Mobilizon Fédéré : un pas de plus vers la dé-facebookisation de nos événements
Le développement de notre future alternative aux événements Facebook vient de franchir une nouvelle étape : la possibilité de fédérer différentes installations de Mobilizon.
En quoi est-ce important ? Pourquoi est-ce un élément-clé ? Comment cela peut faire de Mobilizon un outil fondamentalement émancipateur ? Nous allons essayer de vous expliquer tout cela ci-dessous.
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
Si vous ne connaissez pas (encore) notre projet Mobilizon…
Mobilizon est né de notre envie d’offrir une alternative aux événements Facebook pour les Marches pour le Climat et autres rassemblements citoyens. Une fois développé (d’ici l’été 2020 si tout va bien !), Mobilizon sera un logiciel que des groupes, structures ou collectifs pourront installer sur leur serveur, pour créer leur propre plateforme d’événements sous forme de site web. Qui peut le plus peut le moins : si Mobilizon est conçu pour pourvoir y organiser une grande marche pacifiste, il sera facile d’y gérer l’anniversaire du petit dernier 😉 !
Nous avons travaillé avec des designers afin d’avoir une vision forte pour le logiciel. Interroger des citoyen·nes engagé·es à divers niveaux de la société civile nous a permis de mieux concevoir Mobilizon. Il ne doit pas seulement servir d’alternative aux événements Facebook, mais aussi aux groupes Facebook (pour se rassembler, communiquer ensemble, s’organiser) ainsi qu’aux pages Facebook (pour publier une présentation, même sommaire, de son collectif, son lieu, son association… et des événements organisés).
Nous avons aussi compris que Mobilizon devait s’éloigner des fonctionnalités sociales à la Facebook, celles qui exploitent notre ego et fondent les mécanismes de l’économie de l’attention. Dans Mobilizon tel que nous l’avons conçu, vous ne trouverez pas de likes, d’incitation à se mettre en scène sur son mur pour y créer le narratif de sa vie, ni de caisse de résonance de ces dialogues frustrants où tout le monde crie et personne ne s’écoute.
En juin 2019, nous vous présentions ce projet, en vous demandant de le financer si vous souhaitiez que nous le développions. Avec plus de 58 000 € récoltés, on peut dire que vous partagiez notre envie que Mobilizon voie le jour ! En Octobre 2019, nous avons publié une première version bêta, très sommaire, avec les fonctionnalités basiques. L’objectif est de vous montrer, en toute transparence, l’évolution du développement de Mobilizon, que vous pouvez tester au fur et à mesure de ses mises à jour sur test.mobilizon.org.
Une nouvelle étape franchie : Mobilizon est désormais fédéré !
La fédération est l’un des aspects les plus importants du logiciel Mobilizon. C’est déjà bien que l’université X puisse installer Mobilizon sur ses serveurs, et créer son instance de Mobilizon (appelons-la « MobilizTaFac.fr »). Mais si Camille a créé son compte sur SyndicMobilize.org, l’instance de son syndicat, comment peut-elle s’inscrire à l’événement « Marche contre la précarité étudiante » qui a été publié sur MobilizTaFac.fr ?
Intégrer le protocole ActivityPub au logiciel Mobilizon permet à chaque installation de chaque instance du logiciel Mobilizon de pouvoir parler et échanger avec d’autres. Ainsi, dans notre exemple, MobilizTaFac.fr et SyndicMobilize.org peuvent choisir de se fédérer, c’est-à-dire de synchroniser leurs informations et d’interagir ensemble.
Plutôt que de créer une plateforme géante avec une porte d’entrée unique (facebook.com, meetup.com, etc.), on crée une diversité de portes d’entrées qui peuvent se relier entre elles, tout en gardant chacune sa spécificité. Depuis la mise à jour « bêta 2 », Mobilizon permet de fédérer les événements, les commentaires, les participations. Bien entendu, dans les développements des prochains mois, les fonctionnalités appropriées seront, elles aussi, fédérées.
Vous pouvez d’ores et déjà voir les effets de cette fédération sur notre instance de démonstration test.mobilizon.org. Notez que les événements qui y sont créés sont de faux événements (qui servent de tests), donc si vous bidouillez une instance Mobilizon sur votre serveur, mieux vaut ne pas se fédérer avec cette instance de démonstration !
Les autres nouveautés de ces deux derniers mois
Ces deux derniers mois de développement ont principalement été consacrés à l’aspect fédération de Mobilizon. Cependant, d’autres améliorations ont aussi été apportées au logiciel.
Une des plus visibles, c’est l’ajout de commentaires en dessous des événements. L’outil est pour l’instant sommaire : on peut commenter un événement, et répondre à un commentaire. Il n’est pas prévu d’en faire un outil social (avec likes, etc.), simplement un outil… pratique.
De nombreuses sources d’adresses (pour géolocaliser l’adresse que l’on tape lorsqu’on renseigne le lieu de l’événement) ont aussi été ajoutées à Mobilizon. Nous réfléchissons actuellement à trouver comment améliorer ce point sans surcharger les projets libres compagnons tels que OpenStreetMap. En effet, nous nous appuyons encore sur le serveur Nominatim d’OSM, en attendant la livraison de notre propre serveur !
De nombreux bugs ont été corrigés depuis la publication de la bêta d’octobre. Ces corrections, associés à de nombreuses améliorations pratiques et esthétiques, nous les devons en partie à vos retours et à vos contributions sur notre forum : merci à vous ! Si vous avez la moindre remarque sur Mobilizon, si vous repérez quelque chose sur test.mobilizon.org, n’hésitez pas à créer un sujet sur notre forum, qui est le seul endroit où nous lisons tous vos retours.
La route est longue, mais la voie est toute tracée
Que l’on soit bien d’accord : Mobilizon n’est pas (encore) prêt à accueillir vos groupes et vos événements. Nous voyons d’ores et déjà des pionnier·es qui bidouillent une installation sur leurs serveurs (bravo et merci à vous), c’est cool, vraiment… Mais tant que nous n’avons pas publié la version 1, veuillez considérer que le logiciel n’est pas prêt.
De même, il ne sert à rien de nous suggérer de nouvelles fonctionnalités, nous ne pourrons rien ajouter à ce qui a été prévu lors de la collecte de juin dernier. Nous aimerions bien, mais nous n’avons tout simplement pas les moyens humains de répondre à toutes les attentes. Notre petite association porte de nombreux projets, et nous devons accepter nos limites pour les maintenir sereinement.
Pour les prochains mois, le chemin est tout tracé :
Traiter vos retours de cette version bêta et se reposer un peu d’ici la fin de l’année 😉
Travailler sur les pages et les groupes (avec messagerie, modération, outils d’organisation) au premier trimestre 2020 ;
Avoir du temps pour les correctifs, les éventuels retards et les finitions qui stabilisent et documentent le logiciel, pour sa sortie prévue avant l’été 2020.
Framasoft reste Mobilizée, rendez-vous cet été !
L’ajout des fonctionnalités de fédération à Mobilizon est une étape clé. Nous continuerons de vous tenir informé·es de telles avancées sur ce blog, et de les démontrer sur le site test.mobilizon.org.
En attendant, nous espérons que ce nouveau point d’étape vous enthousiasme autant que nous sur l’avenir de Mobilizon, n’hésitez pas à nous faire vos retours sur notre forum et rendez-vous en Juin 2020… pour se Mobilizer ensemble !
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.
La partie précédente s’achevait sur ces questions :
Pour éliminer la précarité croissante qui attend les travailleurs du monde, y a-t-il une solution à ce casse-tête ? Pouvons-nous restaurer la boucle de rétroaction qui a été rompue ?
6. Les préfigurations d’un nouveau modèle social
Étrangement, la réponse peut se trouver dans le récent mouvement politique Occupy, car au-delà de la mise en place de production de communs politiques par les pairs, ses militants ont aussi montré l’exemple par la pratique de nouvelles entreprises et de nouvelles valeurs. Ces pratiques étaient effectivement incroyablement similaires à l’écologie institutionnelle qui est aujourd’hui pratiquée dans les communautés qui produisent des logiciels libres et du matériel open source. Ce n’est pas une coïncidence.
Revenons sur le fonctionnement d’Occupy Wall Street à Zuccoti Park, lorsque le mouvement était toujours opérationnel à l’automne 2011. Un public créatif y jouait un rôle central, en cherchant le consensus par l’intermédiaire de l’assemblée générale et en offrant toutes sortes de modèles (contrôle des micros, camps de protestation, groupes de travail, etc.) qui, dans un esprit véritablement open source, pouvaient non seulement être copiés et mis en œuvre par des communautés similaires dans le monde entier, mais également modifiés pour répondre aux besoins locaux (le fork, ou ramification, dans le jargon open source). Si vous ne contribuiez pas, vous n’aviez pas votre mot à dire, de sorte que la participation était et demeure nécessaire.
Cette communauté avait toutes sortes de besoins, tels que nourriture, hébergement, soins de santé. S’est-elle simplement appuyée sur l’économie de marché pour les combler ? Non, mais parfois oui, quoique d’une manière spécifique. Permettez-moi de développer.
Occupy Wall Street a mis sur pied des groupes de travail diversifiés pour trouver des solutions à ses besoins physiques. En d’autres termes, on considérait l’économie comme un système d’approvisionnement, tel que décrit dans le formidable livre de Marvin Brown Civilizing the Economy, et ce sont les citoyens, organisés en groupes de travail, qui ont décidé quel système d’approvisionnement serait le plus adapté à leurs valeurs éthiques.
Par exemple, des producteurs biologiques du Vermont ont offert aux militants de la nourriture gratuite, préparée par des cuisiniers volontaires, mais cela a eu des effets négatifs. Les vendeurs ambulants locaux, généralement des immigrants pauvres, ne s’en sortaient pas très bien. Comme tout le monde recevait de la nourriture gratuite, ils ne pouvaient plus vendre leurs produits aisément. La réponse à ce problème a consisté à faire en sorte que les militants s’occupent des vendeurs. Ils ont créé un projet consacré aux vendeurs ambulants afin de lever des fonds destinés à leur acheter de la nourriture.
Bingo, d’un seul coup, Occupy Wall Street a créé une économie éthique performante, qui était à la fois une dynamique de marché, mais qui fonctionnait aussi en harmonie avec le système de valeurs des occupants. Ce qui est crucial ici c’est que ce sont les citoyens qui ont décidé du système d’approvisionnement le plus approprié et pas les détenteurs de la propriété et de l’argent dans une économie qui a fait sécession des valeurs éthiques.
Que peut-on apprendre du tout nouveau modèle Occupy si on le généralise à la société toute entière ?
Aujourd’hui, nous supposons que la valeur est créée dans la sphère privée, par des entreprises à but lucratif, et nous admettons que la société civile est juste la catégorie qui reste. C’est ce qu’il se passe lorsque nous rentrons chez nous, épuisés après notre travail salarié. Cela se manifeste dans nos choix linguistiques, quand nous qualifions des organisations de la société civile comme à but non-lucratif ou non-gouvernementales.
Le système dans son ensemble est géré par un État dans lequel l’État providence social-démocrate est devenu de plus en plus un État providence néolibéral où les gains sont privatisés et les pertes sont socialisées. En d’autres termes, l’État lui-même est devenu une extension des entreprises et est, de manière croissante, de moins en moins au service des citoyens. Nous pouvons voir l’évolution de ce modèle dans la manière dont la troïka impose désormais la politique de la terre brûlée au cœur même de l’Europe, comme en Grèce, et non plus seulement dans des pays moins développés.
Occupy et les modèles open source nous montrent qu’une nouvelle réalité est possible, un modèle où la sphère civile démocratique, les biens communs productifs et un marché dynamique peuvent coexister pour engendrer un bénéfice mutuel :
1/ Au cœur de la création de valeurs se trouvent des communs variés, dans lesquels les innovations sont déposées pour que toute l’humanité puisse les partager et en tirer parti
2/ Ces communs sont établis et protégés grâce à des associations civiques à but non-lucratif, avec comme équivalent national l’État partenaire, qui habilite et permet la production sociale
3/ Autour de ces communs émerge une économie dynamique centrée sur les communs, et menée par différentes catégories d’entreprises éthiques, liées par leurs structures légales aux valeurs et aux buts de ces communautés, et non pas à des actionnaires absents et privés qui tentent de maximiser le profit à tout prix.
À l’intersection de ces trois cercles se trouvent les citoyens qui décident de la forme optimale de leur système d’approvisionnement.
Ce modèle peut exister en tant que sous-modèle au sein du capitalisme, et c’est déjà partiellement le cas dans le système actuel, avec les logiciels open source en tant qu’écologie d’entreprise. Il pourrait aussi devenir, avec quelques ajustements nécessaires, la logique même d’une nouvelle civilisation. Le mouvement Occupy ne nous a pas seulement montré une politique préfiguratrice, mais aussi et surtout une économie préfiguratrice.
