Microsoft Office à l’école française : stop ou encore ?

Todd Baker - CC byEst-il si loin le jour où nous verrons en France un reportage similaire à celui que nous avons choisi de reproduire ci-dessous ? Titré « le boum des logiciels libres », il nous vient de la TSR (Télévision Suisse Romande) dans le cadre de son émission Nouvo consacrée aux « nouvelles tendances et technologies » (canal YouTube).

Que dire sinon que cela fait plaisir à voir et que nous applaudissons des deux mains ! Difficile en effet selon nous de faire mieux dans le temps imparti. Nous avions d’ailleurs publié un article dédié à cette évolution libre du Canton de Genève[1].

Faut-il le rappeler (et bien moins pour nous enorgueillir que pour déplorer l’immobilisme de la situation de l’autre côté des Alpes) : c’est peu ou prou exactement le même discours que tient le Framablog depuis un petit bout de temps déjà.

Ainsi, il y a tout juste un an (au moment même où le Café pédagogique se découvrait VRP de son généreux sponsor américain) nous avions fait l’effort de traduire un long rapport britannique qui déconseillait, étude sérieuse et détaillée à l’appui, l’usage en milieu scolaire de la suite bureautique propriétaire Microsoft Office 2007 ainsi que le nouveau (et tant décrié) système d’exploitation Windows Vista. Nous étions bien naïfs en pensant alors que ce rapport allait un tant soit peu émouvoir la communauté et réussir à faire naître un débat en haut lieu.

Car il n’en fut rien.

Peut-être parce que l’influence de Microsoft à l’école française demeure aussi efficace que disproportionnée ?

Cela n’empêche certainement pas la suite OpenOffice.org de se déployer silencieusement chaque jour davantage dans toutes les écoles Jean-Macé et les lycées Sud Médoc de France. Mais nous serions certainement allés bien plus vite sans cette résistance passive de notre administration, SDTICE en tête.

Le temps de la décision volontariste et du courage politique est-il enfin venu ?

On notera que le reportage ne se résume pas à l’éducation, puisqu’on y évoque par la suite brièvement la situation du logiciel libre dans le secteur privé (qui ne connait pas la crise) et le secteur public (ici en milieu hospitalier). Avec cette conclusion réaliste : « Pourtant le grand public hésite toujours à faire le pas, fidèle à Microsoft et autres leaders du marché ».

Le boum des logiciels libres

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Reportage : Zian Marro / Montage : Sandro Milone – 1 juin 2009 – TSR (Nouvo)

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Transcript

Il s’agit de la retranscription de la première partie de la vidéo consacrée à l’éducation.

Voix off : Cours d’informatique dans cette classe de 8ème.

Le professeur : Le cours d’aujourd’hui consiste à faire faire aux élèves une feuille de calcul pour calculer leur moyenne à l’aide du logiciel libre Calc, qui est le correspondant en fait d’Excel.

Voix off : Les logiciels gratuits d’OpenOffice remplacent les bons vieux Word et Excel de Microsoft. Réputé compliqué, le libre a beaucoup évolué.

Un élève : C’est assez facile de travailler avec, surtout avec les profs qui nous donnent des consignes très claires. C’est très facile.

Voix off : Facile, mais aussi et surtout indépendant. Une ouverture qui plait aux profs.

Le professeur : On n’est pas soumis effectivement à l’hégémonie de certains logiciels. Pour avoir des nouvelles versions, à chaque fois il faut repayer etc. Donc, à mon avis, il faut s’affranchir dans une certaine mesure des logiciels dit propriétaires.

Voix off : Dans un ordinateur, le système d’exploitation, Windows par exemple, ainsi que les programmes sont payants. Aujourd’hui on peut facilement remplacer un, deux voire la totalité de ces coûteux logiciels par du libre. Et cette année l’État de Genève a édité un CD avec OpenOffice pour les élèves.

Une élève : Je trouve que c’est bien parce que comme ça on peut les avoir chez nous et on sait deja comment ça marche.

Voix off : Dans les écoles de Genève tous les ordinateurs sont equipés. L’État évite ainsi des frais de licences pour près de 900 000 francs par an, et surtout ne dépend plus de Microsoft.

Notes

[1] Crédit photo : Todd Baker (Creative Commons By)




Pourquoi je vais voter pour le Parti Pirate

Jon Aslund - CC byDemain c’est jour d’élection pour tous les pays de la communauté européenne. En Suède il est un parti tout à fait original, qui, si l’on en croit les derniers sondages, pourrait bien conquérir un siège au prochain Parlement : j’ai nommé le parti pirate (piratpartiet en suédois).

Wikipédia nous dit : « Le parti pirate est un parti politique de type contestataire, fondé en 2006, dont le leader est Christian Engström. Ce parti s’attache notamment à diminuer les droits de la propriété intellectuelle, comme le copyright, les brevets et la protection des œuvres. Le programme comprend aussi un soutien au renforcement des droits de vie privée (comme la propriété privée et les informations privées), à la fois sur Internet et dans la vie courante. Le parti n’a pas de programme autre que ce sujet et il n’est donc pas possible de lui attribuer une position de droite ou de gauche. »

Si chez nous c’est le débat sur l’Hadopi qui aura notoirement contribué à sensibiliser le grand public sur ces questions, chez eux c’est surtout le récent procès (et son verdict) contre le site d’échange de fichiers torrents The Pirate Bay[1] qui, en défrayant la chronique, a eu pour conséquence indirecte de voir un parti pirate, de plus en plus soutenu, occuper le devant de la scène.

Et parmi ces soutiens, il y a le romancier et professeur Lars Gustafsson, dont la maigreur de sa page Wikipédia en français ne doit pas vous tromper sur sa renommée nationale (et internationale). C’est la traduction (ci-dessous) de sa récente tribune au magazine Expressen qui sert de prétexte à ce billet. Qu’un intellectuel de tel renom achève son article en expliquant que « pour toutes ces raisons mon vote ira au parti pirate » a eu son petit effet chez nos amis nordiques et témoigne de l’intérêt que suscite ce parti (et le mouvement qu’il incarne) au sein de la société suédoise.

On notera que ce parti pirate connait de nombreuses déclinaisons dans les autres pays européens, mais aucun n’a le poids du piratpartiet et, de fait, aucun autre ne se présente aux élections.

En France la situation semble un peu confuse, puisqu’on a déjà, au moins, deux « partis pirates » alors même qu’on n’en a pas du tout entendu parler pendant le projet de loi Création et Internet. Il y a en effet un parti pirate canal historique (sic) et un parti pirate tout court. Ce dernier semble le plus crédible a priori, mais je manque d’informations. Peut-être viendront-ils apporter quelques précisions dans les commentaires…

Selon moi, et quand bien même cela ne soit ni son objectif ni sa fonction, une structure emmenée par La Quadrature du Net aurait pu y aller. Avec le risque bien sûr de se planter complètement et que cela se retourne contre elle. Mais elle aurait certainement récupérée pas mal d’abstentionnistes potentiels échaudés par l’épisode Hadopi et tout ce qui, à sa suite, semble se mettre en place. Jusqu’à peut-être, qui sait, gagner un élu, et causer ainsi localement un petit tremblement de terre politico-médiatique.

Mais je vous laisse avec Lars Gustafsson dont nous avons traduit la traduction anglaise de son texte d’origine…

Lars Gustafsson : « Pourquoi je donne mon vote au Parti Pirate »

Lars Gustafsson: “Why my vote goes to the Pirate Party”

Lars Gustafsson – Traduction anglaise Rasmus – 27 mai 2009 – Copyriot
(Traduction Framalang : Olivier)

Introduction du traducteur anglophone

Lars Gustafsson est sans doute l’écrivain suédois en vie le plus prolifique. Depuis les années 1950, il ne cesse de nous abreuver de poésie, de romans et de critiques littéraires. Il y a peu, il officiait encore comme professeur de philosophie à l’Université du Texas. De retour pour de bon en Suède, il vient de commencer à s’auto-publier sur un blog. Il est aussi le lauréat de nombreux prix littéraires, le plus récent date seulement de deux jours lorsque le prix Selma Lagerlöf lui a été remis.

Vous comprendrez donc pourquoi ses récentes déclarations dans le numéro de Expressen publié aujourd’hui ne passent pas inaperçues en Suède. Il y explique que le copyright doit être abandonné et il déclare que son vote ira au parti pirate aux élections européennes toutes proches.

Comme je pense que ce texte pourrait en intéresser plus d’un hors de Suède j’en ai fait une traduction rapide. Elle est sans doute loin d’être parfaite donc je vous demanderai de vous abstenir de poster des commentaires sur les erreurs de traductions, je vous invite plutôt à les corriger vous-mêmes et à indiquer l’adresse dans les commentaires !

