Sortie du livre La renaissance des communs de David Bollier

Classé dans : Communs culturels | 11

Temps de lecture 8 min

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Les biens communs, parfois appelés les communs tout court, constituent une originale et salutaire grille de lecture d’un monde en pleine mutation économique, sociale, politique et écologique.

À la fois exemple emblématique et modèle à suivre, les logiciels libres en font tout naturellement partie.

C’est pourquoi la sortie de la traduction française du livre «  La renaissance des communs – Pour une société de coopération et de partage  » de David Bollier est une excellente nouvelle (tout comme le choix de la licence libre CC By-SA). On peut se le procurer pour 19 euros aux éditions Charles Léopold Mayer.

Nous vous en proposons ci-dessous la préface d’Hervé Le Crosnier.

La renaissance des communs - David Bollier

Préface d’Hervé Le Crosnier

La lecture du livre que vous avez entre les mains provoque un profond sentiment de joie, on y sent quelque chose qui pétille et qui rend l’espoir. Avec son style fluide (et excellemment traduit), David Bollier nous emmène dans un voyage du côté lumineux des relations humaines. Non que les dangers, les enclosures, les menaces sur les perspectives mondiales soient absents. Il s’agit bien d’une critique de la société néolibérale, de la transformation du monde sous l’égide d’un marché juge et arbitre des équilibres, et d’une critique de la façon dont les Etats baissent les bras devant les forces des monopoles privés. Mais cette critique se fait à partir des perspectives, des mouvements qui inventent ici et maintenant les utopies capables d’ouvrir les fenêtres et de faire entrer le vent joyeux d’une histoire à venir. La richesse des communs s’appuie sur leur longue histoire, rendue invisible par la suprématie du modèle économique individualiste. Mais c’est au futur que les communs peuvent offrir une architecture collective pour résister aux crises, économiques, sociales, politiques et écologiques, que nous connaissons.

Nous avions besoin d’un tel livre, à la fois accessible et pénétrant. Vous y reconnaîtrez les mouvements qui animent la planète internet comme la persistance des pratiques sociales collectives qui remontent du fond des âges. Vous y découvrirez un bouillonnement d’activités qui ont toutes pour point central l’investissement personnel des acteurs et la volonté de construire ensemble, de faire en commun. Les communs sont avant tout une forme d’organisation sociale, une manière de décider collectivement des règles qui permettent d’avoir une vie plus juste, plus équilibrée. Un buen vivir comme disent les latino-américains, c’est-à-dire l’exact opposé de la tendance à transformer tout en marchandise et à réduire l’activité des humains à l’expression de leurs intérêts personnels immédiats. L’homo economicus qui hante les réflexions politiques et économiques depuis John Locke et Adam Smith se trouve réduit à son squelette  : une fiction qui sert à justifier la domination d’un marché qui pense pouvoir couvrir tous les champs de l’activité humaine et qui fabrique la soumission des pouvoirs publics à son ordre et son idéologie. Au travers des multiples exemples de construction de communs qui servent de support au raisonnement de David Bollier se dessine au contraire une conception des individus autrement plus complexe, et vraisemblablement plus conforme à la réalité. Si l’intérêt personnel est bien, et ce serait absurde de le nier, un des moteurs de l’action, ils est loin d’en constituer l’alpha et l’oméga. À côté, contre, en dehors et en face, les humains savent montrer des appétences à la sociabilité, au partage, à l’altruisme, à la coopération. L’homme est certainement sociabilis avant d’être economicus.

L’étude des communs, au travers de tous les exemples concrets présentés dans ce livre, nous montre qu’il y a des comportements collectifs, des normes sociales qui dépassent la seule addition des comportements individuels sur laquelle se base l’économie néo-classique. Quand Margaret Thatcher déclare «  There’s no such thing as society  », une phrase qui va servir de leitmotiv à toute la période néolibérale qui s’ouvrait alors, elle nie les évidences issues des pratiques quotidiennes pour les remplacer par une fiction. Les comportements des individus dans les situations les plus difficiles, la construction de ce que David Bollier appelle «  les communs de subsistance  » nous montre au contraire que la logique du «  faire ensemble  », la question de l’équité du partage, et la volonté de s’en sortir collectivement sont au contraire les ressorts des populations les plus démunies ou confrontées à des situations de crise.

