QueerMotion, un collectif de créateur⋅ices sur PeerTube

Iels ont lancé leur instance PeerTube il y a quelques mois, alors on s’est dit que c’était l’occasion de vous les présenter : le collectif QueerMotion. Et pour cela on vous a concocté une chouette interview, que nous avons égayée de quelques créations vidéo des talentueu⋅ses vidéastes publiant sur cette instance.

Bonjour le collectif QueerMotion ! Est-ce que vous pourriez vous présenter au lectorat du Framablog ?

Bonjour cher·es lecteur·ices du Framablog ! Nous sommes un collectif de personnes queers créant du contenu vidéo ou audio en ligne que nous essayons de réunir sur notre instance PeerTube : https://queermotion.org. À l’heure où nous écrivons, nous sommes tous·tes issu·es de diverses associations LGBTQIAP+ et autres collectifs trans, non-binaires, et handis. Du fait de nos origines militantes et de nos identités multiples, nous portons des valeurs féministes et intersectionnelles et souhaitons construire un groupe ouvert à toute personne queer créant de l’audiovisuel. =)

  • Charlie Doe, podcasteur sur la chaîne Le DoeCast, abordant la santé mentale, le handicap et le militantisme. Dans une démarche politique, iel partage sa thérapie concernant ses diagnostics récents : trouble du déficit de l’attention (TDAH – neuroatypie), trouble borderline et trouble bipolaire de type 2 (psychoatypie).
  • Avril Dystopie, Nathanaël et Adélaïde, du Cercle des conteureuses disparues, un collectif de mises en voix libre et intersectionnel. Iels proposent l’enregistrement d’œuvres littéraires (romans, théâtre, poèmes…), animées, illustrées, ou musicales, avec une approche militante.
  • JuneasinJuly, étudiant en théâtre, iel est acteur au conservatoire, modèle, musicien et fondateur du cercle des conteureuses disparues.
  • Orso, initiateur de Queernest Radio, la radio collective de podcast et de soin par et pour des personnes trans & queer. Il propose notamment la mise en voix de textes militants ou artistiques.
  • Elora Bertrand, cinéaste, réalisateur du célèbre court métrage « PRONOMS », déjà viral sur YouTube, ainsi que du manifeste « Corps en Construction », sélectionné au Pink Screen festival de Bruxelles en novembre 2020. Iel propose des projets autour de la communauté queer et trans, avec des équipes composées majoritairement de personnes concernées.

L’instance PeerTube QueerMotion

  • JacqueerMD, cinéaste, il est aussi auteur d’un magnifique court métrage viral sur YouTube : « Lettres à X ». Il propose sur QueerMotion ses courts métrages traitant de thématiques LGBTI+.
  • Em B. Green, auteur·e-compositeur·ice-interprète confirmé·e, deux E.P à son actif ainsi que de nombreuses collaborations (Aurélia Barraud Trio, Tokyo/Overtones, les Sis Jones, Pretty Poet…). Il est aussi membre de la Compagnie La Bande Magnétique, théâtre, conte et clown d’impro. Un clip est en cours de production, sa sortie est prévue pour 2021.
  • Solen et Nathan, graphistes-motion designers, modérateurs et même lords officiels de QueerMotion. =)
    Iel et il ont notamment créé l’identité visuelle de QueerMotion : logo, couleurs, bannières…
  • Lane Guenard, (ça se prononce comme Lois Lane, Wisteria Lane, etc.), co-fondataire de QueerMotion, scénariste-réalisataire amataire. Ul travaille sur un projet de web-série et propose un vlog portant sur l’écriture scénaristique, la réalisation, et les difficultés liées à sa/ses neuroatypie(s), et à ses problèmes de santé.
  • Kimsible (prononcez Kim-ssi-beul), co-fondatrice de QueerMotion, contributrice PeerTube, admin de l’instance et pianiste amateure, elle propose des interprétations d’arrangements ou reprises de thèmes de jeux-vidéos et films d’animation.

 

QueerMotion est une instance PeerTube qui propose d’héberger des contenus créés par des personnes Queer… Mais qu’est-ce que ça veut dire, être « Queer » ?

Nous définissons le mot « Queer » comme un terme générique qui englobe à la fois toutes les identités de genre, intersexuations, orientations sexuelles, romantiques et relationnelles qui diffèrent de la norme hétéro, cisgenre et dyadique, ainsi que le refus de toute forme de politique d’assimilation culturelle. À l’origine c’est une insulte, que la communauté LGBTI+ s’est réappropriée. En effet, nous réapproprier un terme insultant nous permet de rééquilibrer les choses en enlevant aux personnes qui nous insultent la possibilité de nous blesser avec ce terme. Maintenant, on le porte fièrement comme terme générique pour désigner les personnes LGBTQIA+, en tout cas, celles qui souhaitent se désigner par ce terme. 🙂

Si les mots « intersexe », « cisgenre » et « dyadique » ne vous sont pas familier, n’hésitez pas à consulter le glossaire de La vie En Queer ou la vidéo C’est quoi Intersexe ? de Mischa.

 

Et du coup, QueerMotion est une instance réservée aux contenus liés aux cultures Queer ou bien aux personnes s’identifiant comme Queer ? Pourquoi ce choix ? Pourquoi avoir entrepris l’effort de créer une plateforme d’hébergement vidéo gérée par et pour des personnes Queer ?

Nous sommes en non-mixité queer, c’est-à-dire qu’il faut être une personne queer pour pouvoir être membre du collectif et donc poster du contenu vidéo et audio sur l’instance. Les contenus ne sont pas obligatoirement liés aux cultures Queer, mais la démarche est militante dans tous les cas, car elle vise à mettre en valeur les créateur·ices queers : auteur·ices, acteur·ices…

Ce choix est assumé par la volonté de se créer notre propre espace dédié pour 3 raisons essentielles :

  • se protéger des violences et discriminations relevant d’une oppression dont nous sommes, pour une ou plusieurs raisons, déjà victimes au quotidien : cissexisme/transphobie, biphobie, racisme, sexisme/misogynie, validisme, psychophobie… ;
  • s’assurer d’avoir une voix audible qui ne soit pas noyée dans la masse ;
  • s’assurer que nos existences et nos luttes soient affirmées et qu’aucune personne non-concernée ne les remette en question.

Autrement dit, cet espace nous permet de nous soutenir, de nous conseiller et de nous sentir plus en sécurité entre personnes concernées. On appelle ça de l’empouvoirement queer (mot français pour « empowerment »). Enfin, l’accès, la possibilité de commenter et le partage de nos créations sont évidemment publiques et pour tous·tes, le but final étant aussi d’éduquer d’autres personnes que nous.

Lettres à X, court métrage mettant en scène l’évolution d’une relation amoureuse entre deux jeunes hommes

 

Lors d’un Confinatelier, David Revoy nous a appris que Sepia, mascotte poulpe de PeerTube, n’a pas de genre… Vous auriez des astuces pour nous aider à parler de… ellui ? de iel ?
Voici la définition de la non-binarité portée par le Collectif Non-Binaire :

La non-binarité est définie comme le fait de ne s’identifier ni exclusivement homme, ni exclusivement femme – et ce, sur la base de l’auto-détermination. Cela comprend le fait de s’identifier en partie homme, en partie femme, les deux à la fois, entre les deux, ni l’un ni l’autre, etc. Nous différencions la non-binarité, qui est une identité de genre, et l’expression de genre qui elle, concerne l’apparence.

L’absence de genre est désignée par le terme « agenre », représentée par la couleur noire sur le drapeau non-binaire. Une personne non-binaire peut utiliser les pronoms « elle », « il », ou « iel » voire un ou plusieurs néo-pronoms « al », « ol », « ul », « ille » … ainsi que les accords féminins, masculins, inclusifs ou neutres. Il y a deux façons d’employer le neutre : en utilisant des tournures épicènes ou une grammaire neutre. Le neutre grammatical sert à désigner exclusivement une personne non-binaire. Les deux sources francophones les plus couramment utilisées sont les genres neutres proposés par Alpheratz et La Vie En Queer.

Dans les espaces militants, l’échange de prénoms, pronoms et accords durant un tour de table sont devenus systématiques. Dans la vie courante, nous attachons une importance à laisser la personne se genrer elle-même, éventuellement lui demander à l’oreille en gardant la plus grande discrétion, car même si nous connaissons son/ses prénom(s), pronoms et accords, il se peut qu’elle ne soit pas « out » publiquement ou dans un cercle social particulier (professionnel, familial ou amical). Par exemple : Al est heureuxe (Al + accords neutres), Il est contente (Il + accords féminins), Iel est content (Iel + accords masculins), Aël est content·e (Aël + inclusif). Dans le collectif QueerMotion, nous proposons aux membres de se présenter avec leur pronoms et accords dès leur intégration.

Pour revenir à Sepia, il faut se baser sur son auto-détermination, en supposant que Sepia ait la capacité de communiquer pour nous l’exprimer. Mais tant qu’on ne sait pas, l’utilisation du neutre par les tournures épicènes est la manière la plus respectueuse de parler de Sepia. =) Se penche et chuchote à l’oreille de Sepia : « Quels sont tes pronoms et accords, si ce n’est pas indiscret ? ^o^ »

Pronoms, un court-métrage sur le parcours d’un·e adolescent·e, découvrant les possibilités qui s’offrent à iel en termes de genre et d’identité

 

Du coup, si je m’identifie comme Queer et que je veux publier mes créations vidéos sur une instance PeerTube, pourquoi est-ce que j’irais sur QueerMotion.org ?
L’instance QueerMotion.org possède plusieurs avantages :

  • Le point commun des vidéos postées sur l’instance est que leurs auteur·ices sont queer. Nous n’imposons pas de sujet particulier : à partir du moment où l’auteur·ice queer est mis·e en avant et respecte les valeurs du collectif, iel peut donc poster n’importe quel type de vidéos ou d’audios (contenu militant, culturel LGBTQIAAPP+, culturel non-LGBTQIAAPP+, courts métrages, chansons, mises en voix, etc.) ;
  • Faire partie d’un collectif portant des valeurs féministes ;
  • Évoluer dans un espace relativement « safe » en non-mixité queer. Cela permet aux utilisateur·ices de bénéficier d’un sentiment d’appartenance à cette communauté ;
  • Faire partie d’un collectif, prendre des décisions au sein de ce collectif et participer à sa gestion en toute horizontalité ;
  • Accéder à un réseau de compétences et pouvoir les partager (graphisme, motion design, prise d’image, prise son, montage, mixage sonore, étalonnage, etc.) ;
  • Se familiariser si on le souhaite avec le logiciel libre dans ses aspects techniques et éthiques (administration d’un serveur, contribution au code source…) ;
  • Rencontrer des gens très chouettes avec qui on partage des valeurs communes ! 🙂
Les Preuses Chevalières, une fiction queer audio

 

(Attention : sarcasme !) « Mais pourtant, Google est notre ami à toustes, non ? En Juin, on voit souvent un rainbowflag sur le logo de YouTube… » Plus sérieusement : vous pensez qu’il y a un problème sur le traitement des créatrices et créateurs Queer par les plateformes vidéos actuelles ?

Nous le pensons et alertons depuis quelque temps, en tant que Queer et créateur·ices aussi sur YouTube pour certain·es d’entre nous. Les contenus référencés avec des mots-clés LGBTQIA+ sont automatiquement démonétisés et classés dans le contenu restreint de YouTube, les chaînes Queers sont peu ou pas mises en avant, très probablement à cause d’entreprises-annonceurs refusant d’être associés à ce type de contenu. De plus, une différence de traitement est également constatée dès qu’une attaque est ciblée contre notre communauté, les signalements de ces vidéos/vidéastes n’aboutissent que rarement ou pas du tout.

Plusieurs vidéastes Queers influents sur YouTube en parlent dans un article de Têtu. Les excuses ou le marketing visuel aux couleurs du drapeau LGBT+ peuvent sembler être une bonne initiative, mais il s’agit selon nous uniquement de moyens de se donner une image progressiste ou engagée pour la communauté queer, afin de masquer l’inaction de l’entreprise sur ces sujets, la priorité restant avant tout de satisfaire les annonceurs et de préserver le modèle économique existant. Ici, nous tombons pile poil dans une manœuvre de « Pinkwashing » de la part de Google.

 

Et qu’est-ce qui ne va pas pour vous avec une chaîne youTube classique ? ça n’existe pas déjà des chaînes YT « queer » ? allez tiens par exemple cette vidéo ou celle-ci (oui j’ose donner des liens vers YT pour vous troller un peu)

Nous respectons le choix d’être sur YouTube ou sur une instance PeerTube plus généraliste. La plupart d’entre nous balancent entre YouTube et l’instance QueerMotion car il n’est pas aisé de faire le pas vers du 100% PeerTube. Toucher des personnes non-concernées est plus facile sur YouTube, malgré les sacrifices éthiques et d’auto-censure que nous sommes amené·es à mettre en place pour y avoir une place.

Pour rendre visibles des contenus sur les réseaux sociaux, des codes bien précis ont été établis par les GAFAMs, et notamment à outrance pour une chaîne YouTube classique :

  • Durée de contenu courte ;
  • Référencement par mots-clés ;
  • Flatter l’algorithme de YouTube afin de gagner en visibilité sur le site : incitation à mettre un pouce bleu, commenter, et s’abonner.