Une autre question est, bien sûr, de savoir comment y parvenir. Une partie de la réponse est que cela va demander non seulement des mouvements sociaux puissants qui prônent une réforme et une transformation sociales, mais aussi une transformation et une maturation certaines du modèle de production par les pairs lui-même.
Aujourd’hui, c’est un pré-mode de production qui est entièrement interdépendant du système du capital. Il n’y aurait pas de reproduction sociale des travailleurs impliqués si ce n’est pour les infrastructures publiques générales fournies par l’État, mais plus particulièrement au travers du revenu produit par le fait de travailler pour une entreprise capitaliste.
Existe-t-il une possibilité de créer un modèle vraiment autonome de production par les pairs, qui pourrait créer son propre cycle de reproduction ? Pour ce faire, nous proposons deux « ajustements ».
Le premier consiste à utiliser un nouveau type de licence, la licence de production par les pairs, proposée par Dmytri Kleiner. Cette licence de partage propose que tous ceux qui contribuent à un commun puissent aussi utiliser ce commun. Le second ajustement consiste à créer des moyens entrepreneuriaux indépendants qui ne sont pas destinés à des entreprises à but lucratif, mais à des entreprises éthiques, dont les membres sont acteurs et dont la mission est d’aider les communs et leurs contributeur⋅ices.
À l’instar de Neal Stephenson dans son roman L’Âge de diamant, et de la pratique pionnière du réseau coopératif Las Indias, nous proposons de les appeler « phyles » (voir la page Wikipédia de phyles en anglais). Les phyles sont des entités axées sur la mission, les objectifs, le soutien à la communauté, qui opèrent sur le marché, à l’échelle mondiale, mais travaillent pour le bien commun.
De cette manière, la reproduction sociale des citoyens ordinaires ne dépendrait plus du cycle d’accumulation du capital, mais de son propre cycle de création de valeur et de réalisation. Combinées aux mouvements sociaux et à la représentation politique, nous pensons que ces trois composantes constitueraient la base d’une nouvelle hégémonie sociale et politique, qui constituerait la force sociale de base et mènerait à la transformation sociale dans le sens d’un approfondissement et d’un élargissement des modèles de production par les pairs, de la micro-économie à la macro-économie.
7. Vers une civilisation basée sur des économies de gamme plutôt que d’échelle
Suite à la division internationale du travail imposée par la mondialisation, l’objectif de la concurrence est de pouvoir produire plus d’unités, de manière à faire baisser le prix unitaire et à surpasser la concurrence. Les sociétés multinationales et les marques mondiales ont maintenant des chaînes de valeur très complexes, dans lesquelles différentes parties d’un produit sont fabriquées en série dans différentes parties du monde.
Néanmoins, le système présente des faiblesses évidentes. L’une d’elles est de conduire à des monocultures, non seulement agricoles mais aussi industrielles, telles que la dépendance de l’économie côtière chinoise aux exportations. Et ce dernier exemple met en évidence un deuxième problème connexe.
La concurrence pousse sans cesse les prix à la baisse, et donc, dans les années 1980, les principaux acteurs occidentaux ont changé de stratégie. Ils ont poussé les travailleurs occidentaux aux salaires coûteux vers la précarité en transférant la production industrielle moins rentable dans des pays à bas salaires, tout en élargissant le régime de propriété intellectuelle afin d’extraire des revenus et des superprofits via des brevets, des droits d’auteur et des marques.
Comme le relève Thijs Markus à propos de Nike dans le blog de Rick Falkvinge, si vous voulez vendre 150 $ en Occident des chaussures qui reviennent à 5 $, il vaut mieux disposer d’un régime de propriété intellectuelle ultra répressif. D’où la nécessité des SOPA, PIPA, ACTA et autres tentatives pour criminaliser le droit de partage.
Mais il existe bien sûr un problème plus fondamental : tout le système de mondialisation des économies d’échelle repose essentiellement sur des transports mondiaux peu coûteux et donc sur la disponibilité permanente de combustibles fossiles surabondants. Après le pic pétrolier, et donc la fin du pétrole bon marché, et avec la demande toujours croissante des économies émergentes des pays du BRIC, il est plus que probable que le système complet s’effondrera. Pas en une journée, bien sûr, mais progressivement, même si on peut aussi s’attendre à des chutes brutales.
L’équilibre ponctué n’est en effet pas seulement une caractéristique des systèmes biologiques, mais aussi des systèmes sociaux ! Cela signifie que la concurrence sur la base des économies d’échelle, même si elle est encore efficace aujourd’hui, perd en fin de compte de sa pertinence et, finalement, ne peut être pratiquée que par ceux qui se moquent de la destruction de notre planète. À quel jeu les autres peuvent-ils jouer ? L’augmentation constante des prix des combustibles fossiles signifie que l’innovation et la concurrence doivent trouver un autre débouché. En fait, il s’agit d’inventer un jeu complètement différent.
Mais d’abord, un court intermède historique, car ce drame de la transition s’est déjà joué auparavant…
Quand les Romains de la fin du cinquième siècle se battaient encore pour la couronne de l’empereur Auguste, les « barbares » germaniques brandissaient déjà leur menace. Et les communautés chrétiennes anticipaient les valeurs d’une prochaine ère de relocalisation basée non sur une économie d’échelle, mais sur une économie de gamme.
Mais qu’est-ce qu’une économie de gamme ? Pour vous donner envie, voici une brève définition : « Il existe une économie de gamme entre la production de deux biens lorsque deux biens qui partagent un coût commun sont produits ensemble de sorte que le coût commun est réduit ». Autrement dit, il s’agit de baisser les coûts communs d’un facteur de production, non pas en produisant plus d’unités mais en partageant le coût des infrastructures.
Mais reprenons notre petite parenthèse historique.
Tandis que l’Empire romain ne pouvait plus supporter les coûts inhérents à sa taille et sa complexité et que l’approvisionnement en or et en esclaves devenait de plus en plus problématique, les propriétaires terriens les plus intelligents commencèrent à libérer leurs esclaves, tout en les liant contractuellement aux terres comme serfs. Dans le même temps, les hommes libres, de plus en plus ruinés et écrasés par les taxes, se placèrent sous la protection de ces mêmes propriétaires terriens.
Ainsi, une partie de l’équation fut purement et simplement de la relocalisation, puisque le système ne pouvait plus prendre en charge l’Empire à l’échelle globale. Mais le nouveau système post-Empire romain inventa également un système d’innovation basé sur les avantages de gammes et non d’échelle. En effet, tandis que les cités se vidaient – et avec elles, le système de connaissances basé sur les bibliothèques urbaines, les cours à domicile élitistes et les académies – les Chrétiens inventèrent les monastères, de nouveaux centres de connaissances ruraux.
Mais l’important est que, tandis que le système physique se localisait, l’église chrétienne fonctionnait en réalité comme une communauté ouverte et globale. Moines et manuscrits voyageaient et diffusaient les nombreuses innovations des moines ouvriers. Alors que l’Europe amorçait son déclin avec l’effondrement des vestiges de l’Empire après la première révolution sociale européenne de 975, ce nouveau système fit germer la première révolution industrielle médiévale.
Entre le 10e et le 13e siècle, l’Europe recommença à se développer, grâce à une culture unifiée de la connaissance. Elle réintroduisit les monnaies à intérêt négatif contrôlant ainsi l’accumulation de richesses par les élites, doubla sa population, redéveloppa ses magnifiques villes dont beaucoup furent dirigées démocratiquement par des conseils de guildes, et inventa des universités de pair à pair à Bologne au 11e siècle. La Première Renaissance reposa entièrement sur l’économie de gamme, et sur le corpus de connaissances que les intellectuels et les artisans européens construisirent autour de celle-ci. Les guildes avaient sûrement leurs secrets, mais elles les gardèrent pour elles, partout où des cathédrales furent construites.
La même expérience a été reconduite en 1989 à l’échelle d’un pays entier, dans les circonstances les plus difficiles, quand Cuba, isolée, n’a plus pu compter sur les avantages d’échelle procurés par le système soviétique. La crise cubaine de 1989 a préfiguré la situation mondiale actuelle parce que le pays a connu son propre pic pétrolier lorsque les Soviétiques ont brusquement cessé de livrer du pétrole à des prix inférieurs à ceux du marché mondial. Tandis qu’au début, les Cubains ont recommencé à utiliser des ânes, et que la masse corporelle moyenne de la population a diminué, les dirigeants ont pris un certain nombre d’initiatives intéressantes.
Ils ont commencé par libérer l’esprit d’entreprise local en accordant plus d’autonomie aux coopératives agricoles locales, puis ils ont mobilisé les connaissances de base de la population, y compris urbaine. Mais surtout, et c’est peut-être le point le plus important, ils ont créé un certain nombre d’instituts agricoles dont le but prioritaire était de reproduire et diffuser les innovations locales. Quels que soient les autres défauts du système totalitaire à Cuba, cette expérience de conception ouverte a fonctionné au-delà de toute attente.
Comme l’a documenté Bill McKibben, Cuba produit maintenant des aliments nutritifs et de qualité « bio » en abondance avec une fraction seulement des énergies fossiles brûlées par l’agriculture industrielle. Et les Cubains les produisent tout comme le faisait le clergé chrétien du Moyen Âge en Europe : en partageant les connaissances pour obtenir des économies de gamme. Les innovations agricoles se sont diffusées rapidement dans tout le pays et ont été adoptées par tous.
Certes, les économies d’échelle fonctionnent bien dans les périodes d’énergie « ascendante », lorsque de plus en plus d’énergie afflue, mais fonctionnent de moins en moins dans les périodes d’énergie « descendante » lorsque les réserves d’énergie et de ressources diminuent. Sont alors nécessaires les économies de gamme, dans lesquelles vous pouvez démultiplier à partir d’une unité, comme dans les infrastructures émergentes de « fabrication à la demande » actuelles.
Les économies de gamme sont exactement ce qu’est la production par les pairs (sous ses diverses formes de savoir ouvert, de culture libre, de logiciel libre, de designs ouverts et partagés, de matériel ouvert et de production distribuée, etc.)
Récapitulons ce qui ne va pas dans le système global actuel, qui repose entièrement sur les économies d’échelle, et qui, dans bien des cas, rend les économies de gamme illégales.
Notre système actuel repose sur la croyance en une croissance et une disponibilité infinies des ressources, en dépit du fait que nous vivons sur une planète finie ; appelons cette fuite en avant la « pseudo-abondance » débridée.
Le système actuel repose sur la croyance que les innovations devraient être privatisées et seulement autorisées via des permissions ou pour un prix élevé (le régime de la propriété intellectuelle), rendant le partage du savoir et de la culture criminel ; appelons cette caractéristique, la « rareté artificielle » imposée.
Les méthodologies de production par les pairs reposent sur un ADN économique et social qui est leur exact contraire. Les communautés de production par les pairs estiment que la connaissance est un bien que tout le monde doit partager, et donc, qu’aucune innovation ne doit être cachée à la population dans son ensemble.
En fait, dissimuler une innovation qui peut sauver des vies ou le monde est vu comme immoral et constitue une véritable inversion des valeurs. Et la production par les pairs est conçue dans une optique de distribution et d’inclusion, c’est-à-dire de fabrication à petite échelle, voire individuelle. L’obsolescence programmée, qui est une caractéristique et non pas un bug du système actuel, est totalement étrangère à la logique de la production par les pairs. En d’autres termes, la durabilité est une caractéristique des communautés de conception ouverte, pas un bug.
Encore une fois, il existe des précédents historiques à ces inversions de valeurs. Les communautés chrétiennes de l’Empire romain n’étaient pas en concurrence avec l’Empire, elles construisaient leurs propres institutions sur la base d’une logique différente et étrangère. Alors que les élites romaines méprisaient le travail, qui était réservé aux esclaves, les moines chrétiens en faisaient l’éloge et essayaient de préfigurer l’Éden dans leurs cités de Dieu terrestres.
De même, les Sans-culottes de 1789 ne se battaient pas pour les privilèges féodaux mais les ont tous abolis en un seul jour. Il serait donc incorrect de voir la production par les pairs comme de simples techniques concurrentes. En fait, ces évolutions se produisent sur un plan complètement différent. Elles vivent et coexistent dans le même monde, mais elles n’appartiennent pas vraiment à la même logique du monde.
Quelles sont donc les économies de gamme du nouvel âge du P2P ? Elles sont de deux sortes :
La mutualisation des connaissances et des ressources immatérielles
La mutualisation des ressources matérielles productives
Le premier principe est facile à comprendre. Si nous manquons de connaissances en tant qu’individus (et personne ne peut tout savoir), dans une communauté, virtuelle ou réelle, il est bien plus probable que quelqu’un dispose de ces connaissances. Par conséquent, la mutualisation des connaissances et l’innovation « accélérée par le public » sont déjà une caractéristique bien connue de l’économie collaborative. Mais l’avantage de gamme apparaît lorsque les connaissances sont partagées et qu’elles peuvent donc être utilisées par autrui. Cette innovation sociale réduit radicalement le coût général de la connaissance, facteur de production conjointe.
