La SACD veut faire payer la lecture de contes aux enfants dans les bibliothèques !

La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) souhaite désormais soumettre à une tarification les « heures du conte », ces lectures publiques organisées en bibliothèque devant les enfants pour leur donner le goût de la lecture.

Nous publions ci-dessous la salutaire réaction du collectif SavoirsCom1.

Mais dans quel monde vivons-nous ?

Remarque : D’où l’intérêt aussi de faire en sorte que de plus en plus d’auteurs pour enfants publient sous licence libre et de valoriser et prendre soin du domaine public (cf cet exemple de numérisation et de traduction de contes pour enfants sur Romaine Lubrique)

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La SACD veut faire payer les heures du conte en bibliothèque ! Protégeons cet usage collectif de la culture !

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Collectif SavoirsCom1 – 17 mars 2014

Partout en France, les bibliothèques de lecture publique organisent des « heures du conte », au cours desquelles des ouvrages sont lus en groupe à des enfants. Ces animations sont très courantes dans les bibliothèques et elles participent à l’éveil du goût pour la lecture chez les plus jeunes. Jusqu’à présent, cette pratique est restée libre, bien que ces lectures publiques puissent être assimilées à des représentations en public d’oeuvres protégées.

Mais comme on peut le lire sur le forum de l’Association des Bibliothécaires de France, plusieurs établissements ont récemment reçu des courriers de la part de la SACD, la société des gestion collective des auteurs dans le domaine du spectacle vivant. Cet organisme réclame visiblement que les bibliothèques déclarent la tenue de telles animations et la liste des livres utilisés, afin de les soumettre à une tarification. Ce faisant, cette société manifeste sa volonté de mettre fin à une tolérance admise depuis des décennies, ce qui fragilise la capacité des bibliothèques à jouer leur rôle de médiation culturelle. Rappelons également que les bibliothécaires promeuvent ainsi et depuis longtemps, une diversité et une richesse éditoriale pour la jeunesse dont la France s’enorgueillit.

Ce ne serait pas la première fois que de telles revendications seraient adressées à des bibliothèques par des représentants des titulaires de droits. En Belgique, à partir de 2012, la société de gestion collective SABAM s’est mise elle-aussi à appliquer des tarifs aux bibliothèques organisant des lectures publiques à destination des enfants, pouvant atteindre 1600 euros par an pour de petits établissements.

Au-delà du principe, c’est le procédé employé par la SACD qui s’avère choquant : ses agents surveillent les sites de bibliothèques pour repérer les annonces de tenue d’une heure du conte et envoyer des courriers aux bibliothèques, sans qu’aucune concertation n’ait eu lieu sur ce sujet. Rappelons également que la SACD ne dispose d’aucun mandat général pour représenter l’intégralité des auteurs. Elle ne peut agir que pour les auteurs membres de la société et n’a aucun droit en dehors de ce périmètre.

Les bibliothèques se sont de tout temps constituées comme des lieux de développement des usages collectifs de la culture, qui font intrinsèquement partie de leur mission de service public. Elles aménagent à côté de la sphère marchande un espace d’usages non-marchands, indispensables pour que la découverte de la lecture puisse s’épanouir.

L’approche maximaliste de la revendication des droits d’auteur qui se déploie depuis des années remet en cause la capacité des bibliothèques à remplir leurs fonctions fondamentales. Les achats de livres effectués par les bibliothèques ainsi que le droit de prêt dont elles s’acquittent annuellement constituent pourtant des contributions importantes au secteur de l’édition jeunesse, en particulier pour les éditeurs indépendants. Les bibliothèques favorisent également la création en faisant intervenir des conteurs professionnels devant les enfants. Et grâce à leur inventivité, la formule de l’heure du conte a aussi été renouvelée ces dernières années, sous la forme de lectures numériques utilisant des tablettes ou des ordinateurs.

Par son attitude, la SACD remet en cause l’équilibre entre le droit des auteurs et les droits du public dans l’usage de la culture. Même si les paiements restent modiques, les modalités que la SACD entend imposer, autorisation préalable des auteurs et déclarations à la société, auront fatalement pour effet de freiner la mise en place de lectures pour les enfants dans les bibliothèques. Est-ce ainsi que l’on favorisera le goût pour la lecture chez les nouvelles générations, alors qu’il s’agit d’un enjeu fondamental de politique culturelle ?

La semaine dernière, François Hollande a déclaré vouloir « se battre contre la fracture de la lecture, mais aussi pour mettre des livres dans les mains des enfants ». Le Ministère de la Culture a également fait de l’éducation artistique et culturelle une de ses priorités. Ces objectifs ne peuvent être atteints si les usages collectifs de la culture ne sont pas préservés.

Cet épisode montre que ces usages ne doivent plus seulement faire l’objet de tolérances pouvant à tout moment être remises en cause par les titulaires de droits. Les usages collectifs de la culture doivent au contraire être reconnus et garantis par la loi, dans un souci d’équilibre avec le respect du droit d’auteur. Il n’est pas normal par exemple que l’exception pédagogique actuellement prévue dans le Code de Propriété Intellectuelle ne soit pas mobilisable dans le cadre des bibliothèques. Le même livre, lu par un enseignant devant ses élèves, ne peut l’être par un bibliothécaire devant des enfants.

Plus largement, il existe actuellement dans le Code de Propriété Intellectuelle une exception prévue pour les représentations privées et gratuites effectuées au sein du cercle de famille. Cette exception pourrait être élargie aux représentations sans finalité commerciale d’oeuvres protégées dans des lieux accessibles au public.

La SACD devrait comprendre que sa conception maximaliste et déséquilibrée des droits exclusifs ne fait que fragiliser un peu plus la légitimité du droit d’auteur. Ce jusqu’au-boutisme de l’usage conçu comme un « préjudice » ne peut qu’engendrer la réprobation. Les auteurs eux-mêmes sont-ils d’accord avec les revendications que l’on adresse en leur nom ?

SavoirsCom1 appelle les bibliothécaires, mais aussi les parents, les élus locaux, les auteurs, les enseignants, en particulier les professeurs documentalistes, les agences régionales du livre et tous ceux qui accordent de l’importance à la diffusion de la culture à se mobiliser pour protéger les usages collectifs que constituent les heures du conte en bibliothèques.

Crédit illustration : Wikimedia Commons (Domaine public)




Popcorn Time est mort, vive Popcorn Time ! (et vive les sources libres) 3/3

Popcorn Time épisode 3 le retour… Parce qu’avec les licences libres rien ne meurt jamais et surtout pas les bonnes idées 😉

Rappel des épisodes précédents :

  1. Popcorn Time, mieux que Netflix pour voir des films en streaming via BitTorrent !
  2. Popcorn Time « le pire cauchemar d’Hollywood » n’est déjà plus

Neeta Lind - CC by

Après sa mort, Popcorn time sera ressuscité par YTS (YIFY)

Popcorn Time Shuts Down, Then Gets Resurrected by YTS (YIFY)

Andy – 15 mars 2014 – TorrentFreak
(Traduction : Karl, JonathanMM, r0u, Mooshka, loicwood, aKa, Diab, GregR, Cellular_PP, Noon, lamessen, Amazigh + anonymes)

Une semaine riche en rebondissements pour la très contreversée application Popcorn Time, qui a touché le fond hier soir après avoir appris que les créateurs du logiciel jetaient l’éponge. Allons messieurs, pas si vite ! Les gens derrière YTS (YIFY) informent TorrentFreak qu’ils reprennent le projet immédiatement.

Samedi dernier, TorrentFreak annonçait la sortie du logiciel de streaming torrent Popcorn Time, un article qui fut suivi dans la semaine par des douzaines d’autres sur des sites d’envergure. Il est devenu rapidement évident que ce logiciel a levé un lièvre avec son ergonomie et sa simplicité.

Sans surprise, les premiers problèmes ne se sont pas fait attendre. Au milieu de la semaine, le logiciel a été retiré du site Mega.co.nz. Ce qui reste confus, c’est de savoir si cette action a été entreprise par Mega de son propre chef ou après une injonction d’Hollywood.L’équipe de développeurs de Popcorn Time ayant confirmé qu’ils n’en étaient pas à l’origine, l’un ou l’autre peut donc être à blâmer.

Après une semaine agitée, le logiciel ayant reçu d’importants soutiens, le projet s’est donc arrêté la nuit dernière. Dans un long communiqué sur le site web de l’outil, l’équipe de Popcorn Time a confirmé qu’elle arrêtait son travail.

« Popcorn Time ferme aujourd’hui. Pas parce que nous n’avons plus ni énergie, ni motivation, ni détermination, ni même d’alliés. Juste parce que nous avons envie de poursuivre nos vies. », explique ainsi l’équipe.

« Notre expérimentation nous a amenés aux portes d’un débat sans fin entre piratage et copyright, menaces légales et machinerie douteuse qui nous donne l’impression d’être en danger à cause de ce que nous aimons faire. Et ce n’est pas une bataille à laquelle nous souhaitons prendre part. »

L’équipe basée en Argentine a ajouté que le piratage n’est pas un problème d’utilisateurs, c’est un problème créé par l’industrie qui « se représente l’innovation comme une menace à l’encontre de leur modèle économique obsolète ».

Mais alors que d’autres articles sont écrits par la presse généraliste, chacun enterrant Popcorn Time avant de passer à autre chose, il y a d’importantes et bonnes nouvelles à rapporter.

Popcorn Time n’est pas mort et va continuer à être développé, en toute transparence.

Interviewé par TorrentFreak, le développeur d’YTS (anciennement YIFY-torrents) Jduncanator a confirmé que Popcorn Time ne mourra pas avec le retrait de l’équipe l’ayant créé. À la place, l’équipe de YTS va reprendre le flambeau et poursuivre.

« L’équipe YTS reprend actuellement le projet Popcorn Time et va le poursuivre comme si de rien n’était. Nous sommes en meilleure position vis-à-vis des droits d’auteur, car le projet est basé sur notre (propre) API, c’est comme si nous avions construit une autre interface pour notre site web. Il n’y a une faible différence entre gérer le projet PopCorn Time et mettre à disposition les films comme nous le faisons déjà », affirme le développeur.

« À YTS nous nous reconnaissons dans les projets de ce genre et l’émoi les entourant ne signifie pas qu’ils doivent être arrêtés. Cette agitation est bénéfique rendant les gens plus conscients et concernés par les problèmes engendrés par le copyright. »

Le projet, qui est désormais disponible sur GitHub, est ouvert aux anciens développeurs, qui recevront un accès aux contributions à leur demande. L’installeur Popcorn Time sera disponible prochainement.

