Censure du Net et DRM ne seront jamais la solution répond ESR à Hollywood

Bas les pattes !

Ancien homme politique démocrate, Chris Dodd est aujourd’hui le chef de la très puissante et influente Motion Picture Association of America, association qui défend les intérêts des grands studios américains (Paramount, Fox, Universal, Warner, Walt Disney…).

Il a récemment déclaré qu’Hollywood était en faveur des technologies et de l’Internet (Hollywood is pro-technology and pro-Internet), ce qui ne va pas de soi quand on a soutenu dur comme fer SOPA/PIPA et qu’on milite pour toujours plus de DRM.

C’est ce qui lui rappelle ici le technologue et pionnier du logiciel libre Eric S. Raymond[1] (ou ESR pour les intimes) dans cette lettre ouverte qui lui est directement adressée.

Opter pour la censure d’Internet et l’introduction massive de DRM pour résoudre un problème, quel qu’il soit, sont des solutions inacceptables et perdues d’avance.

Des solutions perdues d’avance qui, à choisir, nous feront toujours pencher du côté des pirates, parce que eux au moins ne mettent pas en péril cet extraordinaire mais fragile édifice que nous avons construit pour le bénéfice de tous.

Doc Searls - CC by

Lettre ouverte à Chris Dodd

An Open Letter to Chris Dodd

Eric S. Raymond – 23 février 2012 – Armed and Dangerous (blog personnel)
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, Lamessen, Wan, toufalk, FredB, Garburst, TFRaipont)

M. Dodd, je viens d’apprendre que vous avez tenu un discours dans lequel vous affirmez que « Hollywood est en faveur des technologies et de l’Internet » Il semblerait que vous soyez à la recherche d’interlocuteurs au sein de la coalition qui a récemment fait tomber SOPA et PIPA, afin d’aboutir à un compromis politique contre le problème du piratage tel que vous pensez le comprendre.

L’interlocuteur unique n’existe pas. Mais je peux parler en tant que membre d’un groupe de la coalition qui a bloqué ces deux projets de lois : les technologues. Désolé, je ne pensais pas ici à Google et aux entreprises technologiques, mais aux ingénieurs qui ont conçu Internet et le maintiennent en marche, ceux qui écrivent ces logiciels que vous utilisez tous les jours dans votre vie du XXIe siècle.

Je suis l’un de ces ingénieurs. Vous dépendez ainsi de mon code à chaque fois que vous utilisez un navigateur, un smartphone ou une console de jeu. Ils ne me considèrent pas comme une leader, au sens où vous l’entendez, car nous n’en avons pas et nous n’en voulons pas. Mais j’en suis, je crois, un pionnier et penseur reconnu (j’en nommerai deux autres plus tard dans cette lettre), souvent invité à s’exprimer en public. À la fin des années 90 j’ai aidé à fonder le mouvement Open Source.

Je vous écris pour vous faire part de nos inquiétudes, qui ne sont pas exactement les mêmes que celles des entreprises que vous considérez être celles de la « Silicon Valley ». Nous avons notre propre culture et notre propre agenda, qui ne convergent pas toujours avec ceux des hommes d’affaires de l’industrie des technologies.

La différence a son importance puisque les gestionnaires ont besoin de nous pour la partie technique. Et depuis l’origine d’Internet, si nous n’aimons pas la direction stratégique qu’une entreprise prend, elle a tendance à ne pas y aller. Les patrons, prudents, ont appris à composer avec nous autant que possible et à ne pas entrer en conflit avec leurs ingénieurs. Google, en particulier, a créé son immense capitalisation boursière en gérant cette symbiose mieux que personne.

Je ne peux pas mieux expliquer nos inquiétudes qu’en citant un autre de nos penseurs, John Gilmore. Il a déclaré : « Internet interprète la censure comme une menace et fait tout pour la contourner. »

Pour comprendre cela, vous devez intégrer le fait que « Internet » n’est pas seulement un réseau de câbles et de commutateurs, c’est aussi une sorte de corps social réactif composé de personnes qui font bourdonner ces câbles et basculer ces commutateurs. John Gilmore est l’un d’eux. J’en suis un autre. Et il y a certaines choses que nous n’accepterons pas sur notre réseau.

Nous n’accepterons pas la censure. Nous avons construit Internet comme un outil pour donner plus de liberté et de pouvoir à chaque individu sur Terre. Ce que les utilisateurs font d’Internet les regarde, mais pas Hollywood, pas les politiciens et même pas nous qui avons construit ce réseau. Quels que soient nos désaccords, nous, les geeks d’Internet, n’accepterons jamais que ce don du feu soit éteint par des dieux jaloux.

De la même façon que nous n’acceptons pas de censure d’Internet, nous sommes également fortement hostiles à toute tentative visant à imposer des contrôles qui pourraient aboutir au même résultat, que ce soit ou non l’objectif de ce contrôle. C’est pour cela que nous sommes absolument et unanimement opposés à SOPA et PIPA, et c’est l’une des principales raisons pour laquelle vous avez perdu ce combat.

Vous parlez comme si vous pensiez que l’industrie de la technologie avait stoppé SOPA/PIPA, et qu’en négociant avec eux vous pourriez réunir des éléments pour une seconde manche plus favorable. Cela ne fonctionne pas ainsi : le mouvement qui a stoppé SOPA/PIPA (et qui saborde maintenant l’ACTA) est beaucoup plus organique et issu de la base que cela. La Silicon Valley ne peut pas vous donner le feu vert politique et la couverture médiatique dont vous auriez besoin. Tout ce que vous obtiendrez, ce sont des tas de conférences de presse vides de sens, avec des chefs d’entreprises qui n’ont actuellement rien à gagner en vous aidant et qui aimeraient que vous alliez voir ailleurs pour qu’ils puissent reprendre leur travail.

Pendant ce temps, les ingénieurs de ces sociétés se feront un devoir de veiller avec d’autres à ce que vous perdiez à nouveau cette bataille. Parce que, quand bien même nous ne serions pas forcément si nombreux, la grande majorité des utilisateurs d’internet, qui votent en nombre suffisant pour influencer les élections, ont compris que nous sommes de leur côté et jouant le rôle d’une sorte de système de pré-alerte. Quand nous sonnons le tocsin, comme nous l’avons fait par exemple avec le blackout de Wikipédia, ils se mobilisent avec nous et vous perdez inexorablement.

En conséquence, l’une des règles essentielle pour n’importe quel politicien qui veut avoir une longue carrière dans la démocratie du XXIe siècle doit être de « ne pas brider internet ». Parce qu’alors vous pouvez être certain qu’il vous bridera en retour. Au moins deux des principaux soutiens à SOPA/PIPA sont revenus dans le droit chemin, ce qui ne serait pas arrivé sans l’indignation massive des internautes.

Hollywood veut que vous bridiez Internet, parce que Hollywood pense qu’il a des problèmes qu’il peut résoudre de cette façon. Hollywood veut aussi que vous pensiez que nous (les ingénieurs) sommes les ennemis de la « propriété intellectuelle » et de mèche avec les criminels, les pirates et les voleurs. Aucune de ces allégations n’est vraie, et il est important que vous comprenniez exactement à quel point c’est faux.

Nous sommes nombreux à gagner notre vie grâce à cette « propriété intellectuelle ». Il est vrai que certains d’entre nous (je n’en fais pas partie) y sont quasiment opposés par principe. Mais la plupart d’entre nous (moi inclus) sommes prêts à respecter les droits de la propriété intellectuelle. Il y a cependant un point où ce respect s’arrête brutalement. Il s’arrête exactement à l’endroit où les DRM menacent de paralyser nos ordinateurs et nos logiciels.

Richard Stallman, un de nos penseurs les plus radicaux, utilise l’expression « informatique déloyale » pour décrire ce qui se passe quand un PC, un smartphone, ou n’importe quel système électronique, n’est pas sous le contrôle absolu de son utilisateur. Les ordinateurs déloyaux bloquent à votre insu ce que vous pouvez voir ou entendre. Les ordinateurs déloyaux vous espionnent. Les ordinateurs déloyaux vous privent de leur plein potentiel de création, de communication, d’échange et de partage.

Après la censure, l’informatique déloyale est donc notre deuxième ligne jaune à ne pas dépasser. La plupart d’entre nous n’ont rien contre les DRM en soi ; c’est parce que les DRM sont devenus un véhicule pour la déloyauté que nous les haïssons. Ne pas être autorisé à passer outre la publicité introductive d’un DVD n’est qu’un petit exemple, ne pas avoir le droit de sauvegarder nos livres et notre musique en est un bien plus important. Et puis souvenons-nous de la symbolique et ironique histoire du livre 1984 ayant silencieusement disparu des liseuses électroniques des consommateurs d’Amazon qui l’avaient acheté…

Certaines entreprises vont même jusqu’à proposer, pour soutenir les DRM, de bloquer les ordinateurs afin qu’ils ne puissent exécuter que les systèmes d’exploitation approuvés. Les utilisateurs ordinaires peuvent ne pas s’en trouver gênés et passer à côté de l’enjeu, mais pour nous c’est une trahison absolument intolérable. Imaginez un sculpteur à qui l’on dit que son burin ne peut couper que des matières pré-approuvées par un comité de vendeurs de burins, et vous pourrez alors commencer à percevoir les profondeurs de notre colère.

Nous les ingénieurs avons en fait un problème avec Hollywood et l’industrie musicale, mais ce n’est probablement pas celui auquel vous pensez. Pour parler crûment (car il n’y a pas de méthode douce pour dire cela) nous pensons que « Big Entertainment » (NdT : surnom parfois donné à Hollywood) est largement dirigé par des menteurs et des voleurs qui pillent systématiquement les artistes qu’ils prétendent protéger avec leurs DRM, puis intentent des procès à leurs propres clients parce qu’ils sont trop stupides pour concevoir un moyen honnête et innovant pour gagner de l’argent.