PeerTube respecte ces codes, car il est devenu difficile de s’en détacher. Cependant, ces éléments n’y ont pas autant d’importance que sur YouTube ou un autre réseau social classique. Néanmoins, une instance PeerTube a toujours la liberté de ne pas utiliser ces fonctionnalités. À noter que QueerMotion a pour le moment décidé de les conserver afin de ne pas trop dépayser ses membres, tout en se donnant la possibilité de s’en affranchir plus tard.

Rappelons que YouTube collecte les données personnelles des utilisateur·ices, et impose même la publicité sur des contenus sous licence Creative Commons. Ce ne sera jamais le cas sur QueerMotion.org, car ce ne sont pas des valeurs portées par le collectif. Enfin, sur YouTube, nous sommes plus exposé·es. Avoir une instance qui nous est dédiée est aussi un moyen de nous reposer et de prendre soin de nous dans un espace plus « safe ».

Les antidépresseurs, 1er épisode d’une série de podcasts sur les médocs

 

Comment envisagez-vous les opérations de modération, vos choix de fédérer ou non, etc. ? Vous avez établi collectivement une stratégie en amont, un code de conduite ou bien c’est prévu pour bientôt ?

Nous savons que la modération demande des moyens humains non négligeables et notre priorité est avant tout de se concentrer sur la création de contenus. Plusieurs choix ont donc été réfléchis en amont concernant les inscriptions et la fédération :

  • L’inscription donne accès à un compte limité : commenter, créer des listes de lecture ou chaînes ;
  • Autoriser l’envoi de vidéos ou audios uniquement pour les comptes des membres du collectif ;
  • Approuver manuellement le suivi par de nouvelles instances ;
  • Ne pas suivre automatiquement les instances.

Tous les contenus postés, commentaires compris, doivent respecter les valeurs de notre manifeste et du code de conduite.

 

Vous êtes un collectif, donc c’est une décision collective de permettre à un⋅e vidéaste de diffuser sur votre instance ? Comment ça va se passer au juste, il y a un délai pour une décision collégiale ?

Les personnes qui souhaitent participer à la validation des demandes s’occuperont du suivi des nouvelles·aux membres, dès la création ou mise à jour du compte PeerTube, les quelques premières vidéos seront vérifiées et ensuite nous lèverons cette vérification. Il n’y a pas de délai particulier mais nous essayons d’aller au plus vite en fonction du temps que nous pouvons donner bénévolement.

 

C’est quoi la limite ? Par exemple, du porno, vous prenez ? Il y aura des chaînes « adultes » d’accès réservé avec avertissement « plus de 18 ans » etc. ? Comment avez-vous choisi de gérer les contenus potentiellement choquants chez certaines personnes ?

Pour le moment, nous ne prévoyons pas de contenus ou de chaînes strictement « adultes, » étant donné que l’âge minimum pour entrer dans le collectif est de 16 ans. La question du porno a été plusieurs fois abordée et nous avons jugé nécessaire de n’accepter que des contenus en rapport avec le « porno » ayant une dimension éducative, féministe et limités aux plus de 16 ans, dans le cadre autorisé par la loi pour la télévision ou les jeux vidéo, c’est-à-dire, pas de scènes de sexe explicites. Nous floutons les miniatures et alertons avant visionnage des vidéos et audios potentiellement choquants. Autrement dit, ces contenus sont classés Not Safe For Work (NSFW). Nous avons également mis en place un système de Trigger Warning (avertissement aux spectateur⋅ices) à placer dans la description si une partie du contenu peut être sensible ou interférer avec le message de l’œuvre dans sa globalité.

Corps en Construction, manifeste filmé d’Elora Bertrand sur les corps trans

 

Et sur le plan pratique ? Comment je fais pour vous rejoindre et me créer un compte sur QueerMotion ? Je dois obligatoirement parler de cultures Queer ? Je pourrai monétiser mes vidéos ? Bref… hyper concrètement : c’est quoi, vos conditions ?

Sur le plan pratique, pour nous rejoindre, il suffit simplement d’être Queer et de proposer du contenu audiovisuel qui soit en accord avec nos valeurs, quel que soit le sujet ou le thème. Le contenu n’est pas à proprement parler militant, mais la démarche l’est dans tous les cas. =) Avoir déjà une présence numérique publique (Blog, YouTube, Mastodon, vidéos ou audios déjà enregistrés, etc.) aide très fortement à nous faire une idée. Pour chaque demande, nous transmettons un formulaire d’adhésion avec des questions ciblées pour en savoir plus sur la personne, ce qu’elle souhaite proposer comme contenu, partager comme compétence(s) au sein du collectif, où elle se situe dans sa compréhension des espaces non-mixtes… Parmi les conditions, nous imposons évidemment la non-monétisation des vidéos sur l’instance, le choix d’une licence Creative Commons, et avoir un projet concret ou déjà du contenu à proposer.

 

Sur la page de votre collectif, vous affirmez être concerné·es par les identités LQBTQIAAP+, ainsi que par les questions de racisme, celles de handicap et de validisme… Juste en dessous, vous conditionnez l’hébergement de contenus vidéos à une publication sous une licence Creative Commons (ce qui induit que ces œuvres seront libres ou de libre diffusion). Vous voyez un point commun à toutes ces valeurs fortes ?

Nous pensons que la mise en commun de notre travail par la libre diffusion est importante. Beaucoup de questions ou mouvements nous concernant et apportant une analyse intersectionnelle, comme les « Disability Studies », Études des handicaps dans leurs contextes sociaux, culturels et politiques, ou encore les « Queer Studies » ou la décolonisation, sont peu explorés ou volontairement ignorés dans le monde francophone. Certains de ces termes n’ont pas de traduction évidente en français et sont surtout des sujets de recherche anglo-saxons, ou soi-disant uniquement en lien avec l’histoire de ces pays.

Un choix qui est évidemment politique : visionner, apprendre, partager, copier, etc., gratuitement et librement, permet de casser les normes élitistes visant à rendre exclusives des connaissances, des cultures, à une poignée de personnes ayant les moyens d’avoir une éducation, et très souvent d’en exclure les personnes concernées.

Dans les réponses précédentes, nous avons affirmé vouloir échapper à la censure, à l’utilisation de nos données personnelles et à un modèle publicitaire normalisant. La démarche libératrice, est selon nous, le point commun à toutes ces valeurs fortes.

Rassure-moi, un texte personnel avec fond musical à écouter dans les mauvais moments

 

Quelles sont les améliorations que vous aimeriez voir dans PeerTube (c’est le moment d’être critique !)

Nous voyons trois axes importants d’amélioration dans PeerTube :

1. La modération
En effet, le manque d’outils de modération implique que la majorité des instances sont aujourd’hui à inscriptions limitées ou simplement fermées (comme QueerMotion.org lors des premiers mois de sa création). D’un autre côté, quand on ferme les inscriptions, on aimerait avoir la possibilité d’envoyer des liens d’invitation par e-mail redirigeant sur le formulaire d’inscription afin de fluidifier la création de compte. Les commentaires ont aussi besoin de plus d’outils de modération, comme la suppression définitive et multiple de commentaires ou la validation avant publication, localement et sur les instances suiveuses. Les récentes versions de PeerTube apportent leur lot d’améliorations plus que bienvenues et sont un très bon début pour aller dans ce sens. Dans notre cas, ces fonctionnalités seraient très importantes pour se prémunir d’attaques ciblées régulières contre notre communauté. Pour les contenus « Adultes, » un profil de vidéos « contenu adulte +18 ans à caractère sexuellement explicite » séparé du contenu sensible NSFW, qui n’est pas toujours exclusivement du contenu adulte, serait bienvenu. Pouvoir ajouter des « Trigger warning » dans le message d’alerte de contenu sensible serait aussi une amélioration notable.

2. L’UX et UI du lecteur de vidéo
L’envoi explicite d’audios sur PeerTube est une fonctionnalité non négligeable. Une instance n’ayant que très rarement la possibilité de grossir autant qu’un YouTube ou un Dailymotion, pour des raisons évidentes de coût et de modération, le format et la fréquence des contenus changent. Sur QueerMotion.org nous voyons plus de podcasteur⋅euses, musicien⋅nes… Apporter une amélioration nette à l’interface du lecteur, comme le fait SoundCloud notamment, avec une barre constamment présente en bas de page pourrait être un vrai plus par rapport à YouTube. Cette fonctionnalité est, selon nous, bien plus importante que le « live. »

3. Installation et administration du serveur d’une instance
Les installations « bare-metal », Yunohost, ou docker ne sont pas accessibles à tout le monde. Elles demandent un minimum de connaissances en administration système, notamment pour la surveillance (sauvegardes, migrations…) du serveur, comme la plupart des logiciels auto-hébergés. Ces lacunes tendent à disparaître. La communauté PeerTube étant grandissante, à l’avenir, nous espérons voir des services « éthiques » permettant d’automatiser le déploiement et la surveillance système d’une instance sur un hébergeur/serveur.

Voici une liste des autres fonctionnalités très demandées dans notre collectif :

  • Modification de l’identifiant :
    Permettre de modifier les identifiants de compte et de chaîne ;
    Très problématique sur YouTube pour les personnes utilisant leur prénom et concernées par un changement d’état civil suite à une transition de genre.
  • Co-créateur·ices sur les chaînes/changement de propriétaire de chaîne
    Permettre d’ajouter des comptes co-créateur·ices sur une chaîne, pouvant aussi envoyer des vidéos ;
    Changer le propriétaire d’une chaîne.
  • Connecter un compte PeerTube à Liberapay.com
    Permettre de répartir une campagne de dons commune à tous·tes les créateur·ices.
Reprise de Space Oddity, de David Bowie

 

Et enfin, comme toujours sur le Framablog, on vous laisse le mot de la fin…

QueerMotion est encore tout jeune, mais l’avenir s’offre à nous ! On vous remercie de nous avoir permis de nous présenter et de présenter notre collectif. Nous espérons que cela vous donnera envie de nous soutenir et de venir regarder ce que nous faisons !

 

Pour aller plus loin :
Le Site du collectif
Les Vidéos du collectif
Le Manifeste
Rejoindre le collectif
Soutenir le collectif
Contacter le collectif




Détruire le capitalisme de surveillance (2)

Voici une deuxième partie de l’essai que consacre Cory Doctorow au capitalisme de surveillance (si vous avez raté les épisodes précédents.) Il y aborde les diverses techniques de manipulation et captation de l’internaute-client utilisées sans vergogne par les grandes entreprises hégémoniques. Celles-ci se heurtent cependant à une sorte d’immunité acquise générale à ces techniques, ne faisant de victimes à long terme que parmi les plus vulnérables.

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Traduction Framalang : goofy, jums, Mannik, Pierre-Emmanuel Largeron, Sphinx

Ne vous fiez pas à ce qu’ils vous disent

par Cory Doctorow

Vous avez probablement déjà entendu dire : « si c’est gratuit, c’est vous le produit ». Comme nous le verrons plus loin, c’est vrai, mais incomplet. En revanche, ce qui est absolument vrai, c’est que les annonceurs sont les clients des géants de la tech accros à la pub et que les entreprises comme Google ou Facebook vendent leurs capacités à vous convaincre d’acheter. La came des géants de la tech, c’est la persuasion. Leurs services (réseaux sociaux, moteurs de recherche, cartographie, messagerie, et tout le reste) ne sont que des moyens de fournir cette persuasion.

La peur du capitalisme de surveillance part du principe (justifié) que tout ce que les géants de la tech racontent sur eux-mêmes est sûrement un mensonge. Mais cette critique admet une exception quand il s’agit des prétentions émises par les géants de la tech dans leurs documentations marketing, plus précisément leur matraquage continu autour de l’efficacité de leurs produits dans les présentations destinées à de potentiels annonceurs numériques en ligne, ainsi que dans les séminaires de technologies publicitaires : on considère qu’ils sont aussi doués pour nous influencer qu’ils le prétendent lorsqu’ils vendent leurs systèmes de persuasion aux clients crédules. C’est une erreur, car les documents marketing ne sont pas un indicateur fiable de l’efficacité d’un produit.

Le capitalisme de surveillance considère qu’au vu de l’important volume d’achat des annonceurs auprès des géants de la tech, ces derniers doivent sûrement vendre quelque chose pour de bon. Mais ces ventes massives peuvent tout aussi bien être le résultat d’un fantasme généralisé ou de quelque chose d’encore plus pernicieux : un contrôle monopolistique sur nos communications et nos échanges commerciaux.

Être surveillé modifie notre comportement et pas pour le meilleur. La surveillance crée des risques pour notre progrès social. Le livre de Zuboff propose des explications particulièrement lumineuses de ce phénomène. Mais elle prétend aussi que la surveillance nous dérobe littéralement notre liberté : ainsi, lorsque nos données personnelles sont mélangées avec de l’apprentissage machine, cela crée un système de persuasion tellement dévastateur que nous sommes démunis face à lui. Autrement dit, Facebook utilise un algorithme qui analyse des données de votre vie quotidienne, extraites sans consentement, afin de personnaliser votre fil d’actualité pour vous pousser à acheter des trucs. On dirait un rayon de contrôle mental sorti tout droit d’une BD des années 50, manipulé par des savants fous dont les supercalculateurs leur assurent une domination totale et perpétuelle sur le monde.

Qu’est-ce que la persuasion ?

