Libération du film d’animation Sita Sings the Blues

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Temps de lecture 6 min

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Sita Sings the Blues (Sita chante le blues) est un long métrage d’animation entièrement écrit et réalisé par une seule et même personne, Nina Paley. Primé au Festival international du film d’animation d’Annecy en 2008, il met en parallèle la légende hindouiste du Râmâyana et une rupture amoureuse autobiographique, en mélangeant les techniques d’animation (dessins, papiers découpés, ordinateur 2D, utilisation d’images libres de droits…). Si vous aimez les dessins animés, l’Inde, le jazz et les histoires d’amour qui finissent mal (en général), ce film de 80 min devrait vous plaire.

En voici la bande-annonce (via Framatube)  :

—> La vidéo au format webm

Sita Sings the Blues vient tout de juste de passer sous licence Creative Commons By-Sa, comme l’annonce Nina Paley dans un joli message que nous avons traduit ci-dessous. Vous le trouverez en téléchargement intégral sur archive.org ainsi qu’en torrent sur le wiki du site officiel (existe également en streaming flash sur Reel 13).

Cette «  libération  » est un heureux évènement et un élément de qualité à ajouter à la Culture Libre. Mais elle ne doit pas cacher l’incroyable histoire des problèmes de droits d’auteur qu’a rencontré Nina Paley (et qui font d’ailleurs que ce film ne peut être considéré comme totalement libre).

Le film est en effet indissociable de l’interprète de jazz Annette Hanshaw (qui apparait d’ailleurs au générique du film comme protagoniste). Onze de ses chansons y figurent en étant complètement intégrées au scénario et à l’animation (impossible donc de changer la musique). Ces chansons datent de la fin des années… 1920  ! Autrement dit, un peu moins d’un siècle plus tard (et un quart de siècle après la mort de la chanteuse), Nina Paley pensa légitimement qu’elles étaient désormais dans le domaine public.

Mais c’était sans compter sur des subtilités juridiques que certains justifieront sans peine mais que je ne puis m’empêcher de qualifier «  d’un autre âge  » (excusez-moi mais l’Hadopi ça me met à cran en ce moment). Vous me corrigerez dans les commentaires mais voici ce que j’en ai compris à parcourir cet article. Les enregistrements sont bien dans le domaine public mais ce n’est pas le cas de la composition, paroles et musiques (partitions). Et du coup les ayant-droits ont d’abord demandé à Nina Paley 500 $ par chanson pour l’autoriser à être projetée dans les festivals (ce dont elle s’est acquittée), mais surtout 200 000 $ pour l’autoriser à commercialiser le DVD de son film (somme ramenée à 50 000 $ assortie de nombreuses restrictions)  ! Ubuesque non  ? Alors même que la diffusion de son film permettrait justement à un nouveau public de découvrir Annette Hanshaw  ! Impossible alors de trouver un distributeur pour son film. Nina Payley s’en explique longuement dans cette interview.

Enfin bref, un mal pour un bien en quelque sorte, et nous voici donc avec un Sita Sings the Blues sous licence libre (dont il faut cependant aussi respecter le copyright pour le moins complexe de la fameuse musique). Mais il me plait à penser que Nina y est venue non par dépit mais par conviction (en fait un peu des deux je pense). Il me plait également à penser que Nina Paley reçoive de nombreux dons, témoignant ainsi qu’il y a une vie économique pour une culture qui souhaiterait se soustraire aux logiques oppressantes du classique et souvent mortifère copyright.

Une dernière chose. Framalang est en train de le visionner dans son intégralité et se tient prêt à en assurer le sous-titrage si l’évaluation globale se révèle aussi positive que la première impression, sachant que vous nous aideriez d’autant en nous donnant votre propre avis dans les commentaires.

Annonce de la «  libération  » de Sita Sings the Blues

Sita Sings the Blues

Nina Paley – 28 février 2009
(Traduction Framalang  : Simon)

Cher public,


Par la présente, je te donne Sita Sings the Blues. En tant qu’élément culturel il t’appartient déjà, mais je rends la chose explicite avec une licence Creative Commons Attribution-Share Alike. Je t’invite à distribuer, copier, partager, archiver et montrer Sita Sings the Blues. Il provient de la culture partagée, et retourne à la culture partagée.

Tu n’as pas besoin de ma permission pour le copier, le partager, le publier, l’archiver, le montrer, le vendre, le diffuser ou le remixer. La sagesse conventionnelle m’intime de réclamer un paiement pour chaque utilisation de ce film, mais alors, comment feraient les gens sans argent pour le voir  ? À quelle ampleur le film se disséminerait-il s’il était limité par des permissions et des droits d’auteur à payer  ? Le contrôle offre une fausse impression de sécurité. La seule vraie sécurité que j’ai, est de croire en vous, de croire en la culture et de croire en la liberté.