Vous ne serez évidemment pas d’accord avec cette manière de voir les choses mais vous devez comprendre à quel point elle est répandue parmi les technologues comme moi, ce qui vous fera alors mieux prendre conscience du fait que vos revendications constantes à propos du « piratage » et du manque à gagner font face à une hostilité croissante de notre part. Défendre Internet et l’intégrité de nos machines était déjà compliqué avant mais voir des lois comme SOPA/PIPA/ACTA imposées au nom de groupes d’intérêt que nous considérons ne pas valoir plus que des gangsters ou des crétins ne fait qu’empirer les choses.

Certains d’entre nous pensent que votre comportement de gangsters justifie le piratage. La plupart d’entre nous ne partage pas le fait qu’une faute en excuse une autre, mais je peux vous dire ceci : si nous technologues avions à choisir entre les gangsters des grands médias et les pirates de contenu, nous irions tous actuellement nous ranger du côté des pirates de contenu car c’est le moindre des maux. Peut-être trouve-t-on des voleurs dans les deux camps, mais il n’y en a qu’un qui ne veut pas brider notre Internet ou handicaper nos ordinateurs. Ceci étant dit, nous préférerions vraiment ne pas avoir à choisir, notre sympathie dans ce désordre est acquise aux artistes se faisant escroquer par les deux camps.

Bas les pattes ! Ainsi pourrait se résumer cette lettre. Notre ordre du jour est de protéger notre liberté personnelle de création ainsi que celle de nos utilisateurs pour qu’ils jouissent de ces créations comme ils l’entendent. Nous ne ferons aucune concession ni aucun compromis sur ces deux points. Aussi longtemps qu’Hollywood restera en dehors de notre territoire (en s’interdisant définitivement tout tentative de verrouiller notre Internet ou nos ordinateurs) nous resterons en dehors de celui d’Hollywood.

Et si vous désirez discuter sérieusement de solutions pour lutter contre le piratage n’impliquant pas de nous écraser, nous et nos utilisateurs, nous avons quelques idées.

Notes

[1] Crédit photo : Doc Searls (Creative Commons By)




Geektionnerd : Dépêches Melba 3 (p0rn inside)

Un Gee-Mix des news de la semaine…

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Liens connexes, si cela vous a échappé :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Stop ACTA : C’est l’Europe de l’Est qui ouvre la voie

Pologne, République Tchèque, Slovénie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie… c’est clairement à l’Est de l’Europe que la contestation contre ACTA est la plus forte[1].

Ils descendent massivement dans la rue, sont actifs sur Internet et finissent par semer le doute parmi leurs gouvernements (cf cette carte limpide de la situation actuelle en Europe). Même l’Allemagne commence à s’interroger.

Pourquoi une telle mobilisation dans cette partie du monde et pourquoi cette mollesse en France et plus généralement en Europe occidentale où nous sommes encore loin de perturber ceux de chez nous qui ont signé le traité ?

Espérons que nous rattraperons le retard lors de la prochaine manifestation prévue le samedi 25 février prochain.

Nina Jean - CC by-nd

Les Européens de l’est à la pointe du combat pour les libertés sur Internet

Eastern Europeans fuel fight for Internet freedoms

Vanessa Gera – 18 février 2012 – Associated Press
(Traduction Framalang : Lamessen, OranginaRouge, Goofy, Lolo le 13)

La tradition de révolution politique de l’Europe de l’Est s’est mise à l’ère numérique. Cette fois, ce ne sont pas les communistes ou les pénuries alimentaires qui alimentent la colère, mais un traité international sur le droit d’auteur que ses opposants dénoncent comme menaçant la liberté sur Internet.

Un mouvement de contestation populaire a vu le jour le mois dernier en Pologne et s’est rapidement étendu à travers l’ancien bloc de l’Est et au-delà. L’opposition grandissante à l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon, ou ACTA, a soulevé des doutes sur l’avenir du traité, qui est crucial pour le gouvernement des États-Unis et les économies des autres pays industrialisés.

Il y a eu des manifestations en Europe de l’Est, des attaques contre les sites gouvernementaux en République Tchèque et en Pologne, même des excuses sincères de l’ambassadeur slovaque qui l’a signé et s’est reproché d’avoir commis une « négligence citoyenne ».

Dans une région du monde où les gens se rappellent avoir été espionnés et contrôlés par des régimes communistes répressifs, le traité a provoqué la peur d’un nouveau régime de surveillance.

Le pacte doit permettre de lutter contre le vol de la propriété intellectuelle — comme les contrefaçons de sacs Gucci ou la violation des brevets pharmaceutiques. Mais il cible aussi le piratage en ligne, le téléchargement illégal de musiques, films et logiciels, et préconise des mesures que les opposants dénoncent comme amenant à la surveillance des internautes.

« La majorité des gens qui sont descendus dans la rue sont jeunes et ne se rappellent pas personnellement le communisme, mais la société polonaise tout entière s’en souvient », dit Jaroslaw Lipszyc, le président de la Modern Poland Foundation, une organisation consacrée à l’éducation et au développement d’une société d’informations.

« En Pologne, la liberté d’expression est une valeur importante, et il existe toute une histoire de la lutte pour celle-ci » explique Lipszyc. Ce fervent opposant à l’ACTA voit son action actuelle comme la suite logique du combat pour la liberté d’expression qui poussait sa famille à publier illégalement des essais anti-communistes dans son sous-sol dans les années 1980.

Les pays d’Europe de l’Est, y compris ceux qui sont maintenant dans l’Union Européenne, sont toujours beaucoup plus pauvres que ceux de l’Ouest, et parmi les opposants, certains craignent de perdre l’accès gratuit — parfois illégal — au divertissement. Avec un taux de chômage de 12.5% et un salaire minimum mensuel de seulement 1500 zlotys (NdT : environ 350€) avant impôt, et un salaire moyen de 3605 zlotys (NdT : environ 850€), beaucoup disent qu’ils ne peuvent pas se permettre de payer 20 zlotys (NdT : 4.75€) ou plus pour un billet de cinéma.

« Les gens sont furieux » dit Katarzyna Szymielewicz, directrice de la Panoptykon Foundation polonaise, qui milite pour le droit à la vie privée dans un contexte de surveillance moderne, et s’oppose à l’ACTA. « Nous avons des antécédents de soulèvement contre l’injustice ».

ACTA est passé d’un obscur traité international à un sujet de débat en Pologne depuis la mi-janvier quand le gouvernement a dit qu’il le ratifierait dans les prochains jours. Les organisations des droits civiques comme Panoptykon ont été scandalisées car le gouvernement ne les a pas consultées. K. Szymielewicz a expliqué qu’ils avaient alerté sur Twitter et d’autres réseaux sociaux, faisant ainsi réagir les activistes d’Internet en Pologne et à l’étranger — dont certains faisant partie du groupe « Anonymous » — par des attaques sur les sites gouvernementaux dont ceux du premier ministre et du parlement, les rendant injoignables pendant plusieurs jours.

La colère est née d’une forte frustration de la société, en particulier chez les jeunes, fondée sur une pénurie d’emplois et un sentiment d’éloignement du processus politique.

« C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », dit Szymielewicz. « Internet est un espace de liberté — les gens estiment que ça leur appartient vraiment — et subitement le gouvernement interfère avec cet espace ».

Les Polonais et d’autres ont aussi été préparés à agir car beaucoup ont suivi l’opposition aux États-unis contre deux projets similaires, le Stop Online Piracy Act et le Protect Intellectual Property Act — connus du grand public comme SOPA et PIPA. Les législateurs américains ont reporté ces projets de lois après une pression massive incluant un blackout d’une journée de Wikipédia et d’autres géants du Web.

Quelques jours plus tard, les Polonais descendaient dans la rue à travers tout le pays contre l’ACTA — activisme qui se propagea à Berlin, Sofia, Budapest et de nombreuses autres villes où les gens se sont rassemblés par milliers samedi dernier (NdT : le 11 février). D’autres rassemblements sont prévus pour le 25 février.

Les opposants sont aussi en colère parce que le traité a été négocié pendant plus de 4 ans en secret sans la moindre présence d’organisations de défense des droits civiques, leur donnant ainsi l’impression d’un accord secret au bénéfice exclusif des toutes-puissantes industries.

Les États-Unis et d’autres partisans de l’ACTA affirment que ce ne sera pas intrusif. Ils soutiennent que la protection des droits de la propriété intellectuelle est nécessaire pour préserver l’emploi dans les industries innovantes. Le piratage en ligne de films et musiques coûte des milliards de dollars aux compagnies américaines chaque année.

Washington assure également que les individus ne seront pas surveillés en ligne et que ACTA ciblera plutôt les entreprises qui tirent des profits de l’utilisation de produits piratés comme les logiciels. « Les libertés civiles ne seront pas réduites », déclare le bureau du Représentant américain au commerce, qui a signé l’ACTA en octobre.

Mais les opposants disent que l’accord est rédigé de façon tellement flou qu’il est difficile de savoir ce qui serait légal et ce qui ne le serait pas. Certains craignent d’être poursuivis par exemple pour mixer des vidéos personnelles avec une chanson de Lady Gaga et les mettre sur YouTube pour les partager avec leurs amis.

« Comme ce qui est permis n’est pas clair, les gens vont limiter leur créativité », explique Anna Mazgal, une activiste des droits civils polonaise de 32 ans. « Les gens pourraient se censurer eux-même par peur, parce que c’est trop vague ».

De nombreux opposants accusent également l’ACTA de placer les intérêts commerciaux au-dessus de droits comme la liberté d’expression.

« Il n’est pas surprenant que les citoyens européens soient descendus dans les rues par milliers pour protester contre un accord qui place les intérêts économiques privés au-dessus de leurs libertés fondamentales », dit Gwen Hinze, la directrice internationale de la propriété intellectuelle de l’Electronic Frontier Foundation, une fondation basée à San Francisco qui défend les libertés civiles sur Internet.

