunnel d’égout à Los Angeles. Il a mis sur son site une enquête de 10 pages à remplir, ce qui a permis d’élaborer un profil complet de ses fans. Mais le plus intéressant, c’est le courriel qu’il a envoyé, assez long comme vous le voyez, qui a montré que Reznor est proche de ses fans, ce qui hélas est rare dans l’industrie musicale.

À suivre

Passons au dernier chapitre. Je l’intitule « À suivre » plutôt que « Dernier chapitre », parce que c’est loin d’être fini. Reznor continue en permanence à expérimenter de nouvelles idées. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai dû compléter cette intervention, en espérant qu’il allait calmer le rythme de ses expérimentations, parce que ça commençait à être dur de maintenir cette présentation à jour. Il a publié un billet sur son blog expliquant sur le ton de la plaisanterie avoir été contacté par un mystérieux groupe d’agitateurs qui avaient filmé trois concerts et mis en ligne les rushes, des rushes en haute définition. Il y en a pour 450 gigas de rushes. La plupart des disques durs n’ont pas une telle capacité, et ça m’étonnerait que beaucoup d’entre vous ici aient 450 Go sur votre portable. Et puis il y a les fournisseurs comme ComCast qui limitent la bande passante à 250 Go par mois, voire TimeWarner qui descend encore plus bas, à 5 Go par mois. Et voilà Reznor qui refile 450 Go de vidéo HD et déclare : « Je suis sûr que des fans entreprenants vont nous mitonner un truc sympa ». Ça c’est vraiment un super moyen de créer le lien avec les fans, de leur donner une raison d’acheter, et c’est ce qui donne le modèle économique.

On peut voir ça sous un autre angle : au lieu de signifier Connect with Fans, CtW pourrait être l’acronyme de Compete With Free (NdT : le Gratuit Compétitif) et Rtb, au lieu de Reason to Buy, peut être l’abréviation de Retour au Business. Au lieu de se plaindre sans cesse du piratage et de diaboliser les nouvelles technologies, il vaut mieux s’efforcer de trouver un modèle économique qui fonctionne.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ça fonctionne pour de bon, sans qu’il y ait besoin de recourir aux licences collectives, aux DRM ou aux procès. Techniquement parlant, et c’est ce qui agace certains, il n’y a pas besoin de recourir aux droits d’auteur pour que ça marche: il suffit de créer le lien avec les fans et de leur donner une raison d’acheter.

Ce qu’il faut retenir aussi, c’est que ça vaut pour tous les musiciens, connus ou moins connus. Je me suis concentré sur Reznor, parce que c’est le sujet de mon intervention, mais des tas de petits groupes appliquent ce même modèle. En gros, Reznor ne fait qu’ouvrir la voie pour des tas d’autres et permettre que ça fonctionne. Quant aux autres, ils ne plagient pas, ils ne se contentent pas de copier les idées de Reznor. Ils partent de la recette de départ pour l’adapter à leur façon, et ça fonctionne aussi pour eux sans qu’ils aient à se soucier des licences, des DRM ou des procès. Pas de problème de copyright. Ils ne leur reste qu’à se concentrer sur l’avenir, sur la musique, et à inventer les modèles économiques qui fonctionnent de nos jours.

Voilà, j’ai expliqué dans cette intervention pourquoi Trent Reznor et NIN représentent l’avenir de l’industrie musicale. Si vous souhaitez me contacter, voici mes deux adresses e-mail.

Merci.




Petit précis de lutte contre le copyright par Cory Doctorow

Joi - CC byEn ces temps troublés où fait rage le débat (ou plutôt la lutte en ce qui nous concerne) sur l’adoption du projet de loi Hadopi, où l’engagement et l’indignation des uns se heurte à l’indifférence, à la mauvaise foi ou à l’entêtement forcené des autres, il est bon d’avoir l’avis d’un artiste, un écrivain en l’occurrence, qui sait de quoi il parle.

Il s’agit de Cory Doctorow, dont nous avions déjà traduit ses difficultés existentielles d’écrivain à l’ère d’Internet.

Petit rappel : Cory Doctorow[1] est un auteur de science-fiction d’origine canadienne, journaliste et blogueur, animateur du site BoingBoing, militant à l’EFF, partisan de la free-culture et, comme il se définit lui-même, « activiste du numérique ».

En plus d’écrire des romans de qualité (Dans la dèche au royaume enchanté, Folio SF ; et son dernier, Little Brother, doit bientôt paraître chez Pocket, et ça les amis, c’est un scoop, de l’insider information.) publiés de façon classique, Cory Doctorow met à disposition toutes ses œuvres sous licence Creative Commons, à télécharger gratuitement (en anglais, les traductions françaises sont quant à elles soumises au régime des droits d’auteur).

Dans la préface à ses romans proposés au format pdf, il explique que cette démarche est pour lui la meilleure façon de ne pas vivre dans l’ombre et de voir son art diffusé, citant l’aphorisme de Tim O’Reilly : « Pour la majorité des écrivains, le gros problème ce n’est pas d’être piraté, c’est de rester inconnu ».

Dans cet article publié sur LocusMag.com (site d’un magazine de SF), Cory Doctorow expose de façon claire et pédagogique son point de vue sur le copyright (on pourrait dire droit d’auteur mais la notion n’est pas exactement la même), et explique en substance qu’à trop vouloir verrouiller le partage, on va finir par tuer la culture.

J’adapterai sa conclusion à la situation que nous vivons en ce moment en France et qui est en plein dans l’actualité, le projet de loi « Création et Internet » devant être examiné aujourd’hui, et ajouterai qu’en cherchant à préserver un modèle obsolète de diffusion du contenu culturel, les soi-disant défenseurs de la culture ne font que scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Why I Copyfight : pourquoi je suis contre le copyright

Why I Copyfight

Cory Doctorow – novembre 2008 – LocusMag
(Traduction Framalang : Don Rico)

Pourquoi accorder tant d’importance à la question de la réforme du copyright ? Qu’est-ce qui est en jeu ?

