La route est longue mais la voie est libre

Framasoft - LL de Mars - Art Libre

J’ose espérer que notre lectorat dépasse l’Hexagone pour rencontrer de temps en temps la francophonie mais ce soir, difficile d’échapper à l’actualité, la France a donc un nouveau président.

Les électeurs, et c’est heureux, ne se sont pas déterminés en fonction des seules positions des candidats sur le logiciel libre et les libertés numériques, quand bien même nous savons que cela ait pu avoir une influence chez certains d’entre nous.

Il n’empêche que si l’on passe outre nos propres (et respectueuses) opinions pour se réfèrer uniquement à l’objectif principal de Framasoft qui est de faire connaître et diffuser la culture libre en général et le logiciel libre en particulier au plus large public alors force est de constater que ce n’était pas forcément a priori le meilleur des choix.

Ce n’est pas un procès d’intention. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir et comparer les réponses des uns et des autres au questionnaire de Candidats.fr ou pour aller plus vite d’en lire la remarquable synthèse de Thomas Petazzoni sur son blog.

Pour moi cela signifie ni plus ni moins que le mouvement national de défense, reconnaissance et impulsion institutionnelles du logiciel libre et son état d’esprit va s’en trouver si ce n’est freiné du moins ralenti.

Cela signifie également que des réseaux associatifs comme le nôtre, qui n’ont pas attendu un quelconque soutien de l’Etat pour démarrer et agir, ont encore toute leur raison d’être.

La route est (peut-être un peu plus) longue, mais la voie est (plus que jamais) libre…




Libérons aussi le matériel informatique !

Freedom Tunnel 10 - by Pro-Zak - CC-BY

Cet article propose la traduction[1] non officielle d’un article important de la Free Software Foundation (FSF). J’en reprends ici la limpide présentation de Thomas Petazzoni dans sa news LinuxFr du 5 mars dernier.

La Fondation pour le Logiciel Libre (FSF) a publié, ce premier mars, un document intitulé The road to hardware free from restrictions: how the hardware vendors can help the free software community, dans lequel elle invite les constructeurs de matériel à travailler avec la communauté du Logiciel Libre pour établir une relation mutuellement bénéficiaire.

La fondation propose aux constructeurs d’agir dans cinq domaines :

– Développement de pilotes libres pour le matériel, en diffusant la documentation de leurs matériels, voire en aidant la communauté du Logiciel Libre à développer les pilotes, ou en les développant en interne
– Non-verrouillage au niveau des BIOS de certaines fonctionnalités (comme les marques de cartes mini-PCI acceptées, ou les fonctionnalités de virtualisation du processeur)
– Aider au développement d’un BIOS libre, en diffusant la documentation bas-niveau du matériel voire en distribuant du matériel utilisant un BIOS libre
– Vendre des ordinateurs sans système d’exploitation pré-installé, ou avec un système d’exploitation libre
– Résister à la pression des industries de la culture souhaitant mettre en place des mesures techniques de protection au niveau matériel

Pour chaque point, la Fondation pour le Logiciel Libre liste des moyens d’actions précis pour aider la communauté du Logiciel Libre, et donne les intérêts qu’auraient les constructeurs à agir dans ce sens.

L’occasion de rappeller l’action du site detaxe.org contre la vente liée qui continue à attendre vos signatures. Et d’évoquer la toute récente et salutaire décision de Dell d’inclure très prochainement des ordinateurs sous Ubuntu dans leur offre grand public, évènement majeur en phase avec les souhaits exprimés par cet article[2].

FSF screenshot - The road to hardware

Vers du matériel sans restrictions : comment les constructeurs peuvent aider la communauté du logiciel libre

The road to hardware free from restrictions: How hardware vendors can help the free software community

par Justin Baugh et Ward Vandewege
Senior systems administrators
Free Software Foundation

Février 2007

Introduction

Le marché du matériel informatique évolue résolument vers un écosystème standardisé basé sur du matériel sans restrictions. On voit déjà des petits fournisseurs augmenter leurs ventes en s’assurant que leur matériel fonctionne de manière optimale avec les logiciels libres et que leurs pilotes sont faciles à développer et entretenir. Les géants de l’industrie ont déjà mis à profit cette recette sur le marché des serveurs mais doivent encore prendre les mêmes engagements dans le domaine du matériel grand public.

Les vendeurs qui ont compris cette évolution sauront tirer profit de l’avantage stratégique que leur donnera la communauté du logiciel libre. Les vendeurs qui ne parviennent pas à réaliser ceci seront dépassés par des concurrents plus agiles.

Les pilotes libres

L’un des plus gros problèmes auquel doit faire face la communauté du logiciel libre aujourd’hui est le manque de pilotes libres pour le matériel courant. Des avancées significatives ont été faites dans ce domaine pour les systèmes GNU/Linux, soit par le support tacite des fabriquants soit par un laborieux processus de rétro-ingéniérie. Deux bastions des pilotes propriétaires restent toujours à conquérir: les interfaces de réseaux sans fils et les cartes graphiques. La communauté s’est largement mobilisée pour obtenir des pilotes libres pour tout le matériel. (La pétition Free Drivers Petition envoyée aux fabriquants de matériel a recueilli à ce jour plus de 5000 signatures.)

Presque toutes les cartes sans fils ainsi que les dispositifs USB nécessitent soit le chargement d’un firmware par un pilote libre soit l’utilisation des pilotes Windows grâce à un programme d’émulation libre (Ndiswrapper). Ndiswrapper entraîne une utilisation supplémentaire non nécessaire du processeur. Les pilotes propriétaires qu’il utilise sont souvent de mauvaise qualité, ce qui peut conduire à des problèmes de stabilité et de grandes difficultés pour fournir de l’aide aux utilisateurs. La plupart des cartes graphiques ne fonctionneront pas à 100% de leur potentiel sans des pilotes propriétaires, particulièrement dans les applications 3D.