Cette communauté mondiale de travailleurs agricoles et de scientifiques citoyens s’intéresse à l’expérimentation de meilleurs nutriments pour obtenir des aliments de meilleure qualité. Ainsi, des recherches conjointes peuvent être menées pour tester divers nutriments dans divers sols et zones climatiques, et elles bénéficieront instantanément non seulement à l’ensemble de la communauté participante, mais potentiellement à l’ensemble de l’humanité. Les stratégies fondées sur la privatisation de la propriété intellectuelle ne peuvent obtenir de tels avantages de gamme, ou du moins pas à ce niveau.
Prenons un autre exemple, celui de la ferme urbaine de la famille Dervaes à Los Angeles, qui réussit à produire 6 000 livres (environ 2 700 kilos) de nourriture par an sur un minuscule terrain urbain. Comme elles partagent leurs innovations en matière de productivité, des centaines de milliers de personnes ont déjà appris à améliorer leurs propres parcelles, mais imaginez la vitesse de l’innovation qui se produirait si elles étaient soutenues par les institutions d’un État partenaire, qui soutiendraient et diffuseraient encore davantage ces innovations sociales !
Le deuxième principe, celui de la mutualisation des ressources productives physiques, est illustré par la consommation collaborative. L’idée générale est la même. Seul, je peux manquer d’un certain outil, d’une certaine compétence ou d’un certain service, mais à l’échelle d’une communauté, quelqu’un d’autre le possède probablement, et cette autre personne pourrait le partager, le louer ou le troquer. Il n’est pas nécessaire de posséder tous le même outil si nous pouvons y accéder quand nous en avons besoin. D’où la multiplication des places de marché p2p.
Prenons un exemple pour l’illustrer : le partage de véhicules. Les projets d’autopartage peuvent être mutualisés par l’intermédiaire d’une société privée propriétaire des voitures (partage d’une flotte de véhicules, comme Zipcar), de marchés p2p qui relient les automobilistes entre eux comme (RelayRides et Getaround), de coopératives comme Mobicoop ou de collectivités publiques (Autolib à Paris). Mais tous réalisent des économies de gamme. Selon une étude citée par ZipCar, pour chaque voiture louée, il y a 15 voitures en moins sur la route. Et les abonnés à l’autopartage conduisent 31 % de moins après leur adhésion. Ainsi, rien que pour 2009, l’autopartage a permis de réduire les émissions mondiales de dioxyde de carbone de près d’un demi-million de tonnes.
Imaginez des développements comparables dans tous les secteurs de la production.
Alors, à quoi ressemblera le nouveau système si les économies de gamme deviennent la norme et sont promues comme principal moteur du système économique et social ? Nous avons déjà mentionné les communautés mondiales d’open design, et nous suggérons qu’elles s’accompagnent d’un réseau mondial de micro-ateliers, qui produisent localement, comme celles que les constructeurs automobiles open source comme Local Motors et Wikispeed proposent et qui sont déjà préfigurées par les réseaux de hackerspaces, fablabs et espaces de travail communs.
Cela signifie que nous avons aussi besoin d’organisations matérielles mondiales, non pas pour produire à l’échelle mondiale, mais pour organiser nos activités matérielles de manière à minimiser les « coûts communs » des différents réseaux, et pas seulement en termes de partage des connaissances. Pour le dire autrement, qui jouera le rôle que l’Église catholique et ses moines errants ont joué au Moyen Âge ? N’oublions pas qu’il ne s’agissait pas seulement d’une sorte de communauté d’open design, mais d’une organisation matérielle efficace qui dirigeait toute une sphère culturelle à l’échelle du continent. Avons-nous une version p2p potentielle de ce système, qui pourrait fonctionner à l’échelle mondiale ?
La réponse est évidemment dans la généralisation de la « phyle » telle qu’elle est proposée ci-dessus.
Il ne reste plus qu’à répondre à cette question cruciale : à quoi ressemblera la gouvernance mondiale dans la civilisation P2P ? Comment transformer l’Empire matériel mondial qui domine actuellement les affaires du monde au profit de quelques-uns, et remplacer les institutions mondiales inefficaces qui ne sont pas en mesure de relever les défis mondiaux ?
Les Métacartes Numérique Éthique : un outil qui fait envie !
Les médiatrices du numérique, les animateurs d’ateliers-découverte du libre et les pros de la formation le savent : nous manquons d’outils pour décrire l’intérêt, les notions et les pratiques qui permettent de mettre plus d’éthique dans nos vies numériques.
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
Le principe des Métacartes, c’est d’avoir un paquet de cartes qui tient dans la poche pour présenter rapidement et dans le plaisir un ensemble d’outils. L’astuce, c’est que chacune de ces cartes est liée à une page web où l’on peut prendre la place de décrire plus longuement l’outil en question, de renvoyer à des sources et des ressources, etc.
Durant leur financement participatif de septembre dernier, Mélanie et Lilian ont fait une promesse : si iels dépassaient les 200 % de financement, iels s’attelleraient à produire un jeu de Métacartes « Dégooglisons Internet », pour faciliter la présentation d’alternatives aux services des GAFAM.
Avec un projet financé à 269 %, il ne fait aucun doute que nous sommes nombreuses et nombreux à voir le potentiel émancipateur d’un outil tel que les Métacartes… Qui, en plus, sont un Commun de la connaissance, puisque sous licence CC-By-SA ! Il est donc temps de savoir où en sont Mélanie et Lilian sur leur projet de jeu « Dégooglisons Internet » !
Sur le papier aussi, Dégoogliser ne suffit pas !
La promesse, c’était de présenter les 38 services Dégooglisons Internet et quelques notions-clés en un jeu de cartes. Mais se contraindre à cette promesse posait plusieurs problèmes :
On centralise l’attention sur Framasoft, plutôt que de montrer la diversité des propositions existantes ;
Lister des outils numériques sur des cartes n’était pas résilient puisque si l’outil évoluait (en bien ou en mal) ou disparaissait, les cartes devenaient obsolètes ;
Il ne reste que peu de place pour aborder des notions essentielles d’hygiène numérique ;
Il manque une entrée partant des besoins et des vécus des personnes qui veulent plus d’éthique dans leur vie numérique.
Alors certes, Lilian et Mélanie auraient pu décider de faire vite et simple, de se borner à remplir la promesse faite lors du financement participatif, et d’éditer malgré tout un jeu de Métacartes « Dégooglisons Internet ».
Mais ce serait mal connaître le perfectionnisme de ces professionnelles de la formation. Dans leur billet de blog d’août dernier, on peut lire la démarche qui les mène à construire un jeu de Métacartes beaucoup plus ambitieux que prévu, et à en changer le nom.
Découvrez la version 1 des métacartes « Numérique Éthique »
Le jeu « Numérique Éthique » s’adresse à toutes les personnes qui font de la médiation au numérique. Que vous soyez libriste dans une install party ou un café vie privée, formatrice aux outils numériques, médiateur en tiers-lieu, etc. ce jeu se veut un outil d’éducation populaire à la littéracie numérique.
Mélanie et Lilian ont procédé à de nombreuses rencontres et échanges pour mieux comprendre les besoins et les attentes des personnes qui utiliseraient un tel jeu.
Les cartes Usages (exemple « Sondage ») qui présentent plusieurs types d’usages appuyés par des outils en ligne. Pour chacun des usages, ces cartes précisent les risques d’un outil privateur (Doodle, par exemple) et proposent une alternative éthique (ici, le logiciel Framadate) ;
Les cartes Histoires où l’on se raconte une petite histoire pour provoquer des discussions afin de questionner ensemble nos pratiques et nos croyances sur le monde numérique actuel (par exemple « je n’ai rien à cacher ») ;
Les cartes Concepts pour avoir sous la main les notions essentielles à des pratiques éthiques dans sa vie numérique (par exemple, l’interopérabilité).
3 questions à Mélanie et Lilian sur l’avenir de ces cartes
Vous l’imaginez bien, aborder autant de notions avec ces 3 entrées dans un seul jeu de cartes, c’est clairement plus ambitieux que de décrire les services « Dégooglisons Internet » ! Si cette première version du jeu Numérique Éthique est déjà une belle proposition, il manque encore du temps et du travail pour parvenir à un jeu à imprimer en masse…
Alors pour savoir comment nous pouvons y parvenir, donnons la parole à Mélanie et Lilian !
Vous nous présentez aujourd’hui une première version, qui est l’aboutissement de votre travail financé par le financement participatif de 2018. Pourquoi ne pas avoir directement proposé une impression de cette version 1 ?
Enfin en tant que professionnel⋅les de la formation, on sait que l’outil a besoin d’être testé et approfondi. Par exemple nous avons produit les textes et visuels pour plus de 50 cartes, mais il y a sûrement des choses à revoir au niveau de la rédaction ou des ambiguïtés à lever. Avec du recul on trouvera peut-être qu’il faut ajouter certaines cartes ou en enlever d’autres. Pour notre jeu précédent Il y a eu au moins 5 versions de prototypes testés avec des usagers avant de produire la version définitive !
Or comme tout travail de mise en page, faire des modèles propres pour 60 cartes recto/verso ça prend du temps, beaucoup de temps !
En plus il faut savoir que par souci de cohérence, et pour montrer ce qu’on pouvait faire avec du libre, nous avons choisi de travailler avec Scribus pour produire nos modèles. C’est un choix mais du coup, ça rajoute du travail parce que même si c’est un bon outil dans l’absolu, son ergonomie rend parfois le travail plus long qu’avec ses équivalents propriétaires.
Donc avant de faire des modèles imprimables, on préfère s’assurer que les contenus que l’on a produits sont suffisamment pertinent pour mériter d’être imprimés.
Dès maintenant ceux qui le souhaitent peuvent accéder aux contenus en ligne (c’est le cas depuis le début du projet) et nous allons essayer de proposer au cours des prochains mois des prototypes imprimables mais avec juste un graphisme sommaire.
Vous voulez approfondir le travail sur les métacartes Numérique Éthique en 2020… Mais concrètement, qu’est-ce qu’il manque à faire pour parvenir à une version 2 satisfaisante ? À quoi elle ressemblera ?
Pour la première version, nous avons choisi de focaliser sur un usage plutôt professionnel et collaboratif, domaine que nous connaissons le mieux. En plus, dans l’idée d’aller vers une société avec plus d’éthique, il nous a semblé intéressant de commencer par outiller les organisations et les collectifs.
Ensuite, plutôt que de faire un outil pour le grand public, nous avons choisi de faire un outil pour celles et ceux qui travaillent avec le grand public. Nous avons donc plutôt pensé le jeu pour un public de médiateurs numériques, qu’ils jouent ce rôle officiellement ou sans titre particulier.
Avec ces idées en tête, nous avons imaginé plusieurs portes d’entrée dans l’outil. Un exemple : disons que dans mon asso, je suis un peu la geek qui installe des outils pour les autres et que je suis déjà sensibilisée aux enjeux éthiques du numérique. Je cherche une alternative à mon outil propriétaire, je vais explorer les cartes usages et trouver celle qui correspond à mon besoin. C’est un peu ce que propose la page Degooglisons Internet qui liste des services libres sauf qu’ici, au lieu d’avoir une liste web, on a des cartes qui permettent d’explorer et de classer l’information d’une autre manière. Dans ce cas, on se sert de la page web associé à la carte pour proposer une alternative recommandée (en indiquant qui recommande) et en proposant des liens vers différents fournisseurs de services pour ne pas recentraliser uniquement sur Frama.
Autre scénario, je suis un médiateur qui veut sensibiliser mon public à l’importance de protéger sa vie privée des GAFAM. Je vais choisir une histoire à raconter parmi les cartes du même nom pour provoquer des réactions et des discussions. À partir de là, une fois que j’ai suscité de l’intérêt, je vais pouvoir m’appuyer sur les cartes concepts pour parler des notions. Le fait d’avoir une carte me permet de ne pas oublier des infos importantes et de retrouver des chiffres et des informations sourcées grâce à la page web.
Au final ce que nous voulons c’est un outil support simple et convivial qui fonctionne pour différents types de publics.
Voila quelques exemples de ce que nous imaginons comme premiers usages, mais pour vérifier que ça marche et qu’il y a une vraie cohérence entre les différentes entrées, il va nous falloir faire un gros travail sur la pédagogie de l’outil en le testant auprès de vrais usagers, que ce soit par des questionnaires ou des ateliers. Il nous reste aussi du travail de rédaction sur les fiches en ligne : certaines sont très complètes, mais d’autres nécessitent encore du travail de recherche et de synthèse.
