Nous devons nous passer de Chrome

Chrome, de navigateur internet novateur et ouvert, est devenu au fil des années un rouage essentiel de la domination d’Internet par Google. Cet article détaille les raisons pour lesquelles Chrome asphyxie le Web ouvert et pourquoi il faudrait passer sur un autre navigateur tel Vivaldi ou Firefox.

Article original : https://redalemeden.com/blog/2019/we-need-chrome-no-more

Traduction Framalang : mo, Khrys, Penguin, goofy, Moutmout, audionuma, simon, gangsoleil, Bullcheat, un anonyme

Nous n’avons plus besoin de Chrome

par Reda Lemeden

Il y a dix ans, nous avons eu besoin de Google Chrome pour libérer le Web de l’hégémonie des entreprises, et nous avons réussi à le faire pendant une courte période. Aujourd’hui, sa domination étouffe la plateforme même qu’il a autrefois sauvée des griffes de Microsoft. Et personne, à part Google, n’a besoin de ça.

Nous sommes en 2008. Microsoft a toujours une ferme emprise sur le marché des navigateurs web. Six années se sont écoulées depuis que Mozilla a sorti Firefox, un concurrent direct d’Internet Explorer. Google, l’entreprise derrière le moteur de recherche que tout le monde aimait à ce moment-là, vient d’annoncer qu’il entre dans la danse. Chrome était né.

Au bout de deux ans, Chrome représentait 15 % de l’ensemble du trafic web sur les ordinateurs fixes — pour comparer, il a fallu 6 ans à Firefox pour atteindre ce niveau. Google a réussi à fournir un navigateur rapide et judicieusement conçu qui a connu un succès immédiat parmi les utilisateurs et les développeurs Web. Les innovations et les prouesses d’ingénierie de leur produit étaient une bouffée d’air frais, et leur dévouement à l’open source la cerise sur le gâteau. Au fil des ans, Google a continué à montrer l’exemple en adoptant les standards du Web.

Avançons d’une décennie. Le paysage des navigateurs Web est très différent. Chrome est le navigateur le plus répandu de la planète, faisant de facto de Google le gardien du Web, à la fois sur mobile et sur ordinateur fixe, partout sauf dans une poignée de régions du monde. Le navigateur est préinstallé sur la plupart des téléphones Android vendus hors de Chine, et sert d’interface utilisateur pour Chrome OS, l’incursion de Google dans les systèmes d’exploitation pour ordinateurs fixe et tablettes. Ce qui a commencé comme un navigateur d’avant-garde respectant les standards est maintenant une plateforme tentaculaire qui n’épargne aucun domaine de l’informatique moderne.

Bien que le navigateur Chrome ne soit pas lui-même open source, la plupart de ses composantes internes le sont. Chromium, la portion non-propriétaire de Chrome, a été rendue open source très tôt, avec une licence laissant de larges marges de manœuvre, en signe de dévouement à la communauté du Web ouvert. En tant que navigateur riche en fonctionnalités, Chromium est devenu très populaire auprès des utilisateurs de Linux. En tant que projet open source, il a de nombreux adeptes dans l’écosystème open source, et a souvent été utilisé comme base pour d’autres navigateurs ou applications.

Tant Chrome que Chromium se basent sur Blink, le moteur de rendu qui a démarré comme un fork de WebKit en 2013, lorsque l’insatisfaction de Google grandissait envers le projet mené par Apple. Blink a continué de croître depuis lors, et va continuer de prospérer lorsque Microsoft commencera à l’utiliser pour son navigateur Edge.

La plateforme Chrome a profondément changé le Web. Et plus encore. L’adoption des technologies web dans le développement des logiciels PC a connu une augmentation sans précédent dans les 5 dernières années, avec des projets comme Github Electron, qui s’imposent sur chaque OS majeur comme les standards de facto pour des applications multiplateformes. ChromeOS, quoique toujours minoritaire comparé à Windows et MacOS, s’installe dans les esprits et gagne des parts de marché.

Chrome est, de fait, partout. Et c’est une mauvaise nouvelle

Don’t Be Evil

L’hégémonie de Chrome a un effet négatif majeur sur le Web en tant que plateforme ouverte : les développeurs boudent de plus en plus les autres navigateurs lors de leurs tests et de leurs débogages. Si cela fonctionne comme prévu sur Chrome, c’est prêt à être diffusé. Cela engendre en retour un afflux d’utilisateurs pour le navigateur puisque leurs sites web et applications favorites ne marchent plus ailleurs, rendant les développeurs moins susceptibles de passer du temps à tester sur les autres navigateurs. Un cercle vicieux qui, s’il n’est pas brisé, entraînera la disparition de la plupart des autres navigateurs et leur oubli. Et c’est exactement comme ça que vous asphyxiez le Web ouvert.

Quand il s’agit de promouvoir l’utilisation d’un unique navigateur Web, Google mène la danse. Une faible assurance de qualité et des choix de conception discutables sont juste la surface visible de l’iceberg quand on regarde les applications de Google et ses services en dehors de l’écosystème Chrome. Pour rendre les choses encore pires, le blâme retombe souvent sur les autres concurrents car ils « retarderaient l’avancée du Web ». Le Web est actuellement le terrain de jeu de Google ; soit vous faites comme ils disent, soit on vous traite de retardataire.

Sans une compétition saine et équitable, n’importe quelle plateforme ouverte régressera en une organisation dirigiste. Pour le Web, cela veut dire que ses points les plus importants — la liberté et l’accessibilité universelle — sont sapés pour chaque pour-cent de part de marché obtenu par Chrome. Rien que cela est suffisant pour s’inquiéter. Mais quand on regarde de plus près le modèle commercial de Google, la situation devient beaucoup plus effrayante.

La raison d’être de n’importe quelle entreprise est de faire du profit et de satisfaire les actionnaires. Quand la croissance soutient une bonne cause, c’est considéré comme un avantage compétitif. Dans le cas contraire, les services marketing et relations publiques sont mis au travail. Le mantra de Google, « Don’t be evil« , s’inscrivait parfaitement dans leur récit d’entreprise quand leur croissance s’accompagnait de rendre le Web davantage ouvert et accessible.

Hélas, ce n’est plus le cas.

Logos de Chrome

L’intérêt de l’entreprise a dérivé petit à petit pour transformer leur domination sur le marché des navigateurs en une croissance du chiffre d’affaires. Il se trouve que le modèle commercial de Google est la publicité sur leur moteur de recherche et Adsense. Tout le reste représente à peine 10 % de leur revenu annuel. Cela n’est pas forcément un problème en soi, mais quand la limite entre navigateur, moteur de recherche et services en ligne est brouillée, nous avons un problème. Et un gros.

Les entreprises qui marchent comptent sur leurs avantages compétitifs. Les moins scrupuleuses en abusent si elles ne sont pas supervisées. Quand votre navigateur vous force à vous identifier, à utiliser des cookies que vous ne pouvez pas supprimer et cherche à neutraliser les extensions de blocage de pub et de vie privée, ça devient très mauvais1. Encore plus quand vous prenez en compte le fait que chaque site web contient au moins un bout de code qui communique avec les serveurs de Google pour traquer les visiteurs, leur montrer des publicités ou leur proposer des polices d’écriture personnalisées.

En théorie, on pourrait fermer les yeux sur ces mauvaises pratiques si l’entreprise impliquée avait un bon bilan sur la gestion des données personnelles. En pratique cependant, Google est structurellement flippant, et ils n’arrivent pas à changer. Vous pouvez penser que vos données personnelles ne regardent que vous, mais ils ne semblent pas être d’accord.

Le modèle économique de Google requiert un flot régulier de données qui puissent être analysées et utilisées pour créer des publicités ciblées. Du coup, tout ce qu’ils font a pour but ultime d’accroître leur base utilisateur et le temps passé par ces derniers sur leurs outils. Même quand l’informatique s’est déplacée de l’ordinateur de bureau vers le mobile, Chrome est resté un rouage important du mécanisme d’accumulation des données de Google. Les sites web que vous visitez et les mots-clés utilisés sont traqués et mis à profit pour vous offrir une expérience plus « personnalisée ». Sans une limite claire entre le navigateur et le moteur de recherche, il est difficile de suivre qui connaît quoi à votre propos. Au final, on accepte le compromis et on continue à vivre nos vies, exactement comme les ingénieurs et concepteurs de produits de Google le souhaitent.

En bref, Google a montré à plusieurs reprises qu’il n’avait aucune empathie envers ses utilisateurs finaux. Sa priorité la plus claire est et restera les intérêts des publicitaires.

Voir au-delà

Une compétition saine centrée sur l’utilisateur est ce qui a provoqué l’arrivée des meilleurs produits et expériences depuis les débuts de l’informatique. Avec Chrome dominant 60 % du marché des navigateurs et Chromium envahissant la bureautique sur les trois plateformes majeures, on confie beaucoup à une seule entreprise et écosystème. Un écosystème qui ne semble plus concerné par la performance, ni par l’expérience utilisateur, ni par la vie privée, ni par les progrès de l’informatique.