On retrouve là les problèmes habituels du logiciel propriétaire. Des bugs dans les pilotes propriétaires peuvent aboutir à des failles de sécurité au cœur du système qui ne peuvent être corrigées sans l’intervention du vendeur. Cela peut prendre des mois pour corriger des bugs signalés par la communauté, si toutefois un correctif arrive un jour. Souvent les vendeurs prêtent peu attention aux problèmes des utilisateurs qui ont déjà acheté leurs produits. Par exemple, dans le cas particulier des pilotes binaires NVidia, quelques failles de sécurité de la plus haute importance sont restées sans correctif pendant bien trop longtemps. Le matériel qui requiert un firmware propriétaires, utilisable grâce à un logiciel libre, évite le problème en enfermant tous les renseignements dans un boîte noire que l’utilisateur ne peut ouvrir. C’est simplement de la poudre aux yeux, cela donne l’impression que le vendeur de matériel respecte le principe du libre alors que les problèmes de la communauté restent marginalisés.

Comment les vendeurs de matériel peuvent apporter leur soutien
  • Les vendeurs de matériel pourraient imposer que la documentation technique de base complète soit rendue disponible pour le matériel utilisé dans leurs produits. Cette documentation devrait être mise à la disposition des clients sans restriction, comme c’était le cas avant.
  • Les vendeurs pourraient encourager le développement de pilotes libres pour leur matériel soit en écrivant les pilotes eux même ou en aidant l’effort de développement de la communauté.
  • Les vendeurs pourraient travailler avec la communauté pour faire inclure les pilotes directement dans la version de base du noyau, Linux. Ceci rendrait la maintenance et la mise à jour des pilotes beaucoup plus simple aussi bien pour les développeurs que pour les utilisateurs.
Qu’est ce que cela apporterait au vendeur?

Un matériel bien documenté et supporté par des pilotes libres sera significativement plus utile aux membres de la communauté du logiciel libre ainsi qu’au grand public. Une image de matériel libre amène des critiques positives, une image de marque plus forte et des ventes en augmentation. (“Dans un sondage de 1800 jeunes, publié par Cone Inc. et AMP Insights, deux compagnies de marketing de Boston, 89% des sondés disent qu’ils seraient prêts à passer d’une marque à une autre si la seconde est associée à une bonne cause.” Chronicle of Philanthropy, 2006.11.09, Peter Panepento.) Le respect de la liberté de l’utilisateur est un signe distinctif d’une compagnie qui a une certaine éthique.

Le logiciel libre est une question de liberté: les gens devraient être libre d’utiliser les logiciels de toutes les manières qui soient socialement utiles. Voir http://www.gnu.org/philosophy/

Les verrous liés aux BIOS propriétaires

Il y a un certain nombre de problèmes sérieux avec les BIOS propriétaires livrés en général avec les systèmes vendus aux particuliers par les grands vendeurs. Deux problèmes particulièrement flagrants sont:

  • Le verrou qui empêche l’utilisation de cartes au format minipci dans les ordinateurs portables.

Plusieurs vendeurs emploient des codes dans le BIOS pour restreindre l’utilisation des emplacements minipci, qui sont pourtant complètement standardisées, afin qu’elles n’acceptent que des cartes d’extension pré-approuvées. C’est un problème majeur, en particulier car les cartes pré-approuvées sont souvent conçues par des vendeurs hostiles au logiciel libre, comme Broadcom.

  • La désactivation des fonctions de virtualisation matérielle des processeurs modernes.

Il a été signalé que certaines machines se sont vues amputées des fonctions de virtualisation matérielle du processeur par le BIOS d’usine. Les raisons invoquées par un vendeur sont que la virtualisation n’a pas été testée sur ses produits, c’est pourquoi cette fonction a été désactivée. (Voir Business support forums – nw8440 – VT disabled in bios.)
Il n’y a aucun intérêt à ce que les fabriquants de carte mère OEM appliquent des restrictions similaires.

Comment les vendeurs de matériel peuvent aider

Les vendeurs ne devraient pas délibérément amputer leur matériel de certaines fonctions par le biais de cadenas ou de DRM dans le BIOS.

Comment cela peut-il être bénéfique pour le vendeur?

En retirant ces restrictions artificielles, les utilisateurs seront libre d’utiliser leur matériel au maximum de ses capacités, ceci incluant la liberté de combiner les composants comme bon leur semble. Pour une grande communauté informée telle que la communauté du logiciel libre, cette liberté fait ou défait les décisions d’achat.

Le soutien des BIOS libres

Un mouvement entrain de se développer vise à remplacer les BIOS propriétaires par un BIOS libre. Le gros de l’effort fournit soutient LinuxBIOS. (Voir http://linuxbios.org/.)

Comment les vendeurs de matériel peuvent aider

Les vendeurs de matériel pourraient apporter leur soutien à la communauté en donnant accès, sous une licence permissive, à toute la documentation matériel de base nécessaire pour développer un BIOS libre pour leur système et idéalement en apportant une aide sur le plan de l’ingénierie.

Les vendeurs de matériel pourraient vendre leurs produits avec un BIOS libre plutôt qu’un BIOS propriétaire. La communauté du logiciel libre apprécie le matériel qui peut être utilisé entièrement grâce à des logiciels libres, depuis le BIOS, et est prête à payer pour cela.

Comment cela peut-il être bénéfique pour le vendeur?

C’est dans l’intérêt du vendeur de matériel de supporter un BIOS libre car il offre certains avantages par rapport aux BIOS propriétaires:

  • La majeure partie du code est écrite en C, qui est beaucoup plus simple à entretenir qu’un code d’assembleur.
  • Il travaille presque entièrement en mode 32-bits protégé.
  • Plutôt que de perpétuer des décisions faites dans les années 1970 il est basé sur une architecture moderne.
  • De nouvelles possibilités révolutionnaires sont possibles, comme implanter un noyau complet dans une puce ROM.
  • Le démarrage ne prend que quelques secondes, ce qui est seulement un faible pourcentage du temps qu’un BIOS propriétaire moyen met à démarrer.
  • Le vendeur ne dépend pas uniquement d’un fournisseur de BIOS propriétaire pour les modifications et corrections à apporter au code.
  • Comme il est sous licence GPL il n’y a pas de brevet, de redevance ou de taxe de licence à payer.