Pour comprendre pourquoi vous ne devriez pas vous inquiéter du rayon de contrôle mental, mais bien plutôt de la surveillance et des géants de la tech, nous devons commencer par décortiquer ce que nous entendons par « persuasion ».

Google, Facebook et les autres capitalistes de la surveillance promettent à leurs clients (les annonceurs) qu’en utilisant des outils d’apprentissage machine entraînés sur des jeux de données de taille inimaginable, constitués d’informations personnelles récoltées sans consentement, ils seront capables de découvrir des moyens de contourner les capacités de rationalisation du public et de contrôler le comportement de ce dernier, provoquant ainsi des cascades d’achats, de votes ou autres effets recherchés.

L’impact de la domination excède de loin celui de la manipulation et devrait être central dans notre analyse et dans tous les remèdes que nous envisageons.

Mais il existe peu d’indices pour prouver que cela se déroule ainsi. En fait, les prédictions que le capitalisme de surveillance fournit à ses clients sont bien moins impressionnantes qu’elles ne le prétendent. Plutôt que de chercher à passer outre votre rationalité, les capitalistes de la surveillance comme Mark Zuckerberg pratiquent essentiellement une au moins des trois choses suivantes :

1. Segmentation

Si vous êtes vendeur de couches-culottes, vous aurez plus de chance d’en vendre en démarchant les personnes présentes dans les maternités. Toutes les personnes qui entrent ou sortent d’une maternité ne viennent pas d’avoir un bébé et toutes celles qui ont un bébé ne sont pas consommatrices de couches. Mais avoir un bébé est fortement corrélé avec le fait d’être un consommateur de couches et se trouver dans une maternité est hautement corrélé avec le fait d’avoir un bébé. Par conséquent, il y a des publicités pour les couches autour des maternités (et même des démarcheurs de produits pour bébés qui hantent les couloirs des maternités avec des paniers remplis de cadeaux).

Le capitalisme de surveillance, c’est de la segmentation puissance un milliard. Les vendeurs de couches peuvent aller bien au-delà des personnes présentes dans les maternités (bien qu’ils puissent aussi faire ça avec, par exemple, des publicités mobiles basées sur la géolocalisation). Ils peuvent vous cibler selon que vous lisiez des articles sur l’éducation des enfants, les couches-culottes ou une foule d’autres sujets, et l’analyse des données peut suggérer des mots-clés peu évidents à cibler. Ils peuvent vous cibler sur la base d’articles que vous avez récemment lus. Ils peuvent vous cibler sur la base de ce que vous avez récemment acheté. Ils peuvent vous cibler sur la base des e-mails ou des messages privés que vous recevez concernant ces sujets, et même si vous mentionnez ces sujets à voix haute (bien que Facebook et consorts jurent leurs grands dieux que ce n’est pas le cas, du moins pour le moment).

C’est franchement effrayant.

Mais ce n’est pas du contrôle mental.

Cela ne vous prive pas de votre libre-arbitre. Cela ne vous leurre pas.

Pensez à la manière dont le capitalisme de surveillance fonctionne en politique. Les entreprises du capitalisme de surveillance vendent aux professionnels de la politique la capacité de repérer ceux qui pourraient être réceptifs à leurs argumentaires. Les candidats qui font campagne sur la corruption du secteur financier sont à la recherche de personnes étranglées par les dettes, ceux qui utilisent la xénophobie recherchent des personnes racistes. Ces communicants ont toujours ciblé leurs messages, peu importe que leurs intentions soient honorables ou non : les syndicalistes font leurs discours aux portes des usines et les suprémacistes blancs distribuent leurs prospectus lors des réunions de l’association conservatrice John Birch Society.

Mais c’est un travail imprécis, et donc épuisant. Les syndicalistes ne peuvent pas savoir quel ouvrier approcher à la sortie de l’usine et peuvent perdre leur temps avec un membre discret de la John Birch Society ; le suprémaciste blanc ne sait pas quels membres de la Birch sont tellement délirants qu’assister à une réunion est le maximum qu’ils peuvent faire, et lesquels peuvent être convaincus de traverser le pays pour brandir une torche de jardin Tiki dans les rues de Charlottesville, en Virginie.

Comme le ciblage augmente le rendement des discours politiques, il peut bouleverser le paysage politique, en permettant à tous ceux qui espéraient secrètement le renversement d’un autocrate (ou juste d’un politicien indéboulonnable) de trouver toutes les personnes qui partagent leurs idées, et ce, à un prix dérisoire. Le ciblage est devenu essentiel à la cristallisation rapide des récents mouvements politiques tels que Black Lives Matter ou Occupy Wall Street, ainsi qu’à des acteurs moins présentables comme les mouvements des nationalistes blancs d’extrême-droite qui ont manifesté à Charlottesville.

Il est important de différencier ce type d’organisation politique des campagnes de communication. Trouver des personnes secrètement d’accord avec vous n’est en effet pas la même chose que de convaincre des gens de le devenir. L’essor de phénomènes comme les personnes non-binaires ou autres identités de genres non-conformistes est souvent décrit par les réactionnaires comme étant le résultat de campagnes en ligne de lavage de cerveaux qui ont pour but de convaincre des personnes influençables qu’elles sont secrètement queer depuis le début.

Mais les témoignages de ceux qui ont fait leur coming-out racontent une tout autre histoire, dans laquelle les personnes qui ont longtemps gardé secret leur genre étaient encouragées par celles qui en avaient déjà parlé. Une histoire dans laquelle les personnes qui savaient qu’elles étaient différentes (mais qui manquaient de vocabulaire pour parler de ces différences) apprenaient les termes exacts à utiliser grâce à cette manière bon marché de trouver des personnes et de connaître leurs idées.

2. Tromperie

Les mensonges et les tromperies sont des pratiques malsaines, et le capitalisme de surveillance ne fait que les renforcer avec le ciblage. Si vous voulez commercialiser un prêt sur salaire ou hypothécaire frauduleux, le capitalisme de surveillance peut vous aider à trouver des personnes à la fois désespérées et peu averties, qui seront donc réceptives à vos arguments. Cela explique la montée en puissance de nombreux phénomènes, tels que la vente multi-niveau, dans laquelle des déclarations mensongères sur des gains potentiels et l’efficacité des techniques de vente ciblent des personnes désespérées, avec de la publicité associée à leurs recherches qui indiquent, par exemple, qu’elles se débattent contre des prêts toxiques.

Le capitalisme de surveillance encourage également la tromperie en facilitant le repérage d’autres personnes qui ont été trompées de la même manière. Elles forment ainsi une communauté de personnes qui renforcent mutuellement leurs croyances. Pensez à ces forums où des personnes victimes de fraudes commerciales à plusieurs niveaux se réunissent pour échanger des conseils sur la manière d’améliorer leur chance de vendre le produit.

Parfois, la tromperie en ligne consiste à remplacer les convictions correctes d’une personne par des croyances infondées, comme c’est le cas pour le mouvement anti-vaccination, dont les victimes sont souvent des personnes qui font confiance aux vaccins au début mais qui sont convaincues par des preuves en apparence plausibles qui les conduisent à croire à tort que les vaccins sont nocifs.

Mais la fraude réussit beaucoup plus souvent lorsqu’elle ne doit pas se substituer à une véritable croyance. Lorsque ma fille a contracté des poux à la garderie, l’un des employés m’a dit que je pouvais m’en débarrasser en traitant ses cheveux et son cuir chevelu avec de l’huile d’olive. Je ne savais rien des poux et je pensais que l’employé de la crèche les connaissait, alors j’ai essayé (ça n’a pas marché, et ça ne marche pas). Il est facile de se retrouver avec de fausses croyances quand vous n’en savez pas suffisamment et quand ces croyances sont véhiculées par quelqu’un qui semble savoir ce qu’il fait.

C’est pernicieux et difficile (et c’est aussi contre ce genre de choses qu’Internet peut aider à se prémunir en rendant disponibles des informations véridiques, en particulier sous une forme qui expose les débats sous-jacents entre des points de vue très divergents, comme le fait Wikipédia) mais ce n’est pas un lavage de cerveau, c’est de l’escroquerie. Dans la majorité des cas, les personnes victimes de ces campagnes de ces arnaques comblent leur manque d’informations de la manière habituelle, en consultant des sources apparemment fiables. Si je vérifie la longueur du pont de Brooklyn et que j’apprends qu’il mesure 1 770 mètres de long, mais qu’en réalité, il fait 1 825 mètres de long, la tromperie sous-jacente est un problème, mais c’est un problème auquel il est possible de remédier simplement. C’est un problème très différent de celui du mouvement anti-vax, où la croyance correcte d’une personne est remplacée par une fausse, par le biais d’une persuasion sophistiquée.

3. Domination

Le capitalisme de surveillance est le résultat d’un monopole. Le monopole est la cause, tandis que le capitalisme de surveillance et ses conséquences négatives en sont les effets. Je rentrerai dans les détails plus tard, mais, pour le moment, je dirai simplement que l’industrie technologique s’est développée grâce à un principe radicalement antitrust qui a permis aux entreprises de croître en fusionnant avec leurs rivaux, en rachetant les concurrents émergents et en étendant le contrôle sur des pans entiers du marché.

Prenons un exemple de la façon dont le monopole participe à la persuasion via la domination : Google prend des décisions éditoriales quant à ses algorithmes qui déterminent l’ordre des réponses à nos requêtes. Si un groupe d’escrocs décide de faire croire à la planète entière que le pont de Brooklyn mesure 1700 mètres et si Google élève le rang des informations fournies par ce groupe pour les réponses aux questions du type « Quelle est la longueur du pont de Brooklyn ? » alors les 8 ou 10 premières pages de résultats fournies par Google pourront être fausses. Sachant que la plupart des personnes ne vont pas au-delà des premiers résultats (et se contentent de la première page de résultats), le choix opéré par Google impliquera de tromper de nombreuses personnes.

La domination de Google sur la recherche (plus de 86 % des recherches effectuées sur le Web sont faites via Google) signifie que l’ordre qu’il utilise pour classer les résultats de recherche a un impact énorme sur l’opinion publique. Paradoxalement, c’est cette raison que Google invoque pour dire qu’il ne peut pas rendre son algorithme transparent : la domination de Google sur la recherche implique que les résultats de son classement sont trop importants pour se permettre de pouvoir dire au monde comment il y parvient, car si un acteur malveillant découvrait une faille dans ce système, alors il l’exploiterait pour mettre en avant son point de vue en haut des résultats. Il existe un remède évident lorsqu’une entreprise devient trop grosse pour être auditée : la diviser en fragments plus petits.

Zuboff parle du capitalisme de surveillance comme d’un « capitalisme voyou » dont les techniques de stockage de données et d’apprentissage machine nous privent de notre libre arbitre. Mais les campagnes d’influence qui cherchent à remplacer les croyances existantes et correctes par des croyances fausses ont un effet limité et temporaire, tandis que la domination monopolistique sur les systèmes d’information a des effets massifs et durables. Contrôler les résultats des recherches du monde entier signifie contrôler l’accès aux arguments et à leurs réfutations et, par conséquent, contrôler une grande partie des croyances à travers le monde. Si notre préoccupation est de savoir comment les entreprises nous empêchent de nous faire notre propre opinion et de déterminer notre propre avenir, l’impact de la domination dépasse de loin celui de la manipulation et devrait être au centre de notre analyse et de tous les remèdes que nous recherchons.

4. Contournement de nos facultés rationnelles

Mais voici le meilleur du pire : utiliser l’apprentissage machine, les techniques du dark UX, le piratage des données et d’autres techniques pour nous amener à faire des choses qui vont à l’encontre de nos principes. Ça, c’est du contrôle de l’esprit.

Certaines de ces techniques se sont révélées d’une efficacité redoutable (ne serait-ce qu’à court terme). L’utilisation de comptes à rebours sur une page de finalisation de commande peut créer un sentiment d’urgence incitant à ignorer la petite voix interne lancinante qui vous suggère d’aller faire vos courses ou de bien réfléchir avant d’agir. L’utilisation de membres de votre réseau social dans les publicités peut fournir une « justification sociale » qu’un achat vaut la peine d’être fait. Même le système d’enchères mis au point par eBay est conçu pour jouer sur nos points faibles cognitifs, nous donnant l’impression de « posséder » quelque chose parce que nous avons enchéri dessus, ce qui nous encourage à enchérir à nouveau lorsque nous sommes surenchéris pour s’assurer que « nos » biens restent à nous.

Les jeux sont très bons dans ce domaine. Les jeux « d’accès gratuit » nous manipulent par le biais de nombreuses techniques, comme la présentation aux joueurs d’une série de défis qui s’échelonnent en douceur de difficulté croissante, qui créent un sentiment de maîtrise et d’accomplissement, mais qui se transforment brusquement en un ensemble de défis impossibles à relever sans une mise à niveau payante. Ajoutez à ce mélange une certaine pression sociale – un flux de notifications sur la façon dont vos amis se débrouillent – et avant de comprendre ce qui vous arrive, vous vous retrouvez à acheter des gadgets virtuels pour pouvoir passer au niveau suivant.

Les entreprises ont prospéré et périclité avec ces techniques, et quand elles échouent cela mérite que l’on s’y attarde. En général, les êtres vivants s’adaptent aux stimuli : une chose que vous trouvez particulièrement convaincante ou remarquable, lorsque vous la rencontrez pour la première fois, le devient de moins en moins, et vous finissez par ne plus la remarquer du tout. Pensez au bourdonnement énervant que produit le réfrigérateur quand il se met en marche, qui finit par se fondre tellement bien dans le bruit ambiant que vous ne le remarquez que lorsqu’il s’arrête à nouveau.