Je dois aussi préciser que, personnellement, je ne partage pas entièrement l’analyse de Lars Gustafsson. La dichotomie entre matériel et immatériel particulièrement est problématique. Les technologies numériques offrent en effet la re-matérialisation n’importe où, c’est un point qui fait actuellement débat au sein de l’Embassy of Piracy, débat qui s’intensifiera à la Venice Biennale. Il y a aussi matière à remettre en question le concept de reproductibilité de Walter Benjamin. Cependant Lars Gustafsson, comme Walter Benjamin, a le mérite de réussir à formuler les conflits actuels en termes matérialistes et d’utiliser les références historiques à bon escient. Le débat est lancé. Encore une fois, pardonnez-moi s’il y a des erreurs de traduction…

La tribune de Lars Gustafsson

Därför röstar jag på Piratpartiet

Les écrits anciens qui sont parvenus jusqu’à nous racontent comment l’empereur perse ordonna que les vagues de la mer soient châtiées car une tempête l’empêchait de transporter ses troupes par navire.

Plutôt stupide. De nos jours il se serait sûrement plaint au tribunal d’instance de Stockholm, ou il aurait exigé un entretien avec le juge, peut-être…

La détresse des droits civiques au printemps 2009 me rappelle étrangement les luttes pour la liberté de la presse en France au cours des décennies qui précédèrent la révolution française. Des idées radicalement nouvelles émergent, des idées qui n’auraient jamais vu le jour sans les progrès galopants de la technologie.

Descentes contre les ateliers d’impression clandestins, pamphlets confisqués et même saisie du matériel d’impression. Mises aux arrêts et transports épiques sous le couvert de la nuit à destination de Paris depuis l’enclave prussienne de Neuchâtel – où non seulement une bonne partie de l’Encyclopédie a été produite mais à partir d’où énormément de pornographie osée a circulé également, dissimulée dans des pamphlets athéistes.

Entre les années 1730 et 1780 le nombre de censeurs d’État a quadruplé. Les descentes contre les ateliers d’impression clandestins augmentèrent proportionnellement. Avec le recul maintenant nous savons que ça n’a pas endigué le mouvement en marche. Au contraire, les nouvelles idées se sont encore plus développées et se sont répandues plus rapidement encore, stimulées par la censure toujours plus forte et les descentes dans les ateliers d’impression clandestins.

Le combat porte de nos jours sur la défense de l’essence même d’Internet, un espace de droits civiques et d’échange d’idées. Un espace qui doit rester vierge de toute menace sur la vie privée et de toute influence de puissants intérêts privés.

Le rejet d’une folle proposition de loi franco-allemande au Parlement européen n’est en aucun cas l’assurance que la vie privée en ligne restera un acquis.

Devons-nous vraiment nous inquiéter alors ? Prenons l’exemple de la rivière Dalälven. Au printemps elle est en crue, les pires années elle peut envahir les terres sur 100 voire 200 mètres alentour. Elle inonde alors les quartiers résidentiels et les prairies. Appeler les forces de l’ordre y changera-t-il quelque chose ?

Jusqu’à maintenant, l’Histoire nous montre que les lois n’ont jamais réussi à s’opposer au développement technologique.

Walter Benjamin est l’auteur d’un essai très important, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, dans lequel il tire quelques conclusions très intéressantes sur les évolutions qui doivent accompagner l’avènement de la reproductibilité, malgré son échelle encore modeste à l’époque. La révolution numérique pousse la reproductibilité à un niveau que Walter Benjamin n’aurait pas imaginé même dans ses rêves les plus fous. On peut parler de reproductibilité maximale. Google est sur le point de construire une bibliothèque qui, si on lui permet d’aller au bout de son projet, rendra la plupart des bibliothèques physiques obsolètes ou surannées. Le cinéma et la presse écrite se sont retrouvés les premiers entraînés dans cette nouvelle immatérialité.

Les films, les romans ou les magazines sont facilement reproductibles. Mais ce n’est pas tout, les objets en trois dimensions, comme ceux créés par des machines programmables, peuvent aussi être reproduits, rapidement et sans laisser de trace.

Cette dématérialisation menace naturellement le droit de la propriété intellectuelle. Nous ne parlons pas ici des difficultés que Jan Guillou et une bonne douzaine d’autres auteurs pourraient affronter pour s’acheter une autre maison de campagne encore. C’est un problème social dont, pour être honnête, je me contrefous.

Le droit de la propriété intellectuelle touche à des aspects bien plus sérieux : qu’ont apporté les brevets déposés par les grandes firmes pharmaceutiques sur les trithérapies aux pays du tiers monde ? Et que dire de l’appropriation de plantes et de cochons par Monsanto ?

La société est garante d’un équilibre juste entre des intérêts contraires, l’ignorer serait un non-sens hypocrite. Une armée de défense opérante est plus importante qu’une patinoire ou que des pistes cyclables. Le Net représente une menace pour la propriété intellectuelle ? Et alors ?

La liberté de pensée et la sécurité des citoyens, autrement dit un Internet que les tribunaux aux ordres des lobbies et que les hommes politiques européens bien dressés n’auront pas encore transformé en canal gouvernemental, est sans aucun doute bien plus important que les desiderata d’une scène littéraire et musicale devenue essentiellement industrielle, une industrie que les détenteurs de droits eux-mêmes voient s’effondrer au cours de leur vie. Le souhait de vendre beaucoup de copies ne doit pas prendre le pas sur celui d’être lu, d’influencer ou de décrire son époque. Quand tel est le cas, les intérêts industriels devraient être mis de côté au profit de la défense de l’Art avec un A majuscule.

Le souci premier de tout artiste ou auteur qui se respecte est certainement d’être lu ou entendu par ses contemporains. Les moyens pour atteindre cette fin, c’est-à-dire atteindre son public, de ce point de vue ne sont que secondaires.

Les combats, toujours plus nombreux, pour défendre la formidable liberté de parole offerte par Internet, les droits civiques immatériels, que nous voyons se propager de pays en pays sont les prémices d’un libéralisme porté par la technologie et qui donc accroit notre liberté, à l’instar des changements radicaux qu’a connu le 18ème siècle.

Pour toutes ces raisons mon vote ira au parti pirate.

Reportage vidéo de la télévision Suisse Romande

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Reportage : François Roulet / Montage : Sandro Milone – 5 juin 2009 – TSR (Nouvo)

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Notes

[1] Crédit photo : Jon Åslund (Creative Commons By)




Ad Bard, le Google Adsense (killer) du logiciel libre ?

Arturo de Albornoz - CC by-saQue ne diriez-vous d’une régie publicitaire de type Google Adsense mais qui n’afficherait sur vos sites que des liens promotionnels en liaison avec le logiciel libre. Une sacrée bonne idée non ?

On se débarrasserait de l’emprise de Google sur ce secteur. On aurait l’assurance que les liens proposés ne pointent pas vers du logiciel propriétaire. Et on permettrait à l’économie du logiciel libre de se développer !

C’est ni plus ni moins ce que propose le nouveau service Ad Bard, « The ad network for ethical computing », soutenu par la Free Software Foundation (FSF) dans un récent communiqué que nous avons traduit ci-dessous.

Nous n’en sommes qu’au démarrage. Il faudra s’assurer que les liens proposés sont bien conforme à cette « éthique », que financièrement annonceurs et afficheurs s’y retrouvent[1], que cela se déclinera en versions localisées (pour faire apparaître des publicités en français), etc. Bref s’assurer que cette confiance qu’on leur accorde a priori sera bien effective.

Il n’en demeure pas moins que le potentiel du projet est énorme. Quel plaisir que de voir le Libre occuper également cette case, que l’on croyait définitivement squattée par la pieuvre Google !

La FSF souhaite la bienvenue à AdBard, régie publicitaire du logiciel libre

FSF welcomes AdBard network for free software advertising

Communiqué – 2 juin 2009 – FSF.org
(Traduction Framalang : Pierre Misandeau)

La communauté du logiciel libre dispose maintenant d’une alternative éthique aux régies publicitaires qui œuvrent à la promotion des logiciels propriétaires.

À l’occasion de son lancement, La Free Software Foundation (FSF) présente aujourd’hui ses vœux de réussite à la nouvelle régie publicitaire AdBard consacré à la promotion des produits et services relatifs au logiciel libre et Open Source.

Créée par Tag1 Consulting, la régie publicitaire AdBard se veut au service des sites Web qui font la promotion du logiciel libre, pour les aider à entrer en relation avec les entreprises vendant des produits et services ciblant ce public. AdBard résout ainsi le problème de l’affichage de publicités vantant des logiciels propriétaires sur des sites militants pour la liberté de l’utilisateur, problème que provoquaient l’inscription à des régies publicitaires plus génériques.