La “Taxe Microsoft”

Il est quasiment impossible d’acheter du matériel sans un système d’exploitation Microsoft pré-installé. Les vendeurs qui proposent ce genre de systèmes n’encouragent pas leur achat en les cachant. Les vendeurs qui pré-installent GNU/Linux se contentent souvent de n’offrir qu’une liste de systèmes sélectionnés. En aucun cas les vendeurs n’offrent un rabais, bien qu’ils économisent de l’argent en n’incluant pas de licence OEM de Microsoft.

Comment les vendeurs peuvent aider
  • Les vendeurs pourraient proposer des machines avec l’option “sans système d’exploitation” pour chacun de leurs produits, machines pour le grand public comprises, les ordinateurs portables en particulier.
  • Quand l’option “pas de système d’exploitation” est choisie, les vendeurs devraient baisser le prix de l’ordinateur du coût de la licence OEM de Microsoft.
  • Les vendeurs pourraient proposer de pré-installer certaines distributions GNU/Linux de manière optionnelle, également pour les machines grand public et en particulier pour les ordinateurs portables. Les fonctionnalités du sous-système comme ACPI devraient être testées sur ces machines.
Comment cela peut-il être bénéfique pour le vendeur?

En vendant et en faisant de la publicité pour du matériel sans système d’exploitation pré-installé, ou avec un système d’exploitation GNU/Linux, les vendeurs deviendraient moins dépendant de Microsoft. Des millions de personnes utilisent déjà des systèmes GNU/Linux. La communauté du logiciel libre assistera sans aucun doute les vendeurs qui proposent du matériel sans assujettir leurs clients à la “Taxe Microsoft”. Un coût réduit pour le vendeur signifie des prix réduits et de meilleures ventes.

Digital Restrictions Management

La communauté du logiciel libre s’oppose à l’astreinte des Digital Restrictions Management (DRM) (Mesures Techniques de Protection (MTP) en français). L’implémentation logicielle actuelle des DRM s’est montrée non sécurisée, ardue et ingérable, cette technologie anti-consommateur se déplace de plus en plus du logiciel vers le matériel. D’habitude les vendeurs de matériel encouragent l’utilisation innovante des nouvelles technologies et des nouveaux médias plutôt que de la restreindre. Cette culture de l’innovation est la base de toute l’industrie du matériel informatique.

Comment les vendeurs de matériel peuvent aider

Les vendeurs de matériel pourraient résister à la pression que leur imposent les industries du divertissement pour étouffer cette culture de l’innovation et faire pression pour obtenir des lois qui protègent les droits des consommateurs.

Comment cela peut-il être bénéfique pour le vendeur?

La communauté du logiciel libre affluera vers les vendeurs qui protègent les droits des consommateurs en fournissant “du matériel libre de restrictions.” Les vendeurs qui vendent du matériel défectueux de par sa conception verront leurs ventes et le support de la communauté diminuer. En prenant la direction opposée aux DRM matériels les vendeurs resteraient également libres d’innover plutôt que de devoir attendre l’approbation des grands médias pour chaque nouveau produit.

Conclusion

En effectuant les changements recommandés dans une ou chacune de ces cinq directions (Les pilotes libres, les verrous liés aux BIOS propriétaires, le soutien des BIOS libres, la “Taxe Microsoft”, Digital Restrictions Management) les vendeurs de matériel aideront à établir une relation mutuellement bénéfique avec la communauté du logiciel libre. Les vendeurs augmenteront leurs ventes et la communauté du logiciel libre trouvera du matériel qui est conforme à ses aspirations éthiques. La Free Software Foundation est impatiente d’aider les vendeurs de matériel intéressés par les changements recommandés dans cette lettre. Les vendeurs ne devraient pas hésiter à tirer profit de cette opportunité encore très peu explorée.

Copyright © 2007 Free Software Foundation, Inc., 51 Franklin Street, Fifth Floor, Boston, MA 02110-1301, USA

La copie mot pour mot et la distribution de cet article sont permises dans le monde entier, sans redevance, sous n’importe quelle forme, à condition de préserver cette note.

Notes

[1] Merci à Olivier et GaeliX pour la traduction 🙂

[2] L’illustration est une photographie de Pro-Zak intitulée Freedom_Tunnel_10 issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY.




Richard Stallman, le philosophe de notre génération ?

Une traduction d’un article de Richard Hillesley paru récemment sur Tux Deluxe et qui fait écho à la récente conférence de Stallman mis en ligne sur ce blog.

Le titre interrogatif de ce billet est directement inspiré d’une citation de Larry Lessig extraite de la traduction :

Chaque génération a son philosophe – un écrivain ou un artiste qui saisit l’imaginaire du moment. Parfois, ces philosophes sont reconnus en tant que tel ; souvent, il faut des générations pour faire le rapprochement. Mais reconnu ou non, une époque est marquée par les gens qui expriment leurs idéaux, que ce soit dans les murmures d’un poème, ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est pas un artiste, ou un écrivrain professionnel. C’est un programmeur.

J’en profite pour signaler que nous avons entamé un projet ambitieux, celui de traduire collectivement via Wikisource la biographie de Stallman par Sam Williams Free as in Freedom. Avis donc à tout traducteur qui souhaiterait participer[1].

