Je ne pense pas que vous naviguez comme moi sur le Web

Parano notre ami David ?

Peut-être prudent tout simplement, quitte à sacrifier un peu de son temps pour que Google & co en sache le moins possible sur lui[1].

Pour vivre heureux, vivons cachés ?

Enrico Policardo - CC by-nc-nd

Je ne pense pas que vous surfez comme moi

I don’t think you browse like I do

David – 4 février 2012 – Microcosm
(Traduction Framalang : Goofy, Antonin, OranginaRouge, Lamessen)

En fait, j’en suis même convaincu.

Cela ne m’est venu à l’esprit que cette semaine quand des amis étaient en train de parler de la façon virale dont Google étend sa connaissance sur vous. Certains étaient choqués par la précision, d’autres amusés d’être référencés dix ans plus jeunes ou dix ans plus vieux. Quelques-uns étaient affublés du mauvais sexe.

Je peux vous dire ce que les préférences de publicités Google savent de moi : rien.

Ce n’est pas par magie, c’est juste dû à la façon dont je surfe. Je ne laisse aucune trace localement, et tant que je ne me connecte pas sur un service, ils ne savent pas qui je suis. En plus, même si je me connecte à un service traquant l’identité comme Google, Twitter ou Facebook, ces services ne voient qu’une petite partie de ce que je fais, étant donné que je sépare énormément la navigation de mes autres usages d’Internet.

Comment est-ce possible? J’utilise plusieurs navigateurs et j’utilise les options sur la vie privée.

Ma configuration:

  • Firefox pour tous les services qui réclament des identifiants (Gmail/G+, Twitter, Facebook, Linkedln, etc).
  • Chrome pour la navigation traditionelle (recherches, forums, actualités, équipement technologiques, musique, etc).
  • Last Pass pour tous les mots de passe.
  • Pinboard pour tous les marque-pages.

J’ai configuré Firefox en utilisant about:config avec thatbrowser.privatebrowsing.autostart = true. Cela signifie que dès que je lance Firefox, il se lance automatiquement en navigation privée et ne stocke rien localement.

J’ai configuré tous les raccourcis de Chrome de façon à ce que tous les chemins de lancement se terminent par --incognito. À nouveau, cela signifie que dès que je lance Chrome, il utilise automatiquement le mode anonyme. La navigation privée de Firefox et le mode anonyme de Chrome font la même chose : ils ne stockent aucun historique, aucun cookie, et ne laissent aucune trace de votre activité en local sur le navigateur de votre ordinateur. Quand vous fermez la fenêtre du navigateur, tous les cookies précédemment créé sont supprimés ce qui empêche toute entreprise de vous pister, et plus rien ne permet de savoir qui vous êtes.

Évidemment, cela n’est pas sans conséquences si vous essayez de m’imiter :

  • Vous aurez toujours à vous identifier partout.
  • Le gestionnaire d’authentification en deux étapes de Google vous demandera tout le temps d’entrer un code.
  • Les marque-pages sous Firefox ne se retrouveront pas sous Chrome et inversement.
  • Cliquer sur un lien dans un service demandant des identifiants ouvrira celui-ci sous Firefox, cliquer dans un e-mail ou un lien relatif sous Chrome l’ouvrira sous Chrome.

Ce sont des points positifs, et voici comment j’ai dépassé ou contourné chaque point :

  • J’utilise Last Point pour me connecter sur les sites, ça ne prend qu’une fraction de seconde et je ne me connecte que si j’ai besoin de faire quelque chose qui nécessite de se connecter. L’avantage est que tous les sites auquel je me connecte ont leur propre mot de passe particulièrement complexe, ce qui est bon pour la sécurité.
  • Le gestionnaire d’authentification en deux étapes augmente aussi votre sécurité et vous avez votre téléphone avec vous, n’est-ce pas ? Je me connecte à Gmail une à deux fois par jour et j’utilise Google Authenticator sur mon téléphone. Les quelques secondes que cela me prend par jour ne me gênent pas.
  • Je stocke les marque-pages dans un navigateur adapté et accessible par le réseau : une page d’accueil personnalisée pour les visites récurrentes. Pinboard pour les visites occasionnelles.
  • Je ne franchis jamais la limite entre les services identifiants et le reste du web. Cela ne prend qu’une seconde de copier le lien, passer sur l’autre navigateur et coller le même lien, et c’est ce que je fais. Étonnamment, ça arrive moins souvent que vous pourriez le penser.

La question évidente qui se pose est la suivante : pour quelle raison feriez-vous une telle chose ?

La réponse est que ma navigation a évolué de cette manière.

J’ai commencé avec un seul navigateur, puis j’ai eu besoin de jongler avec deux pour des questions de développement Web. J’utilisais le mode incognito de Chrome pour simuler de nouvelles visites sur un site Internet, et je devais fréquemment fermer et rouvrir les fenêtres incognito. Parfois, il m’arrivait de fermer accidentellement la fenêtre principale, sans mode incognito… fermant également mes e-mails. J’ai donc déplacé mes e-mails et communications dans Firefox de sorte que je ne puisse plus les perdre à cause d’une action accidentelle (en fermant toutes les fenêtres de Chrome). Ainsi, avec Chrome dédié au développement Web, j’ai décidé d’utiliser le mode incognito en permanence afin de m’éviter la danse folklorique de le passer en incognito à chaque fois (ce qui ouvrait une nouvelle fenêtre) ; le mode incognito restait donc actif en permanence.

En raison du fait que Chrome offrit une « navigation jetable », j’ai remarqué que je me sentais un peu libéré du traçage et je me montrais un peu moins prudent à cliquer sur un site qui aurait pu changer d’état en connaissant qui je suis. Par exemple : les forums que vous avez peur de vister en raison de la quantité d’éléments « non lus » qui seront marqués comme « lus » juste parce que vous vous y êtes précédemment connecté. Utiliser le mode incognito en permanence signifie que je lisais un peu plus d’élements, et je m’immergeais dans les sites de manière plus fréquente.