Mais on a encore la possibilité de changer les choses. On l’a fait il y a une décennie et on peut le faire de nouveau.

Mozilla et Apple font tous deux un travail remarquable pour combler l’écart des standards du Web qui s’est élargi dans les premières années de Chrome. Ils sont même sensiblement en avance sur les questions de performance, utilisation de la batterie, vie privée et sécurité.

Si vous êtes coincés avec des services de Google qui ne marchent pas sur d’autres navigateurs, ou comptez sur Chrome DevTools pour faire votre travail, pensez à utiliser Vivaldi2 à la place. Ce n’est pas l’idéal —Chromium appartient aussi à Google—, mais c’est un pas dans la bonne direction néanmoins. Soutenir des petits éditeurs et encourager la diversité des navigateurs est nécessaire pour renverser, ou au moins ralentir, la croissance malsaine de Chrome.

Je me suis libéré de Chrome en 2014, et je n’y ai jamais retouché. Il est probable que vous vous en tirerez aussi bien que moi. Vous pouvez l’apprécier en tant que navigateur. Et vous pouvez ne pas vous préoccuper des compromissions en termes de vie privée qui viennent avec. Mais l’enjeu est bien plus important que nos préférences personnelles et nos affinités ; une plateforme entière est sur le point de devenir un nouveau jardin clos. Et on en a déjà assez. Donc, faisons ce que nous pouvons, quand nous le pouvons, pour éviter ça.

Sources & Lectures supplémentaires

 




Permaculture et logiciels libres ?

Vous ne voyez pas le rapport ? Eh bien eux, si. La petite association allemande qui anime le projet Permaculture Commons a de modestes ambitions :  changer le monde.

Voici les objectifs que se donnent ses membres :

Nous voulons soutenir la transformation de la société vers une culture plus durable. En collaboration avec une vaste communauté, nous aimerions rendre les modes de vie durables et la permaculture aussi accessibles que possible. Nous croyons que la permaculture est la voie à suivre et que les outils numériques, les licences libres et la collaboration mondiale sont la voie à suivre pour diffuser le message.

Oui c’est rafraîchissant et un poil utopique diront les plus sceptiques. Mais après tout, chez Framasoft, nous voulons aussi changer le monde un octet à la fois et nous aimons présenter les CHATONS que nous sommes comme « des AMAP du logiciel libre ». De sorte qu’au-delà de l’analogie, ce rapprochement entre les militants écologistes et la culture libre a éveillé l’attention du groupe Framalang.

Ah et puis, vous avez vu le thème des Journées du Logiciel Libre cette année ? Oui, vous y verrez pas mal de membres de Framasoft — et la conférence de Pyg : Numérique et effondrement : est-il encore temps de faire du libre sans vision politique et écologique ? (non)

Voilà pourquoi nous avons traduit pour vous le rapide survol de deux domaines qui ont peut-être un intérêt mutuel à contribuer. Ce n’est pas une longue réflexion théorique mais quelques suggestions. Le prétexte à une réflexion que nous vous proposons d’entamer dans les commentaires, lesquels demeurent ouverts et modérés.

Traduction Framalang : Docendo, goofy, Cyrilus, Mika, Das, Lumi

page d’accueil du site permaculture commons avec un slogan sur fond de forêt illuminée de rayons de soleil : Œuvrer à l'édification d'un patrimoine commun de connaissances pour les peuples du monde entier qui veulent vivre une vie durable et autodéterminée.
Page d’accueil du site Permaculture Commons : «Travailler à un patrimoine commun de connaissances pour les peuples du monde entier qui veulent mener une vie durable et autodéterminée.»

 

Le terme « permaculture » est un mot-valise qui vient de l’association des deux mots « permanente » et « agriculture ». Il décrit une agriculture soutenable et respectueuse de l’environnement.
La notion a progressivement évolué pour englober maintenant des domaines comme les systèmes économiques, l’habitat et beaucoup d’autres formes de « culture permanente ».
L’objectif de la permaculture est de faire en sorte que les êtres humains soient à nouveau en phase avec les processus et les cycles de la nature, pour que nous puissions faire un usage efficace de la nature sans lui causer de dommages, mais en y contribuant.

Contexte

Le concept a été développé par Bill Mollison et David Holmgren dans les années 70 et comprend trois règles essentielles et douze principes de conception.
La Permaculture est un terme fluide et vague. Il inclut une grande variété de techniques, d’outils de conception et de modes de vie qui sont liés aux mêmes idéaux.
La plupart des idées viennent de l’observation de la nature. Les écosystèmes naturels, comme les forêts, n’ont pas besoin de fertilisants et ne produisent aucun déchet. Tous les éléments du système collaborent étroitement et remplissent des missions importantes. De telles observations peuvent souvent être appliquées au systèmes agricoles.

Citations

« Je suis sûr que je ne sais pas ce qu’est la permaculture. C’est ce que j’aime ; ce n’est pas dogmatique. […]

La permaculture a pour philosophie le travail avec la nature, plutôt que contre elle ; l’observation prolongée et attentive plutôt que le travail de la terre prolongé et irréfléchi ; et une façon de voir les plantes et les animaux dans toutes leurs fonctions, plutôt que traiter chaque élément naturel comme un système mono-produit. »

– Bill Molisson

Le droit d’auteur est une loi qui protège la propriété intellectuelle. Pour les auteurs c’était assez compliqué d’autoriser certains usages, tout en conservant d’autres droits. Les licences libres autorisent les auteurs à avoir plus de contrôle sur l’utilisation de leur contenu. Avec les licences bien connues Creative Commons les auteurs ont trois possibilités basiques :

  • Autoriser ou non les adaptations de leur travail pour qu’il soit partagé
  • Autoriser ou non les adaptations à la seule condition qu’elles soient sous la même licence
  • Autoriser ou non l’utilisation commerciale de leur travail

Avec l’aide de ce petit outil de sélection sur le site Creative Commons il ne faut que quelques secondes et trois clics pour choisir la licence valide la plus appropriée pour vous. Cette petite vidéo3 détaille la marche à suivre :

Donc les licences libres (ou permissives, domaine public, copyleft) sont facilement utilisables pour partager et utiliser les contenus. Wikipédia est l’un des succès typiques de l’utilisation des licences Creative Commons. La version anglophone dépasse les 5 millions d’articles et la version francophone propose plus de 2 millions d’articles sous licence CC-BY-SA
Cela semble logique puisque ces licences aident le grand public et les biens collectifs.

D’accord, mais comment le savoir libre et la permaculture sont-ils liés ?

La permaculture et le mouvement de la culture libre ont plus en commun qu’on ne pourrait le croire.
Par exemple :
* Les deux mouvements sont mondiaux, conduits par des convictions communes, très hétérogènes, décentralisés et travaillent fondamentalement pour le bien commun.
* Les deux mouvements se réfèrent à une série modeste de principes et règles (les 4 libertés), les 12 principes  et 3 points éthiques. Au-delà, les projets peuvent être très différents.
* Les solutions ou réalisations sont testées de façon indépendante, adaptées aux conditions de chacun et constamment améliorées. Dans les deux mouvements les personnes font preuve de curiosité et d’inventivité.
En particulier dans la sphère de la coopération (grâce à Internet), la culture libre a nettement plus d’expérience, et le mouvement de la permaculture pourrait en profiter.

L’idée

Imaginez davantage de documents sur la permaculture en licences libres et une promotion du libre échange des connaissances. Imaginez les connaissances communes pour les personnes du monde entier qui voudraient vivre une vie durable et autodéterminée : les communs de la permaculture.

Voici quelques idées dérivées des principes de la permaculture.

Fragments, photos, objets abandonnés, vieux livres… Internet et les bibliothèques débordent de contenus qui pourraient contribuer à des projets pratiques et vivants, mais qui tombent dans l’oubli.
Les licences libres peuvent aider à transformer les déchets en contribution. Si ces éléments oubliés peuvent être utilisés sans galère, ils seront utilisés. À vrai dire, les déchets ça n’existe pas.

« À plusieurs le travail est plus facile »
Écrire un livre : travail difficile. Coder un logiciel de planification pour la permaculture : pfff, c’est du lourd.
Commençons petit, travaillons ensemble. Les licences libres sont faites pour la coopération et rendent d’énormes projets possibles.
Le système d’exploitation GNU/Linux est un bon exemple. Commencé par une seule personne, amélioré par 100 000 autres et en fait utilisé par tous les internautes aujourd’hui. Une incroyable success story qui est rendue possible par les licences libres.
Au fait : le Permablitz permet à un groupe d’accomplir plus en un jour que vous ne pourriez réussir à faire seul en plusieurs semaines. Et cela a un équivalent direct dans le monde de la culture libre : dans un Book Sprint les auteurs se rassemblent et rédigent un livre entier en 3-5 jours, c’est assez excitant et des résultats sont de grande qualité.