« La FSF dispose maintenant d’une alternative éthique aux régies publicitaires œuvrant à la promotion du logiciel propriétaire » déclare Peter Brown, directeur exécutif de la FSF. « C’est un progrès énorme pour beaucoup des sites au service de la communauté. Et nous souhaitons un plein succès à AdBard et aux sites qui afficheront les publicités d’AdBart. Nous espérons également que d’autres régies publicitaires s’inspireront de cet exemple et adopteront des politiques similaires. »

« AdBart est une excellente façon de rapprocher annonceurs et éditeurs au sein de la communauté du logiciel libre, et d’aider à la croissance du marché des services autour du logiciel libre. » affirme Jeremy Andrew, PDG de Tag1.

La FSF n’a pas reçu d’argent d’AdBard et ne possède pas d’intérêt financier dans Tag1 Consulting, mais procède à cette annonce pour aider les sites Web de la communauté du Libre qui ont fait le choix des revenus publicitaires à cesser de légitimer le logiciel propriétaire en affichant ses publicités.

Kernel Trap, Libre.fm et Boycott Novell comptent parmi les sites web qui utilisent déjà AdBard (la liste complète). Pour les annonceurs, suivre ce lien.

Notes

[1] Crédit photo : Arturo de Albornoz (Creative Commons By-Sa)




Internet n’est pas un droit fondamental, Internet est fondamental en soi !

Dalbera - CC byAprès des mois de contestation, des jours de joutes verbales à l’Assemblée nationale, la loi dite « Internet et Création » qui doit instaurer l’HADOPI a été votée.

Le problèmes et les questions que soulèvent cette loi vont rester au cœur de l’actualité pendant quelque temps encore, d’une part parce que la lutte anti-HADOPI est loin d’être terminée (et que cette loi n’est pas près d’être applicable), et d’autre part parce que la LOPPSI 2, qui prévoit une surveillance constante des échanges sur le Web sous des prétextes sécuritaires[1], va bientôt être au centre d’une nouvelle lutte qui promet d’être elle aussi acharnée.

Une des pommes de discorde, qui oppose actuellement certains membres du gouvernement et les opposants à ces lois, est le statut que l’on doit accorder à l’Internet, que l’on peut résumer d’une simple question : l’accès à l’Internet constitue-t-il un « droit fondamental » ?

Non, répondent en chœur Christine Albanel et Jean-François Coppé, quitte à se déclarer ainsi ouvertement contre l’avis du Parlement européen.

Dana Blakenhorn, chroniqueur Open Source chez ZDNet, a pour sa part un avis original sur la question. Il nous explique, arguments économiques à l’appui qui ne devraient pas être étranger à nos dirigeants actuels, que l’Internet n’est pas à ses yeux un droit fondamental mais que l’Internet est fondamental.

Une traduction Framalang of course…

De l’aspect fondamental de l’accès à Internet

The fundamental value of Internet access

Dana Blakenhorn – 8 mars 2009 – ZDNet
(Traduction Framalang : Don Rico et Tyah)

Doit-on considérer l’accès à Internet plus important que la télévision par câble ou le téléphone ?

En d’autres termes, s’agit-il d’un luxe ou devrait-il être un droit ?

Matt Asay est du premier avis. Il ne souhaite pas que l’on définisse Internet comme un droit fondamental.

Je suis d’accord avec lui, mais pour une tout autre raison.

Les droits fondamentaux, on peut vous en déposséder. Quiconque aura subi la torture et se sera vu privé de sa liberté d’expression, sait que nos droits n’ont de vraiment fondamental que notre volonté commune de les respecter.

Mon représentant au Congrès est John Lewis. Lorsqu’il était enfant, en Alabama, alors que sévissait encore la ségrégation dans les États du Sud, il ne jouissait d’aucun droit. Il a dû les réclamer, manifester, et se faire battre jusqu’au sang pour les obtenir.

La Constitution, ce ne sont que des mots, tout comme le Bill of Rights (NdT : Déclaration des droits américaine). Un simple mémo suffit pour passer outre ou les restreindre.

L’accès à Internet est donc plus fondamental que nos droits. C’est une nécessité économique.

Au XXIème siècle, ceux qui n’ont pas d’accès à Internet ont moins de poids économique que les autres. Ils ont moins accès à la formation, n’ont aucun moyen de découvrir d’autres horizons (ce pourquoi la télévision est dépourvue d’intérêt). Leur rapport au monde n’est que local, sauf pour les rares personnes qui gardent encore le contact avec leurs proches par téléphone ou par courrier.

Je suis assez âgé pour me souvenir d’un monde avant que la Toile ait été tissée, lorsque aller sur Internet était réservé à certains privilégiés. Je vais renouer avec mes souvenirs de ce monde grisant le mois prochain, quand je rendrai visite à des amis japonais.

Mon dernier séjour là-bas remonte à 1989. Je m’y étais rendu pour suivre une conférence organisée par l’Electronic Networking Association, un des tout premiers groupes promouvant le réseau.
Là-bas, j’ai écrit quelques articles pour Newsbytes, le service d’informations en ligne pour qui je travaillais à l’époque. Après avoir trouvé une prise de téléphone, j’y connectais le modem de mon portable et envoyais mes articles à un rédacteur en chef à Londres, qui transmettait au directeur de la publication à San Francisco.

Toute technologie suffisamment avancée confine à la magie, et il y a vingt ans encore ce genre d’accès limité à des ressources en ligne avait quelque chose de magique.
De nos jours, mes enfants prennent tout cela pour acquis. Ni l’un ni l’autre n’a de souvenir d’un temps où l’Internet n’existait pas. Ma fille trouve normal de pouvoir télécharger un itinéraire détaillé pour se rendre à une université susceptible de l’accueillir. Mon fils trouve normal de pouvoir discuter de jeux vidéos et d’informatique avec des copains du monde entier.

L’accès à Internet est donc fondamental pour l’interaction de mes enfants avec le reste du monde. Il est la condition à leur utilité économique, à leur capacité à apprendre, et même à bon nombre de leurs relations amicales.
Rendre cela possible, ou pas, n’est pas une question de « droits », mais c’est fondamental.

Il est fondamental pour notre avenir en tant que nation que chacun dispose du meilleur accès possible à cette ressource. Tout comme il est fondamental que nous puissions tous profiter de notre réseau routier.
Conduire n’est pas un « droit », mais chacun sait que ne pas savoir conduire représente un handicap. Ceux qui n’ont pas le permis et ne disposent pas de transports publics à proximité de chez eux sont isolés économiquement parlant, ne peuvent se rendre à leur travail, à l’école ou dans les magasins.

À moins, bien sûr, qu’ils disposent d’un accès à Internet, grâce auquel ils peuvent pallier ce manque. Plus l’accès sera de qualité, mieux nous nous en porterons.
Ainsi, c’est donc Internet, la véritable passerelle vers le XXIème siècle, et ceux qui en seront dépourvus ne pourront effectuer la traversée.

Internet n’est pas un droit fondamental, Internet est fondamental en soi.

Notes

[1] Crédit photo : Dalbera (Creative Commons By)




Sarkozy a un plan selon Guillaume Champeau

Judepics - CC bySi vous comptiez vous reposer un peu après l’éreintant épisode Hadopi, c’est raté.

En effet, un article important est apparu la semaine dernière dans le flux continu de mes fils RSS, Décryptage : Sarkozy et son œuvre de contrôle du net de Guillaume Champeau du site Numerama.

C’est un peu long (liens hypertextes inclus), mais si l’on souhaite réellement se donner les moyens de comprendre certaines choses dans le détail, il va bien falloir accepter de temps en temps d’aller plus loin que les 140 caractères des messages Twitter ! C’est également assez courageux, parce que c’est typiquement le genre d’articles qui ne vous fait pas que des amis, sauf à considérer que les RG peuvent devenir de nouveaux amis.

Guillaume Champeau en a d’ailleurs remis une couche ce week-end, chez la petite webradio associative qui monte OxyRadio, au cours de l’émission Les enfants du Web animé de sa voix suave et viril par notre ami Mathieu Pasquini (licence Creative Commons By-Sa).

À podcadster, à écouter, à faire écouter :


Télécharger : mp3 ou ogg

J’aurais aimé ne pas l’écrire mais ça ressemble beaucoup à du « nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas »[1].

Décryptage : Sarkozy et son œuvre de contrôle du net

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Guillaume Champeau – 20 mai 2009 – Numerama
Licence Creative Commons By-Nc-Nd

« Le président de la République actuel a un plan ». C’est la première phrase du livre de François Bayrou, Abus de Pouvoir, et l’on peut la vérifier au moins en ce qui concerne le contrôle du net. Depuis la loi DADVSI où il était président de l’UMP et ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy a déployé son plan pour contrôler le net. Il a commencé à l’appliquer avant-même la loi Hadopi, et prévoit de le parachever avec la Loppsi. Dans cet article exceptionnellement long, Numerama tente un décryptage du net selon Sarkozy.