Ensuite, concernant Firefox, j’ai commencé à remarquer que lorsque quand je suivais un lien je me sentais envahi de sites avec des widgets ou des publicités hyper personnalisées (à commencer par le pays d’où je me connecte). Cela m’inquiéta d’être ainsi étiqueté lorsque un site Web sait que j’aime le vélo par exemple. Ai-je loupé quelquechose ? Pourquoi est-ce que ces recherches me montrent des choix que je ne savais même pas que je voulais faire ? Cela me déplaît d’être catalogué par une vision normalisée basée sur mes actions et celles d’autres personnes similaires. Je souhaitais la version anonyme des résultats mais sans savoir comment l’obtenir.

Ma première astuce pour pallier ceci était de simplement copier-coller les liens dans Google Chrome pour avoir une version anonyme, c’est pourquoi j’en utilise le mode incognito en permanence. Cela marche bien et c’est devenu une habitude.

Après un moment, je me suis rendu compte que je pouvais aussi bien utiliser Firefox en mode privé et terminer ce que j’avais apparemment déjà commencé : éclater les bulles et éviter le pistage des mes informations à moins que je ne l’aie accepté (par l’identification à mon compte).

Je dispose maintenant d’une navigation préservée des pop-ups personnalisés, et qui sépare tous les services identifiants du reste du Web.

Comme je le disais, je ne pense pas que vous naviguez comme moi.

Notes

[1] Crédit photo : Enrico Policardo (Creative Commons By-Nc-Nd)




De l’impact politique d’apprendre aux enfants la libre programmation

Si vous parcourez les articles de nos tags Informatique et Code, vous vous apercevrez que nous sommes de ceux qui poussent pour que la programmation (avec du Libre dedans) entre dans les écoles française sans attendre l’Université[1].

Parce que cela a des implications politiques majeures et ceux qui ont tout intérêt à ce que la situation ne bouge pas l’ont très bien compris…

En Angleterre la prise de conscience est en train de se faire (quitte à ce que ce soit un Google qui vienne l’éveiller). Mais chez nous c’est franchement pitoyable. Tout au plus a-t-on réussi à obtenir une option pour la seule Terminale S l’année prochaine. Attention car, comme disait Barbara, le temps perdu ne se rattrape plus !

Lizette Greco - CC by-nc-sa

Apprendre les rudiments de la programmation aux enfants aura-t-il un impact politique ?

Will teaching children basic programming skills have a political impact?

Sam Tuke – 12 janvier 2012 – FSFE.org
(Traduction Framalang/Twitter : Yoha, Gatitac, Bl0fish, Sophie, Morphix, 0gust1)

La BBC m’a envoyé un courrier électronique la semaine dernière pour me demander mon avis sur la rumeur actuelle qui voudrait que le gouvernement britannique ajoute des compétences informatiques de base aux programmes scolaires en mettant l’accent sur un éventuel impact politique que ceci pourrait avoir sur la façon dont la société interagit avec les technologies. Voici ma réponse.

Question : Enseigner des rudiments de programmation à tous nous oriente-t-il vers une société plus critique et plus créative ?

Oui. Très souvent, les technologies, et en particulier les logiciels, voient leur utilité restreinte pour les intérêts de quelques-uns, comme les entreprises privées, afin de leur permettre de manipuler les consommateurs à leur avantage. Bien que la Grande-Bretagne utilise plus de logiciels et de produits numériques que jamais, seul un pourcentage restreint de la population est capable de participer à la création de ces produits, de les adapter à ses propres besoins, ou bien de créer les siens.

Cela a un impact extrêmement néfaste sur la société. Cela crée un déséquilibre de pouvoir entre les concepteurs des outils et tous les autres, dont le travail dépend de ces outils. Quel que soit le secteur dans lequel il travaille, un salarié a de fortes chances de devoir utiliser un jour ou l’autre un navigateur Web ou un client de messagerie par exemple, ne serait-ce que trouver un emploi. Mais la façon dont une personne interagit avec ces technologies est presque toujours définie par un groupe de personnes extérieures, sans aucun lien avec l’utilisateur final et qui pourraient n’avoir que très partiellement satisfait ses besoins.

Si notre société inculquait davantage les concepts de base de la programmation et de la création numérique, nous serions plus à même d’interagir en connaissance de cause avec notre environnement social et professionnel. C’est particulièrement vrai pour les sujets importants comme par exemple le journalisme citoyen, l’auto-hébergement et la publication. Une compréhension large de la façon dont fonctionnent les systèmes de vote électronique pourrait avoir un impact fort sur la politique future, par exemple.

Pour autant, avoir simplement des compétences en programmation ne suffit pas. Pour être compétitif, efficace et productif, la Grande-Bretagne devra également promouvoir une culture des libertés et du logiciel libre au sein de son industrie informatique. Et ce parce que les restrictions des copyrights et des brevets peuvent mettre au pas la créativité, y compris celle du plus doué des programmeurs, ou les forcer à réinventer constamment la roue avant qu’ils ne puissent commencer à innover.

Le logiciel libre a initié une véritable révolution technologique au cours des trois dernières décennies, nous apportant, entre autres avantages, Internet et des ordinateurs suffisamment abordables pour être distribués en masse dans le Tiers Monde.

Les écoles devraient favoriser la curiosité et l’esprit critique dans un environnement qui encourage les étudiants à apprendre. Une salle de classe exécutant des logiciels propriétaires ne peut fournir cela. « Comment ça marche ? », « Qu’est-ce qui se passe si je change ceci ou cela ? ». Ces questions restent fondamentalement sans réponse quand on enseigne aux enfants en utilisant des systèmes d’exploitation, des suites bureautiques ou des outils de robotique non libres.

Notes

[1] Crédit photo : Lizette Greco (Creative Commons By-Nc-Sa)




Ils ont violé le domaine public !

J’ai fait un cauchemar horrible cette nuit. J’ai rêvé que non content de rallonger ad nauseam la durée du copyright « ils » osaient s’en prendre au sanctuaire du domaine public…

Le titre de ce billet ne fait pas dans la demi-mesure. C’est pourtant un évènement grave et révélateur de notre trouble époque qui a eu lieu récemment aux USA (et passé relativement inaperçu en France).

