iPad et éducation sont des mots qui ne vont pas bien ensemble

Rego - CC by-saLe site OpenSource.com étant soutenu par Red Hat qui soutient également le projet OLPC, il n’est guère étonnant de les voir réagir lorsque l’on se permet d’affirmer que l’iPad pourrait être meilleur que le petit ordinateur vert pour enfants pour lutter contre la fracture numérique.

Difficile de leur donner tort.

Il faut dire que d’un côté on a un produit pensé pour les enfants (cf cet extrait vidéo de Télématin et l’interface pédagogiquement révolutionnaire Sugar) et de l’autre un énième produit Apple aussi beau dehors que totalement vérrouillé dedans[1].

L’éducation et l’architecture de contrôle de l’iPad

Education and the iPad’s architecture of control

Gunnar Hellekson – 4 février 2010 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Poupoul2 et Daria)

Comme la plupart des travaux de Jonathan Ive, l’iPad est beau. Comme la plupart des réalisations d’Apple, cet appareil me met également mal à l’aise. Je m’apprêtais à rédiger quelque chose à propos de ce sentiment d’inconfort, lorsque j’ai découvert avec plaisir que Timothy B. Lee et d’autres avaient déjà fait cela pour moi. Dans « Pourquoi les Geeks détestent l’iPad, « Le Crépuscule des bidouilleurs et « Rien de créatif, nous sommes entraînés dans une analyse minutieuse de ce que nous sacrifions lorsqu’Apple nous contraint à échanger flexibilité et liberté contre une nouvelle machine qui brille. Je crois qu’on peut appliquer la même analyse à l’iPhone, l’iTouch, ainsi qu’à toute l’électronique grand public qui trône sur les étagères d’Apple.

En d’autres termes, l’iPad et ses frères ne sont pas des ordinateurs personnels. Ce sont les ordinateurs d’Apple. Le matériel lui-même est hermétiquement fermé, décourageant ainsi quiconque souhaitant l’améliorer ou savoir comment il fonctionne. La plateforme logicielle est largement propriétaire. Le si vanté AppStore, qui a apporté à l’informatique grand public la même simplicité d’installation et de gestion des applications que celle dont bénéficie les utilisateurs de logiciel libre depuis des années, est strictement contrôlé au profit des intérêts d’Apple. Posez la question à Google !

Pour autant, cela ne fait pas d’Apple le diable. Ils ont bien sûr le droit de produire autant d’appareils beaux et verrouillés qu’ils le souhaitent. Il est pourtant important de comprendre ce que vous abandonnez en adoptant l’architecture de contrôle douillette d’Apple. Dans ce contexte, Andrea Di Maio, du Gartner Group, nous propose une argumentation étrange : « l’iPad d’Apple pourrait faire plus pour les gouvernements que l’OLPC ». Je pardonne à DiMaio son enthousiasme pour l’iPad (il a certes un joli look), mais sa suggestion que l’iPad est supérieur à l’OLPC en matière d’éducation démontre une très sérieuse méconnaissance du projet OLPC.

En bref, son argument est le suivant : « Il est bon marché, et suffisamment simple d’utilisation; les gouvernements pourraient donc l’utiliser pour vaincre la fracture numérique dans l’éducation.»

L’OLPC a été conçu dans le but de fournir aux étudiants une plateforme créative, pas uniquement un ordinateur portable bon marché. Il ne s’agit pas de proposer aux étudiants une copie bon marché de Microsoft Office et un portable à 100$. L’OLPC est passionnant parce que les principes de bidouillabilité et de partage sont au cœur du projet. Le portable lui-même a été conçu avec du logiciel libre, garantissant que la collaboration et l’innovation pouvaient s’étendre au plus profond de ses tripes. L’innovant réseau maillé a supprimé le besoin d’une infrastructure centralisée ; les étudiants sont automatiquement connectés les uns aux autres, et si un étudiant dispose d’une connexion à Internet, tous en bénéficient. Les connexions sont ad hoc, le partage est disponible par défaut, et les applications fournies par l’OLPC ont été réalisées collaborativement. Exception faite de la viabilité commerciale, je crois qu’il s’agit là d’une expérience pédagogique passionnante. Les fruits de cette expérience sont visibles au Brésil sur cette vidéo.

Imaginez un moment l’iPad comme plateforme pour l’éducation. Comment les enfants peuvent-ils collaborer sur une telle plateforme ? Comment peuvent-ils, comme M. Lee, triturer ses entrailles ? Comment les étudiants peuvent-ils construire leurs propres applications ? Les étudiants ne peuvent rien faire de tel sans autorisation d’Apple. C’est inquiétant.

De la même manière, l’exploitation par les fournisseurs de services et de contenus est aussi un motif d’inquiétude sur une plateforme aussi fermée que l’iPad. Une plateforme fermée simplifie la mise en place de contrôles rigides sur le type de contenu proposé aux étudiants. Pensez simplement à la mainmise d’AT&T sur le service iPhone, et étendez cela aux livres de toute une académie. Ce contrôle monopolistique est déjà un problème pour les consommateurs de technologies aisés et raffinés. C’est un désastre pour les moins nantis et c’est catatrophique pour les pays en voie de développement. Livrer 100 iPad à un village de l’Ouest africain ou à une école qui essaie d’émerger dans l’académie du Mississippi, ce n’est pas de la charité, c’est une paire de menottes.

Alors, lorsque M. Di Maio suggère que l’iPad est supérieur à l’OLPC pour l’éducation, je m’interroge ! Qu’espère-t-il d’un programme de formation certifiée Apple tel que One to One ? L’objectif est-il de mettre un appareil connecté dans les mains de chaque étudiant, quel qu’en soit le prix pour la liberté de l’école et de l’étudiant, ou devrions-nous plutôt fournir des outils qui encouragent les étudiants à apprendre les uns des autres, à partager leurs succès, et à permettre de créer un environnement dans lequel ils peuvent résoudre eux-mêmes leurs propres problèmes ? Je crois que l’éducation, c’est de la créativité, de l’ingéniosité et du partage ; toutes ces caractéristiques étant bien plus puissantes qu’un navigateur Web portable, aussi joli soit-il.

Notes

[1] Crédit photo : Rego (Creative Commons By-Sa)




Des statistiques plus qu’encourageantes pour OpenOffice.org

viZZZual.com - CC byUn site allemand a réalisé une étude originale sur l’usage planétaire et comparée des différentes suites bureautiques, MS Office et OpenOffice.org en tête.

L’échantillon est relativement faible (200 000 personnes) et la méthode pas forcément très fiable (à partir des polices installées sur les ordinateurs, sachant de plus qu’installation n’équivaut pas forcément à utilisation au quotidien), mais il n’empêche qu’elle dessine une carte du monde où OpenOffice.org possède une non négligeable part de marché[1].

Et qu’est-ce qui l’empêcherait de suivre la même dynamique ascendante que Firefox ? s’exclame alors un Glyn Moody des plus enthousiastes !

Remarque : Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, je signale également, mais vous le saviez déjà, que la version 3.2 vient de voir le jour avec plein d’intéressantes améliorations dedans.

L’irrésistible ascension d’OpenOffice.org a-t-elle commencé ?

Has the Irresistible Rise of OpenOffice.org Begun?

Glyn Moody – 8 février 2010 – ComputerWorld
(Traduction Framalang : Julien et Martin)

OpenOffice.org - StatistiquesLes lecteurs assidus de ce blog savent déjà que je suis un grand fan d’OpenOffice.org, et que je pense qu’il a le potentiel pour percer auprès du grand public. Peut-être que cette percée a déjà commencé, à en juger par ces récents chiffres (ci-contre) de Webmasterpro.de :

« Les statistiques ont été recueillies au moyen d’une nouvelle méthodologie : plus de 200 000 visiteurs du monde entier ont été analysés par le service de statistiques FlashCounter. En listant (via l’utilisation de Javascript) quelles polices de caractères étaient installées sur le système, nous avons pu identifier les suites bureautiques installées. »

Même répartis tout autour de la planète, ces 200 000 utilisateurs ne sont pas très nombreux, donc je prendrais ces chiffres avec des pincettes. Mais même dans leur orientation générale, ils sont assez significatifs. Par exemple, la Pologne compte 22% pour OpenOffice.org contre les 68% de Microsoft Office ; la République Tchèque compte aussi 22% contre 76% ; tandis que l’Allemagne fait bien avec 21% et 72%. Les pays suivants en ordre décroissant sont la France, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, la Belgique, la Suède et l’Autriche.

Le Royaume-Uni, c’est presque inutile de le préciser, tourne misérablement avec 9% – comme les États-Unis – aux côtés d’un massif et moutonnier 80% d’utilisation de Microsoft Office (75% aux États-Unis). La honte.