Il est vrai que l’écriture est un travail solitaire, mais vous seriez surpris par toute l’amitié que peut offrir un groupe de personnages imaginaires une fois que vous vous êtes mis à les connaître.
– Anne Tyler

L’image de l’auteur solitaire est solidement ancrée dans notre culture. Mais les bénéfices de la collaboration de plusieurs personnes avec différentes approches, expertises et même fuseaux horaires sont énormes.
Pour atteindre de nombreuses personnes, vous avez besoin d’une variété de supports, langues et styles. La collaboration et les licences libres permettent une variété inattendue.

Quand le vent de changement souffle, certains construisent des murs de protection, d’autres fabriquent des éoliennes.
– Proverbe chinois

Le livre imprimé perd de son importance, les livres sont scannés, partagés et téléchargés illégalement. Les éditeurs et les auteurs ne gagnent pas assez d’argent. On le constate jour après jour.
Il semble hautement improbable que ces choses changeront dans un avenir proche. Des lois sur le droit d’auteur plus strictes et une protection de la copie élaborée pourraient ralentir ces tendances négatives, mais elles ne les arrêteront pas.
Les auteurs peuvent décider de lutter ou de reconnaître de nouvelles éventualités et les utiliser.




Windows 10 : plongée en eaux troubles

Vous avez sans doute remarqué que lorsque les médias grand public évoquent les entreprises dominantes du numérique on entend « les GAFA » et on a tendance à oublier le M de Microsoft. Et pourtant…On sait depuis longtemps à quel point Microsoft piste ses utilisateurs, mais des mesures précises faisaient défaut. Le bref article que Framalang vous propose évoque les données d’une analyse approfondie de tout ce que Windows 10 envoie vers ses serveurs pratiquement à l’insu de ses utilisateurs…

Article original : 534 Ways that Windows 10 Tracks You – From German Cyber Intelligence

Traduction Framalang : Khrys, goofy, draenog, Sphinx

Selon les services allemands de cybersécurité, Windows 10 vous surveille de 534 façons

par Derek Zimmer

L’Office fédéral de la sécurité des technologies de l’information (ou BSI) a publié un rapport 4 (PDF, 3,4 Mo) qui détaille les centaines de façons dont Windows 10 piste les utilisateurs, et montre qu’à moins d’avoir la version Entreprise de Windows, les multiples paramètres de confidentialité ne font pratiquement aucune différence.


Seules les versions Entreprise peuvent les arrêter

Les versions normales de Windows ont seulement trois niveaux différents de télémétrie. Le BSI a trouvé qu’entre la version Basic et la version Full on passe de 503 à 534 procédés de surveillance. La seule véritable réduction de télémétrie vient des versions Entreprise de Windows qui peuvent utiliser un réglage supplémentaire de « sécurité » pour leur télémétrie qui réduit le nombre de traqueurs actifs à 13.

C’est la première investigation approfondie dans les processus et dans la base de registre de Windows pour la télémétrie

L’analyse est très détaillée, et cartographie le système Event Tracing for Windows (ETW), la manière dont Windows enregistre les données de télémétrie, comment et quand ces données sont envoyées aux serveurs de Microsoft, ainsi que la différence entre les différents niveaux de paramétrage de la télémétrie.

Cette analyse va jusqu’à montrer où sont contrôlés les réglages pour modifier individuellement les composants d’enregistrement dans la base de registre de Windows, et comment ils initialisent Windows.

Voici quelques faits intéressants issus de ce document :

• Windows envoie vos données vers les serveurs Microsoft toutes les 30 minutes ;
• La taille des données enregistrées équivaut à 12 à 16 Ko par heure sur un ordinateur inactif (ce qui, pour donner une idée, représente chaque jour à peu près le volume de données d’un petit roman comme Le Vieil homme et la mer d’Hemingway) ;
• Il envoie des informations à sept endroits différents, y compris l’Irlande, le Wyoming et la petite ville de Boston en Virginie.
C’est la première « plongée en eaux profondes » que je voie où sont énumérés tous les enregistrements, ainsi que les endroits où va le trafic et à quelle fréquence.
Logiquement l’étape suivante consiste à découvrir ce qui figure dans ces 300 Ko de données quotidiennes. J’aimerais aussi savoir à quel point l’utilisation de Windows Media Player, Edge et les autres applications intégrées influe sur l’empreinte laissée par les données, ainsi que le nombre d’éléments actifs d’enregistrement.

Difficile de se prémunir

Au sein des communautés dédiées à l’administration des systèmes ou à la vie privée, la télémétrie Windows est l’objet de nombreuses discussions et il existe plusieurs guides sur les méthodes qui permettent de la désactiver complètement.

Comme toujours, la meilleure défense consiste à ne pas utiliser Windows. La deuxième meilleure défense semble être d’utiliser la version de Windows pour les entreprises où l’on peut désactiver la télémétrie d’une manière officielle. La troisième est d’essayer de la bloquer en changeant les paramètres et clefs de registre ainsi qu’en modifiant vos pare-feux (en dehors de Windows, parce que le pare-feu Windows ignorera les filtres qui bloquent les IP liées à la télémétrie Microsoft) ; en sachant que tout sera réactivé à chaque mise à jour majeure de Windows.

À propos de Derek Zimmer
Derek est cryptanalyste, expert en sécurité et militant pour la protection de la vie privée. Fort de douze années d’expérience en sécurité et six années d’expérience en design et implémentation de systèmes respectant la vie privée, il a fondé le Open Source Technology Improvement Fund (OSTIF, Fond d’Amélioration des Technologies Open Source) qui vise à créer et améliorer les solutions de sécurité open source par de l’audit, du bug bounty, ainsi que par la collecte et la gestion de ressources.




Glyn Moody sur l’article 13 – Les utilisateurs oubliés

Pour faire suite à l’article de Glyn Moody traduit dans le Framablog voici un autre billet du même auteur, publié ce vendredi 8 février, qui évoque des possibilités d’aménagement de l’article 13, mais surtout la nécessité de faire entrer dans la loi de larges exceptions pour ne pas oublier tous ceux et celles qui utilisent Internet…

Billet original paru dans Copybuzz : Fix the gaping hole art the Heart of Article 13: Users’s Rights

Un vaste oubli au cœur de l’article 13 : les droits des utilisateurs

par Glyn Moody

Le feuilleton à suspense de l’article 13 se poursuit. Les désaccords entre la France et l’Allemagne sur les exemptions à l’obligation d’utiliser des filtres de téléchargement ont stoppé la progression vers la mise au point de la nouvelle législation et permis d’espérer que les graves dommages causés par l’article 13 à Internet pourraient être évités à la dernière minute.

couer gravé dans une porte en bois
image par epicantus.

Mais les deux pays semblent être parvenus à un compromis qui est sans doute pire que le texte original. Cela implique qu’en pratique, même les plus petits sites seront obligés de demander des licences et d’accepter les conditions qui leur sont offertes. Il s’agit là d’une recette qui risque d’entraîner encore plus d’abus de la part de l’industrie du droit d’auteur et d’éloigner les jeunes entreprises numériques de l’UE.

Mais à côté de cette proposition incroyablement stupide de la France et de l’Allemagne, il y a un commentaire intéressant de Luigi Di Maio, le vice-premier ministre et ministre italien du Développement économique (original en italien), qui a été largement négligé :

La priorité est de modifier les articles 11 et 13, qui traitent de la taxe sur les liens et du filtrage du contenu. La directive sur le droit d’auteur connaît actuellement une période mouvementée. Les signes qui nous parviennent de Bruxelles ne sont pas encourageants, mais je suis convaincu que l’on peut trouver une solution qui protège les droits des internautes tout en garantissant en même temps les droits des auteurs.

Ce qui est important ici, c’est la mention des droits des utilisateurs. Les discussions à leur sujet ont été marquées par leur absence la plupart du temps où la directive de l’UE sur le droit d’auteur a été en cours d’élaboration. C’est vraiment scandaleux et cela montre à quel point le projet de loi est partial. Il s’agit de donner encore plus de droits à l’industrie du droit d’auteur, sans tenir compte de l’impact négatif sur les autres. Cette considération primordiale est si extrême que les conséquences désastreuses que l’article 13 aura sur l’Internet dans l’UE ont d’abord été niées, puis ignorées.

L’une des manifestations les plus évidentes de cette indifférence à l’égard des faits et du mépris des citoyens de l’UE concerne les mèmes. Comme nous l’avons expliqué il y a quelques mois, il n’est pas vrai que les mèmes ne seront pas affectés par l’article 13, et de nombreux politiciens l’ont souligné. Il n’y a pas d’exception au droit d’auteur à l’échelle de l’UE pour les mèmes : dans certains pays, les mèmes seraient couverts par certaines des exceptions existantes, dans d’autres non.

Actuellement, l’article 5 de la directive de 2001 sur le droit d’auteur stipule que « les États membres peuvent prévoir des exceptions ou des limitations », y compris « à des fins de caricature, de parodie ou de pastiche », qui pourraient couvrir les mèmes, selon l’interprétation que le juge en fait lorsqu’il est saisi d’une affaire judiciaire. Si les politiciens de l’UE se souciaient le moins du monde des utilisateurs ordinaires d’Internet, ils pourraient au minimum rendre ces exceptions obligatoires afin de fournir un espace juridique bien défini pour les mèmes. C’est précisément ce que l’eurodéputée Julia Reda a proposé dans son rapport de 2015 au Parlement européen évaluant l’actuelle directive de 2001 sur le droit d’auteur. Elle a écrit :

L’exception relative à la parodie, à la caricature et au pastiche devrait s’appliquer quel que soit le but de l’œuvre dérivée. Il ne devrait pas être limité par le droit d’auteur d’un titulaire de droit, mais seulement par les droits moraux de l’auteur.