Tout cela représente une grosse somme de travail, donc de temps disponible, donc d’argent pour financer votre temps et votre travail… Comment comptez-vous financer tout cela ? Avec une nouvelle collecte ?
Ce que nous imaginons pour financer le travail de conception/rédaction qui reste, c’est de demander à des contributeurs de nous soutenir en exprimant leur intérêt pour leur jeu via un système de prévente. Pour l’instant le temps que nous y avons passé était passionnant et bénévole, mais nous ne pouvons pas repartir pour 6 mois avec ce fonctionnement : un peu de revenus et surtout pré-financer l’impression du futur jeu est indispensable pour nous sécuriser dans ce projet !
Avec le temps ainsi acquis nous affinerons la ressource en ligne (sources, rédaction, …), nous pourrons prendre le temps d’organiser des ateliers de prototypage auprès de médiateurs, de facilitateurs, et nous lancerons le travail de conception des cartes sous Scribus…
Et bien sûr la cagnotte servira à imprimer les cartes.
On souhaite surtout lancer cet appel à des réseaux qui seraient intéressés pour commander des lots de jeux de cartes ( >10 jeux). Si vous faites partie ou connaissez des réseaux associatifs, réseaux de médiateurs numériques, éducation populaire, ESS… Si vous pensez que c’est un bon outil, qu’il peut vous être utile à vous ou à des réseaux que vous connaissez vous pouvez nous en faire part en écrivant à contact@metacartes.cc
Nous pensons lancer un système de pré-ventes dans le début de l’année 2020 et nous vous informerons alors du lancement à ce moment là. Pour rester informés, vous pouvez vous inscrire sur le site.
Contribuons pour obtenir une version 2 imprimée d’ici fin 2020 !
Chez Framasoft, nous savons qu’il y a un très gros besoin d’outils de médiation aux pratiques numériques éthiques, cela fait même partie des actions de Contributopia ! Nous voulons vraiment que cette version 2 détaillée et imprimée voit le jour, donc nous nous engageons :
à libérer de notre temps et de notre savoir-faire pour contribuer à cette version 2 avec Mélanie et Lilian ;
à pré-acheter un lot de ces Métacartes Numérique Éthique pour les distribuer aux médiateurs amateurs et médiatrices professionnelles que nous croisons régulièrement.
De votre côté, vous connaissez peut-être des structures qui auraient besoin d’un tel outil : fédération d’éducation populaire, collectifs de tiers-lieux, réseaux de bibliothèques et médiathèques, réseaux de formation au numérique, etc.
Si c’est le cas, vous pouvez leur communiquer cet article car ces structures peuvent financer la production de cette version 2 en pré-achetant un lot de métacartes Numérique Éthique. Il suffit qu’elles contactent Mélanie et Lilian sur l’email contact@metacartes.cc, pour qu’ensemble, nous contribuions à l’aboutissement un nouvel outil commun.
Nous n’hésiterons pas à vous tenir au courant des avancées et des manières de contribuer à l’évolution de ce projet tout au long de 2020 sur le framablog.
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.
Archipélisation : comment Framasoft conçoit les relations qu’elle tisse
Afin de clarifier le fonctionnement de nos partenariats, nous souhaitons partager avec vous un concept qui nous semble important : celui d’archipélisation.
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
Non, notre objectif n’est pas de continuer à entraîner votre bouche à prononcer des mots difficilement prononçables (comme « Dégooglisation » ou « Déframasoftisation »). Il s’agit plutôt d’aborder la façon dont Framasoft perçoit, et finalement expérimente ses relations avec les tiers.
Cet article, qui montre (un peu) de notre fonctionnement interne, est le fruit d’une réflexion au long cours, qui continue d’évoluer. Il est donc possible que nous n’y soyons pas parfaitement clair·es, mais il nous semblait utile et important de partager notre positionnement actuel.
« Si tu as le cul entre deux chaises, trouve un canapé » (proverbe ébéniste)
Framasoft est avant tout une communauté d’utilisatrices et d’utilisateurs. Cependant, son fonctionnement est clairement celui d’un réseau, non seulement de projets, mais aussi de partenaires. Ainsi, Framasoft bénéficie du soutien de nombreuses organisations (publiques, commerciales, associatives) qui permettent aux projets de croître et de se développer. Les échanges entre Framasoft et ces partenaires se situent donc plutôt du côté de l’amitié, de la reconnaissance, de la confiance mutuelle, ou du sentiment d’avancer ensemble dans la même direction.
Or la position de l’association est complexe : d’un côté nous savons que nous touchons de très nombreuses personnes (autour de 500 000 par mois) et que notre projet associatif est un succès, mais d’un autre côté nous affirmons régulièrement que nous ne souhaitons pas devenir porte-parole de quoi que ce soit, ni détenir un quelconque pouvoir ou position d’autorité en dehors de nos propres projets.
Nous sommes donc tiraillé⋅es entre deux univers : celui de l’association souvent identifiée comme l’une des portes d’entrée francophones aux enjeux du numérique, et celui du groupe d’ami⋅es qui souhaite faire de l’éducation populaire – et donc politique – en apprenant de projet en projet (c’est à dire, souvent, en se plantant et en tirant les enseignements de ses erreurs).
Lutter ensemble, tout en respectant nos différences
Nous avons souvent essayé de résoudre cette tension en adoptant des positions d’équilibriste : « Et eux ? On travaille avec eux ? », « Cette asso fait un gros boulot de fond, mais en interne la gestion semble compliquée. », « On est invité dans ce cadre, très institutionnel. On ne partage pas toutes leurs idées, mais ça peut être aussi l’occasion de faire entendre les nôtres. On y va ou pas ? ». Toutes les associations font face à ce type de problématiques à un moment ou à un autre. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de faire, ni de cas généralisable à tout un secteur. Pour Framasoft, notre choix actuel est d’assumer que nos réflexions et nos actions se nourrissent de – et se confrontent à – l’expérience du quotidien.
Le premier déclencheur concernant cette réflexion fut peut-être en 2016, alors que nous réfléchissions à la création du collectif CHATONS, et que nous avons rencontré l’association québecoise FACiL. Ces derniers nous ont alors proposé de signer une « convention d’amitié », qui contractualisait notre envie de « faire ensemble » tout en reconnaissant les différences de chaque structure. Ce fonctionnement très simple est à la fois engageant (on signe un document qui engage les deux organisations et qui les lient l’une à l’autre) et, paradoxalement, peu engageant (puisque chaque partie peut mettre fin à la convention, unilatéralement, lorsqu’elle le souhaite). Nous avons, depuis, signé plusieurs de ces « conventions d’amitié » avec d’autres organisations.
Le second déclencheur s’est fait lors du « Forum des Usages Coopératifs » de Brest, en 2018, où nous retrouvions des compagnons de route, comme Laurent Marseault d’Animacoop. Les discussions filaient bon train sur nos capacités à nous mobiliser sur des objectifs communs, tout en reconnaissant que nous n’avions ni les mêmes compétences, ni les mêmes méthodes de travail, ni les mêmes stratégies. Pourtant, nous sentions intuitivement qu’il y avait interdépendance entre leur objet (la formation aux usages coopératifs) et celui de Framasoft (participer à la transformation sociale par le « libre »). Suffisamment bousculé⋅es par ces discussions intenses, nous partagions notre réflexion lors des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre.
Le troisième déclencheur, est venu, lui, des lectures d’Édouard Glissant.
Édouard Glissant (1928-2011), écrivain, poète, philosophe martiniquais, est considéré comme l’un des penseurs les plus importants au monde du concept d’archipélisation. C’est aussi un théoricien de la relation, qui est le lieu par excellence de la lutte comme celui de la prédation.
Mais… c’est quoi l’archipélisation ?
L’archipélisation est une métaphore insulaire (rappelons qu’Édouard Glissant est né dans l’archipel des Antilles), ne décrivant pas des entités isolées et évoluant selon leurs propres règles, mais comme un ensemble de petites structures indépendantes dont la capacité de développement repose sur la coopération, la mutualisation.
« J’appelle créolisation la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les dysharmonies entre les cultures. » Par ces mots, Édouard Glissant fait de la « créolisation » une décontinentalisation, qu’il nomme archipélisation, et qu’il corrèle à ce qu’il appelle le « tout-monde ». Le monde entier, pour lui, se créolise et s’archipélise.
Une autre façon d’appréhender ce concept est de penser un réseau de petites structures agiles et flexibles reliées entre elles par des outils conviviaux.
Cette notion, si elle est associée à celle des outils conviviaux d’Ivan Illich ou la figure du rhizome, héritée de Deleuze et Gattari, déjoue l’opposition entre centre et périphérie. Il s’agit donc de passer d’une vision continentale, où on essaye de faire continent tous ensemble, à une « archipélisation » d’îlots de résistance émergents. L’objectif n’est donc plus de construire un mouvement unique, monolithique, mais bien d’envisager l’avancée des luttes sous forme de coopérations entre ces différents îlots, sans essayer de se convaincre de tous faire la même chose.
Évidemment, nous n’avons pas toutes et tous la même histoire, la même capacité de résistance, les mêmes privilèges, les mêmes tempéraments, les mêmes moyens financiers… Mais il nous parait possible de se reconnaître différent⋅es, de respecter la diversité de chacun et chacune dans leurs stratégies et leurs tactiques, tout en partageant des buts communs.
Baigner dans des eaux communes
Cette notion d’archipélisation nous permet de poser un cadre temporaire de nos relations avec d’autres structures. À la fois une manière de faire collectif (sans forcément penser la même chose), et une manière d’être aux autres (avec ce qu’ils et elles nous apportent, ce que nous leur apportons, sans pour autant les absorber ou être absorbés par elles et eux, sans pour autant les adouber ou être adoubés par elles et eux).
Framasoft travaille depuis quelques années au développement de partenariats avec des structures proches-mais-pas-libristes, dans l’optique de mettre un pied dans la porte à la fois au bénéfice de Framasoft (qui touche d’autres publics), mais aussi des valeurs du libre, d’une part en créant du lien de la sphère libriste vers d’autres structures, d’autre part en ayant un dialogue rapproché avec elles afin de mieux écouter leurs demandes. L’idée commune reste la même : outiller la société de contribution (ou, si vous préférez, Accompagner celles et ceux qui veulent changer le monde, vers des usages numériques cohérents avec leurs valeurs).
Euh, et concrètement ?
Concrètement, Framasoft a aujourd’hui un partenariat fort avec une structure comme les CEMEA (association d’éducation populaire), sans que cela ne nous empêche de travailler avec d’autres acteurs majeurs de l’éducation populaire comme La Ligue de l’Enseignement (sur un MOOC CHATONS dont nous vous parlions la semaine dernière) ou les CRAJEP (sur le projet Bénévalibre évoqué il y a quelques semaines).
Nous pouvons aussi avoir de belles relations avec Résistance à l’Agression Publicitaire (autour de différents projets, dont Pytitions que nous vous présentions en octobre) ; sans pour autant entrer dans le « tout sauf Qwant » (même si nous demeurons critiques quant à cette entreprise vivant, justement, de la publicité et à ses méthodes de communication et de management).
Nous pouvons accompagner la Fédération Française des Motards en Colère dans sa « dégooglisation » (tout en étant parfaitement conscients que son objet premier est de fédérer les usager⋅es de véhicules utilisant des énergies fossiles), et en parallèle conseiller le mouvement écologiste « Colibris » (là encore, tout en étant critiques sur l’aspect individualiste porté par la fable du Colibri, et vigilant⋅es sur la réputation d’un de ses co-fondateurs, Pierre Rabhi).
Naviguer à la boussole de notre éthique et au compas de nos effets
Il ne s’agit pas pour nous de nous cacher derrière du « et en même temps » : nous faisons, quotidiennement, des choix (des choix réfléchis, pesés, informés), qui appuient une stratégie. Nous comprenons que certains acteurs cités ci-dessus paraîtront parfois trop politisés, parfois dépolitisants. Comme lorsque nous annonçons être membre fondateur de L.A. Coalition – qui compte aussi des associations telles que Tous migrants ou Action Droits des Musulmans. Comme lorsque nous réfutons l’opprobre par association (« Le caca de ton partenaire est ton caca »). Comme lorsque nous affirmons que nous refusons de travailler avec l’extrême-droite.
Nos relations partenariales sont le fruit d’une réflexion sur le temps long. Nous pensons qu’il est possible d’agir à certains endroits, tout en étant critique du contexte. Nous concevons aujourd’hui Framasoft comme une île au sein d’un archipel. Tisser des ponts vers d’autres îles où d’autres que nous font d’autres choses, ne signifie pas qu’on y plante notre drapeau (ni qu’on se laisse imposer le leur).