Ce qui est intéressant dans ces chiffres – en particulier les nombres élevés dans certains pays – est que cela place OpenOffice.org dans la même position de parts de marché que Firefox occupait il y a quelques années. Ce qui soulève deux questions intéressantes. Premièrement, sommes-nous en train d’assister à l’émergence du même type de trajectoire ascendante, et deuxièmement, comment la communauté open source peut-elle propulser plus rapidement OpenOffice.org le long de cette trajectoire ?

Comme Simon Phipps l’a à juste titre souligné sur Twitter, cette rapide évolution n’est pas le meilleur moment pour qu’Ubuntu retire OpenOffice.org de sa prochaine édition pour Netbook : au contraire, il devrait faire tout son possible pour promouvoir cette suite bureautique si son souci affirmé est d’élargir l’écosystème du logiciel libre. Peut-être bien que c’est quelque chose à quoi devrait réfléchir Matt Asay dans la première semaine de sa prise de fonction en tant que Directeur général de Canonical…

Notes

[1] Crédit photo : viZZZual.com (Creative Commons By)




Microsoft en Afrique : Un véritable système d’exploitation ?

OLPC - CC byDans un récent billet nous évoquions la stratégie planétaire de Microsoft dans le secteur éducatif en nous focalisant sur une école française prise consciemment ou non dans les mailles du filet.

Voici que le blog d’André Cotte apporte de l’eau à notre moulin, en signalant et hébergeant un document intéressant rédigé par Marc-Antoine Daneau, étudiant québécois en économie et politique.

Son article évoque en effet les comportements et agissements de la société dans cette région du monde[1]. Un altruisme de façade dont s’accommode souvent fort bien les hommes au pouvoir qui ont du mal à voir plus loin que le court terme. L’état des caisses de l’État faisant le reste…

Et ce n’est pas seulement le logiciel libre qui s’en trouve bloqué mais peut-être aussi le continent tout entier.

Vous trouverez dans le document d’origine une bibliographie non reproduite ici.

L’imposition d’une dépendance : les actions de Microsoft en Afrique

URL d’origine du document (pdf)

Marc-Antoine Daneau – 24 novembre 2009
GNU Free Documentation License

Avec la bulle internet de 1995 à 2000, les technologies de l’information sont entrées de plein fouet dans la culture des pays développés. D’un réseau militaire à un réseau de recherche universitaire, l’internet s’est imposé dans les années 90 telle une révolution informationnelle encore plus rapide que celle imposée par la télévision.

Tout maintenant se trouve et se fait en ligne. Le changement a été tellement rapide qu’on ne conçoit plus la vie sociale et économique sans ce formidable moyen de communication, pis encore, moins d’une génération est passée entre l’apparition des premiers hackers[2] de Berkeley et la normalisation de l’internet en occident.

Cependant et sans grande surprise, ce qui fut une révolution dans les pays développés fut l’établissement d’un retard technologique dans les pays qui le sont moins ou ne le sont tout simplement pas.

La fracture numérique

Le territoire le plus en retard au niveau des technologies de communication est bien évidemment l’Afrique. Dans ce continent où il n’y a rien, tout est à construire, tellement que dans le domaine de la technologie informatique, on y parle de fracture numérique[3]. À propos de l’informatique et d’internet précisément, l’Afrique est terriblement en retard[4][5]. Ce problème se conçoit de deux façons, pour les Africains, il importe de réduire cette fracture numérique pour profiter de la technologie existante; pour les pays développés, il convient de voir l’Afrique comme un marché à développer.

Plus précisément, ce texte porte sur les actions la firme américaine Microsoft en Afrique. Est-ce le fait que Microsoft veuille conquérir le marché africain est à l’avantage des Africains eux-mêmes ou s’agit-il de l’exploitation classique du nord envers le sud ? Ce texte tentera de démontrer qu’agissant ainsi, une firme très importante d’un pays riche tente d’exporter une vieille et désuète technologie dans des pays pauvres.

Logiciels libres versus logiciels propriétaires

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de présenter les deux modèles économiques existant actuellement en informatique.

Le premier modèle économique est celui qui domine actuellement le marché résidentiel et commercial, soit celui du logiciel propriétaire à code source fermé. Le code source, ce qui est écrit par les programmeurs, n’est pas disponible et gardé secret, ce qui permet aux fabricants de logiciels de vendre des exécutables, des logiciels d’installation autrement dit. La logique de cette mise en marché sous-tend une affirmation générale que l’acheteur doit avoir une confiance absolue envers le fabricant de logiciels. Ce dernier affirmera, à tort ou à raison, que son logiciel est le meilleur du marché, le plus sécuritaire, le plus efficace, le moins gourmand en ressource informatique, etc. La frontière entre la véracité de ces affirmations et la publicité est bien mince et en pratique souvent impossible à déterminer. Le plus gros fabricant de logiciels au monde est Microsoft, que ce soit par son système d’exploitation, le très populaire Windows ou par sa suite bureautique aussi très populaire, Office. Il est à noter que la structure de prix des produits Microsoft maximise leur marge de profits, en étant en situation de quasi-monopole, ils vendent une trop petite quantité trop cher en plus de faire de la discrimination par les prix.

Le modèle économique[6] opposé est celui du logiciel libre, à code source ouvert, ou Linux[7]. Il est reconnu que le logiciel libre est plus stable, plus rapide et plus sécuritaire que les logiciels propriétaires du type de ceux fournis par Microsoft, en plus d’être gratuit et modifiable. Ce que vendent les compagnies qui travaillent avec du logiciel libre, c’est le service. Ce qui différencie les deux modèles au niveau de leur conception est que quand le code source est confidentiel, il est produit par une petite équipe, quand il est ouvert, tout le monde peut l’améliorer ou y ajouter des fonctions, ce qui fait que la progression du logiciel libre est beaucoup plus rapide que celle du logiciel propriétaire.

Ce sont ces deux modèles économiques qui s’affrontent pour le marché africain, d’un côté une firme américaine devenue un monstre multinational qui voit dans le lent développement de l’Afrique une occasion à ne pas manquer pour placer les Africains en position de dépendance informatique[8] s’assurant ainsi un profit maximum à long terme, de l’autre un modèle axé sur l’indépendance informatique, gratuit et adaptable selon les divers besoins. Ce qui revient à la phrase célèbre de Conficius : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ».

Un patrimoine de l’humanité fragile

Depuis 1998, l’UNESCO supportait les logiciels libres et en 2003 lui octroya ses titres de noblesse en les classant patrimoine mondial de l’humanité[9]. Néanmoins, le principal intéressé de ce progrès, Richard Stallman et la Free Software Foundation, mettait en garde contre la perte de liberté, du combat à mener pour l’indépendance logicielle dans une lettre adressée à l’Unesco :

But our freedom is not permanently assured. The world does not stand still, and we cannot count on having freedom five years from now, just because we have it today. Free software faces difficult challenges and dangers. It will take determined efforts to preserve our freedom, just as it took to obtain freedom in the first place[10].

Malheureusement, Stallman avait raison, mais en ayant surestimé le temps de réponse de l’industrie du logiciel propriétaire, la charge vint le 17 novembre 2004. En cette date, Microsoft devint un partenaire de l’Unesco, ce qui allait en direction opposée du constat émis par la Cnuced dans un rapport parut en 2003 qui conseillait : « aux pays en développement d’envisager d’adopter les logiciels libres en tant que moyen de combler le fossé numérique »[11].

Avec la signature de cet accord, « Microsoft va ainsi contribuer à la réduction de la fracture numérique » de quatre manières : recyclage de vieux ordinateurs personnels, formation d’enseignants en informatique dans les pays en voie de développement, ouverture d’un centre de ressources informatiques dans le Maghreb et la mise en place d’une « plate-forme pour le partage de contenus numériques ».

Avec cet accord, Microsoft s’engageait aussi à livrer des ordinateurs dans tous les pays d’Afrique, l’Unesco, toujours selon cet accord ferait en sorte que Microsoft en livre partout en Afrique même là où son intérêt économique serait diminué[12].

Il importe ici d’apporter une nuance essentielle, les enseignants qui seront formés par Microsoft le seront en fonction des produits de cette même firme, pas en fonction de l’informatique ou du fonctionnement d’un ordinateur en soit. Ainsi, quand ces enseignants feront leur boulot, ils enseigneront le fonctionnement des produits Microsoft, ils agiront comme formateurs bénévoles au profit de Microsoft et transmettront leur dépendance informatique à leurs élèves.