Tout.

Jusqu’à une époque récente, le copyright était une réglementation industrielle. Si l’on tombait dans le domaine du copyright, cela signifiait que l’on utilisait quelque prodigieuse machine industrielle – une presse d’imprimerie, une caméra de cinéma, une presse à disques vinyles. Le coût d’un tel équipement étant conséquent, y ajouter deux cents billets pour s’offrir les services d’un bon avocat du droit de la propriété intellectuelle n’avait rien d’un sacrifice. Ces frais n’ajoutaient que quelques points de pourcentage au coût de production.

Lorsque des entités n’appartenant pas une industrie (individus, écoles, congrégations religieuses, etc.) interagissaient avec des œuvres soumises au copyright, l’utilisation qu’elles en avaient n’était pas régie par le droit de la propriété intellectuelle : elles lisaient des livres, écoutaient de la musique, chantaient autour du piano ou allaient au cinéma. Elles discutaient de ces œuvres. Elles les chantaient sous la douche. Les racontaient (avec des variations) aux enfants à l’heure du coucher. Les citaient. Peignaient des fresques inspirées de ces œuvres sur le mur de la chambre des enfants.

Puis vinrent les débuts du copyfight (NdT : lutte contre le copyright, abrégé ici en « anti-copyright ») : ce fut l’ère analogique, lorsque magnétoscopes, double lecteurs de cassettes, photocopieuses et outils de copie apparurent. Il était alors possible de se livrer à des activités relevant du droit de la propriété intellectuelle (copie, interprétation, projection, adaptation) avec des objets de tous les jours. On trouvait parfois sur les stands de vente des conventions SF des « romans » fanfics grossièrement reliés, les ados se draguaient à coups de compils, on pouvait apporter un film enregistré sur cassette chez les voisins pour se faire une soirée vidéo.

Pourtant, en comparaison, on risquait alors beaucoup moins gros. Même si l’on pouvait douter du caractère légal de certaines de ces activités (nul doute que les gros détenteurs de droits d’auteur les considéraient comme des valises nucléaires technologiques, comparaient les magnétoscopes à Jack l’Éventreur et affirmaient que « copier un disque sur une cassette allait tuer la musique »), faire appliquer la loi coûtait très cher. Éditeurs, maisons de disques et studios de cinéma ne pouvaient surveiller les activités auxquelles vous vous livriez chez vous, au travail, dans les fêtes ou aux conventions ; en tout cas pas sans recourir à un réseau ruineux de cafteurs rémunérés dont les salaires auraient dépassé les éventuelles pertes subies.

Arrive alors l’Internet et l’ordinateur personnel. Voici deux technologies qui forment une combinaison parfaite pour précipiter les activités ordinaires des gens ordinaires dans le monde du copyright : chaque foyer possède l’équipement nécessaire pour commettre des infractions en masse (le PC), lesquelles infractions se déroulent par le biais d’un vecteur public ‘l’Internet) que surveiller ne coûte rien, permettant ainsi une mise en application du copyright à faible coût dirigée contre des milliers d’Internautes comme vous et moi.

Qui plus est, les échanges effectués par Internet sont davantage susceptibles de représenter une violation du copyright que leur équivalent hors-ligne, car chaque échange sur Internet implique une copie. L’Internet est un système conçu pour produire de façon efficace des copies entre ordinateurs. Alors qu’il suffit de simples vibrations de l’air pour rendre possible une discussion dans votre cuisine, la même discussion passant par Internet génère des milliers de copies. Chaque fois que vous pressez une touche, cette action est copiée plusieurs fois sur votre ordinateur, copiée vers votre modem, puis copiée sur toute une série de routeurs, et ensuite (souvent) sur un serveur, processus qui aboutit à des centaines de copies, éphémères ou durables, pour enfin parvenir aux autres participants à la discussion, chez qui seront sans doute produites des dizaines de copies supplémentaires.

Dans le droit de la propriété intellectuelle, on considère la copie comme un événement rare et non négligeable. Sur Internet, la copie est automatique, instantanée, et produite en masse. Punaisez une vignette de Dilbert sur la porte de votre bureau, vous n’enfreignez pas le copyright. Prenez une photo de la porte de votre bureau et publiez-la sur votre site perso de sorte que vos mêmes collègues la voient, vous avez enfreint le copyright. Et puisque le droit de la propriété intellectuelle considère la copie comme une activité très réglementée, il impose des amendes pouvant atteindre des centaines de milliers de dollars pour chaque infraction.

Il existe un mot pour désigner tout ce que nous faisons à partir de créations intellectuelles – discuter, raconter, chanter, jouer, dessiner et réfléchir : ça s’appelle la culture.

La culture est ancienne. Elle existait bien avant le copyright.

L’existence de la culture, voilà qui rend le copyright rentable. Notre soif infinie de chansons à chanter ensemble, d’histoires à partager, d’art à admirer et à ajouter à notre vocabulaire visuel, telle est la raison qui nous pousse à dépenser de l’argent pour satisfaire ces désirs.

J’insiste sur ce point : si le copyright existe, c’est parce que la culture génère un marché pour les œuvres de l’esprit. Sans marché pour ces œuvres, il n’existerait aucune raison de se soucier du copyright.

Le contenu n’est pas roi : c’est la culture qui est reine. Si nous allons au cinéma, c’est pour discuter du film. Si je vous expédiais sur une île déserte et vous sommais de choisir entre vos disques et vos amis, vous seriez un sociopathe si vous choisissiez la musique.

Pour qu’il y ait culture, il faut partager l’information : la culture, c’est le partage de l’information. Les lecteurs de science-fiction le savent : dans le métro, le gars assis en face de vous qui est en train de bouquiner un roman de SF à couverture tapageuse fait partie de votre clan. Il y a de fortes chances que vous partagiez certains goûts de lecture, les mêmes références culturelles, et des sujets de discussion.

