Le Monde et Libé main dans la main pour nous pondre des éditos serviles et crétins

Hamed Saber - CC byJe me souviens d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C’était avant Internet. La presse avait un surnom : le quatrième pouvoir. Et il me plaisait d’y croire à ce contre-pouvoir, face aux autres pouvoirs incarnés par l’État.

Aujourd’hui, j’ai de plus en plus de peine à y croire. Jusqu’à ne plus y croire du tout lorsqu’il s’agit d’aborder « Internet ».

Que Sarkozy s’empare d’un rapport pour venir nous faire une proposition qui frise le ridicule avec sa « taxe Google », nous y sommes malheureusement désormais habitués, Hadopi étant encore (et pour longtemps) dans toutes les mémoires. Mais que des journaux aussi prestigieux que Le Monde et Libération, reprennent le même jour, sans aucun recul, cette proposition, en tentant bien maladroitement de la justifier, c’est nouveau et c’est plus que décevant[1].

Mais qu’est-ce donc que cette « taxe Google » ?

Florent Latrive (journaliste à… Libération !) la résume fort bien dans son excellent et cinglant billet La taxe Google, symbole cache-misère sur son blog Caveat Emptor :

Il n’est surtout nulle part question que cette taxe soit une source de revenus supplémentaires pour les artistes et créateurs. Elle vise simplement à compenser dans le budget de l’Etat une série de dépenses en faveur des industries culturelles, et notamment la carte jeune musique ou l’extension du crédit d’impôt pour la production musicale. Si ces dépenses auront, c’est le minimum, pour effet indirect d’assurer quelques rentrées à la filière, on ne trouve pas là trace d’une nouvelle ligne de recettes susceptibles d’apporter un revenu pérenne et conséquent aux créateurs. On taxe la pub, et on subventionne la vente de musique. Il ne s’agit pas là de rémunérer la filière sur la base d’une nouvelle circulation des oeuvres et de nouveaux partages de la valeur ajoutée, mais d’instaurer un micro-bricolage fiscal, tout en continuant, via Hadopi, la guerre au public et à ses pratiques de partage sur les réseaux.

Et Guillaume Champeau de surenchérir sur Numerama, un brin énervé :

Puisque la France et l’Europe sont incapables de favoriser l’émergence de grands acteurs de l’internet, autant taxer les sucess stories américaines pour financer ses industries vieillissantes.

Ajoutons à cela qu’elle s’annonce techniquement inapplicable (ça ne vous rappelle rien ?), puisque comme nous le précise Rue89, il sera fort délicat, pour ne pas dire impossible, de tout aussi bien choisir les sites à taxer, empêcher l’évasion fiscale et dénombrer les internautes français.

L’idée est donc définitivement mauvaise. Et, même si ça n’est pas forcément agréable à lire, on ne s’étonnera pas de se faire plus ou moins gentiment chambrer par le reste du monde.

Mais nos deux grands quotidiens ont eux décidé de passer outre…

Qu’est-ce que l’éditorial, ou l’édito, d’un journal ? C’est en quelque sorte la « signature » du journal, voire même parfois sa « vitrine idéologique ». Et comme c’est important, on ne va pas en confier la plume à n’importe qui : ce sont souvent les directeurs ou les rédacteurs en chef qui s’y collent.

Or donc ici, c’est rien moins que l’éditorial de ces deux journaux qui est sollicité pour jouer, j’exagère à peine, les porte-paroles du gouvernement. Les titres de l’un comme de l’autre sont évocateurs et en parfaite symbiose : « Juste » pour Libération et « Une taxe juste » pour Le Monde. Le parallèle est saisissant, à croire qu’ils se sont passés le mot.

L’édito de Libération : « Juste »

URL d’origine du document
Par Laurent Joffrin (directeur du journal) – 8 janvier 2010

Internet, notre ennemi ? Voilà bien la manière la plus niaise de poser le problème de la création et de la presse en ligne. Le réseau mondial porte en lui un tel progrès de civilisation – culture et information à la disposition de tous sur un simple clic – qu’il est ridicule d’invoquer cette dichotomie sommaire.

Ce serait effectivement ridicule, mais alors pourquoi le rappeler en introduction ? On est à la limite de la faute avouée à moitié pardonnée.

Non, l’ennemi est plus insidieux, et plus dangereux : c’est le tout gratuit, en ligne ou ailleurs.

Qu’est-ce que le « tout gratuit » ? Je n’en ai personnellement aucune idée. Toujours est-il que « l’ennemi » est donc désigné et que l’on se trouve face à une autre dichotomie sommaire dans laquelle on souhaiterait nous enfermer : gratuit contre payant. Le refrain est désormais connu, occultons totalement la constitution de biens communs, le partage de ressources sous licences libres et ouvertes (gratuites ou payantes) et les échanges non marchands. C’est pourtant aussi et surtout là qu’Internet est susceptible d’être un « progrès de civilisation ».

Pendant des lustres, les ravis de la fausse modernité nous ont expliqué que la gratuité totale, par des sources principalement publicitaires, créerait son modèle économique. On s’aperçoit aujourd’hui que cette prophétie n’a aucune réalité pour les producteurs de contenus culturels (musique, livres, cinéma, information…)

Merci de cet aveu. Il fallait effectivement être bien naïf pour croire ces « ravis de la fausse modernité » (on veut des noms !).

Quelques géants, agrégateurs comme Google ou fournisseurs d’accès Internet, ont capté l’essentiel des revenus. Le libre marché a créé cette originale répartition des tâches : les créateurs de contenu supportent les dépenses, les diffuseurs perçoivent les recettes.

Mélangeons allègrement deux entités aussi hétéroclites que Google et un fournisseur d’accès pour en faire d’étranges boucs émissaires à qui on reproche d’avoir « capté » les revenus des contenus.

Les premiers subissent déficits, précarité et licenciements, les autres amassent des montagnes d’argent.

Non, non, on ne nous parle pas de la crise des subprimes mais bien de la crise des industries culturelles (qui, contrairement à la première, n’inquiète qu’elles-mêmes). Toujours est-il que « les autres », vautrés sur des montagnes d’argent injustement récolté, sont coupables. Il est alors sain et logique de les punir par une taxe en faveur des pauvres victimes.

Dès lors, le rapport Zelnik est dans le vrai quand il cherche le moyen de rééquilibrer une situation qui mènera sans cela à l’anémie et au formatage des contenus.

Classique. On confond un problème (réel) avec l’une des solutions (plus que discutable) pour le traiter. On ne s’y est pas pris autrement pour justifier l’Hadopi. « Dès lors… », le raisonnement est un peu court et l’affirmation péremptoire. Si vous ne voulez pas d’une presse malade (anémie) et uniforme (formatage des contenus) alors vous ne pouvez qu’adhérer au rapport Zelnik et à sa taxe Google. La ficelle est un peu grosse mais CQFD.

Et ce qui vaut pour la musique vaut, a fortiori, pour l’information, dont le rôle civique est évident.