Cette même date, lors d’une conférence de presse à Paris, Koïchito Matsuura, directeur général de l’Unesco, affirma que « l’ONU avait reconnu le rôle du secteur privé pour lutter contre la fracture numérique »[13]. Loin de nous ici de douter des mauvaises intentions de l’ONU dans ce dossier, l’Unesco est tributaire des fonds qu’on daigne bien lui alouer, sans plus. Cependant, il est raisonnable de penser que les Africains qui voyaient dans le logiciel libre une façon de se défaire de la dépendance de ce continent sous-développé envers la monde industrisé y ont vu au pire une défaite dans ce combat de la part de leur allié que devrait être l’Unesco, au mieux une instrumentalisation de l’Unesco par Microsoft[14].

Le point de vue des activistes du logiciel libre

Cet accord ne tarda pas à faire réagir. Un peu plus d’une semaine après l’accord parait sur internet un article sur les réactions des activistes du logiciel libre à l’endroit de l’accord. Benoît Sibaud, président de l’April[15], affirmait que l’Unesco « sous-traite ses valeurs au secteur privée » et que « Microsoft détient là une bonne manière de s’infiltrer dans les pays en voie développement. Et ça ne lui coûte pas grand-chose, car il peut se rattraper sur la marge qu’il réalise sur le prix de ses licences dans les pays du Nord »[16]. L’article se termine sur l’affirmation que tant l’April que l’Unesco « s’accordent à dire que si les logiciels propriétaires peuvent aider au développement, ils ne contribuent certainement pas au développement durable ».

C’est bien là tout le problème, qu’un organisme de la trempe de l’Unesco soit pret à permettre un développement qu’il sait voué à l’échec à long terme puisque n’étant pas durable. Janvier 2005, une lettre d’opinion scandalisée est publiée par Benoît Sibaud, Frédéric Couchet[17] et Sergio Amadeu da Silveira[18] dans Libération. Ceux-ci affirment qu’« en faisant le choix du logiciel propriétaire, un État se limite à louer une technologie » au lieu de se l’approprier et de la développer. Ces 3 spécialistes et militants en faveur des logiciels libres mentionnent les spécificités linguistiques de l’Afrique et de ses multiples langues. À titre d’exemple, les auteurs de la lettre d’opinion mentionnent que le navigateur internet Mozilla Firefox a été traduit en luganda[19] « par une petite équipe de huit … utilisateurs motivés … sans financement et sans organisation formelle »[20].

En matière de sécurité informatique, les trois spécialistes cités ci-haut mentionnent que les États qui se fient à Microsoft vont même jusqu’à abdiquer une partie de leur souveraineté étant donné le caractère fermé du code de Microsoft. En effet, comme il est impossible de savoir ce qu’il contient, la sécurité et l’intégrité des données sont remises entre les mains de Microsoft à qui il faut faire confiance[21]. Il apparaît en effet inconcevable qu’un continent qui essaie de se sortir du sous-développement, et donc qui veut prendre la place qui lui revient sur les marchés, et donc dans le domaine de la recherche et du développement (R&D) puissent penser sérieusement pouvoir le faire avec des outils informatiques qui n’assurent en rien la confidentialité ou même l’intégrité de leurs données. Il est clair que d’un point de vue de la sécurité, les pays africains qui font ou feront confiance à Microsoft ouvre la porte à l’espionnage économique.

À ce sujet, la ville de Munich a parfaitement compris et mis en application ce principe, parut en 2008 sur papier, mais se préparant depuis 2001, elle a émis une “Declaration of Independence” informatique, “rather than lowering the IT costs, the main motive is the desire for stratregic independence from software suppliers”[22].

Toujours au niveau de la sécurité informatique, l’affirmation la plus surprennante arrive de la NSA : “Unfortunately, existing mainstream operating systems lack the critical security feature required for enforcing separation: mandatory access control”[23].

C’est dans cette optique qu’il est possible de conclure qu’un pays développé exporte ses vieilles technologies désuètes dans les pays en développement. Les éléments stratégiques de la sécurité nationale américaine sont protégés autant que possible par Linux, mais en même temps, une entreprise de ce même pays exporte dans des pays déjà en difficulté un produit, Microsoft Windows, qui officiellement selon le gouvernement américain n’est pas sécuritaire. Combiné à la publicité de Microsoft et d’un point de vue stratégique, il s’agit de leur vendre un produit qu’on affirme miraculeux, mais qui est dans les faits déficient et dangereux[24].

Ce qui revient à faire payer les Africains pour qu’ils obtiennent le droit à une position de faiblesse au niveau de l’espionnage économique, scientifique et politique.

Le point de vue de Microsoft

La réponse de Microsoft aux accusations d’impérialisme fut pour le moins douteuse, publiée sur le réputé site de nouvelles informatiques Zdnet.com. Le responsable de Microsoft Nigéria, Gerald Ilukwe, affirmait sans gène que le “cost is not important” pour les gouvernements africains, tout en reconnaissant que le salaire moyen d’une Africain résidant dans l’ouest du continent est de 160 dollars américains par année.

Tout comme Neil Holloway, président de Microsoft en Europe, M.Ilukwe maintient que le problème est la connaissance des technologies, et donc implicitement, que la propriété des outils de l’information est accessoire. Tel un missionnaire généreux baignant dans l’altruisme, M.Holloway affirmait “It’s not about the cost of software, it’s about how you take your expertise to people. We are sharing our expertise…”[25].

La campagne de marketing de Microsoft continua inexorablement, toujours avec le même message, Cheick Diarra, responsable des opérations de la firme en Afrique, affirma pour répondre à ses détracteurs que “I try to advise Microsoft, as an ambassador from Africa…”[26], donc, de la manière la plus sérieuse possible, le responsable des opérations africaines de Microsoft affirma être l’ambassadeur des Africains en matière de besoin informatique auprès de la firme qui le rémunère justement pour extraire de l’Afrique le peu de profit, à court terme, qu’il soit économiquement possible d’en tirer.

L’affirmation de M.Diarra dépasse largement le stade du sophisme par l’absence de logique circulaire de son affirmation. L’image que Microsoft veut avoir en Afrique est celle d’une multinationale qui agit pour le bien et le progrès de l’humanité, sans égards à sa marge de profit. Comme si l’entreprise avait une conscience morale, qui en plus d’exister, serait tournée vers l’humanitaire.

Un article du Wall Street Journal qui donne le ton

S’il y a lieu de douter des bonnes intentions de Microsoft, encore faut-il le prouver. Malheureusement, les faits sont récents, les soupçons généreux et cette firme n’ira pas tout bonnement avouer dans un communiqué qu’elle a le comportement colonial et qu’elle tente par la fourberie d’acquérir le marché[27] africain du logiciel.

Néanmoins, un article paru dans le prestigieux Wall Street Journal sous la plume de Steve Stecklow le 28 octobre 2008[28] nous en apprend beaucoup sur les méthodes et les agissements de Microsoft en Afrique.

Premièrement illustration la plus grossière, ils ont embauché des gens bien placés en Namibie. Ils ont engagé Sean Nicholson, auparavant “adviser to Namibia’s Ministry of Education, promoting open-source software” et toujours en ce même pays, Kerii Tjitendero “as a contractor to help in (the) process”. Cependant, M.Tjitendero est le fils de Mose Tjitendero, “formerly speaker of Namibia’s national assembly, who signed the government’s Pathfinder agreement with Microsoft”. Malgré une telle proximité qui serait bannie de facto dans les pays développés, Microsoft affirma que “Kerii had the professional background that made him a good fit for this role”.

Toujours du même article, Microsoft tenta au Nigéria d’acheter pour 400 000 dollars[29] le remplacement de Linux sur les ordinateurs portables des écoles par des produits Microsoft.

Au sujet du Pathfinder, le plan d’action de Microsoft en Afrique, l’article de Stecklow nous apprend que dans une école de Namibie en 2004, à Katima Mulilo, Eric Kouskalis, alors étudiant à Harvard, était enseignant pour l’organisation WorldTeach. Il affirma des ordinateurs fournis par Microsoft qu’ils “weren’t being used at all” bien qu’il “spent weeks fixing software and hardware problems”. Et il en rajoute, si plus d’un étudiant voulait accéder à l’encyclopédie de Microsoft, Encarta, “everything would freeze up”.

Donc, de cette expérience, deux constats peuvent être tirés, soit qu’en fournissant sa propre Encyclopédie aux Africains, Microsoft leur fourni la vision américaine de l’histoire mondiale et des connaissances en général, et aussi que les problèmes logiciels que les produits Microsoft font subir aux consommateurs occidentaux sont les mêmes éprouvés par les Africains, soit l’instabilité et la médiocrité naturelle et intrinsèque de leurs produits. Quant bien même Microsoft leur vendrait un “special $3 Windows package”[30][31], avoir des ordinateurs, mais être bloqué par les logiciels ne vaut pas 3 dollars.