Si vous adorez une chanson, vous la faites écouter aux autres membres de votre tribu. Quand vous adorez un livre, vous le fourrez dans les mains de vos amis pour les encourager à le lire à leur tour. Quand vous voyez une émission géniale à la télé, vous incitez vos amis à la regarder aussi, ou bien vous cherchez ceux qui l’ont déjà regardée et entamez la conversation.

La réflexe naturel de quiconque s’entiche d’une œuvre de création, c’est de la partager. Et puisque sur Internet « partager » équivaut à « copier », voilà qui vous met directement dans le colimateur du copyright. Tout le monde copie. Dan Glickman, ancien membre du Congrès à présent à la tête de la Motion Picture Association of America (NdT : équivalent pour le cinéma de la tristement célèbre RIAA), défenseur on ne peut plus zélé du copyright, a reconnu avoir copié le documentaire de Kirby Dick This Film is Not Yet Rated (NdT : ce film n’a pas encore été classé), une critique au vitriol du processus de classement des films par la MPAA, mais a pris comme prétexte que la copie se trouvait « dans (son) coffre-fort ». Prétendre qu’on ne pratique pas la copie, c’est être aussi crispé et hypocrite que les anglais de l’époque victorienne qui juraient ne jamais, au grand jamais, se masturber. Chacun sait qu’il nous arrive à tous de mentir, et un grand nombre d’entre nous sait que tous les autres mentent aussi.

Mais le problème auquel est confronté le copyright, c’est que la plupart de ceux qui copient le reconnaissent volontiers. La majorité des internautes américains pratiquent l’échange de fichiers, considéré comme illégal. Si demain l’échange de fichiers par réseau P2P était enrayé, ceux qui le pratiquent partageraient les mêmes fichiers, et plus encore, en échangeant des disques durs, des clés USB ou encore des cartes mémoire (et davantage de données changeraient de main, bien que plus lentement).

Ceux qui copient savent qu’ils enfreignent les lois du copyright mais ne s’en inquiètent pas, ou croient que la loi ne peut criminaliser leurs pratiques, et pensent qu’elle lutte contre des formes de copie plus extrêmes telles que la vente de DVD pirates à la sauvette. En réalité, le droit du copyright réprime beaucoup moins lourdement ceux qui revendent des DVD que ceux qui téléchargent les mêmes films gratuitement sur Internet, et l’on risque beaucoup moins gros en achetant un de ces DVD (à cause des coûts très élevés de la lutte contre ceux qui font du commerce dans le monde réel) qu’en les téléchargeant sur le Net.

D’ailleurs, ceux qui pratiquent la copie s’attachent à établir une philosophie très élaborée à propos de ce qu’on a le droit ou pas de télécharger, avec qui et dans quelles circonstances. Ils intègrent des cercles privés de partage, décident entre eux de normes à respecter, et créent une multitude de para-copyrights qui constituent l’expression d’un accord culturel définissant la façon dont ils doivent se comporter.

Le gros problème, c’est que ces para-copyrights n’ont quasi rien en commun avec le véritable droit du copyright. Peu importe que vous en soyez partisan ou non, vous enfreignez sans doute la loi – alors si vous concevez des vidéo-clips d’animés (des clips de musique conçus en mettant bout à bout des séquences de films mangas — cherchez « vidéo-clips d’animés » dans Google pour en voir des exemples), vous aurez beau respecter les règles établies par votre groupe – par exemple l’interdiction de montrer vos créations à des personnes extérieures à votre groupe et l’obligation de n’utiliser que certaines sources de musique et de vidéos –, vous n’en commettrez pas moins pour des millions de dollars d’infractions à chaque fois que vous vous installerez devant votre PC.

Rien d’étonnant à ce que le para-copyright et le copyright ne puissent trouver de terrain d’entente. Car après tout, le copyright réglemente les pratiques commerciales entre entreprises géantes. Le para-copyright ne réglemente que les pratiques d’individus dans un cadre culturel donné. Normal que ces ensembles de règles n’aient rien en commun.

Il est tout à fait possible qu’on parvienne un jour à une détente entre ceux qui pratiquent la copie et les détenteurs de copyright : par exemple avec un ensemble de règles qui ne s’appliqueraient qu’à la « culture » et non à « l’industrie ». Mais pour amener autour de la table ceux qui copient, il faut impérativement cesser d’insinuer que toute copie non autorisée équivaut à du vol, à un crime, à un acte condamnable. Face à de tels propos, ceux qui savent la copie facile, juste et bénéfique estiment que ses détracteurs racontent n’importe quoi ou que leurs arguments ne les concernent pas.

Si demain l’on mettait fin à la copie sur Internet, on mettrait également fin à la culture sur Internet. Sans sa mine de vidéos considérées en infraction, YouTube disparaîtrait ; sans ses petits avatars et ses passionnants extraits de livres, d’articles et de blogs, LiveJournal passerait l’arme à gauche ; sans toutes ses photos d’objets, d’œuvres et de scènes sous copyright, sous marque déposée ou protégées d’une façon ou d’une autre, Flickr se viderait de sa substance et crèverait.

C’est grâce à nos discussions que nous voulons acquérir les œuvres dont nous discutons. Les fanfics sont écrits par des fanas de littérature. Les vidéos sur YouTube sont mises en ligne par ceux qui veulent vous donner envie de regarder les émissions dont elles sont extraites afin d’en discuter. Les avatars de LiveJournal permettent de montrer que l’on apprécie une œuvre.

Si la culture perd la guerre du copyright, ce que le copyright est censé défendre mourra avec lui.

Notes

[1] Crédit photo : Joi Ito (Creative Commons By)




Nous sommes tous des gus dans un garage

Shym0n - CC by« Nous sommes tous des juifs allemands » est l’une des citations célèbres de mai 68, proclamée par la jeunesse en signe de solidarité à Daniel Cohn-Bendit, alors interdit de séjour en France.