Tout ce tapage a mis les partisans de l’ACTA sur la défensive, pour le moment. L’accord a déjà été signé par les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud et 20 autres pays.

Mais quelques gouvernements dont la Pologne, la Slovénie et la Bulgarie commencent à dire qu’ils ne le ratifieront pas. La République Tchèque a dit qu’il faudrait étudier attentivement la question avant de se prononcer. Un test décisif aura lieu cet été quand le Parlement Européen le soumettra au vote.

L’Allemagne annonce qu’elle soutient l’ACTA pour la défense de la propriété intellectuelle, mais a promis de dissiper les doutes à son propos avant de le signer. Des milliers de personnes ont manifesté samedi dernier contre ACTA à travers l’Allemagne où la protection des données a été longtemps un sujet sensible et où les administrations sont montées au créneau face à des géants d’Internet comme Google ou Facebook à propos des questions de vie privée.

L’ambassadrice slovène au Japon qui a signé le traité à Tokyo le mois dernier au nom de son pays s’est excusée depuis, expliquant qu’elle n’avait pas compris à ce moment à quel point cela pourrait restreindre la Liberté « sur le plus important réseau de l’histoire de l’Humanité ».

« J’ai signé l’ACTA par négligence civique » a écrit Helena Drnovšek Zorko sur son blog.

Notes

[1] Crédit photo : Nina Jean (Creative Commons By-Nd)




Geektionnerd : Manifs Anti-ACTA

Demain samedi 11 février c’est action contre ACTA dans tout l’Europe (pour se coordonner ici ou ) ! Il va sans dire que nous y serons en espérant être aussi nombreux et dynamiques qu’à Cracovie il y a peu.

Notre ami Gee propose sur son site une page spéciale avec des affiches en SVG pour vous pancartes, dès fois que vous manqueriez d’inspiration (affiches évidemment libres pour modifier les slogans s’il ne vous conviennent pas).

Les pays de l’est ont montré l’exemple et fait reculer leur gouvernement, nous nous devons de leur emboîter le pas…

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Comment j’ai appris à programmer ou le témoignage qui donnait envie de s’y mettre

Randall a 23 ans et il nous explique ici comment il est devenu un bidouilleur de code pour son plus grand plaisir. Il a découvert la programmation par lui-même et nous livre ici son témoignage et le fruit de sa jeune expérience.

Tout le monde ne partagera pas sa passion avant autant d’intensité. Nous espérons cependant que nombreux seront les enfants et leurs parents à tomber par hasard sur cet article (d’autant que cette sensibilisation est toujours absente de l’école d’aujourd’hui)[1]. Et, qui sait, peut-être que cela suscitera de nouvelles vocations ?

Sur le même sujet on pourra parcourir ces récents articles du Framablog illustrant l’enjeu majeur d’une éducation informatique (libre et ouverte) dans nos sociétés en mutation : De l’impact politique d’apprendre aux enfants la libre programmation, Les codeurs sont la nouvelle élite politique, Le code deviendra-t-il le latin du XXIe siècle ? et surtout Exercice de la citoyenneté et culture informatique.

Francisco Osorio - CC by

Comment j’ai appris à programmer

How I Learned to Program

Randall Degges – 4 février 2012 – Blog perso
(Traduction Framalang/Twitter : Calystod, Twix, kinou, HgO, monsieurab, Spartition, ametaireau, Grom, alaindalche, Evpok, Grom, Fred)

Programmer est, sans aucun doute, la chose la plus gratifiante intellectuellement que j’ai jamais réalisée. Programmer m’a appris que la vie se devait d’être amusante, remplie de créativité et vécue au maximum de son intensité. Programmer m’a appris que tout était possible ; je peux faire ce qui me plait en utilisant seulement mon esprit.

Programmer m’a également enseigné qu’apprendre est drôle et ludique. Cela m’a montré que plus vous en savez, plus vous comprenez et êtes acteur du monde qui vous entoure. Programmer m’a confirmé qu’une vie en apprentissage continu est une meilleure vie à vivre. Programmer m’a révélé qui je suis au fond de moi, m’a donné une bonne estime de moi et m’a continuellement aidé à arriver à mes fins.

Je me sens extrêmement chanceux d’avoir eu la volonté et l’opportunité d’apprendre à programmer tôt dans la vie. Et si mes méthodes ne sont certainement pas les meilleures pour tout le monde, elles ont marché pour moi.

Je n’ai aucun regret.

Alors je me suis dit que j’allais partager mes méthodes avec vous, en espérant qu’un débutant lise cet article et en tire quelque chose.

Si vous n’avez pas le temps de le parcourir retenez avant tout ceci : l’important est de s’amuser.

Mtellin - CC by

Installer GNU/Linux sur votre machine

Bien que plus jeune, j’ai découvert les rudiments informatiques sur des ordinateurs MS-DOS Windows grâce aux jeux vidéos, mon véritable apprentissage a commencé le jour où j’ai installé un système GNU/Linux sur mon ordinateur personnel.

Ce n’est pas fondamental d’utiliser ou non Windows (ou Mac OS X) sur votre machine, il y a ainsi beaucoup de programmeurs qui travaillent sous système d’exploitation propriétaires. Mais GNU/Linux est imbattable pour apprendre.

Contrairement aux idées reçues, les développeurs ne font pas que pisser du code. On tape quelque chose, ce qui déclenche autre chose. Il y aurait des entrées et des sorties. Cette vision est erronée.

La programmation est un mode de vie

Les programmeurs sont obsédés par la connaissance. Ils utilisent cette obsession pour alimenter leur soif d’apprendre, de découvrir et de créer. Voilà la vraie définition d’un programmeur.

Une principale raison d’utiliser Linux pour travailler au quotidien est qu’il vous aide à apprendre progressivement et pratiquement la programmation. Sur Windows, si vous voulez copier un fichier d’un dossier à un autre, vous faites du glisser-déposer à la souris. Sur Linux, vous pouvez aussi en faire de même désormais, mais vous pouvez également utiliser scp ou rsync. Parce qu’apprendre à utiliser la ligne de commande vous enseigne des techniques basiques de logique et améliore votre capacité à résoudre des problèmes.

La pratique régulière de l’OS GNU/Linux permet d’acquérir des compétences importante à commencer par l’autonomie. Contrairement à d’autres activités, la programmation ne demande ni de grands efforts de mémorisation, ni de répéter encore et encore les mêmes routines. Ce qu’il faut, c’est surtout énormément de motivation et de détermination. . Même les meilleurs programmeurs n’ont généralement aucune idée précise de ce qu’ils vont faire lorsqu’ils débutent un nouveau projet. Si une seule chose peut résumer mon activité, ce serait la recherche. Les programmeurs se doivent de savoir où trouver l’information, comment la digérer et s’en servir d’une manière utile. Cette compétence demande du temps et de la patience mais il est clair que GNU/Linux aide à cela.

Utiliser Linux vous poussera à rechercher activement des solutions aux problèmes que vous rencontrez. Si vous ne savez pas comment mettre en place un tunnel SSH, et bien vous allez l’apprendre tout simplement. Utiliser Linux vous amènera à découvrir de nouvelles choses auxquelles vous n’auriez jamais pensé en utilisant Mac ou Windows. Apprivoiser petit à petit GNU/Linux fera de vous un meilleur et plus pragmatique développeur. Vous apprendrez à travailler collaborativement pour résoudre un problème, à aller à la chasse aux erreurs, à mobiliser vos connaissances pour créer de nouvelles choses et rendre votre vie (et celle des autres) plus simple.

De plus, en tant que projet libre (tant le système d’exploitation que les logiciels disponibles), GNU/Linux offre un accès privilégié à la culture de la programmation. À coup sûr, vous allez :

  • Trouver un bogue dans une application que vous utilisez
  • Chercher des réponses sur internet
  • Trouver un système de tickets ou un forum sur le logiciel en question
  • Soumettre un ticket concernant le bogue ou poster dans un forum un sujet sur le problème rencontré
  • Interagir avec d’autres utilisateurs pour aidez à le résoudre

Tout cela n’a pas l’air très cool, mais patientez. Une fois ces points achevés, vous aurez fait connaissance avec la communauté hacker. Trouver des problèmes, en discuter avec d’autres personnes, résoudre ces problèmes ensemble et vous voici membre de cette communauté.

Si tout était parfait et qu’il n’y avait pas un seul problème à résoudre dans ce monde la vie serait morne. Mettre le nez dehors et corriger des choses, combattre le chaos, donne un sens à la vie. Alors profitez-en !

Linux peut vous apprendre tout cela, et bien plus encore.

Jon Rawlinson - CC by

Avoir un désir intense

Pourquoi voulez-vous programmer ? Quelles sont vos motivations ? Si vous n’avez pas cette envie pressante d’apprendre à programmer, vous échouerez.

J’ai commencé à coder parce que j’avais une très grande envie de créer des jeux vidéo. Quand j’étais un enfant, les jeux vidéo étaient ma passion. Je rentrais le plus rapidement possible de l’école pour rester scotcher sur l’ordinateur à jouer à des vieux classiques. Mes épiques batailles de Starcraft contre mon frère font parties de mes meilleurs souvenirs.

Plus que tout, je voulais être capable de maîtriser ces jeux. Je voulais les dominer, je voulais rendre servile mon ordinateur esclave afin qu’il fasse ce que je désirais.

Ces vieilles motivations me semblent maintenant un peu idiotes mais je les ressentais alors de manière intense. J’en rêvais la nuit, j’y pensais durant le jour et en était obsédé alors que j’étais derrière mon ordinateur les après-midis.

Quand j’ai décidé d’apprendre à programmer, je savais que je pouvais le faire. Je savais que quoi qu’il arrive dans ma vie, j’apprendrais coûte que coûte à programmer, alors même qu’au début je n’avais aucune idée de comment y arriver et ne connaissais personne dans ce domaine.