« Au fil des ans, la durée de protection par le droit d’auteur n’a cessé d’augmenter. Aux États-Unis, le Congrès l’a étendue à 19 reprises en deux siècles, ce qui n’est pas l’apanage des États-Unis : l’Union Européenne et les pays qui en font partie ont fait passer diverses lois et directives aux mêmes visées d’allongement de la durée de protection des œuvres. Chacune de ces lois a fait reculer le domaine public, mais une constante restait : ce qui entre dans le domaine public y reste définitivement. L’URAA est allée plus loin. Pour la première fois de l’histoire des États-Unis, le domaine public a été diminué : des œuvres en ont été arrachées. » Wikimédia France

« Tolkien, Kipling, Orwell, Hitchcock, Prokofiev… Des oeuvres de nombreux auteurs internationaux qui étaient passés dans le domaine aux Etats-Unis retournent dans le régime du copyright traditionnel. Contre toute attente, la Cour Suprême a validé mercredi 18 janvier l’accord de 1994 qui organise une telle expropriation des droits du public. » Numerama

Vous trouverez traduit ci-dessous un article relatant en détail cette décision de justice[1], mais pour mieux en comprendre les enjeux nous vous renvoyons sur le blog de Wikimédia France : Des œuvres du domaine public de nouveau soumises au copyright aux États-Unis. L’encyclopédie et les autres projets sont en effet directement impactés (sur Commons ce sont plus d’un million de fichiers à vérifier !).

Et pour aller encore plus loin et mettre le tout dans une triste perspective qui impose non seulement l’indignation mais également la mobilisation, il y a notre traduction de Cory Doctorow : On ferme ! La guerre imminente contre nos libertés d’utilisateurs.

Remarque : D’où l’intérêt de fêter le domaine public.

Horia Varlan - CC by

La Cour suprême des États-Unis autorise le Congrès à replacer sous copyright des œuvres du domaine public

Supreme Court rules Congress can re-copyright public domain works

David Kravets – janvier 2012 – ArsTechnica
(Traduction Framalang : OranginaRouge, e-Jim, DonRico)

Le 17 janvier, la Cour suprême a statué que le Congrès américain a le droit de retirer compositions musicales et autres œuvres du domaine public, où l’on est libre de les exploiter et de les adapter, et de les placer de nouveau sous le régime du copyright.

Par un vote de six voix contre deux, la Cour a jugé qu’une création qui entre dans le domaine public ne se retrouve pas pour autant dans « un territoire dont les œuvres ne pourront jamais ressortir ».

Le tribunal supérieur examinait une requête déposée par un collectif qui rassemblait chefs d’orchestre, éducateurs, artistes de scène et archivistes, requête demandant aux juges de casser une décision rendue en appel défavorable au groupe, dont les membres s’appuient sur les œuvres artistiques du domaine public pour leur activité professionnelle.

Selon eux, replacer des œuvres du domaine public sous copyright constituerait une atteinte à la liberté d’expression de ceux qui utilisent à présent ces travaux sans devoir s’acquitter de droits d’exploitation. Des millions d’œuvres anciennes sont concernées. Parmi les plus connues, on trouve The Shape of Things to Come de H.G. Wells, Metropolis de Fritz Lang, et les compositions d’Igor Stravinsky.

La Cour ne s’est toutefois pas montrée insensible à l’argumentation des plaignants. Représentant la majorité, la juge Ruth Ginsburg a déclaré « une certaine restriction des possibilités d’expression est l’effet inhérent et recherché de toute attribution de copyright ». Mais la Cour suprême, qui compte un membre de moins depuis la récusation de la juge Elena Kagan, a indiqué que la volonté du Congrès de replacer sous copyright ces œuvres pour se conformer à un traité international demeurait plus importante.

Pour diverses raisons, les œuvres concernées – qui sont étrangères et ont été créées il y a plusieurs décennies – sont entrées dans le domaine public aux États-Unis, mais étaient encore soumises au copyright à l’étranger. En 1994, le Congrès a adopté une législation permettant de ramener les œuvres dans le giron du copyright, afin que la réglementation américaine soit en accord avec un traité international sur le droit d’auteur : la Convention de Berne.

Les juges Stephen Breyer et Samuel Alita, dans une opinion dissidente, ont indiqué que cette législation est en opposition avec la théorie du copyright et « n’incite personne à produire une œuvre nouvelle ». Si le copyright a été inscrit dans la Constitution, ont-ils fait remarquer, c’est pour promouvoir les arts et les sciences.

Cette législation, a avancé Breyer, « n’accorde de récompense pécuniaire qu’aux détenteurs d’œuvres anciennes placées dans le domaine public américain. En outre, cette loi entrave la propagation de ces œuvres, des travaux étrangers publiés hors des États-Unis après 1923, qui se comptent par millions et comprennent films, œuvres d’art, photographies innombrables et, bien sûr, livres – des ouvrages qui (en l’absence de cette loi) prendraient la place qui leur est due dans des bases de données accessibles par ordinateur, diffusant ainsi le savoir dans le monde entier. »

Anthony Falzone, directeur du Fair Use Project à l’université de Stanford et avocat d’un des demandeurs du dossier, a qualifié le verdict de « regrettable », et déclaré que cela « laisse entendre que le Congrès n’est pas tenu à prendre en compte l’intérêt public lorsqu’il vote des lois sur le copyright. »

La majorité a néanmoins rejeté les arguments selon lesquels un jugement favorable à la décision du Congrès équivaudrait à conférer au législateur le droit d’attribuer des périodes de copyright permanentes.

« On ne peut accuser le Congrès de vouloir se diriger subrepticement vers un régime de copyright permanent parce qu’il a aligné les États-Unis sur les autres nations signataires de la Convention de Berne, et donc accordé un traitement équitable à des auteurs étrangers autrefois défavorisés », a rétorqué la juge Ginsburg.