C’est pourquoi le conditionnement comportemental utilise des « programmes de renforcement intermittent ». Au lieu de vous donner des encouragements ou des embûches, les jeux et les services gamifiés éparpillent les récompenses selon un calendrier aléatoire – assez souvent pour que vous restiez intéressé, et de manière assez aléatoire pour que vous ne trouviez jamais le schéma toujours répété qui rendrait la chose ennuyeuse.

Le « renforcement intermittent » est un outil comportemental puissant, mais il représente aussi un problème d’action collective pour le capitalisme de surveillance. Les « techniques d’engagement » inventées par les comportementalistes des entreprises du capitalisme de surveillance sont rapidement copiées par l’ensemble du secteur, de sorte que ce qui commence par un mystérieux changement de conception d’un service – comme une demande d’actualisation ou des alertes lorsque quelqu’un aime vos messages ou des quêtes secondaires auxquelles vos personnages sont invités alors qu’ils sont au beau milieu de quêtes principales – tout cela devient vite péniblement envahissant. L’impossibilité où l’on est de maîtriser et faire taire les incessantes notifications de son smartphone finit par générer en un mur de bruit informationnel monotone, car chaque application et chaque site utilise ce qui semble fonctionner à ce moment-là.

Du point de vue du capitalisme de surveillance, notre capacité d’adaptation est une bactérie nocive qui la prive de sa source de nourriture – notre attention – et les nouvelles techniques pour capter cette attention sont comme de nouveaux antibiotiques qui peuvent être utilisés pour briser nos défenses immunitaires et détruire notre autodétermination. Et il existe bel et bien des techniques de ce genre. Qui peut oublier la grande épidémie de Zynga, lorsque tous nos amis ont été pris dans des boucles de dopamine sans fin et sans intérêt en jouant à FarmVille ? Mais chaque nouvelle technique qui attire l’attention est adoptée par l’ensemble de l’industrie et utilisée si aveuglément que la résistance aux antibiotiques s’installe. Après une certaine dose de répétitions, nous développons presque tous une immunité aux techniques les plus puissantes – en 2013, deux ans après le pic de Zynga, sa base d’utilisateurs avait diminué de moitié.

Pas tout le monde, bien sûr. Certaines personnes ne s’adaptent jamais aux stimuli, tout comme certaines personnes n’arrêtent jamais d’entendre le bourdonnement du réfrigérateur. C’est pourquoi la plupart des personnes qui sont exposées aux machines à sous y jouent pendant un certain temps, puis passent à autre chose, pendant qu’une petite mais tragique minorité liquide le pécule mis de côté pour la scolarité de ses enfants, achète des couches pour adultes et reste scotchée devant une machine jusqu’à s’écrouler de fatigue.

Mais les marges du capitalisme de surveillance sur la modification des comportements sont nulles. Tripler le taux de conversion en achats d’un truc semble un succès, sauf si le taux initial est bien inférieur à 1 % avec un pourcentage de progression… encore inférieur à 1 %. Alors que les machines à sous tirent des bénéfices en centimes de chaque jeu, le capitalisme de surveillance ratisse en fractions de centimes infinitésimales.

Les rendements élevés des machines à sous signifient qu’elles peuvent être rentables simplement en drainant les fortunes de la petite frange de personnes qui leur sont pathologiquement vulnérables et incapables de s’adapter à leurs astuces. Mais le capitalisme de surveillance ne peut pas survivre avec les quelques centimes qu’il tire de cette tranche vulnérable – c’est pourquoi, lorsque la Grande épidémie de Zynga s’est enfin terminée, le petit nombre de joueurs encore dépendants qui restaient n’ont pas suffi à en faire encore un phénomène mondial. Et de nouvelles armes d’attention puissantes ne sont pas faciles à trouver, comme en témoignent les longues années qui se sont écoulées depuis le dernier succès de Zynga. Malgré les centaines de millions de dollars que Zynga doit dépenser pour développer de nouveaux outils pour déjouer nos capacités d’adaptation, l’entreprise n’a jamais réussi à reproduire l’heureux accident qui lui a permis de retenir toute notre attention pendant un bref instant en 2009. Les centrales comme Supercell se sont un peu mieux comportées, mais elles sont rares et connaissent beaucoup d’échecs pour un seul succès.

La vulnérabilité de petits segments de la population à une manipulation sensible et efficace des entreprises est une préoccupation réelle qui mérite notre attention et notre énergie. Mais ce n’est pas une menace existentielle pour la société.




Quand les tribunaux nourrissent les trolls

Les Patent Trolls ou « chasseurs de brevets » sont des sociétés parasites qui tirent profit d’un portefeuille de brevets dont elles ont fait le plus souvent des dépôts abusifs. Elles sont particulièrement néfastes aux USA où elles multiplient les menaces de procédures judiciaires pour extorquer de l’argent aux entreprises.

Quand des sociétés ne vivent que de failles du système et qu’elles utilisent les tribunaux pour museler leurs victimes ça donne ce que vous allez lire… Avec L’Electronic Frontier Foundation, rediffusons largement sur nos réseaux les tracas subis par Mycroft puisqu’on veut les empêcher d’en parler, justement !

Les commentaires, comme toujours sur ce blog, sont ouverts et modérés.

Page originale sur le site de l’EFF : Courts Shouldn’t Stifle Patent Troll Victims’ Speech

Traduction Framalang : Cyrille Préaux, goofy, lumibd, tykayn, mo, Delaforest, Bromind, Pierre-Emmanuel Largeron, serici

Les tribunaux ne devraient pas réprimer la parole des victimes de trolls de brevets

Aux États-Unis, nous n’attendons pas des fonctionnaires – y compris les juges – qu’ils régulent la parole, et nous ne leur en accordons pas l’autorisation. Les tribunaux ne sont autorisés à restreindre la liberté d’expression que dans les circonstances les plus rares, sous réserve de limitations strictes. Nous avons donc été troublés d’apprendre qu’un juge du Missouri a rendu une ordonnance bâillonnant la parole d’une petite entreprise qui a choisi de s’exprimer au sujet d’un procès intenté contre elle par un troll de brevets.

Mycroft AI, une entreprise de neuf employés qui développe des technologies vocales open source, a publié le 5 février, un article de blog pour décrire comment la compagnie a été traitée par un troll de brevet qui s’appelle Voice Tech Corporation. Comme tous les trolls de brevet, Voice Tech n’offre ni services ni produits. L’entreprise détient simplement les brevets qu’elle a acquis grâce à plus d’une décennie d’argumentation sans contradicteur avec l’Office américain des brevets.

Les deux brevets de Voice Tech ne décrivent rien d’autre que l’usage des commandes vocales, avec un appareil mobile, pour exécuter des commandes par un ordinateur. Rien de plus. C’est le simple énoncé d’une idée, sans aucun détail sur sa mise en œuvre. Cette idée est présente dans la science-fiction depuis plus de 50 ans : l’entreprise s’appelle en fait Mycroft d’après le superordinateur du roman de Robert Heinlein «Révolte sur la lune» . Lorsque Voice Tech a utilisé ces brevets pour, d’une part, menacer puis, d’autre part, poursuivre en justice Mycroft AI, les dirigeants de la société ont refusé de payer les 30 000$ réclamés par ces brevets ridicules. Tout au contraire, ils se sont battus – et ont demandé l’aide de leur communauté.

« Les mathématiques ne sont pas brevetables et les logiciels ne devraient pas l’être non plus », écrit Joshua Montgomery, directeur de Mycroft, sur le blog. « Je n’ai pas l’habitude de demander ça, mais j’aimerais que toutes les personnes qui pensent que les trolls de brevets sont néfastes à l’open source, repostent, mettent en lien, tweetent et/ou partagent cet article. »

Montgomery a également déclaré qu’il a « toujours voulu être un chasseur de trolls » et qu’à son avis, face à de telles situations, « il vaut mieux être agressif et les « poignarder, fusiller et les pendre », puis les dissoudre dans de l’acide ». Il a inclus un lien vers une loi de l’État à laquelle il s’est opposé l’année dernière, où il avait utilisé la même citation.
Ce langage cru a attiré l’attention et l’histoire est devenue virale sur des forums comme reddit et Hacker News. Le procès et l’article ont également été couverts par des publications techniques telles que The Register et Techdirt. Selon Mycroft, cela a conduit à un afflux de soutien bien nécessaire.

Et sinon, vous pouvez faire la chasse aux trolls grâce à Framatroll

Le tribunal intervient

Cependant, selon Voice Tech, cela a conduit à du harcèlement. La société a réagi en demandant au juge qui supervise l’affaire, le juge de district américain Roseann Ketchmark du district ouest du Missouri, d’intervenir. Voice Tech a laissé entendre que l’article avait conduit à la fois à un harcèlement de son avocat et à une tentative de piratage. Mycroft a vigoureusement nié tout harcèlement ou piratage et a déclaré qu’il «admonesterait et nierait» toute attaque personnelle.

Malheureusement, le juge Ketchmark a non seulement accepté l’argument de Voice Tech concernant le harcèlement, mais il a également ordonné à Mycroft de supprimer des parties du billet de blog. Pire encore, il a ordonné à Mycroft de cesser de solliciter le soutien de sa propre communauté open source. Mycroft a reçu l’ordre spécifique de supprimer la demande que «toute personne de notre communauté qui pense que les trolls de brevets sont mauvais pour l’open source» poste à nouveau et rediffuse la nouvelle.

Pour être clair, si les allégations sont vraies, l’avocat de Voice Tech a le droit de répondre à ceux qui le harcèlent réellement. Cette décision est toutefois profondément troublante. Il ne semble pas qu’il y ait eu suffisamment de preuves pour que le tribunal estime que l’article cru de Mycroft ait conduit directement au harcèlement — une exigence essentielle (bien que non suffisante) avant d’interdire à une partie de partager ses opinions sur une affaire.

Cependant le public a le droit de savoir ce qui se passe dans cette affaire et Mycroft a le droit de partager cette information, même si elle est formulée dans un langage un peu cru. Le fait que certains membres du public aient pu réagir négativement au message, ou même tenter de pirater Voice Tech, ne justifie pas de passer outre à ce droit sans preuves solides montrant un lien direct entre le message de Mycroft et le harcèlement de l’avocat de Voice Tech.

Patent troll
« Troll under the Bridge » – Fremont Troll à Seattle

Les chasseurs de brevets et la censure

Mais il y a pire. Renforcée par son succès initial, Voice Tech continue à faire pression pour davantage de censure. En juin, Mycroft a publié une mise à jour de son produit MARK II. Alors qu’elle comptait sur sa sortie en 2021, Montgomery a écrit que «L’avancement dépendait du recrutement et des distractions telles que les trolls de brevets» et a fait référence à un article de Techdirt. Voice Tech a rapidement réagi et demande au travers d’une note à MyCroft de supprimer le lien et d’amender l’article :

«Voice Tech demande que Mycroft supprime le lien vers l’article TECHDIRT et mette à jour l’article original sur le forum de la communauté Mycroft au plus tard avant la fermeture des bureaux le 22 juillet 2020. Si Mycroft n’obtempère pas, Voice Tech n’aura d’autre choix que de porter plainte auprès du tribunal pour diffamation.»

Mycroft a supprimé le lien. VoiceTech a également cherché à censurer les journalistes indépendants sur l’affaire, tels que ceux qui ont publié sur Techdirt.

C’est déjà choquant que de petites entreprises telles que Mycroft AI soient sujettes à des menaces et des litiges concernant des brevets, qui dépassent à peine de la science-fiction, fournis par une bureaucratie défaillante. Mais il est encore plus inadmissible qu’elles ne puissent pas en parler librement. Aucune entreprise ne devrait avoir à souffrir en silence des dommages causés par les chasseurs de brevets à son activité, à sa communauté, et au public au sens large. Nous espérons que le juge Ketchmark reconsidérera clairement et rapidement sa censure et l’annulera. Nous sommes heureux de la démarche de Mycroft AI d’enclencher une action en justice pour combattre ces brevets clairement invalides.

 

 




Pour une page web qui dure 10 ans ?

Des pages web légères et moins gourmandes en ressources, du « low-tech » c’est plus écologique probablement, mais c’est aussi une des conditions pour rendre durables des contenus qui ont une fâcheuse tendance à se volatiliser… Jeff Huang est professeur d’informatique et dans la page que Framalang a traduite pour vous, il fait le pari que son contenu sera encore accessible dans dix ans au moins, tout en proposant 7 recommandations pour créer des pages web pérennes.

Il ne s’agit pas de solutions miracles, mais plutôt d’incitations à l’action et au débat, comme il l’écrit :

Cet article est destiné à provoquer et à susciter une action individuelle, et non à proposer une solution complète pour soigner le Web en déclin

Donc il est clair que les conseils qu’il donne sont peut-être incomplets ou critiquables. Certain⋅e⋅s (comme un de nos traducteurs) vont par exemple sursauter de lire que les polices Google peuvent être utilisées car elles sont « probablement déjà dans le cache ». D’autres vont regretter que le recours à l’archivage ne soit pas assez mis en avant comme le fait cipherbliss dans cet article… bref, n’hésitez pas à ajouter des critiques constructives.