Mais j’ai trouvé un moyen. J’ai lu sur le Web des dizaines et des dizaines de pages de documentation. J’ai dépensé sans compter des centaines d’heures à fouiller au hasard les forums à la recherche de bribes d’information. J’étais tellement motivé et entier dans mon désir que cela me semblait facile et m’a aidé à devenir un programmeur à moitié convenable.

Kalyan Kanuri - CC by-sa

Faire de petits programmes en ligne de commande

Aujourd’hui, il semblerait que la majorité apprenne la programmation en plongeant la tête la première dans le développement Web. Même si ça peut marcher pour certaines personnes, ça me semble vraiment fou. Non seulement les technologies Web sont vastes, complexes et vite démodées (construire un site Web moderne requiert des tonnes de compétences différentes qui nécessitent plusieurs années de maturation), mais elles sont souvent frustrantes et décourageantes pour les nouveaux développeurs.

Je suis peut-être de la vieille école (j’ai seulement 23 ans :x), mais il n’y a rien de plus satisfaisant et formateur que d’écrire des tonnes de programmes simples en ligne de commande. J’écrivais des tonnes de choses :

  • Un script simple qui prenait en entrée des noms de fichiers pour les stocker dans des dossiers hiérarchisés et organisés en fonction du type de fichier
  • Un bot IRC qui enregistrait toute l’activité d’un channel dans un fichier texte.
  • Un programme simple qui télechargeait toutes les images d’une page Web donnée.
  • Un outil permettant de convertir des nombres en base dix vers n’importe quelle autre base en CLI
  • Un script compilant et mémorisant d’un coup toutes mes personnalisation graphiques : fonds d’écran, thèmes, etc.
  • Un programme basique qui téléverse automatiquement des captures d’écran sur un hébergeur d’images et en copie automatiquement l’adresse dans mon presse-papier.
  • Et un million d’autres choses encore.

J’ai tiré grand bénéfice de ces petits exercices. Chacun d’eux était suffisamment simple pour être écrit en quelques heures (pas plus), et ils m’ont tous appris quelque chose : un nouveau language, nouvelle bibliothèque ou stratégie. J’ai sans aucun doute gagné une grande partie de mes compétences informatiques en construisant là ces applications.

Mais cela joue également au niveau de la confiance. Chaque application créée aura été une petite satisfaction personnelle dont j’étais fier. J’y revenais du reste en les tenant à jour mais surtout en tentant de les modifier sans cesse par du nouveau code et de nouvelles stratégies. Cela m’a appris les bases de la programmation par itération (améliorer au fil du temps) tout en contribuant effectivement à la communauté du logiciel libre.

Si vous êtes un nouveau programmeur, il n’y a rien de mieux et de plus amusant que d’écrire ces petits utilitaires en ligne de commande. Vous ne me croyez pas ? Essayez, et dites moi si vous ne vous retrouvez pas accro dès la première ligne !

Erin Kohlenberg - CC by

Écrire, Écrire, Écrire

L’écriture est controversée. Lorsque j’ai commencé à programmer, les nerds avaient une réputation d’être inaptes à tout sauf aux ordinateurs. Pendant une période, j’ai supposé que comme étant bon avec les ordinateurs, j’étais naturellement mauvais pour tout le reste : même pour écrire.

C’était idiot.

J’en suis venu à réaliser avec le temps que les programmeurs sont, au contraire, d’excellents auteurs. La capacité à penser logiquement et à résoudre les problèmes est un avantage indéniable pour écrire, alors qu’il est parfois si difficile de coucher ses idées sur le papier. Et réciproquement l’exercice d’écriture m’a aidé à devenir un meilleur développeur. En outre nous savons qu’il est important de bien documenter son code.

Posséder un blog par exemple est une excellente manière de pratiquer l’écriture, pour garder une trace de ce que vous apprenez, et aide à s’assurer d’un progrès constant en particulier sur les sujets techniques.

Si vous écrivez une très très utile application en ligne de commande pour commander des pizzas chez Dominos, il vous sera alors difficile d’en parler sans aller dans le détail pour décrire la technologie que vous utilisez, comment l’API de Dominos fonctionne, etc. En prenant le temps d’écrire en structurant votre pensée, en relatant votre expérience, vous en apprendrez forcément davantage.

L’écriture peut être incroyablement utile lorsqu’elle est utilisée pour décrire des choses techniques, puisqu’elle simplifie et clarifie la cause du problème, vous forçant à réfléchir à ce problème de la manière la plus simple possible pour mieux la communiquer.

Un des mes plus grands regrets est de ne pas avoir conservé mes articles. Au fil des réécritures de mon site Web, d’erreurs de gestion de serveurs, j’ai petit à petit perdu la majeur partie de mes écrits. Le blog que vous lisez actuellement existe principalement suite à la décision que j’ai prise de remédier à cela. Ne faites pas la même erreur !

John Vetterli - CC by-sa

Rejoindre une communauté en ligne

Internet est un vaste lieu. Programmer est un vaste sujet. Il est tout à fait possible de devenir un excellent programmeur tout seul dans son coin mais il est beaucoup plus facile de le faire avec l’aide d’autrui.

Lorsque j’ai commencé à programmer j’ai eu la chance de rencontrer grâce au Net d’autres programmeurs fascinants avec qui j’ai partagé des jours durant des idées via IRC. Ces personnes ainsi rencontrées comptent parmi les individus les plus brillants et passionnés que je n’ai jamais rencontrés dans ma vie. Nous sommes devenus amis et le sommes encore !

Avoir des amis aussi motivés a décuplé ma propre motivation, et m’a aidé à tirer le meilleur de moi-même. Nous écrivions ensemble des articles pour partager les choses que nous avions apprises, nous critiquions nos codes respectifs, nous parlions des projets sur lesquels nous travaillions et sur la meilleure manière de les mener à bien.

Connaître un groupe qui partage la même passion et la même envie que vous est inestimable.

Sham Hardy - CC by-sa

Amusez-vous

Programmer est amusant. Programmer est vraiment, vraiment très amusant. Le simple fait d’en parler me met en joie ! Il est difficile de cacher mon excitation 🙂

Le plus important quand on apprend à programmer c’est de toujours S’AMUSER ! Peu importe que vous commenciez tout juste à programmer ou que vous soyez un programmeur aguerri et confirmé : vous ne devez jamais perdre du vue cette dimension fondamentale de l’informatique.

Supposons que vous veniez de commencer à apprendre le Python (à propos, Dive Into Python reste l’un des meilleurs livres sur le sujet), ne démarrez pas par un projet ennuyant. Écrivez quelque chose de nouveau ! Un truc qui vous semble fun et quelque part utile. Amusez-vous avec, et lancez-vous des defis.

Si votre motivation première pour travailler sur un projet est de le terminer alors vous faites fausse route. Pour devenir un bon programmeur il faut bidouiller des trucs que VOUS trouvez sympa. Le monde est rempli de logiciels tristes alors qu’on a besoin de logiciels GENIAUX. Et la seule façon de faire un logiciel génial c’est de s’éclater en le créant !

Je pourrais déblatérer pendant des heures ainsi. Mais à la place et pour conclure je veux VOUS mettre au défi (oui vous !). Pensez à quelquechose que vous adoreriez faire. Un site de partage ? un éditeur vidéo ? Peu importe ce qui vous exalte et vous transporte. Vous avez saisi ?

OK, maintenant allez-y fabriquez-le !

Notes

[1] Crédit photos : Francisco Osorio, Mtellin, Jon Rawlinson, Kalyan Kanuri, Erin Kohlenberg, John Vetterli, Sham Hardy (Creative Commons By et By-Sa)




Ce n’est qu’un début, continuons la copie !

Le fameux site The Pirate Bay est actuellement dans la tourmente, nous annonce Le Monde, puisque les trois fondateurs viennent d’épuiser un de leurs derniers recours contre leur incarcération.

L’un d’eux, Peter Sunde, a posté sur son blog une réponse que nous avons décidé de traduire ci-dessous.

On pourra la trouver teintée d’une révolte un peu adolescente et lyrique, mais qu’importe. Ce texte permet à minima de rappeler qu’en 2012 des gens vont faire de la prison ferme pour avoir hébergé des liens vers des fichiers…

« Kopimi » (alias « Copiez-moi ») pourrait bien devenir l’un des slogans les plus subversifs du XXIe siècle[1].

Viktor Hertz - CC by

Pas de concession : Kopimi ligne dure.

Maintain. Hardline. Kopimi.

Peter Sunde – 1 février 2012 – Copy me happy
(Traduction Framalang : goofy, albahtaar, Clochix, DonRico)

Nous avons appris aujourd’hui le rejet en appel par la cour suprême du dossier The Pirate Bay (TPB). Nous n’en sommes pas surpris. Les précédents procès suintaient la corruption. Depuis les pressions exercées par les États-Unis sur le ministre de la Justice afin de déférer TPB devant les tribunaux sans justification légale, en passant par l’officier de police responsable de l’enquête (Jim Keyzer) qui décrochait « par hasard » un poste chez Warner Bros quelques semaines avant ma promotion de témoin à suspect, jusqu’aux magistrats de nos procès qui siègent aux conseils d’administration — ou qui en président, comme c’est le cas d’un d’entre eux – de l’institution pro-copyright suédoise, il était clair pour nous que la cour suprême — où de nombreux juges gagnent beaucoup d’argent eux-mêmes grâce au copyright de leurs ouvrages — serait difficile à persuader de se saisir du dossier. Même si la majeure partie de la population voudrait que l’affaire y soit jugée. Même s’il s’agit de l’un des dossiers les plus importants dans toute l’Union européenne.