Ce soir, la Quadrature du Net peut compter sur « un gus de plus dans son garage », suite à la rocambolesque affaire de la dépêche AFP modifiée que nous relate le site PC INpact.

Ce dimanche 8 mars à 8h13, la dépêche AFP, titrée « Internet : texte antipiratage à l’Assemblée pour la défense de la création », se terminait ainsi :

Un collectif de citoyens, la Quadrature du Net, encourage les internautes à abreuver les députés de mails hostiles à cette loi. « Ce sont cinq gus dans un garage qui font des mails à la chaîne », relativise le cabinet de Mme Albanel.

Une « pointe » de mépris que ne manquât pas de relever PC INpact dans son premier article La Quadrature ? « 5 gus dans un garage » pour le cabinet d’Albanel.

Consciencieux, PC INpact nous a alors pondu un deuxième article : Réaction de la Quadrature du Net aux propos du ministère dont voici un large extrait :

Jérémie Zimmermann : « Nous sommes flattés de tant d’attention de la part du ministère ! Cela prouve que l’action des nombreux citoyens épris de liberté qui contactent leurs députés commence à porter ses fruits. Cela révèle la peur de la ministre de se retrouver confrontée aux réalités techniques et à l’opinion des citoyens. Quelque chose nous dit qu’elle n’a pas fini de nous faire rire !

Internet et les technologies numériques, dont le cabinet de la ministre démontre sa méconnaissance totale dans cette loi imbécile, ont été en grande partie inventés par des gus dans des garages ! C’est peut-être un juste retour des choses : l’arrivée dans le débat des gus dans les garages après des années de lobbyistes dans les cabinets ministériels.

Il faut continuer à informer ses députés, en prenant bien soin d’envoyer des mails personnalisés, et surtout en téléphonant et sollicitant des entretiens ! »

Un peu plus tard dans la journée, troisième épisode et coup de théâtre : la dépêche originale de l’AFP a été « mise à jour » et ne figure alors plus la mention des « gus dans leur garage » !

Le problème c’est qu’il est assez difficile de jouer les cachottiers sur Internet[1]. Toujours aussi consciencieux, PC INpact a en effet gardé une copie écran de la première version de la dépêche dans ce dernier article intitulé La communication autour de la loi antipiratage commence mal.

Vous voulez que je vous dise… je crois que nous nous sommes trouvés un beau slogan !

Merci l’AFP, Mme Albanel et son cabinet.

Notes

[1] Crédit photo : Shym0n (Creative Commons By)




Étudiantes, étudiants : libérez vos travaux universitaires !

Foundphotoslj - CC byLe titre de ce billet est une suggestion et non une injonction. Il invite les étudiants à considérer la mise sous licence Creative Commons de leurs écrits universitaires (mémoires, thèses…) afin de faciliter le partage, l’échange et la mise en commun du savoir et de la connaissance.

Nous avions tenté en introduction d’un billet précédent d’expliquer la différence entre « copyleft » et « copyright ». Or, en l’absence de toute mention de licence, les travaux sont alors automatiquement placés par défaut sous le régime du « copyright classique », avec des effets collatéraux, comme ceux décrits ci-dessous, qui ne sont pas forcément désirés par leurs auteurs.

Étudiantes[1], étudiants, vous pouvez bien entendu refuser ce choix (par exemple parce que, modestes, vous ne jugez pas votre travail digne d’être diffusé). Mais encore faudrait-il que vous ayez conscience qu’un tel choix existe[2].

Les choses bougent mais, nous semble-t-il, encore trop rares sont les étudiants réellement au courant de cette alternative. Et nous comptons sur les enseignants et leurs administrations universitaires pour en faire si ce n’est la promotion tout de moins le minimum syndical en matière d’information.

Copyright et Copyleft dans les publications universitaires

Copyright and Copyleft in Publications

Ian Elwood – 17 février 2009 – The Daily Californian
(Traduction Framalang : Don Rico)

Creative Commons une alternative au traditionnel copyright ou la promotion d’un accès plus large à la connaissance

Le prix des recueils de textes et documents pour les cours d’université s’élève à 200 dollars à cause des coûts excessifs des autorisations de droits d’auteur. Les bibliothèques sont paralysées par les prix exorbitants des bases de données propriétaires et des revues à accès restreint. L’accès au savoir devient de plus en plus la chasse gardée de grosses entreprises qui cherchent à rentabiliser l’éducation en limitant l’accès à l’information.

À l’université de Californie, à Berkeley, nombreux sont les étudiants à ne pas se soucier de la propriété intellectuelle ou des droits d’auteur. Même si les travaux d’étudiants tels que les thèses ou les mémoires sont la propriété de l’étudiant, jusqu’à une période récente la mention de copyright standard sur un mémoire indiquait par défaut « Tous droits réservés ». Bien que cette pratique n’ait pas d’impact direct sur l’augmentation du coût des études, un étudiant qui choisirait une solution alternative au droit d’auteur traditionnel constituerait une action modeste pouvant servir de catalyseur à la réduction de nombreux coûts dans le domaine des études.

Lawrence Lessig, professeur de droit à l’université de Stanford, a créé les licences Creatives Commons afin que les détenteurs de droits d’auteur puissent autoriser de nouvelles façons d’utiliser leurs travaux artistiques et universitaires. Le détenteur d’un copyright peut opter pour une licence « Certains droits réservés » qui encourage les autres membres de la communauté à adapter et à réutiliser ses travaux sans avoir à demander l’autorisation ou verser des droits d’auteur. Cette licence ouvre de nombreuses possibilités dans le monde universitaire, tels que la mise à disposition de recueils de textes et documents en ligne gratuits, de contenu multimédia éducatif à coût nul, et de didacticiels en ligne gratuits. Même le prix des manuels scolaires pourrait en être fortement réduit. Plus important peut-être que l’aspect financier, utiliser la licence Creative Commons revient surtout, en partageant vos productions intellectuelles avec la communauté universitaire, à apporter votre pierre à la mise en commun du savoir, car les générations futures de chercheurs auront un accès facilité à vos travaux.