Petit à petit, les pièces du puzzle s’assemblent et l’image se révèle sous nos yeux. Le projet de loi Création et Internet n’a pas encore été promulgué que déjà le morceau suivant s’apprête à faire son apparition. Projet de loi après projet de loi, décret après décret, nomination après nomination, Nicolas Sarkozy prépare méthodiquement les moyens pour le gouvernement de contrôler Internet… et les internautes.

Lundi, Le Monde a publié un excellent article sur la prochaine loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi, ou Lopsi 2), qui montre ce que prévoit le nouveau texte commandé par Nicolas Sarkozy : installation de mouchards électroniques sans vérification de leur légalité par les services de l’Etat, légalisation des chevaux de Troie comme mode d’écoute à distance, création d’un super-fichier « Périclès » regroupant de nombreuses données personnelles (numéros de carte grise, permis de conduire, numéros IMEI des téléphones mobiles, factures…), création d’un délit d’usurpation d’identité, pouvoir de géolocaliser les internautes, …

Sans cesse repoussée, la loi est attendue de pieds fermes par Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs en partie elle qui a justifié l’obsession du Président à maintenir contre vents et marée la loi Hadopi. Car « le président de la République actuel a un plan ». Pour le comprendre, il nous faut accumuler les pièces à conviction. Certaines relèvent très certainement de la paranoïa, d’autres sont véritablement réfléchies par le Président.

Mises bout à bout, elles laissent peu de doute sur la volonté de Nicolas Sarkozy de contrôler le net, aussi bien dans son contenu que dans son infrastructure.

Au commencement, Nicolas Sarkozy voulu devenir Président

Très tôt dans sa carrière politique, Nicolas Sarkozy n’a eu qu’une obsession : devenir président de la République. Et une vision : pour y parvenir, il fallait contrôler les médias. Maire de Neuilly-Sur-Seine, il s’efforce de faire entrer rapidement dans son cercle d’amis proches les Martin Bouygues, Lagardère (père et fils) et autres Dassault qui le conduiront par leur amitié complice au sommet du pouvoir. C’est d’autant plus facile que ces capitaines d’industrie, propriétaires de médias, dépendent pour l’essentiel de leurs revenus des commandes de l’État. Entre amis, on sait se rendre des services…

Toute cette énergie de réseautage a été mise au service de son ambition présidentielle. En 2007, c’était la bonne. Première tentative, première victoire. Mais Nicolas Sarkozy a eu chaud. Il avait négligé Internet. A quelques points près, François Bayrou – qui a au contraire beaucoup misé sur Internet pendant la campagne – passait devant Ségolène Royal au premier tour de la Présidentielle, et c’est le leader du MoDem qui se serait retrouvé à l’Elysée.

Il serait faux toutefois de prétendre que Nicolas Sarkozy, qui s’était assuré le soutien du blogueur Loïc Le Meur (à l’époque le plus influent), s’est aperçu trop tard du pouvoir du net. Fraîchement élu, le président Sarkozy n’avait pas tardé à demander « l’avènement d’un internet civilisé », prônant une « campagne de civilisation des nouveaux réseaux ». Le coup de Trafalgar du refus de la Constitution européenne par les Français avait montré pour la première fois au monde politique les limites des médias traditionnels face à Internet, où l’opposition au texte européen fut virulente. Les amis de Nicolas Sarkozy dans les grands médias et l’industrie culturelle l’ont très vite convaincu qu’il fallait faire quelque chose. Lui pour conserver le pouvoir, eux pour limiter cette concurrence gênante. C’est Renaud Donnedieu de Vabres (RDDV) qui s’est chargé des basses oeuvres, sous l’oeil attentif de son président de l’UMP et ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy.

DADVSI et HADOPI : les premières pierres vers le filtrage

Derrière les apparences d’une première loi contre le piratage sur Internet, comme l’avait prédit le journaliste américain Dan Gillmor, c’est une alliance à trois qui s’est formée entre le pouvoir politique, le pouvoir médiatique et l’industrie culturelle. A peine la riposte graduée (déjà) adoptée, RDDV avait prévenu que la loi DADVSI « n’est que le premier d’une longue série d’adaptations de notre droit à l’ère numérique », et qu’il comptait bien s’attaquer « un jour au problème de la presse et de l’Internet ». C’était en 2006.

Affaibli par la débâcle de DADVSI, le ministre de la Culture n’a pas eu le temps de mettre son projet en application. Mais l’idée d’accorder un label à la presse professionnelle en ligne et de doter les sites de presse d’un statut particulier opposé aux blogs était née. Nicolas Sarkozy l’a mise en application cette année. Le tout en permettant à la vieille presse papier de bénéficier par ailleurs de substantielles aides de l’État, contraires à la libre concurrence, pour investir le net.

Avec la loi Hadopi, qu’il a maintenu jusqu’à mettre en péril la cohésion du groupe UMP, le chef de l’État a réussi à imposer à tous les foyers français l’installation d’un « logiciel de sécurisation », qui, sous la forme d’un mouchard, aura pour but de filtrer les sites internet et certains logiciels. Soit de manière franche, en bloquant l’accès à des contenus ou des protocoles. Soit de manière plus sournoise, en mettant en place un système qui met en avant les sites labellisés par l’Hadopi ou par les ministères compétents, pour mieux discréditer les autres. Les sites de presse professionnels feront bien sûr partis un jour des sites labellisés, tandis que la multitude de blogs ou de sites édités par des journalistes non professionnels verront leur crédibilité mise en doute. Pour le moment on ne sait rien du périmètre des caractéristiques imposées par l’Etat aux logiciels de sécurisation, et c’est bien là sujet d’inquiétudes. Il suffira d’étendre par décret la liste des fonctionnalités exigées pour que la censure se fasse de plus en plus large et précise, hors du contrôle du législateur ou du juge.

LOPPSI : le filtrage imposé aux FAI

Si elle prévoit la création de ce logiciel de sécurisation, et suggère fortement son installation, la loi Hadopi ne fait cependant pas de son installation une obligation. Le risque d’inconstitutionnalité serait trop fort. Il faut donc compléter le tableau, en organisant un filtrage au niveau de l’infrastructure du réseau. C’est le rôle de la loi Loppsi, chapeautée par Michèle Alliot-Marie.

Entre autres choses, la Loppsi va imposer aux FAI une obligation de filtrage de résultat. Ils auront le devoir de bloquer l’accès à des sites dont la liste sera déterminée par l’administration, sous le secret. Ce qui n’est pas sans poser d’énormes problèmes dans les quelques pays qui ont déjà mis en place cette idée. Là aussi, une fois mis le pied dans la porte, sous prétexte de lutter contre la pédophilie (une tentation du pathos contre laquelle il faut résister), il suffira d’étendre la liste des exceptions qui donnent droit au filtrage. Ici pour les maisons de disques victimes de piratage, là pour les sites de presse suspectés de diffamation, ou pour les sites de jeux d’argent qui ne payent pas leurs impôts en France. La liste n’aura de limites que l’imagination et l’audace des gouvernants.

Encore faut-il que ces idées de contrôle du net puissent se mettre en place sur le terrain, ce qui nécessite des hommes et des femmes peu regardants. C’est dans cet art que Nicolas Sarkozy excelle le plus.

Le choix des hommes, le triomphe des idées

Dès 2006, Nicolas Sarkozy a compris qu’il aura besoin de verrouiller son gouvernement et les télécoms pour mettre en place son plan de contrôle d’internet. Christine Boutin, qui avait été une farouche et convaincante opposante à la loi DADVSI fin 2005 (au point de faire basculer le vote de certains députés UMP pour la licence globale), et qui avait défendu l’idée d’un internet libre, s’est ensuite mue dans un silence confondant à la reprise des débats en mars 2006. En échange, et entre temps, elle a reçu la promesse de Nicolas Sarkozy d’entrer au gouvernement après les élections présidentielles si elle mettait sa langue dans sa poche. Les deux ont tenu parole.