Ceci étant dit, mes collègues et moi même allons mettre en œuvre la licence Share Alike. Tu n’es pas libre de réduire les libertés que je donne sur Sita Sings the Blues et ses dérivés, ni en y imposant un copyright, ni en y ajoutant des DRM.

Certaines chansons de Sita Sings the Blues ne sont pas libres, et ne le seront peut être jamais  ; les lois régissant le droit d’auteur t’obligent à respecter leurs licences respectives. Ce n’est pas de mon fait  ; pour plus d’informations sur ce sujet, tu peux lire notre page «  restrictions  ».

Et comment vais-je gagner de l’argent dans tout ça  ? Mon expérience personnelle atteste que le public est généreux, et souhaite soutenir les artistes. Il y a sûrement un moyen de permettre cela sans contrôler centralement chaque transaction. Le vieux système économique fait de coercition et d’extorsion touche à sa fin. De nouveaux modèles émergent, et je suis heureux d’en faire partie. Mais nous continuerons de mettre cela en place avec le temps. Tu es libre de gagner de l’argent à partir du contenu libre de Sita Sings the Blues, et tu es libre de partager cet argent avec moi. Des gens gagnent de l’argent avec des logiciels libres depuis des années  ; il est temps pour la Culture Libre de suivre. Je te prie de bien vouloir croire en la confiance que j’ai en tes innovations.

Si tu as des questions, n’hésite pas à nous les poser. Si tu as des idées, réalise les, tu n’as pas besoin de ma permission, ni de celle de personne (excepté les chansons mentionnées ci-dessus). Si tu constates des abus, corrige-les, mais ne sombre pas dans les détails des arcanes des lois sur le droit d’auteur. Le système de copyright voudrait que tu penses en termes de demande de permission  ; je voudrais que tu penses en terme de liberté. Nous avons mis un wiki en place, pour démarrer les choses. N’hésite pas à l’utiliser.

Je dois reprendre une vie normale maintenant, et retourner faire de nouvelles œuvres. Merci pour ton soutien  ! Ce film n’existerait pas sans toi.

Affectueusement

Nina Paley

11 Responses

  1. PillOow

    J’adore ce genre d’initiatives qui contrastent avec celles prises par des réalisateurs, qui font sauter des chinois qui veulent kidnapper une fille protégée par un monsieur armé dans un taxi, et qui s’attaquent aux méchants communistes que sont Kassandre & co. Si j’ai le temps ce week-end, je visionnerais le film, et s’il me plait, je ferais surement un don. Parce que même sans juger de la qualité du film, c’est déjà amplement mérité !

    Encore merci framablog pour cette petite découverte, on a bien besoin de ça en ce moment. :'(

  2. H.Valentza

    J’ai vu les 20 premières minutes, c’est très agréable comme univers, j’aime beaucoup.

    Pour en revenir à la question des droits d’auteurs, le plus terrible dans tout ça c’est que je suis absolument certain que tous les "vrais" acteurs, c’est-à-dire les artistes (auteurs, compositeurs, interprètes) auraient donné autorisation à Nina Paley. Le seul problème c’est qu’ils sont morts depuis longtemps et que ce sont les requins qui possèdent le catalogue.

    Heureusement qu’avec le Libre on a une échappatoire sinon ce serait le cauchemar absolu.

  3. Simon D.

    J’ai visualisé Sita sings the Blues en entier, car ma dévotion au Framablog n’a pas de limites, et s’il faut visualiser un bon film d’animation tranquille dans mon canapé, je ne me défile pas devant la tâche ! Et aussi que la traduction du texte m’avait mis en appétit.

    Ça m’a beaucoup plu. C’est beau, c’est romantique, et traité avec beaucoup d’humour. Le film allie subtilement, une légende des divinités Indiennes, traitée avec un certain décalage et beaucoup d’humour, à une histoire d’amour un peu plus banale mais contemporaine, et finalement tout aussi triste, peut être même plus touchante, qui donne d’un coup bien plus de relief à la légende par rapport à laquelle on prenait sans s’en rendre compte jusque là une certaine distance.

    Les chansons de 1920, dans le ton « Amélie Poulain » ou « Entre deux » de Bruel, collent assez bien
    à l’histoire, et établissent comme une connexion intemporelle entre la légende Indienne immémoriale
    (-1300 avant J.C. ?) et la mésaventure amoureuse contemporaine de l’auteur (de l’autrice ? de l’auteuse ? certainement pas de l’auteure).