Crédit photo : Neeta Lind (Creative Commons By)




Popcorn Time « le pire cauchemar d’Hollywood » n’est déjà plus 2/3

Il y a quelques jours à peine nous annoncions la sortie de l’application Popcorn Time, mieux que Netflix pour voir des films en streaming via BitTorrent !

Popcorn Time y était qualifié de « pire cauchemar d’Hollywood ».

Hollywood s’est réveillé et a réagi…

L’équipe de développement nous annonce déjà le clap de fin, en restant évasif sur les explications. Mais nul doute qu’ils ont reçu des pressions. Ils disent avoir vérifié quatre fois que Popcorn Time était légal (puisqu’ils proposaient une technologie neutre, n’hébergeait rien sur leurs serveurs et ne faisant que combiner trois bases de données externes : pour les torrents, pour les informations des films et pour leurs affiches).

Cela n’a, semble-t-il, pas suffi.

Edit : il y a une suite heureuse à cette histoire !

Goodbye Popcorn Time

Adieu Popcorn Time

Goodbye Popcorn Time

L’équipe de développement – 14 mars 2014

(Traduction : Piup, aKa, Kcchouette, loicwood, Noon, lumi, Amazigh + anonymes)

Au revoir

Nous avions commencé Popcorn Time comme un défi lancé à nous-mêmes. C’est notre devise… C’est ce à quoi nous aspirons.

Nous sommes très fiers de ce projet. C’est le plus important que nous ayons construit. Nous avons constitué une équipe géniale en le faisant, avec des gens avec qui nous adorons travailler. Et pour être honnête, au moment où je vous écrit, nous sommes tous un peu écœurés et abasourdis. Nous aimons Popcorn Time et ce qu’il défend, et nous avons l’impression de laisser tomber nos géniaux contributeurs chéris. Ceux qui ont traduit l’application en 32 langues, y compris certains dont nous ne connaissions même pas l’existence. Nous sommes en admiration devant ce que la communauté libre peut faire.

Nous sommes avant tout de jeunes entrepreneurs passionnés d’informatique. Nous lisons Techcrunch, Reddit et Hacker News dont nous avons fait deux fois la une. Dans le même temps, nous avons eu des articles dans Time Magazine, Fast Comany, TechCrunch, TUAW, Ars Technica, Washington Post, Huffington Post, Yahoo Finance, Gizmodo, PC Magazine et Torrent Freak, pour ne nommer que ceux-là. Et nous sommes intervenus à la télévision et dans des émissions de radio, sans parler des nombreuses interviews, et celles que nous avons aussi déclinées en raison de l’excès de sollicitation(s) de la part des médias.

Et aucun de ces médias ne nous blâmait. Non, ils nous soutenaient. Nous étions devenus les outsiders qui se battaient pour le public et les consommateurs. Des gens que nous respections, certains de nos héros, ont dit monts et merveilles à propos de Popcorn Time, ce qui a largement dépassé nos espérances pour un projet expérimental monté en seulement quelques semaines.

En tant que projet, Popcorn Time est légal. Nous avons vérifié. Quatre fois.

Mais comme vous vous en doutez, cela est rarement suffisant. Notre soudaine popularité nous a mis en contact avec des tas de gens, des journaux aux créateurs de nombreux sites et apps, qui étaient extrêmement populaires. Nous avons beaucoup appris à leur contact. En particulier que s’opposer à une industrie obsolète, arc-boutée sur son modèle économique, a un prix. Un prix que personne ne devrait payer en aucune manière.

Vous savez quelle est la meilleure chose à propos de Popcorn Time ? Que des tas de gens se sont accordés pour reconnaître que l’industrie du cinéma avait établi bien trop de barrières et de restrictions sur le marché. Prenons l’exemple de l’Argentine : les diffuseurs de streaming, là-bas, pensent que “There’s something about Mary” (Mary à tout prix) est un film récent. Ce film est ici, aux États-Unis, tellement vieux, qu’il aurait l’âge de voter !

La majorité de nos utilisateurs n’est pas localisée aux États-Unis. Ils sont de partout ailleurs. Popcorn Time s’est installé dans chaque pays sur Terre. Même dans les deux (pays) n’ayant pas accès à Internet.

Le piratage n’est pas un problème de personnes. C’est un problème de services. Un problème créé par une industrie qui voit l’innovation comme une menace à leur recette dépassée pour ramasser la monnaie. Un problème dont ils n’ont que faire.

Mais les gens si.

L’expérience montre que les gens risquent des amendes, des poursuites judiciaires ou toute autre conséquence possible uniquement pour pouvoir regarder un film récent chez eux. Juste pour avoir le type de partage qu’ils méritent.

Il se peut que demander gentiment quelques pièces par mois pour donner l’accès à n’importe quel film soit une bien meilleure solution.

Popcorn Time ferme aujourd’hui. Pas parce que nous n’avons plus ni énergie, ni motivation, ni détermination, ni même d’alliés. Juste parce que nous avons envie de poursuivre nos vies.

Notre expérimentation nous a amenés aux portes d’un débat sans fin entre piratage et copyright, menaces légales et machinerie douteuse qui nous donne l’impression d’être en danger à cause de ce que nous aimons faire. Et ce n’est pas une bataille à laquelle nous souhaitons prendre part.

Bises
Pochoclín




Remarquable intervention d’Isabelle Attard aux États Généraux de l’Open Source

Les États Généraux de l’Open Source étaient réunis le 6 mars dernier pour une convention de synthèse. Nous avons choisi d’en reproduire ci-dessous la remarquable conclusion de la députée Isabelle Attard.

Si tous nos parlementaires partageaient en la matière ses compétences et son état d’esprit, nous n’en sérions pas là mais beaucoup plus loin.

À qui la faute ? À eux, bien sûr, mais également à nous. Alors continuons notre travail pour que sa « proposition 0 » infuse toujours plus la société. Et merci au passage pour la précieuse et pertinente analogie de l’école publique construite par une entreprise privée.

Remarque : Nous avons déjà évoqué Isabelle Attard lors de la triste histoire législative du DRM dans les livres numérique ainsi que sur la question du domaine public sur Romaine Lubrique.

Isabelle Attard

Isabelle Attard – Conférence de clôture – États Généraux de l’Open Source

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Merci Michel Isnard et Alexandre Zapolsky de m’avoir invitée à cette après-midi consacrée à l’open source.

Bravo pour tout ce qui a été accompli au sein des groupes de travail durant l’année. Juste un petit bémol : je constate qu’aucune femme n’est venue s’exprimer sur scène mais je compte sur vous pour faire mieux l’année prochaine.

Vous savez que le logiciel libre me tient à cœur. Pas pour des raisons idéologiques ou parce que « c’est à la mode », mais parce que c’est un vrai enjeu de société. Oui, je sais que je conclus les États Généraux de l’Open Source. Je sais aussi que la distinction entre logiciels Open Source et logiciels Libres est un débat virulent entre les partisans de chaque dénomination. Ces distinctions me paraissent trop peu importantes pour faire l’objet d’une argumentation. D’ailleurs, le deuxième groupe de travail aujourd’hui utilise « Open Source », et le quatrième « logiciel libre ».

Mais au quotidien, à l’Assemblée nationale, ce sont les mots « logiciel libre » qui ont ma préférence. Déjà parce qu’ils sont français. C’est un premier critère d’acceptabilité important pour être entendus de mes collègues députés. Ensuite, parce qu’ils mettent en avant la liberté, et c’est bien ce qui caractérise ces logiciels : les libertés offertes à leurs usagers. Enfin, parce que ces libertés aboutissent aux trois grands avantages majeurs des logiciels libres : coût, sécurité, pérennité.

Le premier ministre Jean-Marc Ayrault a insisté sur ces avantages dans sa fameuse circulaire sur l’usage du logiciel libre dans l’administration.

Et pourtant, pourtant, toutes mes tentatives de favoriser le logiciel libre dans la loi se sont heurtées à de grandes résistances. Lors du projet de loi refondation de l’école. Lors du projet de loi enseignement supérieur et recherche. Lors du projet de loi de finances 2014.

Mes collègues députés, je suis gênée de le dire, ont pour beaucoup fait preuve d’ignorance. Ces sujets sont complexes, et tous les parlementaires ne font pas le choix de s’y intéresser. Ils ont aussi, pour certains, cédé aux lobbies du logiciel propriétaire. Le chantage à l’emploi des grands éditeurs est une réalité.

Pourtant, je suis confiante dans l’avenir. La prise de conscience des donneurs d’ordre est une réalité, qu’ils soient des secteurs publics ou privés. De mon côté, j’ai utilisé les questions écrites aux ministères pour leur faire réaliser le bilan de leurs actions, suite à la circulaire sur le logiciel libre. Les premières réponses ont montré qu’il y avait de bons élèves, et de moins bons. Voire des silencieux.

C’est pourquoi je renverrai cette année la même série de questions. L’évolution des réponses nous permettra, à vous comme à moi, de mesurer la réalité du changement de pratique au sein de l’administration publique. Un problème récurrent au sein des ministères est l’absence d’outils de contrôle de gestion distinguant entre les dépenses liées aux logiciels libres et celles liées aux logiciels propriétaires. Je déposerai donc une autre série de question sur la mise en place de cette distinction dans la comptabilité publique.

En parallèle, je continuerai à promouvoir les nombreux avantages du logiciel libre auprès des ministres et lors des débats parlementaires.