Néanmoins, en juin 2005, Microsoft déclara que Pathfinder était “a success” pour par la suite promettre 4000 ordinateurs usagés à la Namibie, sur ce nombre, 1300 ont été livrés. L’école de Katima Mulilo en reçut 20, le directeur de l’école, Fias Geel, affirma au sujet des ordinateurs reçus que “all but four were broken”. Un autre directeur d’école de la région, Paul Damaseb, affirma qu’aucun de ses 565 étudiants ne pouvait utiliser les ordinateurs “because of a server crash”. Par la suite, Microsoft admit que l’expérience de PathFinder était un processus d’apprentissage “valuable”, ce qui n’empêcha pas le gouvernement de la Namibie de stopper l’action des professeurs de ses écoles qui installaient Linux pour promettre 200 ordinateurs et finalement n’en livrer que 55, “all containing Microsoft software, says a person familiar with the matter”.

PathFinder et Unlimited Potential

Depuis, avec le succès limité, aux yeux de Microsoft, de PathFinder, la firme a lancé un autre programme à la conquête du marché africain, Unlimited Potential. Bien que trop récent pour pouvoir le juger, notons cependant que les éléments avec lesquels Microsoft présente Unlimited Potential sont fondamentalement les mêmes qu’avec Pathfinder, soit à l’aide d’un vocabulaire positif portant sur les engagements Microsoft à l’égard de l’avancement des Africains ou encore des phrases creuses comme “training to its next generation of citizens”, pour être bien certains qu’ils ne connaissent de l’informatique que les produits Windows. La seule différence entre les deux programmes de mise en marché est que maintenant Microsoft légitimise son action avec l’appui reçu par l’Onu[32] et l’Unesco.

La firme clame en effet qu’elle veut “supports and accelerates Africa’s progress toward the Millennium Development Goals”[33]. Quand Microsoft affirme : “… we are working to enable sustained social and economic opportunity for everyone”[34], il serait plus juste de lire qu’ils travaillent pour le profit, comme n’importe quelle entreprise privée, la satisfaction des clients ou la fonctionnalité des produits n’a pas d’importance, pour autant que les clients paient.

Cela dit, face à la critique, Microsoft par l’intermédiaire de son responsable pour le continent africain, M.Diarra, tente de faire croire qu’il ne s’agit que d’un problème de communication, “… it’s sad that sometimes reality has a hard time catching up with perception … we are competing respectfully and openly; you can verify that everywhere”, il rajoute comme pour marteler le message à propos des actions de Microsoft en Afrique “we always try to empower those communities”[35].

Cela dit, en plus de ce qui est documenté, comme la corruption en Namibie, ce qui est douteux comme le fait qu’une entreprise affirme avoir à coeur le bien-être des plus exploités de la planète au cours des derniers siècles, comme si Microsoft n’agissait pas accord avec la continuité historique des rapports nord-sud, il y a ce qui est étrangement circonstanciel. Par exemple, en recoupant les informations vagues[36] disponibles sur le site de la Bill & Melinda Gates Foundation et les pays dans lesquels il y a moyen de savoir avec assurance que Microsoft travaille[37], on arrive à la conclusion qu’environ le deux tiers des pays où la fondation est active sont des pays où Microsoft l’est aussi.

Conclusion

En 2007, l’ampleur du désastre se mesurait, selon les affirmations officielles de Microsoft, par la conquête de “15 African countries: Angola, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Kenya, Madagascar, Mozambique, Namibia, Nigeria, Rwanda, Senegal, Seychelles, Uganda, Botswana and South Africa, and to date has trained 200,000 teachers and reached 21 million students”[38]. C’est 21 millions de personnes, en plus des fonctionnaires des différentes administrations publiques africaines, que Microsoft a placées sous son contrôle. Il s’agit ici d’une forme lourde de dépendance au sentier, un sentier par ailleurs, sombre, sinueux et vaseux, où s’en sortir requière pour une société des coûts supérieurs à ce qu’aurait été l’investissement initial de l’éviter.

En faisant le choix des logiciels propriétaires de Microsoft au détriment des logiciels libres et gratuits GNU/Linux, les pays africains choisissent de payer pour un produit dont la qualité est plus que douteuse au niveau de l’efficacité informatique et carrément incertaine en ce qui a trait à la sécurité des informations gérées. De plus, ces pays n’auront pas le choix de payer pour les autres logiciels, comme des antivirus qui sont nécessaires avec Windows, ou payeront en temps, puisque Windows est impérativement plus lent que Linux, et ainsi de suite.

Bref, les logiciels propriétaires ne peuvent qu’être un mauvais choix pour toutes les administrations publiques et spécialement pour celles des pays en voie de développement, qui n’ont pas d’argent. Selon la formule rependue sur les blogues portant sur le sujet, « l’Afrique a déjà assez de problèmes comme ça, n’y ajoutez pas Microsoft” »[39]. Clairement, entre la dépendance que leur offre Microsoft et l’indépendance que leur offre Linux, les Africains et leurs gouvernements auraient tout avantage à choisir l’indépendance.

En conclusion, quand Microsoft parle de Windows comme d’un système d’exploitation, la firme a entièrement raison et est pour une fois honnête, car c’est tout ce que c’est : un système d’exploitation.

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop per Child (Creative Commons By)

[2] Le terme hacker a une connotation négative depuis le milieu des années 80. Le terme se référait plutôt à ce qu’il est convenu d’appeler un bidouilleur. L’industrie informatique en générale doit beaucoup à ses hackers, que l’on pense seulement aux fondateurs de Apple ou au célèbre Captain Crunch. Ce dernier, John Drapper de son vrai nom, découvrit qu’un jouet contenu dans une boite de céréales émettait exactement la même fréquence que celle utilisée par AT&T pour indiquer qu’une ligne de téléphone est disponible, ce qui lui permit de faire des appels sans payer. Il inventa par après la blue box, un générateur de fréquences avec laquelle il testa les limites du système téléphonique de AT&T. Résultat, les compagnies de téléphone durent revoir à la hausse la sécurité de leurs réseaux de télécommunications.

[3] La définition de Statitics Canada au sujet de la fracture numérique, parue dans l’introduction d’un document de recherche intitulé The Digital Divide in Canada, est particulièrement pertinente : “Commonly understood as the gap between ICT ‘haves’ and ‘have-nots’, it serves as an umbrella term for many issues, including infrastructure and access to ICTs, use and impediments to use, and the crucial role of ICT literacy and skills to function in an information society.” ICT réfère à “information and communications technologies”.

[4] Les statistiques de l’ONU sont à ce sujet très claires. Aucun calcul n’est nécessaire pour constater qu’il y avait plus d’ordinateurs par 100 habitants aux États-Unis ou au Canada il y a 20 ans qu’il y en a maintenant par 100 habitants dans les pays africains. Concernant le nombre d’habitants qui accèdent à internet, les données de l’ONU, toujours par 100 habitants, nous indiquent que le niveau d’accès à internet est actuellement en Afrique ce qu’il était il y a 15 ans aux États-Unis et au Canada. Voir Millennium Development Golas Indicators, Internet users per 100 population et Personal computers per 100 population.

[5] En septembre dernier, une compagnie sud-africaine, Durban IT a testé la vitesse du réseau de Telkom, le plus gros fournisseur d’accès internet en Afrique du Sud. Ils ont, au même moment, lancé un transfert de 4Gb sur le réseau ADSL de Telkom tout en relâchant un pigeon sur lequel était attaché une clé usb de 4Gb. “Winston the pigeon took two hours to carry the data 60 miles – in the same time the ADSL had sent 4% of the data”. Source : BBC, 10 septembre 2009.

[6] Le Rapport sur le commerce électronique et le développement de la Cnuced en 2003 nuance avec les propos suivants : « Les logiciels libres ne devraient pas différent. Ils sont un moyen différent d’élaborer, de préserver et de modifier les règles qui régissent les flux d’information. Ils bouleversent la conception que l’on a de l’écriture de logiciels ? des personnes habilitées à les modifier et sous quelles conditions ? ainsi que des libertés et des responsabilités y afférentes. Ils donnent aux peuples et aux nations non seulement la possibilité, mais aussi, de manière plus importante, le pouvoir de gérer eux-mêmes le développement des TIC. » p.21.

[7] Il est nécessaire ici de noter, sans entrer dans les détails, qu’il existe plusieurs types de licences concernant les logiciels libres. Autrement dit, il y a des schismes au sein de la communauté des logiciels libres concernant certaines nuances à propos des droits d’auteurs des logiciels libres. Loin de nous l’idée d’entrer dans ce débat, la définition des logiciels libres qui sera utilisée est celle qui est la moins restrictive possible, soit tout ce qui est disponible sans payer ou enfreindre les droits d’auteurs des fabricants de logiciels. À titre d’exemple seulement, il est impossible d’écouter un fichier mp3 ou d’écrire ce texte en Times New Roman, comme le requière le Département de science politique, sur Linux sans enfreindre des lois de propriétés intellectuelles. La définition orthodoxe du logiciel libre définit par Richard Stallman et la Free Software Foundation se lit comme suit : « L’expression « Logiciel libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le logiciel ». La définition complète est disponible à http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html.