Ce n’est pas la première fois que la Cour suprême approuve l’extension du copyright. En 2002, elle avait déjà entériné la décision du Congrès d’en allonger la durée, qui était alors passée de cinquante ans après la mort de l’auteur à soixante-dix ans après sa mort.

Lawrence Golan, le représentant des plaignants, a indiqué à la haute juridiction que son orchestre ne sera plus en mesure d’interpréter la Symphonie classique et Pierre et le loup de Prokofiev, ni la Symphonie n°14 et le Concerto pour violoncelle de Chostakovitch, à cause des droits d’exploitation.

Chris Schmich - CC by-sa

Notes

[1] Crédit photos : Horia Varlan (Creative Commons By) et Chris Schmich (Creative Commons By-Sa)




Ce n’est qu’un début, continuons la copie !

Le fameux site The Pirate Bay est actuellement dans la tourmente, nous annonce Le Monde, puisque les trois fondateurs viennent d’épuiser un de leurs derniers recours contre leur incarcération.

L’un d’eux, Peter Sunde, a posté sur son blog une réponse que nous avons décidé de traduire ci-dessous.

On pourra la trouver teintée d’une révolte un peu adolescente et lyrique, mais qu’importe. Ce texte permet à minima de rappeler qu’en 2012 des gens vont faire de la prison ferme pour avoir hébergé des liens vers des fichiers…

« Kopimi » (alias « Copiez-moi ») pourrait bien devenir l’un des slogans les plus subversifs du XXIe siècle[1].

Viktor Hertz - CC by

Pas de concession : Kopimi ligne dure.

Maintain. Hardline. Kopimi.

Peter Sunde – 1 février 2012 – Copy me happy
(Traduction Framalang : goofy, albahtaar, Clochix, DonRico)

Nous avons appris aujourd’hui le rejet en appel par la cour suprême du dossier The Pirate Bay (TPB). Nous n’en sommes pas surpris. Les précédents procès suintaient la corruption. Depuis les pressions exercées par les États-Unis sur le ministre de la Justice afin de déférer TPB devant les tribunaux sans justification légale, en passant par l’officier de police responsable de l’enquête (Jim Keyzer) qui décrochait « par hasard » un poste chez Warner Bros quelques semaines avant ma promotion de témoin à suspect, jusqu’aux magistrats de nos procès qui siègent aux conseils d’administration — ou qui en président, comme c’est le cas d’un d’entre eux – de l’institution pro-copyright suédoise, il était clair pour nous que la cour suprême — où de nombreux juges gagnent beaucoup d’argent eux-mêmes grâce au copyright de leurs ouvrages — serait difficile à persuader de se saisir du dossier. Même si la majeure partie de la population voudrait que l’affaire y soit jugée. Même s’il s’agit de l’un des dossiers les plus importants dans toute l’Union européenne.

La Suède tient de beaux discours sur l’attention qu’elle porte à Internet. Elle consacre beaucoup d’argent et de temps pour aider des activistes dans le monde entier. Mais qui sont ces gens qu’ils sont si fiers d’aider ? TPB est l’un des plus importants mouvements de défense de la liberté d’expression en Suède, et œuvre contre la corruption et la censure. Tous ceux qui se sont à un moment ou un autre investis dans TPB l’ont aussi été dans de fameux projet de divulgation d’informations ou ont aidé des gens pendant le printemps arabe. Nous combattons la corruption à l’échelle mondiale. Nous défendons l’égalité des chances des nations pauvres partout dans le monde. Nous avons anéanti le monopole sur l’information. Nos proches, dont beaucoup nous ont aidés à construire TPB, ont été cités comme de possibles lauréats du prix Nobel de la paix. Je ne fanfaronne pas, j’explique cela pour être sûr que l’on comprenne qui ici a une action juste. Je n’ai jamais vu l’industrie du divertissement aider qui que ce soit, si ce n’est elle-même.

La Suède n’a pas l’habitude de la corruption. Ou plutôt, la Suède n’a pas l’habitude de voir la corruption qui sévit chez elle. La société y est fondée sur la croyance que dans les systèmes législatifs suédois tout le monde a de grandes qualités morales et éthiques. La mondialisation a changé cela. Les lobbies du divertissement ont rudoyé la Suède. Et pas seulement la Suède. On le voit dans des législations telles que SOPA, PIPA, ACTA, IPRED, IPRED2, TPP, TRIPS, pour n’en citer que quelques-unes. Toutes ces législations ont le même but : s’assurer que le contrôle d’Internet soit entre les mains des riches qui possèdent déjà certains pouvoirs de contrôle hors d’Internet.

Je ne suis qu’un homme parmi les millions qui se dressent contre cela. Même si le verdict (auquel nous ne sommes pas encore rendus) n’est pas favorable à ma situation personnelle, le but final pour lequel nous nous battons est bien plus important que les luttes personnelles de quelques individus. Je m’accomoderai de ne pas être riche — ce qui est simple lorsque de toutes façons l’on n’est pas riche. Je m’accomoderai de la peine à laquelle je serai finalement condamné — je vais simplement finir mon livre. Le combat continuera avec ou sans moi, je ne suis qu’un pion. Mais au moins, je suis un pion du côté moral. Je suis très fier de ce que j’ai accompli, et ne changerai rien à mon engagement. Je pense d’ailleurs que j’aurais pu en faire bien plus pour ce combat. Et j’en ai l’intention.

Aujourd’hui, j’appelle instamment chacun de vous à vous assurer que l’industrie du divertissement ne fait pas son beurre sur votre dos. Arrêtez d’aller voir leurs films. Arrêtez d’écouter leur musique. Assurez-vous de trouver des moyens alternatifs d’accéder à la culture. J’ai fondé Flattr.com, qui vous permet de soutenir directement les gens qui créent, plutôt qu’au travers de l’industrie corrompue du divertissement. Utilisez ce système en solidarité avec les créateurs et avec vos concitoyens. Ou lancez un procédé concurrent. Diffusez la culture et participez-y. Remixez, réutilisez, utilisez, abusez. Assurez-vous que personne ne contrôle votre esprit. Créez de nouveaux systèmes et des technologies qui contournent la corruption. Lancez une religion. Lancez votre propre nation, ou achetez-en une. Achetez un bus. Et désossez-le.