Journalisme et musique, même combat dans l’adversité, d’où l’existence de cet édito. Et c’est encore pire avec le journalisme dont l’évidence du rôle civique est telle qu’il convient tout de même de le rappeler.

A moins de considérer, dans un rêve ultralibéral, qu’en raison d’un commandement du Saint Marché, créateurs et journalistes doivent désormais vivre d’amour et d’eau fraîche.

J’ai connu Libération moins critique vis-à-vis de l’économie de marché. Mais résumons-nous : Internet tend vers un tout gratuit capté par un Google causant tristesse et désolation dans le monde des « vrais » producteurs de contenus culturels. La taxe est juste, la taxe est la solution.

L’édito du Monde : « Une taxe juste »

URL d’origine du document
Non signé – 8 janvier 2010

Taxer Google. En prenant position, jeudi 7 janvier, lors de ses voeux à la culture, en faveur d’une fiscalisation des revenus publicitaires en ligne des géants d’Internet, Nicolas Sarkozy fait-il preuve de démagogie ou, au contraire, de cohérence ? Un peu des deux. Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain. Les maisons de disques, par exemple, ont longtemps refusé de prendre au sérieux les évolutions technologiques, préférant profiter des revenus considérables qu’elles tiraient du CD.

Départ identique à l’édito précédent (Internet n’est pas l’ennemi, etc.). On est lucide parce qu’on a bien compris la démagogie de la proposition, mais comme c’est aussi de nous, les journalistes et notre avenir dont il s’agit, on va tenter malgré tout de vous en montrer sa cohérence (si possible sans recourir aux forceps).

D’un autre côté, la position des moteurs de recherche, Google en tête – l’immense majorité des internautes français entrent sur la Toile avec lui -, devient intenable.

Intenable pour qui exactement ? On pourrait d’ailleurs faire également le même procès à Microsoft et ses ventes liées (lui aussi basé fiscalement en Irlande soit dit en passant). Ce qui donne alors : « D’un autre côté, la position des systèmes d’exploitation, Windows en tête – l’immense majorité des utilisateurs français entrent en informatique avec lui -, devient intenable ».

Depuis des années, Google profite de contenus qu’il n’a pas créés et qui ne lui appartiennent pas : musiques, films, livres, presse, produits audiovisuels… Google ne paie presque rien et il rend les contenus gratuits. Pire, il capte des pages de publicité, et donc des revenus, qui devraient aller à d’autres.

Pareil que tout à l’heure. Google capte, profite sans donner, et rend tout gratuit. On ne va pas dire que Google est un voleur, mais on en a tout de même fortement envie. « Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain », disait-on pourtant en préambule. Que Google pose de nombreuses questions et de nombreux problèmes est une évidence, mais aborder aussi radicalement le débat ne risque pas de faire avancer les choses.

Le résultat est ravageur : hormis le cinéma, qui se porte bien – la magie de la salle opère toujours -, la musique est sinistrée, la presse souffre, le livre est menacé.

Et n’oublions pas aussi qu’en 2012 c’est l’Apocalypse. Et il semblerait, mais c’est à vérifier, que Google n’y soit cette fois-ci pour rien.

Comment convaincre des consommateurs de musique de payer pour un produit qu’ils peuvent trouver gratuitement ? Lorsque l’on a 20 ans, que l’on a grandi une souris à la main, que le plaisir d’un meilleur son ou d’une belle pochette de disque compte moins, la mission paraît impossible.

J’invite l’éditorialiste du Monde, fin connaisseur de la jeunesse, à lire l’article de Jean-Pierre Archambault, Gratuité et prix de l’immatériel, pour constater qu’à l’impossible nul n’est tenu.

Ces dernières années, les gouvernements ont, pour punir les fraudeurs, multiplié les textes de loi et accumulé les maladresses. La filière musicale, elle, a pris beaucoup de retard dans la mise en place d’une offre riche et attractive.

Donc, en toute logique, si on tire les leçons du passé, il n’y a aucune raison de ne pas se trouver en face d’une nouvelle maladresse. Mais pas du tout…

Dès lors, les mesures incitatives, préconisées par le rapport de la mission Création et Internet, présidée par l’éditeur Patrick Zelnik, sont justes. Et juste aussi l’idée de financer celles-ci par une taxe sur la publicité en ligne. Le rapport aurait pu aller plus loin en mettant à contribution les autres grands bénéficiaires du système que sont les fournisseurs d’accès.

Le mimétisme avec Joffrin me laisse songeur. Ils ont dû s’enfermer ensemble dans une pièce commune pour nous rédiger cela, c’est la seule explication. Jusqu’à la même locution « Dès lors… ». En tout cas, le raisonnement (bancal) et la conclusion (partiale) sont en tout point identiques, jusqu’à l’inclusion des fournisseurs d’accès dans le même galère que Google.

Restent deux difficultés. La faisabilité, d’abord. Dans un monde dématérialisé, évaluer les recettes spécifiquement françaises et contraindre des entreprises étrangères à acquitter leur dû fiscal en France ne sera pas simple.

Cette première difficulté est une impossibilité.

Cela suppose aussi de bouleverser la philosophie d’Internet, réseau créé pour permettre la circulation libre du savoir. Pour les artistes et auteurs, ce serait justice. Pour les utilisateurs, ce sera une révolution culturelle.

Pincez-moi ! Suis-je bien en train de lire un éditorial du Monde ? S’en prendre à la libre circulation du savoir sur Internet serait une nouvelle « révolution culturelle » ???

Une partie de moi-même s’en trouve glacé d’effroi ! (surtout la partie « bobo de gauche », qui n’a pas encore totalement disparue)

On pourrait en rire si ça n’était point si grave. Parce que, mine de rien, ces deux éditos, consciemment ou non, nous préparent magnifiquement à l’épisode suivant qui participe du même état d’esprit, à savoir la mise en place du filtrage du Net et la remise en cause de sa neutralité.

La peur est décidément mauvaise conseillère. Monsieur Joffrin, vous aviez raison tantôt de rappeler le rôle civique de la presse, parce qu’il y a des jours, comme ce 8 janvier 2010, où il peut nous être permis d’en douter.

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Saber (Creative Commons By)




Biographie de Richard Stallman : Un peu de teasing en vidéo (version longue)

Le 21 janvier 2010 va donc sortir la « biographie autorisée » de Richard Stallman aux éditions Eyrolles. Et autant vous prévenir tout de suite, comme c’est un évènement de taille pour nous, on risque d’y revenir souvent ces prochains jours sur ce blog.

Dans un précédent billet nous dévoilions simplement la couverture du livre. Aujourd’hui ce n’est plus une minute mais carrément quarante-cinq minutes d’attention qui sont requises si vous voulez en savoir plus (mais alors pour le coup, beaucoup, beaucoup plus).