Soyez réaliste. Demandez l’impossible

Be Realistic. Demand the Impossible

Richard Hillesley – 18 mars 2007
(Traduction Framalang : Penguin, Daria et Olivier)

Chrys - CC byUn des slogans favoris des Situationnistes, pendant les agitations sociales de Mai 68 en Europe, était « Soyez réaliste. Demandez l’impossible ». Vivez votre vie à fond, osez rêver, nagez à contre-courant, et vos rêves deviendront réalité. Ce slogan aurait pu être écrit pour décrire la mission de Richard Stallman, le père de GNU, de la licence GPL et du mouvement du logiciel libre, qui a consacré sa vie à réaliser le rêve d’un système d’exploitation qui soit écrit de A à Z et qui soit totalement libre.

Stallman est un esprit implacable, et a souvent été comparé à un prophète de l’Ancien Testament – « une sorte de Moïse geek portant les commandements GNU GPL, et essayant d’amener la tribu hacker à la terre promise de la liberté, qu’ils veuillent y aller ou non. Ses longs cheveux, tombant abondamment sur ses épaules, sa grosse barbe, et un regard intense contribuent évidemment à cet effet. » (Glyn Moody – Le Code du Rebelle p29)

Comme cela est suggéré, Stallman est un ascète qui ne tolère aucun compromis, et qui a consacré sa vie et sa fortune, notamment les 240.000 $ de la « bourse du génie » (« genius grant ») offert par la fondation MacArthur en 1990, pour parcourir le monde avec son portable exsangue, évangélisant et prêchant à qui veut l’entendre la nécessité du logiciel libre. « La seule raison pour laquelle nous avons un système d’exploitation totalement libre », a-t-il confié à Moody, « c’est grâce au mouvement qui a dit que nous voulions un système d’exploitation totalement libre, et pas libre seulement à 90%. Si vous n’avez pas la liberté pour principe, vous trouverez toujours une bonne raison de faire une exception. Il y aura toujours des moments où, pour une raison ou pour une autre, il y a un avantage pratique à faire une exception. »

Stallman clame que le plus grand effet de la bourse MacArthur a eu sur son style de vie, c’est qu’il lui a été plus facile de s’inscrire pour voter. Stallman vivait dans son bureau. Les autorités refusaient de croire que son bureau était aussi son lieu de résidence, jusqu’à ce qu’un article de journal concernant la bourse MacArthur confirma ses affirmations.

« Je vis vraiment à peu de frais. Je vis encore en gros comme un étudiant, car je n’ai jamais eu envie d’arrêter », déclara-t-il à Michael Gross en 1999[2]. « Les voitures, les grandes maisons ne m’attirent pas. Pas du tout. Je n’étais pas un esclave de la soif de l’argent, et cela m’a permis de faire quelque chose qui en valait la peine. C’est pourquoi, lorsque j’ai commencé le projet GNU, j’ai aussi commencé à faire pousser mes cheveux. J’ai fait cela parce que je voulais dire : Je suis d’accord avec un aspect du mouvement hippie : ne faites pas de la réussite matérielle un but dans la vie. »

La vision ascétique et sans compromis de Stallman n’est pas universellement populaire, même parmi les hackers qui ont bénéficié de son dévouement. Car l’objectif du logiciel libre ne commence ou ne finit pas avec GNU/Linux, GNU Hurd, ou n’importe quel autre système d’exploitation, langage ou application qui a été, ou qui pourra être, développé sur le modèle ouvert que la GPL favorise. Stallman accorde moins d’importance au fait qu’un logiciel libre fonctionne mieux et soit plus efficace qu’à son caractère libre.

« Cela ne concerne pas l’argent », dit-il, « cela concerne la liberté. Si vous pensez que cela concerne l’argent, vous n’avez rien compris. Je veux utiliser un ordinateur librement, pour coopérer, pas pour restreindre ou interdire de partager. Le système GNU/Linux a obtenu du succès avec plus que cela. Le système est devenu populaire pour des raisons pratiques. C’est un bon système. Le danger réside dans le fait que les gens vont l’aimer parce qu’il est pratique et qu’il va devenir populaire sans que personne n’ait la plus vague idée des idéaux qui sont derrière, ce qui serait une manière ironique d’échouer. »

Stallman relate que lorsqu’il a fondé le projet GNU en septembre 1983, les gens disait, « Oh, c’est un boulot infiniment difficile; tu ne pourras tout simplement pas écrire un système comme Unix. Comment serait-il possible de faire tout cela ? Ce serait bien, mais c’est tout simplement sans espoir. »

La réponse de Stallman était qu’il allait le faire quand même. « C’est ici que je suis doué. Je suis doué à être très, très têtu et à ignorer toutes les raisons qui pourraient me faire changer de but, raisons qui pousseraient beaucoup d’autres personnes à le faire. Beaucoup de gens veulent être du côté gagnant. Je n’en avais rien à cirer. Je voulais juste être du côté de ce qui était bien, même si je ne gagnais pas, au moins, j’allais vraiment essayer. »

Neuf ans plus tard, Linus Torvalds annonçait sur comp.os.minix : « Je suis en train de faire un système (libre) d’exploitation (il s’agit juste d’un hobby, ce ne sera pas ambitieux ni professionnel comme GNU) pour les clones AT 386(486). » Du point de vue de Stallman, le noyau Linux est juste une partie du système d’exploitation. « Il n’existe pas de système d’exploitation appelé Linux. Le système d’exploitation appelé Linux est GNU. Linux est un programme – un noyau. Un noyau est une partie du système d’exploitation, le programme de niveau le plus bas du système qui surveille l’exécution des autres programmes et partage la mémoire et le temps de calcul du processeur entre eux. »

L’affirmation controversée de Stallman que Linux devrait correctement être connu sous le nom de GNU/Linux est motivé par son désir que « les gens comprennent que le système existe grâce une philosophie idéaliste. Si vous l’appelez Linux, vous allez à l’encontre de la philosophie. C’est un problème très grave. Linux n’est pas le système. Linux n’en est qu’une partie. (…) La vision idéaliste du projet GNU est la raison pour laquelle nous avons le système. »

La contribution particulière de Stallman au mouvement du logiciel libre a été de mettre en lumière les obstacles légaux et propriétaires de la libre distribution des logiciels et des idées. Le langage universel des contributeurs des projets open source (et de l’industrie du logiciel en général) a été influencé par les fondements philosophiques et politiques fournis par les écrits de Stallman, spécialement sa vision perspicace de la nature des lois concernant les copyrights et les brevets logiciels.