La moitié des propositions de vos groupes de travail requiert la bonne volonté du gouvernement et/ou du Parlement pour aboutir. Les voici :

  • Modifications du Crédit Impôt Recherche
  • Financement par « l’État client »
  • Modification au sein du programme France Université Numérique
  • Adoption d’un code des marchés publics en faveur du libre, suivant le modèle italien.
  • Modification du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de techniques de l’information et de la communication, le CCAG-TIC. Ainsi, bien sûr, que son articulation avec le cahier des clauses administratives générales applicables aux prestations intellectuelles, le CCAG-PI.
  • Modification des règles des marchés publics pour imposer interopérabilité et standards ouverts.
    • Petite parenthèse. Je suis bien évidemment d’accord avec cette proposition. Mais lorsque j’ai essayé de donner, je cite : « un encouragement à l’usage de logiciels libres et de formats ouverts pour les ressources pédagogiques dans l’enseignement supérieur », on m’a répondu les choses suivantes. Je cite à nouveau : « les logiciels libres sont déjà très présents dans la communauté universitaire. C’est une culture extrêmement répandue. Il n’est donc pas important de faire figurer cela dans la loi. » Ces phrases ont été prononcées par le député Vincent Feltesse et la ministre Geneviève Fioraso. Je compte d’ailleurs beaucoup sur la ministre Fleur Pellerin pour faire de la pédagogie auprès de ses collègues en leur expliquant les avantages du logiciel libre. Je reviendrai plus tard sur la résistance au changement.
  • Intégrer le recours au logiciel libre dans les critères RSE.
  • Imposer la communication par l’État de son patrimoine logiciel.
  • Réglementer le lobbying
  • Libération de tout code produit par un agent public.
  • Création d’un centre de compétence Open Source de l’administration
  • Dégrouper dans 100% des cas l’acquisition de matériel et de logiciel.
    • Deuxième parenthèse : le groupe écologiste a tenté d’introduire dans le projet de loi Consommation, non pas le dégroupage de la vente, mais une simple information obligatoire des prix respectifs du matériel et des logiciels qui composent un ordinateur. Le ministre Benoît Hamon a refusé. Imaginez si nous avions proposé l’interdiction de vendre ces produits ensemble !
  • Dispositif fiscal de déduction des achats passés auprès des JEI et/ou PME Innovantes

Je partage assez largement ces propositions. Mais je pense qu’il en manque une, qui est un préalable à toutes celles-ci. Vous me permettrez, je l’espère, de suggérer une proposition 0. Elle s’intitulerait : « rendre le logiciel libre évident pour les décideurs politiques ». Par évident, j’entends à la fois l’aspect « solution à beaucoup de problèmes », et l’aspect « sujet simple dont je peux débattre sans passer d’abord un brevet d’aptitude ».

Aujourd’hui, à part quelques experts dans les administrations ministérielles, et une dizaine de députés, qui considère le logiciel libre comme une évidence ?

Le sujet est complexe, technique, c’est pourquoi nous devons tous faire un effort de vulgarisation. Je vous propose l’analogie suivante :

Imaginez une école publique, construite par une entreprise privée. Qui trouverait normal que l’entreprise ne fournisse par les plans à la mairie qui a payé la construction ? Qui trouverait normal que l’entreprise impose d’être la seule autorisée à réparer l’école ? Qui trouverait normal que l’entreprise interdise d’agrandir ou de modifier l’école sans son accord ?

C’est pourtant ce que les éditeurs des logiciels propriétaires payés par le secteur public imposent.

C’est, je le crois, avec des exemples simples, des analogies parlantes, que nous pourrons faire avancer la compréhension des enjeux du logiciel libre.

Le Conseil d’État l’a rappelé, le logiciel libre est un modèle de service. Ce n’est pas un choix technologique, contrairement à ce que prétendent les lobbyistes du logiciel propriétaire. Les collectivités locales ont donc parfaitement le droit d’imposer le libre dans leurs appels d’offre et dans leurs pratiques.

Il nous reste à le leur faire savoir, aussi souvent que nécessaire. Mais nous sommes tous d’accord à ce sujet, n’est-ce pas ?

Isabelle Attard




Le journalisme open source, selon OpenWatch

Le site OpenWatch nous propose de faire du journalisme autrement en s’inspirant des principes et techniques du logiciel libre.

Ils appellent cela le « journalisme open source » et y voient, non sans emphase, l’avenir de la profession.

Pure rhétorique ou réelles pistes à explorer pour un secteur en grave difficulté actuellement ?

Decar66 - CC by

Les nouveaux principes du journalisme open source

The New Principles of Open Source Journalism

(Traduction : Peekmo, goofy, lamessen, Slamino, Omegax„ Asta, Paul, Kayjin, aKa + anonymes)

OpenWatch souhaite être le cœur du journalisme open source de la prochaine décennie. Quelles valeurs émergeront pour définir les actualités de demain ?

Partout dans le monde, les agences de presse traditionnelles vacillent. Leurs revenus publicitaires se tarissent car les gens suivent de plus en plus l’actualité à partir de sources d’information en ligne ou ne s’y intéressent tout simplement pas parce qu’ils préfèrent consacrer leur temps à d’autres types de contenus numériques. L’information qui reste est plus édulcorée que jamais, le journalisme d’investigation a laissé la place à des opérations de relations publiques travesties en information, les correspondants à l’étranger sont remplacés par des vidéos virales et des ragots people.

Pourtant, le journalisme joue un rôle terriblement important dans la société, en permettant aux gens d’être informés sur le monde qui les entoure et en obligeant les élites au pouvoir à rendre compte de leurs actes. Nous ne pouvons laisser ce rôle simplement passer à la trappe. Au lieu de vivre cette situation comme une catastrophe, nous pouvons y voir une opportunité de réévaluer la nature et l’objet du journalisme. Partant de là, je crois pouvoir dire que nous assistons à l’émergence du phénomène peut-être le plus réussi et étrangement merveilleux de l’ère numérique : le mouvement du logiciel et de la culture « libres et open source ». Dans ce mouvement, les individus sont libres de consommer l’information et d’y contribuer au sein d’un espace commun et, ensemble, ils sont parvenus à créer un tout qui est plus que la somme de ses parties.

OpenWatch est une entreprise du secteur des technologies qui produit et soutient le journalisme open source. OpenWatch vise à être au New York Times ce que RedHat est à IBM. Notre produit de base est une suite gratuite d’applications mobiles qui permet à n’importe qui de diffuser du contenu, de visionner des vidéos sur téléphone mobile et de recevoir des alertes avec des possibilités de contribuer à nos reportages et enquêtes.

Du point de vue éditorial, nous sommes intéressés par la couverture des sujets sous-médiatisés tels ceux tirés d’histoires et d’enregistrements de gens ordinaires, mais aussi par les événements où les médias traditionnels échouent à remettre en cause les pouvoirs établis. Nous souhaitons présenter nos articles dans un contexte où l’homme de la rue peut prendre part à la mise au jour et à l’exposition de faits vérifiés.

Histoire

Au fil des ans, il y a eu bon nombre de tentatives de qualifier le genre de travail que nous évoquons ici : journalisme citoyen, journalisme civique, journalisme participatif, journalisme scientifique, journalisme (ouvert au) public, journalisme collaboratif, journalisme communautaire, wiki-journalisme et une foultitude d’autres appellations qui, j’en suis sûr, doivent exister.

Chez nous, nous appelons cela simplement du « journalisme open source ». En tant que contributeurs au mouvement du logiciel libre et open source, nous sommes bien conscients que le terme « open » peut être à la fois chargé et vide de sens. Nous souhaitons donc esquisser quelques principes de base qui, selon nous, définiront le journalisme open source de la décennie à venir.

Il ne s’agit ni d’un manifeste, ni d’une liste de revendications, ni même d’une promesse. C’est simplement une liste de valeurs journalistiques que nous entendons respecter et promouvoir. Nous ne voulons pas être crédités pour ces principes : d’autres, nombreux, nous ont précédés, existent à nos côtés ou viendront après nous. Notre seule ambition est d’exposer ces principes et d’inviter d’autres à les partager.

Avec le temps, nous espérons que l’importance de ces valeurs deviendra si évidente qu’elles feront apparaître le journalisme traditionnel comme dépassé et influenceront les grands organes de la presse traditionnelle.

1. Des sources primaires complètes

Le principe premier du journalisme open source est qu’il doit être « scientifique ». Cela signifie donner un accès aux sources primaires complètes, sous la forme de matériel documentaire associé, par un lien ou une incorporation, aux affirmations du récit journalistique, y compris tous les entretiens oraux ou par courriel avec des individus ou les documents bruts pour les sources anonymes.

Sans sources primaires complètes, le public est en réalité réduit à l’impuissance, privé de la possibilité de vérifier la véracité des faits qui lui sont livrés et se trouve réduit à devoir faire confiance à une seule version des faits. Avec la confiance vient le pouvoir, et avec le pouvoir viennent les abus. Le public a été gravement abusé sur de nombreuses questions, par exemple dans l’exposition des faits justifiant la guerre contre l’Irak, dans la couverture du programme d’assassinats par des drones, dans les allégations d’utilisation d’armes chimiques en Syrie et, aujourd’hui, avec le programme de surveillance de la NSA.

Le journalisme scientifique, pour sa part, ne requiert pas autant de confiance dès lors que le lecteur possède autant d’informations que le journaliste qui l’informe.

En fin de compte, cela signifie l’abandon du « scoop » et des sources non attribuées, qui, de par leur nature, voilent le mécanisme qui transforme les faits en analyse. À leur place, nous proposons un sommaire transparent, une contextualisation, un remixage et une analyse complètes des sources primaires.


2. Pratique et Participatif

Dans le journalisme open source, l’action est plus importante que le contenu. L’objectif du journalisme open source n’est pas de divertir, ni même de simplement informer, mais plutôt de tenter de construire un projet de changement. Ce projet doit commencer par les faits déjà connus, mais devrait aussi fournir une feuille de route décrivant les inconnues référencées et ce qui sera nécessaire pour répondre à ces questions. Les lecteurs soucieux des erreurs devraient avoir l’opportunité d’être directement impliqués dans le processus de collecte, de traitement, de synthèse et de publication des actualités. Mais ce n’est pas tout. Le but de notre journalisme est aussi de défier, provoquer et demander des réponses aux pouvoirs établis. Et aussi longtemps que ce sera fait de façon productive et documentée, ce sera quelque chose dans lequel le public devrait être impliqué.

Les projets de logiciels open source utilisent ordinairement un outil de « bugs » et de « tickets » pour suivre et accélérer leur développement ; chez OpenWatch, nous les appelons « missions ». Vous pouvez parcourir la liste de toutes nos missions actuellement actives ici pour pouvoir contribuer à nos investigations en cours.

Au final, nous espérons créer une force globale et répartie de fouineurs et une place centrale d’idées concrètes au sujet des problèmes importants.

3. Garanties

Historiquement, un des plus gros défis pour les médias et reportages citoyens est la question de l’authenticité. Il est souvent difficile de déterminer si les médias et l’information proposés en ligne sont authentiques ou s’ils sont le produit de quelqu’un désireux de promouvoir une cause, d’une partie adverse essayant de saboter une histoire ou simplement d’un « troll » ennuyeux. Les plateformes comme Youtube, Facebook et Twitter ne fournissent aucun outil automatique d’expertise de l’authenticité ; réceptacles par essence d’un flux continu d’informations éphémères, qui se combine à la capacité d’amplifier rapidement certains messages, elles sont souvent exploitées à des fins de diffusion de canulars et de désinformation (comme l’illustre le cas récent de ces images de manifestations en Turquie filmées en réalité plus tôt dans l’année à l’occasion d’un marathon).