N’hésitez pas non plus à nous dire s’il existe vraiment des contenus web qui méritent selon vous d’être maintenus dix ans ou plus, et lesquels (créations et expressions personnelles, ressources des Communs, etc.), ou bien si vous acceptez avec fatalisme ou satisfaction que les pages web, comme tout le reste, finissent par disparaître…

Les commentaires, comme toujours sur ce blog, sont ouverts et modérés.

 

Page originale : This Page is Designed to Last, A Manifesto for Preserving Content on the Web
Traduction Framalang : goofy, Côme, mo, wisi_eu, retrodev, tykayn

Un manifeste pour la pérennité des contenus sur le Web

Cette page est conçue pour durer

par Jeff Huang

Pour un professeur, la fin de l’année est l’occasion de faire le ménage et de se préparer pour le semestre à venir. Je me suis retrouvé à effacer de vieux marque-pages, eh oui, des marque-pages : cette fonctionnalité des navigateurs autrefois si appréciée qui paraît avoir perdu la bataille contre la « complétion automatique dans la barre d’adresse ». Mais ce geste nostalgique de nettoyage a fini par me déprimer.

Les uns après les autres, les marque-pages m’ont mené vers des liens morts. Disparus, de superbes écrits de kuroShin sur la culture technologique ainsi qu’une série de puzzles mathématiques et les discussions associées des universitaires que mon père m’avait présentés ; disparus aussi les tutoriels d’ingénierie inverse de Woodman qui datent de mes années d’étude, avec lesquels j’ai découvert le sentiment d’avoir le pouvoir sur les logiciels ; même mes plus récents marque-pages ont disparu, une série d’articles exposant sur Google+ la non-conformité des chargeurs usb-c avec les normes…

Ce n’est pas seulement une question de liens fichus, c’est le problème de la difficulté croissante de maintenir en vie des contenus indépendants sur le Web, conduisant à une dépendance à des plateformes et à des formats de publication qui s’empilent de façon chronologique (blogs, fils, tweets…)

Bien sûr j’ai moi aussi contribué au problème. Un article que j’ai publié il y a sept ans comprend un résumé initial dans lequel un lien vers une démo a été remplacé par une page de spam avec une image de citrouille. C’est en partie à cause de la flemme de devoir renouveler et de maintenir une application web fonctionnelle année après année.
J’ai recommandé à mes étudiants de publier des sites web avec Heroku et des portfolios avec Wix. Mais toute plateforme au contenu irremplaçable meurt un jour. Geocities, LiveJournal, what.cd, maintenant Yahoo Groups. Un jour, Medium, Twitter et même les services d’hébergement comme GitHub Pages seront pillés puis jetés lorsqu’ils ne pourront plus se développer ou n’auront pas trouvé de modèle économique viable.

C’est un problème de nature plurielle.
Tout d’abord, maintenir du contenu demande du travail. Le contenu peut avoir besoin d’être mis à jour pour rester pertinent et devra éventuellement être ré-hébergé. Une grande partie du contenu – ce qui était autrefois la grande majorité du contenu – a été mise en place par des individus. Mais les particuliers (peut-être vous ?) finissent par se désintéresser, si bien qu’un jour, vous ne voudrez peut-être plus vous occuper de la migration d’un site web vers un nouvel hébergeur.

Deuxièmement, le nombre croissant de bibliothèques et de frameworks rend le Web plus sophistiqué, mais également plus complexe. Il y a d’abord eu jquery, puis bootstrap, npm, angular, grunt, webpack, et bien d’autres. Si vous êtes un développeur web qui se tient au courant des dernières nouveautés, alors ce n’est pas un problème.

Mais dans le cas contraire, vous êtes peut-être programmeur de systèmes embarqués, directeur technique d’une start-up, un développeur Java d’entreprise ou un doctorant de chimie. Vous avez sans doute trouvé le moyen de mettre en place un serveur web et sa chaîne d’outils, mais continuerez-vous à le faire d’une année à l’autre, d’une décennie à l’autre ? Probablement pas ! Et lorsque, l’année suivante, vous rencontrerez un problème de dépendance à un paquet ou que vous découvrirez comment régénérer vos fichiers html, vous pourriez abandonner et zipper les fichiers pour vous en occuper « plus tard ».

Même les piles technologiques simples comme les générateurs de sites statiques (par exemple, Jekyll) nécessitent du travail et cesseront de fonctionner à un moment donné. Vous tombez dans l’enfer des dépendances aux paquets NPM, et vous oubliez la commande pour réaliser un déploiement. Et avoir un site web avec plusieurs pages html est complexe ; comment savoir comment chaque page est liée aux autres : « index.html.old », une copie de « about.html » « index.html (1) », « nav.html » ?

Troisièmement, et cela a déjà été rapporté par d’autres (et même réfuté), la disparition du Web « public » au profit du mobile et des applications web, des jardins clos (telles que les pages Facebook), du chargement en temps réel des WebSockets et de l’AMP diminue la proportion même de la toile dans la toile mondiale, qui ressemble désormais davantage à une toile continentale qu’à une « toile mondiale » (World Wide Web).

Alors, face à ces problèmes, que pouvons-nous faire ? Ce n’est pas un problème si simple qu’il puisse être résolu dans cet article. La Wayback Machine et archive.org permettent de conserver certains contenus plus longtemps. Et il arrive qu’un individu altruiste relocalise le contenu ailleurs.

Mais la solution se trouve sur plusieurs fronts. Comment créer un contenu web qui puisse durer et être maintenu pendant au moins dix ans ? Étudiant l’interaction homme-machine, je pense naturellement aux parties prenantes que nous n’aidons pas : actuellement, la mise en ligne de contenu web est optimisée soit pour le développeur web professionnel (qui utilise les derniers frameworks et flux de travail), soit pour l’utilisateur non averti (qui utilise une plateforme).

Mais je pense que nous devrions considérer à la fois 1) le « responsable » occasionnel du contenu web, quelqu’un qui ne reste pas constamment à jour avec les dernières technologies web, ce qui signifie que le site web doit avoir de faibles besoins de maintenance ; 2) et les robots d’indexation qui préservent le contenu et les archiveurs personnels, « archiveur » implique que le site web doit être facile à sauvegarder et à interpréter.

Ma proposition consiste donc en sept lignes directrices non conventionnelles sur la manière dont nous traitons les sites web conçus pour être informatifs, pour les rendre faciles à entretenir et à préserver. Ma suggestion est que le responsable de la maintenance s’efforce de maintenir le site pendant au moins 10 ans, voire 20 ou 30 ans. Il ne s’agit pas nécessairement de points de vue controversés, mais d’aspirations qui ne sont pas courantes − un manifeste pour un site web durable.

1. Revenez à du HTML/CSS « Vanilla » (NdT : le plus simple, sans JavaScript) – Je pense que nous avons atteint le point où le html/css est plus puissant et plus agréable à utiliser que jamais. Au lieu de commencer avec un modèle obèse bourré de fichiers « .js », il est maintenant possible de simplement écrire en HTML, à partir de zéro. Les CSS « Flexbox » et « Grid », le canvas, les Selectors, le box-shadow, l’élément vidéo, le filtre, etc. éliminent une grande partie du besoin de bibliothèques JavaScript. Nous pouvons éviter le jQuery et le Bootstrap, car ils deviennent de toute façon moins pertinents. Plus il y a de bibliothèques intégrées au site web, plus celui-ci devient fragile. Évitez les polyfills et les préfixes CSS, et n’utilisez que les attributs CSS qui fonctionnent sur tous les navigateurs. Et validez fréquemment votre HTML ; cela pourrait vous éviter un mal de tête à l’avenir lorsque vous rencontrez un bogue.

2. Ne réduisez pas ce HTML. Réduire (compresser) votre HTML et les CSS/JS associés vous semblera peut-être une précieuse économie de bande passante, et toutes les grandes entreprises le font. Pourquoi ne pas le faire ? Eh bien, vous n’économisez pas beaucoup parce que vos pages web doivent être compressées avant d’être envoyées sur le réseau, donc la réduction préventive de votre contenu compte probablement très peu dans l’économie de bande passante, voire pas du tout. Mais même si cela permettait d’économiser quelques octets (ce n’est après tout que du texte), vous devez maintenant avoir un processus de construction et l’ajouter à votre flux de travail, de sorte que la mise à jour d’un site web devient plus complexe. En cas de bogue ou d’incompatibilité future dans le HTML, le format minimisé est plus difficile à déboguer. De plus, il est peu convivial pour vos utilisateurs ; de nombreuses personnes commencent à utiliser le HTML en cliquant sur « Voir la source »1, et la réduction de votre HTML empêche cet idéal d’apprentissage en regardant ce qui est fait. Réduire le HTML ne préserve pas sa qualité pédagogique, et ce qui est archivé n’est que le tas de code résultant.

3. Préférez maintenir une page plutôt que plusieurs. Plusieurs pages sont difficiles à maintenir. Vous pouvez oublier quelle page renvoient à quoi, et cela nécessite également la mise en place de modèles pour limiter les redondances. Combien de pages une personne peut-elle réellement maintenir ? Avoir un seul fichier, probablement juste un « index.html », est simple et facile à retenir. Profitez de ce défilement vertical infini. Vous n’aurez jamais besoin de fouiller dans vos fichiers ou de faire du grep pour voir où se trouve un certain contenu. Et comment gérer les multiples versions de ce fichier ? Devriez-vous utiliser git ? Les placer dans un dossier « old/ » ? J’aime l’approche simple qui consiste à nommer les anciens fichiers avec la date à laquelle ils ont été retirés, comme index.20191213.html. L’utilisation du format ISO de la date permet de trier facilement, et il n’y a pas de confusion entre les formats de date américain et européen. Si j’ai plusieurs versions en une journée, j’utiliserais un style similaire à celui qui est habituel dans les fichiers journaux, index.20191213.1.html. Un effet secondaire agréable est que vous pouvez alors accéder à une version plus ancienne du fichier si vous vous souvenez de la date, sans vous connecter à la plateforme d’hébergement web.

4. Mettez fin à toutes les formes de liaison automatique (hotlinking). Ce mot d’avertissement semble avoir disparu du vocabulaire internet, mais c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai vu un site web parfaitement bon s’effondrer sans raison. Cessez d’inclure directement des images provenant d’autres sites web, cessez d’« emprunter » des feuilles de style en vous contentant de créer des liens vers celles-ci, et surtout cessez de créer des liens vers des fichiers JavaScript, même ceux qui sont hébergés par les développeurs d’origine. Les liaisons automatiques sont généralement considérées comme impolies car vos visiteurs utilisent la bande passante de quelqu’un d’autre, elles ralentissent l’expérience utilisateur, permettent un autre site web de pister vos utilisateurs et, pire encore, si l’endroit auquel vous vous connectez modifie la structure de ses dossiers ou se déconnecte tout simplement, la panne se répercute également sur votre site web. Google Analytics est inutile ; stockez vos propres journaux de serveur et configurez GoAccess ou découpez-les comme vous le souhaitez, ce qui vous donnera des statistiques plus détaillées. Ne donnez pas vos journaux à Google gratuitement.

5. N’utilisez que les 13 polices de caractères adaptées au Web – nous nous concentrons d’abord sur le contenu, comprenez : les caractères décoratifs et inhabituels sont complètement inutiles. Maintenez un petit éventail et les 13 polices de caractères adaptées au Web. Peut-être avez-vous vraiment besoin d’une police de caractères néo-grotesque qui ne soit pas Arial/Helvetica, ou d’une police de caractères géométriques. Dans ce cas, utilisez le minimum nécessaire, comme Roboto (pour le néo-grotesque) et Open Sans (pour le géométrique) ; ce sont les deux polices les plus populaires de Google Fonts, il est donc probable qu’elles soient déjà en cache sur l’ordinateur de vos utilisateurs. Outre ces polices, votre objectif doit être de fournir le contenu à l’utilisateur de manière efficace et de faire en sorte que le choix de la police soit invisible, plutôt que de flatter votre ego en matière de conception. Même si vous utilisez les polices Google, elles n’ont pas besoin d’être liées automatiquement (hotlink). Téléchargez le sous-ensemble dont vous avez besoin et fournissez-les localement à partir de vos propres dossiers.

6. Compressez vos images de manière obsessionnelle. Ce sera plus rapide pour vos utilisateurs, moins gourmand en espace d’archivage et plus facile à maintenir lorsque vous n’avez pas à sauvegarder un énorme dossier. Vos images peuvent avoir la même haute qualité, mais être plus petites. Minimisez vos SVG, compressez sans perte vos PNG, générez des JPEG pour qu’ils correspondent exactement à la largeur de l’image. Cela vaut la peine de passer du temps à trouver la meilleure façon de compresser et de réduire la taille de vos images sans perte de qualité. Et une fois que WebP sera pris en charge par Safari, passez à ce format. Réduisez impitoyablement la taille totale de votre site web et gardez-la aussi petite que possible. Chaque Mo peut coûter cher à quelqu’un ; en effet mon opérateur de téléphonie mobile (Google Fi) facture un centime (de dollar) par Mo de données. Ainsi, un site web de 25 Mo, assez courant de nos jours, coûte lui-même 25 centimes, soit à peu près autant qu’un journal quand j’étais enfant.