La Suède tient de beaux discours sur l’attention qu’elle porte à Internet. Elle consacre beaucoup d’argent et de temps pour aider des activistes dans le monde entier. Mais qui sont ces gens qu’ils sont si fiers d’aider ? TPB est l’un des plus importants mouvements de défense de la liberté d’expression en Suède, et œuvre contre la corruption et la censure. Tous ceux qui se sont à un moment ou un autre investis dans TPB l’ont aussi été dans de fameux projet de divulgation d’informations ou ont aidé des gens pendant le printemps arabe. Nous combattons la corruption à l’échelle mondiale. Nous défendons l’égalité des chances des nations pauvres partout dans le monde. Nous avons anéanti le monopole sur l’information. Nos proches, dont beaucoup nous ont aidés à construire TPB, ont été cités comme de possibles lauréats du prix Nobel de la paix. Je ne fanfaronne pas, j’explique cela pour être sûr que l’on comprenne qui ici a une action juste. Je n’ai jamais vu l’industrie du divertissement aider qui que ce soit, si ce n’est elle-même.

La Suède n’a pas l’habitude de la corruption. Ou plutôt, la Suède n’a pas l’habitude de voir la corruption qui sévit chez elle. La société y est fondée sur la croyance que dans les systèmes législatifs suédois tout le monde a de grandes qualités morales et éthiques. La mondialisation a changé cela. Les lobbies du divertissement ont rudoyé la Suède. Et pas seulement la Suède. On le voit dans des législations telles que SOPA, PIPA, ACTA, IPRED, IPRED2, TPP, TRIPS, pour n’en citer que quelques-unes. Toutes ces législations ont le même but : s’assurer que le contrôle d’Internet soit entre les mains des riches qui possèdent déjà certains pouvoirs de contrôle hors d’Internet.

Je ne suis qu’un homme parmi les millions qui se dressent contre cela. Même si le verdict (auquel nous ne sommes pas encore rendus) n’est pas favorable à ma situation personnelle, le but final pour lequel nous nous battons est bien plus important que les luttes personnelles de quelques individus. Je m’accomoderai de ne pas être riche — ce qui est simple lorsque de toutes façons l’on n’est pas riche. Je m’accomoderai de la peine à laquelle je serai finalement condamné — je vais simplement finir mon livre. Le combat continuera avec ou sans moi, je ne suis qu’un pion. Mais au moins, je suis un pion du côté moral. Je suis très fier de ce que j’ai accompli, et ne changerai rien à mon engagement. Je pense d’ailleurs que j’aurais pu en faire bien plus pour ce combat. Et j’en ai l’intention.

Aujourd’hui, j’appelle instamment chacun de vous à vous assurer que l’industrie du divertissement ne fait pas son beurre sur votre dos. Arrêtez d’aller voir leurs films. Arrêtez d’écouter leur musique. Assurez-vous de trouver des moyens alternatifs d’accéder à la culture. J’ai fondé Flattr.com, qui vous permet de soutenir directement les gens qui créent, plutôt qu’au travers de l’industrie corrompue du divertissement. Utilisez ce système en solidarité avec les créateurs et avec vos concitoyens. Ou lancez un procédé concurrent. Diffusez la culture et participez-y. Remixez, réutilisez, utilisez, abusez. Assurez-vous que personne ne contrôle votre esprit. Créez de nouveaux systèmes et des technologies qui contournent la corruption. Lancez une religion. Lancez votre propre nation, ou achetez-en une. Achetez un bus. Et désossez-le.

Agissez toujours résolument et appliquez une doctrine kopimi sans concession.

Notes

[1] Crédit photo : Viktor Hertz (Creative Commons By)




On ferme ! La guerre imminente contre nos libertés d’utilisateurs, par Cory Doctorow

Il y a un mois Cory Doctorow a donné une conférence remarquable et remarquée lors du fameux CCC de Berlin.

Tellement remarquée qu’il a décidé d’en faire a posteriori un long mais passionnant article dont nous vous proposons la traduction aujourd’hui (merci @ricomoro)[1].

La guerre contre le copyright préfigure une guerre totale contre les ordinateurs et donc nos libertés d’utilisateurs. C’est pourquoi il est fondamental de la gagner…

Francis Mariani - CC by-nc-nd

On ferme

La guerre imminente contre nos libertés d’utilisateurs

Lockdown – The coming war on general-purpose computing

Cory Doctorow – 10 janvier 2012 – BoingBoing
(Traduction Framalang : Don Rico – Relecture : Goofy)

Cet article reprend une intervention donnée au Chaos Computer Congress de Berlin, en décembre 2011.

Les ordinateurs sont époustouflants. À tel point que notre société ne sait toujours pas très bien les cerner, peine à comprendre exactement à quoi ils servent, par quel bout les prendre, et comment se débrouiller avec. Ce qui nous ramène à un sujet sur lequel on a écrit ad nauseam : le copyright.

Mais je vous demande un peu de patience, car je vais aborder ici une question plus importante. La forme que prend la guerre contre le copyright présage d’un combat imminent qui se livrera pour le destin de l’ordinateur lui-même.

Aux débuts de l’informatique grand public, nous achetions les logiciels dans des emballages et nous échangions des fichiers de la main à la main. On trouvait les disquettes dans des sachets hermétiques, dans des cartons, alignées dans des rayons à la façon des paquets de gâteaux et des magazines. Rien n’était plus facile que de les dupliquer, la copie était très rapide et très répandue, au grand dam des concepteurs et des vendeurs de logiciels.

Arrivent les verrous numériques (les DRM), dans leurs formes les plus primitives – nous les appellerons DRM 0.96. Pour la première fois, on eut recours à des marqueurs physiques – dégradation délibérée, dongles, secteurs cachés – dont le logiciel contrôlait la présence, ainsi qu’à des protocoles défi-réponse qui nécessitaient de posséder des modes d’emploi encombrants et difficiles à copier.

Ces mesures échouèrent pour deux raisons. Premièrement, elles connurent une grande impopularité commerciale, car elles réduisaient l’utilité du logiciel pour ceux qui le payaient. Les acquéreurs honnêtes voyaient d’un mauvais œil que leurs sauvegardes ne soient pas utilisables, n’appréciaient guère de perdre un de leurs ports, déjà rares, à cause des clés matérielles d’autentification, et s’irritaient de devoir manipuler de volumineux modes d’emploi lorsqu’ils souhaitaient lancer leur logiciel. Deuxièmement, ces mesures ne découragèrent pas les pirates, pour qui patcher le logiciel et contourner l’authentification était un jeu d’enfant. L’effet fut nul sur ceux qui se procuraient le logiciel sans le payer.

En gros, cela ce passait ainsi : un programmeur, possédant du matériel et des compétences du même niveau de sophistication que l’éditeur du logiciel, décortiquait le programme par rétro-ingénierie et en diffusait des versions crackées. Un tel procédé peut paraître très pointu, mais en fait, il n’en était rien. Comprendre le fonctionnement d’un programme récalcitrant et contourner ses défauts constituaient les compétences de base de tout programmeur, surtout à l’époque des fragiles disquettes et des débuts balbutiants du développement logiciel. Les stratégies destinées à combattre la copie devinrent plus inutiles encore lorsque les réseaux se développèrent. À l’apparition des BBS, services en ligne, newsgroups Usenet et listes de diffusion, le résultat du travail de ceux qui parvenaient à surmonter les systèmes d’authentification put être distribué sous forme de logiciel, dans de petits fichiers de crack. Lorsque les capacités du réseau s’accrurent, on put diffuser directement les images disque ou les exécutables crackés.

Vinrent alors les DRM 1.0. En 1996, il devint évident dans les lieux de pouvoir qu’un bouleversement d’envergure allait se produire. Nous allions entrer dans une économie de l’information, sans qu’on sache trop ce qu’était ce machin. Nos élites supposèrent que ce serait une économie où l’on achèterait et vendrait de l’information. La technologie de l’information améliore l’efficacité, alors imaginez un peu les marchés potentiels qui s’offraient à nous ?! On allait pouvoir acheter un livre pour une journée, vendre le droit de visionner un film pour un euro, puis louer le bouton pause pour un centime la seconde. On allait pouvoir vendre des films à un certain prix dans un pays, à un prix différent dans un autre, etc. Les fantasmes de l’époque ressemblaient à une adaptation SF ennuyeuse du Livre des Nombres de l’Ancien Testament, une énumération fastidieuse de toutes les combinaisons possibles de ce qu’on fait avec l’information, et combien chacune allait être facturée.

Hélas pour eux, rien de tout cela n’était possible à moins de pouvoir contrôler la façon dont nous utilisions nos ordinateurs, et les fichiers que nous y transférions. En fait, il était facile d’envisager de vendre à quelqu’un des morceaux de musique à télécharger sur un lecteur MP3, mais plus compliqué d’envisager le droit de transférer une chanson du lecteur vers un autre appareil. Comment en effet en empêcher les acheteurs une fois qu’on leur a vendu le fichier ? Pour cela, il fallait trouver un moyen d’interdire aux ordinateurs d’exécuter certains programmes, d’inspecter certains fichiers et processus. Par exemple, pourquoi ne pas chiffrer le fichier, puis exiger de l’utilisateur qu’il le lise avec un lecteur audio qui ne le déverouillerait que sous des conditions précises ?

Mais là, comme on dit sur internet, on se retrouve avec deux problèmes.

Il faut à présent empêcher l’utilisateur d’enregistrer le fichier après qu’il a été déchiffré – ce qui se produira un jour ou l’autre –, et faire en sorte que l’utilisateur ne découvre pas où le programme de déverrouillage entrepose ses clés, ce qui lui permettrait de déchiffrer le média de façon permanente et se débarrasser une bonne fois pour toutes de leur lecteur audio à la con.

Voilà donc un troisième problème : il faut empêcher les utilisateurs qui parviennent à déchiffrer le fichier de le partager. Un quatrième problème se pose alors, car ces utilisateurs qui réussissent à arracher leurs secrets aux programmes de déverrouillage, il faut les empêcher d’expliquer à d’autres comment procéder. S’ajoute au tout un cinquième problème, parce que les utilisateurs qui comprennent comment extraire ces secrets, il faut les empêcher de les dévoiler à d’autres !