[8] Le phénomène de l’enfermement propriétaire est bien connu et pas seulement dans le domaine informatique. Dans ce domaine précis, l’UNESCO définie le mécanisme du Vendor Lock-In comme étant le fait que “While the software industry will continue to innovate, some product categories are reaching maturity and users should not be driven to pay for new features and product versions that have minimal impact on their needs”.

[9] Cette année là, le logiciel libre est devenu pour l’UNESCO une partie du patrimoine mondial : “Moreover, free software gives independence, from governments, from companies, from political groups, etc. And better, an economical independence: it isn’t plagued by compulsory profit. In fact, Free software is already the heritage of mankind, in the common sense”.

[10] Richard Stallman, 2003. UNESCO and Free Software. Disponible dans les archives des communications de l’UNESCO.

[11] Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), 2003. Rapport sur le commerce électronique et le développement. p.21.

[12] Citations et information depuis un article de Marc Cherki, parut dans Le Figaro le 17 novembre 2004, Microsoft devient partenaire de l’Unesco.

[13] Citation depuis un article de Capucine Cousin, parut dans Les Echos le 17 novembre 2004, L’Unesco compte sur le privé pour former les enseignants aux nouvelles technologies.

[14] À ce sujet, on peut prendre pour exemple le fait que les documents statistiques de l’ONU soient disponibles en 3 formats Microsoft Office Excel, XML et CVS. Les deux derniers sont des formats textes standards, mais qui ne peuvent être lus sans quelques contorsions ou connaissances informatiques précises. Le format Excel quant à lui est propriétaire, c’est-à-dire qu’il faut avoir acheté un programme pour le lire les informations qu’il contient. L’ONU ne fournit malheureusement rien en format OpenOffice, qui aurait le mérite de pouvoir être lu correctement, facilement et sans devoir payer pour le logiciel. Il n’y a bien sûr pas de lien direct entre cette observation et les liens qui unissent Microsoft et l’Unesco depuis 2004, cependant, ça permet de constater l’incompréhension de la question des logicielles de la part de l’ONU.

[15] April, acronyme de l’Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre.

[16] Selon un article d’Yves Drothier, dans le Journal du Net, 26 novembre 2004.

[17] Fondateur de l’April et président de la Fondation des logiciels libres (Free Software Foundation, branche française) de 2004 à 2007.

[18] Président de l’Institut national de technologie et de l’information du Brésil.

[19] Langue parlée par 10 millions de personnes en Ouganda.

[20] Sérgio Amadeu da Silveira, Benoît Sibaud et Frédéric Couchet. 5 janvier 2005, La Libération. Bill Gates à la conquête du sud : Le partenariat entre Microsoft et l’Unesco risque d’assujetir les pays en développement.

[21] Les auteurs mentionnent sur ce point qu’en 2000, un rapport de la Délégation des affaires stratégiques du ministère français des Armées mentionnait, prudemment et sans accusé directement, la collusion entre la National Security Agency (NSA) et Microsoft. Aussi en 2004, un « rapport parlementaire sur l’intelligence stratégique … soulignait les mêmes dangers attachés au logiciel propriétaire en matière de dépendance informationnelle ».

[22] Declaration of Independence: The LiMux Project in Munich. Ville de Munich, 2008.

[23] Citation complète : “End systems must be able to enforce the separation of information based on confidentiality and integrity requirements to provide system security. Operating system securitymechanisms are the foundation for ensuring such separation. Unfortunately, existing mainstream operating systems lack the critical security feature required for enforcing separation: mandatory access control. As a consequence, application security mechanisms are vulnerable to tampering and bypass, and malicious or flawed applications can easily cause failures in system security”. Depuis le site de la National Security Agency, http://www.nsa.gov/research/selinux/.

[24] Il est de notoriété publique que des agents de la NSA travaillent chez Microsoft, eux affirment que c’est pour renforcer la sécurité des produits de Microsoft, il y a naturellement lieu d’en douter. L’affaire éclata en septembre 1999, quand une mystérieuse clé de cryptage nommé _NSAKEY fut découverte dans Windows NT4, puis dans Windows 95, 98 et 2000. On peut lire sur le site de CNN “Microsoft operating systems have a backdoor entrance for the National Security Agency, a cryptography expert said … but the software giant denied the report and other experts differed on it”. Il n’y a donc rien de certain en ce sens, mais Microsoft a par la suite été incapable d’expliquer de manière convaincante ce qu’était cette _NSAKEY.

[25] Ingrid Marson, 18 octobre 2005, Microsoft: Africa doesn’t need free software.

[26] Nancy Gohring, 25 septembre 2008, PC World, Microsoft’s Africa Chairman Tackles Access Problems.

[27] À titre indicatif, rappelons que Microsoft a été condamnée par l’Union européenne en février 2008 à payer 899 millions d’euros, qui « s’ajoutent à une première amende de 497 millions d’euros donnée à Microsoft en mars 2004 pour « abus de position dominante » ». Selon un article parut dans Branchez-Vous!, le site qui s’occupe des nouvelles technologiques pour Le Devoir. Si Microsoft agit de telle manière dans un marché lourdement réglementé, il est possible d’imaginer ce qu’il fait sur un continent comme l’Afrique où les États sont faibles.

[28] Microsoft Battles Low-Cost Rival for Africa, 28 octobre 2008, The Wall Street Journal.

[29] Extrait de l’article : “In Nigeria, Microsoft proposed paying $400,000 last year under a joint-marketing agreement to a government contractor it was trying to persuade to replace Linux with Windows on thousands of school laptops. The contractor’s former chief executive describes the proposal as an incentive to make the switch – an interpretation Microsoft denies.”

[30] Toujours du même article de Stecklow : “Some of Africa’s poorest countries also have discovered that they can’t meet the terms of a special $3 Windows package for "underserved" students around the world, announced last year by Microsoft Chairman Bill Gates.”

[31] Pour 3$, les étudiants africains obtiennent les logiciels suivants Microsoft Learning Essential 2.0, Microsoft Math 3.0, Microsoft Office, Windows Live Mail, qui est en fait Hotmail et Windows XP Starter Edition. Cette version de Windows est conçue pour les ordinateurs peu puissants et limite plus que ne le fait la version normale de Windows XP ce que les utilisateurs peuvent faire avec leurs ordinateurs. Autrement dit, c’est le meilleur moyen d’handicaper un étudiant, surtout que le terme “Starter” signifie implicitement que ce n’est qu’un début, qu’une fois formés avec les produits Microsoft et en fonction de ceux-ci, ils devront payer pour obtenir la version normale des systèmes d’exploitation de Microsoft. Il est à noter que des distributions Linux spécialisées dans l’éducation existent, par exemple EduLinux conçue entièrement au Québec, à l’Université de Sherbrooke. Plus populaire, il y a Edubuntu, qui est disponible dans de multiples langues. Edubuntu est devenue la norme dans tous les ordinateurs des écoles primaires et secondaires de la République de Macédoine, cette distribution Linux serait définitivement meilleure pour les étudiants africains que Windows XP Starter Edition.

[32] United Nations Press Release  : United Nations hosts launch of Microsoft Programmes. Extrait  : “Amir Dossal, Executive Director of the United Nations Office for Partnerships, and Akhtar Badshah, Senior Director of Community Affairs, Microsoft Corp., welcomed participants. Mr. Dossal underscored that public-private partnerships were the key to the achievement of the Millennium Development Goals.”

[33] Microsoft, Realizing Unlimited Potential in Africa, 2009.

[34] Microsoft, Microsoft Unlimited Potential Enables Social and Economic Opportunity, 2009.

[35] Alka Marwaha, BBC News, The hi-tech battle for Africa, 2009.

[36] La plupart des liens sur la carte de l’Afrique ne fonctionnent pas, de plus les liens sont parfois situés sur des frontières. http://www.gatesfoundation.org/regions/Pages/default.aspx?4#/?action=region&id=africa

[37] Angola, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Égypte, Kenya, Madagascar, Mozambique, Namibie, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Ouganda, Botswana et Afrique du Sud.

[38] Microsoft, Unlimited Potential Engagement in Africa, 2007.

[39] J’ignore de qui est cette citation, elle se retrouve en anglais avec quelques variantes sur plusieurs blogues et forums de discussion. Il s’agit cependant de ma traduction.