7. Éliminez le risque de rupture d’URL. Il existe des services de contrôle qui vous indiqueront quand votre URL est en panne, ce qui vous évitera de réaliser un jour que votre page d’accueil ne charge plus depuis un mois et que les moteurs de recherche l’ont désindexée. Car 10 ans, c’est plus long que ce que la plupart des disques durs ou des systèmes d’exploitation sont censés durer. Mais pour éliminer le risque de panne totale d’une URL, mettez en place un second service de contrôle. En effet, si le premier s’arrête pour une raison quelconque (passage à un modèle payant, fermeture, oubli de renouvellement, etc.), vous recevrez toujours une notification lorsque votre URL est hors service, puis vous réaliserez que l’autre service de surveillance est hors service parce que vous n’avez pas reçu la deuxième notification. N’oubliez pas que nous essayons de maintenir un service pendant plus de 10 ans (idéalement bien plus longtemps, même 30 ans), donc beaucoup de services vont s’arrêter pendant cette période, donc deux services de surveillance, c’est plus sûr…
Après avoir fait cela, placez un texte dans le pied de page, « La page a été conçue pour durer », avec un lien vers cette page expliquant ce que cela signifie. Ces quelques mots attestent que le responsable fera de son mieux pour suivre les idées de ce manifeste.

Avant que vous ne protestiez, il est évident que cela n’est pas adapté pour les applications web. Si vous créez une application, alors créez votre application web ou mobile avec le flux de travail dont vous avez besoin. Je ne connais pas une seule application web qui ait fonctionné de manière identique pendant 10 ans (sauf le tutoriel python de Philip Guo, en raison de sa stratégie minimaliste de maintenance), donc cela semble être une cause perdue de toute façon. Ce n’est pas non plus adapté pour les sites web maintenus par une organisation comme Wikipédia ou Twitter. Vous faites votre truc, et le salaire d’une équipe informatique est probablement suffisant pour maintenir quelque chose en vie pendant un certain temps.
En fait, il n’est même pas si important de suivre strictement les 7 « règles », car ce sont plus des incitations que des règles impératives.

Mais admettons qu’une petite partie du Web commence à concevoir des sites web dont le contenu est censé durer. Que se passe-t-il alors ? Eh bien, les gens préféreront peut-être créer des liens vers ces sites car leur accès est garanti à l’avenir. Plus généralement, les gens peuvent être plus soucieux de rendre leurs pages plus permanentes. Et les utilisateurs et utilisatrices ainsi que les robots qui archivent économisent de la bande passante lorsqu’ils visitent et stockent ces pages.

Les effets sont à long terme, mais les réalisations sont progressives et peuvent être mises en œuvre par les propriétaires de sites web sans dépendre de quiconque ni attendre un effet de réseau. Vous pouvez le faire dès maintenant pour votre site web, et ce serait déjà un résultat positif. C’est comme utiliser un sac de courses recyclé au lieu d’un sac en plastique, c’est une petite action individuelle.

Cet article est destiné à provoquer et à susciter une action individuelle, et non à proposer une solution complète au déclin de la Toile. Il s’agit d’un petit pas simple pour un système sociotechnique complexe. J’aimerais donc voir cela se produire. J’ai l’intention de maintenir cette page pendant au moins 10 ans.

Merci à mes étudiants en doctorat Shaun Wallace, Nediyana Daskalova, Talie Massachi, Alexandra Papoutsaki, mes collègues James Tompkin, Stephen Bach, mon assistante d’enseignement Kathleen Chai et mon assistant de recherche Yusuf Karim pour leurs commentaires sur les versions précédentes.

Voir les discussions sur Hacker News et reddit/r/programming

Cette page est conçue pour durer.

un vieux bonhomme avec canne s’adresse à son épouse également âgée qui est assise devant son ordinateur. Pourquoi tu veux faire une page web qui dure 10 ans ? demande-t-il. Elle répond : pas pour toi en tout cas. c’est pour nos petits-enfants. je vais l’appeler index(old).html
Image réalisée avec https://framalab.org/gknd-creator/




La dégooglisation de WebAssoc

Il y a quelques mois, avant que la covid19 vienne chambouler notre quotidien, Angie faisait le constat que nous n’avions finalement que très peu documenté sur ce blog les démarches de passage à des outils libres réalisées au sein des organisations. Celles-ci sont pourtant nombreuses à s’être questionnées et à avoir entamé leur « degooglisation ». Il nous a semblé pertinent de les interviewer pour comprendre pourquoi et comment elles se sont lancées dans cette aventure. Ce retour d’expérience est, pour Framasoft, l’occasion de prouver que c’est possible, tout en ne niant pas les difficultés et les freins rencontrés, les écueils à ne pas reproduire, etc. Peut-être arriveront-elles ainsi à vous convaincre de passer au libre au sein de votre structure et à la libérer des outils des géants du web.

N’hésitez pas à consulter les autres articles de cette série consacrée à l’autonomisation numérique des organisations.

Logo de WebAssoc

WebAssoc est une pépite du monde associatif, qui déploie une énergie incroyable pour aider les autres associations à utiliser les outils numériques. Cela fait 2 ans que cette structure a engagé une réflexion sur l’adoption d’outils libres. Nous avons demandé à l’un de ses membres de nous parler de la dégooglisation de cette dynamique association.

Bonjour, peux-tu te présenter ? Qui es-tu ? Quel est ton parcours ?

Bonjour Framasoft. Je suis Jean-Luc, geek de longue date (j’ai débuté sur un ZX81) sans que ce soit mon taf (je bosse dans le tuyau). Je suis arrivé à WebAssoc il y deux ans. Comme je suis branché sur le Libre depuis longtemps, Raphaëlle, notre présidente, m’a demandé de développer son usage dans l’association.

Tu nous parles de ton association ?

Chez WebAssoc, nous sommes plus de 1600 bénévoles et nous avons fait, en 2019, plus de 1 300 actions auprès des associations qui nous sollicitent. Nous mettons en relation des associations humanitaires, d’environnement ou de solidarité avec des bénévoles du numérique qui les forment ou apportent des renforts personnalisés.

Combien de salariées avez-vous ?

Aucun salarié, nous n’avons même pas de compte en banque ! Sur les 1600 qui interviennent ponctuellement, 40 font tourner la machine (recevoir les demandes, les analyser, les proposer, organiser les formations, alimenter les réseaux sociaux, notre site…) et nous sommes 5 dans le bureau.Jean-Luc Mahé

Où se trouvent vos membres ?

Un peu partout, même si nous sommes concentrés sur Paris et les métropoles puisque issus du monde numérique.

En termes d’organisation, y a-t-il une seule entité ? Plusieurs groupes de travail distincts ?

Nous fonctionnons par bulles dans lesquelles nous pouvons avoir plusieurs équipes de 4-5 personnes, C’est très informel et cela nous correspond. Par exemple, je suis en charge de la bulle « tech » qui comporte les équipes « front », « back », « crm » et « cloud », nous assurons toute la partie infrastructure et logiciels.

Tu dirais que les membres de l’association sont plutôt à l’aise avec le numérique ?

Oui, tout le monde est à l’aise. En revanche, nous n’avons pas tous un profil technique, bien au contraire.

Quelles sont les valeurs portées par l’association ?

La joie de donner son savoir et son temps sans se prendre la tête. Avec l’idée que lorsque nous n’apporterons plus rien, nous passerons à autre chose. Mais les événements récents ont montré qu’il reste du chemin pour que les associations soient à l’aise dans leurs choix numériques.

Avant de lancer cette démarche, vous utilisiez quels outils ou services numériques ?

GSuite (Gmail, Gdrive), Google Analytics, Slack, Trello, Word, Excel, nos photos sur Flickr, notre site sous WordPress.

Comment est configuré le système d’information et les différentes applications ?

Euh, vous pouvez répéter la question ? 🙂

Plus sérieusement, à mon arrivée, nous utilisions WordPress et CiviCRM sur un espace prêté. Le reste était basé sur des outils propriétaires en mode SAAS.

Qu’est-ce qui fonctionnait bien ? Qu’est-ce qui posait problème ?

La première faiblesse était que nous utilisions la machine d’un bénévole. Le reste de nos informations étaient chez d’autres (Google pour nos documents, Gmail pour nos échanges avec l’externe, GAnalytics pour notre trafic, Flickr, Doodle…). Cela marchait, mais nous étions fragiles et nous ne maîtrisions pas nos données, pas top !

Vous avez entamé une démarche en interne pour migrer vers des outils numériques plus éthiques. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette démarche ?

Une volonté, appliquer à soi-même pour mieux expliquer.

D’où est venue l’idée, qu’est-ce qui vous a motivé⋅e⋅s ?

WebAssoc avait déjà mis en avant les solutions libres lors d’interventions. Mais il nous manquait l’expérience et la légitimité, « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais » ne marche pas bien. 🙂

Quels sont les objectifs ? Les résultats attendus ?

Notre feuille de route reprend quatre thèmes. Ils sont totalement cloisonnés pour proposer notre expérience sur l’un sans requérir les autres, d’où (on le verra plus loin) le choix de prendre un hébergeur propre à chacun d’eux :

Pour la planète, mettre en avant le réemploi

Nous avons fait notre journée annuelle en janvier sur un PC acheté 50 € sur le … qui tournait sur Emmabuntüs (Linux Debian). Nous adorons cette distribution qui comprend tous les logiciels nécessaires à un bénévole, et qui a permis de belles actions comme Yovotogo.

Proposer un espace pour le bureau regroupant tous les outils

Avec NextCloud et ses applications (partage de fichiers, édition avec Collabora, visio-conférence à quelques-uns, tableau de tâches, gestion des mots de passe partagés et plein, plein d’autres choses).

L’association sur le Web

Avec un blog (WordPress), des photos (Piwigo), un wiki tout simple (DokuWiki), un Framadate, un Wallabag… C’est un espace que nous considérons public donc pas de données sensibles.

Avec l’œil RGPD

Suivre notre trafic avec Matomo, gérer nos contacts et campagnes mails avec CiviCRM, faire des webinaires libre avec BigBlueButton et bientôt des vidéos avec Peertube (merci Framasoft !)

Quel est le lien avec les valeurs de WebAssoc ?

Le libre et son sens des communs correspond bien à nos valeurs. Il a le mérite de scinder hébergeur et logiciel. Ce qui est une garantie pour les associations : changer d’abri (si d’aventure, les besoins évoluent) sans recommencer à zéro la formation des bénévoles. C’est la liberté de choix en somme, c’est évident quand on en parle et pourtant c’est tellement facile de céder aux sirènes opposées.

Quels sont les moyens humains mobilisés sur la démarche ?

Pas vraiment de moyens dédiés, nous sommes allés à notre vitesse, en parallèle de nos anciens usages sans imposer la bascule. Mais le constat qui m’a moi-même surpris, c’est que tout le monde s’y est mis naturellement. Quelques usages restent (comme notre tchat sur Slack en attendant un équivalent fonctionnel intégré à NextCloud).

Y a-t-il une équipe dédiée au projet ? Ou plutôt une personne seule ?

En fait c’est Raphaëlle et le bureau du début qui m’ont poussé dans la piscine. J’ai proposé des expériences avec ça ou ça.
Plusieurs bénévoles (des vrais pros) se sont investis sur chaque thème. Heureusement, parce que pour moi DNS voulait dire « Dîner Nocturne Sympathique » !

Quelles compétences ont été nécessaires ?

Rien pour Emmabuntus : y’a qu’à suivre les tutos.

 

Framasoft, WebAssoc, Emmabuntüs. Crédit photo : Anne Devillers

 

NextCloud pour le collaboratif : juste installer et configurer des applis comme sur son smartphone.

PHP pour les services Web : mais pas obligatoire de développer en acceptant une esthétique simple.

Adminsys pour gérer les VM (virtual machine). C’est le plus technique et ardu à tenir dans le temps, mais pas grave si cela plante, nous n’y conservons pas d’archivage.

Combien de temps ça vous a pris ?

Je dirais une année, mais ce n’est pas fini. Il reste des pistes à explorer.

Ça vous a coûté de l’argent ?

Comme expliqué plus haut, rien. Mais c’est de toute façon abordable : 60€/an pour NextCloud sur une instance dédiée et 80€/an pour nos services Web. Ce qui couvre déjà les besoins de la plupart des associations. Pour rester dans le concept de transposer nos expériences, il fallait que cela soit accessible.

50 + 60 + 80, à moins de 200€, une association peut tout avoir sur un PC, basculer de GDrive à NextCloud, avoir à côté du site des sous-domaines comme celui-ci. En fait, une totale autonomie avec des données chez des locaux. Par exemple, j’ai rencontré notre hébergeur NextCloud à Niort, c’est sympa quand même.

Bien sûr, pour de l’envoi de mails en masse ou avoir son propre service de visio-conférence, c’est plus conséquent. Mais cela va de pair avec la taille de l’association et ses moyens. C’est comme le bio, il faut payer un peu plus pour savoir d’où ça vient et sincèrement, les fraises ont un autre goût.

Quelles étapes avez-vous suivi lors de cette démarche, au début, par exemple ?

C’est tout bête, j’ai pris la liste de Degooglisons sans avoir recours aux « Framatrucs ». Vu les annonces, j’ai cherché des équivalents sur NextCloud ou autres services Web.

Ensuite, nous avons démarché des hébergeurs pour nous accueillir, https://yourownnet.net/ pour NextCloud, https://www.o2switch.fr/ pour nos services web, https://www.alinto.com/ pour nos envois de mails et tout récemment https://www.gandi.net pour BigBlueButton.
Nous les remercions tous énormément.