Elle a également proposé une reconnaissance beaucoup plus large des droits des utilisateurs, leur permettant d’exploiter la technologie numérique, en particulier les téléphones mobiles, pour créer de nouvelles œuvres basées sur des éléments de leur vie quotidienne – photos, vidéos et audio – ainsi que du matériel qu’ils rencontrent sur Internet :

La législation sur le droit d’auteur ne devrait pas faire obstacle à cette vague sans précédent d’expression créative émergente et devrait reconnaître les nouveaux créateurs comme des acteurs culturels et des parties prenantes valables.

Une loi sur le droit d’auteur vraiment moderne comprendrait cette nouvelle dimension passionnante. Par exemple, l’article 29.21 de la Loi sur le droit d’auteur du Canada prévoit une vaste exception pour le contenu généré par les utilisateurs. Son existence démontre que l’inclusion d’une disposition similaire dans le droit communautaire n’est pas une demande déraisonnable et qu’elle est compatible avec les traités internationaux régissant le droit d’auteur.
Pourtant, la proposition de directive sur le droit d’auteur ignore complètement cet aspect et avec lui, les besoins et les aspirations de centaines de millions de citoyens européens dont la vie s’est enrichie grâce à leur expression personnelle en ligne. Au lieu de cela, les préoccupations de ce groupe d’intervenants clés n’ont fait l’objet que d’un vœu pieux. Ici, par exemple, dans un récent « non-papier » – le nom même trahit sa nature marginale – la Commission européenne propose une petite concession pour les utilisateurs :

les co-législateurs pourraient prévoir que les utilisations mineures de contenu par des téléchargeurs amateurs ne devraient pas être automatiquement bloquées… ni engager la responsabilité de l’auteur du téléchargement.

Mais il n’y a pas d’explication sur la façon dont cela va se produire – par magie, peut-être ? Au lieu de ces mots vagues, nous avons besoin d’une exception concrète qui reconnaisse la réalité de la façon dont la plupart des gens utilisent l’Internet de nos jours – pour partager des éléments du matériel protégé par le droit d’auteur à des fins non commerciales, pour le divertissement et l’édification de la famille et des amis.

S’il est trop difficile d’espérer une exception complète et appropriée pour le contenu généré par les utilisateurs que des pays avant-gardistes comme le Canada ont introduit, il existe une alternative que même les législateurs timorés devraient pouvoir accepter. L’article 10.2 de la Convention de Berne , cadre général des lois sur le droit d’auteur dans le monde, se lit comme suit :

Est réservé l’effet de la législation des pays de l’Union et des arrangements particuliers existants ou à conclure entre eux, en ce qui concerne la faculté d’utiliser licitement, dans la mesure justifiée par le but à atteindre, des œuvres littéraires ou artistiques à titre d’illustration de l’enseignement par le moyen de publications, d’émissions de radiodiffusion ou d’enregistrements sonores ou visuels, sous réserve qu’une telle utilisation soit conforme aux bons usages.

Pourquoi ne pas créer une exception générale au droit d’auteur au sein de l’UE pour de telles « illustrations », qui s’appliqueraient au-delà des établissements d’enseignement, au grand public réutilisant du matériel dans le but limité « d’illustrer » une pensée ou un commentaire ? Après tout, on pourrait faire valoir qu’une telle utilisation est, en effet, un nouveau type d’enseignement, en ce sens qu’elle transmet des connaissances et des opinions sur le monde, en s’appuyant sur les possibilités offertes par les technologies modernes. Ce n’est pas la meilleure solution, mais c’est mieux que rien. Cela montrerait au moins que la Commission européenne, les États membres et les députés européens sont conscients de l’existence du public et sont prêts à jeter une petite miette dans sa direction.

En fait, il y a peu de temps, le texte proposé pour la directive sur le droit d’auteur a inclus une telle formulation dans une section sur le contenu généré par l’utilisateur. Celle-ci a été initialement proposée sous la présidence autrichienne en décembre 2018, demandée par les Allemands dans leur document officieux de janvier 2019, et reprise initialement par la présidence roumaine. Cependant, la présidence roumaine l’a ensuite supprimée à la suite de plaintes émanant de certains pays de l’UE (très probablement les Français). Peut-être que l’Italie devrait la faire remettre à sa place.




Glyn Moody sur l’article 13 – Mensonges et mauvaise foi

Glyn Moody est un journaliste, blogueur et écrivain spécialisé dans les questions de copyright et droits numériques. Ses combats militants le placent en première ligne dans la lutte contre l’article 13 de la directive européenne sur le droit d’auteur, dont le vote final est prévu ce mois-ci. Cet article a été combattu par des associations en France telles que La Quadrature du Net, dénoncé pour ses effet délétères par de nombreuses personnalités (cette lettre ouverte par exemple, signée de Vinton Cerf, Tim Berners-lee, Bruce Schneier, Jimmy Wales…) et a fait l’objet de pétitions multiples.

Dans une suite d’articles en cours (en anglais) ou dans diverses autres interventions (celle-ci traduite en français) que l’on parcourra avec intérêt, Glyn Moody démonte un à un les éléments de langage des lobbyistes des ayants droit. Le texte que Framalang a traduit pour vous met l’accent sur la mauvaise foi des défenseurs de l’article 13 qui préparent des réponses biaisées aux objections qui leur viennent de toutes parts, et notamment de 4 millions d’Européens qui ont manifesté leur opposition.

Pour Glyn Moody, manifestement l’article 13 est conçu pour donner des pouvoirs exorbitants (qui vont jusqu’à une forme de censure automatisée) aux ayants droit au détriment des utilisateurs et utilisatrices « ordinaires »

Billet original paru dans Copybuzz : Why Article 13 is not just dangerous law-making, but deeply dishonest too
Traduction Framalang : Penguin, Lumi, Moutmout, FranBAG, Suzy, Mika, pyg, Barbara, gangsoleil, Mannik, Barbara, Cyrilus, Khrys, Goofy

L’article 13 n’est pas seulement un travail législatif dangereux, mais aussi foncièrement malhonnête

par Glyn Moody

La directive sur Copyright de l’Union Européenne est maintenant en phase d’achèvement au sein du système législatif européen. Étant donné la nature avancée des discussions, il est déjà très surprenant que le comité des affaires juridiques (JURI), responsable de son pilotage à travers le Parlement Européen, ait récemment publié une session de « Questions et Réponses » sur la proposition de « Directive au sujet du Copyright numérique ». Mais il n’est pas difficile de deviner pourquoi ce document a été publié maintenant. De plus en plus de personnes prennent conscience que la directive sur le Copyright en général, et l’Article 13 en particulier, vont faire beaucoup de tort à l’Internet en Europe. Cette session de Q & R tente de contrer les objections relevées et d’étouffer le nombre grandissant d’appels à l’abandon de l’Article 13.

personnage en costume gris, les doigts de la main droite croisés dans le dos
Crédit image peter67.

La première question de cette session de Q & R, « En quoi consiste la directive sur le Copyright ? », souligne le cœur du problème de la loi proposée.

La réponse est la suivante : « La proposition de directive sur le Copyright dans le marché unique numérique » cherche à s’assurer que les artistes (en particulier les petits artistes, par exemple les musiciens), les éditeurs de contenu ainsi que les journalistes, bénéficient autant du monde connecté et d’Internet que du monde déconnecté. »

Il n’est fait mention nulle part des citoyens européens qui utilisent l’Internet, ou de leurs priorités. Donc, il n’est pas surprenant qu’on ne règle jamais le problème du préjudice que va causer la directive sur le Copyright à des centaines de millions d’utilisateurs d’Internet, car les défenseurs de la directive sur le Copyright ne s’en préoccupent pas. La session de Q & R déclare : « Ce qu’il est actuellement légal et permis de partager, restera légal et permis de partager. » Bien que cela soit sans doute correct au sens littéral, l’exigence de l’Article 13 concernant la mise en place de filtres sur la mise en ligne de contenus signifie en pratique que c’est loin d’être le cas. Une information parfaitement légale à partager sera bloquée par les filtres, qui seront forcément imparfaits, et parce que les entreprises devant faire face à des conséquences juridiques, feront toujours preuve d’excès de prudence et préféreront trop bloquer.

La question suivante est : « Quel impact aura la directive sur les utilisateurs ordinaires ? ».

Là encore, la réponse est correcte mais trompeuse : « Le projet de directive ne cible pas les utilisateurs ordinaires. »

Personne ne dit qu’elle cible les utilisateurs ordinaires, en fait, ils sont complètement ignorés par la législation. Mais le principal, c’est que les filtres sur les chargements de contenu vont affecter les utilisateurs ordinaires, et de plein fouet. Que ce soit ou non l’intention n’est pas la question.