Il s’agit de la vidéo de l’intervention que nous avons donné l’été dernier aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Nantes. La conférence s’intitulait, avec la modestie qui nous caractérise, « La passionnante histoire d’un livre sur Richard Stallman ».

Mais quand bien même ce titre ne soit qu’un clin d’œil à un film célèbre, on peut cependant se risquer à affirmer que nous sommes en face d’un projet pour le moins original. D’abord parce qu’il s’agit du ouvrage collaboratif sous licence libre signé chez un éditeur classique, mais aussi et surtout parce qu’il est plutôt rare de voir le sujet même d’une biographie décider de corriger et modifier sa propre biographie à l’occasion de sa traduction !

La conférence balaie la chronologie du projet et met en scène quatre des principaux acteurs impliqués. Par ordre d’apparition :

  • Alexis Kauffmann (Framasoft), à l’initiative du projet
  • Christophe Masutti (Framasoft), animateur principal du projet
  • Chloé Girard (La Poule ou l’Œuf), pour le logiciel de rédaction et publication du projet
  • Muriel Shan Sei Fan (Eyrolles), l’éditrice du projet

—> La vidéo au format webm

Autres liens de téléchargement (torrents inclus)




L’avenir libre de Bernard Stiegler ou gratuit de Jacques Attali ?

Un titre un peu caricatural pour un billet qui met simplement en parallèle deux récentes et intéressantes interviews vidéos, la première de Jacques Attali, la seconde de Bernard Stiegler.

Choisis ton camp camarade ? Pas vraiment, parce que les deux intellectuels n’abordent pas exactement le même sujet, bien qu’il soit à chaque fois question de l’avenir de nos sociétés (on remarquera qu’ils citent tous deux Wikipédia mais pas avec le même dessein).

Jacques Attali

La gratuité – Dans le cade de l’émission Conversation d’avenirs sur Public Sénat
22 décembre 2009 – URL d’origine de la vidéo

Bernard Stiegler

Vers une économie de la contribution – En visite chez Siné-Hebdo
24 novembre 2009 – URL d’origine de la vidéo




Google : numéro 1 mondial de l’open source ?

Austin Ziegler - CC by-saAh qu’il était doux et rassurant le temps de l’informatique à grand-papa où nous avions nos ordinateurs fixes qui se connectaient de temps en temps et où nous luttions avec confiance et enthousiasme contre le grand-méchant Microsoft !

Ce temps-là est révolu. Nous entrons dans une autre décennie et il se pourrait bien que le principal sujet de conversation de la communauté du logiciel libre dans les dix ans à venir ne soit plus Microsoft (symbole du logiciel propriétaire, j’ai mal à mes fichiers !) mais Google (symbole de l’informatique dans les nuages, j’ai mal à mes données personnelles !)[1].

Firefox, bouffé par Chrome ? Ubuntu, court-circuité par Chrome OS ? Le Web tout entier se transformant petit à petit en un fort joli Minitel 2.0 bourré de services Google à tous les coins de rue ? Ces différents scénarios ne relèvent pas forcément de la science-fiction.

Le problème c’est que nous n’avons plus un Microsoft en face d’une limpide ligne de démarcation. Le problème c’est que nous avons affaire à rien moins qu’au premier contributeur open source de la planète. Et cela rend légèrement plus complexe le positionnement…

La plus grande entreprise mondiale de l’open-source ? Google

World’s biggest open-source company? Google

Matt Asay – 16 septembre 2009 – Cnet news
(Traduction Framalang : Julien et Cheval boiteux)

Red Hat est généralement considérée comme la principale société open source de l’industrie, mais c’est une distinction dénuée de sens parce qu’elle est inexacte. Alors que les revenus de Red Hat proviennent des logiciels open source que la société développe et distribue, d’autres entreprises comme Sun, IBM et Google écrivent et contribuent en réalité à beaucoup plus de code open source. Il serait temps d’arrêter de parler d’entreprises open source et de revenir à l’importance du code open source.

L’open source est de plus en plus le socle sur lequel reposent les entreprises d’internet et du logiciel. Myspace a dernièrement fait des vagues en ouvrant les sources de Qizmt, un framework de calcul distribué (qui curieusement tourne sur Windows Server) qui active la fonction « Personnes que tu pourrais connaître » du site. Mais Myspace, comme l’a noté VentureBeat, n’a fait que rattraper la récente ouverture des sources de Tornado par Facebook.

Aucun d’eux ne le fait pour marquer des points auprès des utilisateurs branchés. S’ils le font, c’est motivé par leurs propres intérêts, qui nécessitent de plus en plus souvent d’inciter des communautés de développeurs à adopter et étendre leurs propres applications et services Web.

C’est également un moyen d’améliorer la qualité des logiciels. En adoptant les projets open source d’une entreprise, puis en l’étendant à travers ses propres logiciels open source, la qualité collective de l’open source est forte et croissante, comme le note Kit Plummer d’Accenture.

C’est cette compréhension de l’intérêt qu’il apporte et la qualité qui en découle qui a fait de l’open source une architecture essentielle pour potentiellement tous les logiciels commerciaux, ce qui signifie que Red Hat et d’autres entreprises qui ne font que de l’open source ne sont désormais plus le centre de cet univers.

Le noyau Linux est composé de 11,5 millions de lignes de code, dont Red Hat est responsable à hauteur de 12% (mesuré en termes de lignes de code modifiées). Même si l’on y ajoute le serveur d’applications JBoss Application Server (environ 2 autres millions de lignes de code) et d’autres projets Red Hat, on obtient toujours un total inférieur à d’autres acteurs.

Prenons Sun, par exemple. C’est le principal développeur derrière Java (plus de 6.5 millions de ligne de code), Solaris (plus de 2 millions de lignes de code), OpenOffice (environ 10 millions de lignes) et d’autres projets open source.

Ou bien IBM, qui a contribué à lui seul à 12,5 millions de lignes pour Eclipse, sans parler de Linux (6.3% du total des contributions), Geronimo, et un large éventail d’autres projets open source.

Google, cependant, est la société la plus intéressante de toutes, car elle n’est pas une entreprise de logiciels en soi. J’ai interrogé Chris DiBona, responsable des programmes open source et secteur public de Google, à propos des contributions de la société dans le domaine de l’open source (NdT : Cf Tout, vous saurez tout sur Google et l’Open Source sur le Framablog). Voici sa réponse :

Au bas mot, nous avons libéré environ 14 millions de lignes de code. Android dépasse les 10 millions de lignes, puis vous avez Chrome (2 millions de lignes, Google Web Toolkit (300 000 lignes), et aux alentours d’un projet par semaine sorti au cours des cinq dernières années. Vous avez ainsi quelques centaines d’employés Google qui patchent sur une base hebdomadaire ou mensuelle.