Quand les musées anglais adorent Wikipédia !

Britain Loves WikipediaD’un côté vous avez le « copyright » qui fait semble-t-il perdre la tête de certains musées lorsque l’on en vient à interdire à un enfant de dessiner une œuvre ou lorsque l’on menace d’une action en justice un contributeur bénévole de Wikipédia souhaitant enrichir l’encyclopédie avec des reproductions de peintures du domaine public.

De l’autre côté vous avez le « copyleft », qui pousse les gens à se rencontrer pour faire de belles balades dans le but d’améliorer l’iconographie photographique de leur ville dans Wikipédia.

Gardons l’état d’esprit du second pour pénétrer dans le premier et vous obtenez l’opération « Britain Loves Wikipedia » dont nous partageons l’enthousiasme de Glyn Moody sur son blog.

Et ce n’est rien moins que le prestigieux Victoria and Albert Museum qui inaugure l’évènement.

Je me prends à rêver de manifestations similaires en France où l’enseignant que je suis pourrait emmener ses élèves découvrir des musées tout en les sensibilisant à ce bien commun qu’est Wikipédia…

La Grande-Bretagne adore Wikipédia. Pas trop tôt…

Britain Loves Wikipedia – And About Time, Too

Glyn Moody – 1 février 2010 – Open…
(Traduction Framalang ; Don Rico)

L’un des rôles majeurs des musées est de participer à l’éducation en permettant au public de découvrir et d’étudier les chefs d’œuvres que recèlent leurs collections. Il pourrait donc paraître logique que ces institutions ne demanderaient qu’à voir des photographies de ces œuvres exposées dans la plus grande galerie en ligne au monde, Wikipédia. Pourtant, cette idée rencontre une certaine résistance çà et là, en raison, vous l’aurez deviné, d’une crispation maladive concernant le « copyright ».

C’est inepte à deux titres : d’une part, il s’agit d’œuvres anciennes, aussi l’idée que leur image devrait être protégée par le copyright est aberrante; d’autre part elle est contradictoire, car ce serait empêcher les visiteurs potentiels de savoir ce que proposent les musées, ce qui va à l’encontre de leurs intérêts.

Face à cette situation regrettable, je ne peux évidemment qu’applaudir cette initiative :

« Britain Loves Wikipedia » (La Grande-Bretagne adore Wikipédia) est une compétition et une série d’évènements qui se tiendra pendant un mois dans les musées partenaires à partir du 31 janvier 2010. La compétition, ouverte aux participants de tous âges, tous milieux et toutes origines, encourage le public à photographier les trésors de nos musées d’art et les incite à prendre une part active dans l’archivage numérique des collections nationales. Toutes les photographies qui entreront en lice pour la compétition « Britain Loves Wikipedia » seront mises à disposition sous licence libre sur le site Wikimedia Commons et pourront alors servir à illustrer les articles de Wikipédia.

Quel dommage que cette initiative ne soit pas systématique partout dans le monde.




Le Geektionnerd débarque sur le Framablog !

Le Geektionnerd est un blog tout en images de Simon Gee Giraudot, sous licence Creative Commons By-Sa. Appréciant son univers, son style et son geek & nerd sense of humour, nous avons décidé de l’inviter hebdomadairement (modulo Pi) sur le Framablog.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Rendez-vous la semaine prochaine donc…

Et pour vous faire patienter, voici une petite sélection randomisée (ou presque) de ses archives : Belette de glace, Yéti, Éditeur de texte, Pirate, Post-it, Reboot, Ubuntu, Pingouin, Lycos, Google is your friend, Corbeille, F5, Sans titre, Pile. Mark Shuttleworth, 200%, Monopoly, Noob, Fork, Panda roux, GNU & Linux, Gnome ou KDE ?, Bill Gates, Minitel ou encore Windows[1],

Notes

[1] Si vous avez remarqué d’autres planches, n’hésitez pas à nous les signaler dans les commentaires, mon petit doigt me dit que ça pourrait faire un chouette framabook plus tard…




Régionales 2010 : Les questions claires de Creative Commons France

Giuli-O - CC byLes élections sont un bon moyen de tenter de sensibiliser nos hommes politiques sur des thèmes qui nous sont chers. C’est ainsi que l’April se montre pro-active en faveur du logiciel libre et des libertés numériques avec son initiative Candidats.fr.

Aujourd’hui c’est le chapitre français des Creative Commons qui leur emboîte le pas à l’occasion des prochaines élections régionales (qui auront lieu en mars prochain et dont on a un peu parlé ici en partant à la rencontre du Parti Pirate)[1].

Avant que d’interpeller sur la place publique, ils nous invitent à débattre sur leur liste de discussion (cc-fr@lists.ibiblio.org)[2] autour d’une plate-forme recopiée ci-dessous.

On pourrait d’ailleurs résumer toutes les questions en une seule, moyennant l’introduction d’une variable X : « Êtes-vous, dans le respect du droit moral des auteurs, en faveur de l’accès et la réutilisation libre et gratuite de X dans le cas où X serait produit ou financé par la région ? » (X pouvant prendre les valeurs suivantes : données, contenus, études, travaux de recherche ou d’éducation).

Il ne semble y avoir là que du bon sens. Sauf que, et ce n’est pas le logiciel libre qui me contredira, nous héritons d’un monde où certaines mauvaises habitudes ont été prises et il convient d’être didactique, diplomate et patient.

CC-Régionales 2010

URL d’origine du document

Le mouvement pour l’accès ouvert aux données publiques se développe à travers le monde : l’Australie avec le projet Mash Up, l’Angleterre avec le projet Data.gov.uk. Ces pays ont choisi de permettre la large diffusion et réutilisation de leurs bases de données publiques en les plaçant sous Licence Creative Commons.

Cette dynamique d’élargissement des biens communs permet des économies d’échelle pour les collectivités et les services publics.

Elle contribue au développement du secteur privé qui peut utiliser sans intermédiaire ces données pour développer ses activités.

Elle enrichit la société civile qui peut s’approprier données, études et contenus produits.

Dans cette démarche, le respect du droit d’auteur inaliénable en France est bien sûr conservé. Il se trouve explicité et garanti par des licences de type Creative Commons, GFDL ou « Art libre ».

La France et ses régions ne peuvent rester à l’écart de ce mouvement qui s’amplifie. Aussi à la veille des élections qui vont décider des programmes et des équipes qui vont gouverner les régions, nous souhaitons vous interroger.

Êtes-vous, dans le respect du droit moral des auteurs, en faveur de :

  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des données publiques (géographiques, statistiques, environnementales…) produites ou financées par la région ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des contenus produits ou financés par la région (telles les publications papier ou web) ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite des études produites ou financées par la région ;
  • l’accès et la réutilisation libre et gratuite de données des observatoires co-financées par la région ;
  • la publication en open archive des travaux publics de recherche produits ou financés par la région ;
  • l’accès et la réutilisation des contenus de formation produits ou financés par la région (formation professionnelle, manuels scolaires…).

Lectures connexes issues du Framablog

Notes

[1] Crédit photo : Giuli-O (Creative Commons By)

[2] Vous pouvez aussi en débattre directement sur notre forum Framagora.




L’éloquence du président Lula en faveur d’un Brésil et d’une société plus libres

« Maintenant que le plat est servi, il est très facile pour nous de manger. Mais préparer ce plat n’a pas été un jeu d’enfant.
Je me souviens de notre première réunion, où je ne comprenais absolument rien au langage employé, et il y avait une tension palpable entre ceux qui défendaient l’adoption du logiciel libre au Brésil et ceux qui estimaient que nous devrions continuer comme avant, garder les mêmes habitudes, acheter, payer l’intelligence des autres et, grâce à Dieu, c’est le parti du logiciel libre qui l’a emporté dans notre pays.
Car nous devions choisir : ou nous allions dans la cuisine préparer le plat que nous voulions manger, avec l’assaisonnement que nous voulions y mettre, et donner un goût brésilien à la nourriture, ou nous mangerions ce que Microsoft voulait vendre aux gens. Et, c’est tout simplement l’idée de la liberté qui l’a emporté. »

Ainsi s’exprimait l’été dernier rien moins que le président de la République d’un des plus grands pays au monde, dans un discours dont vous comprendrez aisément pourquoi nous fait l’effort de traduire et sous-titrer sa vidéo (j’en profite pour saluer et remercier chaleureusement notre petit équipe de traducteurs lusophones).

Il s’agissait donc du président brésilien Lula, venu inaugurer le 24 juin 2009 à Porto Alegre le dixième Fórum Internacional Software Livre. L’allocution, prononcée sans notes s’il vous plaît, dure une vingtaine de minutes et va bien au delà du simple extrait ci-dessus.