Pour lutter contre ce problème, OpenWatch utilise un bouquet de technologies destinées à faciliter la vérification de l’authenticité d’un média dans notre système. Une de ces technologies est un système que nous appelons CitizenMediaNotary. Inspiré par le projet Perspectives, CitizenMediaNotary est un réseau de serveurs de confiance distribué, qui maintient une base de données d’empreintes digitales des médias citoyens. Cela permet de savoir si un contenu est vraiment nouveau ou s’il a déjà été visionné auparavant et, dans ce cas, où, quand et par qui.

4. Prévoir

Si nous ne couvrons que les atrocités passées, nous ne serons jamais en mesure de les prévenir. Le journalisme d’avant a presque exclusivement porté sur des événements qui ont déjà eu lieu, et c’est une occasion majeure manquée pour l’émancipation.

La participation des foules sera un facteur majeur dans le futur du journalisme de prévision, dans la mesure où de grands ensembles de données sont bien meilleurs pour les prévisions que les petits. Par exemple, à l’époque où OpenWatch était un service exclusivement utilisé pour surveiller l’action de la police, nous étions capables d’analyser des modèles d’action trouvés dans nos données pour réaliser des prévisions plus précises sur les régions où des abus policiers avaient plus de chance d’avoir lieu et ce n’est que le début. Dans le futur, nous pourrons collecter des jeux de données multisourcés et publics de manière à prédire quelle communauté à risque est susceptible d’être frappée par une catastrophe naturelle, qui sera le gagnant d’une élection, le résultat probable d’une décision de justice, quelles écoles seront fermées par une nouvelle administration et bien d’autres choses encore.

On assiste ces derniers temps a une augmentation notable de la production de rapports prévisionnels grâce à des agences privées du renseignement comme Stratfor, mais cette activité de prévision est onéreuse et sa commercialisation uniquement orientée vers les pouvoirs établis, qui bénéficient déjà du système actuel. OpenWatch s’efforce de fournir le même genre d’informations spécialisées, mais avec un accès ouvert à tous et avec une position résolument critique et orientée par l’intérêt public.

Bien sûr, nous ne pourrons en rien garantir le degré d’exactitude de nos prévisions, mais du fait que tous nos rapports sont totalement open source, les lecteurs sont les bienvenus pour produire et donner également leur propres prédictions.

5. Transparence éditoriale

La démarche open source et participative appliquée à l’ensemble de nos publications vaut aussi pour notre démarche éditoriale. Le public en général et notre lectorat en particulier jouissent ainsi d’un accès direct à l’ensemble du processus décisionnel au sein d’OpenWatch, qu’ils souhaitent en être témoins ou y prendre part. Cela permet au lectorat en général grand public d’assister directement la totalité du processus décisionnel d’OpenWatch, aussi bien que d’y être impliqué.

Comme il se doit en open source, cette démarche éditoriale repose sur des listes de diffusion publiques. Nous appelons ce système « Radar » car il n’offre pas seulement un aperçu des événements en cours de traitement chez OpenWatch, il est aussi un calendrier dynamique des événements que nous avons l’intention de couvrir.

Si vous souhaitez voir ce qui se trame sous le capot d’OpenWatch ou avoir votre mot à dire sur la manière dont OpenWatch gère ses ressources éditoriales, rejoignez notre liste de discussion publique en envoyant un courriel à openwatch-radar@googlegroups.com, vous serez immédiatement inscrit-e (les hackeurs sont aussi invités à rejoindre la liste openwatch-dev@googlegroups.com pour participer aux discussions autour des développements techniques).


Nous ne prétendons pas qu’un tel niveau de participation est nécessaire pour tous les canaux d’information open source, le degré de participation proposé dans certains groupes pouvant être moindre que le nôtre pour une raison ou une autre, mais il est important dans tous les cas, que les décisions éditoriales émanent d’un noyau privé, d’un noyau public ou d’un consensus public, que le cadre décisionnel soit transparent.

6. Gestion des versions

Git est un outil qui permet aux développeurs et aux utilisateurs de logiciels libres de garder la trace de l’ensemble de leurs changements, de voir qui contribue à quelle partie d’un projet et de revenir à l’état antérieur d’un projet en cas de catastrophe. C’est un logiciel absolument crucial. Les utilisateurs réguliers de Wikipédia sont habitués à des outils de contrôle des versions aux fonctionnalités similaires (via la page Historique d’un article)

Néanmoins, aussi précieux qu’il soit, le contrôle des versions est rarement pratiqué dans d’autres secteurs que celui du développement logiciel. De manière intéressante, dans le domaine du journalisme, le contrôle des versions peut apporter quelque chose que l’inventeur de git n’avait jamais imaginé : la résistance à la censure cachée.

Contrairement aux apparences, certaines formes de censure sont plus aisées à mettre en œuvre dans le royaume numérique que dans le monde physique. Dans le monde physique, le censeur laisse une trace : un trait noir, un nom effacé, des autocollants, des agrafes, de la colle. Sur l’internet, nulles preuves semblables d’une censure post-publication : seulement un article qui disparaît ou un léger changement de contenu, sans que personne n’en sache rien.

Un nouveau projet, Newsdiffs, tente de traquer les changements en tant que service proposé à une poignée d’organes d’information traditionnels. Cet effort mérite nos applaudissements, mais la solution est actuellement limitée et laisse beaucoup de changements passer au travers des mailles du filet. Dans le futur, nous aimerions voir davantage d’organisations prendre elles-mêmes cette responsabilité à travers une combinaison de contrôle interne et tiers de tout le contenu des actualités.

7. Permanence

Les journaux et la télévision sont des formats éphémères. Un journal se jette, une diffusion télévisée n’est pas enregistrée. Internet, par contre, n’oublie jamais. Un article n’existe pas seulement pour un jour, il existera pour le restant de l’histoire enregistrée et sera toujours à la portée d’une simple recherche, accessible en une seconde.

Par conséquent, on doit envisager que les articles seront toujours accessibles dans un lointain futur et doivent être créés en ayant à l’esprit les lecteurs du futur, qui devront à leur tour pouvoir y apporter leur contribution.

8. Logiciel libre, contenu libre

En dernier lieu, nous pouvons incorporer les principes du logiciel libre et de la culture libre dans le journalisme open source. Fondamentalement, cela signifie que nous devons respecter les droits digitaux de nos utilisateurs et utiliser autant de logiciels libres et open source que possible, en nous assurant que le contenu est produit sous une licence permissive ou copyleft, en traquant le moins possible les utilisateurs et en leur permettant de savoir comment et pourquoi nous les traquons.

Les principes de la culture libre sont nécessaires pour n’importe quel projet ouvert et participatif car c’est grâce à eux que les communautés en ligne ont la capacité de réaliser ces choses formidables qui les rendent très différentes des organes de presse traditionnels.

Il devient concevable non seulement de lier, partager et traduire librement l’information (la traduction étant une autre question gérée de manière insatisfaisante dans les médias d’information traditionnels), mais aussi de remixer les contenus et de présenter les médias et analyses sous des formes nouvelles, que leur auteur originel n’aurait éventuellement pas imaginé.

En définitive, le journalisme open source ne doit pas recourir au droit d’accès payant comme source de revenus car c’est en totale contradiction avec la volonté de produire du contenu dans le but d’informer et de donner au public le pouvoir de l’autonomie et de la responsabilité. Faute de proposer à ce dernier un libre accès aux informations d’importance, cela ne serait en fin de compte guère plus qu’une extorsion de fonds. Il existe plein d’autres modèles économiques de soutien du logiciel libre qui peuvent tout aussi bien soutenir le journalisme open source (nous reviendrons dessus plus en détail dans un autre billet).

En avant !

Nous vous avons décrit quelques-unes des valeurs centrales dont OpenWatch entend imprégner sa forme de journalisme open source. Si vous souhaitez contribuer à documenter la vérité et résister aux pouvoirs adeptes du secret, rejoignez-nous ! Nous ne savons pas exactement où cela nous mènera, mais nous sommes certains qu’unis dans la quête de la vérité, nous pouvons construire quelque chose de vraiment étonnant et bien pour tous. Rejoignez-nous !

Crédit photo : Decar66 (Creative Commons By)




Les Communs, candidats aux municipales : 16 propositions pour tout de suite

A l’automne dernier le Réseau francophone autour des biens communs avait organisé avec succès la manifestation collective Villes en Biens Communs à laquelle Framasoft avait massivement participé.

A l’approche des élections municipales le réseau a produit une plateforme comportant 16 propositions afin de sensibiliser le politique sur le sujet (lien direct vers le pdf). On remarquera que « Faire le choix des logiciels libres » fait partie du lot.

« Ni État, ni marché, on parle beaucoup des biens communs, voire des communs tout court actuellement. Ils fournissent en effet une pertinente grille de lecture et de rassemblement pour une partie émergente de la société qui, dans un monde en crise, pousse vers plus de coopération et de partage.
C’est pourtant une notion qui n’est pas toujours bien comprise, parce qu’elle se différencie du « bien public » et qu’il n’existe pas de bien commun en soi. On parlera en effet de communs lorsqu’une communauté décide de gérer une ressource de manière collective dans une optique d’accès et d’usages équitables et durables.
Ainsi la gestion de l’eau ne peut être un bien commun quand, dans un territoire donné, elle est confiée par un acteur public à un acteur privé. Ainsi le logiciel ne peut être considéré comme un commun que lorsqu’il est libre. »

Citation extraite de l’article Pour que le domaine public soit pleinement un bien commun sur Romaine Lubrique.

Pour aller plus loin nous vous suggérons la lecture de La Renaissance des Communs, dont nous avons mis en ligne la préface.

Et puisqu’on parle de biens communs, voici une vidéo réalisée à Montréal en avril dernier, intitulée Internet bien commun, une utopie nécessaire à notre imaginaire collectif, en présence, pour nous, d’Alexis Kauffmann (qui avait raconté son périple ici).

Les Communs, candidats aux municipales : 16 propositions pour tout de suite

Le Réseau francophone autour des biens communs relie des acteurs qui défendent les Communs. Ceux-ci représentent à la fois une alternative et un complément aux approches pilotées par le marché et/ou par la puissance publique. Les Communs sont le fruit de l’action collective, quand les citoyens s’engagent et se responsabilisent.

A l’occasion des élections municipales, le réseau ouvre une première série de 16 propositions dont les candidats sont invités à s’emparer. Chaque proposition est illustrée par quelques exemples qui montrent que c’est possible ici et maintenant. Le réseau a organisé en octobre dernier le mois des Communs dont vous trouverez le site ici : http://villes.bienscommuns.org/. et qui peut être contacté à contact.vebc@bienscommuns.org.

N’hésitez pas à les relayer autour de vous et à les faire connaître à vos candidats.