Si DiBona se garde bien de suggérer que Google soit devenu le premier contributeur open source (« disons que nous sommes parmi les premiers »), c’est néanmoins probablement le cas, en particulier lorsque l’on considère ses autres activités open source, incluant Google Code, l’hébergement du plus grand dépôt peut-être de projets open source, avec plus de 250 000 projets hébergés, dont au moins 40 000 sont actifs, sans parler de son Summer of Code. Après tout, les lignes de code, bien que fondamentalement utiles, ne sont pas nécessairement la meilleure mesure de la valeur d’une contribution à l’open source.

En fait, Patrick Finch de la fondation Mozilla estime que la meilleure contribution de Google à l’open source n’a probablement rien à voir avec l’écriture de nouveau code :

La plus grande contribution de Google à l’open-source n’est sans doute pas du code, mais de prouver que vous pouvez utiliser Linux à grande échelle sur des machines démarquées (NdT : whitebox hardware).

C’est une étape importante, et qui souligne le fait que le label « entreprise open source » est devenu quelque peu obsolète. Google ne se présente pas, à juste titre, comme une entreprise open source. L’open source fait simplement partie de leur stratégie pour distribuer des logiciels qui vont aider à vendre davantage de publicité.

Sun a tenté de se transformer en entreprise open source, mais une fois que son acquisition par Oracle aura été finalisée, cette dernière ne va certainement pas prendre ce label. Pas parce que c’est un mauvais label, mais simplement parce qu’il n’est plus pertinent.

Toutes les entreprises sont désormais des entreprises open source. Ce qui signifie aussi qu’aucune ne l’est. L’open source est simplement un élément parmi d’autres de la politique de développement et de croissance de ces entreprises, que l’on s’appelle Red Hat, Microsoft, Google ou Facebook.

Et étant donné que les entreprises du Web comme Google n’ont pas besoin de monétiser directement l’open source, on va en fait avoir l’occasion à l’avenir de voir encore plus de code open source émerger de la part de ces sociétés que ce qui a déjà été réalisé par ces traditionnelles « entreprises de logiciels open-source » que sont Red Hat, Pentaho ou MySQL.

Notes

[1] Crédit photo : Austin Ziegler (Creative Commons By-Sa)




Le logiciel libre et le mythe de la méritocratie

Banoootah - CC byEn janvier 2008, Bruce Byfield écrivait, dans un article que nous avions traduit ici-même (Ce qui caractérise les utilisateurs de logiciels libres) : « La communauté du Libre peut se targuer d’être une méritocratie où le statut est le résultat d’accomplissements et de contributions ».

Deux ans plus tard, le même nous propose de sonder plus avant la véracité d’une telle assertion, qui ne va finalement peut-être pas de soi et relève parfois plus du mythe savamment auto-entretenu.

Et de poser en guise de conclusion quelques pertinentes questions qui si elles trouvaient réponse participeraient effectivement à combler l’écart constaté entre la théorie et la pratique.

Nos propres discours n’en auraient alors que plus de consistance et de maturité[1].

Les projets open source et le mythe de la méritocratie

Open Source Projects and the Meritocracy Myth

Bruce Byfield – 2 décembre 2009 – Datamation
(Traduction Framalang : Olivier et Cheval boiteux)

« Ce n’est pas une démocratie, c’est une méritocratie. »

On trouve cette déclaration sur la page de gouvernance d’Ubuntu, mais les notes de version de Fedora présentent quelque chose de similaire, tout comme la page Why Debian for developers et partout où l’essence des projets libres et open source (NdT : FOSS) est débattue.

La méritocratie est un mythe, une de ces histoires que la communauté des logiciels libres et open source aime se conter. Par mythe je n’entends pas mensonge, mais cette méritocratie est une histoire que les développeurs se racontent à eux-mêmes pour les aider à se forger une identité commune.

En d’autres termes, l’idée que les logiciels libres et open source sont une méritocratie est aussi vraie que de dire que les États-Unis sont une terre d’opportunité, ou que les scientifiques sont objectifs. Pour les membres de la communauté des logiciels libres et open source cette idée est primordiale dans leur perception du système et leur perception d’eux-même, car ils ont foi en cette idée que le travail est récompensé par la reconnaissance de leurs pairs et l’attribution de plus de responsabilités

Afin de perdurer, il faut que le mythe renferme une part de vérité, et ainsi personne ne le remet en question. Des exceptions peuvent survenir, mais elles seront justifiées, voire niées.

Cependant, si les mythes de la communauté ne sont pas des mensonges, ils ne révèlent pas toute la vérité non plus. Ils sont souvent des versions simplifiées de situations bien plus complexes.

La méritocratie dans les logiciels libres et open source n’échappe, à mon avis, pas à ce constat. Selon le contexte, si vous contribuez dans un bon projet et faites les choses biens, l’aspect méritocratique des logiciels libres et open source s’ouvrira à vous, c’est souvent le cas.

Mais de là à dire que les communautés ne fonctionnent qu’au mérite, il y a un pas que je ne franchirai pas. Le mérite n’est qu’un facteur à prendre, parmi tant d’autres, le mérite seul ne vous accordera ni reconnaissance, ni responsabilités. Bien d’autres considérations, souvent ignorées, entrent en jeu.

Hypothèses contestables

En invoquant l’argument du mérite on tourne rapidement en rond, c’est l’un des problèmes d’une méritocratie. Une hiérarchie est déjà établie, oui, mais comment ? Au mérite. S’ils n’avaient pas de mérite, ils n’auraient pas leur place.

Pas besoin de chercher bien loin pour voir que seul le mérite ne compte pas dans la hiérarchie des logiciels libres et open source. Les fondateurs du projet, en particulier, ont tendance à conserver leur influence, peu importe l’importance de leurs dernières contributions… si tant est qu’ils contribuent toujours au développement.

Par exemple, lorsque Ian Murdock fonda Progeny Linux Systems (entreprise pour laquelle j’ai travaillé) en 2000, il n’avait pas participé au projet Debian depuis quelques années. Et malgré cela, lorsque l’entreprise s’intéressa à Debian, son statut n’avait pas bougé. Tout portait à croire qu’il n’allait pas s’impliquer personnellement dans le projet et pourtant, s’il n’avait pas refusé la proposition, on lui aurait malgré tout attribué le titre de Debian Maintainer sans passer par le processus habituel.

Plus récemment, Mark Shuttleworth est devenu dictateur bienveillant à vie pour Ubuntu et Canonical, non pas à cause de ses contributions aux logiciels libres, mais parce qu’il disposait de l’énergie et de l’argent pour se propulser à ce rang. Sa position au sein d’Ubuntu ou de Canonical n’est pas remise en cause, mais toujours est-il qu’elle ne doit rien au mérite (au sens où l’entend la communauté), mais plutôt à son influence.

Et les leaders ne sont pas les seuls à gagner de l’influence pour des raisons autres que leur mérite. Dans les projets où certains contributeurs sont rémunérés et d’autres bénévoles, les contributeurs rémunérés ont presque toujours plus d’influence que les bénévoles. Dans certains cas, comme sur le projet OpenOffice.org, les contributeurs salariés peuvent presque entièrement éclipser les bénévoles.