En introduction de Free Software, Free Society, une collection d’essais et de conférences de Richard Stallman, publiée par GNU press, Lawrence Lessig, professeur de droit à l’université de Stanford, déclare que « Chaque génération a son philosophe – un écrivain ou un artiste qui saisit l’imaginaire du moment. Parfois, ces philosophes sont reconnus en tant que tel ; souvent, il faut des générations pour faire le rapprochement. Mais reconnu ou non, une époque est marquée par les gens qui expriment leurs idéaux, que ce soit dans les murmures d’un poème, ou dans le grondement d’un mouvement politique. Notre génération a un philosophe. Ce n’est pas un artiste, ou un écrivrain professionnel. C’est un programmeur. »

Stallman n’est pas seulement le philosophe et la conscience (peut-être accidentels) du mouvement du logiciel libre, mais il est aussi considéré comme le hacker ultime, ayant contribué à de nombreux outils de base sans lesquels Linux n’aurait pu exister. Le code de Stallman réprésente l’une des contributions individuelles les plus importantes des distributions Linux classiques. Beaucoup de développeurs considèrent Emacs, le premier grand logiciel créé par Stallman, comme le système d’exploitation ultime au sein d’un système d’exploitation. Les outils GNU écrits par Stallman et la FSF (en particulier le compilateur GNU gcc) étaient les pré-requis pour construire le noyau qui deviendra Linux.

La plus grande réalisation de Stallman, la licence publique générale GNU (GPL), a amené beaucoup de bénéfices tout autant aux utilisateurs qu’aux développeurs, certains n’ayant même pas été nécessairement prévus au moment de sa création. La licence et son préambule sont une présentation en profondeur du but poursuivi par Stallman, de libérer le logiciel de chaînes propriétaires qui l’entravent, et de permettre aux hackers (dans le sens premier du mot, « un programmeur enthousiaste qui partage son travail avec les autres ») d’avoir la liberté de développer, d’améliorer et de partager leur code.

L’ingrédient essentiel de la GPL est le concept de Copyleft, qui utilise la puissance du copyright pour garantir qu’un logiciel libre restera libre. Le Copyleft inverse la loi du copyright en déclarant qu’un logiciel adapté d’un logiciel GPL et distribué au public doit rester aussi libre que la version du logiciel dont il est l’adaptation. La beauté de la GPL, comme tout développeur logiciel chevronné le reconnaîtra, c’est que, comme un morceau de code élégamment écrit, elle possède une simplicité et une transparence intrinsèques. La licence remplit ses objectifs, de protéger et de promouvoir les principes du logiciel libre, sans ambiguïté ni compromis, et reflète en cela la détermination et la personnalité de Stallman, qui par sa volonte a crée GNU, la GPL et le mouvement du logiciel libre.

Pour mesurer la réussite de Stallman, il suffit de voir comment la GPL a fait évoluer les mentalités dans l’industrie du logiciel. A l’origine le logiciel libre, extension des idéaux de Stallman appris au laboratoire d’I.A. du MIT au début des années 70, a été rejeté comme étant improbable et impraticable – une aire de jeu pour hackers, hippies et geeks – mais contre toute attente, le logiciel libre est devenu un paradigme acceptable pour le développement de logiciel, et la communauté perdue et tourmentée des hackers a enfin trouvé une maison.

« Vous ne changez pas les choses en vous battant contre la réalité. Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rend l’ancien modèle obsolète » – R. Buckminster Fuller

Richard Hillesley

Notes

[1] Crédit photo : Chrys (Creative Commons By)

[2] Richard Stallman: High School Misfit, Symbol of Free Software, MacArthur-Certified Genius (Richard Stallman  : l’excentrique du lycée, Symbole du logiciel libre, Génie certifié par Mac-Arthur)




Exemple de bravitude chinoise

Gates China Protest - Copyright Elizabeth Dalziel AP

Mon info ou plutôt mon anecdote manque de précision ou, si vous voulez, de… sources (un comble quand on s’intéresse au logiciel libre !) mais elle a surtout valeur de symbole médiatique.

Bill Gates était en Chine dernièrement pour, entre autres choses et d’après le Quotidien du peuple en ligne, y être fait docteur honoris causa d’une prestigieuse université, créer un centre de recherche et développement avec Lenovo, et aussi j’imagine pour y faire la promotion de Windows Vista.

On le retrouve donc le 20 avril dernier à l’Université de Technologie de Pékin pour une remise de prix Microsoft à des étudiants. Seulement voilà c’était sans compter sur un chinois non discipliné[1] qui vient perturber la traditionnelle photo finale cloturant la cérémonie.

Le courageux effronté sort du public, monte sur scène, et se pointe devant Bill Gates entouré des ses heureux lauréats en brandissant pas même une pancarte mais une vulgaire feuille de papier où l’on peut lire (très) furtivement ces simples mots "free software – open source"[2].

L’histoire ne dit pas ce qu’il est ensuite advenu de notre élément subversif[3]. Gageons que cela a dû être plus compliqué pour lui que le traitement réservé à un intermitent du spectacle en pleine cérémonie des Cesars.

Les temps changent parce que sous Mao nul doute que le logiciel libre aurait eu les faveurs de l’état chinois et c’est Bill Gates qui aurait alors joué le rôle de l’élément subversif[4]

Notes

[1] Il s’agirait de Wang Yang membre du LPI (Linux Professional Institute) local.