Introduction

Les Communs existent quand l’action collective vient transformer une ressource en un moteur de cohabitation, de démocratie et de co-construction d’un futur partagé.

En proposant de ne pas réduire la lecture du monde à une approche binaire entre marché et puissance publique, les Communs ouvrent une nouvelle perspective politique. En s’appuyant sur la capacité des communautés, collectifs citoyens, à porter de l’innovation et de la transformation sociale, les Communs sont susceptibles d’enrichir nos démocraties représentatives et de contribuer aux transitions que nos sociétés doivent inventer.

Les Communs sont porteurs d’une vision d’une société solidaire et créative. Ils offrent aussi des outils pour l’action dans les territoires.

Les municipalités constituent un espace privilégié d’expérimentation concrète de l’apport des Communs dans la société. Une politique des Communs à l’échelle des villes, c’est accentuer la participation des habitants et créer une dynamique collective pour agir et décider ensemble. Les 16 propositions qui suivent constituent des briques élémentaires, issues d’expériences qui méritent d’être étendues. Elles peuvent aider à définir, appuyer ou intensifier une politique des Communs à l’échelle des villes.

Ni programme, ni revendications, les propositions suivantes ont pour raison d’être de montrer le dynamisme de communautés existantes, et de souligner combien une politique publique pourrait créer un terreau favorable à son extension. Elles sont structurées en trois ensembles, selon le rôle que peut jouer la municipalité dans cette mise en action des Communs. Chaque proposition est illustrée d’exemples, tirés d’une liste bien plus longue d’initiatives municipales.

Nous invitons les candidats aux Municipales à s’emparer de ces propositions dans leurs programmes électoraux et les futurs élus à convertir ces propositions en actions. Nous invitons les citoyens à utiliser ces propositions pour faire leur choix électoral, et dans tous les cas pour s’emparer ici et maintenant de ces idées de pratiques collaboratives.

A/ La municipalité productrice de Communs

La municipalité peut activement contribuer à nourrir une sphère des Communs, ensemble de ressources qui ne sont ni la propriété de la puissance publique à proprement parler, ni soumise à un régime de propriété privée propre à la sphère du marché, mais régies par un bouquet de droits distribués entre les différents acteurs de la société.

De plus, les municipalités ont en gestion le domaine public. En faire partager l’usage, la maintenance et la promotion par des citoyens actifs permet de faire vivre ce domaine public, de le transformer en Commun, garantissant ainsi qu’il sera bien au service de tous.

1. Des archives et des fonds de bibliothèques et de musées du domaine public numérisés en libre accès

Contexte :

Certaines bibliothèques et musées disposent de fonds patrimoniaux dans le domaine public qui sont de plus en plus souvent numérisés. Il en va de même pour les oeuvres conservées par les services d’archives. Cette numérisation donne tout son sens aux politiques culturelles puisqu’elle allie une logique de conservation à un impératif de diffusion en permettant à tout un chacun d’accéder à distance à des contenus depuis n’importe quel point du globe. Tous ces contenus numériques sont autant de biens communs lorsqu’ils sont appropriés par des communautés locales et/ou en ligne. Le travail de médiation sur place et à distance peut alors s’appuyer sur ces communautés pour rendre le patrimoine vraiment commun.

Proposition :

La véritable valorisation du patrimoine, des archives locales et du domaine public numérisé passe par la capacité des citoyens à s’en emparer, faire circuler la culture et partager les savoirs. Mettre de tels documents numérisés librement en ligne et en faire l’objet de politiques de médiation active sont nécessaires à cette valorisation. Le domaine public ne peut faire l’objet de droit nouveaux ; ce qui est dans le domaine public doit y rester dans sa version numérisée. Les municipalités peuvent s’en porter garant en utilisant dans les institutions culturelles qui dépendent de sa gestion des instruments qui ne rajoutent pas de nouvelles couches de droits sur le domaine public numérisé. Cela signifie que toutes les formes de réutilisation doivent être autorisées, y compris dans un cadre commercial pour enrichir un fonds commun. Il s’agit de favoriser une appropriation la plus large possible des biens communs issu du domaine public.

Exemple :

Le site Les Tablettes rennaises, bibliothèque numérique diffusant le patrimoine numérisé de la Ville de Rennes (fr) est ouvert. Les utilisateurs sont désormais autorisés à partager et réutiliser librement les documents numérisés, par le biais de la Marque du Domaine Public, indiquant que les oeuvres ne sont plus protégées par le droit d’auteur.

2. Des contenus produits par la municipalité réutilisables librement pour nourrir les Communs volontaires


Contexte :

Une municipalité produit une multitude de contenus (photographies, films, textes…) pour ses activités régulières (journal municipal, site web de la ville, événements…). Restreindre la circulation de ces contenus par un régime de droits réservés, est à la fois incohérent au vu de leur mode de financement sur fonds publics, et inefficace en termes économiques et culturels : ils privent la société de ressources sur lesquelles bâtir de nouvelles productions, et les citoyens de moyens de vivre leur ville en faisant circuler et en adaptant les contenus municipaux.

Proposition :

Une fois leur fonction première remplie et sans attendre que les droits d’auteur associés s’épuisent, les œuvres produites par ou pour la municipalité peuvent être libérées avec une licence de type Creative Commons, enrichissant ainsi les Communs volontaires.

Exemple :

La ville de Brest publie ses contenus écrits en Creative Commons

3. Une politique active d’ouverture de données sous licence partage à l’identique

Contexte :

De nombreuses municipalités françaises ont lancé une politique d’ouverture de données, mettant à disposition de réutilisateurs – entreprises, citoyens, associations, administrations… – des informations à forte valeur sociale et économique. Ces données ouvertes contribuent à nourrir un espace de données en Communs.

Proposition :

Nous invitons les villes qui n’ont pas encore mis en place une politique d’ouverture des données à franchir le pas et à choisir une mise à disposition accompagnée d’une licence incluant une obligation de partage à l’identique. Une telle licence permet à chacun d’utiliser et de modifier ces données, à condition d’en citer la source, et de garantir que les données modifiées resteront elles aussi ouvertes. Cette obligation permet d’éviter que les données soient enfermées dans des services propriétaires et assure que cet ensemble de données « en Commun » continue de s’enrichir. À l’heure ou la question de la donnée devient un enjeu central à la fois en termes économiques et de libertés, il est essentiel qu’une sphère de la donnée partagée et réutilisable soit protégée et enrichie. Quand les données sont produites par un prestataire sur une commande publique, il est nécessaire de mentionner la licence dès la rédaction des appels d’offre.

Exemples :
  • La Ville de Rennes a été la première en France à lancer une politique d’ouverture des données. Aujourd’hui de nombreux jeux de données sont à disposition des tiers (transport, espaces verts, équipements…). La municipalité a fait le choix de la licence OdBL qui impose une réutilisation à l’identique.
  • Le département de Saône-et-Loire a ouvert ses données et a été plus loin en intégrant des outils de visualisation qui permettent aux citoyens d’en comprendre le sens et d’en produire leur propre interprétation.

4. Favoriser la circulation des informations par la mise à disposition d’accès internet ouverts dans les espaces et bâtiments publics

Contexte :

L’accès à internet a été reconnu par le conseil constitutionnel comme un droit fondamental. Ouvrir un tel accès à tous, gratuitement, dans les lieux publics est une garantie d’équité sociale. Il favorise également l’entraide et la collaboration entre usagers pour pallier les difficultés et le manque d’expérience. Hors de leur domicile, les habitants ont de plus en plus besoin de se connecter pour accéder aux applications en ligne, échanger et produire des informations et accéder à une multitude de services publics ou privés.

Proposition :

Faciliter l’accès de tous à l’internet via des accès ouverts. Les accès filaires peuvent être mis à disposition par les municipalités dans les espaces et bâtiments publics. Quand l’accès wifi est choisi, l’utilisation d’émetteurs de faible puissance est à privilégier pour limiter les effets sur la santé.

Exemple :

La ville de Bordeaux a équipé ses rues et bâtiments publics d’un réseau wifi ouvert et gratuit.

B/ La municipalité coproductrice de communs avec les citoyens

Les habitants ne sont pas uniquement des « consommateurs » de services publics ou privés, mais peuvent être coproducteurs à la fois de la conception du développement de leur ville, mais aussi de ses facilités essentielles. En voici trois exemples.

5. Un espace public co-designé avec les habitants, pilier d’une gouvernance contributive

Contexte :

Alors que le principe de la participation des habitants a fait son entrée dans la politique française dès 1988, et vient d’être réaffirmé et renforcé dans la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine adoptée en novembre dernier, on observe une difficulté récurrente à rendre ce principe effectif, au-delà d’une simple consultation. L’espace public, espace en commun par essence, et plus globalement les projets de développement urbain, peuvent faire l’objet d’une co-conception, en s’appuyant sur des outils numériques, en ligne et hors ligne.

Propositions :
  • Systématiser les dispositifs de co-construction des projets de développement urbain, de manière à ce que l’espace public soit véritablement coproduit par la municipalité et ses habitants.
  • Considérer les habitants comme des forces de proposition, soit par leur activité dans les périodes de consultation, soit par l’analyse de leurs pratiques quotidiennes pour s’approprier l’espace public.
  • Développer les budgets participatifs.
Exemples :
  • IMakeRotterdam : la municipalité de Rotterdam a invité les habitants à des projets pour la revitalisation de la ville qui ont, après présélection, été soumis au vote des citoyens.
  • La ville d’Unieux (42) et son système d’écoute citoyenne pour optimiser les doléances des habitants, en lien avec les services municipaux :
  • Le réaménagement de la Place de la République à Paris s’est appuyé sur une concertation durant les trois années du projet avec les usagers de la Place et les habitants des 4 arrondissements limitrophes

6. Une information sur la ville coproduite avec les habitants

Contexte :

De longue date, les municipalités tendent à produire de façon centralisée (ex : bulletin municipal) pendant que les citoyens construisent des médias alternatifs (radios et télés locales…) pour refléter leurs préoccupations, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur ville, et créer du lien social. Une troisième voie envisage la fourniture d’information sur la ville comme une coproduction municipalités/habitants, en dépassant les logiques de silos. Il peut s’agir d’informations cartographique, de mise en valeur d’un territoire, de rendre accessibles les informations sur la qualité de l’air ou la détection de problèmes. Cette information coproduite est un Commun.

Proposition :

Généraliser les espaces et les outils numériques permettant de coproduire de l’information sur la ville par les habitants et la municipalité.