Ça fait un paquet de problèmes. Mais en 1996, on trouva la solution. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle des Nations Unies signa le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur. Ce traité engendra des lois qui rendaient illégal d’extirper les clés secrètes des programmes de déverrouillage, d’extraire des fichiers média (tels que des chansons ou des films) de ces programmes de déverrouillage lors de leur fonctionnement. On vota des lois qui rendaient illégal d’expliquer à ses pairs comment extirper les clés secrètes des programmes de déverrouillage, ainsi que d’héberger ces mêmes clés ou des œuvres placées sous copyright. Grâce à ce traité, on mit également en place un procédé bien ficelé et fort commode qui permet de faire retirer du contenu d’internet sans avoir à se coltiner avocats, juges, et tous ces emmerdeurs.

Après quoi, la copie illégale fut éradiquée, l’économie de l’information s’épanouit pour devenir une fleur splendide qui apporta la prospérité au monde entier. Comme on dit sur les porte-avions, « Mission accomplie ».

Non. Ce n’est pas ainsi que l’histoire se termine, bien sûr, car presque tous ceux qui maîtrisaient les ordinateurs et les réseaux comprirent que ces lois allaient créer plus de problèmes qu’elles ne pourraient en résoudre. Après tout, ces lois rendaient illégal le fait de regarder dans le ventre de son ordinateur pendant qu’il exécutait certains programmes. À cause d’elles, il était illégal de raconter à d’autres ce qu’on avait découvert sous le capot, et plus facile que jamais de censurer des fichiers sur internet sans devoir justifier d’une infraction.

En résumé, ces lois soumettaient des exigences irréalistes à la réalité, qui a refusé de s’y plier. Depuis le vote de ces lois, il est au contraire devenu plus facile de copier – et cette tendance ne s’inversera jamais. Il ne sera toujours plus aisé de copier demain qu’aujourd’hui. Vos petits-enfants vous demanderont : « Raconte-moi encore, papi, comme c’était compliqué de copier des fichiers, en 2012, quand on n’avait pas de disque de la taille d’un ongle sur lequel on peut stocker tous les albums jamais enregistrés, tous les films jamais tournés, tous les textes jamais écrits, toutes les photos jamais prises, absolument tout, et les transférer en un temps si court qu’on ne s’en rend même pas compte ! »

La réalité reprend toujours ses droits. Il existe une comptine dans laquelle une femme gobe une araignée pour attraper une mouche, avale ensuite un oiseau pour attraper l’araignée, et enfin un chat pour attraper l’oiseau. Il en va de même pour ces réglementations, qui semblent très prometteuses sur le papier, mais se révèlent désastreuses une fois appliquées. Chaque régulation en engendre une nouvelle, qui ne vise qu’à colmater ses propres manquements.

La tentation est forte d’interrompre ici mon récit et de conclure que le problème vient des régulateurs, qui seraient soit idiots, soit mal intentionnés, voire les deux à la fois. C’est une voie qu’il ne serait pas satisfaisant d’emprunter, parce qu’il s’agirait au fond d’un aveu d’impuissance. Cela laisserait entendre que nos problèmes ne peuvent être résolus tant que stupidité et mauvaises intentions n’auront pas été écartés des lieux de pouvoirs, autant dire jamais. En ce qui me concerne, j’ai une théorie différente pour expliquer ce qui s’est passé.

Le problème, ce n’est pas que les législateurs n’entendent rien aux technologies de l’information, parce qu’il devrait être possible qu’un non spécialiste parvienne à rédiger une bonne loi. Parlementaires, membres du Congrès et autres hommes politiques sont élus pour représenter des circonscriptions et des citoyens, pas pour s’occuper de disciplines et de questions pointues. Nous n’avons pas un secrétaire d’État à la biochimie, ni un sénateur issu du magnifique État qu’est l’urbanisme. Pourtant, ces personnes, qui sont des experts de la politique et de l’élaboration des lois, et pas de disciplines techniques, réussissent malgré tout à établir des règles sensées. C’est parce que le gouvernement s’appuie sur l’heuristique : une approche empirique qui permet d’équilibrer les contributions d’experts apportant leur avis sur différents aspects d’une question.

Hélas, il existe un point sur lequel la technologie de l’information est supérieure à cette heuristique, et la bat même à plates coutures.

Il existe deux conditions importantes pour déterminer si une régulation est pertinente : d’abord, il faut savoir si elle sera efficace, et ensuite, si ses effets s’étendront au-delà de ce pour quoi elle a été conçue. Si je voulais que le Congrès, le Parlement, ou l’UE préparent une loi réglementant l’usage de la roue, il est peu probable que j’y parvienne. Si je me présentais en avançant que les braqueurs de banque s’enfuient toujours dans un véhicule à roues, et demandais si on peut y remédier, on me répondrait non. Pour la simple raison qu’on ne connaît aucun moyen de fabriquer une roue qui reste utilisable pour un usage licite, mais soit inutilisable pour les bandits. Il est évident pour tous que le bénéfice général des roues est si grand qu’il serait idiot de s’en passer, dans une tentative farfelue d’enrayer les braquages. Même si l’on connaissait une flambée de braquages – et même s’ils mettaient en péril la société –, personne ne songerait que s’en prendre aux roues puisse être un bon point de départ pour résoudre nos problèmes.

En revanche, si je me présentais dans cette même institution, déclarais posséder la preuve irréfutable que les kits mains-libres rendent les voitures dangereuses, et que je demandais une loi les interdisant, il n’est pas impossible que le régulateur prenne ma requête en compte et agisse sur la question.

On pourrait débattre de la légitimité de cette idée, du caractère sensé de mes preuves, mais très peu d’entre nous pourrions avancer que si l’on retire les kits main-libre, une voiture cesse d’être une voiture.

Nous sommes d’accord pour dire qu’une voiture reste une voiture si nous en retirons des accessoires. Les automobiles sont des engins à but précis, du moins si on les compare à la roue, et le seul apport d’un kit mains-libres, c’est une fonction supplémentaire ajoutée à une technologie déjà spécialisée.

De manière générale, cette approche empirique est efficace pour le législateur, mais elle devient caduque pour la question de l’ordinateur et du réseau généralistes – le PC et l’internet. Si l’on considère un logiciel comme une fonction, un ordinateur équipé d’un tableur a une fonction tableur, et un autre qui ferait tourner World of Warcraft aurait une fonction MMORPG. En appliquant la méthode heuristique, on pourrait penser qu’un ordinateur ne pouvant exécuter des feuilles de calcul ou des jeux ne constituerait pas davantage une atteinte à l’informatique qu’une interdiction des kits mains-libres ne le serait pour les voitures.

Et si l’on considère les protocoles et les sites web comme des fonctions du réseau, alors demander à modifier l’internet pour que BitTorrent n’y fonctionne plus ou que The Pirate Bay n’y apparaisse plus, cela n’est pas très différent de vouloir changer la tonalité du signal de ligne occupée, ou de déconnecter la pizzeria du coin du réseau téléphonique, et n’équivaut pas à une remise en question des principes fondamentaux de l’internet.

La méthode empirique fonctionne pour les voitures, les maisons, et tous les autres domaines majeurs des réglementations technologiques. Ne pas comprendre qu’elle n’est pas efficace pour l’internet, ce n’est pas être quelqu’un de mauvais, ni un ignare. C’est faire partie de la grande majorité de la population, pour qui le Turing-complet et le principe de bout-à-bout ne veulent rien dire.

Nos législateurs se lancent donc et votent allègrement ces lois, qui intègrent la réalité de notre univers technologique. Soudain, nous n’avons plus le droit de diffuser certaines séries de chiffres sur internet, il est interdit de publier certains programmes, et pour faire disparaître des fichiers licites du réseau, une simple accusation d’infraction au droit d’auteur suffit. Ces mesures échouent à atteindre l’objectif de la réglementation, car elles n’empêchent personne d‘enfreindre le copyright, mais de façon très superficielle, elles donnent l’impression que l’on fait respecter le droit d’auteur – elles satisfont au syllogisme de la sécurité : « Il faut prendre les mesures nécessaires, je prends des mesures, donc le nécessaire à été fait. » Résultat, au moindre échec, on peut prétendre que la réglementation ne va pas assez loin, au lieu de reconnaître qu’elle était inefficace depuis le début.

On retrouve ce genre de similarité superficielle et d’opposition sous-jacente dans d’autres domaines. Un de mes amis, autrefois cadre supérieur dans une grosse entreprise de biens de consommation courante, m’a raconté ce qui s’est passé lorsque les membres du service marketing avaient annoncé aux ingénieurs qu’ils avaient trouvé une idée formidable pour une lessive : désormais, ils allaient fabriquer une lessive grâce à laquelle les vêtements sortiraient plus neufs à chaque lavage !

Après avoir tenté sans succès d’expliquer au service marketing la loi de l’entropie, ils parvinrent à une autre solution : ils conçurent une lessive contenant des enzymes qui attaquaient les fibres éparses, celles-là mêmes qui donnent un aspect usé aux vêtements. À chaque machine, le linge paraissait plus neuf. Malheureusement, cela se produisait parce que le détergent digérait les habits. En l’utilisant, on condamnait littéralement le linge à se désagréger.

C’était évidemment l’inverse du but recherché. Au lieu de rajeunir les vêtements, on les vieillissait de façon artificielle à chaque passage en machine, et en tant qu’utilisateur, plus on appliquait cette « solution », plus on devait prendre des mesures radicales pour garder une garde-robe à jour. Au bout du compte, il fallait acheter des vêtements neufs parce que les anciens tombaient en lambeaux.