Car contrairement aux mythes néo-classiques, les gens se parlent, s’organisent, font émerger des règles et se donnent les moyens de les faire respecter. Les communs ne sont ni des phalanstères, isolés et protégés du monde extérieur, ni des espaces sans droit, où chacun pourrait puiser à sa guise. La fable d’un commun abstrait qui serait ouvert à tous, sert de cadre aux réflexions de Garett Hardin sur la «  tragédie des communs  », mais ne ressemble nullement aux espaces dans lesquels vivent réellement les humains. On trouve certes des communs trop larges pour qu’on puisse en assurer aisément le contrôle. Ceux-ci apparaissent ouverts et sont vite dégradés par l’avidité marchande  : épuisement des ressources, pollution, mépris des populations… Loin de constituer un domaine public, ces communs universels sont investis rapidement par les plus fortunés, les plus actifs, les plus influents, ne laissant que des miettes aux populations. Une situation qui conduit inéluctablement à une mainmise monopolistique et à la destruction des équilibres naturels.

Le mouvement des communs s’est souvent appuyé sur des actions locales, sur des analyses ponctuelles, sur des collectifs de taille maîtrisable. Ce n’est que récemment, suite à l’expérience de la constitution et du maintien de l’internet par une vaste population mondialement répartie, que nous considérons des ressources globales comme des communs universels. C’est au travers de l’étude de ces communs universels que David Bollier avance une proposition innovante de relation entre les communautés concernées et les structures étatiques. On connaît bien les porosités qui existent entre le marché et les communs, par exemple en regardant les logiciels libres, internet ou la production coopérative. La relation entre les communautés qui protègent, partagent et maintiennent des ressources et les États est plus complexe. Ceux-ci, depuis les révolutions du XVIIIe siècle se considèrent investis, par l’élection démocratique, de ces mêmes missions, et s’imaginent «  propriétaires  » du domaine public. David Bollier avance l’idée d’un autre type de contrat, une «  garantie publique  », qui rend les États (et les autres structures publiques, locales ou supranationales) garants des communs considérés et non décideurs. Il s’agit d’assurer aux citoyens investis que la décision définitive sera bien dans les mains de tous. L’autorisation d’exploiter, et souvent de sur-exploiter, ces communs universels ne pourra plus être donnée aux corporations et aux industries dominantes sans que les populations n’y soient associées. Cette proposition d’une relation complexe qui viendrait changer les modes de gestion de l’économie par les États apparaît comme une manière de contrer la montée de l’extractivisme, la destruction des environnements ou la mainmise sur le vivant et la biomasse. Elle renforce par ailleurs la pratique démocratique en accompagnant la délégation par l’action collective. Il s’agit d’articuler l’expérience acquise dans la gestion de communs locaux avec le besoin d’une gouvernance mondiale renouvelée pour faire face aux enjeux de notre siècle. Nourrir bientôt neuf milliards d’humains, s’adapter au changement climatique, répartir les richesses à l’échelle de la planète, et fondamentalement éviter que les logiques d’inégalités qui sont aujourd’hui dominantes ne nous conduisent à des explosions guerrières ou des conflits économiques dont les populations feront les frais, rend nécessaire cette activité en commun.

Les communs, de l’échelle locale à l’échelle globale, sont la source d’une nouvelle conception de la richesse, qui ne se mesure plus en PIB ou en obligations boursières, mais s’évalue en fonction de la capacité des humains à vivre ensemble. Nous y apprenons à partager ce qui est disponible, et à inventer les formes sociales, les règles, les critères qui favorisent l’investissement de chacun dans l’intérêt de tous. C’est cette joie des communs qui transparaît tout au long de l’ouvrage de David Bollier. Il ne s’agit jamais de solutions clés en main, de rêves d’une humanité parfaite, mais bien de la nécessité de faire avec les humains imparfaits que nous sommes pour construire des sociétés inclusives, égalitaires. Comment partager les fruits de la nature et de la connaissance, protéger les ressources rares et travailler à étendre sans cesse les ressources inépuisables de la connaissance et de la culture grâce à de nouvelles formes d’organisation de la vie collective  ? David Bollier, au long de ce livre ne cesse d’appuyer cette force humaniste sur des exemples concrets émanant de communautés engagées dans la construction et la défense de communs. C’est la force «  d’utopie pragmatique  » des communs qui s’exprime au long de ces pages. Sachons nous en emparer pour renouveler notre imaginaire politique.

Hervé Le Crosnier est enseignant-chercheur à l’Université de Caen. Sa recherche porte sur les relations entre Internet, et plus généralement le numérique et la société. Il travaille également sur la théorie des biens communs, et sur la communication scientifique. Il est membre de l’association Vecam.