« Est-ce que la directive affecte la liberté sur Internet ou mène à une censure d’Internet ? » demande la session de Q & R.

La réponse ici est « Un utilisateur pourra continuer d’envoyer du contenu sur les plateformes d’Internet et (…) ces plateformes / agrégateurs d’informations pourront continuer à héberger de tels chargements, tant que ces plateformes respectent les droits des créateurs à une rémunération décente. »

Oui, les utilisateurs pourront continuer à envoyer du contenu, mais une partie sera bloquée de manière injustifiable parce que les plateformes ne prendront pas le risque de diffuser du contenu qui ne sera peut-être couvert par l’une des licences qu’elles ont signées.
La question suivante concerne le mensonge qui est au cœur de la directive sur le Copyright, à savoir qu’il n’y a pas besoin de filtre sur les chargements. C’est une idée que les partisans ont mise en avant pendant un temps, et il est honteux de voir le Parlement Européen lui-même répéter cette contre-vérité. Voici l’élément de la réponse :

« La proposition de directive fixe un but à atteindre : une plateforme numérique ou un agrégateur de presse ne doit pas gagner d’argent grâce aux productions de tierces personnes sans les indemniser. Par conséquent, une plateforme ou un agrégateur a une responsabilité juridique si son site diffuse du contenu pour lequel il n’aurait pas correctement rémunéré le créateur. Cela signifie que ceux dont le travail est illégalement utilisé peuvent poursuivre en justice la plateforme ou l’agrégateur. Toutefois, le projet de directive ne spécifie pas ni ne répertorie quels outils, moyens humains ou infrastructures peuvent être nécessaires afin d’empêcher l’apparition d’une production non rémunérée sur leur site. Il n’y a donc pas d’obligation de filtrer les chargements.

Toutefois, si de grandes plateformes ou agrégateurs de presse ne proposent pas de solutions innovantes, ils pourraient finalement opter pour le filtrage. »

La session Q & R essaye d’affirmer qu’il n’est pas nécessaire de filtrer les chargements et que l’apport de « solutions innovantes » est à la charge des entreprises du web. Elle dit clairement que si une entreprise utilise des filtres sur les chargements, on doit lui reprocher de ne pas être suffisamment « innovante ». C’est une absurdité. D’innombrables experts ont signalé qu’il est impossible « d’empêcher la diffusion de contenu non-rémunéré sur un site » à moins de vérifier, un à un, chacun les fichiers et de les bloquer si nécessaire : il s’agit d’un filtrage des chargements. Aucune “innovation” ne permettra de contourner l’impossibilité logique de se conformer à la directive sur le Copyright, sans avoir recours au filtrage des chargements.

En plus de donner naissance à une législation irréfléchie, cette approche montre aussi la profonde inculture technique de nombreux politiciens européens. Ils pensent encore manifestement que la technologie est une sorte de poudre de perlimpinpin qui peut être saupoudrée sur les problèmes afin de les faire disparaître. Ils ont une compréhension médiocre du domaine numérique et sont cependant assez arrogants pour ignorer les meilleurs experts mondiaux en la matière lorsque ceux-ci disent que ce que demande la Directive sur le Copyright est impossible.

Pour couronner le tout, la réponse à la question : « Pourquoi y a-t-il eu de nombreuses contestations à l’encontre de cette directive ? » constitue un terrible affront pour le public européen. La réponse reconnaît que : « Certaines statistiques au sein du Parlement Européen montrent que les parlementaires ont rarement, voire jamais, été soumis à un tel niveau de lobbying (appels téléphoniques, courriels, etc.). » Mais elle écarte ce niveau inégalé de contestation de la façon suivante :

« De nombreuses campagnes antérieures de lobbying ont prédit des conséquences désastreuses qui ne se sont jamais réalisées.

Par exemple, des entreprises de télécommunication ont affirmé que les factures téléphoniques exploseraient en raison du plafonnement des frais d’itinérance ; les lobbies du tabac et de la restauration ont prétendu que les personnes allaient arrêter d’aller dans les restaurants et dans les bars suite à l’interdiction d’y fumer à l’intérieur ; des banques ont dit qu’elles allaient arrêter de prêter aux entreprises et aux particuliers si les lois devenaient plus strictes sur leur gestion, et le lobby de la détaxe a même argué que les aéroports allaient fermer, suite à la fin des produits détaxés dans le marché intérieur. Rien de tout ceci ne s’est produit. »

Il convient de remarquer que chaque « contre-exemple » concerne des entreprises qui se plaignent de lois bénéficiant au public. Mais ce n’est pas le cas de la vague de protestation contre la directive sur le Copyright, qui vient du public et qui est dirigée contre les exigences égoïstes de l’industrie du copyright. La session de Q & R tente de monter un parallèle biaisé entre les pleurnichements intéressés des industries paresseuses et les attentes d’experts techniques inquiets, ainsi que de millions de citoyens préoccupés par la préservation des extraordinaires pouvoirs et libertés de l’Internet ouvert.

Voici finalement la raison pour laquelle la directive sur le Copyright est si pernicieuse : elle ignore totalement les droits des usagers d’Internet. Le fait que la nouvelle session de Q & R soit incapable de répondre à aucune des critiques sérieuses sur la loi autrement qu’en jouant sur les mots, dans une argumentation pitoyable, est la confirmation que tout ceci n’est pas seulement un travail législatif dangereux, mais aussi profondément malhonnête. Si l’Article 13 est adopté, il fragilisera l’Internet dans les pays de l’UE, entraînera la zone dans un marasme numérique et, par le refus réitéré de l’Union Européenne d’écouter les citoyens qu’elle est censée servir, salira le système démocratique tout entier.

 

Pour agir en envoyant des messages aux députés européens (n’oublions pas que les élections européennes approchent…) : https://saveyourinternet.eu/fr/#ActNowMEPs

Pour en savoir plus sur le débat et son actualité récente

 

 




Pour un Web frugal ?

Sites lourds, sites lents, pages web obèses qui exigent pour être consultées dans un délai raisonnable une carte graphique performante, un processeur rapide et autant que possible une connexion par fibre optique… tel est le quotidien de l’internaute ordinaire.

Nul besoin de remonter aux débuts du Web pour comparer : c’est d’une année sur l’autre que la taille moyenne des pages web s’accroît désormais de façon significative.

Quant à la consommation en énergie de notre vie en ligne, elle prend des proportions qui inquiètent à juste titre : des lointains datacenters aux hochets numériques dont nous aimons nous entourer, il y a de quoi  se poser des questions sur la nocivité environnementale de nos usages collectifs et individuels.

Bien sûr, les solutions économes à l’échelle de chacun sont peut-être dérisoires au regard des gigantesques gaspillages d’un système consumériste insatiable et énergivore.

Cependant nous vous invitons à prendre en considération l’expérience de l’équipe barcelonaise de Low-Tech Magazine dont nous avons traduit pour vous un article. Un peu comme l’association Framasoft l’avait fait en ouverture de la campagne dégooglisons… en se dégooglisant elle-même, les personnes de Low-tech Magazine ont fait de leur mieux pour appliquer à leur propre site les principes de frugalité qu’elles défendent : ce ne sont plus seulement les logiciels mais aussi les matériels qui ont fait l’objet d’une cure d’amaigrissement au régime solaire.

En espérant que ça donnera des idées à tous les bidouilleurs…

article original : How to build a Low-tech website
Traduction Framalang : Khrys, Mika, Bidouille, Penguin, Eclipse, Barbara, Mannik, jums, Mary, Cyrilus, goofy, simon, xi, Lumi, Suzy + 2 auteurs anonymes

Comment créer un site web basse technologie

Low-tech Magazine a été créé en 2007 et n’a que peu changé depuis. Comme une refonte du site commençait à être vraiment nécessaire, et comme nous essayons de mettre en œuvre ce que nous prônons, nous avons décidé de mettre en place une version de Low Tech Magazine en basse technologie, auto-hébergée et alimentée par de l’énergie solaire. Le nouveau blog est conçu pour réduire radicalement la consommation d’énergie associée à l’accès à notre contenu.

le hardware qui faisait tourner la première version du site allégé
Premier prototype du serveur alimenté à l’énergie solaire sur lequel tourne le nouveau site.


* Voir cet article (en anglais) dans une version frugale donc moins énergivore


Pourquoi un site web basse technologie ?

On nous avait dit qu’Internet permettrait de « dématérialiser » la société et réduire la consommation d’énergie. Contrairement à cette projection, Internet est en fait lui-même devenu un gros consommateur d’énergie de plus en plus vorace. Selon les dernières estimations, le réseau tout entier représente 10 % de la consommation mondiale d’électricité et la quantité de données échangées double tous les deux ans.

Pour éviter les conséquences négatives d’une consommation énergivore, les énergies renouvelables seraient un moyen de diminuer les émissions des centres de données. Par exemple, le rapport annuel ClickClean de Greenpeace classe les grandes entreprises liées à Internet en fonction de leur consommation d’énergies renouvelables.