Certaines relations que nous entretenons avec d’autres îles (du même archipel ou d’un autre archipel) peuvent ne pas vous convenir, et vous pouvez donc les critiquer. Nous vous écoutons. Nous vous lisons. Nous discutons même, quand nous le pouvons. Mais nous traçons nos propres limites, nos propres stratégies. Nous ne sommes pas « vous ». Nous sommes là où nous voulons être.
Nous répétons souvent « La route est longue, mais la voie est libre ». Mais cela ne signifie pas qu’elle ne soit pas semée d’embûches. 🙂
Depuis près de 20 ans, Framasoft agit pour promouvoir un numérique émancipateur. Nous avons bien entendu remporté quelques batailles, mais force est de constater que les GAFAM, bien que critiqués de toutes parts quotidiennement, n’ont jamais été aussi puissants et aussi présents. Comment, dans ce cas, ne pas reconnaître que notre combat, s’il n’est pas futile pour autant, nous oblige à beaucoup d’humilité face à l’incertitude de son issue ?
Sur la façon de mener des luttes qui paraissent impossibles, que cela soit contre les géants du numérique, pour des outils libres et conviviaux, ou contre le capitalisme (de surveillance ou pas), nous aimerions citer la militante Corinne Morel-Darleux :
Plus les victoires futures sont hypothétiques, plus on a besoin de s’abreuver à d’autres sources de l’engagement. Il est des combats qu’on mène non pas parce qu’on est sûr de les gagner, mais simplement parce qu’ils sont justes ; c’est toute la beauté de l’engagement politique. Il faut remettre la dignité du présent au cœur de l’engagement : rester debout, digne, ne pas renoncer à la lutte. Il y a toujours des choses à sauver ! C’est une question d’élégance, de loyauté, de courage, valeurs hélas un peu désuètes. Il s’agit d’avoir des comportements individuels en accord avec notre projet collectif, comme l’a formulé l’anarchiste Emma Goldman (1869-1940). On peut marier radicalité du fond et aménité de la forme, action radicale et élégance. Je plaide pour le retour du panache !
Comme les harmonies et les dysharmonies évoquées par Édouard Glissant, nous reconnaissons le caractère ténu, fluctuant, impermanent, « tremblant » de nos relations avec les autres. Si, comme à nous, cette idée vous paraît pertinente, vous pouvez vous en emparer pour rejoindre ou faire émerger « votre » île, avec ce qu’elle comporte de spécificités en termes de stratégies et de tactiques, puis tisser les liens de votre choix dans un archipel de luttes et de mobilisations collectives auprès des militances qui vous importent.
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La veille sur la presse en ligne est laborieuse et exigeante, mais une extension pour Firefox peut la rendre plus légère, rapide et efficace… et plus éthique que Google News.
Nous rencontrons aujourd’hui Simon Descarpentries pour lui poser des questions sur le module Meta-Press.es qu’il a créé.
Bonjour Simon, pourrais-tu nous dire par quels chemins tu es arrivé à Meta-press.es…
Commençons par le début : je suis né en 1984 comme la FSF et comme elle, je préfère mes logiciels avec de l’éthique en plus d’un code source accessible (pour reprendre cette belle formule de Pouhiou). J’ai découvert GNU+Linux en l’an 2000, ai adhéré à l’April en 2002, terminé mes études en 2007 et travaillé pour Framasoft de 2009 à 2011. J’ai ensuite rejoint Sopinspace1 jusqu’à sa mise en sommeil 4 ans plus tard et mon entrée dans Acoeuro.com2.
Très tôt j’ai décidé de ne pas pousser le monde dans la mauvaise direction le jour en essayant de compenser les dégâts bénévolement la nuit. Je me suis donc efforcé de gagner ma vie en faisant directement ce qui me semble éthique et via Acoeuro.com j’ai une grande liberté de choix dans mes clients, qui ne sont que des associations, clubs sportifs ou collectivités locales3.
Mais ce n’est pas tout d’en vivre, j’ai aussi toujours eu envie de contribuer au Logiciel Libre en retour. J’ai commencé par des traductions (avec la formidable équipe Framalang), puis me suis attelé à la comptabilité de FDN.fr (pendant 5 ans), j’ai fait un peu de JavaScript pour lancer un widget de campagne de LQDN.fr ou aider à éplucher les 5000 réponses d’une consultation de la Commission Européenne… Mais ça me démangeait toujours.
Je me suis donc également occupé de la revue de presse de La Quadrature du Net pendant 5 ans, et c’est là que m’est venue l’envie de développer une alternative à Google News, afin de libérer l’association de sa dépendance envers un acteur qu’elle critique à juste titre le reste du temps. À la faveur d’un inter-contrats en 2017, j’ai repris mes prototypes précédents de méta-moteur de recherche pour la presse et j’ai exploré sérieusement cette piste.
…tu en arrives ainsi à Meta-Press.es ?
Voilà, j’ai réservé un nom de domaine dès que j’ai eu une preuve de concept fonctionnelle.
Alors c’est quoi exactement ?
Meta-Press.es est un moteur de recherche pour la presse sous forme d’une extension pour Firefox.
Directement depuis notre navigateur, il interroge un grand nombre de journaux4. L’extension récupère les derniers résultats de chaque journal et permet de…
trier ces résultats,
mener notre recherche dedans,
sélectionner ceux qui nous intéressent,
exporter cette sélection suivant plusieurs formats (JSON, RSS ou ATOM, bientôt CSV aussi).
Et comment ça marche au juste ?
Eh bien il faut bien sûr installer l’extension depuis sa page officielle.
Tu ouvres ensuite l’onglet de l’extension en cliquant sur l’icône tu saisis les termes de ta recherche, tu précises les sources dans lesquelles chercher : journaux, radios, agrégateurs de publications scientifiques… par défaut tu choisis celles qui sont dans ta langue, et tu lances la recherche.
Meta-Press.es va alors interroger les sources choisies et afficher les résultats.
Quelles différences avec un agrégateur RSS ou une poche-kangourou comme Wallabag ?
Contrairement à un agrégateur de flux RSS, Meta-Press.es donne accès aux contenus qui existaient avant qu’on s’abonne aux flux, puisque Meta-Press.es utilise la fonctionnalité de recherche des journaux. L’extension s’emploie à propager la requête de l’utilisateur auprès de chaque source pour agréger tous les résultats et les trier dans l’ordre chronologique. Google News ne fait pas beaucoup plus en apparence, or ça, n’importe quel ordinateur peut le faire.
Ensuite, Meta-Press.es intègre déjà un catalogue de sources connues (principalement des journaux, mais aussi des radios ou des agrégateurs de publications scientifiques), et est directement capable de chercher dans toutes ces sources, alors qu’un agrégateur de flux RSS doit être configuré flux par flux.
Actuellement, la base contient un peu plus de 100 sources (de 38 pays et en 21 langues), dont déjà 10 % ont été ajoutées par des contributeurs. Ces sources sont organisées par un système d’étiquettes pour les thèmes abordés, la langue ou d’autres critères techniques. Ce système permet d’accueillir toutes les contributions et l’utilisateur choisira ensuite dans quoi il veut chercher.
Apparemment c’est surtout pour faire de la veille sur la presse, est-ce que ça peut intéresser tout le monde ou est-ce un truc de « niche » pour un nombre limité de personnes qui peuvent y trouver des avantages ?
L’extension a été développée avec le cas d’usage de la revue de presse de la Quadrature du Net en tête. On est toujours plus efficace en grattant soi-même là où ça démange.
Mais les journalistes auxquels j’ai présenté Meta-Press.es se sont également montrés enthousiastes, car l’outil renvoie toujours les mêmes résultats quand on fait les mêmes recherches (même si on change d’ordinateur ou de connexion internet). Ce n’est pas le cas quand ils utilisent Google News, car l’entreprise traque leur comportement (historique des recherches, articles consultés) pour renvoyer ensuite des résultats de recherche « personnalisés » (donc différents d’une fois sur l’autre), et surtout, pour vendre aux annonceurs de la publicité ciblée.
Et puis un Mastonaute a récemment trouvé un autre moyen de se servir de Meta-Press.es :
Au-delà des recherches, ce que permet Meta-Press.es, c’est d’exporter les résultats d’une recherche dans un fichier. On peut ainsi :
• archiver les résultats ;
• les reprendre plus tard (même hors-connexion) ;
• les envoyer à un ami.
On peut également sélectionner les résultats que l’on souhaite exporter. Une sélection exportée au format RSS peut ensuite facilement être ajoutée au flux RSS de la revue de presse d’une association (comme c’est le cas pour LQDN).
Cela épargne les deux-tiers du travail dans ce domaine, qui consistait sinon à copier chaque information (titre, date, source, extrait…) de la page du journal à l’outil générant le flux de la revue de presse.
D’ailleurs, pendant mes années de revue de presse à LQDN, plusieurs associations amies nous ont demandé quels outils on utilisait de notre côté. On a répondu à chaque fois qu’on utilisait plusieurs outils faits main (la nuit par l’un des cofondateurs) emboîtés les uns dans les autres sans documentation technique et que l’essentiel du travail restait fait à la main. C’était frustrant pour tout le monde.
Aujourd’hui, l’outil est là, revenez les amis, nous pouvons désormais tous nous partager Meta-Press.es !
———*———*———
Bon, pendant que les plus impatients sont déjà en train de tester l’extension et de s’en servir, nous avons d’autres lecteurs et lectrices un peu plus techniques qui veulent savoir comment ça se passe dans les coulisses, et pour commencer avec quelles briques tu as travaillé…
Techniquement, c’est fait en JavaScript moderne (ECMAScript6/7) avec tous les meilleurs exemples trouvés sur StackOverflow, developer.mozilla.org et surtout les API récentes comme : async/await, <script type= »module »>, fetch, crypto, domParser, XPathEvaluator…
Je suppose que certain⋅es vont vouloir ajouter des « sources »…
Le processus de contribution des sources a été simplifié au maximum.
D’ailleurs, la première contribution à Meta-Press.es en a détourné l’usage pour y intégrer une dizaine de sources de publications scientifiques. C’est un cas auquel je n’avais pas pensé en développant Meta-Press.es, mais la contribution s’est facilement intégrée au reste du projet, on a juste eu à y mettre l’étiquette de thème : « science ».
Si la source propose des résultats de recherche sous la forme d’un flux RSS, il suffit en gros de préciser le nom de la source et l’adresse du flux (en remplaçant les termes de recherche par : {}) dans le champ d’exemple de source des paramètres de l’extension. La plupart des journaux qui utilisent le moteur WordPress fournissent ce flux (sûrement sans même le savoir), ce qui représente un tiers des sources de Meta-Press.es à l’international. En revanche en France, beaucoup de journaux utilisent SPIP comme moteur de site web, or SPIP n’intègre pas cette fonctionnalité par défaut… Une mise à jour serait très bienvenue ! En proportion, les flux RSS représentent donc environ 30% des sources actuelles, contre 1% de flux ATOM (la bataille est moins serrée qu’entre vim et emacs).
Si la source ne propose pas de résultats en RSS, l’exercice peut se résumer à rassembler une URL et 4 sélecteurs CSS. Toutefois, il faut donc parler HTML et CSS couramment, et bien souvent RegEx aussi pour arriver à ses fins. J’ai listé des documentations synthétiques dans le README.adoc du projet sur Framagit.
Une source est donc décrite par un objet JSON dans lequel on détaille comment accéder à chaque information dans la page de résultats (par des sélecteurs CSS donc pour pointer les éléments) et éventuellement en ajoutant un retraitement du texte obtenu par motif de remplacement en expression rationnelle. Pour s’exercer, l’ajout d’une source peut se faire directement depuis les paramètres de l’extension (où vous trouverez des conseils et les sources fournies en exemples). Si vous avez un résultat fonctionnel, vous pouvez vous contenter de me l’envoyer simplement par courriel, je m’occuperai de l’intégrer au projet.
J’avais testé en 2013 plusieurs solutions pour voir ce qui était le plus rapide dans le rapatriement et l’analyse des pages web listant les résultats de recherche de chaque source. Entre autres, les pages de résultat sont analysées par Firefox dans ce qu’on appelle un fragment de HTML. Ce dernier n’est pas complètement interprété par le navigateur web (pas de rendu graphique). Entre autres, les images et les feuilles de style de la page ne sont pas chargées. Il n’y en a pas besoin. En se contentant du HTML les choses se passent bien plus rapidement que s’il fallait charger les mégaoctets d’images et de traqueurs des journaux.
En puisant les résultats dans des flux RSS, le traitement devrait aller encore plus vite car la structure XML d’un flux RSS est minimaliste. Mais les serveurs web priorisent mal ces requêtes, alors les flux RSS mettent facilement plus de 10 secondes à arriver.