Le logiciel libre a évidemment besoin de toutes ces petites fourmis qui développent et qui diffusent. Mais Il a également besoin de ces hommes d’États éclairés et éclairants.

Ce n’est qu’un discours mais il a valeur de symbole. Merci à ce pays, à son président et à tous ceux qui le conseillent et travaillent autour de lui. L’Histoire retiendra que vous fûtes parmi les pionniers à avoir compris en si haut lieu l’importance d’aborder ce nouveau millénaire en offrant aux gens le plus d’opportunités possibles pour qu’ensemble s’épanouissent leur créativité.

Nous sommes tous des Brésiliens libres ?

—> La vidéo au format webm

Réalisation TV Software Livre – Licence Creative Commons By-Sa

Discours inaugural du président brésilien Lula

Fórum Internacional Software Livre – 24 juin 2009
(Traduction, sous-titrage et édition vidéo Framalang : Michaël Dias, Thibaut Boyer et Yostral)

Je veux saluer notre cher camarade Marcelo Branco, coordinateur général du 10ème Forum international du logiciel libre. Je veux saluer les camarades des institutions publiques brésiliennes qui sont ici. Je vois en face de moi la Banque du Brésil et le Serpro.

Je veux saluer les invités étrangers. Je veux saluer ce petit enfant qui est là-bas sur des genoux et qui doit se demander ce que nous faisons là et pourquoi ses parents l’ont amené ici. Un jour, il le saura…

Et je veux saluer une personne qui est ici en particulier, Sérgio Amadeu (responsable des premières actions en faveur du logiciel libre au gouvernement brésilien).

Car maintenant que le plat est servi…

Je veux également saluer le camarade Tigre, notre président de la Fédération de l’Industrie du Rio Grande do Sul.

Maintenant que le plat est servi, il est très facile pour nous de manger. Mais préparer ce plat n’a pas été un jeu d’enfant.

Je me souviens de notre première réunion, à la Granja do Torto, où je ne comprenais absolument rien au langage qu’employaient ces personnes, et il y avait une tension palpable entre ceux qui défendaient l’adoption du logiciel libre au Brésil et ceux qui estimaient que nous devrions continuer comme avant, garder les mêmes habitudes, acheter, payer l’intelligence des autres et, grâce à Dieu, c’est le parti du logiciel libre qui l’a emporté dans notre pays.

Car nous devions choisir : ou nous allions dans la cuisine préparer le plat que nous voulions manger, avec l’assaisonnement que nous voulions y mettre, et donner un goût brésilien à la nourriture, ou nous mangerions ce que Microsoft voulait vendre aux gens. Et, c’est tout simplement l’idée de la liberté qui l’a emporté.

Je voudrais vous raconter quelque chose ici, pourquoi, dans mon esprit, c’est le choix du logiciel libre qui l’a emporté.

Vous savez que je n’ai jamais été communiste. Lorsqu’on me demandait si j’étais communiste, je répondais que j’étais tourneur ajusteur. Mais j’ai des camarades extraordinaires qui ont participé à la lutte armée dans ce pays, des camarades qui ont appartenu aux partis et aux courants idéologiques les plus différents qui soient, tous des camarades extraordinaires.

J’avais un frère plus âgé qui, toute sa vie, a essayé de me faire adhérer au Parti, et mon frère m’amenait tous les documents qui avaient été écrits et édités depuis 150 ou 200 ans. Mon frère voulait que j’apprenne Le Manifeste par cœur, il voulait que je lise et relise Le Capital, il voulait que je critique tout cela, et moi, je disais à mon frère : « Chico, tout cela a été écrit il y a si longtemps. N’est-il pas maintenant temps pour les gens de commencer à produire de nouvelles choses ? »

Et quand le Mur de Berlin est tombé, j’ai été heureux car cela allait permettre à la jeunesse de pouvoir réfléchir, écrire de nouvelles choses, élaborer de nouvelles théories, car on avait l’impression que tout était déjà construit et que plus rien ne pourrait être différent.

Le logiciel libre est un peu cela, c’est-à-dire donner aux gens l’occasion de faire de nouvelles choses, de créer de nouvelles choses, de valoriser l’individualité des personnes.

Car il n’y a rien qui ne garantisse plus la liberté que de garantir votre liberté individuelle, que de permettre aux gens d’exprimer leur créativité, leur intelligence, surtout dans un pays nouveau comme le Brésil, où la créativité du peuple est probablement, sans aucun mépris pour les autres peuples, la plus importante du XXIe siècle.

En effet, je pense que notre gouvernement a déjà fait beaucoup, mais notre gouvernement aurait pu faire plus.

Nous sommes un gouvernement très démocratique. Je ne crois pas qu’il y ait un gouvernement au monde qui exerce la démocratie comme le fait notre gouvernement. Je ne le crois pas. Je ne crois pas qu’il y ait au monde quelqu’un qui débatte autant, qui discute autant que notre gouvernement. Et cela complique parfois les choses, n’est-ce pas, Tarso ? Nous devons parfois écouter une fois, deux fois, trois fois, car, comme je suis un analphabète à propos de l’Internet… mes enfants sont des experts pour moi.

Car Internet est une chose fantastique, Olívio, c’est la première fois que les petits enfants sont plus malins que les grands-parents. C’est la première fois.

Autrefois, du fait que vous étiez plus vieux, vous vouliez vous imposer sur tout, n’est-ce pas ? Le fils ne pouvait parler quand vous étiez en réunion, vous ne pouviez pas intervenir dans une discussion d’adultes.

Aujourd’hui, non. Aujourd’hui, il y a deux adultes en train de discuter avec un gamin à côté d’eux, et les adultes disent : « Comment est-ce qu’on change de chaîne sur la télé ? », avec deux télécommandes que les gens ne savent pas utiliser correctement. Et le gamin de huit ans y va, il bidouille, il tripote…

Louer la maison, payer le loyer, l’électricité, l’eau (sur Internet)…

Je pense donc que nous sommes en train de vivre une période révolutionnaire pour l’humanité, où la presse n’a plus le pouvoir qu’elle avait il y a quelques années, l’information n’est plus une chose exclusive où les détenteurs de l’information pouvaient faire un coup d’État, l’information n’est plus une chose privilégiée.

Le journal du soir est maintenant dépassé face à Internet, l’émisssion de radio, qu’elle soit en direct ou enregistrée, est dépassée face à Internet. Le journal du soir a l’air très vieux face à Internet, et il a l’air si vieux que tous les journaux ont créé des blogs pour informer ensemble, avec les internautes du monde entier.

Et bien, ces choses, nous ne savons pas jusqu’où vont aller toutes ces choses, nous ne le savons pas.

Je sais que chaque fois que je discute avec vous, j’imagine que si ma génération était aussi intelligente et créative que la vôtre, nous serions bien meilleurs que ce que nous sommes aujourd’hui, car l’appareil public est une chose compliquée. Il est plein de vices, de règles, vous savez, qui datent de l’époque impériale. Et vous, vous faites bouger ces choses.

Un bureaucrate, lui, a un manuel, et le manuel dit seulement ce qu’il peut faire ou ne pas faire. Si vous lui présentez quelque chose de nouveau, il reste interdit. Il n’est pas capable de dire : « Bon, j’ai ici quelque chose de nouveau, je vais essayer d’agir », non. Il dit s’il peut ou pas.

Et tout cela a pris du temps pour que le gouvernement commence à créer les conditions pour arriver à la situation d’aujourd’hui. Le logiciel libre est donc une possibilité pour que cette jeunesse réinvente des choses qui ont besoin d’être réinventées.

De quoi a-t’on besoin ? D’opportunités.

Nous pouvons être certains d’une chose, camarades, c’est que dans ce gouvernement, il est interdit d’interdire.

Dans ce gouvernement… Ce que nous faisons dans ce gouvernement, c’est discuter. Les chefs d’entreprise savent combien nous discutons, sans animosité, ni agressivité, sans chercher à combattre l’interlocuteur, non ! Il s’agit de débattre, de renforcer la démocratie et de l’amener jusqu’au bout.

Car ce pays est encore en train de se découvrir lui-même, car durant des siècles, on nous a traités comme si nous étions des citoyens de seconde zone, nous devions demander l’autorisation pour faire des choses, nous pouvions seulement faire ce que les États-Unis nous autorisaient à faire, ou ce qu’autorisait l’Europe.

Et notre estime de nous est en hausse aujourd’hui. Nous apprenons à nous aimer nous-mêmes. Nous sommes en train de découvrir que nous pouvons faire des choses. Nous sommes en train de découvrir que personne n’est meilleur que nous. Les autres peuvent être semblables, mais meilleurs non, ils n’ont pas plus de créativité que nous.

Ce dont nous avons besoin, c’est d’opportunités.