Cependant, faire fonctionner des centres de données avec des sources d’énergie renouvelables ne suffit pas à compenser la consommation d’énergie croissante d’Internet. Pour commencer, Internet utilise déjà plus d’énergie que l’ensemble des énergies solaire et éolienne mondiales. De plus, la réalisation et le remplacement de ces centrales électriques d’énergies renouvelables nécessitent également de l’énergie, donc si le flux de données continue d’augmenter, alors la consommation d’énergies fossiles aussi.

Cependant, faire fonctionner les centres de données avec des sources d’énergie renouvelables ne suffit pas à combler la consommation d’énergie croissante d’Internet.

Enfin, les énergies solaire et éolienne ne sont pas toujours disponibles, ce qui veut dire qu’un Internet fonctionnant à l’aide d’énergies renouvelables nécessiterait une infrastructure pour le stockage de l’énergie et/ou pour son transport, ce qui dépend aussi des énergies fossiles pour sa production et son remplacement. Alimenter les sites web avec de l’énergie renouvelable n’est pas une mauvaise idée, mais la tendance vers l’augmentation de la consommation d’énergie doit aussi être traitée.

Des sites web qui enflent toujours davantage

Tout d’abord, le contenu consomme de plus en plus de ressources. Cela a beaucoup à voir avec l’importance croissante de la vidéo, mais une tendance similaire peut s’observer sur les sites web.

La taille moyenne d’une page web (établie selon les pages des 500 000 domaines les plus populaires) est passée de 0,45 mégaoctets en 2010 à 1,7 mégaoctets en juin 2018. Pour les sites mobiles, le poids moyen d’une page a décuplé, passant de 0,15 Mo en 2011 à 1,6 Mo en 2018. En utilisant une méthode différente, d’autres sources évoquent une moyenne autour de 2,9 Mo en 2018.

La croissance du transport de données surpasse les avancées en matière d’efficacité énergétique (l’énergie requise pour transférer 1 mégaoctet de données sur Internet), ce qui engendre toujours plus de consommation d’énergie. Des sites plus « lourds » ou plus « gros » ne font pas qu’augmenter la consommation d’énergie sur l’infrastructure du réseau, ils raccourcissent aussi la durée de vie des ordinateurs, car des sites plus lourds nécessitent des ordinateurs plus puissants pour y accéder. Ce qui veut dire que davantage d’ordinateurs ont besoin d’être fabriqués, une production très coûteuse en énergie.

Être toujours en ligne ne fait pas bon ménage avec des sources d’énergies renouvelables telles que l’éolien ou le solaire, qui ne sont pas toujours disponibles.

La deuxième raison de l’augmentation de la consommation énergétique d’Internet est que nous passons de plus en plus de temps en ligne. Avant l’arrivée des ordinateurs portables et du Wi-Fi, nous n’étions connectés au réseau que lorsque nous avions accès à un ordinateur fixe au bureau, à la maison ou à la bibliothèque. Nous vivons maintenant dans un monde où quel que soit l’endroit où nous nous trouvons, nous sommes toujours en ligne, y compris, parfois, sur plusieurs appareils à la fois.

Un accès Internet en mode « toujours en ligne » va de pair avec un modèle d’informatique en nuage, permettant des appareils plus économes en énergie pour les utilisateurs au prix d’une dépense plus importante d’énergie dans des centres de données. De plus en plus d’activités qui peuvent très bien se dérouler hors-ligne nécessitent désormais un accès Internet en continu, comme écrire un document, remplir une feuille de calcul ou stocker des données. Tout ceci ne fait pas bon ménage avec des sources d’énergies renouvelables telles que l’éolien ou le solaire, qui ne sont pas disponibles en permanence.

Conception d’un site internet basse technologie

La nouvelle mouture de notre site répond à ces deux problématiques. Grâce à une conception simplifiée de notre site internet, nous avons réussi à diviser par cinq la taille moyenne des pages du blog par rapport à l’ancienne version, tout en rendant le site internet plus agréable visuellement (et plus adapté aux mobiles). Deuxièmement, notre nouveau site est alimenté à 100 % par l’énergie solaire, non pas en théorie, mais en pratique : il a son propre stockage d’énergie et sera hors-ligne lorsque le temps sera couvert de manière prolongée.

Internet n’est pas une entité autonome. Sa consommation grandissante d’énergie est la résultante de décisions prises par des développeurs logiciels, des concepteurs de site internet, des départements marketing, des annonceurs et des utilisateurs d’internet. Avec un site internet poids plume alimenté par l’énergie solaire et déconnecté du réseau, nous voulons démontrer que d’autres décisions peuvent être prises.

Avec 36 articles en ligne sur environ une centaine, le poids moyen d’une page sur le site internet alimenté par énergie solaire est environ cinq fois inférieur à celui de la version précédente.

Pour commencer, la nouvelle conception du site va à rebours de la tendance à des pages plus grosses. Sur 36 articles actuellement en ligne sur environ une centaine, le poids moyen d’une page sur le site internet alimenté par énergie solaire est 0,77 Mo – environ cinq fois inférieur à celui de la version précédente, et moins de la moitié du poids moyen d’une page établi sur les 500 000 blogs les plus populaires en juin 2018.


Ci-dessous : un test de vitesse d’une page web entre l’ancienne et la nouvelle version du magazine Low-Tech. La taille de la page a été divisée par plus de six, le nombre de requêtes par cinq, et la vitesse de téléchargement a été multipliée par dix. Il faut noter que l’on n’a pas conçu le site internet pour être rapide, mais pour une basse consommation d’énergie. La vitesse aurait été supérieure si le serveur avait été placé dans un centre de données et/ou à une position plus centrale de l’infrastructure d’Internet.

Source : Pingdom

Ci-dessous sont détaillées plusieurs des décisions de conception que nous avons faites pour réduire la consommation d’énergie. Des informations plus techniques sont données sur une page distincte. Nous avons aussi libéré le code source pour la conception de notre site internet.

Site statique

Un des choix fondamentaux que nous avons faits a été d’élaborer un site internet statique. La majorité des sites actuels utilisent des langages de programmation côté serveur qui génèrent la page désirée à la volée par requête à une base de données. Ça veut dire qu’à chaque fois que quelqu’un visite une page web, elle est générée sur demande.

Au contraire, un site statique est généré une fois pour toutes et existe comme un simple ensemble de documents sur le disque dur du serveur. Il est toujours là, et pas seulement quand quelqu’un visite la page. Les sites internet statiques sont donc basés sur le stockage de fichiers quand les sites dynamiques dépendent de calculs récurrents. En conséquence, un site statique nécessite moins de puissance de calcul, donc moins d’énergie.

Le choix d’un site statique nous permet d’opérer la gestion de notre site de manière économique depuis notre bureau de Barcelone. Faire la même chose avec un site web généré depuis une base de données serait quasiment impossible, car cela demanderait trop d’énergie. Cela présenterait aussi des risques importants de sécurité. Bien qu’un serveur avec un site statique puisse toujours être piraté, il y a significativement moins d’attaques possibles et les dommages peuvent être plus facilement réparés.

exemple d’images traitées pour en réduire le poids, elles sont monochromes et d’une définition dégradée
Images optimisées pour en réduire le « poids »

Le principal défi a été de réduire la taille de la page sans réduire l’attractivité du site. Comme les images consomment l’essentiel de la bande passante il serait facile d’obtenir des pages très légères et de diminuer l’énergie nécessaire en supprimant les images, en réduisant leur nombre ou en réduisant considérablement leur taille. Néanmoins, les images sont une part importante de l’attractivité de Low-tech Magazine et le site ne serait pas le même sans elles.

Par optimisation, on peut rendre les images dix fois moins gourmandes en ressources, tout en les affichant bien plus largement que sur l’ancien site.

Nous avons plutôt choisi d’appliquer une ancienne technique de compression d’image appelée « diffusion d’erreur ». Le nombre de couleurs d’une image, combiné avec son format de fichier et sa résolution, détermine la taille de cette image. Ainsi, plutôt que d’utiliser des images en couleurs à haute résolution, nous avons choisi de convertir toutes les images en noir et blanc, avec quatre niveaux de gris intermédiaires.

Ces images en noir et blanc sont ensuite colorées en fonction de la catégorie de leur contenu via les capacités de manipulation d’image natives du navigateur. Compressées par ce module appelé dithering, les images présentées dans ces articles ajoutent beaucoup moins de poids au contenu ; par rapport à l’ancien site web, elles sont environ dix fois moins consommatrices de ressources.

Police de caractère par défaut / Pas de logo

Toutes les ressources chargées, y compris les polices de caractères et les logos, le sont par une requête supplémentaire au serveur, nécessitant de l’espace de stockage et de l’énergie. Pour cette raison, notre nouveau site web ne charge pas de police personnalisée et enlève toute déclaration de liste de polices de caractères, ce qui signifie que les visiteurs verront la police par défaut de leur navigateur.

une page du magazine l’image d’illustration est rouge, le fond est jaune, aucun logo n’est ajouté, l’essentiel est du texte et une image
Une page du magazine en version basse consommation

 

Nous utilisons une approche similaire pour le logo. En fait, Low-tech Magazine n’a jamais eu de véritable logo, simplement une bannière représentant une lance, considérée comme une arme low-tech (technologie sobre) contre la supériorité prétendue des « high-tech » (hautes technologies).