Agissez toujours résolument et appliquez une doctrine kopimi sans concession.

Notes

[1] Crédit photo : Viktor Hertz (Creative Commons By)




La seule chose que vous devez savoir à propos d’ACTA, par Rick Falkvinge

On n’a pas le temps de souffler. Après SOPA, c’est ACTA qui est à repousser et avec la plus extrême vigueur. Pourquoi ? Vous le saurez en creux en parcourant ce court et percutant billet de Rick Falkvinge (que l’on traduit souvent actuellement).

Vous le saurez aussi et surtout en vous rendant sur la rubrique dédiée de La Quadrature qui nous fournit une excellente boîte à outils de résistance et mobilisation (sans oublier la pétition en ligne qui témoigne bien de la colère qui gronde).

Dark Age

La seule chose que vous devez savoir à propos d’ACTA

The only thing you need to know about ACTA

Rick Falkvinge – 28 janvier 2012 – Blog personnel
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, Cubox, Céline, Lamessen, NandS, eyome, HgO, Adrien)

ACTA a finalement repris de l’élan. Mais dans un document si conséquent, alambiqué et délibérément complexe, comment pouvez-vous déterminer vous-même s’il est bon ou mauvais ? Il existe une façon très simple de le dire.

La façon la plus simple de déterminer la nature d’ACTA ne se base pas sur le document lui-même, mais sur le comportement des gens le défendant.

Tous les acteurs, nous poussant et nous précipitant vers cet accord, ont insisté sur le fait qu’il ne changerait rien et, notamment, qu’aucun changement législatif ne serait nécessaire (en dehors de changements mineurs liés à la loi sur les marques, comme en Suède), et insistent surtout pour dire que ce n’est pas très important.

Par ailleurs, ces acteurs font pression de toutes leurs forces pour le faire passer. Ainsi, la principale question qui en ressort fait tâche :

Si l’ACTA ne change rien, pourquoi forcent-ils son passage comme si leur vie en dépendait ?

Et cette contradiction en elle-même suffit à démasquer l’ensemble de l’ACTA et ce que cela représente. Il a été négocié en secret par l’industrie du droit d’auteur et par les autres monopoles. Même maintenant, alors que les législateurs sont amenés à voter ce texte, il ne leur est pas laissé la possibilité de comprendre exactement ce que dit ce document – car beaucoup de nouvelles règles y sont définies mais ne sont valables que pour des protocoles d’échanges commerciaux. Ces derniers restant, néanmoins, secrets.

Si l’industrie du droit d’auteur fait pression de tout son poids pour faire passer quelque chose alors même qu’elle prétend que cela ne change rien, que pensez-vous que cela implique ?

C’est cette industrie qui pense qu’il est convenable pour les législateurs de leur donner le pouvoir de détruire un concurrent légal se trouvant à l’étranger, en supprimant ses revenus, son site web et ses publicités, simplement en le pointant du doigt.

C’est cette industrie qui trouve normal de pouvoir demander à se trouver en tête des résultats des moteurs de recherche, et de laisser “les miettes” à ses concurrents gratuits sous couvert de la loi.

C’est cette industrie qui demande sous la menace de la loi – une industrie privée – de mettre sur écoute électronique une population entière, seulement pour voir si des gens font quelque chose qu’elle n’apprécie pas, et dans ce cas, de couper à volonté les communications de cette population.

C’est cette industrie qui fait valoir que les citoyens devraient être activement empêchés d’exercer leurs droits fondamentaux, comme la liberté de parole et d’expression, si cela risque d’empiéter sur son business.

C’est cette industrie qui pense qu’il est raisonnable de condamner un petit faiseur de Karaoke à 1,2 1,2 milliards (3 000 000 €). Oh, et une grand-mère morte.

C’est cette industrie qui utilise la pédopornographie comme bouc émissaire de sa propre censure, et qui finalement choque les jeunes et favorise l’abus d’enfants.

C’est cette industrie qui a installé des rootkits sur les CD musicaux des gens et a pris le contrôle total de leurs ordinateurs, de millions d’appareils – comprenant les webcams, les microphones, les fichiers sur le disque dur, tout. Ils se sont maintenant introduits chez nous et y ont leurs yeux et leurs oreilles.

C’est cette industrie qui, une fois que vous la pensez au fond du gouffre tant moralement qu’humainement, revient sans cesse, avec de nouvelles façons créatives de vous surprendre.

Si cette industrie veut voir appliquer ce texte législatif incroyablement mauvais. Si elle se bat pour lui comme pour sa propre vie tout en prétendant que ce n’est pas très important. Si elle se bat sans expliquer aux législateurs en quoi consiste le texte. Cela devrait suffire à n’importe qui pour réaliser que c’est un sombre concentré d’horreurs. Attendez-vous à ce que l’ACTA légalise des pratiques semblables aux exemples précédents. Et encore plus. Attendez-vous à voir pire, bien pire que SOPA.




Les dangers du livre électronique, par Richard Stallman

Le jour viendra où lire tranquillement un livre dans un parc deviendra un acte de résistance.

Nous ne sommes plus très loin en effet de Fahrenheit 451 et surtout de la nouvelle Le droit de lire, rédigée par Richard Stallman en… 1997, et malheureusement plus proche aujourd’hui de la triste réalité que de la fiction délirante[1].

Le même Richard Stallman se livre ci-dessous à une comparaison édifiante entre un livre papier et un livre électronique (ou e-book). Je me retourne et suis alors bien content de trouver encore de vrais livres dans ma bibliothèque…

Remarque 1 : Un billet qui fait écho à l’excellent (mais tout aussi inquiétant) Lisez, vous êtes surveillés de Jean-Marc Manach.