Les étapes intermédiaires ?

Pas vraiment, l’équipe « tech » met à disposition, chacun membre est libre d’utiliser ces nouveaux services. Et par exemple, NextCloud avec l’édition en ligne peut s’utiliser sans rien installer sur son PC.

À ce jour, on en est où ?

Il reste des choses à fiabiliser, par exemple la gestion des droits sur les dossiers, mais rien de rédhibitoire.

Combien de temps entre la décision et le début des actions ?

Le temps de trouver des gentils hébergeurs et des gentils bénévoles.

Avant de migrer, avez-vous testé plusieurs outils au préalable ?

Nous avons profité de la mise à disposition d’instances pendant le confinement, nous avions déjà Talk/NextCloud pour échanger à quelques-uns et nous avons retenu BigBlueButton plutôt que Jitsi pour sa tenue à la charge sur nos webinaires.
Et maintenant, on peut piloter BigBlueButton depuis NextCloud, c’est cool.

Avez-vous organisé un accompagnement des utilisateur⋅ices ?

Certain⋅e⋅s connaissaient déjà, d’autres découvraient en connaissant des équivalents propriétaires. Nous avons laissé venir les questions.

Sous quelle forme avez-vous répondu à ces questions ?

Un wiki où nous avons commencé à mettre des tutos, nous avons aussi récupéré ceux des autres.
Et nous avons fait un webinaire dédié NextCloud.

Quels ont été les retours ?

Globalement positifs. Nous prévoyons quelques séances de visio-partage pour s’améliorer ensemble.

Quels sont les moyens de « l’équipe projet » ?

Par thème, chaque équipe varie de 2 à 4 personnes au gré du temps.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Parfois des détails, avoir des étiquettes entre Thundebird et RoundCube comme sur Gmail. Retrouver nos enregistrements sur BigBlueButton. Il y a un temps de rodage à ne pas négliger.

Il y aussi une difficulté plus importante de formation des équipes pour les aider à basculer et à prendre en main les nouveaux outils. C’est simplement une question d’habitude en réalité, les fonctionnalités des outils étant proches, mais les habitudes sont parfois lourdes à changer : c’est pourquoi un soutien du bureau est utile sur ces enjeux, pour pousser au changement. En fait, y aller en premier pour que les autres suivent.

Envisagez-vous de poursuivre cette démarche pour l’appliquer à d’autres aspects de votre association ?

Nous souhaitons mettre nos webinaires en ligne avec PeerTube, avoir un annuaire des membres avec des accès SSO via OAuth, remplacer Slack en restant dans NextCloud.

Mais surtout, développer l’usage de CiviCRM que nous exploitons à 10 % de ses capacités faute d’un écosystème suffisant en France. L’effet de boule de neige du Libre manque, davantage d’utilisateurs et utilisatrices en amène davantage encore.

Quels conseils donneriez-vous à d’autres organisations qui se lanceraient dans la même démarche ?

  • Oser sauter le pas, via un hébergeur pour ne pas galérer au départ, y mettre quelques euros.
  • Basculer thème par thème en gardant l’ancienne solution quelques temps.
  • Accepter le moins « joli » en se recentrant sur ses besoins qui sont souvent largement couverts.

Le mot de la fin, pour donner envie de migrer vers les outils libres ?

Nous ne sommes pas des libristes à fond, la preuve dans la liste de nos formations qui sont encore pas mal orientées GAFAM. À WebAssoc, nous ne vous dirons pas que le libre c’est bien, mais que c’est mieux (moins cher, moins de dépendance, plus performant, plus respectueux de vos données). Alors allons-y ensemble. 🙂

À l’inverse, si vous maîtrisez NextCloud, ou si vous connaissez CiviCRM ou voulez le découvrir, ou encore si vous avez des compétences OAuth, SSO…, enfin si vous savez installer Peertube et d’autres trucs, venez nous rejoindre, l’ambiance est SUPER sympa.

Pour aller plus loin :




Miroir de Valem : un projet artistique, libre et solidaire

Valem est sculpteur et aime capter les portraits dans leurs scènes de vie. Durant ses voyages au Sénégal, elle a été touchée par La Teranga, terme wolof qui conjugue les valeurs d’hospitalité, de partage et de solidarité des Sénégalais. Elle a donc réalisé de nombreux dessins inspirés de ces voyages et a créé un dispositif solidaire pour venir en aide aux familles en situations précaires. Framasoft communique cet article, car ce projet regroupe les valeurs libristes, artistiques et solidaires que nous tenons à partager.

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Famille sénégalaise rencontrée lors des voyages auquel ce projet vient en aide.

Le Miroir de Valem est un dispositif physique d’art numérique libre, solidaire, open-source, low-tech, interactif, contributif et évolutif.

Le concept est que ce miroir puisse renvoyer au spectateur son propre reflet composé, en une « mosaïque d’images », de portraits dessinés en noir et blanc d’après des souvenirs de voyages (environ une centaine réalisés à ce jour et d’autres encore à venir). L’enjeu de l’œuvre est avant tout d’aider les populations qui ont inspiré les dessins constituant les reflets en leur reversant les potentielles recettes générées (également grâce à la cagnotte en ligne).

« Votre reflet n’est pas un simple « selfie », mais plutôt un « altrie ». En reconstituant votre image à partir de portraits de personnes vivant dans une autre partie du monde, le Miroir tisse des liens entre les cultures et les individus pour dessiner une humanité à la fois plurielle et unie. »

Un groupe de 5 étudiants de l’UTC (Université de Technologie de Compiègne) a aidé l’artiste Valem sur le plan technique pour réaliser ce projet, notamment 2 étudiants en Génie Informatique, 1 en Mécanique et Design Produit et 2 en Design d’interface.

Ce dispositif a été mis au point de la manière suivante :

  • le châssis en bois a été fabriqué par un ébéniste (de l’Atelier des Bois Pérennes) sur la base des plans réalisés par les étudiants ;
  • ils ont créé l’application mobile et amélioré le logiciel libre Pixelize afin de pouvoir restituer une photo en mosaïque ;
  • ils ont également placé un écran d’ordinateur derrière un miroir sans tain ;
  • puis une tablette et un Raspberry Pi pour l’interface UX d’interaction.

Un autre groupe de 4 étudiants en gestion de projets a pu aider dans l’élaboration du projet. Ils se sont notamment occupés de la création de l’association Miroir de Valem, des statuts et donc des aspects juridiques, de la communication, de l’organisation économique et des voyages au Sénégal. L’association Miroir de Valem a pour mission de :

  • promouvoir cette forme de création artistique et les valeurs associées ;
  • apporter une aide financière aux familles sénégalaises qui l’ont inspirée.

De plus, en janvier 2020, 2 étudiants en Génie Informatique les ont rejoints à plein temps pour terminer les logiciels embarqués dans le miroir, sur une tablette Android et un Raspberry Pi. La tablette héberge une application qui permet à l’utilisateur·ice de communiquer avec le miroir. Elle communique elle-même avec le Raspberry qui est en charge de transformer la photo originale en reflet et de l’afficher sur le miroir.

Schéma d’usage du Miroir.

Pour Valem, le but du projet est d’avoir une double transmission des connaissances : elle dispose de compétences artistiques et de l’ouverture à la culture sénégalaise ; les étudiants ont les savoir-faire techniques qui lui manquaient pour la réalisation du dispositif et la communication. Le projet a été riche d’échanges et de partages de notions pour tous ces acteurs. Certains d’entre eux ont eu le privilège d’être accueillis dans une famille (d’environ 30 personnes) pendant une ou plusieurs semaines. Le but du projet est donc de partir de ce point d’ancrage, donc de cette famille, pour ensuite aider d’autres familles et le quartier entier. En effet, suite à la pandémie du Covid-19, le Sénégal a été très impacté économiquement car deux de ses principales sources de revenus sont le tourisme et la pêche. Afin de mieux répondre aux besoins de cette population qui a une façon de vivre et des besoins différents des nôtres, l’association bénéficie d’un contact de confiance sur place, afin de définir au mieux quelles solutions leur proposer.

Quelle est la dimension libriste de ce projet ?

Vous pouvez copier, utiliser, partager et diffuser les dessins, le dispositif physique, les logiciels et les contenus du site web selon les droits qui vous sont accordés par leurs licences libres (voir page Crédits du site web du Miroir de Valem). Le but est que chacun·e se serve du dispositif, partage les images comme il ou elle le souhaite. Les plans du châssis en bois, le code source de l’application, les réglages du Raspberry Pi ainsi que l’application à installer sur celui-ci sont disponibles sur Framagit. Le but est de pouvoir proposer des améliorations ou même, si l’on est artiste soi-même, de pouvoir réaliser un projet comparable avec ses propres œuvres, toujours dans un but de solidarité envers les plus démunis.

Où les rencontrer ?

À l’exposition Art Up programmée (et reportée) en février 2021 à Lille (salon d’art international) afin de confronter le Miroir à un public qui vient à la rencontre/découverte des artistes, mais qui est possiblement peu sensibilisé à la culture libre.

Aux Journées Des Logiciels Libres de Lyon reportées également en avril 2021. Cette fois, c’est pour toucher un public libriste averti (ou cherchant à se sensibiliser), mais qui ne s’attend pas forcément à ce que les valeurs du libre animent un projet artistique.

Ensuite, de belles rencontres sont envisagées : comme celle de travailler avec l’ambassade du Sénégal et des villes jumelées avec des villes sénégalaises afin d’organiser des événements plus généraux ou ouverts à tous types de public, comme une fête locale.

Enfin, le projet sera présenté à la Fête de la Science de l’UTC en octobre, à un public jeune qui n’est pas forcément sensible a priori à l’art ni au libre au départ.

Ce projet permet d’aborder plusieurs concepts pouvant être mobilisés pour la construction de sociétés soutenables : la solidarité, la création collective, l’approche low-tech, la culture libre, l’économie du don, les équilibres Nord/Sud, etc. Pour transformer la société au regard des enjeux environnementaux auxquels on fait déjà face, soutenez le Miroir de Valem.




[RÉSOLU] Un pas de plus dans Contributopia

Pour accompagner vers le Libre les organisations qui agissent pour l’Économie Sociale et Solidaire, il fallait davantage qu’un guide. Il fallait un outil évolutif, un outil que ces organisations puissent modifier, tronquer, bidouiller, bref s’approprier les contenus pour mieux les adapter à leurs particularités. Audrey nous présente [RÉSOLU], un projet contributopique…

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

[RÉSOLU] Un pas de plus dans Contributopia

Framasoft s’est associée au Chaton Picasoft et à la Mission Libre-Éducation Nouvelle des CEMÉA dans la réalisation de [RÉSOLU], un projet d’éducation populaire qui vise à accompagner l’adoption d’outils libres par les associations et les organisations de l’Économie Sociale et Solidaire.

Pour les accompagner dans leur transition, nous publions aujourd’hui un ensemble de fiches didactiques, sous licence libre et aux formats PDF, web et papier. Quelle est notre démarche ? D’abord présenter aux acteur⋅ice⋅s de l’ESS la nécessaire cohérence entre leurs valeurs et celles inscrites dans les outils numériques qu’iels utilisent, puis leur faciliter la prise en main de solutions alternatives libres.

Plus qu’un guide, [RÉSOLU] est un mouvement qui souhaite rapprocher les communautés du Libre et de l’ESS. Il s’agit de défendre nos libertés numériques et de promouvoir un modèle de société fondé sur la solidarité et le partage.

Pour contribuer à faire vivre ces [R]éseaux [É]thiques et en savoir plus sur les [S]olutions [O]uvertes pour [L]ibérer vos [U]sages, rendez-vous sur le site de Framabook et de [Résolu] !

Image de la première couverture
[R]éseaux [É]thiques et [S]olutions [O]uvertes pour [L]ibérer vos [U]sages

À la recherche de cohérence entre valeurs éthiques et usages numériques

Si vous avez déjà recherché la solution à un problème informatique sur des forums en ligne, la mention « [RÉSOLU] » vous est sans doute familière. Lorsque vous la croisez dans le titre donné au problème à résoudre, c’est bon signe : elle précise qu’une des solutions proposées a effectivement résolu le problème initial.

Le problème auquel nous souhaitons apposer la mention [RÉSOLU] s’ouvre par la question suivante : comment se fait-il que tant d’organisations qui promeuvent des principes de solidarité, de partage, d’accessibilité et d’émancipation agissent avec des outils numériques privateurs et peu respectueux de ces considérations éthiques ?

Si nous nous posons cette question, c’est parce que nous pensons que construire un monde meilleur, comme s’y emploie l’Économie Sociale et Solidaire, n’est possible qu’avec des outils numériques qui nous donnent toute la liberté de le faire. Avec le projet [RÉSOLU], nous souhaitons établir une forte cohérence entre les pratiques numériques des membres de l’ESS et les valeurs qu’iels partagent avec la communauté libriste.

Soyez donc [RÉSOLU]E.S à ne plus servir, et vous serez libres

La célèbre maxime d’Étienne de La Boétie porte en elle la démarche du projet [RÉSOLU] : s’extraire de la servitude aux outils privateurs de libertés numériques. Il s’agit de commencer par comprendre la nature de la servitude, de vouloir ensuite s’en extraire, puis d’être en capacité de le faire. [RÉSOLU] se propose d’accompagner ce cheminement, en se rapprochant au plus près des besoins et des aspirations des associations quant à leurs pratiques numériques.