D’autres projets, comme Fedora, repartissent l’influence plus équitablement, mais les contributeurs payés occupent souvent des postes à responsabilité. Par exemple, des dix membres du comité d’administration de Fedora, sept sont des salariés de Red Hat. Idem pour openSUSE où trois des cinq membres du comité sont des employés de Novell, le principal sponsor du projet, et un autre est consultant spécialisé dans les produits Novell. Et la situation est similaire dans bon nombre d’autres projets.

Alors oui, vous allez me dire que les membres payés ont plus de temps à accorder à ces responsabilités. C’est juste, mais ce n’est pas le sujet. Le fait est que les membres payés occupent statistiquement plus de postes à responsabilité que les bénévoles. Et c’est toute le postulat de départ qui est remis en cause, on constate alors que votre statut dans le projet n’est pas directement déterminé par votre mérite.

D’autres moyens de se faire remarquer

La méritocratie semble être le système parfait en théorie. Mais le fait est que la théorie est rarement mise en pratique. Avant de le reconnaître, encore faut-il déjà définir ce qu’est le mérite, la communauté des logiciels libres et open source ne fait pas exception.

Bâtie sur le code, la communauté des logiciels libres et open source valorise principalement la capacité à coder, bien que les plus gros projets soient beaucoup plus variés : tests, rédaction de la documentation, traduction, graphisme et support technique. De nombreux projets, comme Fedora et Drupal, évoluent et tentent de gommer cet a priori, mais cela demeure vrai pour la plupart des projets. Ainsi, les noms connus dans les projets ou les personnes qui font des présentations lors des conférences sont majoritairement des développeurs.

Cet a priori est cependant justifié. Après tout, sans le code, le projet de logiciel libre ou open source n’existerait pas. Et pourtant, le succès du projet dépend autant des autres contributions que du code lui-même.

Et comme le fait remarquer Kirrily Robert, blogueur chez Skud, même si certaines contributions sont moins estimées que d’autres, ça n’est pas une raison de les occulter complètement.

Par exemple, la personne la mieux placée pour écrire la documentation pourrait bien être le chef du projet, mais peut-être alors a-t-il mieux à faire que de rédiger la documentation. Il vaut peut-être mieux qu’une autre personne, même moins douée, rédige la documentation. Dans ce cas, celui qui écrit la documentation devrait être remercié, non seulement pour son travail, mais aussi parce qu’il libère l’emploi du temps du chef du projet. Et pourtant ceci est rarement reconnu dans les projets de logiciels libres ou open source.

L’idée que le mérite soit remarqué, reconnu et recompensé est rassurante dans notre culture industrielle moderne. J’aurai même tendance à penser que c’est encore plus rassurant dans le cercle des logiciels libres et open source, dont de nombreux membres admettent être introvertis, voire même se diagnostiquent eux-mêmes comme étant victime du syndrome d’Asperger.

Mais le mérite est-il toujours reconnu dans les logiciels libres et open source ? Voici ce que Noirin Shirley écrit à propos des obstacles à franchir par les femmes pour participer à cet univers :

Souvent, les valeurs reconnues dans une méritocratie deviennent rapidement le couple mérite/confiance en soi et obstination, dans le meilleur des cas. « Le travail bien fait ne vous apporte pas d’influence. Non, pour gagner de l’influence il faut faire du bon travail et bien s’en vanter, ou au minimum le rappeler à tout le monde régulièrement. » Les femmes échouent à cette étape là.

Shirley suggère ici qu’il faut non seulement être bon et régulier, mais il faut aussi savoir se rendre visible sur les forums, chats et listes de discussion, ainsi qu’aux conférences. Puisque les femmes sont apparemment conditionnées culturellement pour ne pas se mettre en avant, elles sont nombreuses à ne pas être à leur avantage dans un projet de logiciel libre ou open source (idem pour les hommes manquant de confiance en eux). Si elles ne peuvent ou ne souhaitent pas s’auto-promouvoir un minimum, leurs idées peuvent passer inaperçues, être sous-estimées ou carrément écartées.

À l’inverse, selon la même logique, certains gagnent en autorité plus parce qu’ils sont sociables ou opiniâtres que pour ce qu’ils réalisent concrètement (j’ai quelques exemples en tête, mais je ne veux pas faire d’attaque personnelle).

Tout comme la démagogie peut pervertir la démocratie, l’auto-promotion peut pervertir la méritocratie. Si un projet n’y prend pas garde, il se retrouvera bien vite à accepter des contributions, non pas sur la base de leur qualité, mais à cause de la visibilité et de l’insistance de celui qui les propose.

L’attraction sociale et comment s’y soustraire

Dans Le mythe de la méritocratie, Stephen J. McNamee et Robert K. Miller, Jr. avancent que la méritocratie aux États-Unis est influencée par ce qu’ils nomment l’attraction sociale. Ce sont des facteurs comme l’origine sociale ou l’éducation qui peuvent modifier positivement ou négativement la perception qu’ont les autres de nos contributions.

D’après moi, l’attraction sociale touche aussi la communauté des logiciels libres et open source, pas simplement parce qu’elle fait partie de notre société industrielle moderne, mais pour des facteurs qui lui sont propres. Reconnaître son existence n’est pas forcément facile, mais ça n’est pas pour autant une remise en cause de la méritocratie dans les logiciels libres et open source. L’importance du travail réalisé par les contributeurs n’en est pas non plus amoindrie.

Au contraire, reconnaître l’existence de l’attraction sociale peut être un premier pas pour améliorer la méritocratie dans le monde des logiciels libres et open source.

Kirrily Robert émet une idée intéressante. À l’instar des auditions anonymes où les musiciennes sont plus facilement choisies lorsque le sexe de la personne qui postule n’est pas connu, Robert propose que les soumissions soient également anonymes afin que leur évaluation ne soit pas biaisée. Si l’augmentation des contributions féminines lui tient à cœur, ces soumissions anonymes pourraient aussi garantir que seul le mérite entre en ligne de compte pour chaque contribution.

Mais ce n’est là qu’une proposition. Si vous voulez que la communauté des logiciels libres et open source devienne véritablement méritocratique, alors elle doit avoir le courage se poser quelques bonnes questions.

Pour commencer, par quel autre moyen peut-on réduire l’importance de l’auto-promotion ? Comment peut-on s’assurer que les employés et les bénévoles soient réellement au même niveau ? Peut-on redéfinir le mérite pour qu’il ne reflète pas uniquement ce qui est lié au code, mais au succès global du projet ?

Répondre à ces questions n’affaiblira pas le principe du mérite. Au contraire, ce principe de base de la communauté devrait en ressortir renforcé, et mieux utilisé. Et c’est, sans aucun doute, ce que souhaite tout supporter des logiciels libres et open source.

Notes

[1] Crédit photo : Banoootah (Creative Commons By)




Dis papa, pourquoi je ne peux pas dessiner dans les musées ?