Remarque 2 : Raison de plus pour soutenir notre transparent projet Framabook, par exemple en achetant la version vraie livre des ouvrages 🙂

Giles Lane - CC by-nc-sa

Stallman : E-books malfaisants et vie privée

Stallman on E-Book Evils & Privacy

Alan Wexelblat – 19 janvier 2012 – Copyfight
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, HgO, Cubox, ncroizat, Palu, adelos, Felor, Shoods, electronichien, Don Rico)

J’étais invité en fin de semaine dernière à une table ronde sur le droit d’auteur avec Richard Stallman. L’homme s’est certainement assagi avec l’âge (même si je suis heureux de ne pas avoir été invité à une table ronde sur « l’héritage de Steve Jobs » avec lui). Avant le début des discussions, il m’a tendu un papier intitulé « Le danger des e-books », que vous trouverez sur son site (NdT : et donc traduit ci-après par nos soins).

Les points qu’il soulève sont pour l’essentiel ceux dont nous avons débattu ces derniers mois – questions de propriété, formats propriétaires, DRMs restrictifs, etc. Mais j’ai pensé qu’il valait mieux bloguer au sujet de son premier point, qui crève les yeux tellement c’est évident et que j’ai pourtant manqué. Les e-books, du moins la façon dont ils sont vendus aujourd’hui par les principaux fournisseurs, présentent un risque majeur de confidentialité que les livres physiques ne posent pas.

Comme le note Stallman, vous pouvez vous rendre dans une librairie et acheter un livre physique de manière anonyme, le plus souvent juste avec des espèces. Tout au plus pourrait-on exiger de vous de prouver votre âge pour certains contenus, mais aucune trace des informations que vous donnez ne sera conservée. Contrairement à l’achat d’un e-book, qui requiert une identification, reliée à une carte de crédit, un compte bancaire, et d’autres informations difficiles à supprimer. Ces traces d’achat peuvent alors être invoquées ou saisies par les autorités qui pourraient avoir un intérêt à savoir ce que vous avez lu. Avez-vous acheté des livres sur les fertilisants agricoles récemment ? Ou peut-être vivez-vous dans un pays du Moyen-Orient et votre gouvernement se préoccupe soudainement du fait que vous avez acheté des e-books expliquant comment construire des applications se connectant à l’API de Twitter.

Même si les autorités ne saisissent pas vos enregistrements, nous avons déjà nombre de preuves que ceux qui les possèdent vont bafouer la loi pour obtenir des informations personnelles utiles à leur commerce. Si votre liste de lecture ressemble à la mienne, il doit déjà y avoir dessus suffisament de choses pour alimenter les soupçons. Le Comic Book Legal Defense Fund (NdT : Fond de Défense Juridique des créateurs de Bandes Dessinées), par exemple, suit de nombreux cas de gens dont les habitudes de lecture se sont avérées suivies et surveillées pour les autorités.

Jonsson - CC by

Les e-books et leurs dangers

The Danger of Ebooks

Richard Stallman – 2011 – Creative Commons Paternité 3.0
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, HgO, Cubox, ncroizat, Palu, adelos, Felor, Shoods, electronichien, Don Rico)

Alors que le commerce régit nos gouvernements et dicte nos lois, toute avancée technologique offre aux entreprises une occasion d’imposer au public de nouvelles restrictions. Des technologies qui devraient nous conférer davantage de liberté sont au contraire utilisées pour nous entraver.

Le livre imprimé :

  • On peut l’acheter en espèces, de façon anonyme.
  • Après l’achat, il vous appartient.
  • On ne vous oblige pas à signer une licence qui limite vos droits d’utilisation.
  • Son format est connu, aucune technologie privatrice n’est nécessaire pour le lire.
  • On a le droit de donner, prêter ou revendre ce livre.
  • Il est possible, concrètement, de le scanner et de le photocopier, pratiques parfois légales sous le régime du copyright.
  • Nul n’a le pouvoir de détruire votre exemplaire.

Comparez ces éléments avec les livres électroniques d’Amazon (plus ou moins la norme) :

  • Amazon exige de l’utilisateur qu’il s’identifie afin d’acquérir un e-book.
  • Dans certains pays, et c’est le cas aux USA, Amazon déclare que l’utilisateur ne peut être propriétaire de son exemplaire.
  • Amazon demande à l’utilisateur d’accepter une licence qui restreint l’utilisation du livre.
  • Le format est secret, et seuls des logiciels privateurs restreignant les libertés de l’utilisateur permettent de le lire.
  • Un succédané de « prêt » est autorisé pour certains titres, et ce pour une période limitée, mais à la condition de désigner nominalement un autre utilisateur du même système. Don et revente sont interdites.
  • Un système de verrou numérique (DRM) empêche de copier l’ouvrage. La copie est en outre prohibée par la licence, pratique plus restrictive que le régime du copyright.
  • Amazon a le pouvoir d’effacer le livre à distance en utilisant une porte dérobée (back-door). En 2009, Amazon a fait usage de cette porte dérobée pour effacer des milliers d’exemplaires du 1984 de George Orwell.

Un seul de ces abus fait des livres électroniques une régression par rapport aux livres imprimés. Nous devons rejeter les e-books qui portent atteinte à nos libertés.

les entreprises qui les commercialisent prétendent qu’il est nécessaire d’empiéter sur nos libertés afin de continuer à rémunérer les auteurs. Le système actuel du copyright rétribue généreusement ces entreprises, et chichement la grande majorité des auteurs. Nous pouvons soutenir plus efficacement les auteurs par des biais qui ne requièrent pas que l’on porte atteinte à notre liberté, et même légaliser le partage. Voici deux méthodes que j’ai déjà suggérées :

  • Concevoir des programmes permettant aux utilisateurs d’envoyer aux auteurs des paiements volontaires et anonymes.

Les livres électroniques n’attaquent pas systématiquement notre liberté (ceux du Projet Gutenberg la respectent), mais ce sera le cas si nous laissons toute latitude aux entreprises. Il est de notre devoir de les en empêcher.

Soutenez notre cause en vous inscrivant à cette liste de diffusion.