Au lieu d’un logo dessiné, qui nécessiterait la production et la distribution d’image et de polices personnalisées, la nouvelle identité de Low-Tech Magazine consiste en une unique astuce typographique : utiliser une flèche vers la gauche à la place du trait d’union dans le nom du blog : LOW←TECH MAGAZINE.

Pas de pistage par un tiers, pas de services de publicité, pas de cookies

Les logiciels d’analyse de sites tels que Google Analytics enregistrent ce qui se passe sur un site web, quelles sont les pages les plus vues, d’où viennent les visiteurs, etc. Ces services sont populaires car peu de personnes hébergent leur propre site. Cependant l’échange de ces données entre le serveur et l’ordinateur du webmaster génère du trafic de données supplémentaire et donc de la consommation d’énergie.

Avec un serveur auto-hébergé, nous pouvons obtenir et visualiser ces mesures de données avec la même machine : tout serveur génère un journal de ce qui se passe sur l’ordinateur. Ces rapports (anonymes) ne sont vus que par nous et ne sont pas utilisés pour profiler les visiteurs.

Avec un serveur auto-hébergé, pas besoin de pistage par un tiers ni de cookies.

Low-tech Magazine a utilisé des publicités Google Adsense depuis ses débuts en 2007. Bien qu’il s’agisse d’une ressource financière importante pour maintenir le blog, elles ont deux inconvénients importants. Le premier est la consommation d’énergie : les services de publicité augmentent la circulation des données, ce qui consomme de l’énergie.

Deuxièmement, Google collecte des informations sur les visiteurs du blog, ce qui nous contraint à développer davantage les déclarations de confidentialité et les avertissements relatifs aux cookies, qui consomment aussi des données et agacent les visiteurs. Nous avons donc remplacé Adsense par d’autres sources de financement (voir ci-dessous pour en savoir plus). Nous n’utilisons absolument aucun cookie.

À quelle fréquence le site web sera-t-il hors-ligne ?

Bon nombre d’entreprises d’hébergement web prétendent que leurs serveurs fonctionnent avec de l’énergie renouvelable. Cependant, même lorsqu’elles produisent de l’énergie solaire sur place et qu’elles ne se contentent pas de « compenser » leur consommation d’énergie fossile en plantant des arbres ou autres, leurs sites Web sont toujours en ligne.

Cela signifie soit qu’elles disposent d’un système géant de stockage sur place (ce qui rend leur système d’alimentation non durable), soit qu’elles dépendent de l’énergie du réseau lorsqu’il y a une pénurie d’énergie solaire (ce qui signifie qu’elles ne fonctionnent pas vraiment à 100 % à l’énergie solaire).

un petit panneau photo-voltaïque au-dessus d’un plus grand. Leur position les expose au soleil.
Le panneau photo-voltaïque solaire de 50 W. Au-dessus, un panneau de 10 W qui alimente un système d’éclairage.

 

En revanche, ce site web fonctionne sur un système d’énergie solaire hors réseau avec son propre stockage d’énergie et hors-ligne pendant les périodes de temps nuageux prolongées. Une fiabilité inférieure à 100 % est essentielle pour la durabilité d’un système solaire hors réseau, car au-delà d’un certain seuil, l’énergie fossile utilisée pour produire et remplacer les batteries est supérieure à l’énergie fossile économisée par les panneaux solaires.

Reste à savoir à quelle fréquence le site sera hors ligne. Le serveur web est maintenant alimenté par un nouveau panneau solaire de 50 Wc et une batterie plomb-acide (12V 7Ah) qui a déjà deux ans. Comme le panneau solaire est à l’ombre le matin, il ne reçoit la lumière directe du soleil que 4 à 6 heures par jour. Dans des conditions optimales, le panneau solaire produit ainsi 6 heures x 50 watts = 300 Wh d’électricité.

Le serveur web consomme entre 1 et 2,5 watts d’énergie (selon le nombre de visiteurs), ce qui signifie qu’il consomme entre 24 et 60 Wh d’électricité par jour. Dans des conditions optimales, nous devrions donc disposer de suffisamment d’énergie pour faire fonctionner le serveur web 24 heures sur 24. La production excédentaire d’énergie peut être utilisée pour des applications domestiques.

Nous prévoyons de maintenir le site web en ligne pendant un ou deux jours de mauvais temps, après quoi il sera mis hors ligne.

Cependant, par temps nuageux, surtout en hiver, la production quotidienne d’énergie pourrait descendre à 4 heures x 10 watts = 40 watts-heures par jour, alors que le serveur nécessite entre 24 et 60 Wh par jour. La capacité de stockage de la batterie est d’environ 40 Wh, en tenant compte de 30 % des pertes de charge et de décharge et de 33 % de la profondeur ou de la décharge (le régulateur de charge solaire arrête le système lorsque la tension de la batterie tombe à 12 V).

Par conséquent, le serveur solaire restera en ligne pendant un ou deux jours de mauvais temps, mais pas plus longtemps. Cependant, il s’agit d’estimations et nous pouvons ajouter une deuxième batterie de 7 Ah en automne si cela s’avère nécessaire. Nous visons un uptime, c’est-à-dire un fonctionnement sans interruption, de 90 %, ce qui signifie que le site sera hors ligne pendant une moyenne de 35 jours par an.

Premier prototype avec batterie plomb-acide (12 V 7 Ah) à gauche et batterie Li-Po UPS (3,7V 6600 mA) à droite. La batterie au plomb-acide fournit l’essentiel du stockage de l’énergie, tandis que la batterie Li-Po permet au serveur de s’arrêter sans endommager le matériel (elle sera remplacée par une batterie Li-Po beaucoup plus petite).

Quel est la période optimale pour parcourir le site ?

L’accessibilité à ce site internet dépend de la météo à Barcelone en Espagne, endroit où est localisé le serveur. Pour aider les visiteurs à « planifier » leurs visites à Low-tech Magazine, nous leur fournissons différentes indications.

Un indicateur de batterie donne une information cruciale parce qu’il peut indiquer au visiteur que le site internet va bientôt être en panne d’énergie – ou qu’on peut le parcourir en toute tranquillité. La conception du site internet inclut une couleur d’arrière-plan qui indique la charge de la batterie qui alimente le site Internet grâce au soleil. Une diminution du niveau de charge indique que la nuit est tombée ou que la météo est mauvaise.

carte météo de l’ouest de l’Europe avec symboles de passages nuageux

Outre le niveau de batterie, d’autres informations concernant le serveur du site web sont affichées grâce à un tableau de bord des statistiques. Celui-ci inclut des informations contextuelles sur la localisation du serveur : heure, situation du ciel, prévisions météorologiques, et le temps écoulé depuis la dernière fois où le serveur s’est éteint à cause d’un manque d’électricité.

Matériel & Logiciel

Nous avons écrit un article plus détaillé d’un point de vue technique : Comment faire un site web basse technologie : logiciels et matériel.

SERVEUR : Ce site web fonctionne sur un ordinateur Olimex A20. Il est doté de 2 GHz de vitesse de processeur, 1 Go de RAM et 16 Go d’espace de stockage. Le serveur consomme 1 à 2,5 watts de puissance.

SOFTWARE DU SERVEUR : le serveur web tourne sur Armbian Stretch, un système d’exploitation Debian construit sur un noyau SUNXI. Nous avons rédigé une documentation technique sur la configuration du serveur web.

LOGICIEL DE DESIGN : le site est construit avec Pelican, un générateur de sites web statiques. Nous avons publié le code source de « solar », le thème que nous avons développé.

CONNEXION INTERNET. Le serveur est connecté via une connexion Internet fibre 100 MBps. Voici comment nous avons configuré le routeur. Pour l’instant, le routeur est alimenté par le réseau électrique et nécessite 10 watts de puissance. Nous étudions comment remplacer ce routeur gourmand en énergie par un routeur plus efficace qui pourrait également être alimenté à l’énergie solaire.

SYSTÈME SOLAIRE PHOTOVOLTAÏQUE. Le serveur fonctionne avec un panneau solaire de 50 Wc et une batterie plomb-acide 12 V 7 Ah. Cependant, nous continuons de réduire la taille du système et nous expérimentons différentes configurations. L’installation photovoltaïque est gérée par un régulateur de charge solaire 20A.

Qu’est-il arrivé à l’ancien site ?

Le site Low-tech Magazine alimenté par énergie solaire est encore en chantier. Pour le moment, la version alimentée par réseau classique reste en ligne. Nous encourageons les lecteurs à consulter le site alimenté par énergie solaire, s’il est disponible. Nous ne savons pas trop ce qui va se passer ensuite. Plusieurs options se présentent à nous, mais la plupart dépendront de l’expérience avec le serveur alimenté par énergie solaire.
Tant que nous n’avons pas déterminé la manière d’intégrer l’ancien et le nouveau site, il ne sera possible d’écrire et lire des commentaires que sur notre site internet alimenté par réseau, qui est toujours hébergé chez TypePad. Si vous voulez envoyer un commentaire sur le serveur web alimenté en énergie solaire, vous pouvez en commentant cette page ou en envoyant un courriel à solar (at) lowtechmagazine (dot) com.