Deux étudiants de Berkeley, Joseph Lorenzo Hall et Danah Boyd, ont récemment placé leur mémoire sous une licence Creative Commons. Hall s’est heurté de nombreux obstacles bureaucratiques, mais la plupart de ses difficultés provenaient de simples problèmes formels, et non d’opposition idéologique de la part l’université. Peu après, une autre diplomée de la School of Information (NdT : faculté des Sciences de l’information), Danah Boyd, a elle aussi placé son mémoire sous licence Creative Commons.

Le 28 janvier 2009, le Doyen du département de troisième cycle s’est engagé à ce que les futurs étudiants puissent opter pour la licence Creative Commons. Tous les étudiants désireux de rendre l’éducation plus abordable et plus accessible devraient envisager de recourir aux Creative Commons plutôt qu’au copyright traditionnel.

Prendre part à ce mouvement est d’une simplicité enfantine : il suffit de procéder à deux modifications sur un mémoire ou sur une thèse. Tout d’abord, l’auteur inscrit « Certains droits réservés » au lieu de « Tous droits réservés » sur la page de copyright. Ensuite, il inclut en appendice le contrat complet (Code juridique) de la licence Creative Commons de son choix. Ceux qui souhaitent libérer leur publications universitaires peuvent voir des exemples sur les sites respectifs de Joseph Lorenzo Hall et Danah Boyd.

Notes

[1] Crédit photo : Foundphotoslj (Creative Commons By)

[2] Le choix ne se limite pas aux licences Creative Commons. Ne pas oublier qu’il existe également la Licence Art Libre qui, bien que peu diffusée dans le monde anglophone, est tout aussi indiquée dans le cas qui nous concerne ici.




Le projet OpenOffice.org est-il en bonne ou mauvaise santé ?

Joseppc - CC by-saMichael Meeks n’est pas forcément neutre lorsqu’il évoque la suite bureautique libre OpenOffice.org (OOo). Il est en effet desktop Architect chez Novell, la société qui a « pactisé » avec Microsoft. A ce titre il participe activement au projet Go-oo, une version modifiée d’OpenOffice.org (située à la limite du fork, parfois appelée « alternative Novell à OOo »).

D’après Meeks, Go-oo est justement né pour pallier certaines lacunes d’OpenOffice.org, d’abord techniques mais aussi organisationnelles, principalement liées à un leadership trop fort de la société Sun sur le projet. Chiffres à l’appui, il a n’a ainsi pas hésité à qualifier OOo de « profondément malade ». C’est le sujet de la traduction du jour issue du site ZDNet (Asie).

Pour de plus amples informations, nous vous suggérons de parcourir ces deux dépêches LinuxFr : Go-oo, une alternative à OpenOffice et surtout Go-oo et OOo : fr.OpenOffice.org répond à vos questions.

Au delà de la polémique, se pose donc la question des avantages et des inconvénients d’un projet libre piloté (« de trop près » ?) par une société commerciale.

On peut également en profiter pour faire le point sur les qualités et les défaut intrinsèques de la suite bureautique OpenOffice.org par rapport à la concurrence. Selon certains observateurs, MS Office 2007 aurait ainsi pris un peu d’avance ces derniers temps, surtout si Microsoft se décide à réellement implémenter nativement le format ODF (ce qui n’est pas encore le cas malgré les déclarations d’intention). Sans oublier les solutions « dans les nuages » de type Google Docs qui font de plus en plus d’adeptes[1].

Openoffice.org est-il un cheval mourant ?

Is OpenOffice.org a dying horse?

Eileen Yu – 12 janvier 2009 – ZDNet Asia
(Traduction Framalang : Vincent)

Openoffice.org n’a toujours pas dépassé sa date d’expiration, mais il y a encore beaucoup à faire pour piloter et organiser la participation de la communauté et s’assurer que le logiciel Open Source reste pertinent, affirment des observateurs du secteur.

Officiellement sortie sur le marché en avril 2002, Openoffice est une suite bureautique Open Source disponible en téléchargement gratuit. Sun Microsystems en est le premier sponsor et le principal participant au code du projet OpenOffice, qui compte également Novell, Red Hat, IBM et Google parmi les sociétés contributrices.

Sun a cependant été critiqué pour son contrôle trop étroit d’un projet qui n’encourage alors pas assez la participation communautaire.

Dans un article de son blog posté en Octobre l’année dernière, Michael Meeks, développeur d’OpenOffice.org, incluait des données et des statistiques qui, disait-il, soulignaient le « lent désengagement de Sun » et « une spectaculaire baisse de croissance » de la communauté des développeurs OpenOffice.

En le qualifiant de « mourant » et de « projet profondément malade », Meeks demandait à Sun de s’éloigner de OpenOffice et de réduire sa mainmise sur le code. Contacté sur ce point, Sun n’a pas été en mesure de répondre à l’heure où nous mettions sous presse.

Dans une interview réalisée par e-mail avec ZDNet Asie, Meeks reconnaît que Sun est un participant important à OpenOffice, fournissant le plus grand nombre de développeurs au logiciel. Cependant, il a ajouté qu’il devrait y avoir plus de contributeurs de grandes sociétés impliquées dans le projet.

« Je pense que la raison pour laquelle les autres sociétés trouvent difficile de s’impliquer fortement dans OpenOffice et précisément le fait que Sun possède et contrôle l’ensemble du projet », note-t-il. « Il est alors plus compliqué d’attirer une large base de participants. »

« Les sociétés investissent largement dans Linux qui a alors plus de succès pour attirer des développeurs que OpenOffice. »

Le job de Meeks est d’être le leader de l’équipe de développement OpenOffice.org chez Novell, mais il tient à souligner que ses réflexions sur OpenOffice ne reflètent pas celles de son employeur.