[2] Une fois de plus, on remarquera au passage que free software n’est pas synonyme d‘open source sinon une seule expression aurait suffit. Je vous renvois sur la conférence de Stallman pour de plus amples explications.

[3] L’illustration provient du compte Flickr de YGGG (dont on peut voir quelques autres images de l’évènement) mais quand bien même sous licence Creative Commons BY-NC on nous dit qu’elle est d’Elizabeth Dalziel (AP).

[4] Pour ceux que la Chine, Microsoft et la politique-fiction intéressent, je rappelle l’existence du livre de Jean-François Susbielle La morsure du dragon qui fait un très bon pavé d’été.




Mais pour qui vote le libriste ?

Difficile d’échapper à l’élection présidentielle française en ce moment. Alors je vais y aller moi aussi de mon petit couplet et d’oser vous proposer ma très fine analyse sociologico-politique à une question que vous ne vous posez pas en m’appuyant pour cela sur deux sondages en rien comparables. Vous voici donc prévenu, et si vous poursuivez la lecture de ce superficiel billet ce n’est plus de ma faute.

Kézako un libriste ?

Première difficulté c’est quoi un libriste ? Le jargon français a sa petite idée.

Libriste - Jargon Français

Un libriste serait donc un fan du logiciel libre, un peu comme on serait fan de Johnny Hallyday en somme. On a échappé au Partisan du librisme mais ça reste tout de même peu satisfaisant. Et puis il y a cette précision qui interpelle au risque de produire son effet contraire : Le terme est positif. Ouf ! nous voici rassurés parce que quand le terme est négatif ça donne généralement l’équation suivante : libriste = intégriste du libre, qui, d’après ses détracteurs, voudrait rendre libre à peu près tout ce qu’il touche au mépris le plus élémentaire du pragmatisme situationiste de nos habitudes et des règles économiques du marché.

Bon, bref, passons, ne nous écartons pas du sujet (parce qu’il y aurait beaucoup à dire sur ces habitude et ces règles du marché) et faisons un choix. On va réduire ici le libriste à… un visiteur du célèbre site linuxfr. Voilà, ça vaut ce que ça vaut, mais ça m’arrange pour la suite.

Deux sondages

Le premier sondage est tout ce qu’il y a de plus classique et pour tout vous avouer je l’ai pris un peu au pif pourvu qu’il fut récent. Il s’agit d’une enquête Ipsos/DELL difusée par SFR et Le Point auprès de 1300 personnes interrogées par téléphone le 7, 9 et 10 avril sur leur intention de vote au premier tour.

Sondage Ipsos/DELL Présidentielle

Le second est plus original puisqu’issu du site LinuxFr (vous savez, le repaire de… libristes). Il est toujours en cours et compte, en ce doux mercredi 11 avril à 23h41, exactement 2677 votes.

Sondage LinuxFr Présidentielle

Si on lui écarte les réponses qui ne correspondent pas à des votes pour des candidats, et ceci afin de pouvoir mieux le comparer au sondage précédent, ça donne alors : Royal : 24,8 %, Bayrou : 44,4 %, Sarkozy : 14,2 %, autre de gauche ; 13,8%, autre de droite ; 2,8%.

Subjectif comparatif

Les sondages, blabla, on n’a pas attendu 2002 pour cela, c’est à prendre avec des pincettes, ils ne disent que ce qu’on veut bien leur faire dire, tout ça… Ok, j’en conviens fort bien. Tout comme je reconnais, mais c’est assumé et apprécié, que les sondages LinuxFr sont beaucoup plus un pretexte à convivialité et échanges (décontractés) qu’un truc véritablement sérieux. Il suffit de consulter la liste des sondages précédents pour s’en convaincre dont le passionnant Combien de bouton(s) possède(nt) votre souris ?

Il n’empêche qu’il y a tout de même quelques différences notables entre les deux études. Alors moi, ni une ni deux, faisant fi de la moindre rigueur scientifique, d’en tirer pour notre libriste les quelques enseignements / hypothèses / élucubrations suivant(e)s.

  • Le libriste ne vote pas comme le français moyen
  • Le libriste vote deux fois plus pour Bayrou et deux fois moins pour Sarkozy que le français moyen (Royal restant stable)
  • L’axe Bayrou-Royal totalise un peu plus des 2/3 des votes ce qui tendrait à ancrer le libriste au centre gauche
  • L’axe Bayrou tout seul s’approche des 50%
  • Question connexe : Si, parait-il, Bayrou est le favori des bobos, est-ce que le libriste est lui-même un bobo ?
  • L’extrême droite est marginale chez le libriste
  • L’extrême gauche n’est pas marginale mais son score ne suffit pas à démontrer que le libriste est majoritairement un gauchiste révolutionnaire altermondialiste (comme on peut parfois le lire çà et là)
  • Le libriste s’exilera à Bangalore si Sarkozy passe

Le propos reste à affiner

Soit. Admettons cette dissymétrie. On peut alors se demander en quoi les prises de position des candidats vis-à-vis du logiciel libre influence directement le vote de notre libriste. Y accorderait-il la même importance que celles concernant l’éducation, l’économie, le chômage, l’Europe, tout ça ? Cela pourrait expliquer que Bayrou soit sa coqueluche et Sarkozy son mouton noir parce que l’un a défendu publiquement très tôt le logiciel libre tandis que l’autre se fait plutôt discret sur le sujet.

C’est possible mais ce serait un peu réducteur. Il est cependant plausible que les prises de position des candidats sur les nouvelles technologies et la société de l’information dans son ensemble (dont le récent débat autour de la DADVSI) touchent notre libriste tout comme elles touchent, et c’est logique, l‘internaute moyen (qui lui se distingue du français moyen en ce que ce dernier n’est connecté qu’à 44% au net). C’est ce que laisserait à penser un autre sondage réalisé sur le site d’Agoravox le média citoyen (la révolte du pronétariat, le cinquième pouvoir, tout ça…) dont les résultats sont très proche de ceux de LinuxFr.