SC Fiasco - CC byDis papa chéri , pourquoi ne puis-je dessiner dans ce musée ? Parce que le « copyright » ma fille ! Oui, mais c’est quoi le « copyright », papa ? Euh… c’est une chose de grandes personnes, tu ne peux pas comprendre…

Fin du dialogue fictif entre un père et sa fille. Mais ce qui n’a rien de fictif c’est la situation étrange et pénétrante qui verrait un enfant interdit de prendre son crayon et son carnet pour le simple plaisir d’étudier et garder en mémoire ce qu’il a sous les yeux[1].

Dieu soit loué, ce n’est pas le cas dans la majorité des musées et cela semble ne concerner que les expositions temporaires et non permanentes.

Il n’empêche que cela existe et en dit déjà long sur les dommages collatéraux désastreux de ces contrats juridiques qui, à trop vouloir se protéger, en arrivent à censurer un acte aussi inoffensif que celui-là.

Remarque : Ce n’est pas la première fois que le Framablog évoque Nina Paley (cf Libération du film d’animation Sita Sings the Blues et The Copyright Song).

Crayonner c’est copier. Copier c’est voler. Bientôt : l’interdiction de respirer

Sketching is copying; copying is stealing. Coming soon: no breathing

Karl Fogel – 29 octobre 2009 – QuestionCopyright.org
(Traduction Framalang : Julien)

Ce n’est certainement pas une nouveauté pour les étudiants des Beaux-Arts, mais pour le reste d’entre nous c’est toujours étonnant de constater que des établissements culturels comme les musées marchent dans le mythe du « copier c’est voler » en interdisant les croquis.

Dans certains cas, par exemple lors d’expositions temporaires, les restrictions concernant la copie sont imposées par l’institution qui prête l’œuvre. Il serait alors intéressant de savoir combien de fois le prêteur impose ces restrictions sur des œuvres qui ne sont pas sous copyright, ou qui autrement ne seraient pas restreintes.

Nina Paley a recueilli quelques exemples à la volée. Vous en connaissez d’autres ?

Le Philadelphia Museum of Art

« Tous les croquis dans les galeries d’exposition ou des œuvres prêtées sont interdits »

D’après la formulation, ceci s’applique à toute oeuvre en prêt, qu’elle soit dans le domaine public ou non. Quelqu’un a lancé une pétition pour obtenir que cette restriction soit levée, mais cela ne semble pas avoir abouti.

Le Musée Royal de l’Ontario : « Il est parfois interdit de dessiner à l’occasion de certaines expositions temporaires en raison d’ententes contractuelles avec les institutions ou les personnes qui nous prêtent des œuvres. ».

Ce serait bien s’ils affichaient ces accords sur le mur, à côté des autres informations qui concernent l’œuvre (et si les prêteurs ne souhaitent pas voir cela affiché peut-être devraient-ils se demander pourquoi).

Le Morris Museum of Art

« Exécuter des croquis des œuvres exposées dans les galeries permanentes du musées à des fins éducatives est autorisé. Faire des croquis ou dessiner à l’intérieur du Morris Museum of Art à des fins de revente ou de reproduction est strictement interdit. … Des restrictions supplémentaires peuvent s’appliquer sur le crayonnage de peintures et d’objets prêtés par d’autres musées. Veuillez vérifier auprès d’un représentant du musée avant de faire des croquis dans les galeries. Il vous sera demandé de signer un formulaire d’autorisation de dessiner et de vous conformer aux règles du musée. »

Par où commencer ? La revente ou la reproduction sont strictement interdites ? On se demande comment les conservateurs du Morris Museum ont reçu leur éducation artistique. Ont-ils réussi à visiter personnellement chaque musée où était exposée une œuvre qu’ils souhaitaient voir ? Et un formulaire « d’autorisation de dessiner » ! L’adjectif « orwellien » est galvaudé, mais parfois c’est le seul mot qui convient. Soyez heureux d’avoir déjà signé votre formulaire d’autorisation de penser.

La National Gallery of Victoria (Australie)

« Les croquis et la prise de notes sont permis dans les zones d’expositions temporaires et de collections permanentes de la National Gallery of Victoria. Cette politique est soumise à l’appréciation des prêteurs individuels ou institutionnels, à condition que les conditions suivantes soient respectées : … Il est important de noter que certains prêteurs individuels ou institutionnels peuvent interdire le crayonnage et la prise de notes dans le cadre des conditions exposées dans les accords de prêt et/ou des contrats d’exposition selon les termes d’une indemnité gouvernementale ou police d’assurance. Dans ces circonstances, le commissaire de l’exposition donnera des instructions spécifiques au personnel de sécurité. Nous demandons à tous les visiteurs de comprendre que dans ces circonstances la National Gallery of Victoria n’a pas d’autre choix que de se conformer aux conditions fixée par les prêteurs. »

De toutes les conditions exposées ici, celle-ci semble la plus raisonnable. Le texte complet montre qu’ils sont en priorité soucieux du public, et quand il s’agit de restrictions imposées par les prêteurs, la galerie admet plus ou moins ouvertement qu’elle regrette que ces restrictions soient toujours nécessaires. Cette politique résulte apparemment en partie d’une protestation du Free Pencil Movement, félicitations à eux pour cette action couronnée de succès. Encore une fois, j’espère que la National Gallery affichera les termes exacts des restrictions demandées par les prêteurs juste à côté des œuvres concernées.

La mentalité du « Copier c’est voler » peut créer des situations terriblement étranges. Ce post de 2005 sur BoingBoing rapporte l’histoire d’une élève de CE1 qui dessinait au North Carolina Museum of Art : « Un gardien du musée a dit aux parents de Julia que faire des croquis était interdit parce que les grands chefs d’oeuvres sont protégés par le copyright, un concept que la jeune Julia ne comprenait pas avant que sa mère ne lui explique le terme ».

Ne t’inquiète pas Julia, tu n’es pas la seule.

Notes

[1] Crédit photo : SC Fiasco (Creative Commons By)




Vente liée : Un reportage exemplaire de France 3 Bretagne

Lu sur le site de l’AFUL : Éric Magnien, qui a gagné deux fois en justice contre le constructeur ASUS (lire le commentaire détaillé de la décision de justice par Me Frédéric Cuif), s’exprime dans le journal télévisé 19-20 de France 3 Bretagne le 21 décembre 2009 : Un Morbihannais en lutte contre Windows, par Géraldine Lassalle.

—> La vidéo au format webm

Transcript

Voix off : C’est un combat semblable à celui de David contre Goliath. Dans le rôle de David, Éric Magnien, régiseur de théâtre lorientais, dans le rôle de Goliath, le fabricant d’ordinateur Asus. Tout commence en mai 2008 quand Eric décide de s’acheter un ordinateur.

Éric Magnien : Je voulais acheter un ordinateur, mais je ne voulais pas des logiciels qui étaient installés avec, parce que j’utilisais déjà avec un autre ordinateur des logiciels libres, donc sous Linux.