Aujourd’hui, certains services marketing déclarent : « Pas besoin d’ordinateurs, ce qu’il nous faut, ce sont des appareils électroménagers. Fabriquez-nous un ordinateur qui ne permet pas de tout faire, seulement de lancer un programme qui effectue une tâche spécialisée, comme lire de l’audio en streaming, transférer des paquets, ou jouer à des jeux Xbox, et surtout, il ne doit pas faire tourner un programme que nous n’avons pas autorisé et qui risquerait d’amoindrir nos profits. »

En surface, l’idée d’un programme ne servant qu’à une fonction spécialisée n’a rien de farfelu. Après tout, on peut installer un moteur électrique dans un lave-vaisselle, et installer un moteur dans un mixeur, et peu nous importe de savoir si l’on peut lancer un programme de lavage dans un mixeur. Mais ce n’est pas ce qui se produit lorsqu’on transforme un ordinateur en appareil électroménager. On ne fabrique pas directement un ordinateur qui ne fait tourner que l’application de l’« appareil ». On prend un ordinateur capable d’exécuter tous les programmes, puis, grâce à un ensemble de rootkits, d’espiogiciels et de codes de validation, on empêche l’utilisateur de savoir quels processus sont actifs, d’installer ses propres logiciels, et d’interrompre les processus qu’il ne désire pas. En d’autres termes, un appareil électroménager n’est pas un ordinateur réduit à sa plus simple expression, c’est un ordinateur entièrement fonctionnel bourré d’espiogiels.

Nul ne sait concevoir un ordinateur généraliste capable de faire fonctionner tous les programmes sauf ceux qui déplaisent au constructeur, sont interdits par la loi, ou font perdre de l’argent à une entreprise. Ce qui s’en approche le plus, c’est un ordinateur bardé d’espiogiciels, une machine sur laquelle des parties tierces décident de limitations sans que l’utilisateur en soit averti, ou malgré les objections du propriétaire de la machine. Les outils de gestion des droits numériques s’apparentent toujours à des logiciels malveillants.

À l’occasion d’un incident qui a fait couler de l’encre (un vrai cadeau pour ceux qui partage mon hypothèse), Sony a dissimulé des installeurs de rootkits sur six millions de CDs audio, lesquels exécutaient subrepticement des programmes qui surveillaient toute tentative de lire les fichiers sons du CD et les interrompaient. Les rootkits cachaient aussi leur existence en poussant le noyau de l’ordinateur à mentir sur les processus en activité et les fichiers présents sur le support. Et ce n’est pas le seul exemple de ce genre. La 3DS de Nintendo profite des mises à jour de son firmware pour procéder à un contrôle d’intégrité, et vérifier que l’ancien firmware n’a subi aucune altération. Au moindre signe qu’on a mofifié le programme, la console devient inutilisable.

Des défenseurs des droits de l’homme ont tiré le signal d’alarme concernant U-EFI, le nouveau programme d’amorçage des PC, qui restreint votre ordinateur de sorte qu’il n’exécute que les systèmes d’exploitation « homologués », faisant valoir que des régimes répressifs allaient vraisemblablement refuser l’homologation des systèmes d’exploitation qui ne permettraient pas des opérations de surveillance furtives.

En ce qui concerne le réseau, les tentatives de le modeler pour qu’il ne puisse servir à enfreindre le droit d’auteur rejoignent toujours les mesures de surveillance mises en place par des régimes répressifs. Prenons par exemple SOPA, la proposition de loi pour la lutte contre le piratage, qui interdit des outils inoffensifs tels que DNSSec (une suite de sécurité qui authentifie les informations envoyées par un nom de domaine) parce qu’il pourrait servir à contrecarrer des mesures de blocage de DNS. SOPA proscrit également Tor, un outil d’anonymat en ligne soutenu par le Naval Research Laboratory (NdT : laboratoire de recherche de la Marine des États-Unis), et utilisé par les dissidents dans les régimes totalitaires, parce qu’il permet de contourner des mesures de blocage d’adresse IP.

La Motion Picture Association of America (NdT : MPAA, l’organisme qui défend les intérêts de l’industrie cinématographique), un des partisans de SOPA, a même fait circuler un mémo qui citait des recherches avançant que SOPA pourrait fonctionner parce qu’elle s’appuie sur des mesures éprouvées en Syrie, en Chine et en Ouzbékistan. On y expliquait que, ces procédés étant efficaces dans ces pays, ils le seraient aussi aux États-Unis !

On pourrait avoir l’impression que SOPA (NdT : quand ce billet a été écrit, SOPA/PIPA n’avaient pas encore été ajournées suite au blackout) siffle la fin de partie au terme d’une longue lutte au sujet du copyright et d’internet, et l’on pourrait croire que si nous parvenons à faire rejeter SOPA, nous serons en bonne voie pour pérenniser la liberté des PC et des réseaux. Mais comme je l’ai précisé au début de cette intervention, le fond du sujet, ce n’est pas le copyright.

La bataille du copyright n’est que la version bêta d’une longue guerre qui va être menée contre l’informatique. L’industrie du divertissement n’est que le premier belligérant à prendre les armes, et dans l’ensemble, on peut penser qu’elle remporte de belles victoires. En effet, nous voici face à SOPA, qui est sur le point d’être votée, prête à briser les fondements de l’internet, le tout pour protéger les tubes du Top 50, les émission de télé-réalité et les films d’Ashton Kutcher.

En réalité, si la législation sur le copyright va aussi loin, c’est parce que les politiciens ne prennent pas la question au sérieux. C’est pourquoi, au Canada, les Parlements successifs n’ont eu de cesse de présenter des propositions de loi plus calamiteuses les unes que les autres, mais en contrepartie, ces mêmes Parlements n’ont jamais été capables de les voter. C’est pourquoi SOPA, une proposition de loi composée de stupidité à l’état pur et assemblée molécule par molécule pour former une sorte de « Stupidium 250 » que l’on ne trouve normalement que dans le noyau des jeunes étoiles, a vu son examen reporté au beau milieu des vacances de Noël – pour que les législateurs puissent participer à un débat national enflammé sur une question autrement importante, l’assurance chômage.

C’est pourquoi l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle se fait duper et promulgue des lois délirantes et d’une ignorance crasse ; parce que lorsqu’une nation envoie une mission à l’ONU de Genève, ce sont des experts en eau, pas en copyright. Des experts de la santé, pas du copyright. Des experts en agriculture, et toujours pas du copyright, parce que c’est loin d’être aussi important.

Le parlement canadien n’a pas soumis ces propositions de loi au vote parce que, parmi les inombrables sujets que le Canada doit traiter, les problèmes de copyright arrivent très loin derrière les urgences sanitaires dans les réserves indiennes, l’exploitation de la nappe pétrolière d’Alberta, l’intervention dans les frictions sectaires entre francophones et anglophones, la résolution des crises dues aux ressources de pêche, et des tas d’autres problèmes. À cause du caractère anodin du copyright, une chose est sûre : dès que d’autres secteurs de l’économie évinceront les inquiétudes au sujet de l’internet et du PC, on se rendra compte que la question du copyright n’était qu’une escarmouche, pas une guerre.

Pourquoi d’autres secteurs risquent-ils de s’en prendre aux ordinateurs comme c’est déjà le cas de l’industrie du divertissement ? Dans le monde d’aujourd’hui, tout est ordinateur. Nous n’avons plus de voitures, mais des ordinateurs qui roulent. Nous n’avons plus d’avions, mais des machines sous Solaris qui volent, agrémentées d’un tas de dispositifs de contrôle industriels. Une imprimante 3D n’est pas un appareil ménager, c’est un périphérique qui ne fonctionne qu’en étant connecté à un ordinateur. Une radio n’a plus rien du poste à galène d’antan, c’est un ordinateur généraliste qui utilise un logiciel. Le mécontentement que soulèvent les copies non autorisées du dernier best-seller à la mode sera insignifiant comparé aux appels aux armes que créera bientôt notre réalité tissée d’ordinateurs.

Prenons l’exemple de la radio. Jusqu’à présent, la réglementation concernant les radios se fondait sur l’idée que les propriétés d’une radio sont fixées à la fabrication, et qu’il est difficile de les modifier. Il ne suffit pas d’actionner un interrupteur sur votre babyphone pour capter d’autres signaux. Mais des radios logicielles puissantes peuvent servir d’interphone pour bébé, de répartiteur pour services d’urgence ou d’outil de contrôle aérien, simplement en chargeant et en exécutant un logiciel différent. C’est pourquoi la Federal Communications Commission (FCC) (NdT : Commission fédérales des communications) s’est intéressée à ce qui allait se produire lorsque les radios logicielles seraient disponibles, et a organisé une consultation pour savoir si elle devait imposer que toutes les radios logicielles soient enchâssées dans des machines d’« informatique de confiance ». En définitive, la question est de savoir si les PC devraient être verrouillés, de telle sorte que leurs programmes puissent être strictement contrôlés par des autorités centrales.

Là encore, ce n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. C’est cette année seulement que sont apparues des limes open source pour transformer des fusils AR-15 en armes automatiques. C’est cette année qu’on a créé pour la première fois du matériel libre et financé collectivement destiné au séquençage génétique. Tandis que l’impression 3D donnera lieu à des tas de plaintes sans importance, des juges du Sud des États-Unis et des mollahs iraniens piqueront une crise quand des habitants de leur circonscription modèleront des sex-toys. Ce qu’il sera possible de fabriquer avec les imprimantes 3D, qu’il s’agisse de labos à méthemphétamine ou de couteaux céramiques, provoquera de véritables protestations.

Pas la peine d’être auteur de science-fiction pour comprendre que les régulateurs auront des suées à l’idée que l’on puisse modifier le firmware des voitures sans conducteur, limiter l’interopérabilité dans les systèmes de contrôle aérien, ou tout ce qui serait possible d’accomplir avec des assembleurs et séquenceurs moléculaires. Imaginez ce qui se passera le jour où Monsanto décrétera qu’il est primordial de s’assurer que les ordinateurs ne puissent exécuter des programmes grâce auxquels des périphériques produiraient des organismes modifiés qui, littéralement, concurrenceraient leur gagne-pain.