Président de la République, Nicolas Sarkozy a ainsi composé son gouvernement de manière à accomplir son oeuvre sans opposition interne. Nadine Morano à la Famille, et Michèle Alliot-Marie à l’Intérieur, n’ont pas eu besoin de forcer leur nature pour prêcher la censure de certains sites Internet ou le filtrage des sites pédophiles ou terroristes. Porte-parole de l’UMP, pilotée par l’Elysée, le lobbyiste Frédéric Lefebvre ne passe plus une semaine sans se confondre en invectives contre Internet, et réclamer le filtrage. En plaçant l’ex-socialiste Eric Besson au numérique, Sarkozy pensait peut-être aussi paralyser les critiques à la fois de son propre camp et de l’opposition, tout en s’assurant le soutien d’un homme qui a troqué ses convictions pour son ambition. En le remplaçant par Nathalie Kosciusko-Morizet, plus rebelle, Sarkozy a pris un risque. Mais il fait aussi un pari. Celui que son frère Pierre Kosciusko-Morizet, président des deux plus gros lobbys français du numérique hostiles au filtrage, serait moins audible dans son opposition si sa soeur est systématiquement suspectée de collusion lorsqu’elle défend le même point de vue. Ce qui n’a pas manqué lorsque PKM a prêché, dans le vide, un moratoire sur la loi Hadopi.

Il a fallu aussi convaincre dans les télécoms. Free, à la nature frondeuse, reste le plus difficile à manipuler pour Nicolas Sarkozy. Il a toutefois trouvé une arme : la quatrième licence 3G. L’opérateur sait qu’elle va être rapidement indispensable pour continuer à concurrencer Bouygues, SFR et Orange, qui peuvent tous proposer des offres regroupant ADSL et mobile. Mais elle est dépendante de la volonté du gouvernement. Très rapidement, Christine Albanel a fait comprendre à Free qu’il devrait être obéissant pour espérer accéder à la fameuse licence. Depuis, le dossier ne cesse d’être repoussé sous des prétextes fumeux, et Free a mis de l’eau dans son vin contre Hadopi et contre le filtrage, dans l’espoir de ne pas hypothéquer ses chances d’avoir accès à la téléphonie mobile.

Pis, Nicolas Sarkozy a fait nommer numéro deux de France Telecom Stéphane Richard, le directeur de cabinet de Christine Lagarde, qui ne compte « que des amis » dans la commission qui déterminera le prix de la quatrième licence 3G. L’homme aura également pour mission de mettre en oeuvre le filtrage chez Orange, qu’il dirigera d’ici deux ans.

Le contrôle des institutions ayant leur mot à dire sur le filtrage

Enfin, Nicolas Sarkozy s’est également assuré de contrôler les institutions qui pourraient lui faire de l’ombre. La CNIL, qui s’est opposée à l’Hadopi, n’aura pas le droit de siéger au sein de la haute autorité. Les amendements le proposant ont été refusés. Elle n’a pas non plus eu le droit de publier son avis contre la loi Hadopi, et les deux députés commissaires de la CNIL, tous les deux membres de l’UMP, ont voté pour la loi. L’un des deux, Philippe Gosselin, a même été un farouche défenseur de la loi à l’Assemblée, et sans doute au sein de l’institution. Dans son dernier rapport annuel, la CNIL a dénoncé l’omerta imposée par le gouvernement, et son manque d’indépendance, notamment financière.

Plus directement, Nicolas Sarkozy a également évincé l’autorité de régulation des télécommunications (Arcep) des études sur le filtrage, auquel elle était hostile. Redoutant que l’autorité ne reste trop à l’écoute des professionnels des télécoms et des internautes, le président de la République a récemment mis à la tête de l’Arcep Jean-Ludovic Silicani, l’ancien président du Conseil de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). Un homme notoirement favorable au filtrage et à la lutte contre le P2P. Le CSPLA, rattaché au ministère de la Culture, compte par ailleurs parmi ses membres le Professeur Sirenelli, à qui le gouvernement confie quasiment toutes les missions juridiques liées au filtrage depuis quatre ans, avec un résultat certain.

Finalement, c’est au niveau européen que Nicolas Sarkozy compte ses plus forts adversaires. Il a entamé un bras de fer avec le Parlement Européen sur l’amendement Bono, et exerce un lobbying intense sur les États membres pour qu’ils refusent de marquer dans le marbre le principe du respect de la neutralité du net, contraire au filtrage. Il peut compter sur le soutien de Silvio Berlusconi, propriétaire de médias, qui met en place exactement le même plan en Italie. Mais il redoute l’opposition des députés européens.

D’où l’importance des élections européennes du 7 juin prochain. De leur résultat dépendra peut-être la réussite ou l’échec du plan mis en place par Nicolas Sarkozy.

Notes

[1] Crédit photo : Judepics (Creative Commons By)




S’il te plaît… dessine-moi une ville libre

Sophiea - CC byUne « ville libre » vous en rêviez ? Vancouver tente dès aujourd’hui de le réaliser.

Il convient bien entendu de s’entendre sur ce qu’est, ou plutôt pourrait, être une « ville libre ». Mais la motion, présentée il y a peu au conseil municipal de la plus grande cité de Colombie-Britannique (Canada), dessine les contours d’un séduisant possible « vivre ensemble urbain » du futur[1].

Au menu, entre autres choses : interopérabilité, standards ouverts, logiciels libres, mises à disposition des données, et incitation citoyenne à s’approprier ces outils et informations pour créer de nouveaux services.

Libres enfants de Vancouver, vous en avez de la chance. Parce que si ce texte se trouvait adopté vous grandiriez alors dans un monde plus ouvert et plus juste, que vos parents n’auraient pas même pu imaginer il y a à peine dix ans de cela.

PS1 : Pour aller plus loin, on pourra parcourir l’excellent article de Fabrice Epelboin (ReadWriteWeb) Qui écrira la démocratie électronique de demain ? qui relate les avancées américaines tout en se désolant à juste titre de la situation française.

PS2 :Vidéo YouTube de la lecture publique de la motion à la mairie.

Vancouver ouvre l’âge de la ville Open Source

Vancouver enters the age of the open city

David Eaves – 14 mai 2009 – Blog
(Traduction Framalang : Claude et Don Rico)

La municipalité de Vancouver a planifié une réunion du conseil au cours de laquelle a été lue la motion suivante :

Déclaration de motion

Open Data, Standards Ouverts et Open Source
Auteur : Mme la conseillère municipale Andrea Reimer
Intercesseur: Mme la conseillère

Attendu que la Ville de Vancouver légifère loyalement au sein du City Hall (NdT : la mairie) à l’écoute des citoyens et des sollicitations relatives à leurs idées, propositions et énergie créatrice ;

Attendu que les municipalités du Canada ont l’opportunité de réduire fortement leurs dépenses en partageant et soutenant les logiciels qu’elles utilisent ou créent ;

Attendu que la valeur absolue des données publiques est maximisée lorsqu’elle est fournie gratuitement ou, si nécessaire, pour un coût minimal ;

Attendu que lorsque les données sont partagées librement, les citoyens ont la possibilité de les utiliser et de les transformer, favorisant ainsi la création d’une cité plus dynamique économiquement et plus respectueuse de l’environnement ;

Attendu que Vancouver a besoin de chercher des opportunités de création d’activité économique et de partenariat avec les secteurs technologiques innovants ;

Attendu que l’adoption des standards ouverts facilite la transparence, l’accès aux informations de la ville par les citoyens,(attendu) qu’ils améliorent la coordination et l’efficacité des relations municipales avec leurs partenaires fédéraux et provinciaux ;

Attendu que l’ICIS (NdT : Integrated Cadastral Information Society pour Système d’information cadastral) est une organisation à but non lucratif créé en partenariat avec les gouvernements locaux, les gouvernements provinciaux et les principaux services publics de Colombie Britannique afin de partager et intégrer les informations géographiques, à laquelle adhèrent 94 % des gouvernements locaux de Colombie Britannique, mais pas Vancouver ;

Attendu que l’innovation informatique peut améliorer les communications entre citoyens, renforcer l’image d’une ville créatrice et innovante, améliorer la fourniture des services, aider les citoyens à s’autogérer et résoudre leurs problèmes, mais aussi créer un sentiment plus fort d’engagement civique, de communauté et de fierté ;

Attendu que la ville de Vancouver possède d’incroyables ressources de données et d’informations, et qu’elle a récemment reçu le prix Best City Archive of the World (meilleures archives municipales du monde).

En conséquence, qu’il soit assuré que la ville de Vancouver approuve les principes suivants :

– Données accessibles et ouvertes : la ville de Vancouver partagera librement avec les citoyens, les entreprises et les autres juridictions la plus grande quantité de données possible en respectant la vie privée et la sécurité.
– Standards Ouverts : La ville de Vancouver adoptera le plus rapidement possible les standards ouverts en vigueur pour les données, documents, cartes et autres formats de diffusion.
– Logiciels Open Source : la ville de Vancouver, au moment du remplacement des logiciels existants ou de l’étude de nouvelles applications, mettra les logiciels Open Source à pied d’égalité avec les systèmes commerciaux au cours de la passation de marché.