Une autre question épineuse, liée au JavaScript est celle de l’analyse des dates en format non américain. De nombreuses bibliothèques de fonction existent pour parer aux déficiences de la norme, mais elles sont généralement volumineuses et lentes. Je propose ma propre solution dans ce domaine, avec la fonction JavaScript `month_nb` qui se contente de transformer un nom de mois en son numéro, mais sait le faire pour 69 langues et n’a même pas besoin de connaître la langue du mois à convertir. J’en ai parlé plus longuement sur le site de Meta-Press.es notamment pour détailler l’aspect minimaliste et ré-utilisable de mon approche : il fallait là aussi « faire rentrer le monde dans un fichier JSON » mais ça c’est bon, c’est fait.
Mais pourquoi avoir choisi une extension pour Firefox plutôt qu’une appli pour Android ou une appli standalone à installer sur son ordinateur… ?
Je faisais tenir mes premiers prototypes dans un unique fichier HTML. Je trouvais ça élégant d’avoir tout dans un seul fichier : le code, l’interface graphique, les données… Et puis un fichier HTML c’est facile à distribuer (par clé USB, en pièce jointe d’un courriel, directement sur le web…). Toutefois, comme je l’ai expliqué dans le billet « Motivations » du blog du projet, une contrainte technique empêchait ce modèle de fonctionner pour Meta-Press.es : on ne peut pas accéder au contenu d’une iframe depuis le JavaScript d’une simple page web.
Et puis j’ai compris qu’avec une extension pour Firefox la contrainte pouvait être levée. J’ai donc tout naturellement continué mon travail dans cette direction, en m’appuyant sur les technologies que je manipule au quotidien : le Web.
Avec un peu de recul, je considère que c’était une excellente idée. Firefox est probablement l’analyseur de HTML le plus rapide au monde, en cours de ré-écriture, par morceaux, en Rust. Piloter cette fusée via un langage de script se révèle à la fois plaisant et efficace.
Si j’avais voulu faire une application à part, j’aurais probablement utilisé le langage Python (dont je préfère la syntaxe, surtout édité avec vim et des tabulations !), mais j’aurais forcément eu à manipuler un analyseur de page web moins rapide et probablement moins à jour.
Ensuite, en tant qu’extension de Firefox, Meta-Press.es est aussi utilisable avec le navigateur web Tor, qui est taillé pour la protection de votre vie privée et installable en quelques clics sur n’importe quel ordinateur et quasiment n’importe que système d’exploitation.
Le navigateur Tor a été inventé en grande partie pour lire la presse en ligne sans être suivi, ni laisser de traces. Les deux font donc la paire. Avec le navigateur Tor les journaux ne savent pas qui vous êtes, et avec Meta-Press.es vous n’avez plus besoin de Google pour les trouver. Retour au modèle du bon vieux journal lu dans le fauteuil du salon, sans autres conséquences, ni à court, ni à long terme.
En ce qui concerne Android, l’extension fonctionne parfaitement une fois installée sur Firefox pour Android (ou la version IceCatMobile en provenance de la logithèque libre pour Android : F-Droid.org).
Mozilla offre l’avantage de fournir l’infrastructure de distribution du programme et un référencement (l’extension est facile à retrouver via le moteur de recherche d’addons.mozilla.org avec les mots-clés « meta presse »). Mozilla gère les mise à jour, des retours utilisateurs rapides ou complets via les commentaires, la notation par étoiles et même une porte de collecte de dons pour soutenir le projet — qui fonctionne très bien ;-).
Si l’on ajoute la documentation et les recommandations suite à l’analyse du code (automatique mais aussi effectuée par des humains), c’est une plateforme très accueillante.
Dans l’actualité récente les éditeurs de presse en ligne français étaient en conflit avec Google et son moteur de recherche. Est-ce que de nouvelles contraintes légales ne vont pas impacter Meta-Press.es ?
Oui, j’ai suivi ce feuilleton, et non ça ne devrait avoir de conséquence pour Meta-Press.es.
Pour reprendre un peu le sujet, tout se joue autour de la directive européenne sur les éditeurs de presse en ligne, que les élites du gouvernement se sont empressées de transposer en droit français, pour l’exemple et avec de grandes annonces.
Cet épisode a donné lieu en septembre à de savoureux échanges entre Google et les éditeurs. Le fond du problème était que les éditeurs, déjà sous perfusion de l’État, ont cru qu’ils pourraient taxer Google aussi (en améliorant la rente de leur situation, plutôt qu’en s’adaptant à un monde qui change), au moins pour un montant proportionnel à l’extrait d’article que Google republie chez lui, à côté de ses publicités, et dont de plus en plus de lecteurs se contentent (comme je l’ai détaillé dans ce commentaire sur LinuxFR.org).
Ça m’a fait bizarre, mais c’est Google que j’ai trouvé de bonne foi pour le coup : aucune raison de payer la rançon. Le géant américain a d’ailleurs simplement répliqué en retirant les extraits visés, en publiant des stats sur la faible consultation des résultats de Google News sans extrait, et en indiquant que pour un retour aux affaires il suffisait de préciser son accord via un fichier hébergé par chaque journal (une directive du fameux robot.txt).
En deux semaines la moitié des éditeurs avaient autorisé Google à reprendre gratuitement les extraits, au bout d’un mois tous avaient rejoint le rang. Tout ce travail législatif international pour en arriver là : un communiqué de presse du moteur de recherche et des redditions sans condition de la presse.
Aujourd’hui c’est facile à dire, mais je pense que les éditeurs n’ont pas pris le bon chemin… Au lieu d’essayer de jouer au plus malin et de perdre magistralement5, ils devraient chercher à s’émanciper de cet intermédiaire qui valorise sa pub avec leurs contenus. Un moyen de se débarrasser de cet intermédiaire, ce serait de développer eux-mêmes un Meta-Press.es, rien ne l’empêche techniquement. Après, j’ai quelques années d’avance, mais rien ne les empêche non plus de me soutenir.
Je me suis logiquement fait quelques sueurs froides, inquiet de voir bouger l’horizon juridique d’un projet sur lequel je me suis attelé depuis plusieurs années. Mais je vais pouvoir laisser les extraits de résultats de recherche dans Meta-Press.es, car cet outil n’entre pas dans le périmètre d’application de la loi, qui ne vise que les plateformes commerciales, ce que n’est pas Meta-Press.es. De plus, Meta-Press.es ne publie rien, tout se passe entre le navigateur d’un internaute et les journaux, pas d’intermédiaire.
Pas d’intermédiaire, mais plein d’idées pour continuer le développement de l’outil ?
Ça oui ! À commencer par l’indispensable mise en place d’un cadriciel (framework) de test automatisé des sources, pour tenir toute la collection à jour en détectant celles dont la présentation des résultats a changé et doit être revue.
Ensuite, j’ai déjà évoqué l’ajout d’un format d’export CSV ou la présentation de l’extension sur écran de téléphone, mais l’outil pourrait par exemple également être internationalisé pour en diffuser plus largement l’usage.
Une grande idée serait d’implémenter un test de rapidité de réponse des sources, pour ne retenir que les sources qui répondent rapidement chez vous.
La possibilité de récupérer plus que les 10 derniers résultats de chaque source est également sur les rails, et en fait malheureusement, la TODO-list du projet ne fait que s’agrandir au fur et à mesure que je travaille à la réduire…
Comment vois-tu la suite pour Meta-presse.es ?
Meta-Press.es n’est pas une grande menace pour Google, mais c’est une alternative techniquement viable.
Il faut maintenant faire l’inventaire des journaux du monde6 et mettre cet index en commun dans le dépôt des sources de Meta-Press.es. Je n’y arriverai pas seul, mais je suis bien déterminé à faire cette part de dé-Google-isation de l’internet7 et à la faire bien, dans la plus pure tradition Unix (une chose à la fois, mais bien faite).
Cela fait déjà des années que je travaille sur Meta-Press.es et je porterai ce projet le plus loin possible. Avec moi une contribution n’est jamais gaspillée. Alors je compte sur vous pour m’aider à indexer la presse en ligne.
Je vous encourage à bidouiller votre source préférée et à me l’envoyer si elle fonctionne ou si vous avez besoin d’un coup de pouce pour terminer. Indiquez-moi par courriel les sources à flux RSS que vous avez trouvées car elles sont très rapides à intégrer, et normalement stables dans le temps8.
Cet inventaire, réalisé pour un projet libre et fait dans un format standard (JSON) sera réutilisable à volonté. C’est une autre garantie qu’aucune contribution ne sera perdue.
D’autres malices dans ta boîte à projets ?
Avec les connaissances acquises en développement d’extension pour Firefox, il y a d’autres problèmes auxquels j’aimerais proposer des solutions… Je pense par exemple au paiement en ligne sur le Web. C’est parce qu’il n’y a pas de moyen simple de payer en un clic que la plupart des éditeurs de contenus s’empressent de grever leurs œuvres de publicité, parce que ça, au moins, ça rapporte, et sans trop d’efforts.
Une solution pourrait être proposée sous la forme d’une extension de Firefox. Une extension qui lirait le contenu des liens affublés du protocole payto: (comme il existe déjà le mailto:), ouvrirait une fenêtre de sélection de banque, proposerait de vous loguer sur votre compte via le site officiel de votre banque, et vous avancerait en lecture rapide jusqu’à la validation d’un virement bancaire, pour le destinataire précisé dans le lien payto:, pour le montant, le libellé et la devise précisée.
Dans l’idéal, les banques proposeraient une interface pour faire ça facilement, mais elles ne le font pas, et on n’en a pas forcément besoin pour que ça marche, il suffit d’arpenter leur interface web comme on le fait pour les résultats de recherche des journaux avec Meta-Press.es.
Coupler cette idée avec les virements rapides que les banques sont en train de concéder pour faire face au Bitcoin, et voilà, le Web serait réparé…
S’il y a des financeurs que ça intéresse, moi je sais faire…
MOOC CHATONS : un parcours pédagogique pour favoriser l’émancipation numérique
Avec la Ligue de l’Enseignement, nous travaillons depuis plus d’un an à concevoir et à réaliser un parcours pédagogique en ligne sur « Pourquoi et comment nous pouvons reprendre le contrôle d’Internet ».
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
C’est l’histoire d’un MOOC…
Faire de l’éducation populaire aux enjeux du numérique, aujourd’hui, induit d’expliquer pourquoi et comment nous pourrions reprendre le contrôle d’Internet.
L’idée est née en 2016 : associer les savoirs-faire de La Ligue de l’Enseignement, fédération nationale d’éducation populaire, et l’expérience de Framasoft pour créer un cours ouvert en ligne à suivre librement (aussi appelé MOOC). Dès le début, l’ambition a été de rassembler des ressources existantes (conférences, articles, ouvrages, etc.), d’en créer de nouvelles et de les organiser pour favoriser l’émancipation numérique.
Il ne s’agit pas ici d’un MOOC classique, avec un accompagnement pédagogique contraint à un calendrier… Chez Framasoft, au lieu de MOOC, on s’amuse même à parler d’un « Librecours », terme emprunté à la plateforme https://librecours.net/ de l’Université de Technologie de Compiègne. Mais le terme « MOOC » est installé dans le paysage de la formation en ligne depuis plusieurs décennies, et il nous a donc semblé plus simple de garder cette appellation.
L’objectif de ce MOOC, qui comportera à terme trois modules, est d’accompagner les personnes qui souhaiteraient :
mieux saisir les enjeux et les impacts qu’ont les géants du web sur nos vies numériques. C’est l’objet du premier module du MOOC, que nous vous annonçons aujourd’hui ;
comment monter une structure apte à proposer des services « hors GAFAM » ? Pour cela, les apprenant⋅es pourront suivre pas à pas l’étude de cas d’une organisation qui souhaiterait rejoindre le collectif CHATONS (Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires). L’étude de cas se concentrant sur les aspects stratégiques (objectifs), tactiques (moyens financiers et humains), juridiques (statuts, actions en cas de réquisitions judiciaires, etc.) et de gouvernance (quelles règles de vies communes ?). Cela sera l’objet du second module, à venir.
des pistes pour administrer l’infrastructure technique de cette structure membre du collectif CHATONS. Ce troisième module concernera donc plus particulièrement les personnes ayant déjà des bases en administration systèmes et réseaux informatiques (alors que les 2 premiers modules ne nécessitent aucun prérequis).
Mais pour le moment, nous n’annonçons que l’ouverture du premier module, intitulé « Internet : pourquoi et comment reprendre le contrôle ? » (attention, comme indiqué en conclusion, ce module est encore en version bêta, et devrait être achevé en janvier 2020).
Pour ce premier module introductif, nous souhaitions dépeindre le paysage numérique actuel à un public le plus large possible, en faisant écho à l’ouvrage « Numérique : reprendre le contrôle », issu d’un collectif d’auteur⋅ices et paru en 2016 dans notre collection Framabook.
Quelles sont les raisons qui peuvent nous mener à vouloir émanciper nos pratiques numériques ? Comment s’organiser pour le faire ? Quels outils et savoirs-faire techniques sont à notre disposition ? C’est précisément ces questions qui seront abordées dans le premier module de ce MOOC.