Libristes et agoravoxiens, même combat donc ici. Peut-on alors étendre ces préférences au net francophone tout entier ? Et de se souvenir qu’en 2005 internet avait majoritairement dit non au référendum français sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe avec le résultat final que l’on sait…




Je suis votre pire cauchemar

Janvier 2000, Eric S. Raymond, l’une des plus célèbres personnalités du logiciel libre (auteur notamment de La cathédrale et le bazar), se retrouve dans un ascenseur et remarque le badge Microsoft de l’un de ses occupants Craig Mundie.

Je vois que vous travaillez pour Microsoft, lui dit-il (avec perspicacité). Et l’autre, avec l’air un peu hautain du type en costard-cravate qui toise un hacker : Oui, et vous qui êtes-vous ?

Et Eric S. Raymond de réfléchir quelques instants et lui répondre… Je suis votre pire cauchemar !

—> La vidéo au format webm

Il n’avait pas tort.
Et Microsoft en tremble encore… [1].

😉

Annexe : retranscription de la vidéo

That was in january 2000, and one of the people who was there was Craig Mundie who is some kind of high mocky mocker at Microsoft. I think vice-president of consumer products or something like that. And, hum, I have actually met him, I bumped into him in an elevator, in an elevator and I looked his badge and said I see you work for Microsoft and he looked back at me and said Oh yeah and what do you do? And I thought he seemed just sort of a tad dismissive. I mean, here’s the archetype of, you know, guy in a suit looking at scruffy hacker and so I gave him a thousand yard stare and said I’m your worst nightmare.

Notes

[1] Cet extrait vidéo est issu du film Revolution OS (2001)




Donner de la confiture aux cochons

Joshua Bell - Washington DC Métro - Janvier 2007

Relevé sur linuxfr par patrick_g.

Ce long et passionnant article du Washington Post vaut vraiment la lecture.

Il relate une expérience originale qui a été organisé en janvier dernier à Washington.

Prenez un violoniste extrêmement célèbre et acclamé dans le monde entier (Joshua Bell), ajoutez un violon d’une qualité incomparable et d’une valeur de plus de trois millions de dollars (le stradivarius Gibson ex Hubermann) et jouez les pièces les plus sublimes du répertoire (la Chaconne de Bach et l’Ave Maria de Schubert)…tout ceci de façon parfaitement anonyme dans le métro de Washington à l’heure de pointe !

Est-ce que les gens qui passent devant le type en jean, tee-shirt et casquette de baseball qui joue du violon devant le mur de la station de métro, près de la poubelle, vont se rendre compte qu’il y a quelque chose de vraiment inhabituel ? Est-ce qu’ils vont stopper net et ressentir l’incomparable beauté de cette musique ?

Sur les 1104 personnes qui vont passer en 45 minutes devant Joshua Bell, combien vont s’arrêter ou même simplement donner de l’argent ? Combien vont passer devant lui, à moins d’un mètre, sans même tourner la tête ?

Vous trouverez la réponse dans l’article ainsi qu’une interview des passants quand on leur a révélé l’expérience.

L’article cite un fragment de poème de W. H. Davies qui résume bien le sentiment qui se dégage à la fin de la lecture :

Quelle est cette vie si, voué au souci,
Nous manque le temps de faire halte et contempler.

What is this life if, full of care,
We have no time to stand and stare.




Licence Art Libre 1.3 – Entretien avec Antoine Moreau

« L’approche de Copyleft Attitude avec la Licence Art Libre est de ne pas donner le choix entre plusieurs licences. Nous avons décidé, dès le départ, de faire le choix du Libre, plutôt que d’avoir le libre choix.»[1]

Expo des LogoLefts - Licence Art Libre

Viva la un point trois !

Plus de trois ans après la 1.2, sortie officielle hier de la nouvelle version de notre licence copyleft préférée : la licence Art Libre millésime 1.3 (lien vers l’ancienne version pour comparaison).[2].

Nous avons voulu en savoir plus sur la génèse collective de cette nouvelle mouture en posant quelques questions à son pygmalion Antoine Moreau[3].

Outre Antoine Moreau, ont participé à sa rédaction Isabelle Vodjdani, Mélanie Clément-Fontaine et tous les membres de la liste de diffusion copyleft_attitude, particulièrement Antoine Pitrou, Benjamin Jean, Jean-Pierre Depétris et Esteban Hache.

Souhaitons donc nous aussi un bel avenir et épanouissement à la licence Art Libre (ou LAL pour les intimes)[4], quitte à la voir disparaître un jour en beauté parce qu’on aura plus besoin d’une licence libre pour faire des oeuvres libres.

Entretien avec Antoine Moreau

Quels sont les changements majeurs par rapport aux version précédentes ?

Cela a été un vrai bon travail de groupe. Les complémentarités du noyau dur de Copyleft Attitude ont pu faire une LAL équilibrée et plus précise. La version 1.3 apporte les améliorations suivantes :

  • une rédaction plus sobre.
  • une terminologie plus explicite.
  • des précisions concernant les droits voisins.
  • des précisions concernant les responsabilités des auteurs.
  • des précisions concernant l’incorporation de l’oeuvre
  • les critères de compatibilités avec les autres licences libres.
  • une dimension internationale et une capacité d’interopérabilité.

Quels ont été les principaux points d’achoppements qui ont nécessité débats voire compromis ?

La rédaction du préambule a été difficile. Il y a eu discussions pour conserver ou non certaines tournures de phrases. Un compromis a été trouvé. Le préambule est moins imagé, moins poétique, moins politique, il est plus sobre.

Quid désormais de la compatibilité avec les autres licences "copyleft" comme la Creative Commons BY-SA ou la GNU GPL/FDL ?