Voix off : Pourtant Éric n’a pas le choix. il doit acheter l’ordinateur avec avec le système d’exploitation de Microsoft déjà installé. Il décide alors de demander au constructeur le remboursement des logiciels Windows dont il n’a pas besoin.

Éric Magnien : Il me demandait à ce que je renvois l’ordinateur à mes frais, à leur service après-vente à Paris, pour effacer totalement le disque dur et enlever l’étiquette de Windows. Donc c’était totalement inacceptable, pour un remboursement de 40 euros alors que dans le commerce ces mêmes logiciels coutaient 205 euros.

Voix off : S’engage alors une bataille juridique qui va durer plus d’un an. Avec l’aide de l’Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres (AFUL), Éric rassemble tous les elements demontrant l’abus dont il est victime. Face à lui une armée d’avocats experts, un combat inégal mais Éric sait qu’il est légitime. En août 2009 la justice condamne le constructeur.

Éric Magnien : C’est une procédure longue, difficile mais nécessaire, et qui vaut le coup parce que c’est notre droit. On a le droit d’obtenir réparation de ce genre de choses, on a le droit d’obtenir le remboursement de ces licences. Et donc c’est aussi pour une certaine idée du droit, de la justice, que j’ai été jusqu’au bout de la démarche.

Voix off : La décision de justice rendu par le tribunal de Lorient pourrait bien décider d’autres consommateurs à faire valoir leurs droits. Le 2 décembre dernier, la société Acer a été condamnée pour la cinquième fois pour des faits similaires.




Filtrage du Net : danger pour la démocratie et l’État de droit

Dolmang - CC by-saLe groupe de travail Framalang du réseau Framasoft, et La Quadrature du Net publient la traduction du résumé d’une étude juridique indépendante sur les dangers du filtrage du Net.

Ce que l’on retire de la lecture de cette étude, c’est que comme lors de la bataille HADOPI, où le gouvernement se cachait derrière la supposée « défense des artistes » pour imposer une absurde et dangereuse coupure de l’accès au Net, des politiques publiques légitimes sont désormais instrumentalisées pour imposer le filtrage gouvernemental des contenus sur Internet[1].

Toutefois, de même que les coupures d’accès, si elles sont appliquées, n’apporteront pas un centime de plus aux artistes et ne feront pas remonter les ventes de disques, le filtrage ne peut en aucun cas résoudre les problèmes au prétexte desquels il sera mis en place.

Si l’objectif de lutter contre la pédopornographie et son commerce est bien évidemment légitime, la solution qui consiste à bloquer les sites incriminés pour éviter leur consultation revient en réalité à pousser, dangereusement, la poussière sous le tapis. Le seul moyen de lutte véritablement efficace contre ces pratiques ignobles passe par le renforcement des moyens humains et financiers des enquêteurs, l’infiltration des réseaux criminels ainsi que le blocage des flux financiers et le retrait des contenus des serveurs eux-mêmes. Or, en la matière, des politiques efficaces existent déjà.

Il importe donc d’améliorer ces dispositifs existants et d’y consacrer les ressources nécessaires, plutôt que de remettre en cause les libertés au motif de politiques de prévention du crime totalement inefficaces. En effet, les arguments de lutte contre la criminalité, au potentiel émotionnel fort, sont aujourd’hui instrumentalisés pour tenter de légitimer un filtrage du Net qui porte pourtant radicalement atteinte à la structure du réseau, et entraîne de grands risques pour les libertés individuelles et « l’état de droit » tout entier.

L’étude dont le résumé de 30 pages vient d’être traduit en français conjointement par les volontaires de Framalang et de La Quadrature du Net est un pavé dans la mare. Elle conteste, démonstrations juridiques à l’appui, l’idée – évoquée par un nombre croissant de gouvernements européens – que le filtrage du Net puisse être une solution efficace et indolore de régulation des pratiques sur Internet. Réalisée par les éminents spécialistes Cormac Callanan[2], Marco Gercke[3], Estelle De Marco[4] et Hein Dries-Ziekenheine[5], ses conclusions sur l’inefficacité et la dangerosité du dispositif sont sans appel :

  • Quel que soit le mode de filtrage des contenus utilisé, il entraîne de graves risques de sur-blocage (risques de faux-positif : des sites innocents rendus inaccessibles).
  • Quel que soit le mode de filtrage retenu, il sera ridiculement facile à contourner. Les criminels se servent déjà de moyens de contournement et continueront d’agir en toute impunité.

La seule mise en place du filtrage entraine des risques de dérives : si l’on commence pour la pédopornographie, pourquoi ne pas continuer par la suite pour la vente de cigarettes sans TVA[6], le partage de musique et de films (comme le souhaitent les lobbies derrière l’ACTA)[7], les sondages en sorties des urnes ou même les insultes au président ? La plupart des pays non-démocratiques (Chine, Iran, Birmanie, etc.) utilisent le filtrage du Net aujourd’hui, systématiquement à des fins de contrôle politique.

La loi LOPPSI (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) sera bientôt examinée au Parlement français. Elle contient des dispositions visant à imposer le filtrage du Net sans contrôle de l’autorité judiciaire, par une autorité administrative dépendante du ministère de l’intérieur.

Il est indispensable que les citoyens attachés à Internet, aux valeurs démocratiques et à l’État de droit se saisissent de cette question, grâce à cette étude, afin de stimuler un débat public. Il est crucial de contrer cette tentative d’imposer un filtrage du Net attentatoire aux libertés fondamentales !

Passages essentiels :

p. 4 : Dans les pays où l’autorité judiciaire est indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, ce qui devrait être le cas dans toutes les démocraties libérales, seul un juge devrait avoir la compétence de déclarer illégal un contenu, une situation ou une action.

Un problème crucial autour des listes noires est celui de leur sécurité et leur intégrité. Une liste de contenus tels que ceux-là est extrêmement recherchée par ceux qui sont enclins à tirer parti d’une telle ressource. Sans même mentionner les fuites de listes noires directement sur Internet, des recherches indiquent qu’il serait possible de faire de la rétro ingénierie des listes utilisées par n’importe quel fournisseur de services.

p. 5 : En tout état de cause, il faut souligner qu’aucune stratégie identifiée dans le présent rapport ne semble capable d’empêcher complètement le filtrage abusif. Ceci est d’une importance décisive lorsqu’on met en balance la nécessité de bloquer la pédo-pornographie et les exigences des droits de l’Homme et de la liberté d’expression. Il semble inévitable que des contenus légaux soient aussi bloqués lorsque le filtrage sera mis en œuvre.

p. 13 : Aucune des stratégies identifiées dans ce rapport ne semble être capable de protéger du sur-filtrage. C’est une des préoccupations majeures dans l’équilibre entre la protection des enfants et les droits de l’homme et de la liberté. Il parait inévitable que le contenu légal soit filtré aux endroits où les filtres sont implémentés. Le sous-filtrage est aussi un phénomène universel spécialement présent dans la plupart des stratégies étudiées.