    Quand on sait le poids et la rigidité que peut avoir la culture Indienne, la légende n’en devient que plus crédible, et on en vient à transférer son émotion d’un siècle à l’autre, réussissant le pari d’alléger celui dans lequel on vit.

    Bon, mais pour être tout à fait franc, il faut aussi préciser que tout n’est pas rose (ni même bleu), dans cette animation. Elle ne semble, pour commencer, pas conseillée aux enfants. Autant j’ai acheté Kirikou ainsi qu’Azure et Aznar en DVD dans le secret espoir qu’on trouvera encore des lecteurs pour ce média sur terre quand le moment sera venu (de montrer ces films à mes enfants), autant l’histoire de Sita est clairement racontée à des adultes. En l’état, ça cause et ça chante en anglais pour commencer, ensuite l’humour est emprunt de références difficilement accessibles aux enfants et enfin ça cause de sexe avec la vision américaine de la pudeur : c’est à dire que les filles sont habillées, mais qu’on essaye quand même d’être le plus explicite possible… Et je pensais là aux scènes indiennes. Dans une autre scène, l’auteur se représente alanguie en petite tenue sur un lit, et si la scène est éloquente pour des adultes, elle me semble bien audacieuse à expliquer au public de Kirikou (je rappelle qu’on en était à l’épine qui fait mal, plantée dans le dos par plusieurs hommes méchants à la fois, ce qui est déjà légèrement plus explicite que le loup qui dévore le petit chaperon rouge, mais cela ne nous regarde pas – tout à fait Thierry…).

    L’animation comporte également des longueurs (là on dit pas longueures…), qui, si elles permettent d’admirer les différents styles graphiques très contrastés, n’apportent rien à la narration, et ne sont pas placées aux endroits où elles auraient pu soutenir le pathos de l’histoire. Et j’avais déjà prévu de parler de ce détail *avant* de tomber sur l’entracte de 2min44s, prétexte à la diffusion d’une bande son d’entracte de l’artiste de 1920. Inédit ? sûrement ! Intéressant ? Peut-être…

    Pour conclure simplement, je dirais que pour un morceau de culture libre, c’est un beau morceau de culture. Libre à vous tous de venir le partager avec nous.

  4. libre fan

    Merci pour cette découverte. Cette artiste a du cran! Je suis en train de télécharger le film en Torrent et ça prendra le temps qu’il faut.

    Notre artiste et bienfaitrice Nina a encore un petit bout de chemin à faire et ce serait le plus dur pour elle, même si elle affirme "©ensorship", c’est de passer aux logiciels libres pour son travail et aux formats ouverts.

    En attendant on se réjouit de la sortie de ce film.

  5. Sophie

    Dommage qu’il y ait autant de fautes dans le paragraphe « Si tu as des questions… » (n’hésite pas, réalise-les, corrige-les, que tu penses, Nous avons mis).

  6. aKa

    Merci Sophie. Comme il est dit dans le paragraphe : "Si tu constates des abus, corrige-les". Ce que nous venons de faire 😉

  7. antistress

    "Le système de copyright voudrait que tu penses en termes de demande de permission ; je voudrais que tu penses en terme de liberté."
    C’est beau.

  8. Clément V.

    Pour ceux qui ont des difficultés avec l’anglais et qui habite à ou près de Paris, je signale que le film sera diffusé dans le cadre du festival Némo au forum des images (forum des halles) le vendredi 3 avril à 21h.
    Les séances au forum des images sont à 5 euros et le film sera projeté en version originale sous titrés en français.

    Ce film à d’ailleurs obtenue le grand prix au festival international d’Annecy en 2008.

    Je n’ai pu voir que la moitié du film et ce que j’en ai vu me pousse en tout cas chaudement à aller à la séance du 3 avril. J’ai en effet adoré la façon dont ce film traite avec poésie, romantisme et humour tout les thèmes qu’il aborde et son style graphique très particulier.

  9. Erondael

    Dans un moment d’étude intense, en cette période d’examens (en Belgique du moins), j’ai enfin regardé le film que j’avais récupéré à la suite de la lecture de cet article.

    Tout d’abord, FYI, les sous-titres sont dispo sur le wiki du site officiel en plusieurs langues.

    Ensuite, je ne peux que vous recommander la lecture savoureuse de quelques http://mimiandeunice.com . Un strip de Nina Paley qui vaut le coup d’œil.

  10. spartacvs

    La bande annonce sur cette page est la meilleure que j’ai vue.