Exemples :
  • Wiki – Brest, site collaboratif du patrimoine et du vivre ensemble à Brest et au Pays de Brest
  • FixMystreet, expérience anglaise, permet de faire remonter les problèmes urbains et territoriaux aux institutions municipales, une idée reprise au Sénégal par Nanuyeggle
  • Le medialab de la ville de Madrid héberge le projet The Data Citizen Driven City qui permet aux habitants de produire de l’information sur la qualité de l’air de leur ville
  • La région Nord Pas de Calais a réalisé des fiches, donnant des exemples d’outils numériques à même de favoriser une participation démocratique citoyenne

7. Renforcer l’investissement citoyen face au changement climatique

Contexte :

Le changement climatique global va profondément modifier notre environnement et nos modes de vie. Déjà des épisodes extrêmes et désordonnés ont des effets repérables (inondations, sècheresses, tempêtes…). L’impact économique du changement climatique est sensible au lendemain de chaque épisode majeur.

Les municipalités peuvent intervenir pour favoriser l’action des citoyens afin d’atténuer les changements climatiques (nouvelles formes de production et de consommation d’énergie) et nous permettre de nous adapter au nouveau régime climatique (évacuation des eaux en cas de fortes précipitation, éviter les pics d’ozone, rendre la ville supportable lors de canicules,…).

De plus, Les habitants en direct ou via des outils de finance citoyenne, les collectivités, des opérateurs privés, des banques issues de l’ESS (économie sociale et citoyenne) s’associent pour se réapproprier la production d’énergie renouvelables sur leur territoire

Propositions :
  • Associer habitants, collectivités, entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire dans des projets de production énergétique renouvelable et locale, dans une démarche de décentralisation de la production et des décisions. Utiliser des formes de financement innovantes et participatives pour engager les profonds changements nécessaires.
  • Développer l’éducation populaire pour favoriser la prise de conscience des enjeux du climat et le transformer en un Commun afin que tous aient à cœur d’en protéger le caractère tempéré.
  • Favoriser les circuits courts dans toutes les activités dépendant de la municipalité, mettre en œuvre le partage des moyens de transport et les transports publics.
Exemples :
  • Création du parc éolien des Landes du Mené, centre Bretagne. La municipalité avec les habitants utilise un financement participatif avec la mise en place de Cigales
  • Energie Partagée est un mouvement qui accompagne, finance et fédère les projets citoyens de production d’énergies renouvelables et de maîtrise de l’énergie.
  • Les « Villes en Transition » adoptent une démarche pour passer « de la dépendance au pétrole à la résilience locale » http://villesentransition.net/ Au Pays Basque, l’association Bizi a présenté un “Pacte de transition énergétique” avec des propositions concrètes. Il a été validé par plus de 30 listes pour les municipales de 2014

8. Des jardins partagés au “guerilla gardening” : remettre la nature en Commun dans la ville

Contexte

Les habitants se mobilisent de plus en plus pour ouvrir dans leurs quartiers, leurs villages, des espaces naturels – jardins partagés, potagers dans des bacs en ville, murs et toits végétalisés… Certaines démarches sont portées par des associations, d’autres impulsées par les municipalités, d’autres encore poussées par les habitants comme une forme de résistance civique. Tous contribuent à leur manière à réintroduire la nature comme Commun dans l’espace urbain.

Propositions :
  • Officialiser l’autorisation pour les habitants d’investir les espaces abandonnés, ou négligés de la ville pour les transformer en jardins, aussi petits soient ces espaces.
  • Développer l’éducation populaire autour des jardins partagés (méthodes culturales, alimentation liée aux saisons…).
Exemples :

9. Des réseaux d’accès à internet collaboratifs et ouverts

Contexte :

Si dans les grandes villes, le marché a su offrir une couverture territoriale assez complète en réseau haut débit, de nombreuses villes secondaires et zones rurales restent peu ou mal desservies, créant des inégalités de développement entre les territoires, problématique qui risque de se renouveler avec l’arrivée du très haut débit. Dans certaines villes, les habitants s’auto organisent pour partager de la ressource réseau et proposent ainsi une offre alternative, complémentaire, gérée sur un mode collectif de l’accès à internet.

Proposition :

Reconnaître ces réseaux d’accès citoyens comme des opérateurs à part entière, leur garantir un raccordement aux backbones nationaux, et participer à leur cofinancement. Au-delà des réseaux, les municipalités peuvent prendre part à l’offre de services : fermes de services permettant aux habitants et associations de disposer d’adresse courriel, de listes de diffusion, de blogs, d’hébergement multimédia (cf. Maison du libre) et de lieux d’accès publics de proximité.

Exemples :
  • Guifi.net est un réseau de télécommunications communautaire, libre, ouvert et neutre, principalement sans-fil, lancé en Catalogne. Les nœuds du réseau sont créés par des individus, des entreprises et des administrations sur la base du volontariat. Le réseau est auto-organisé et s’appuie sur des liaisons sans fil et des liaisons optiques ouvertes. Guifi.net a le statut d’opérateur reconnu par l’autorité de régulation espagnole et est soutenu par certaines municipalités.
  • La fédération FDN qui regroupe des Fournisseurs d’Accès à Internet associatifs – par exemple à Toulouse Montataire qui a fibré sa commune, proposé aux habitants un réseau moins cher que le FAI privés

10. Soutenir l’émergence citoyenne de monnaies complémentaires

Contexte :

« Pour relever les défis sociaux et environnementaux de notre époque, le système monétaire devrait être fondé sur le principe de la complémentarité des monnaies. Une telle organisation serait plus résiliente aux tempêtes spéculatives que la « monoculture monétaire » actuelle, et plus à même de soutenir le développement endogène des territoires. » (Wojtek Kalinowski – Institut Veblen)

La monnaie locale complémentaire est à la fois un bien commun et un outil de transformation sociale à l’échelle locale. De nombreuses collectivités territoriales et collectifs associatifs locaux désireux de renforcer le lien social et la participation citoyenne dans l’économie territoriale s’en saisissent.

Propositions :

Initier un processus consultatif sur l’économie locale et le rôle qu’une monnaie complémentaire pourrait jouer pour la renforcer. Impliquer toutes les parties prenantes : associations, entreprises locales, experts… Animer le débat local sur la monnaie comme un bien commun. Au terme des consultations avec les parties prenantes, et si les résultats sont positifs, inscrire dans le budget local une expérimentation de création d’une monnaie locale. Prévoir et voter un budget de cautionnement par la municipalité.


Exemples :
  • Le WIR en Suisse utilisé par 50 000 PME et autorisé par l’Etat avec le statut d’institution bancaire. Son effet contra-cyclique a été démontré : confrontées au resserrement du crédit et à la crise de liquidité, les PME suisses augmentent leurs transactions en WIR ; lorsque la conjoncture s’améliore, elles reviennent au franc suisse.
  • Les monnaies locales créées par les collectivités : le SOL Violette à Toulouse, bientôt le “SoNantes” à Nantes, le Torekes à Gand (Belgique)… ;/ ;
  • Les Accorderies au Québec et maintenant en France : exemple de monnaie temps et de banque temps. Chaque Accordeur dispose d’un « compte-temps » qui comptabilise au débit les dépenses, c’est-à-dire les services reçus, et au crédit les recettes par les services rendus.
  • Les SEL– systèmes d’échanges locaux http://selidaire.org/spip/

C/ La municipalité, soutien et facilitatrice des Communs

Les actions portées par les Communs et celles portées par les acteurs publics ne sont pas antinomiques, bien au contraire. Les uns et les autres participent d’une co construction de l’intérêt général et peuvent s’épauler mutuellement. La puissance publique a souvent intérêt à soutenir les acteurs des Communs qui s’auto organisent plutôt qu’à porter les actions en direct ou à les déléguer à des acteurs du marchés qui répondent à d’autres logiques.

11. Faire le choix des logiciels libres

Contexte :

De plus en plus de municipalités ont fait le choix de s’équiper de logiciels métiers en logiciel libre. Ce choix leur permet de s’affranchir de fournisseurs pour lesquels ils doivent payer des licences annuelles, dont les solutions propriétaires interdisent ou limitent fortement les migrations en cas de meilleure offre ou de faillite du fournisseur. De plus cela permet aux municipalités de mutualiser les coûts d’investissement pour le développement de nouveaux logiciels. Au-delà des logiciels métiers, les suites bureautiques libres (Open Office, Libre Office…) répondent généralement aux besoins d’une administration. En faisant le choix du libre, les municipalités participent également au développement de Communs immatériels.

Proposition :

Systématiser la migration des logiciels des villes vers le logiciel libre lorsque des offres de qualité équivalente ou supérieure aux offres propriétaires existent et les commandes publiques groupées entre plusieurs villes de nouveaux logiciel afin de réaliser des économies d’échelles. Inclure autant que possible une clause en ce sens dans les appels d’offres, de manière à ce qu’un logiciel financé par une collectivité crée du bien commun. Un accompagnement des fonctionnaires par de la formation aux outils libres doit être prévu.

Exemple :
  • Adullact, association travaillant à la mutualisation de solutions libres pour les collectivités territoriales françaises
  • L’April relance sa campagne Candidats.fr pour les élections municipales 2014 avec le Pacte du Logiciel Libre, qui référence plusieurs initiatives

12. Utiliser et alimenter des fonds cartographiques ouverts

Contexte :

Les fonds cartographiques sont couramment utilisés sur le Web. Aujourd’hui le marché est dominé par un acteur privé en situation quasi monopolistique qui a construit son modèle économique sur le recueil de données et leur monétisation, et qui ne permet pas aux internautes d’améliorer l’outil. Une alternative libre existe, qui permet au contraire la coproduction d’informations par les utilisateurs, OpenStreetMap.