Cette loi qui est là, cette loi qui est là, ne cherche pas à corriger les abus d’Internet. Elle souhaite en réalité censurer. Ce dont nous avons besoin, camarade Tarso Genro, c’est peut-être de modifier le Code Civil, c’est peut-être de modifier certains choses. Ce dont nous avons besoin, c’est de responsabiliser les personnes qui travaillent sur le numérique, sur Internet. C’est de responsabiliser, mais pas d’interdire ou de condamner.

C’est l’intérêt de la police de faire une loi qui permette d’entrer chez les gens pour savoir ce qu’ils sont en train de faire, et même de saisir les ordinateurs. Mais ce n’est pas notre intérêt, ce n’est pas possible.

Je voulais donc, mon cher Marcelo, vous dire qu’aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’en ont pensé mes camarades, pour moi, aujourd’hui a été un jour magnifique, magnifique, car j’ai un conseiller spécial, qui s’occupe de la question numérique, un ami de Marcelo, j’ai… Le gouvernement a dix ministres qui parlent d’implantation numérique.

Implantation numérique sont les mots les plus « sexys» du gouvernement, vous savez ? Les mots les plus « sexys », tout le monde les prononce.

J’avais donc besoin d’un coordinateur qui parle un langage rien que pour moi, et j’ai mis le camarade César Alvarez, qui est un habitant d’ici, du Rio Grande do Sul, un supporter du club de foot l’Internacional, qui vient juste de faire match nul contre le Corinthians mercredi, pour le plus grand plaisir des gaúchos. Olívio Dutra est conseiller et je lui ai demandé d’en parler avec les dirigeants de l’International : « le score est de zéro à zéro, c’est bon pour nous, Olívio, il n’y a aucun problème ! »

Mais avec cette coordination, nous essayons d’avancer.

Je voulais seulement vous dire une chose Écoutez, il ne me reste plus qu’un an et demi de mandat, plus qu’un an et demi. C’est important que vous observiez ce que nous avons fait et qui a besoin d’être perfectionné. Et il faut que vous observiez ce que nous ne sommes pas encore parvenus à faire, et que vous nous aidiez à le faire.

Car le problème du gouvernement n’est pas toujours un problème d’argent. Les gens jonglent parfois avec des centaines d’activités, et ces nouveautés passent alors au second plan, et c’est pour cela que nous avons une coordination.

Et nous allons voir, camarades, si, avec tous ces chiffres que Dilma a mis à votre disposition dans le but de faire entrer ce pays dans l’ère numérique, de faire que en sorte que les enfants de la banlieue aient les mêmes droits, le même accès à Internet, que les enfants de riches, de pouvoir s’informer, de pouvoir se déplacer librement dans ce monde qu’est Internet, nous pouvons y parvenir.

Soyez sûr d’une chose, Marcelo : nous ne connaissons pas tout, nous n’en connaissons qu’une partie. Tout seul, peut-être que vous non plus vous ne connaissez pas tout, vous ne connaissez qu’une partie. Mais si chacun de vous partage un peu de ce qu’il sait, on pourra construire un tout qui manque aux gens, pour définitivement et véritablement d?mocratiser ce pays, et pour que tous soient libres d’agir pour le bien.

La majorité est faite de gens biens. Nous n’allons pas nous énerver parce que de temps en temps un fou dit quelque chose. Il y a même un site qui propose la mort de Lula.

Ce n’est pas un problème, ceux qui proposent la vie sont infiniment plus nombreux. Infiniment plus nombreux.

Je voulais donc vous proposer d’entrer dans ce « couloir polonais » et de voir cette palette extraordinaire de garçons et de filles qui, je pense, ont tous moins de 25 ou 30 ans.

Pour que les gens puissent sortir d’ici et dire haut et fort : « Ce pays s’est finalement trouvé lui-même. Ce pays a finalement le goût de la liberté d’information ».

Je vous embrasse et vous souhaite de passer un bon Xème Forum du Logiciel Libre.

l’auditoire : logiciel libre ! logiciel libre !




Critique de la biographie de Richard Stallman par Sébastien Broca

Richard Stallman - Bastien WirtzSébastien Broca a été parmi les rares privilégiés à acquérir le livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre avant les autres, au cours de la rencontre organisée par les éditions Eyrolles à Paris le 12 janvier dernier (dédidace « Happy Hacking » de Richard incluse[1]).

Le lendemain, il m’envoyait spontanément un courriel enthousiaste en me faisant part de ses premières impressions sur un livre qu’il avait parcouru dans sa totalité en moins de 24h !

Et moi, ni une ni deux, de lui demander gentiment de pousser la chansonnette jusqu’à en faire un billet pour le Framablog 😉

Difficile de vous cacher que cela nous a fait à tous très plaisir à lire…

Le livre lu par Sébastien Broca

Compte-rendu : Richard M. Stallman, Sam Williams, Christophe Masutti, « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée », Eyrolles, Paris, 2010.

La biographie de Richard Stallman publiée aux Éditions Eyrolles constitue un ouvrage inhabituel à plus d’un titre. Il s’agit tout d’abord du premier ouvrage en français à se pencher en détail sur la vie du fondateur du mouvement du logiciel libre, dont la notoriété dans le monde informatique ne s’est pas encore vraiment étendue au grand public. C’est également un ouvrage présentant la particularité d’être publié sous une licence dite « libre » (la GNU Free Documentation License), c’est-à-dire donnant droit à chacun de le copier, de le distribuer et de le modifier. Il s’agit enfin d’une biographie singulière, dans la mesure où Richard Stallman a lui-même relu l’ensemble du manuscrit, y apportant des remarques personnelles et des corrections, lorsque certains faits lui paraissaient rapportés de manière erronée ou incohérente. L’ouvrage se présente ainsi comme une œuvre à trois voix. Le texte original publié aux Etats-Unis en 2002 par Sam Williams a été largement retravaillé par Richard Stallman, avant d’être traduit par la communauté en ligne Framasoft, à la source du projet français.


Ce processus d’écriture original confère à l’ouvrage toute sa dynamique. Si Sam Williams fait preuve d’une certaine admiration pour le père du logiciel libre, et plus encore pour son œuvre, il insiste également sur les tensions que son intransigeance morale, couplée à son souci quasi obsessionnel de l’exactitude verbale et conceptuelle, n’ont pas manqué de susciter à travers les ans, et ce jusque dans son propre « camp ». L’inflexibilité de Richard Stallman a ainsi scindé la communauté du libre entre partisans du free software et adeptes de l’open source ; ces derniers axant leur discours sur les qualités techniques et les opportunités économiques propres aux « logiciels à source ouverte », et non sur les raisons éthiques de préférer le logiciel libre. Les différents volets de ce débat, symbolisé par les personnalités largement antithétiques de Richard Stallman et Linus Torvalds (créateur du noyau Linux), sont bien rapportés. Le lecteur en retire une compréhension fine des ressorts de l’engagement de Richard Stallman, et des différentes controverses idéologiques qui traversent la communauté du logiciel libre.


D’autres épisodes narrés par Sam Williams peuvent paraître plus anecdotiques, mais ils donnent à l’ouvrage toute son épaisseur historique et humaine. Des passages relativement longs sont ainsi consacrés à la description du milieu de la recherche informatique aux Etats-Unis dans les années 1970, avant l’apparition de l’ordinateur personnel. Le lecteur se trouve ainsi plongé dans l’ambiance particulière, qui régnait au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, dont Richard Stallman fut membre jusqu’en 1984. Il y découvre les spécificités de l’ethos professionnel des hackers, caractérisé par un rapport passionnel à la programmation et une valorisation sans limites du partage et de la collaboration entre pairs. Il comprend de la sorte les raisons de l’indignation ressentie par Richard Stallman, face au mouvement de privatisation connu par l’industrie informatique au début des années 1980. Ces passages figurent ainsi parmi les plus intéressants du livre, en ce qu’ils éclairent à merveille le contexte sociologique et historique ayant présidé à la naissance du mouvement du logiciel libre.


Les interventions de Richard Stallman dans le texte, à travers de petits encarts dans lesquels il réagit aux événements racontés ou aux idées qui lui sont prêtées, donnent à l’ouvrage une saveur supplémentaire. On y retrouve ainsi par petites touches l’expression de son intelligence hors du commun et de son horreur de l’imprécision, le tout asséné sur un ton parfois assez sec et pince-sans-rire. Ces intrusions intempestives offrent presque toujours un contrepoint intéressant, et achèvent de faire de cette biographie une nouvelle référence, pour quiconque souhaite comprendre un personnage hors norme, et un mouvement, dont la portée sociale excède désormais de loin le seul domaine informatique.

Notes

[1] Crédit photo : Bastien Wirtz (OpenCoding)