« Il y a beaucoup de problèmes de process (associés avec OpenOffice) et un manque d’engagement externe, et même lorsqu’il s’agit de changement de code mineure les procédures se révèlent super-pesantes pour n’importe quel changement de code mineur. Les problèmes pourraient être facilement résolues dans un communauté plus large », a-t-il dit.

La contribution au code n’est pas un indicateur précis

David Mitchell, vice-président senior de la recherche IT chez Ovum, est en désaccord avec le fait qu’un manque de contribution communautaire doit être interprété négativement, en notant que le succès des produits Open Source dépend de l’adoption du produit par les utilisateurs, pas du profil des développeurs.

« L’implication et l’engagement des développeurs diffèrent selon la maturité des projets, les projets matures auront presque toujours moins de nouveau code validé que les projets tous neufs », expliquait Mitchell dans un échange de mails. « Une restructuration massive d’un code défaillant ou mal structuré peut aussi produire de nombreuses lignes de code, mais ne va pas nécessairement refléter un produit solide et robuste. »

Le code de OpenOffice, a-t-il ajouté, est déjà « assez mature » et « relativement stable ».

Peter Cheng, fondateur et responsable d’une firme de conseil en Open Source, TargetSource, est d’accord.

Contestant l’observation de Meek selon laquelle le logiciel est « mourrant », Cheng a déclaré à ZDNet Asie que le code de OpenOffice continuait à croître, quoique à un rythme plus lent.

Parce que le logiciel est devenu un projet vaste et complexe, on ne peut pas s’attendre à ce que son code croisse au même rythme que lorsqu’il a été lancé, déclara-t-il. Basé à Pékin, Cheng est aussi un blogueur de ZDNet Asie sur l’Open Source.

Il a noté que OpenOffice est supporté par une communauté de 451 contibuteurs.

D’après Khairil Yusof, un développeur de logiciel Open Source consultant chez Inigo Consulting, une équipe réduite de collaborateurs actifs n’est pas un problème majeur pour les utilisateurs de grandes sociétés.

De par la nature de l’Open Source et des standards ouverts, dit Yusof, les sociétés peuvent fournir des services de développeurs indépendants ou de fournisseurs de service Open Source, pour travailler sur OpenOffice et corriger des problèmes critiques pour leurs affaires. Basé en Malaisie, Inigo fournit des services de conseil spécialisés dans le logiciel Open Source.

« Ceci peut être fait indépendamment même de Sun ou Novell, sur le modèle de ce qu’a fait Novell avec sa propre version de OpenOffice », a-t-il dit à ZDNet Asie.

Est-ce que Sun doit renoncer à son rôle ?

D’après Mitchell, savoir si Sun doit renoncer à son rôle est discutable parce que ça ne changerait pas forcément les choses pour la communauté ou le produit.

« La forte gouvernance du développement qui provient d’un sponsor principal pourrait bien alors souffrir d’une fragmentation de la communauté », nous dit l’analyste.

Meeks, de son côté, pense que le logiciel se porterait bien mieux sans Sun sur son dos.

Il nous a expliqué que le conseil communautaire qui supervise OpenOffice a simplement un rôle consultatif et ne possède rien dans le logiciel.

« Ceci a l’air tout beau et ouvert, mais il n’a aucune autorité réelle. La gouvernance actuelle est assez sclérosée, et n’est clairement pas orientée vers les développeurs », dit-il. « Pire, sous le capot, la seule entité légale qui possède les avoirs intéressants est Sun. »

« A cause de cela, vous pouvez traduire des questions comme pourquoi les gens n’investissent-ils pas dans OpenOffice ? en pourquoi les gens n’investissent pas dans Sun ? La réponse étant, je pense, assez triviale : parce que c’est une société commerciale », raconte Meeks.

« Si nous pouvions transformer OpenOffice en fondation, avec une gouvernance juste et représentative par les développeurs, alors oui, je suis certain que le projet se porterait bien mieux sans un veto de Sun à chaque étape », dit-il.

Yusof supporte également l’appel de Meeks pour que Sun abandonne sa propriété.

« Comme c’est souvent le cas avec d’autres projets réussis et orientés vers une communauté active de développeurs, c’est souvent mieux que la gestion du projet soit faite par une fondation indépendante », explique-t-il.

La Fondation Apache, par exemple, a été fondé par des concurrents commerciaux, tels que IBM et Microsoft, dit-il. La fondation Gnome est également co-opérée par des concurrents tels que Red Hat, Sun et Novell, qui contribuent tous activement au développement du logiciel, ajoute Yusof.

Meeks a ajouté que cette façon de faire pourrait également être une bonne opportunité pour Sun, car cela attirerait plus d’intérêt autour d’OpenOffice, réduirait la fragmentation actuelle, et construirait un OpenOffice plus grand et plus apprécié. Sun serait alors bien positionné pour tirer de substantiels bénéfices du support de ses développements potentiels.

Mitchell note que OpenOffice 3.0 a été une version majeure en 2008, et que l’on devrait voir une adoption croissante cette année.

Les fournisseurs qui ont fait du développement spécifique sur OpenOffice vont également aider à son adoption, dit Mitchell, citant pour l’exemple la suite Lotus Symphony de IBM, qui a été développée sur la base du code OpenOffice. L’analyste pense que 2009 sera « une bonne année » pour OpenOffice en termes de croissance du nombre d’utilisateurs.

« Cependant, savoir si Sun pourra transformer cette augmentation de l’adoption de OpenOffice en source de revenus est une autre affaire », dit-il. « Monétiser MySQL et OpenSolaris est probablement plus facile pour Sun, car la demande en contrats de supports pour les entreprises est probablement plus grande. »

Cheng a déclaré : « Sun est bon dans la technologie, mais pas dans les affaires ».

Il a ajouté que, même si la société a depuis plusieurs années adhéré au logiciel, spécifiquement Open Source, comme part intégrante de sa stratégie, Sun est de manière inhérente « encore une société de matériel ». « Toutes les intentions de la société sont focalisées sur la vente de ses machines », dit-il.