Proposition :

Une politique municipale en matière cartographique peut s’appuyer sur 3 piliers :

  • diffuser les cartes produites par la ville sous licences libres et en formats ouverts
  • rendre accessibles et utilisables les données cartographiques telles que toponymie, inventaire patrimonial, emplacements des établissements recevant du public, dispositifs liés à la sécurité comme les défibrillateurs ou bornes à incendie
  • Soutenir l’essor d’OpenStreetMap en incitant les acteurs de la ville (employés municipaux, habitants, gendarmerie…) à contribuer à améliorer la carte, en encourageant les cartoparties qui forment les habitants à la contribution à OpenStreetMap, et en utilisant systématiquement la solution libre dans les sites Web des villes.
Exemples :
  • Cartopartie de la ville de Montpellier http://tinyurl.com/o6rkvlb
  • Utilisation d’OpenStreetMap par la ville de Metz
  • Carte de Plouarzel enrichie par les pompiers
  • Dessine ta ville à Digne-les-Bains
  • Projet Sanikart – FunLab Tours : enrichissement des données OpenStreetMap avec les citoyens, modélisation en 3d sous blender, importation sur tuxcart (mario kart libre sous linux), puis jeu projeté sur la façade d’un immeuble du quartier, et joué par les habitants

13. Mailler le territoire de tiers-lieux susceptibles d’accueillir et faire fructifier l’innovation sociale et le débat citoyen

Contexte :

Les initiatives citoyennes porteuses d’innovation sociale, capables de répondre à des besoins auxquels ni le marché ni la puissance publique ne sont en mesure de fournir des solutions satisfaisantes, fleurissent dans les territoires. Porteuses de sens, elles participent de la création de lien social, de débat public et de valeur qui, pour être le plus souvent non monétisable, n’en est pas moins essentielle. Ce faisant, elles participent à la construction de Communs. Ces initiatives auto organisées, formelles (associations, coopératives…) ou informelles ont besoin de s’appuyer sur des lieux partagés dans lesquels faire grandir leurs initiatives. Ces tiers-lieux sont aussi le lieu de nouveaux apprentissages pour permettre aux habitants d’être plus actifs et impliqués dans la vie de leur ville.

Propositions :
  • Multiplier l’ouverture de lieux métissés (fablabs, livinglabs, EPN…) ou utiliser des lieux existants et prisés d’un large public (bibliothèques, piscines, musées, maisons pour tous…) pour expérimenter et se former. Dans de tels lieux vont se croiser acteurs associatifs, makers, créateurs d’entreprise, coworkers…
  • Les pratiques élaborées dans ces lieux peuvent se diffuser auprès des populations par des démarches « hors les murs » (ex : bibliothèques de rues, de squares…)
  • Soutenir la multiplication des ateliers participatifs, formations, susceptibles de participer à une montée en compétence des habitants en dehors des espaces formels d’apprentissage, dans une logique de renouvellement de l’éducation populaire à l’heure numérique, s’appuyant le cas échéant sur des dispositifs d’enseignement collaboratif à distance.
  • Favoriser la mise en réseau des innovations sociales d’un territoire, en encourageant leur réutilisation (recettes libres) et le remix (biblioremix, museormix, copy party…)
  • Participer à la diffusion d’une culture des communs et des droits d’usages élargis dans le cadre de la politique d’éducation populaire de la formation du personnel municipal et de l’accompagnement des associations.
Exemples :

14. Développer l’habitat participatif et groupé

Contexte :

Aujourd’hui, les municipalités et les aménageurs cèdent le foncier à des promoteurs pour produire des copropriétés et des lotissements de maisons individuelles et à des bailleurs sociaux pour créer des logements sociaux. Ces 2 types d’habitat peinent à créer du lien social et produisent un urbanisme qui tend à s’uniformiser et des villes qui s’étendent sur des terres agricoles en accentuant la consommation énergétique.

Proposition :

Réserver une partie du foncier constructible à l’habitat participatif, tiers secteur de production du logement. Intermédiaire en termes de prix, générateur de liens sociaux, l’habitat participatif permet également une forte amélioration de la qualité architecturale grâce à la conception réfléchie entre les habitants et les professionnels, qui s’appuie sur l’intelligence collective.

Exemples :
  • En Europe du nord : Oslo (40% d’habitat participatif), de nombreuses villes allemandes dont Fribourg et Tübingen (100% de la construction neuve en habitat participatif). ;
  • En France : Strasbourg, Montpellier, Bordeaux, Montreuil Sous-bois, Lille…

15. Permaculture et circuits courts : nourrir les villes autrement

Contexte :

L’extension des villes et du réseau routier grignote régulièrement les espaces cultivables, tout en accentuant le réchauffement climatique. L’alimentation est de plus en plus déconnectée des usages de la nature, des saisons et des particularités locales. Des méthodes culturales nouvelles permettent de favoriser la permaculture sur de petits espaces, tout en diminuant les intrants chimiques. Les circuits courts, qui construisent du lien direct entre les habitants et les producteurs sont plébiscités à chaque fois qu’ils sont mis en œuvre (AMAP, marchés paysans…).

Propositions :
  • Favoriser les circuits courts dans toutes les structures alimentaires dépendant des municipalités (cantines, restaurants administratifs…). Associer les usagers, notamment les parents d’élèves et les enfants, pour défendre un régime alimentaire qui ne soit pas dépendant des plats préparés et de la consommation de sodas sucrés dans les services municipaux.
  • Développer l’éducation populaire sur les questions de goût, d’équilibre alimentaire et de saisonnalité des produits.
Exemples :

Veytaux veut encourager ses habitants à jardiner

16. Soutenir les dispositifs participatifs dans la gestion des ressources naturelles

Contexte :

Actuellement la gestion des ressources naturelles se fait sans concertation avec les habitants. Pourtant, en particulier dans les communes rurales, ceux-ci possèdent une connaissance approfondie de leur territoire, de l’eau, des parcs naturels, des zones côtières, des forets, des pâturages et des terres agricoles. Cette absence d’investissement citoyen conduit à une perte de conscience de leurs responsabilités écologiques.

Par ailleurs, toutes les études environnementales sur la qualité de l’eau montrent la nécessité d’agir pour préserver la ressource en eau. La Directive cadre 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 s’inscrit dans une logique de résultats : stopper toute dégradation et atteindre le bon état des eaux et des milieux aquatiques d’ici 2015. Cette échéance pousse tous les acteurs de l’eau à réfléchir à des solutions alternatives afin de respecter cette norme

Propositions :
  • Instituer des instances constituées d’habitants d’un territoire qui délimitent l’accès à la ressource à la fois en termes d’espace (territoire) et de temps (saisons, périodes), définissent des règles et des sanctions et instaurent des mécanismes de résolution de conflits. Ces instances sont soutenues par des institutions publiques ou semi publiques et engagent des actions de remunicipalisation de l’eau avec investissement des citoyens.
  • Instaurer des communautés qui mutualisent leurs ressources financières pour reprendre la gestion des terres agricoles qui ne sont plus exploitées, avec l’aide des municipalités.
  • Action préventive par des mesures incitatives de mise en place d’une agriculture biologique sur les zones de captage d’eau.
  • Fonder auprès de chaque conseil municipal un observatoire de l’eau, composé de représentants des conseils de quartier, des Conseils syndicaux de copropriété pour favoriser les conditions de passage à la régie, soit sous forme de structure de l’économie sociale et solidaire (ESS) soit municipale. Cette régie, outre l’économie qu’elle permettrait de réaliser pour les consommateurs aurait un rôle d’éducation à la consommation et à l’écologie. Elle serait un interlocuteur pour renforcer la responsabilisation des propriétaires et des occupants.
  • Développer l’éducation populaire sur les économies en eau (Atelier Coopératif d’Education Populaire à une Autre Consommation et Production), et les bonnes pratiques en matière d’utilisation de l’eau.
Exemples :
  • La Ville de Lons-le-Saunier a aidé les agriculteurs locaux pour développer une agriculture raisonnée, au profit de démarches bio. Ceci a contribué à rétablir la qualité de l’eau et développé des filières bios dont le débouché est assuré par la cuisine centrale de Lons.
  • Afin d’obtenir une eau de qualité et réduire les processus coûteux de traitement, la ville de Munich (.pdf) a décidé d’agir en amont. Depuis 1991, elle encourage l’agriculture biologique sur les 2 250 hectares de terres agricoles situées à proximité des captages d’eau potable,
  • Le Programme Re-Sources : Initiatives pour préserver la qualité de l’eau en Poitou-Charentes tant superficielle que souterraine
  • L’IPHB dans le Haut Béarn, Terre de liens : Certaines collectivités on céder des terres agricoles / fermes / bâtis pour permettre l’installation de producteurs locaux. Il s’agit d’un travail entre région, municipalité et fondation qui vise à protéger des terres cultivables pour une durée “infinie”.



Bye bye Google Groups, bonjour Framalistes !

Framalistes

Après un premier billet pour se mettre en ordre de marche et un article d’au revoir à Gmail, Framasoft poursuit sa « chronique d’une migration annoncée ».

Or si la messagerie concernait avant tout notre popote interne, c’est toute notre communauté qui est impactée ici puisque ces listes constituent notre principal outil de travail pour coordonner nos nombreux projets (les Frama***).

Confier nos listes à Google, c’était déjà un problème en soi avant l’affaire Snowden (il fallait ainsi avoir un compte Gmail par exemple pour accéder aux archives) et ça l’est devenu plus encore après. Vous étiez quelques uns à nous le faire remarquer à juste titre, avec plus ou moins de bienveillance et d’impatience 😉

Nous venons donc de passer au moteur de listes Sympa. Voici nos nouvelles listes déjà en production (pour s’inscrire par exemple à Framalang c’est par ici). Cela donne plus de travail à nos serveurs et notre équipe technique mais nous nous sentons d’un coup plus légers, pour ne pas dire plus libres.

Rendez-vous le mois prochain pour de nouvelles aventures…

EDIT : notre Sympa ne servira que pour nos listes, au moins dans un premier temps.
Si par la suite nous constatons que notre infra tourne parfaitement bien et que nous avons quelqu’un qui se sent de gérer ça, nous réfléchirons à ouvrir la création de listes à plus de monde… mais clairement pas maintenant alors qu’on commence seulement le test en conditions réelles.




L’affaire Brandon Mayfield : une surveillance terrifiante

Dans l’œil du cyclone…

Au lendemain de « la journée de la riposte », nous vous proposons une édifiante histoire qui peut arriver à chacun d’entre nous.

Fabbio - CC by-sa

L’affaire Brandon Mayfield : une surveillance terrifiante

Face aux excès de la NSA, plus personne n’est à l’abri du biais de confirmation.

The terrifying surveillance case of Brandon Mayfield

Matthew Harwood – 8 février 2014 – America Aljazeera
(Traduction : bouzim, amha, Nemecle, Diab, Achille, Scailyna, z1tor, Robin Dupret, sinma, peupleLà + anonymes)

Fin janvier, dans un webchat en direct, Edward Snowden le lanceur d’alertes de la NSA, a exposé l’un des dangers les moins débattus à propos de la surveillance de masse. En balayant aveuglement les enregistrements de toutes les conversations téléphoniques et communications internationales des États-Uniens, le gouvernement a la possibilité d’initier une enquête rétroactive, autrement dit de rechercher dans les données passées des cibles n’importe quelle preuve d’activité suspecte, illégale ou seulement embarrassante. C’est une possibilité qui a de quoi déranger : même ceux qui sont persuadés d’être eux-mêmes des gens honnêtes devraient y réfléchir à deux fois avant de proclamer haut et fort : « Qu’ai-je à craindre puisque je n’ai rien à cacher ».