En conséquence, dans cette volonté de favoriser les données ouvertes, la ville de Vancouver :

– Identifiera les opportunités immédiates permettant une plus grande distribution de ses données.
– Indexera, publiera et syndiquera ses données sur l’Internet au moyen des standards, interfaces et formats ouverts en vigueur.
– Mettra en place les accords appropriés en vue du partage de ses données avec l’ICIS (Integrated Cadastral Information Society) et encouragera l’ICIS à partager ses données avec le grand public.
– Développera un plan de numérisation et distribuera librement les archives disponibles au public.
– S’assurera que les données fournies à la ville par des tierces parties (développeurs, prestataires, consultants) sont libres, dans un format ouvert en vigueur, et non soumises à des droits d’auteurs ou aux lois du copyright, exception faite d’empêchement pour considérations légales.
– Mettra sous licence toutes les applications logicielles développées par la ville de Vancouver de sorte qu’elles pourront être utilisées par les autres municipalités, les entreprises et le public sans restriction.

En conséquence, le City Manager (NdT : le gérant municipal) aura pour tâche de développer un plan d’action en vue de la mise en application du texte ci-dessus.

Nous sommes nombreux à avoir travaillé d’arrache-pied pour mettre en place cette motion. Même si plusieurs villes comme Portland, Washington DC ou Toronto, ont mis en œuvre certaines des idées défendues dans cette motion, aucune ne l’avait codifié ou n’avait été aussi claire et explicite dans ses intentions.

Je vois certainement cette motion comme la pierre angulaire d’une transformation de Vancouver en ville ouverte (NdT : Open City), ou comme le formule mon ami Surman, en ville qui pense comme le Web.

À plus haut niveau, l’objectif qui anime cette motion est de permettre aux citoyens de créer, concevoir et contrôler l’expression virtuelle de leur ville afin qu’ils puissent en retour influer sur la ville réelle et physique.

Dans la pratique, je crois que cette motion va accentuer plusieurs résultats :

  • De nouveaux services et programmes : les données étant ouvertes, partagées et possédant des APIs (interfaces utilisateurs) dédiées, nos concitoyens codeurs vont créer des applications Web qui faciliteront leur vie (et celle des autres), les rendront plus efficaces et plus plaisantes.
  • La possibilité de piocher dans la longue traîne de l’analyse politique publique : plus les habitants de Vvancouver consulteront les données, les cartes et les autres informations de la municipalité, plus ils remarqueront les lacunes, les problèmes et autres difficultés, d’où un potentiel d’économie d’argent, d’amélioration des services et, de manière plus générale, d’édification d’une ville plus puissante.
  • La création de nouvelles entreprises, rendre la ville plus attractive pour les compétences : comme la ville partage plus de données et utilise plus de logiciels Open Source, les nouvelles entreprises créant du service autour de ces données vont éclore. De manière plus générale, je pense que cette motion, au fil du temps, va attirer le talent à Vancouver. Selon Paul Graham, les grands programmeurs veulent de bon outils et des défis intéressants. Nous leur offrons les deux: le défi d’améliorer la ville où ils vivent ainsi que les outils et données pour les assister.

Ceux qui souhaiteraient assister au conseil municipal afin de soutenir cette motion trouveront les détails ici. La réunion du conseil est Mardi 19 Mai à 14 heures. Vous pouvez aussi voir la séance en direct.

Ceux qui veulent écrire une lettre pour soutenir la motion peuvent l’envoyer à cette adresse.

Notes

[1] Crédit photo : Sophiea (Creative Commons By)




Cinq millions d’euros qu’on eût pu dépenser autrement

Une billet quelque part révélateur de la « mentalité propriétaire » qui règne en haut lieu au sein de l’Éducation nationale…

Le 31 mar dernier, Xavier Darcos lançait officiellement le plan de développement du numérique dans les écoles rurales (c’est moi qui souligne) :

Ce programme, doté d’un budget de 50 millions d’euros, prévoit l’équipement de 5 000 écoles situées dans les communes rurales de moins de 2 000 habitants dans le cadre du Plan de relance.

(…) Une école numérique interactive comprendra nécessairement des ordinateurs en nombre suffisant (classe mobile de plusieurs ordinateurs), un tableau blanc interactif, un accès internet de haut débit, une mise en réseau des équipements, une sécurisation des accès internet, des ressources numériques reconnues de qualité pédagogique.

(…) Chaque école bénéficiera également d’un droit de tirage de 1 000 euros pour l’acquisition de ressources numériques éducatives, mises à disposition par le ministère.

Avec ce plan de relance en faveur de l’équipement numérique des écoles rurales, Xavier Darcos veut donner à chaque élève, partout sur le territoire, les mêmes chances de maîtriser les techniques d’information et de communication et développer des outils nouveaux au service de l’enseignement.

Difficile de ne pas acquiescer à ce dernier paragraphe, et j’espère vivement que ces écoles profiteront pleinement de ce plan[1].

Mais, le diable se cachant dans les détails, j’ai été étonné par cette histoire « d’acquisition de ressources numériques éducatives ». Faisons en effet le calcul… 5 000 écoles qui vont dépenser chacune 1 000 euros… cela fait une certaine somme, pour ne pas dire une somme certaine !

J’ai eu envie d’en savoir plus.

Dans le cahier des charges de l’opération[2], que l’on trouve sur le site Educnet, il y a un paragraphe dédié à ces ressources numériques :


Les ressources numériques seront adaptées aux besoins des cycles de l’école primaire. Elles pourront faire l’objet d’une utilisation en classe entière, en petits groupes ou individuelle. Une sélection de ressources numériques payantes sera proposée et fournie par le ministère.

Les ressources numériques seront présentées et diffusées à partir d’une plate-forme nationale. La contribution destinée à l’acquisition de ressources numériques par chaque école (1000 euros par école) sera prise en charge directement par le ministère de l’Éducation nationale. Les ressources numériques diffusées par abonnement seront disponibles durant trois années.

J’ai hâte de voir cette « plate-forme nationale » dont on nous dit qu’elle sera « disponible en ligne courant mai ». Mais quel que soit ce site accessible par abonnement, il semblerait donc qu’on ait à faire avec des ressources payantes disponibles pendant trois ans.

Ressources dont on peut affirmer sans risque qu’elles seront placées sous licence propriétaire, et qui devraient ressembler peu ou prou à l’opération Une clé pour les nouveaux enseignants, avec sa « liste des ressources habituellement payantes auxquelles la clé donne un accès exceptionnellement gratuit pendant deux ans » et son interdiction de la partager avec des collègues qui ne soient pas nouveaux !

Changeons de paradigme l’espace d’un instant, et rêvons haut en couleur en nous imaginant carrément chef de projet de cette « opération ressources numériques ».

Avec uniquement un seul petit million, on peut sur un an prendre par exemple quinze profs du primaire à temps-plein (ou trente à mi-temps) plus cinq informaticiens (ou profs qui ont des compétences informatiques), pour développer une structure qui ressemblerait un peu à ce que fait Sésamath : des ressources pédagogiques libres et collaboratives disponibles sous formats ouverts sur des sites propulsés par des logiciels libres.

Une fois la structure mise en place, il n’y aurait plus besoin de dépenser autant d’argent l’année suivante, puisque la dynamique aura été lancée et que les autres collègues participeront d’autant plus facilement que le projets aura été initié par leur pairs et que les ressources ainsi créées auront été placées sous licence libre, c’est-à-dire mises une fois et à jamais dans le pot commun des ressources pédagogiques librement disponibles, utilisables et adaptables par tous.

Cela vaut le coup d’être tenté non ? D’autant, rappelons-nous, que le communiqué annonçait sa volonté de « développer des outils nouveaux au service de l’enseignement ».

Il ne s’agit plus ici de dépenser cinq mille fois et pour seulement trois ans un accès aux mêmes ressources disponibles en « lecture seule ». Il s’agit d’impulser la mise en place et les premières créations d’une sorte de forge mutualisée de ressources éducatives libres, disponibles bien entendu pour tous en « lecture / écriture ». Ce n’est pas tout à fait la même chose, surtout pour des deniers publics !

Tout ceci ne niant pas la réalité de l’utilité des partenariats commerciaux de l’Éducation nationale, dont il resterait tout de même quatre beaux millions d’euros.

Mais réveillons-nous. La réalité est autre. Par exemple sur le même site Educnet où l’on a choisi sciemment de ne pas modifier les drôles de conseils donnés aux visiteurs à propos justement des contenus éducatifs libres (c’est eux qui soulignent) :

Conseil : Il est par contre déconseillé au milieu scolaire d’utiliser ce type de contenus si on envisage de valoriser ses travaux en s’associant avec un partenaire privé pour une exploitation commerciale.