Notes

[1] Crédit photos : Giles Lane (Creative Commons By-Nc-Sa) et Jonsson (Creative Commons By)




Le matériel libre à l’aube d’une nouvelle ère de l’innovation

Le logiciel libre a été un moteur de l’innovation de ces dix dernières années, permettant à de petites structures, telle que Google à ses débuts, d’émerger en investissant à moindre coût. Suivant son sillage, il en ira de même avec la matériel libre pour la prochaine décennie[1].

Telle est l’hypothèse de Joi Ito, actuel directeur du MIT Media Lab et qui possède l’un des plus beaux CV d’Internet.

Windell Oskay - CC by

Joi Ito : le matériel open source est une évidence

Joi Ito: Open-source hardware is a no brainer

Barb Darrow – 11 janvier 2012 – GigaOM
(Traduction Framalang/Twitter : Goofy, FredB, Albahtaar, Luc, Ipos, Antistress)

Le matériel libre est sur les rails, et il va nourrir une nouvelle ère d’innovation, si on en croit Joichi « Joi » Ito, directeur du MIT Media Lab.

Selon Ito, l’émergence de plans de matériels disponibles librement et de composants quasi-libres va propulser l’innovation technologique, comme a pu le faire le logiciel libre il y a une dizaine d’années.

« Si vous voulez fabriquer une caméra, un jour vous pourrez vous procurer toutes les pièces standard, les plans seront accessibles gratuitement en ligne et vous n’aurez qu’à concevoir les seules parties du produit qui vous intéressent » a déclaré Ito au cours de discussions dans le cadre de MITX à Cambridge (Massachussets).

Les développeurs pourront concentrer leur attention sur la partie la plus importante du matériel qu’ils construiront à partir de cette base standard, tout comme les développeurs de logiciels écrivent des logiciels spécialisés qui tournent sur Linux et le middleware open source plutôt que sur des systèmes d’exploitation propriétaires Unix ou Windows ou que sur les plateformes applicatives Weblogic d’Oracle ou Websphere d’IBM.

L’industrie a débuté les discussions autour du matériel libre grâce à la fondation Open Compute qui se concentre sur les serveurs des centres de traitement des données. Ito évoque des applications bien plus larges.

Ito a cité la naissance de Google comme exemple de créativité rendue possible par le logiciel libre. Si les cofondateurs de Google, Sergey Brin et Larry Page, avaient débuté sans l’open source, ils auraient dû dépenser des sommes considérables en systèmes d’exploitation et autres logiciels commerciaux pour pouvoir faire ce qu’ils ont fait, explique-t-il. Mais grâce à l’open source, « tout ce qu’ils ont eu à faire c’est d’écrire un petit programme et le connecter au réseau universitaire, tout ça pour quelques milliers de dollars ».

L’avènement du logiciel libre a divisé par dix les coûts d’entrée des sociétés éditrices de logiciels, provoquant « l’explosion de l’innovation dans la vallée parce que vous pouviez tout essayer » précise-t-il.

De la même manière, l’adoption du modèle open source réduira les coûts de conception du matériel car les entreprises n’auront pas à consacrer autant d’argent à l’équipement. Elles pourront télécharger les plans des matériels pour les construire elles-mêmes ou pour en sous-traiter la fabrication.

Les économies vont pousser les innovations matérielles « dans les petites et moyennes entreprises, dans les laboratoires académiques et dans les garages, » déclare Ito.

Les avancées de l’impression 3D vont également faciliter et faire baisser pour les entreprises les plus petites le coût de création de prototypes à partir de leurs plans , supprimant ainsi un autre obstacle.

Ito indique que « l’idée d’imprimer des gadgets n’est pas si loin… pas autant que vous le pensez, ».

Tout cela signifie que des sociétés plus petites qui innovent peuvent subvenir à leurs besoins tout en restant petites. « Les investisseurs en capital risque pouvaient sournoisement faire remarquer au sujet d’un produit que ça ne suffisait pas à faire une entreprise. Les produits et les entreprises devaient habituellement être imposants, comme AOL. Mais vous pouvez aujourd’hui avoir de très petites sociétés spécialisées. »

Et c’est dans les petites entreprises, a-t-il dit, que l’innovation se développe.

Notes

[1] Crédit photo : Windell Oskay (Creative Commons By)




L’hindouisme : la plus libre des religions ?

Jean-Pierre Dalbéra - CC byL’hindouisme serait-elle la plus libre des religions au sens du… logiciel libre ?

Telle est l’hypothèse originale de Josh Schrei qui y voit des caractéristiques d’ouverture et un processus de développement que ne posséderaient pas les religions monothéistes[1].

Remarque : Cette traduction a été proposée sur Twitter/Identica et gentiment relayée par certains grands comptes a été bouclée collectivement dans la joie et la bonne humeur. Si vous souhaitez participer et être au courant des prochaines translations parties follow me 🙂

Le Projet Divin : l’Hindouisme comme croyance open source

The God Project: Hinduism as Open-Source Faith

Josh Schrei – 4 mars 2010 – Huffington Post
(Traduction Framalang/Twitter : Aa, Jeff, Petit, Greg, Goofy, Lapetite, Petit, Zdeubeu, 0gust1, Gatitac, Spartition, Albahtaar, Luc)

Tenter d’expliquer les croyances qui sont au cœur de l’hindouisme à un observateur intéressé représente, pour le moins, un vrai défi. On dit souvent que le terme hindouisme lui-même est totalement impropre, car il ne fait qu’agglomérer fondamentalement les pensées et pratiques religieuses qui ont pris place sur le sous-continent indien au cours des 5 000 dernières années. Et l’on peut dire que ces 5 000 années ont été plutôt actives.