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11 Responses

  1. degobiol

    Relis ton introduction calmement, tu devrais y trouver deux petites coquilles.
    Sinon, c’est une bonne nouvelle que la sortie de ce livre.

  2. tizef

    @degobiol : oui, « un monde en plein[e] mutation », la deuxième par contre… absence de capitales à « logiciels libres » ? Sinon « la préface ci-dessous d’Hervé Le Crosnier » est peut-être moins sexy que « ci-dessous la préface d’Hervé Le Crosnier », ok.

  3. Laurent Fournier

    Je ne trouve pas le lien vers le PDF (gratuit, sans DRM) !
    Est ce que la gouvernance de ce « bien commun informationnel » imposerait une lecture seulement sur papier ?

  4. CommentOnLit

    @Laurent_Fournier

    « C’est pourquoi la sortie de la traduction française du livre « La renaissance des communs – Pour une société de coopération et de partage » de David Bollier est une excellente nouvelle (tout comme le choix de la licence libre CC By-SA). On peut se le procurer pour 19 euros aux éditions Charles Léopold Mayer. »

    Au bout d’une lecture plus attentive poursuivie de clics judicieux se trouve le bien commun trésor. Je vous souhaite une bonne recherche. 😉

  5. Hannibal Lecteur

    En parallèle, on peut aussi prendre conscience des excès et des abus du modèle basé sur la prédation des richesses, qui porte atteinte au bonheur, au bien être et/ou à la survie de la majorité des habitants de cette planète, en complétant par d’autres articles qui insistent sur l’absurdité du modèle actuel dans sa totalité, comme :

    http://www2.ucsc.edu/whorulesameric

  6. aKa

    @Laurent Fournier : Le téléchargement numérique sera disponible 6 mois après la publication du livre :
    http://www.eclm.fr/Achetez-nos-livr

    On peut déplorer ce choix mais il ne contrevient pas à la licence (peut-être à son esprit ?). Toujours est-il que tu peux numériser toi-même le livre et le mettre à disposition sur le Net 😉

  7. CommentOnLit

    @Laurent Fournier , la question de l’accès à la copie numérique de l’ouvrage traduit, était tout à fait pertinente, c’est moi qui avait mal interprété la question, je m’ascuze 🙂 Je pensais à l’accès concernant l’ouvrage original, auquel on accède assez facilement en quelques clics. Du coup, la précision d’aKa est intéressante, car l’accès à la traduction pourrait intéresser plus d’un. Merci pour ce billet !

  8. Laurent Fournier

    N’est ce pas la plus grande « enclosure » de ne proposer l’accès au fichier numérique que 6 mois après ? Si c’est un ouvrage de recherche ou à support éducatif, les auteurs sont déjà rémunérés et donc vous devriez dénoncer qu’ils veuillent toucher un revenu d’un bien informationnel. Enfin, les chercheurs préfèrent travailler sur la version numérique (recherche, lien,..). Cela ne vous gène pas que l’État finance doublement des éditeurs scientifiques (subvention à l’édition papier, achat des ouvrages papiers par les labos), alors que ces livres physiques encombrent inutilement les armoires universitaires et surtout en retardant ou en refusant l’accès au fichier PDF. L’État finance donc une régression ! Les chercheurs peuvent attendre 6 mois, bien voyons !
    Avant de fustiger l’industrie culturelle (qui le mérite sur bien des aspects), et de demander la légalisation du partage non marchand, ne faudrait-il pas que vous vous appliquiez à vous même les beaux principes que vous décrivez ?
    Merci de m’envoyer le PDF afin que je regarde s’il y a quelque chose à ajouter sur la page « biens communs informationnels » de Wikipedia, qui reste, lui, un vrai bien commun !

  9. CA

    Il y a un riche courant de réflexions qui semble en train de se développer en effet.
    Les concrétisations sont peut-être plus difficiles sur les enjeux matériels, mais il semble y avoir des initiatives (Cf. http://yannickrumpala.wordpress.com… ).

  10. commoneur

    Pas de biens communs sans #commoneurs , ceux qui en font usage au quotidien et s’organisent pour leur maintien et leur protection … Ca me fait penser aux peuples indigènes d’amérique du sud (les Yanomami par exemple), qui vivent dans (et de) la forêt amazonienne, et luttent contre les multinationales (EDF, etc) pour préserver la forêt qui leur sert de maison.

    Ou les « commoners » qui s’organisent pour la sauvegarde des semances paysannes (en Inde, et ailleurs). Vandana Shiva parle elle de « démocratie des biens communs ».