« Je pense que la chose la plus importante pour Sun, par rapport à sa stratégie avec OpenOffice, est de déterminer comment équilibrer la communauté et les affaires », dit Cheng, ajoutant que la communauté des développeurs doit avoir suffisamment d’espace de liberté pour « gérer les choses comme elle l’entend ».

« Si vous regardez la fondation Eclipse, dans les cinq dernières années, elle a bâti un bel écosystème autour de la plate-forme. Chaque participant à la communauté peut en bénéficier, pas seulement les individus, mais également les entités commerciales. »

« OpenOffice devrait repenser sa position en tant que communauté Open Source, améliorer la structure de gouvernance de cette communauté, et inciter plus de collaborateurs d’enterprises aussi bien qu’individuels se joindre au projet », dit-il.

Garder une communauté active de développeurs

Maintenir un écosystème en bonne santé, et une communauté active est critique pour le développement des logiciels libres, note Cheng. Il ajoute que les innovations les plus importantes seront impulsées quand le processus de développement recueillera plus de participants.

Sur ce point, Meeks est d’accord, en notant que les développeurs sont le plus grand challenge que le projet OpenOffice ait à résoudre.

« Nous devons rentrer dans le jeu, être fiers de notre code, en lire plus, le réparer, l’affiner et l’améliorer. Nous devons être plus rapide, plus concis, plus clair presque partout dans le code, il y a un énorme travail à faire », dit-il. « Bien sûr, du point de vue des fonctionnalités, nous devons également rester compétitifs. »

« Ce n’est pas le travail qui manque dans OpenOffice. Par exemple, le nouveau composant Base nécessite un large effort pour le rendre comparable à Access, et nous avons également besoin d’un concurrent à Visio, etc. », dit-il.

Meeks note un contraste fort entre la participation de la communauté sur le noyau Linux et sur OpenOffice. « Linus (Torvalds) a déclaré plusieurs fois que le noyau Linux était presque terminé et inintéressant, que les gens devaient se focaliser sur les couches plus hautes du système, et pourtant, il semble attirer toujours plus de participants. »

« OpenOffice a clairement de nombreux points à améliorer, et pourtant il attire un faible nombre de collaborateurs, cela montre clairement qu’il y a un problème. »

Les licences, également, peuvent devenir un problème.

Cheng note que OpenOffice est actuellement soumis à de trop nombreuses licences, notamment la GPL 3, la nouvelle licence BSD, et Mozilla Public Licence 1.0.

« Quiconque voudrait construire une application basée sur OpenOffice sera face à des problèmes juridiques trop complexes à traiter », dit-il. « Je pense que c’est pour cela que l’écosystème de OpenOffice ne fonctionne pas aussi bien que celui d’Eclipse. »

Notes

[1] Crédit photo : Joseppc (Creative Commons By-Sa)




De l’efficacité des agités du bocal Internet

Grégoire Lannoy - CC byNumerama et le Framablog ont une intersection de lecteurs non vide mais une réunion non confondue. Lorsque l’excellent Guillaume Champeau a mis en ligne l’article que je vous propose reproduit ci-dessous, je lui ai de suite envoyé un mail pour le féliciter et lui dire qu’il me dispensait alors d’écrire un billet similaire qui me trottait dans la tête depuis un petit bout de temps (oui, je sais, ça mange pas de pain, et ça fonctionne avec tout le monde : bonjour Mr Kant, merci pour votre Critique de la raison pure, que j’avais justement pour projet de rédiger…).

Comment se fait-il qu’on se retrouve avec un projet de loi Hadopi qui fait quasiment l’unanimité contre lui sur le Net mais qui se heurte à l’indifférence de Mme Michu ? La faute aux grands médias ? Non, la faute aux internautes qui se complaisent à penser qu’en restant assis le cul derrière leur chaise à parer leur site de noir, il vont faire pencher la balance du bon côté. Telle serait, en (très) gros, la problématique posée par l’article.

Bon, il faut dire aussi que l’on n’est pas forcément aidé par nos représentants publiques, à commencer par certains partis politiques[1] traditionnels qui se distinguent par leur… atonie ! Le parti Chasse, pêche, nature et traditions défend des intérêts bien identifiés, faudra-t-il en venir à la création d’un équivalent du Parti pirate suédois ?

En apparté : Même si de gros progrès ont eu lieu ces derniers temps sous l’impulsion de nombreux acteurs de terrain, on est assez proche de la même situation pour ce qui concerne Mme Michu et les logiciels libres : il y a bien un moment où il faut descendre dans l’arène si on veut réellement être efficace et rassembleur (on en parlait hier justement).

Riposte graduée : pourquoi la contestation s’arrête aux frontières du net ?

URL d’origine du document

Guillaume Champeau – 5 mars 2009 – Numerama.com
Licence Creative Common By-Nc-Nd

A moins d’une semaine de l’examen du projet de loi Création et Internet, le débat sur la riposte graduée et ses implications sur la société tout entière n’a pas émergé. Pas en dehors du net, où les voix, pourtant extrêmement nombreuses et majoritaires, ne se font pas entendre. Pourquoi ?

Le débat sur la loi Création et Internet et la riposte graduée doit débuter mardi à l’Assemblée Nationale. Et Madame Michu l’ignore.

Elle ignore que le texte présenté par le gouvernement prévoit de l’obliger à sécuriser sa connexion à Internet, et qu’elle n’aura ni les moyens juridiques ni les moyens matériels de se défendre si, par malheur, elle était accusée par l’Hadopi d’avoir téléchargé le dernier single de P. Diddy. Laurence Ferrari ne l’a pas prévenue.

Elle ignore, aussi, que le texte pose la première pierre d’une obligation générale de filtrage qui, sans qu’un juge n’ait son mot à dire, aboutira à limiter la liberté d’expression de ses concitoyens, au bon vouloir du gouvernement. David Pujadas n’en a rien dit.