La masse de littérature spirituelle, de doctrine, la quantité de dieux distincts qui sont adorés (plus de 30 millions, suivant certaines sources), l’éventail de philosophies et de pratiques distinctes ayant émergé, et la transformation totale au cours du temps de nombre d’enseignements et apprentissages hindous fondamentaux peuvent être déconcertants pour ceux qui ont été élevés au sein d’une culture monothéiste, dans la mesure où nous sommes habitués à ce que chaque foi comporte un jeu de croyances bien définies qui, à l’exception de certains schismes confessionnels au cours des siècles, restent assez cohérentes avec le temps. Cependant, la différence fondamentale entre l’hindouisme et les autres fois n’est pas le polythéisme/monothéisme. La différence clé est que l’hindouisme est open source alors que la plupart des autres fois ont des sources fermées (NdT : Closed Source).

« L’open source est une approche de la conception, du développement et de la distribution de logiciels offrant un accès au code source. »

Si nous considérons Dieu, le concept de dieu, les pratiques qui amènent quelqu’un à Dieu, et les idées, pensées et philosophies autour de la nature de l’humain comme étant le code source, alors l’Inde fut l’endroit où les portes ont été grandes ouvertes et où on a donné aux développeurs la liberté de s’en occuper, de les inventer, réinventer, redéfinir, imaginer et réimaginer au point que chaque variété de l’expérience spirituelle et cognitive a été précisément explorée, célébrée et documentée.

Les athées et ceux qui vénèrent des déesses, les hérétiques qui ont cherché Dieu dans l’alcool, le sexe et la consommation de viande, les ermites couverts de cendre, les dualistes et les non-dualistes, les nihilistes et les hédonistes, les poètes et les chanteurs, les étudiants et les saints, les enfants et les parias… tous ont apporté leurs lignes de code à l’ensemble de la spiritualité hindoue.

Les résultats du Projet Divin indien, c’est ainsi que j’aime qualifier l’hindouisme, ont été absolument stupéfiants. Le corpus de connaissances (scientifiques, spirituelles et empiriques) qui a été accumulé sur la nature de l’esprit, la conscience et le comportement humain, ainsi que le nombre d’applications pratiques, spécifiquement identifiées pour travailler sur l’esprit, est sans égal. La langue sanskrite, elle même, comporte un nombre important de mots, bien plus que n’importe quelle langue ancienne ou moderne, qui se rapportent spécifiquement aux états mentaux de la cognition, de la perception, de la conscience et de la psychologie du comportement.

Les Vedas sont au cœur du code source hindou, qui établit immédiatement la primauté du questionnement dans la pensée hindoue. Dans le Rig-Véda, le plus ancien de tous les textes hindous (peut-être le plus ancien de tous les textes religieux sur la planète), Dieu, ou Prajapati, se résume en une grande et mystérieuse question, nous les hommes étants invités à y répondre ;

« Qui sait vraiment ?
Qui ici le proclamera ?
D’où cela a été produit ?
D’où vient cette création ?
Les dieux sont venus après, avec la création de cet univers.
Alors qui sait d’où cela a surgi ? »

Pendant que le dieu de l’Ancien Testament dictait ses commande(ment)s, Prajapati demandait : « Qui suis-je ? »

Depuis l’ouverture des vannes sur la question divine, la pensée hindoue a suivi une glorieuse évolution depuis le chamanisme, le culte de la nature et le sacrifice jusqu’à des théories sublimes et complexes sur la cognition mentale, la nature de la conscience et la physique quantique.

En retraçant les relations du sous-continent avec les divinités des Vedas, on peut suivre le cours de la pensée hindoue à travers les siècles. Une des premières choses que l’on remarque est que non seulement la relation des gens à dieu change au cours des siècles, mais que les dieux eux-mêmes changent. Par exemple, Shiva apparaît dans les Vedas en tant que Rudra, le hurleur, dieu des tempêtes, bref une sorte de divinité mineure. Réapparaissant au fil des siècles comme Bhairava, celui qui inspire la crainte, Pashupati, seigneur des bêtes, le dieu des yogis, et le destructeur, Shiva obtient enfin, vers le IXème siècle au Cachemire, le statut de bloc de construction énergétique fondamental de l’univers entier. Astuce élégante.

Mais, au fur et à mesure que les dieux changent et que l’évolution de la pensée hindoue nous amène à une vision moderne puis post-moderne de la nature de la réalité, les vieux codes Védique restent toujours centraux et fondamentaux. Une caractéristique déterminante de l’hindouisme est que la vision ancienne de Dieu, la dévotion à la nature et le chamanisme ont perduré ; ainsi la divinité telle que vénérée actuellement existe simultanément, comme symbole ou archétype, et comme incarnation. Le fait que Shiva, par exemple, puisse simultanément être la lumière de la conscience ultime et un illuminé couvert de cendre qui fréquente les sites de crémation est un délice pour nous, anarchistes spirituels, tandis que cela ennuie profondément la plupart des théologiens occidentaux.

Les confessions monothéistes de l’Occident et du Moyen-Orient n’ont tout simplement pas permis une interprétation aussi libre de leur Dieu. Elles continuent d’exister en tant que systèmes à source fermée.

« Généralement, source fermée signifie que seuls les exécutables d’un programme d’ordinateur sont distribués et que la licence n’autorise aucun accès au code source du programme. Le code source de tels programmes peut être considéré comme un secret industriel appartenant à l’entreprise. »

Un des facteurs déterminants de l’histoire chrétienne est que l’accès à Dieu a été vu, tout comme dans la plupart des systèmes à sources fermées, comme un secret industriel. La capacité de réinterprêter la Bible, ou les enseignements du Christ, ou l’Ancien Testament, ou de contester l’autorité basique et fondamentale de l’Église a été inexistante pour la majorité de l’histoire de l’Église. Ceux qui ont osé le faire ont très souvent été tués.

Dans la pensée hindoue, il n’y a aucun secret industriel. La base du yoga est que la clé vers Dieu, ou le macrocosme, ou l’Absolu… réside dans l’individu et peut être atteinte à travers un certain nombre de pratiques. C’est un concept magnifiquement simple mais finalement profond qui a été autorisé à se développer sans contrôle depuis des millénaires. Le processus de découverte et de réinvention du divin est entre vos mains. Le Projet Divin.

Notes

[1] Crédit photo : Jean-Pierre Dalbéra (Creative Commons By)