Concrètement, cela se traduit par la mise à disposition d’un ensemble de fiches théoriques et pratiques, classées selon trois types d’actions collectives : collaborer, communiquer et organiser.

Réalisée avec le soutien de la Fondation Free, la première version de cette collection prend la forme d’un manuel au format PDF, disponible sur le site de Framabook, et d’un site web (soyezresolu.org) où vous pourrez naviguer entre les fiches et les exporter séparément en PDF.

Les fiches théoriques ont pour but d’ancrer les enjeux d’un changement des usages numériques dans le contexte de l’ESS. Il s’agit par exemple de comprendre en quoi la confidentialité des données personnelles se joue dans le choix des logiciels que l’on utilise pour communiquer, et pourquoi il est important de se poser cette question, que l’on soit militant ou non.

L’idée n’est pas de porter un discours culpabilisant, mais d’exposer les enjeux politiques, économiques et sociaux associés aux choix d’outils numériques. Si les associations portent une grande attention à ces enjeux pour définir le périmètre de leurs activités, l’objectif de [RÉSOLU] est de les convaincre qu’il est dans leur propre intérêt d’élargir cette attention à leurs usages numériques.

Les fiches pratiques ont un rôle tout aussi crucial : présenter des solutions alternatives libres et accompagner leur prise en main, avec des méthodes et des cas de figure concrets. Par exemple, une fiche consacrée au service Nextcloud explique comment partager des documents de façon sécurisée et comment synchroniser des agendas ; une autre sur le logiciel Garradin détaille comment reprendre le contrôle sur ses données de comptabilité. Mais [RÉSOLU] est plus qu’un catalogue…

Ces fiches proposent de découvrir les fonctionnalités utiles à l’organisation, la communication et la collaboration au sein de structures associatives, institutionnelles ou privées. Elles suggèrent quelques bonnes pratiques et avertissent des éventuelles difficultés ou limites à prendre en compte. En effet, accompagner le changement implique d’être transparent sur les risques et les obstacles potentiels ; [RÉSOLU] ne les efface pas, mais soulève les questions à se poser pour adopter les logiciels libres dans les meilleures conditions possibles.

un meme

[RÉSOLU] est entre vos mains : construisons ensemble les réseaux qui libèrent !

L’identification de solutions libres correspondant aux besoins de son organisation et la compréhension des raisons et des moyens de leur adoption constituent une avancée certaine vers la libération des usages numériques. Vous êtes résolu⋅e et prêt⋅e à le faire ? Allons-y ensemble !

S’il est nécessaire d’avoir confiance en soi pour se diriger sereinement vers un terrain inconnu, il est aussi important d’avoir confiance en ses compagnons d’aventure. Les associations qui ont déjà adopté des outils libres, les hébergeurs du CHATONS, les organismes d’éducation populaire et toute autre structure qui souhaite accompagner celles qui en ont besoin sont autant de contacts possibles pour ne pas avancer isolément.

Utilisé comme support pour des formations animées par les CEMÉA, nous espérons que [RÉSOLU] le sera aussi par un grand nombre d’acteur⋅ice⋅s de l’éducation populaire. Des exemplaires imprimés de [RÉSOLU] sont distribués de main en main (au sein des CEMEA, ou lors d’événements auxquels participeront Framasoft et Picasoft), auprès des organisations et des personnes intéressées par l’obtention d’une version papier.

Néanmoins, c’est d’abord aux utilisateur⋅ice⋅s de s’emparer de [RÉSOLU]. Les versions électroniques sont donc disponibles sous licence CC BY-SA, afin de multiplier les supports :

  • des versions PDF à des fins d’impressions et les sources au format ouvert pour modifications et enrichissements sur Framabook ;
  • une version web sur soyezresolu.org, avec la possibilité d’exporter chaque fiche en PDF.

Le projet [RÉSOLU] évoluera au gré de vos contributions : si vous le souhaitez, vous pouvez améliorer le graphisme ou la rédaction des premières fiches, en créer de nouvelles, ou encore participer au développement de la version web (rendez-vous sur le dépôt du projet).

Diffusez ! modifiez ! publiez !

Pour en savoir plus, vous pouvez contacter Picasoft (@), Framasoft (@) et la Mission Libre-Éducation Nouvelle des CEMÉA (@) via leurs comptes Mastodon.

— Billet édité le 28/06/2020, 17h45.




Mets ta carte pour contribuer au jeu

C’est quoi les métacartes ? Un jeu de fiches contenant l’essentiel sur un sujet et connectées à une ressource en ligne via un QR code. C’est Mélanie Lacayrouze et Lilian Ricaud, qui s’en occupent…

… et qui d’ailleurs viennent de publier sur leur site l’article que nous reproduisons ci-dessous. On vous en a déjà parlé dans cet article car Framasoft est fier de soutenir ce projet qui a un intérêt pédagogique évident pour tous ceux et toutes celles qui veulent aider à se réapproprier le numérique.

Le jeu de métacartes vu par David Revoy
Le jeu de métacartes vu par David Revoy

Les enjeux du numérique

La question de l’impact du numérique sur nos vies est de plus en plus cruciale. Les modèles économiques actuels tendent à favoriser des modèles prédateurs et manipulateurs. Il y a plusieurs enjeux:

  • Sensibiliser et former les citoyens aux enjeux d’un numérique éthique,
  • Redonner aux citoyens et collectifs du pouvoir d’agir,
  • Redonner du sens à nos usages.

Un outil de médiation

Pour cela nous travaillons depuis 2019 à la création d’un outil à destination des médiateurs numériques formels ou informels : les métacartes Numérique Éthique. Ce travail s’appuie notamment sur notre expérience de formateurs Animacoop et se fait en lien avec le Collectif Inter Animacoop, l’association Framasoft et de nombreux réseaux formels ou informels.

Notre objectif est d’aider les collectifs à se sensibiliser aux questions des libertés, de la surveillance, les faire réfléchir à leurs pratiques et leur proposer des alternatives respectueuses des usagers.

Les métacartes, outil convivial

Comme pour le jeu Faire Ensemble, cet outil consiste en un jeu de cartes papier reliées à une plateforme numérique par des QR codes.

L’emploi de cartes permet un usage par différents points d’entrée lors d’ateliers en présentiel, tandis que la ressource numérique offre un accès à des informations plus complètes et remises régulièrement à jour.

 

un exemple de métacartes
un exemple de métacartes

État du projet

Après plusieurs mois de travail, un questionnaire, des entretiens utilisateurs, des ateliers, de la recherche, compilation et rédaction, une première version du jeu a été produite (voir un résumé sur le Framablog).

Cette première version a été mise à disposition en ligne sur un espace de travail collaboratif (wiki) : https://metacartes.net/

La dernière fois que nous avions donné des nouvelles du jeu Numérique Éthique, nous nous préparions à lancer un système de pré-ventes pour soutenir le travail ainsi que de nouveaux travaux sur le jeu notamment la mise à disposition de prototypes à tester auprès de médiateurices.

Il ne vous aura pas échappé que les derniers mois ont été légèrement chamboulés par le passage d’une “petite bête” particulièrement adaptée à nos modes de vies.

De notre côté, en plus des perturbations dans nos activités professionnelles, il a été difficile de continuer comme si de rien n’était et nous nous sommes beaucoup interrogés sur le sens de ce que nous faisons, pourquoi nous le faisions et à quel monde nous voulions contribuer.

Pour résumer, nous développons des outils pédagogiques qui redonnent du pouvoir d’agir et du sens à nos actions.

Après avoir pris ce temps important, nous nous sommes remis à l’ouvrage pour préparer la suite.

Numérique éthique, prochaines étapes

Alors que la situation commence à amorcer un retour à “l’anormale” pre-covid, il nous semble qu’avoir des retours de terrain, en particulier des retours d’ateliers avec des objets passant de mains en mains ne sera pas possible avant un certain temps.

Comme vous pouvez le voir sur le visuel ci-dessous, nous avons décalé nos plans de quelques mois.

  • Juin 2020 : finalisation de prototypes imprimables. Dans un premier temps nous allons consolider les contenus existants et produire des prototypes imprimables que nous mettrons à disposition afin d’avoir des retours de terrain. Nous avons déjà contact avec plusieurs réseaux de médiation intéressés.
  • À partir de fin août : ateliers sur le terrain et sprints d’écriture : dans un deuxième temps qui va de la rentrée jusqu’au début de l’année prochaine nous collecterons des retours d’usages et améliorerons le jeu et les contenus via des sprints d’écriture mensuels, à distance, de deux heures à chaque fois. L’objectif est de finaliser le choix des cartes, d’affiner les contenus destinés aux cartes et la ressource en ligne qui l’accompagne et de vérifier la cohérence de l’ensemble en fonction des retours. Cette phase est la plus importante en termes de charge de travail et nous nous sommes donné le temps de bien faire les choses.
  • Début 2021 : conception des modèles d’impression sous Scribus : ces modèles seront destinés à l’imprimeur, mais aussi mis à disposition en libre téléchargement. Ayant déjà de l’expérience avec le jeu de cartes précédent, nous sommes à l’aise sur cette partie-là. En parallèle, nous serons en contact avec l’imprimeur pour lancer la dernière partie
  • Mars/avril 2021 : impression et envoi des jeux : là aussi nous avons acquis une certaine expérience et nous sommes accompagnés par une consultante en impression (merci à elle pour son précieux travail !) donc cela aussi devrait rouler sans surprises.

Un projet contributif

Pour rappel, Métacartes n’est pas une grosse machine mais une (toute) petite structure : nous sommes deux à temps partiel sur le projet. Et nous avons besoin de vous. Si le projet vous inspire et que vous souhaitez le voir aboutir, il existe 4 possibilités de contribuer :

  1. Faire connaître le projet : en particulier auprès d’usagers mais aussi ce qui nous aiderait beaucoup, de sponsors ou acheteurs potentiels.
  2. Tester et faire de retours : nous voulons le meilleur jeu possible et pour cela nous voulons le créer avec vous. C’est pourquoi nous mettrons à disposition les prototypes et que nous prendrons le temps de recevoir des retours, via le site ou les sprints d’écriture.
  3. Participer aux sprints d’écriture : pour recevoir vos retours et avancer efficacement sur le développement malgré les contraintes de temps et de distance, nous proposerons des temps courts de travail collectif tous les mois. Cela pourrait être pour les participants l’occasion d’échanger sur le sujet du Numérique éthique, mais aussi de tester des formats d’animation.
  4. Pré-commander le jeu : pour sécuriser notre travail nous envisagions initialement une jauge minimale à atteindre avant de continuer le développement. Mais après plusieurs retards, nous voulons avancer sans attendre et comme les collègues de Framasoft, il nous semblait indécent de jouer sur les ficelles habituelles du financement participatif (on veut sortir le jeu quoi qu’il arrive et on ne veut pas faire semblant de vous jouer du «suspense»…).

Nous cherchons notamment des réseaux ou des structures qui auraient besoin d’un tel outil : fédération d’éducation populaire, collectifs de tiers-lieux, réseaux de bibliothèques et médiathèques, réseaux de formation au numérique…

Parmi nos premiers soutiens, l’association Framasoft qui nous aide en rendant visible le projet, en apportant son temps et son savoir-faire pour contribuer et qui va pré-acheter un lot de ces Métacartes Numérique Éthique pour les distribuer aux médiateurs amateurs et médiatrices professionnelles qu’iels croisent régulièrement.

Des pré-commandes pour financer le travail restant

“Quand c’est gratuit, c’est vous le produit”. Notre modèle à nous va être basé sur les pré-commandes. Voici ci-dessous un petit résumé visuel de l’utilisation des fonds.

À noter que pour l’an prochain l’hébergement et le nom de domaine ne seront plus un coût pour nous, grâce à Gandi qui soutient le projet.

Par ailleurs, un coût invisible et difficile à évaluer est le maintien et l’entretien de la ressource sur le long terme, choses auxquelles nous réfléchissons aussi pour assurer sa durabilité.

Allons-y !

Nous avons donc décidé de reprendre le développement de la prochaine version dès maintenant (même si en pratique ça ne s’est jamais totalement arrêté) et de proposer des pré-achats via notre boutique en ligne.

Le jeu sera expédié au printemps prochain ce qui peut sembler loin (même à nous). Mais nous préférons le modèle durable de la “stay up” qui grandit organiquement en harmonie avec son écosystème à celui de la startup à la croissance artificielle nourrie aux hormones et à l’urgence.

Nous avons besoin de vous !

Comme nous l’avons dit dans notre manifeste, nous développons des outils pédagogiques qui redonnent du pouvoir d’agir et du sens à nos actions et nous le faisons en créant des communs en co-construction avec un archipel de partenaires.

Avec notre prochain jeu nous voulons produire et mettre à disposition un outil qui aide les individus et les collectifs à se sensibiliser aux questions des libertés, de la surveillance, les faire réfléchir à leurs pratiques et leur proposer des alternatives respectueuses des usagers.

Si vous partagez cette vision et souhaitez nous aider à faire aboutir le projet vous pouvez donc dès maintenant pré-acheter sur la boutique en ligne pour soutenir le projet et recevoir le jeu en avant-première.

Ils nous soutiennent

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