Elle ignore enfin, que le paysage dévasté par le piratage que décrit Nicolas Sarkozy a été dessiné par les lobbys qui ont intérêt à voir la loi s’appliquer, alors qu’il est en fait riche de mille fleurs et n’a jamais été aussi prolifique. Le Président l’a dit dans sa dernière interview : « on m’a fait beaucoup de reproches dans ma vie politique, pas de mentir ». Comment Madame Michu pourrait-elle en douter ?

Comment Madame Michu pourrait-elle savoir que le projet de loi anti-piratage qu’on lui présente comme un texte de pédagogie et de méthode douce favorable aux artistes vise en réalité à contourner la justice au bénéfice de quelques intérêts privés et à imposer à tous les internautes des outils de filtrage qui pourront être employés, à des fins politiques, pour censurer tel ou tel site Internet gênant. Ou, de manière plus subtile et en apparence plus démocratique, pour favoriser les sites d’information sponsorisés par l’Etat qui recevront un label de qualité pris en compte par les filtres imposés par l’Hadopi ?

La loi Création et Internet n’est pas une loi sur le piratage, c’est une loi sur la liberté d’expression, qui concerne tout le monde.

L’opposition, sur Internet, existe. Elle est même très vive. Il est difficile, voire impossible, de trouver des communautés favorables à la loi, y compris dans les rangs de l’UMP. Mais comme au moment de la loi DADVSI, le débat reste figé dans les frontières d’Internet. Les actions, qu’elles soient symboliques ou plus musclées, restent cloîtrées dans les mailles de fibres optiques, sans jamais atteindre le tube cathodique (ou la dalle LCD) de Madame Michu. Même François Bayrou, qui a fait de la défense des valeurs républicaines et d’Internet son cheval de bataille lors la dernière élection présidentielle, se désintéresse totalement de la loi Création et Internet alors qu’elle pourrait apporter au MoDem une vitrine précieuse à quelques mois des élections européennes. Les quelques députés du Parti Socialiste qui s’apprêtent à défendre avec force les internautes à l’hémicycle, le feront sans le soutien public de leur première secrétaire Martine Aubry, qui se garde bien de se mettre les artistes les plus populaires à dos, et surtout sans la force médiatique que peut offrir l’appareil lorsqu’il se met en marche pour attaquer le fichier Edvige ou le CPE.

Comme il y a trois ans avec la loi DADVSI, le débat sur la loi Création et Internet restera un débat de spécialistes, concentré sur les questions techniques et sur les dommages causés par le piratage, sans que les questions sociétales ne soient soulevées.

La faute aux médias ? Non, la faute aux internautes, incapables de porter leur opposition au delà des frontières du numérique.

Nicolas Vanbremeersch, plus connu sous le pseudonyme de Versac, tente une explication intéressante sur le site Slate.fr : « Les internautes sont incapables de s’organiser pour faire pression avec efficacité (…) Il existe un camp, en France, prêt à rassembler plusieurs centaines de milliers de signataires sur une pétition, plusieurs dizaines de milliers de relais actifs, mais incapable de transformer cette action dans la vraie vie (…) Le web manque d’acteurs qui ont un réel intérêt dans cette affaire. Pas de génération spontanée d’acteur fédérateur, militant, actif. »

« Cette absence de mobilisation est symptomatique, non de la déshérence des internautes, mais de l’atonie des corps constitués, des intermédiaires de représentation, des syndicats et associations, qui, pour la plupart, ne sont pas à la recherche de soutiens populaires, d’appels à mobilisations. C’est également symptomatique d’un corps politique également assez protégé de l’opinion, et attendant plus de son leader politique que des citoyens mobilisés. A force de blocages, de manque d’ouvertures, d’autisme, les corps constitués anéantissent l’espoir des citoyens que leurs mobilisations puissent parvenir à quelque chose. La lassitude est forte. »

« A travers le débat sur Hadopi, c’est en fait l’effritement d’un système médiatique et politique, ses failles, ses lambeaux de peinture, qui sont mis sous nos yeux, et la nécessité d’une forme de renouveau, qui peut venir du web, qui est, en creux, mise en exergue », estime Nicolas Vanbremeersch.

Le net, qui réinvente des modèles économiques parfois proches d’une forme de néo-communisme, porte peut-être en lui le germe d’une nouvelle démocratie qui ne voit pas l’utilité d’aller se faire entendre dans le champ traditionnel de la démocratie déclinante. On commence à voir apparaître, en Suède, toute une nouvelle génération d’électeurs prête à porter aux urnes une nouvelle forme de démocratie. Si les lois ne s’adaptent pas à Internet, les internautes les ignoreront, comme ils l’ont fait depuis 10 ans des lois anti-piratage. Chaque nouvelle législation qui tente de ramener Internet vers les lois historiques de la démocratie traditionnelle en ignorant les spécificités et la culture sociétales portées par Internet accentuent une tension entre deux mondes qui, un jour, explosera, sous une forme ou sous une autre.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Pourquoi sommes nous incapables de lancer des chaussures contre le ministère de la culture, d’entourer le cercueil de la justice dans une longue procession funèbre de la place Vendôme jusqu’à la Bastille, ou de bloquer les trains gare du Nord ?

Notes

[1] Crédit photo : Grégoire Lannoy (Creative Commons)




Penser Global – Agir Local

Les Ateliers Des Logiciels Libres (ADLL) font dans le recyclage et dans le social. Ils ont deux principaux objectifs : d’abord et surtout fournir un ordinateur aux plus démunis mais aussi faire la promotion des logiciels libres (les nouvelles machines issues de la récupération tournent sous Ubuntu).

Ils sont situés à Saulzais-le-Potier (CherCentre) et ont fait récemment l’objet d’un intéressant petit reportage dans le 19/20 de France 3 Centre du 1er mars.

—> La vidéo au format webm

On pourra aussi lire l’article L’atelier de recyclage informatique a du succès paru dans Le Berry du 23 février 2009.