Quand la loi de Murphy s’en mêle
Grâce à un financement de la fondation Afnic obtenu en 2018, nous nous sommes donc lancés dans la réalisation de ce premier module il y a presque deux ans. La Ligue de l’Enseignement a rassemblé autour d’une table de nombreux partenaires pour imaginer ensemble un séquençage pédagogique décrivant les différents types de domination que les géants du web exercent sur nos sociétés… et les pistes de réflexions et d’expériences qui permettent de s’en extraire.
Depuis cette réunion, évidemment, rien ne s’est passé comme prévu ! Il y a eu les plannings hyper remplis qui rendent difficile de trouver le moment où tout le monde peut s’accorder. Il y a eu les problèmes qui peuvent advenir dans les vies personnelles de chacun·e. Il y a aussi eu nos tâtonnements pour trouver un séquençage pédagogique pertinent (dans la mesure de nos capacités) et pour réaliser une plateforme adéquate et agréable (avec le logiciel libre Moodle).
On ne va pas vous refaire tout l’historique (qui est disponible, en toute transparence, sur le forum du collectif CHATONS), mais disons qu’en somme, nous avons pris plus d’un an de retard.
Aujourd’hui, nous vous présentons donc la version bêta de ce premier module. Oui, la peinture est fraîche, oui les contenus vont être enrichis et évoluer au fil des contributions… Cependant nous sommes fièr⋅es de cette première proposition !
Décrire le paysage numérique actuel avec de nombreuses voix
Entre 2018 et 2019, nous sommes allé·es interroger plus de dix personnes qui, chacune à leur manière, ont contribué à la culture du libre, des communs et de la bidouille. Nous les remercions chaudement de s’être soumis·es à l’exercice difficile de l’entrevue vidéo et d’avoir accepté que leurs propos soient diffusés sous licence libre.
Militant·es des mondes du logiciel libre et des communs, personnes travaillant dans l’éducation académique et populaire… Les intervenant·es de notre MOOC ont des parcours variés et des points de vue complémentaires.
Pour le plaisir, voici la première vidéo de ce Libre Cours
Leurs regards croisés sur le paysage numérique actuel sert à dépeindre, sur chaque vidéo, un détail de notre monde numérique, que l’on aborde petit bout par petit bout, pour que même une personne néophyte puisse en comprendre les contenus. L’ensemble des vidéos réalisées pour ce cours se retrouve facilement sur la fédération PeerTube, puisqu’elles sont publiées sur une chaîne dédiée de Framatube.
En créant un compte sur mooc.chatons.org, vous pourrez vous inscrire au premier module Internet : pourquoi et comment reprendre le contrôle ? La plateforme vous permettra de suivre les leçons de chaque séquence en toute autonomie, vous auto-évaluer et trouver de l’entraide sur le forum et le wiki.
Chaque leçon est structurée de la même façon. On commence par regarder une vidéo introductive de quelques minutes. On se plonge ensuite dans la lecture d’un texte détaillé et illustré afin de mieux comprendre le sujet traité. Et si l’on souhaite approfondir ses connaissances, c’est possible grâce aux ressources recommandées dans la partie « pour aller plus loin ».
Une fois que l’on a consulté l’ensemble des leçons d’une séquence, on peut auto-évaluer ses acquis via un questionnaire à choix multiples et partager ses avis et points de vue entre apprenantes et apprenants.
Donner libre cours à l’enrichissement commun
Voilà plus de cinq ans que Framasoft se forme et informe au sujet de comment Internet a été transformé par l’appétit des géants du web. Nous sommes heureux et heureuses de présenter aujourd’hui un nouvel outil sur le sujet, un outil que l’on espère facile d’accès même pour les personnes qui n’y connaissent pas grand chose.
Ne nous cachons rien, la peinture est fraîche et le travail sur ce premier module est loin d’être fini. La première séquence est assez aboutie, mais les secondes et troisièmes séquences pédagogiques (Les GAFAM, c’est quoi ? et C’est quoi les solutions ?) sont encore en cours de rédaction (nous espérons les finaliser d’ici janvier 2020), le lexique et les présentations des intervenant·es n’en sont qu’à leur premier jet… Il s’agit donc bien d’une version bêta !
Quand aux modules 2 (« Créer son chaton ») et 3 (« Administration technique d’un chaton »), et bien… il faudra patienter ! Tout d’abord, ces modules ne sont pas encore financés (et nous ne savons pas s’ils le seront un jour). Ensuite, comme vous avez pu le lire dans nos différents articles des « Carnets de Contributopia », et notamment dans celui intitulé « Ce que Framasoft pourra faire en 2020 », vous aurez compris que notre programme est déjà lourdement chargé pour notre petite association (même si nous pourrons évidemment faire appel aux membres du collectif CHATONS pour nous prêter main forte).
Enfin, comme il s’agit de la production de notre premier parcours pédagogique, nous attendons de collecter les retours d’expériences pour savoir si ces modules répondent à un besoin (ou pas), si cela ouvre des pistes de collaboration et contribution (ou pas), si nous nous sommes complètement plantés (ou pas).
Concernant ce premier module, nous voulions présenter au plus vite une proposition initiale pour qu’elle puisse ensuite être peaufinée et enrichie collectivement, de plusieurs manières :
les membres du collectif CHATONS sont invités à modifier et faire évoluer les contenus ;
toute personne inscrite sur la plateforme peut y trouver un forum et y suggérer des reformulations, des ressources pour aller plus loin, ou toutes autres modifications ;
les formats courts et longs des entrevues vidéos des intervenant·es seront très vite publiés, toujours sous licence libre, pour que chacun·e puisse y puiser du contenu.
Nous espérons donc qu’un grand nombre d’entre vous s’empareront de ce parcours pédagogique et nous feront des retours afin que l’on puisse l’améliorer… Jusqu’à parvenir, prochainement, à une version que l’on pourrait fièrement proposer en réponse à nos proches qui nous demandent souvent : « Non mais tu peux me redire pourquoi c’est important, là, ton truc de libertés numériques ? ».
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.
Mon Parcours Collaboratif : présenter des outils numériques éthiques à l’ESSE
Les valeurs de l’Économie Sociale, Solidaire et Ecologique (l’ESSE) sont compatibles avec la culture du Logiciel Libre. Dès qu’on parle de nos outils libres, communautaires et collaboratifs à de petites structures de l’ESSE, on voit chez elles une véritable envie de s’en emparer.
Chez Framasoft, nous le constatons régulièrement à la machine à café et près du bac à vaisselle… bref dans les parties communes de notre bureau que nous louons à Lyon, au sein du tiers-lieu Locaux Motiv’.
Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.
Consciente de cet enjeu, l’association Locaux Motiv’ s’est engagée dans la production d’un outil en ligne pour accompagner les petites structures de l’ESSE dans le développement de leurs usages collaboratifs numériques avec des outils et logiciels libres. La mise en œuvre de ce projet est assurée conjointement par trois partenaires : Tadaa – Interactions informatives, la Fabrique à liens et Framasoft, 3 structures en résidence dans ce tiers-lieu.
L’ESSE n’est pas (encore ni totalement) enfermée chez les GAFAM
Aujourd’hui, la question du passage au numérique ne se pose plus. D’ailleurs, l’étude menée par Solidatech et Recherche et Solidarités en 2013, 2016 et 2019, La place du numérique dans le projet associatif, met en évidence que de plus en plus d’associations s’équipent en outils numériques. Cependant, lorsqu’on interroge les responsables eux-même sur la maturité numérique de leur structure, ils considèrent à 21% qu’elle est « peu initiée », à 55% qu’elle est « en progrès » et à 21% qu’elle est « expérimentée ».
Les structures de l’ESSE ont tout intérêt à se saisir des opportunités offertes par le numérique afin de les mettre au service de leur projet et faire évoluer leur réponse sociale. Pourtant, force est de constater que les petites structures font peu appel à ces outils pour fonctionner au quotidien.
Pour autant, quelques signes laissent supposer une possible marge de progression en ce domaine. Le développement d’une culture numérique plus partagée au sein des associations, dans la mesure où 90 % des responsables en font un constat positif dans les structures où la plupart des membres actifs sont impliqués (contre 48% lorsque le sujet du numérique est totalement externalisé), est source d’espoir.
Des outils collaboratifs méconnus, où le Libre a sa place
Si les outils numériques de communication, de gestion et d’animation sont les plus utilisés, les outils collaboratifs ne sont utilisés que par 36% des associations en 2019 (en repli depuis 2016). Les petites structures de l’ESSE connaissant peu les outils collaboratifs, elles ne s’en sont pas encore saisies pour faire évoluer leurs pratiques professionnelles.
On constate d’ailleurs que cette méconnaissance des outils collaboratifs est davantage liée à un manque de culture du travail collaboratif qu’à une opposition à utiliser des outils numériques. Cette démarche nécessite en effet, non seulement de choisir ou de mettre au point les bons outils, mais surtout de repenser totalement les habitudes de travail. Autant d’objectifs plus difficiles à atteindre pour les structures les plus petites.
À ce déficit de culture sur les modalités du travail collaboratif s’ajoute une problématique supplémentaire : alors que les structures de l’ESSE adoptent des principes communs de solidarité et d’utilité sociale, elles continuent au quotidien à utiliser des outils numériques privateurs. Il est donc essentiel que ces structures qui adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs puissent se réapproprier leurs outils numériques.
Le logiciel libre, qui s’appuie sur une logique de partage du savoir et n’a que rarement de valeur marchande intrinsèque, devrait déjà avoir irrigué l’ensemble de l’ESSE. Mais l’on constate que les outils libres sont eux aussi peu, voire totalement méconnus au sein des petites structures et qu’ils sont souvent associés à une image plutôt négative, face à une concurrence « tout-en-un » et d’apparence gratuite.
Locaux Motiv’ et l’ESSE
Parce que c’est dans l’ADN d’un tiers-lieu d’identifier des besoins non couverts et de soutenir les coopérations pour y répondre, Locaux Motiv’ échange depuis de nombreuses années sur la difficulté à rendre opérationnelle la transition numérique des acteurs de l’ESSE. Comment permettre aux structures de l’ESSE de se doter d’outils collaboratifs libres et favoriser l’appropriation de ces outils en constante évolution pour renforcer leurs projets ?
Bien sûr de nombreux acteurs agissent depuis plusieurs années pour le développement des pratiques collaboratives : Outils-réseaux, Animacoop, MultiBàO, Animafac, Movilab, Framasoft… Acteurs qui convergent notamment au Forum des Usages Collaboratifs de Brest ou encore aux Rencontres Moustic. Si ces structures existent toujours et poursuivent leurs actions constructives, il s’agit maintenant à la fois d’élargir massivement le public visé, de faciliter la découverte et rendre accessible la mise en œuvre de ces outils afin de permettre un véritable passage à l’échelle des pratiques numériques collaboratives libres.
Locaux motiv’ souhaite ainsi proposer une porte d’entrée complémentaire et inédite sur ces outils et leurs usages, en construisant des supports de sensibilisation et de formation sous licences libres qui pourront, de plus, être réutilisés par tous.
Trois objectifs opérationnels ont ainsi guidé le développement du projet et la recherche de financements pour sa mise en œuvre :
rendre accessible, opérationnelle et efficiente l’offre actuelle de solutions numériques collaboratives libres ;
permettre aux acteurs et actrices de l’ESSE de s’engager dans une transition numérique à l’aide d’outils et de services libres ;
contribuer à une communauté de “commoners” intéressé·es à la création de communs numériques au service des usages numériques collaboratifs des structures de l’ESSE.
Trois structures en résidence à Locaux Motiv’ sont en charge de la mise en œuvre de ce projet : Tadaa, la Fabrique à liens et Framasoft.
Financé en partie par la Fondation AFNIC, la Fondation Adecco et la Direction Régionale et Départementale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRDJSCS) Auvergne-Rhône-Alpes, le projet a débuté par la réalisation d’un état des lieux sur l’utilisation d’outils libres et les pratiques collaboratives au sein des structures de l’ESSE. En allant interroger une quinzaine de structures pour comprendre comment elles se sont organisées et quels sont les outils qu’elles utilisent, nous avons pu identifier concrètement les problématiques et les réponses à y apporter.
À partir de la formulation d’usages collaboratifs souhaités est née l’idée de créer une plateforme évolutive dédiée aux usages numériques des acteurs de l’ESSE pour les accompagner et soutenir leur transition numérique. Cette plateforme porte pour ambition de guider et d’accompagner ces acteurs vers des usages vertueux et conscients des outils numériques libres, dans un souci d’efficience et de productions collaboratives (au sein des structures et dans leurs relations partenariales et commerciales). C’est ainsi qu’est née la plateforme mon-parcours-collaboratif.fr.