Mais il y a un autre danger que Snowden n’a pas mentionné, inhérent au fait que le gouvernement dispose facilement d’un accès aux énormes volumes de données que nous générons chaque jour : il peut insinuer la culpabilité là où il n’y en a pas. Quand des enquêteurs ont des montagnes de données sur une cible donnée, il est facile de ne retenir que les éléments qui confirment leurs théories — en particulier dans les enquêtes de contre-terrorisme où les enjeux sont si importants — tout en ignorant ou minimisant le reste. Nul besoin d’une quelconque malveillance de la part des enquêteurs ou des analystes, même s’il ne fait aucun doute que les préjugés sont de la partie : il s’agit seulement de preuves circonstancielles et de cette dangereuse croyance en leur intuition. Les chercheurs en sciences sociales nomment ce phénomène « biais de confirmation » : lorsque des personnes sont submergées de données, il est bien plus simple de tisser ces données dans une trame narrative qui confirme les croyances auxquelles elles adhèrent déjà. Le criminologue D. Kim Rossmo, un inspecteur de la police de Vancouver à la retraite, était tellement soucieux du biais de confirmation et des échecs qu’il entraîne dans les enquêtes qu’il a incité les officiers de police dans le Police Chief Magazine à toujours se montrer vigilants sur le sujet. « Les éléments du biais de confirmation », écrit-il, « comprennent le fait de ne pas chercher de preuves qui démantèleraient une théorie, de ne pas utiliser une telle preuve s’ils en trouvaient, de ne pas envisager d’hypothèses alternatives et de ne pas évaluer la recevabilité de la preuve ».

Pour nous faire une meilleure idée de ces dangers, examinons l’affaire Brandon Mayfield.

Une erreur d’identité

Le 11 mars 2004 à Madrid, des terroristes proches de la mouvance d’Al-Qaïda ont coordonné un attentat à la bombe sur plusieurs trains de banlieue durant l’heure de pointe matinale. 193 personnes furent tuées et environ 1 800 furent blessées. Deux empreintes digitales partielles découvertes sur un sac de détonateurs au cours de l’enquête par la Police Nationale Espagnole (PNE) furent partagées avec le FBI par le biais d’Interpol. Les deux empreintes furent entrées dans la base de données du FBI, qui retourna vingt concordances possibles pour l’une d’entre elles : sur ces vingt concordances, l’une appartenait à Brandon Mayfield. Ancien chef de peloton de l’armée américaine, Mayfield officiait alors à Portland, dans l’Oregon, comme avocat spécialisé dans les gardes d’enfants, les divorces et les lois sur l’immigration. Ses empreintes étaient répertoriées dans le système du FBI parce qu’il avait fait son service militaire mais aussi parce qu’il avait été arrêté sur un malentendu vingt ans auparavant. Les charges avaient ensuite été abandonnées.

Il se trouvait que l’empreinte de Mayfield ne concordait pas exactement avec l’empreinte laissée sur le sac de détonateurs. Malgré cela, les spécialistes des empreintes au FBI fournirent des justifications aux différences, selon un rapport du Bureau de l’inspecteur général du département de la Justice (OIG). D’après la règle de divergence unique, le laboratoire du FBI aurait dû conclure que Mayfield n’avait pas laissé les empreintes trouvées à Madrid — c’est la conclusion à laquelle était parvenu le PNE et qu’il avait communiquée au FBI à plusieurs reprises. Pourtant, le bureau local du FBI à Portland se servit de cette correspondance d’empreinte pour commencer à fouiller dans le passé de Mayfield. Certains détails de la vie de l’avocat ont convaincu les agents qu’ils tenaient leur homme. Mayfield s’était converti à l’Islam après avoir rencontré sa femme, une égyptienne. Il avait offert son aide juridique sur une affaire de garde d’enfant à l’un des « Portland Seven », un groupe d’hommes qui avait essayé d’aller en Afghanistan afin de combattre pour Al-Qaïda et les Talibans contre les États-Unis et leurs forces alliées. Il fréquentait aussi la même mosquée que les militants. À la suite des événements du 11 Septembre, ces innocentes associations et relations, quoique approximatives, étaient devenues pour les enquêteurs des preuves que Mayfield n’était pas un bon citoyen américain, mais un terroriste sanguinaire déterminé à détruire l’Occident.

Les détails biographiques de Mayfield, en particulier sa religion et l’image de terroriste qu’on lui prêtait, ont contribué à ce que les laboratoires du FBI se montrent réticents au réexamen de l’identification erronée. Selon l’OIG, « l’un des inspecteurs a clairement admis que si la personne identifiée n’avait pas eu ces caractéristiques, le laboratoire aurait pu revoir l’identification en se montrant plus sceptique et repérer l’erreur. »

Comme les agents du FBI n’avaient aucune preuve concrète que Mayfield était impliqué dans l’attentat à la bombe des trains de Madrid, ils décidèrent de ne pas faire une demande de mise sur écoute, qu’il faut justifier par un motif suffisant de croire à une activité ou intention criminelle. À la place, ils ont donc fait appel à un mandat FISA (NdT : Foreign Intelligence Surveillance Act, loi décrivant les procédures de surveillance sur des puissances étrangères) en affirmant qu’ils avaient des motifs suffisants de croire que Mayfield agissait pour le compte d’un groupe terroriste étranger. Ainsi, le FBI pouvait contourner le Quatrième Amendement : s’ils découvraient accidentellement au cours de leur activité de renseignement la preuve d’une activité criminelle; ils pourraient la partager avec les procureurs et les enquêteurs. La cour confidentielle de la FISA approuva la demande, comme elle le fait presque toujours, et c’est ainsi que le FBI a pu commencer la surveillance sous couverture de Mayfield et de sa famille, de manière clandestine et incroyablement intrusive.

Des théories inventées de toutes pièces

Des agents du FBI pénétrèrent par effraction dans la maison de Mayfield et dans son cabinet d’avocat. Ils fouillèrent dans des documents protégés par le secret professionnel entre un avocat et son client, ils mirent sur écoute ses téléphones, ils analysèrent sa comptabilité et son historique de navigation Internet, ils fouillèrent même ses poubelles. Ils le suivirent dans tous ses déplacements. Malgré tout cela, le FBI ne trouva pas le moindre indice qui puisse le relier aux événements de Madrid. Ils trouvèrent cependant, des recherches Internet sur des vols vers l’Espagne et découvrirent qu’il avait pris une fois des leçons de pilotage d’avion. Pour ces agents du FBI, d’ores et déjà convaincus de sa culpabilité, tout cela était la preuve que Mayfield était un terroriste en puissance. Ses recherches sur le web étaient cependant tout à fait banales : sa fille devait organiser des vacances fictives pour un projet scolaire. Quant aux leçons de vol, elles témoignaient de l’intérêt de Mayfield pour le vol en avion, et rien de plus.

Il peut sembler qu’il y a là un nombre bizarre de coïncidences. Mais quand on présenta les preuves qui démontraient l’innocence de Mayfield au FBI, le Bureau les déforma pour pouvoir soutenir la thèse première qui faisait de lui un coupable. Le passeport de Mayfield avait expiré, et le dernier enregistrement d’un passage de frontières remontait à son service militaire en 1994. En l’absence de preuves d’un voyage à l’étranger depuis des années, le FBI a tout simplement élaboré une théorie selon laquelle il avait forcément voyagé sous une fausse identité dans le cadre de ce complot terroriste .

Du fait des erreurs commises par le FBI — ils avaient laissé des empreintes de chaussures sur le tapis de la maison de Mayfield et fait irruption un jour où son fils était seul à la maison —, Mayfield en conclut qu’il était sous la surveillance des autorités fédérales. La paranoïa s’installa. Quand il était au volant, il vérifiait s’il n’était pas suivi par une voiture jusqu’à son domicile ou jusqu’à son bureau. Le FBI interpréta sa nervosité comme une preuve supplémentaire de culpabilité. Pensant que leur couverture avait sauté, les agents du FBI placèrent Mayfield en détention comme témoin matériel dans l’attentat de Madrid, au motif qu’ils craignaient un risque de fuite. Ils ne pouvaient pas l’arrêter car malgré leur surveillance intrusive ils n’avaient toujours aucune preuve tangible d’aucun crime. Il passa deux semaines en prison, terrifié à l’idée que ses codétenus apprennent qu’il était impliqué d’une manière ou d’une autre dans les attentats de Madrid et qu’ils ne l’agressent.

Lorsque l’OIG examina comment l’affaire Mayfield avait été traitée, il établit que les demandes déposées par le FBI pour auditionner des témoins matériels et pour obtenir des mandats de perquisitions « contenaient plusieurs inexactitudes qui reflétaient un manque regrettable d’attention aux détails ». Malgré toutes les preuves contraires, le FBI était tellement convaincu de tenir son homme qu’il fournit de fausses déclarations sous serment devant un juge. La seule raison pour laquelle Mayfield est un homme libre aujourd’hui, c’est que la police espagnole a répété à plusieurs reprises au FBI que l’empreinte récupérée sur le sac de détonateurs ne correspondait pas à celles de Mayfield. Pourtant, le FBI s’en est tenu obstinément aux résultats de ses laboratoires jusqu’à ce que les autorités espagnoles identifient de manière concluante les empreintes du vrai coupable, Ouhane Daoud, de nationalité algérienne. Ce n’est qu’alors que le voyage traumatisant de Mayfield dans les entrailles de la sécurité nationale prit fin.

Un récit édifiant

L’épreuve qu’a vécue Mayfield est un récit édifiant de ce qui peut arriver lorsqu’un gouvernement s’acharne sur ses suspects et refuse de desserrer son étau. Heureusement, dans le cas de Mayfield, le gouvernement a fini par le relâcher mais non sans que la procédure ait chamboulé son existence.

Près d’une décennie plus tard, les capacités du gouvernement en matière de surveillance confidentielle n’ont fait que croître, grâce aux médias sociaux, téléphones connectés et autres technologies. La collecte massive de données personnelles des États-Uniens augmente le risque que des faux positifs — des Mayfield innocents tombant sous l’examen approfondi du gouvernement – se produisent . Et quand ce faux positif est un musulman américain ou un anarchiste ou un féroce activiste écologiste, les agents du gouvernement et les analystes auront-ils la capacité de mettre de côté leurs préjugés et leur nervosité afin de soupeser chaque information, particulièrement les preuves contradictoires, avant de condamner ces quelques malheureux à des charges bidons et à la vindicte publique ?

Le biais de confirmation devrait nous rendre sceptiques quant à cette possibilité.

Crédit photo : Fabbio (Creative Commons By-Sa)