C’est triste à lire mais c’est en cohérence avec le plan.

N’oublions pas du reste que ce plan ne concerne qu’un dixième de toutes les écoles : les rurales dans les communes de moins de deux milles habitants. Les autres ont-elle aussi accès à ces « services » ? Doivent-elles s’acquitter des mêmes sommes ? (ce qui nous ferait alors non pas cinq mais cinquante millions d’euros pour trois ans d’usage !).

La route est décidément bien longue. Ce n’est pourtant pas être devin que d’annoncer que ces ressources éducatives libres vont exploser dans les prochaines années et qu’il serait peut-être responsable opportun de prendre d’ores et déjà le train en marche en accompagnant le mouvement.

Notes

[1] En passant, je ne saurais trop conseiller à ces écoles d’adopter, dans le cadre du plan, une solution de type RyXéo et son offre basée sur AbulÉdu.

[2] J’ai également été étonné, à la lecture du cahier des charges, de voir mention d’une simple « suite bureautique installée » dans les ordinateurs, sans préciser si elle était libre ou non. Cela va à l’encontre des préconisations du Becta et c’est faire preuve d’une grande « timidité », pour ne pas dire plus ! Plus le temps passe, et plus la « neutralité » de traitement entre solutions libres et propriétaires à l’école devient un choix déguisé et non assumé.




Les Non-humains – Une geekerie de Lionel Dricot

Lampeduza - CC by« Voulez-vous installer Linux mademoiselle ? »

En avril dernier LinuxFr lançait un concours qui comportait notamment la rédaction d’une nouvelle sur le libre (sous licence libre). And the winner is… Lionel Dricot, plus connu sous son pseudo Ploum.

Vous en trouverez une version PDF et ODT sur son site. Quant à nous, nous vous en proposons une version HTML ci-dessous.

L’auteur précise : « J’ai pris une soirée pour commettre une petite nouvelle sur le logiciel libre et sa communauté. Je voulais faire un texte accessible au grand public mais, emporté par mon sujet, j’ai lamentablement terminé avec une suite de private jokes à tendance moulesque. Je dédie donc ce texte aux moules de DLFP (dont ceux qui se reconnaitront) et à tous les non-geeks qui prendront la peine de lire l’histoire juste pour le plaisir. »

Effectivement, dans un style agréable et sur fond assez classique d’un récit de science-fiction « oppresseur/opprimé »[1], c’est plein de petits clins d’œil (pour ne pas dire easter eggs) en direction de la communauté, dont certains m’ont échappés d’ailleurs !

En y ajoutant quelques notes, et quelques soirées supplémentaires, ça pourrait faire un chouette et original framabook en fait 😉

Edit février 2012 : il y a une suite à cette histoire…

Les Non-humains

Une geekerie de Lionel Dricot – avril 2009 – Licence Creative Commons By

URL d’origine du document

À tous les geeks de DLFP, à ceux qui comprendront, à Bersace, cordialement.

Un frisson la parcourut lorsque les ténèbres de la ruelle semblèrent l’engloutir. Le pavé humide résonnait sous ses pas rapides. D’une démarche qu’elle voulait résolue, elle s’avança bravement.
– Quel quartier sinistre. Je n’aurais pas dû venir seule, se murmura-t-elle.
Loin de la réconforter, le son de sa voix se répercutant sur les façades des immeubles abandonnés lui fit presser le pas.

Soudain, elle le vit. Une ombre décharnée, tête nue et hirsute, se découpant dans la pleine lune crépusculaire. Figée par la terreur, elle tenta de pousser un hurlement qui mourut dans sa gorge pâle et délicate. Aucun doute, c’était bien vers elle qu’il s’avançait. Bientôt, elle serait à sa portée et alors…
– Mademoiselle…
Elle se retourna pour fuir, paniquée, mais une main ferme se posa sur son épaule.
– Voulez-vous installer Linux mademoiselle ?
Se débattant avec toute l’énergie du désespoir, elle échappa à l’étreinte. Une traction se fit sur son jupon de dentelle.
– Lâchez moi ! Allez-vous-en !
Sous ses efforts désordonnés, le vêtement se déchira dans un bruissement d’étoffes. Emportée par son élan, elle chuta lourdement sur le sol. Étourdie, elle leva les bras pour se protéger le visage tandis que la forme sombre se penchait vers elle, menaçante.

– Monsieur le Ministre, la situation est intenable. Ils sont de plus en plus nombreux. Et que fait notre gouvernement ?
– Très cher ami, je conçois votre émoi mais votre réaction n’est-elle pas disproportionnée ? Puis-je également vous rappeler qu’il est de vigueur d’utiliser nos prénoms entre gentlemen du Catacomb’s Club ?

En réponse, le petit homme sec aux favoris grisonnants tapa des deux poings sur les accoudoirs du Chesterfield dans lequel il était assis.

– Disproportionnée ? Arthur ! Par les gousses d’ail de la Reine, tu sais aussi bien que moi que la situation est dramatique. Nous l’avons tout d’abord ignoré, nous en avons ensuite ri. Mais ils sont de plus en plus nombreux. Nous n’osons même plus sortir la nuit. Heureusement, la majorité de la population ne s’en rend même pas compte. Dieu merci, car ce serait la panique.
– Ils sont insidieux, il est vrai.
– Insidieux et perfides. Ils ne respectent rien, ils tuent, ils empalent. Des pirates, voilà ce qu’ils sont. Des flibustiers. Ah, si seulement nous avions encore un Nelson !
– Je ne dis pas le contraire, comprenez-moi bien. Cependant, je pense que la mésaventure survenue à votre fille vous rend particulièrement sensible à ce sujet.
– Sensible ? Mais que voulez-vous de plus ? Les laisser prospérer et ruiner notre pays ? Les laisser nous sucer le sang ?
À ces mots, un éclair d’ironie passa dans son regard. Il poursuivit :
– Tu le sais Arthur. Tu sais comme moi ce qu’ils font à leurs victimes. Celles-ci deviennent ensuite leurs semblables. Ils ne respectent même pas les brevets ou le droit d’auteur. Rien que d’en parler, j’en ai des frissons.

D’un regard distrait, le Ministre fixa le fond de son verre de Sherry dans lequel se reflétait la chaleur des flammes de l’âtre.
– Le problème est plus complexe que cela George. Beaucoup plus complexe…

– Mademoiselle ? Comment vous sentez-vous ?
Péniblement, elle ouvrit un œil. Une lumière bleuâtre et tremblotante semblait éclairer la petite pièce dans laquelle elle se trouvait. Les murs étaient encombrés de caisses et de matériels divers. Il y avait même un poisson-coffre empaillé perché sur un promontoire de porcelaine.
– Qui… Qui êtes-vous ? articula-t-elle péniblement.
– Je m’appelle Lilo. Vous vous êtes évanouie dans la rue et je vous ai ramené chez moi. Votre jupon s’est accroché à une vieille caisse et s’est déchiré mais à part ça, je ne pense pas que vous soyez blessée.
Un éclair d’inquiétude passa dans le regard de la jeune fille.
– Vous… Vous me séquestrez ?
– Par toutes les ferrites, bien sûr que non ! Quelle drôle d’idée.
– Qu’allez-vous me faire ?

Lilo parut honnêtement surpris.
– Eh bien, je ne sais pas. Que voulez-vous ? Un thé ? Autre chose ? Je peux demander à mon ami Bersacelli de vous monter un petit cordial si vous le désirez.

Restée silencieuse durant toute la conversation, la jeune femme qui se tenait dans le coin de la pièce interrompit les deux hommes.
– Assez ! Vous parlez d’eux comme si c’étaient des monstres.
– Et ils le sont !
– Non père, ce sont des êtres comme vous et moi. Vous ne les connaissez pas.
– Mademoiselle Vista, votre père a raison. Ce ne sont pas des êtres comme nous. Nous ne sommes pas de la même race.
– Ils ont des sentiments ! Ils aiment et chérissent leur liberté, c’est tout. Certes, ils ont un langage parfois étrange mais ils ne sont pas tels que vous les décrivez.
– Vista, mon enfant, je vous prie de cesser ces simagrées. Vous êtes en présence d’un Ministre de la Reine, je vous le rappelle. Vous avez été fort imprudente de vous aventurer seule dans un tel quartier à quelques heures à peine de l’aube. Vous nous avez rendu fous d’inquiétude pendant trois longues nuits. Je conçois que ces épreuves vous aient marquée psychologiquement, aussi ne vous tiendrai-je pas rigueur de ces propos absurdes. Vous devez être très fatiguée.