En partant des besoins du visiteur (sur la base de scénarios concrets d’usages co-construits), la plateforme Mon parcours collaboratif proposera des supports vidéos, des fiches pratiques et des ressources externes et contribuera ainsi à l’apparition ou au développement de nouvelles formes de travail et d’organisation des acteurs et réseaux de l’ESSE.
Cette plateforme proposera à terme deux modes d’accès aux contenus :
un mode guidé, qui permettra d’accéder aux ressources via des scénarios pédagogiques
un mode expert qui proposera d’adapter en série des scénarios et de rechercher directement dans les actions
Chaque scénario pédagogique s’articulera autour de plusieurs étapes (jusqu’à 8), composées chacune de différentes #actions ainsi que des témoignages et conseils méthodologiques. Une #action correspond à une unité de base réutilisable d’un scénario à l’autre, dont le titre est une action basique (verbe à l’infinitif).
Chaque action regroupera un ensemble de fiches, telles que des fiches outils, des fiches mode d’emploi, des fiches argumentaire et des fiches conseil. Les visiteurs pourront ainsi identifier les bonnes questions à se poser pour développer des usages collaboratifs (stratégie, méthodes, outils) et découvrir aisément des usages coopératifs mobilisant des outils numériques libres.
Contribuer à une prise de conscience collective
En accompagnant les individus (salarié·e·s, bénévoles, coopératrices·teurs) au sein de structures porteuses de transformations sociétales, l’impact devient considérable et transversal (non seulement pour les pratiques professionnelles mais bien également dans la sphère personnelle). Enfin, de façon implicite par l’utilisation et la valorisation d’outils et de licences libres, la plateforme Mon parcours collaboratif participe de la prise de conscience nécessaire des enjeux liés aux pratiques numériques et ouvre vers la création de communs.
Chez Framasoft, nous sommes heureuses et heureux de consacrer une petite partie des moyens de notre association (qui ne vit que grâce à vos dons) afin d’apporter un peu de notre expertise à la plateforme Mon Parcours Collaboratif… et nous avons hâte de vous annoncer, prochainement, son lancement !
Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.
Hold-up sur les données de santé. Patients et soignants unissons-nous
L’Association Interhop.org est une initiative de professionnels de santé spécialisés dans l’usage et la gestion des données de santé, ainsi que la recherche en machine learning dans de multiples domaines médicaux. Aujourd’hui, en leur donnant la parole sur ce blog, nous publions à la fois une alerte et une présentation de leur initiative.
En effet, promouvant un usage éthique, solidaire et intelligent des données de santé, Interhop s’interroge au sujet du récent projet Health Data Hub annoncé par le gouvernement français pour le 1er décembre prochain. Devons-nous sacrifier le bon usage des données de santé sur l’autel de la « valorisation » et sous l’œil bienveillant de Microsoft ? Tout comme dans l’Éducation Nationale des milliers d’enseignants tentent chaque jour de ne pas laisser le cerveaux de nos enfants en proie au logiciels fermés et addictifs, il nous appartient à tous de ne pas laisser nos données de santé à la merci de la recherche de la rentabilité au mépris de l’éthique et de la science.
Hold-up sur les données de santé, patients et soignants unissons-nous
Par Interhop.org
La plateforme nationale des données de santé ou Health Data Hub, pour les plus américains d’entre nous, doit voir le jour d’ici la fin de l’année. Il s’agit d’un projet qui, selon le Ministère de la Santé, vise à « favoriser l’utilisation et multiplier les possibilités d’exploitation des données de santé » en créant notamment « une plateforme technologique de mise à disposition des données de santé ».
Or, à la lecture du rapport d’étude qui en détermine les contours, le projet n’est pas sans rappeler de mauvais souvenirs. Vous rappelez-vous, par exemple, du contexte conduisant à la création de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) en 1978 en France ? L’affaire a éclaté en mars 1974, dans les pages du journal Le Monde. Il s’agissait de la tentative plus ou moins contrecarrée du projet SAFARI (Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus) visant à créer une banque de données de tous les citoyens français en interconnectant les bases de plusieurs institutions grâce à un numéro unique d’identification du citoyen : le numéro de Sécurité Sociale.
Ce scandale n’était pourtant pas inédit, et il ne fut pas le dernier… À travers l’histoire, toutes les tentatives montrent que la centralisation des données correspond à la fois à un besoin de gouvernement et de rentabilité tout en entamant toujours un peu plus le respect de nos vies privées et la liberté. L’histoire de la CNIL est jalonnée d’exemples. Quant aux motifs, ils relèvent toujours d’une très mauvaise habitude, celle de (faire) croire que la centralisation d’un maximum d’informations permet de les valoriser au mieux, par la « magie » de l’informatique, et donc d’être source de « progrès » grâce aux « entreprises innovantes ».
Concernant le « Health Data Hub », il s’agit d’un point d’accès unique à l’ensemble du Système National des Données de Santé (SNDS) issu de la solidarité nationale (cabinets de médecins généralistes, pharmacies, hôpitaux, Dossier Médical Partagé, registres divers et variés…). L’évènement semble si important qu’il a même été annoncé par le Président Macron en mars 2018. Par ailleurs, il est important de pointer que le SNDS avait été épinglé pour l´obsolescence de son système de chiffrement en 2017 par la CNIL.
De plus, l’infrastructure technique du Health Data Hub est dépendante de Microsoft Azure. Et ce point à lui seul soulève de grandes problématiques d’ordre éthique et réglementaire.
Alors que le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) protège les citoyens européens d’un envoi de leurs données en dehors du territoire européen, la loi Américaine (Cloud Act) permet de contraindre tout fournisseur de service américain à transférer aux autorités les données qu’il héberge, que celles-ci soient stockées aux États-Unis ou à l’étranger.
Entre les deux textes, lequel aura le dernier mot ?
Les citoyens et patients français sont donc soumis à un risque fort de rupture du secret professionnel. La symbolique est vertigineuse puisque l’on parle d’un reniement du millénaire serment d’Hippocrate.
Le risque sanitaire d’une telle démarche est énorme. Les patients acceptent de se faire soigner dans les hôpitaux français et ils ont confiance dans ce système. La perte de confiance est difficilement réparable et risque d’être désastreuse en terme de santé publique.
C’est sous couvert de l’expertise et du « progrès » que le pouvoir choisit le Health Data Hub, solution centralisatrice, alors même que des solutions fédérées peuvent d’ores et déjà mutualiser les données de santé des citoyens Français et permettre des recherches de pointe. Bien que les hôpitaux français et leurs chercheurs œuvrent dans les règles de l’art depuis des années, il apparaît subitement que les données de santé ne sauraient être mieux valorisées que sous l’égide d’un système central, rassemblant un maximum de données, surveillant les flux et dont la gestion ne saurait être mieux maîtrisée qu’avec l’aide d’un géant de l’informatique : Microsoft.
Il est à noter que d’une part, il n’a jamais été démontré que le développement d’un bon algorithme (méthode générale pour résoudre un type de problèmes) nécessite une grande quantité de données, et que d’autre part, on attend toujours les essais cliniques qui démontreraient les bénéfices d’une application sur la santé des patients.
Pour aller plus loin, le réseau d’éducation populaire Framasoft, créé en 2001 et consacré principalement au développement de logiciels libres, veut montrer qu’il est possible d’impacter le monde en faisant et en décentralisant. C’est cette voie qu’il faut suivre.
La loi pour une République numérique fournit un cadre légal parfait pour initier des collaborations et du partage. La diffusion libre du savoir s’inscrit totalement dans la mission de service publique des hôpitaux telle qu’imaginée il y a des décennies par le Conseil National de la Résistance, puis par Ambroise Croizat lors de la création de la Sécurité Sociale.
On ne s’étonne pas que le site Médiapart ait alerté le 22 novembre dernier sur les conditions de l’exploitation des données de santé. Il est rappelé à juste titre que si la CNIL s’inquiète ouvertement à ce sujet, c’est surtout quant à la finalité de l’exploitation des données. Or, la récente Loi Santé a fait disparaître le motif d’intérêt scientifique pour ne garder que celui de l’intérêt général…
Quant à la confidentialité des données, confier cette responsabilité à une entreprise américaine semble être une grande erreur tant la ré-identification d’une personne sur la base du recoupement de données médicales anonymisées est en réalité plutôt simple, comme le montre un article récent dans Nature.
Ainsi, aujourd’hui en France se développe toute une stratégie visant à valoriser les données publiques de santé, en permettant à des entreprises (non seulement des start-up du secteur médical, mais aussi des assureurs, par exemple) d’y avoir accès, dans la droite ligne d’une idéologie de la privatisation des communs. En plus, dans le cas de Microsoft, il s’agit de les héberger, et de conditionner les technologies employées. Quant aux promesses scientifiques, elles disparaissent derrière des boîtes noires d’algorithmes plus ou moins fiables ou, disons plutôt, derrière les discours qui sous le « noble » prétexte de guérir le cancer, cherchent en fait à lever des fonds.
Quelles sont les alternatives ?
Le monde médical et hospitalier est loin de plier entièrement sous le poids des injonctions.
Depuis plusieurs années, les hôpitaux s’organisent avec la création d’Entrepôts de Données de Santé (EDS). Ceux-ci visent à collecter l’ensemble des données des dossiers des patients pour promouvoir une recherche éthique en santé. Par exemple, le projet eHop a réussi à fédérer plusieurs hôpitaux de la Région Grand Ouest (Angers, Brest, Nantes, Poitiers, Rennes, Tours). Le partage en réseau au sein des hôpitaux est au cœur de ce projet.
Par aller plus loin dans le partage, les professionnels dans les hôpitaux français reprennent l’initiative de Framasoft et l’appliquent au domaine de la santé. Ils ont donc créé Interhop.org, association loi 1901 pour promouvoir l’interopérabilité et « le libre » en santé.
Pourquoi interopérer ?
L’interopérabilité des systèmes informatisés est le moteur du partage des connaissances et des compétences ainsi que le moyen de lutter contre l’emprisonnement technologique. En santé, l’interopérabilité est gage de la reproductibilité de la recherche, du partage et de la comparaison des pratiques pour une recherche performante et transparente.
L’interopérabilité est effective grâce aux standards ouverts d’échange définis pour la santé (OMOP et FHIR).
Pourquoi décentraliser ?
Comme dans le cas des logiciels libres, la décentralisation est non seulement une alternative mais aussi un gage d’efficacité dans le machine learning (ou « apprentissage automatique »), l’objectif visé étant de rendre la machine ou l’ordinateur capable d’apporter des solutions à des problèmes compliqués, par le traitement d’une quantité astronomique d’informations.
La décentralisation associée à l’apprentissage fédéré permet de promouvoir la recherche en santé en préservant, d’une part la confidentialité des données, d’autre part la sécurité de leur stockage. Cette technique permet de faire voyager les algorithmes dans chaque centre partenaire sans mobiliser les données. La décentralisation maintient localement les compétences (ingénieurs, soignants) nécessaires à la qualification des données de santé.
Pourquoi partager ?
La solidarité, le partage et l’entraide entre les différents acteurs d’Interhop.org sont les valeurs centrales de l’association. Au même titre qu’Internet est un bien commun, le savoir en informatique médical doit être disponible et accessible à tous. Interhop.org veut promouvoir la dimension éthique particulière que reflète l’ouverture de l’innovation dans le domaine médical et veut prendre des mesures actives pour empêcher la privatisation de la médecine.
Les membres d’Interhop.org s’engagent à partager librement plateforme technique d’analyse big data, algorithmes et logiciels produits par les membres. Les standards ouverts d’échange sont les moyens exclusifs par lesquels ils travaillent et exposent leurs travaux dans le milieu de la santé. Les centres hospitaliers au sein d’Interhop.org décident de se coordonner pour faciliter et agir en synergie.
Pourquoi soigner librement?
L’interconnexion entre le soin et la recherche est de plus en plus forte. Les technologies développées au sein des hôpitaux sont facilement disponibles pour le patient.
L’Association Interhop.org veut prévenir les risques de vassalisation aux géants du numériques en facilitant la recherche pour une santé toujours améliorée. L’expertise des centres hospitaliers sur leurs données, dans la compréhension des modèles et de l’utilisation des nouvelles technologies au chevet des patients, est très importante. Le tissu d’enseignants-chercheurs est majeur. Ainsi en promouvant le Libre, les membres d’Interhop.org s’engagent pour une santé innovante, locale, à faible coût et protectrice de l’intérêt général.
Les données de santé sont tout à la fois le bien accessible et propre à chaque patient et le patrimoine inaliénable et transparent de la collectivité. Il est important de garder la main sur les technologies employées. Cela passe par des solutions qui privilégient l’interopérabilité et le logiciel libre mais aussi le contrôle des contenus par les patients.
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Image d’en-tête : Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxès, par Girodet, 1792 (Wikimedia).