Qu’il s’agisse selon vous d’inquiétudes légitimes ou de peurs insensées, elles restent néanmoins la monnaie politique de lobbies et de groupes d’intérêt beaucoup plus puissants que Hollywood et l’industrie du divertissement. Tous finiront par formuler la même requête : « Fabriquez-nous donc un ordinateur grand public qui exécute tous les programmes, sauf ceux qui nous effraient et nous déplaisent. Fabriquez-nous un internet qui transmet des messages, sur tous les protocoles, d’un point à une autre, sauf si ça nous dérange. »

Parmi les programmes qui tourneront sur des ordinateurs grand public et leurs périphériques, cerains me ficheront les jetons à moi aussi. J’imagine donc sans mal que les partisans d’une limitation de ces ordinateurs trouveront une oreille réceptive. Mais comme cela s’est produit avec la guerre du copyright, interdire certaines instructions, certains protocoles et messages sera un moyen de prévention ou un remède tout aussi inefficace. Comme nous l’avons vu au cours de la guerre du copyright, toute tentative de contrôler les PC mènera à l’installation de rootkits, et toute tentative de contrôler l’internet débouchera sur la surveillance et la censure. Ces questions sont importantes, car depuis dix ans, nous envoyons nos meilleurs joueurs combattre ce que nous prenions pour le dernier boss du jeu, mais il s’avère que ce n’était qu’un boss secondaire. Les enjeux seront toujours plus importants.

Appartenant à la génération Walkman, je me suis résolu au fait que j’aurai besoin d’un appareil auditif pour mes vieux jours. Cela étant, ce ne sera pas un simple sonotone ; en réalité, ce sera un ordinateur. Quand je monterai dans ma voiture – un ordinateur dans lequel je place mon corps – équipé de mon aide auditive – un ordinateur que je place dans mon corps –, je veux donc être certain que ces technologies ne sont pas conçues pour me cacher des informations, ou m’empêcher de mettre fin à un processus qui œuvre contre mon intérêt.

L’année dernière, le secteur scolaire de Lower Merion, dans une banlieue aisée de Philadelphie, s’est trouvé au centre d’un scandale. On a découvert que les établissements distribuaient aux élèves des ordinateurs portables rootkités qui permettaient de procéder à une surveillance furtive et à distance, via la webcam et la connexion réseau. Les machines ont pris des milliers de photos des adolescents, chez eux et en cours, de jour ou de nuit, vêtus ou nus. Dans le même temps, la dernière génération de technologie de surveillance légale peut activer secrètement les caméras, les micros et les émetteurs-récepteurs GPS des PC, tablettes et appareils mobiles.

Nous n’avons pas encore perdu, mais si nous voulons que l’internet et les PC restent libres et ouverts, nous devons d’abord gagner la guerre du copyright. À l’avenir, afin de préserver notre liberté, nous devrons être en mesure de contrôler nos appareils et d’établir des réglementations sensées les concernant, d’examiner et d’interrompre les processus logiciels qu’ils exécutent, et enfin, de les maîtriser pour qu’ils restent d’honnêtes serviteurs de notre volonté, au lieu de devenir des traîtres et des espions à la solde de criminels, de bandits et de maniaques du contrôle.

Notes

[1] Crédit photo : Francis Mariani (Creative Commons By-Nc-Nd)




Les dangers du livre électronique, par Richard Stallman

Le jour viendra où lire tranquillement un livre dans un parc deviendra un acte de résistance.

Nous ne sommes plus très loin en effet de Fahrenheit 451 et surtout de la nouvelle Le droit de lire, rédigée par Richard Stallman en… 1997, et malheureusement plus proche aujourd’hui de la triste réalité que de la fiction délirante[1].

Le même Richard Stallman se livre ci-dessous à une comparaison édifiante entre un livre papier et un livre électronique (ou e-book). Je me retourne et suis alors bien content de trouver encore de vrais livres dans ma bibliothèque…

Remarque 1 : Un billet qui fait écho à l’excellent (mais tout aussi inquiétant) Lisez, vous êtes surveillés de Jean-Marc Manach.

Remarque 2 : Raison de plus pour soutenir notre transparent projet Framabook, par exemple en achetant la version vraie livre des ouvrages 🙂

Giles Lane - CC by-nc-sa

Stallman : E-books malfaisants et vie privée

Stallman on E-Book Evils & Privacy

Alan Wexelblat – 19 janvier 2012 – Copyfight
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, HgO, Cubox, ncroizat, Palu, adelos, Felor, Shoods, electronichien, Don Rico)

J’étais invité en fin de semaine dernière à une table ronde sur le droit d’auteur avec Richard Stallman. L’homme s’est certainement assagi avec l’âge (même si je suis heureux de ne pas avoir été invité à une table ronde sur « l’héritage de Steve Jobs » avec lui). Avant le début des discussions, il m’a tendu un papier intitulé « Le danger des e-books », que vous trouverez sur son site (NdT : et donc traduit ci-après par nos soins).

Les points qu’il soulève sont pour l’essentiel ceux dont nous avons débattu ces derniers mois – questions de propriété, formats propriétaires, DRMs restrictifs, etc. Mais j’ai pensé qu’il valait mieux bloguer au sujet de son premier point, qui crève les yeux tellement c’est évident et que j’ai pourtant manqué. Les e-books, du moins la façon dont ils sont vendus aujourd’hui par les principaux fournisseurs, présentent un risque majeur de confidentialité que les livres physiques ne posent pas.

Comme le note Stallman, vous pouvez vous rendre dans une librairie et acheter un livre physique de manière anonyme, le plus souvent juste avec des espèces. Tout au plus pourrait-on exiger de vous de prouver votre âge pour certains contenus, mais aucune trace des informations que vous donnez ne sera conservée. Contrairement à l’achat d’un e-book, qui requiert une identification, reliée à une carte de crédit, un compte bancaire, et d’autres informations difficiles à supprimer. Ces traces d’achat peuvent alors être invoquées ou saisies par les autorités qui pourraient avoir un intérêt à savoir ce que vous avez lu. Avez-vous acheté des livres sur les fertilisants agricoles récemment ? Ou peut-être vivez-vous dans un pays du Moyen-Orient et votre gouvernement se préoccupe soudainement du fait que vous avez acheté des e-books expliquant comment construire des applications se connectant à l’API de Twitter.

Même si les autorités ne saisissent pas vos enregistrements, nous avons déjà nombre de preuves que ceux qui les possèdent vont bafouer la loi pour obtenir des informations personnelles utiles à leur commerce. Si votre liste de lecture ressemble à la mienne, il doit déjà y avoir dessus suffisament de choses pour alimenter les soupçons. Le Comic Book Legal Defense Fund (NdT : Fond de Défense Juridique des créateurs de Bandes Dessinées), par exemple, suit de nombreux cas de gens dont les habitudes de lecture se sont avérées suivies et surveillées pour les autorités.

Jonsson - CC by

Les e-books et leurs dangers

The Danger of Ebooks

Richard Stallman – 2011 – Creative Commons Paternité 3.0
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, HgO, Cubox, ncroizat, Palu, adelos, Felor, Shoods, electronichien, Don Rico)

Alors que le commerce régit nos gouvernements et dicte nos lois, toute avancée technologique offre aux entreprises une occasion d’imposer au public de nouvelles restrictions. Des technologies qui devraient nous conférer davantage de liberté sont au contraire utilisées pour nous entraver.

Le livre imprimé :

  • On peut l’acheter en espèces, de façon anonyme.
  • Après l’achat, il vous appartient.
  • On ne vous oblige pas à signer une licence qui limite vos droits d’utilisation.
  • Son format est connu, aucune technologie privatrice n’est nécessaire pour le lire.
  • On a le droit de donner, prêter ou revendre ce livre.
  • Il est possible, concrètement, de le scanner et de le photocopier, pratiques parfois légales sous le régime du copyright.
  • Nul n’a le pouvoir de détruire votre exemplaire.

Comparez ces éléments avec les livres électroniques d’Amazon (plus ou moins la norme) :

  • Amazon exige de l’utilisateur qu’il s’identifie afin d’acquérir un e-book.
  • Dans certains pays, et c’est le cas aux USA, Amazon déclare que l’utilisateur ne peut être propriétaire de son exemplaire.
  • Amazon demande à l’utilisateur d’accepter une licence qui restreint l’utilisation du livre.
  • Le format est secret, et seuls des logiciels privateurs restreignant les libertés de l’utilisateur permettent de le lire.
  • Un succédané de « prêt » est autorisé pour certains titres, et ce pour une période limitée, mais à la condition de désigner nominalement un autre utilisateur du même système. Don et revente sont interdites.
  • Un système de verrou numérique (DRM) empêche de copier l’ouvrage. La copie est en outre prohibée par la licence, pratique plus restrictive que le régime du copyright.
  • Amazon a le pouvoir d’effacer le livre à distance en utilisant une porte dérobée (back-door). En 2009, Amazon a fait usage de cette porte dérobée pour effacer des milliers d’exemplaires du 1984 de George Orwell.

Un seul de ces abus fait des livres électroniques une régression par rapport aux livres imprimés. Nous devons rejeter les e-books qui portent atteinte à nos libertés.

les entreprises qui les commercialisent prétendent qu’il est nécessaire d’empiéter sur nos libertés afin de continuer à rémunérer les auteurs. Le système actuel du copyright rétribue généreusement ces entreprises, et chichement la grande majorité des auteurs. Nous pouvons soutenir plus efficacement les auteurs par des biais qui ne requièrent pas que l’on porte atteinte à notre liberté, et même légaliser le partage. Voici deux méthodes que j’ai déjà suggérées :

  • Concevoir des programmes permettant aux utilisateurs d’envoyer aux auteurs des paiements volontaires et anonymes.

Les livres électroniques n’attaquent pas systématiquement notre liberté (ceux du Projet Gutenberg la respectent), mais ce sera le cas si nous laissons toute latitude aux entreprises. Il est de notre devoir de les en empêcher.

Soutenez notre cause en vous inscrivant à cette liste de diffusion.

Notes

[1] Crédit photos : Giles Lane (Creative Commons By-Nc-Sa) et Jonsson (Creative Commons By)