Nous avons établi clairement et précisément les critères de compatibilité. Mais il faut que l’intention soit réciproque de la part des autres licences libres.

La compatibilité entre licences libres n’est le fait pas du seul domaine juridique, c’est une question "politique" entre parties (entre la LAL et la CC by-sa ; entre la LAL et la GNU GPL ou FDL). Nous avons déjà fait une démarche avec CC france dans ce sens et allons poursuivre pour réussir la possibilité d’une réelle compatibilité. Il fallait poser les conditions, la LAL 1.3 le dit maintenant très clairement.

Pourrais-tu préciser en quoi cette double clause "Les auteurs des originaux pourront, s’ils le souhaitent, vous autoriser à diffuser et/ou modifier l’original dans les mêmes conditions que les copies." se distingue des usages liés aux logiciels libres ?

C’est pour les créations non numériques. L’original pourra être diffusé/modifié alors qu’il ne peut être dupliqué à l’infini. C’est aussi une précaution par rapport au droit moral.

Par rapport à d’autres licences similaires on trouve un préambule et un mode d’emploi. Pourrais-tu nous expliquer le pourquoi et l’intention de leur présence ?

Dès le départ nous avons décidé d’écrire un préambule et un mode d’emploi dans la LAL. Le préambule est utile car il explicite les intentions philosophiques et culturelles de la LAL. Le mode d’emploi est utile aussi car il dit comment, pourquoi et quand utiliser la LAL. Notre souci a toujours été de rédiger une licence simple à lire et à comprendre et claire dans ses intentions et dans sa pratique.

Comment vois-tu l’avenir de la LAL ?

Je pense que l’avenir de la LAL c’est de disparaître en beauté. C’est à dire qu’on ait plus besoin d’une licence libre pour faire des oeuvres libres. Cela implique un changement du CPI et il se pourrait bien que la LAL (mais toutes licences libres qui ont déjà fait leurs preuves) influe dans ce sens.

En attendant, la LAL a de l’avenir, elle est devenue une licence de référence pour les contenus libres copyleft. La Free Sofware Foundation la recommande et de plus en plus d’oeuvres (et pas seulement d’auteurs français) sont sous LAL.

Annexe : Comparaison des préambules

Préambule de la nouvelle version 1.3

Avec la Licence Art Libre, l’autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les oeuvres dans le respect des droits de l’auteur.

Loin d’ignorer ces droits, la Licence Art Libre les reconnaît et les protège. Elle en reformule l’exercice en permettant à tout un chacun de faire un usage créatif des productions de l’esprit quels que soient leur genre et leur forme d’expression.

Si, en règle générale, l’application du droit d’auteur conduit à restreindre l’accès aux oeuvres de l’esprit, la Licence Art Libre, au contraire, le favorise. L’intention est d’autoriser l’utilisation des ressources d’une oeuvre ; créer de nouvelles conditions de création pour amplifier les possibilités de création. La Licence Art Libre permet d’avoir jouissance des oeuvres tout en reconnaissant les droits et les responsabilités de chacun.

Avec le développement du numérique, l’invention d’internet et des logiciels libres, les modalités de création ont évolué : les productions de l’esprit s’offrent naturellement à la circulation, à l’échange et aux transformations. Elles se prêtent favorablement à la réalisation d’oeuvres communes que chacun peut augmenter pour l’avantage de tous.

C’est la raison essentielle de la Licence Art Libre : promouvoir et protéger ces productions de l’esprit selon les principes du copyleft : liberté d’usage, de copie, de diffusion, de transformation et interdiction d’appropriation exclusive.

Préambule de l’ancienne version 1.2

Avec cette Licence Art Libre, l’autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les oeuvres dans le respect des droits de l’auteur.

Loin d’ignorer les droits de l’auteur, cette licence les reconnaît et les protège. Elle en reformule le principe en permettant au public de faire un usage créatif des oeuvres d’art.
Alors que l’usage fait du droit de la propriété littéraire et artistique conduit à restreindre l’accès du public à l’oeuvre, la Licence Art Libre a pour but de le favoriser.
L’intention est d’ouvrir l’accès et d’autoriser l’utilisation des ressources d’une oeuvre par le plus grand nombre. En avoir jouissance pour en multiplier les réjouissances, créer de nouvelles conditions de création pour amplifier les possibilités de création. Dans le respect des auteurs avec la reconnaissance et la défense de leur droit moral.

En effet, avec la venue du numérique, l’invention de l’internet et des logiciels libres, un nouveau mode de création et de production est apparu. Il est aussi l’amplification de ce qui a été expérimenté par nombre d’artistes contemporains.

Le savoir et la création sont des ressources qui doivent demeurer libres pour être encore véritablement du savoir et de la création. C’est à dire rester une recherche fondamentale qui ne soit pas directement liée à une application concrète. Créer c’est découvrir l’inconnu, c’est inventer le réel avant tout souci de réalisme.
Ainsi, l’objet de l’art n’est pas confondu avec l’objet d’art fini et défini comme tel.
C’est la raison essentielle de cette Licence Art Libre : promouvoir et protéger des pratiques artistiques libérées des seules règles de l’économie de marché.

Notes

[1] Citation d’Antoine Moreau extraite d’une intervention le 28 juillet 2005 sur la liste de diffusion Creative Commons France.

[2] L’illustration, sous licence Art Libre of course, est un détail miniaturisé de la page Expo des LogoLefts du site artlibre.org.

[3] D’Antoine Moreau, on pourra lire ou relire les deux articles publiés sur la Tribune Libre de Framasoft : Qu’est-ce que l’art libre ? et La création artistique ne vaut rien.

[4] Ce serait du reste vraiment une bonne idée que, tel Jamendo pour exemple, de sites appréciés comme Flickr (photo) ou Blip.tv (vidéo) proposent à leurs utilisateurs la licence Art Libre en plus des Creative Commons.