Distinguée, la jeune femme se dirigea d’un pas raide vers la porte. En se retournant, elle lança d’un ton hautain :
– Je vous souhaite le bonsoir, Monsieur le Ministre.
Elle tourna son regard empreint d’une tristesse dure vers le fauteuil au centre de la pièce.
– Ce n’est pas parce que vous ne les comprenez pas qu’ils ont tort. Ce n’est pas parce que vous êtes dans un système depuis vingt ans qu’une alternative est forcément mauvaise. Bien le bonsoir, père.

La porte claqua sur ses talons.

L’éclat de rire de Lilo était si franc, si sincère que Vista sentit la gaieté peu à peu l’envahir. Il semblait si joyeux, si vivant.
– Comment dis-tu ? Nous découperions nos victimes ? Et en tranches de quelle épaisseur ?
– C’est pourtant ce que l’on raconte sur vous…
– En tout cas, mon activité principale est de charger des bottes aux embarcadères. Est-ce répréhensible ? Fed ? Tu entends ce qu’on dit sur nous ?
Un petit gros coiffé d’un chapeau rouge s’approcha.
– Oui, j’ai entendu. Dis moi, c’est une véritable cabale montée contre nous !
La jeune fille s’agita.
– Il n’y a pas de cabale. Cela n’existe pas. Tout ce que j’ai dit à votre propos est même écrit noir sur blanc dans l’Encyclopedia Mortalis. Que pouvez-vous répondre face à cela ?
Les deux hommes se regardèrent une seconde et répondirent en chœur :
– Référence nécessaire !

Ils s’esclaffèrent bruyamment. Vista les regarda, interloquée.

Les deux hommes se tenaient sur le pas de la porte. Une fine pluie battait le pavé tandis qu’un allumeur tendait sa perche étincelante vers le réverbère le plus proche.
– Veuillez excuser ma fille, Arthur.
– Un cas très intéressant du syndrôme de Vasa, mon cher George. Rien de plus.
– Le syndrôme de Vasa ?
– C’est ainsi que l’on nomme le comportement psychologique d’une victime qui prend parti et cause pour ses ravisseurs. C’est particulièrement courant dans ce genre de situations mais sans gravité. Je me suis laissé dire que le docteur McOazix avait développé une thérapie par les électrochocs particulièrement efficace.
– Vous me rassurez. Je ne sais déjà par quel miracle elle s’en est sortie indemne.
– Physiquement, tout du moins.
– Arthur, si jamais ma fille persiste à tenir des propos incohérents, à défendre des idées dangereusement subversives, à parler de la liberté de partage, de redistribution, je te jure que j’étranglerai cette vermine de mes propres mains. Un par un !
– J’espère qu’on ne devra pas en arriver là, sourit le Ministre tout en lissant sa moustache.

Il se dirigea vers le fiacre, se ravisa un instant et se retourna.
– Vous savez Arthur, cette histoire n’est pas simple. À moi aussi ils me font peur. Ils représentent ce que nous craignons. Ils semblent abhorrer notre morale, ils s’abouchent avec les coquins. Et pourtant, parfois je me demande si ce n’est pas juste nous qui ne les comprenons pas. Nous les croyons opposés au droit d’auteur, mais peut-être en ont-ils simplement une autre lecture. Nous les considérons comme impossibles et ils nous grignotent du terrain. Leur simple existence infirme la plupart de nos préceptes. S’ils étaient aussi néfastes que nous le disons, comment expliquer leur persévérance ? Comme dirait le passager du Beagle, peut-être sont-ils plus adaptés que nous ? Peut-être devrions-nous rejoindre leur camp avant d’être défaits ? Je ne sais pas Arthur, je ne sais pas…

Il monta dans la voiture tandis que le cocher fouettait les chevaux. L’attelage s’enfonça dans la nuit de pavés et d’étoiles.

– Hihi, arrête, Lilo ! Tu me chatouilles ! Et puis je ne comprends pas ce que tu dis.
– Pourtant cette langue est libre et ouverte. La grammaire est disponible.
Il mis un lourd dictionnaire poussiéreux dans les mains de la jeune fille qui vacilla sous le poids et s’assit sur le lit.
– Tu n’espères quand même pas que je vais lire ça ?
– Non, mais l’important est que tu puisses le faire. Tu comprends ? C’est une de nos libertés fondamentales. Tu dois pouvoir étudier et comprendre la langue que tu utilises. Peut-être n’en as-tu pas envie maintenant. Ni jamais. Dans mille ans, nos écrits seront toujours lisibles car les archéologues en auront la grammaire. Communiquer doit être libre, tu comprends ?
– Tu sais que tu es mignon quand tu m’expliques tout cela. Mais je ne suis pas sûre de comprendre. Tout cela est si différent. Si technique.
– Vista, ce n’est pas seulement technique. Nous refusons de rentrer dans le moule !
– Coin, Coin !
Un canard vola dans la pièce en poussant son cri. Une détonation mis fin au périple du palmipède.
Lilo fit un clin d’œil à Vista.
– Ce n’est rien, juste Fed qui s’amuse. Ne t’inquiète pas pour lui.
Vista riait. Elle regarda le poisson-coffre sur l’étagère à côté du lit.
– Mais, il n’était pas là avant-hier, ce poisson ! Il était sur le promontoire de porcelaine.
– En effet, nous n’avons pas encore trouvé de place satisfaisante. C’est qu’il n’est pas facile à installer ce poisson. Elle rit.
– Je ne sais pas pourquoi mais je vous trouve drôles. Vous êtes vraiment des gens étranges.
– Juste différents. À nos yeux, c’est plutôt vous qui êtes étranges avec vos manies de vous compliquer la vie, vos alertes incessantes au virus pour lesquelles vous devez vous cacher dans vos caves, votre refus de la lumière, vos habitudes alimentaires.
– Tu sais, on grandit avec. C’est normal pour nous. Je n’arrive pas à croire que vous ne souffriez pas du virus. Et puis, personnellement, je ne vais même plus à la cave. Je dis juste “Ok” quand on me demande quoi que ce soit sans même réfléchir.

Leurs mains s’étaient rapprochées subrepticement, comme mues d’une volonté propre.
– Lilo…
– Vista…
Leur front se touchèrent. Pendant une longue minute ils restèrent sans parler, sans même oser respirer. Leurs lèvres se frôlèrent…

– Non !

D’un même mouvement de recul, ils sursautèrent. Vista paraissait paniquée, elle porta ses mains à sa bouche à laquelle perlait une goutte de sang. Les mains de Lilo tremblaient. Le premier, il rompit le pesant silence.
– Est-ce que ton père ne va pas s’inquiéter de ton absence ?
– Mon dieu ! C’est vrai que cela fait déjà trois nuits que je suis ici.
– Je vais te reconduire jusqu’à ton quartier.
– Oui, le temps d’emballer mes affaires. Le crépuscule est déjà tombé.

Ils sortirent et se mirent à marcher en silence.

– Voilà, dit-il. Dans cette rue, les fenêtres ne sont plus cassées. Tu n’es plus très loin de chez toi. C’est préférable que l’on ne nous voie pas ensemble. Vista…
– Lilo, fit-elle en fermant les yeux. Merci pour tout. Je… Je… Fais attention à toi !
Elle ouvrit les yeux. La rue était vide. Elle le chercha du regard puis, se ravisant, se mit à marcher.

Elle ne se retourna pas.

Trois coups secs retentirent à la porte de la chambre.
– Vista ? Puis-je entrer ?

La jeune femme était assise face à sa coiffeuse.
– Vista, j’espère que vous n’êtes pas en colère contre moi, fit le vieil homme en lui posant la main sur l’épaule.
– Non, père.
Elle posa la brosse à cheveux qu’elle tenait à la main.
– Je n’ai pas toujours été un très bon père, je l’admets. La cour, la justice, les plaidoiries. Tout cela m’a pris plus de temps que je ne l’aurais voulu. Malgré tout, vous savez, je comprends vos sentiments. Je comprends votre expérience. Mais n’oubliez pas qu’ils sont différents. Ce ne sont pas des êtres comme nous. Ils se nourrissent différemment, ils vivent de manière contraire à nos mœurs. Ils regardent le soleil en face. Ils sont d’une autre race, tout simplement. Faites de doux rêves, mon enfant, ne prenez pas trop cette histoire de libertés à cœur…

Il se retira en fermant doucement la porte derrière lui.

Vista passa son doigt sur les longues incisives pointues qui dépassaient de ses lèvres. Comme à l’accoutumée, son miroir lui renvoya l’image d’une robe de chambre flottant dans une pièce totalement vide.
– À cœur, soupira-t-elle. Une autre race.

Rédigé avec Pyroom à Lillois, 25 avril 2009 dans le cadre du concours DLFP : « Écriture d’une nouvelle sur le libre ». Relu et corrigé par Serge Julien

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Notes

[1] Crédit photo : Lampeduza (Creative Commons By)