Est-ce que je peux aider ?

Bien sûr, votre aide est la bienvenue.
D’une part, nous recherchons des idées et des retours d’expérience pour améliorer encore plus le site web et réduire sa consommation d’énergie. Nous documenterons ce projet de manière détaillée pour que d’autres personnes puissent aussi faire des sites web basse technologie.

D’autre part, nous espérons recevoir des contributions financières pour soutenir ce projet. Les services publicitaires qui ont maintenu Low-tech Magazine depuis ses débuts en 2007 sont incompatibles avec le design de notre site web poids plume. C’est pourquoi nous cherchons d’autres moyens de financer ce site :

1. Nous proposerons bientôt un service de copies du blog imprimées à la demande. Grâce à ces publications, vous pourrez lire le Low-tech Magazine sur papier, à la plage, au soleil, où vous voulez, quand vous voulez.
2. Vous pouvez nous soutenir en envoyant un don sur PayPal, Patreon ou LiberaPay.
3. Nous restons ouverts à la publicité, mais nous ne pouvons l’accepter que sous forme d’une bannière statique qui renvoie au site de l’annonceur. Nous ne travaillons pas avec les annonceurs qui ne sont pas en phase avec notre mission.

Le serveur alimenté par énergie solaire est un projet de Kris De Decker, Roel Roscam Abbing et Marie Otsuka.




La bataille du libre, un documentaire contributopique !

Nous avons eu la chance de voir le nouveau documentaire de Philippe Borrel. Un conseil : ne le loupez pas, et surtout emmenez-y vos proches qui ne comprennent pas pourquoi vous les bassinez avec « vos trucs de libristes, là »…

Ce n’est pas de la publicité, c’est de la réclame

Avertissement : cet article de blog est enthousiaste sans être sponsorisé (et oui : nous vivons à une époque où ce genre de précision est devenue obligatoire -_-‘…), car en fait, il est simplement sincère.

Et c’est pas parce qu’on y voit apparaître tonton Richard (the Stallman himself), l’ami Calimaq, les potes de Mozilla ou notre Pyg à nous, hein… C’est parce que ce documentaire montre que la palette du Libre s’étend très largement au-delà du logiciel : agriculture, outils, santé, autogestion… Il montre combien le Libre concrétise dès aujourd’hui les utopies contributives de demain, et ça, bizarrement, ça nous parle.

Sans compter que sa bande annonce a le bon goût d’être présente et présentée sur PeerTube :

Ce qui est brillant, c’est que ce documentaire peut toucher les cœurs et les pensées de nos proches dont le regard divague au loin dès qu’on leur parle de « logiciels », « services », « clients » et autre « code-source »… et qui ne comprennent pas pourquoi certaines variétés de tomates anciennes ont circulé clandestinement dans leur AMAP, ou qui s’indignent de la montée du prix de l’insuline et des prothèses médicales.

Des avant-premières à Fontaine, Nantes et Paris… et sur Arte

Une version « condensée » du documentaire (55 minutes sur les 87 de la version cinéma) sera diffusée le mardi 19 février à 23h45 sur Arte, sous le titre « Internet ou la révolution du partage »… et disponible en accès libre et gratuit sur la plateforme VOD d’Arte jusqu’au 12 avril prochain.

Mais pour les plus chanceuxses d’entre nous, pour celles et ceux qui aiment les grandes toiles et les ciné-débats, il y a déjà quelques avant-premières :

Nous continuerons d’en parler sur nos médias sociaux, car nous considérons que ce documentaire est un bien bel outil dont on peut s’emparer pour se relier à ces communautés qui partagent les valeurs du Libre dans des domaines autre que le numérique… Et il n’est pas impossible que vous rencontriez certain·e·s de nos membres lors d’une projection 😉

 




Un navigateur pour diffuser votre site web en pair à pair

Les technologies qui permettent la décentralisation du Web suscitent beaucoup d’intérêt et c’est tant mieux. Elles nous permettent d’échapper aux silos propriétaires qui collectent et monétisent les données que nous y laissons.

Vous connaissez probablement Mastodon, peerTube, Pleroma et autres ressources qui reposent sur le protocole activityPub. Mais connaissez-vous les projets Aragon, IPFS, ou ScuttleButt ?

Aujourd’hui nous vous proposons la traduction d’un bref article introducteur à une technologie qui permet de produire et héberger son site web sur son ordinateur et de le diffuser sans le moindre serveur depuis un navigateur.

L’article original est issu de la série Dweb (Decentralized Web) publiée sur Mozilla Hacks, dans laquelle Dietrich Ayala met le projecteur sur toutes les initiatives récentes autour du Web décentralisé ou distribué.

Traduction Framalang : bengo35, goofy

Blue Link Labs et Beaker

par Tara Vancil

Nous sommes Blue Link Labs, une équipe de trois personnes qui travaillent à améliorer le Web avec le protocole Dat et un navigateur expérimental pair à pair qui s’appelle Beaker.

L'équipe Blue Link Labs
L’équipe Blue Link Labs

 

Nous travaillons sur Beaker car publier et partager est l’essence même du Web. Cependant pour publier votre propre site web ou seulement diffuser un document, vous avez besoin de savoir faire tourner un serveur ou de pouvoir payer quelqu’un pour le faire à votre place.

Nous nous sommes donc demandé « Pourquoi ne pas partager un site Internet directement depuis votre navigateur ? »

Un protocole pair-à-pair comme dat:// permet aux appareils des utilisateurs ordinaires d’héberger du contenu, donc nous utilisons dat:// dans Beaker pour pouvoir publier depuis le navigateur et donc au lieu d’utiliser un serveur, le site web d’un auteur et ses visiteurs l’aident à héberger ses fichiers. C’est un peu comme BitTorrent, mais pour les sites web !

Architecture

Beaker utilise un réseau pair-à-pair distribué pour publier des sites web et des jeux de données (parfois nous appelons ça des « dats »).

Les sites web dat:// sont joignables avec une clé publique faisant office d’URL, et chaque donnée ajoutée à un site web dat:// est attachée à un log signé.
Les visiteurs d’un site web dat:// peuvent se retrouver grâce à une table de hachage distribuée5, puis ils synchronisent les données entre eux, agissant à la fois comme téléchargeurs et téléverseurs, et vérifiant que les données n’ont pas été altérées pendant le transit.

Schéma du réseau DAT
Une illustration basique du réseau dat://

 

Techniquement, un site Web dat:// n’est pas tellement différent d’un site web https:// . C’est une collection de fichiers et de dossiers qu’un navigateur Internet va interpréter suivant les standards du Web. Mais les sites web dat:// sont spéciaux avec Beaker parce que nous avons ajouté une API (interface de programmation) qui permet aux développeurs de faire des choses comme lire, écrire, regarder des fichiers dat:// et construire des applications web pair-à-pair.

Créer un site Web pair-à-pair

Beaker rend facile pour quiconque de créer un nouveau site web dat:// en un clic (faire le tour des fonctionnalités). Si vous êtes familier avec le HTML, les CSS ou le JavaScript (même juste un peu !) alors vous êtes prêt⋅e à publier votre premier site Web dat://.

Les développeurs peuvent commencer par regarder la documentation de notre interface de programmation ou parcourir nos guides.

L’exemple ci-dessous montre comment fabriquer le site Web lui-même via la création et la sauvegarde d’un fichier JSON. Cet exemple est fictif mais fournit un modèle commun pour stocker des données, des profils utilisateurs, etc. pour un site Web dat:// : au lieu d’envoyer les données de l’application sur un serveur, elles peuvent être stockées sur le site web lui-même !

// index.html
Submit message
<script src="index.js"></script>

// index.js
// first get an instance of the website's files
var files = new DatArchive(window.location)
document.getElementById('create-json-button').addEventListener('click', saveMessage)
async function saveMessage () {
var timestamp = Date.now()
var filename = timestamp + '.json'
var content = {
timestamp,
message: document.getElementById('message').value
}

// write the message to a JSON file
// this file can be read later using the DatArchive.readFile API
await files.writeFile(filename, JSON.stringify(content))
}

Pour aller plus loin

Nous avons hâte de voir ce que les gens peuvent faire de dat:// et de Beaker. Nous apprécions tout spécialement quand quelqu’un crée un site web personnel ou un blog, ou encore quand on expérimente l’interface de programmation pour créer une application.

Beaucoup de choses sont à explorer avec le Web pair-à-pair !

Documentation plus technique

  • How Dat works, un guide en anglais qui expose tous les détails sur le stockage des fichiers avec Dat
  • The Dat Protocol Book, également en anglais, plus complet encore.

 

À propos de Tara Vancil

Tara est la co-créatrice du navigateur Beaker. Elle a travaillé précédemment chez Cloudflare et participé au Recurse Center.