p 18 : Que l’accès à Internet soit ou non un droit fondamental indépendant, celui-ci est tout au moins protégé comme un moyen d’exercer la liberté d’expression, et chaque mesure de filtrage d’Internet qui tente d’empêcher les personnes d’accéder à l’information est par conséquent en conflit avec cette liberté. Chaque mesure de filtrage limite le droit à la liberté d’expression, de manière plus ou moins large selon les caractéristiques du filtrage et le degré de sur-filtrage, puisque l’objectif initial d’une telle mesure est de limiter l’accès à un contenu particulier.

p 21 : La seule sorte d’accord qui pourrait autoriser une mesure de filtrage serait le contrat entre l’utilisateur d’Internet et le fournisseur d’accès. La légalité d’une telle mesure de filtrage dépendrait pour beaucoup du type de contenu consulté, de la nature de l’entorse aux droits et libertés et des preuves requises. Si cela n’est pas précisé d’une façon raisonnable, il est facile d’envisager que de tels contrats soient considérés comme des entorses à la directive européenne sur les clauses contractuelles abusives, particulièrement si cela permet au fournisseur d’accès à Internet de prendre des sanctions unilatérales à l’encontre de son client.

p 23 : Le filtrage du web et du P2P dans l’intérêt de l’industrie de la propriété intellectuelle. Une mesure de filtrage du web ou du P2P, qui servirait l’intérêt des ayants droit, aurait probablement un effet global plus négatif :

  • tout d’abord, si le filtrage du P2P peut être présenté comme menant à un chiffrement des échanges rendant toute surveillance ou la plupart des contenus impossible, il deviendrait alors impossible de surveiller ces communications, même dans les conditions où cela est autorisé ;
  • ensuite, cela impliquerait des coûts. Elevés pour l’industrie d’Internet, les gouvernements et les internautes ;
  • enfin, cela mènerait à coup sûr au filtrage de fichiers légaux.

Au regard du critère qui requiert qu’il existe une base suffisante pour croire que les intérêts des ayants-droits soient en péril , nous pouvons dire qu’il n’y a aucune preuve d’un tel danger. Il n’y a aucune preuve de la nature et de l’étendue des pertes possibles dont souffrent les ayants-droits à cause des infractions commises à l’encontre de leurs droits sur le web ou les réseaux P2P, étant donné que les études sur ce problème sont insuffisantes ou démontrent un résultat inverse.

Le filtrage des contenus illégaux du web ou du P2P dans le but de la prévention du crime. L’objectif de la prévention du crime devrait être d’empêcher les gens de commettre des crimes ou délits ou d’en être complices en achetant, téléchargeant ou vendant des contenus illégaux. Sa proportionnalité dépendrait de l’équilibre trouvé entre, d’une part, le pourcentage de la population qui ne commettrait plus de délits puisque n’ayant plus accès aux contenus illégaux et, d’autre part, les restrictions des libertés publiques que causerait la mesure. L’effet de la mesure ne devrait pas être une réduction significative de la liberté d’expression ni du droit à la vie privée de chaque citoyen. Il n’existe pour l’instant aucune preuve qu’une mesure de filtrage pourrait aboutir à une diminution des crimes et délits, alors qu’elle restreindrait certains comportements légitimes et proportionnés.

p 25 : Si avoir le droit d’attaquer devant un tribunal une décision qui limite une des libertés est un droit fondamental, cela suppose que cette limitation a déjà été mise en place et que le citoyen a déjà subi ses effets. Par conséquent, il est essentiel qu’un juge puisse intervenir avant qu’une telle décision de filtrage ne soit prise. En ce qui concerne le filtrage d’Internet, ces situations sont tout d’abord relatives à l’estimation et la déclaration d’illégalité d’un contenu ou d’une action, puis à l’appréciation de la proportionnalité de la réponse apportée à la situation illégale.

p. 26 : Un passage en revue technique des principaux systèmes de filtrage d’Internet utilisés de nos jours, et la façon dont ils s’appliquent à différents services en ligne, soulignent la gamme croissante des contenus et des services qu’on envisage de filtrer. Une analyse de l’efficacité des systèmes de filtrage d’Internet met en évidence de nombreuses questions sans réponse à propos du succès de ces systèmes et de leur capacité à atteindre les objectifs qu’on leur assigne. Presque tous les systèmes ont un impact technique sur la capacité de résistance d’Internet et ajoutent un degré supplémentaire de complexité à un réseau déjà complexe. Tous les systèmes de filtrage d’Internet peuvent être contournés et quelquefois, il suffit de modestes connaissances techniques pour le faire. Il existe des solutions logicielles largement disponibles sur Internet qui aident à échapper aux mesures de filtrage.

p. 27 : En bref, le filtrage d’Internet est conçu avec des solutions techniques qui sont inadéquates par elles-mêmes et qui en outre sont sapées par la disponibilité de protocoles alternatifs permettant d’accéder à du matériel illégal et de le télécharger. Il en résulte que l’estimation du caractère proportionné des mesures ne doit pas seulement respecter l’équilibre des divers droits en jeu, mais aussi garder à l’esprit l’incapacité des technologies de filtrage à préserver les droits en question, ainsi que les risques d’effets pervers, tels qu’une diminution de la pression politique pour rechercher des solutions complètes, ou le risque d’introduction de nouvelles stratégies chez les fournisseurs de sites illégaux pour éviter le filtrage, ce qui rendrait à l’avenir plus difficiles encore les enquêtes pénales.

Notes

[1] Crédit photo : Dolmang (Creative Commons By-Sa)

[2] Cormac Callanan est Membre du conseil consultatif Irlandais sur la sûreté d’Internet et directeur d’Aconite Internet Solutions, qui fournit des expertises dans le domaine de la cybercriminalité.

[3] Marco Gercke est Directeur de l’Institut du droit de la cybercriminalité et professeur de droit pénal à l’Université de Cologne.

[4] Estelle De Marco est juriste. Ancienne consultante de l’Association des Fournisseurs d’Accès.

[5] Hein Dries-Ziekenheine est PDG de Vigilo Consult, cabinet de juristes spécialisés dans le droit de l’Internet.

[6] Voir Tabac et vente sur Internet : le gouvernement dément.

[7] En juin 2008, interrogé par PCINpact, le directeur général de la SPPF, Jérome Roger, qui représente les producteurs indépendants français, a déclaré : « les problématiques de l’industrie musicale ne sont pas éloignées de ces autres préoccupations (la pédophilie) qui peuvent paraître évidemment beaucoup plus graves et urgentes à traiter. Bien évidemment, les solutions de filtrage qui pourraient être déployées à cette occasion devraient faire l’objet d’une réflexion à l’égard des contenus, dans le cadre de la propriété intellectuelle ». Voir Quand l’industrie du disque instrumentalise la pédopornographie.