Le projet diaspora* est à un moment charnière et de notre engagement dépend son avenir. Il est temps de s’impliquer pour que le projet se développe, au niveau du code bien sûr, mais aussi en tant que communauté d’un logiciel décentralisé. Découvrons pourquoi à travers l’histoire de Framasphère.
La création
J’ai découvert diaspora* (page wikipédia) en 2011, et ça a été le coup de foudre. Pour une “people person” comme moi, les réseaux sociaux sont un outil magnifique, mais il était hors de question de participer à ce danger qu’est facebook. Le fait que chacun puisse installer son serveur diaspora* (appelé pod) et qu’ils puissent tous communiquer ensemble pour créer un réseau est une excellente réponse à ces problèmes de vie privée. En 2012, je prends donc mon courage à deux mains et j’installe le logiciel sur https://diaspora-fr.org avec mon ami Taratatach. Initialement, nous ne l’avions fait que pour nos amis, mais finalement nous ouvrons les inscriptions à tous, et quelques milliers de personnes rejoignent ainsi l’aventure diaspora* depuis notre pod.
En avril 2014, je retrouve Pyg de Framasoft aux Journées du Logiciel Libre à Lyon, et il me parle d’un projet qu’ils ont dans les cartons, “Dégoogliser Internet”. Il s’agirait de proposer des alternatives aux services fournis par les géants du Web. Diaspora* pourrait être l’alternative à Facebook. Ils me prêtent un serveur Framasoft sur lequel j’installe diaspora* et bingo, Framasphère est née. Nous prévoyons d’annoncer le service en octobre 2014, lors du lancement officiel de la campagne dégooglisons. Mais dans le même temps, l’État Islamique se crée et, vite banni des réseaux traditionnels, il débarque sur diaspora*. Évidemment, diaspora-fr n’est pas épargné, et je me retrouve en contact direct avec la police judiciaire, le serveur étant hébergé en mon nom propre.
Psychologiquement, cela devient dur à gérer, et c’est donc avec soulagement que Framasphère prend le relais de diaspora-fr comme pod principal de la communauté francophone. C’est maintenant une association qui porte légalement la responsabilité des contenus publiés. Plus d’inquiétude. Je ferme les inscriptions sur diaspora-fr, et je deviens officiellement membre de Framasoft. Une belle histoire commence.
La boucle est bouclée
Huit années plus tard, l’association a décidé la fermeture de Framasphère qui aura lieu le 7 octobre 2021 (toutes les infos sur ce post) et nous prenons le chemin inverse : les inscriptions sur Framasphère ferment, et comme il est hors de question pour moi de ne pas proposer un serveur de confiance comme alternative, je rouvre celles de diaspora-fr.
Je m’implique aujourd’hui énormément dans la fonctionnalité d’import d’un compte avec l’aide de Thorsten Claus (encore merci à lui) pour vous permettre de migrer de façon transparente de Framasphère vers diaspora-fr. Comme on vous l’a dit, diaspora* 0.8.0.0 permettant la migration ne sera pas prête avant la fermeture de Framasphère, mais je mettrai quand même le code (encore instable) en ligne sur diaspora-fr. C’est d’ailleurs un premier point où j’aurais besoin d’aide : si vous êtes prêts à faire les béta-testeurs de la migration avec votre compte Framasphère, merci de vous signaler dans les commentaires !
Nous revenons donc à la situation initiale : Framasphère n’est plus là, diaspora-fr est le principal pod francophone, et je suis seul derrière le projet. Cela implique de gérer la maintenance du serveur (assez faible), la modération (assez faible aussi), les mises à jour de diaspora* (je maîtrise), mais aussi potentiellement les requêtes légales (en pratique, je n’en ai plus eu depuis 2014). Cela ne représente très honnêtement pas beaucoup de travail (quelques heures par mois tout au plus), mais tout repose sur moi et si demain je me plante en vélo ou bien plus gentiment je décide de passer une semaine déconnectée à la montagne et qu’il y a un problème sur le serveur, le service sera indisponible.
Les solutions
Cela fait donc longtemps que j’aimerais que d’autres personnes techniques me rejoignent, pour éviter ce bus factor. Le problème, c’est qu’en tant qu’administrateur, nous avons accès à toutes les données des utilisateurs. Or, les gens se sont inscrits sur diaspora-fr parce qu’ils et elles me faisaient confiance. Difficile de donner accès à leurs données à quelqu’un que je ne connaîtrais pas, il me faut moi même trouver quelqu’un de confiance. N’hésitez pas à vous proposer, mais ne soyez pas vexé si je refuse.
L’autre solution, c’est tout simplement que l’on revienne à ce que diaspora* aurait toujours dû être : un réseau décentralisé. La charge est bien moins importante, le nombre d’utilisateurs impactés par une panne bien plus réduit, si au lieu d’un pod avec des dizaines de milliers de personnes, les utilisateurs sont répartis sur des dizaines de pods. Ami(e)s technicien(ne)s, vous êtes la solution ! Si vous croyez au projet, installez votre serveur, vraiment, ce n’est pas très compliqué et la maintenance est facile.
Allez, pour changer un peu des articles qui dénoncent les GAFAM, Gee va plutôt faire un peu de célébration aujourd’hui. Car oui, le noyau Linux fête ses 30 ans !
(Bon okay, il va quand même un peu causer GAFAM sur la fin mais c’est par principe…)
Linux trentenaire
Joyeux trentième anniversaire à Linux !
Pour être précis, nous fêtons l’anniversaire de l’annonce du développement de Linux par un étudiant finlandais, un certain Linus Torvalds, le soir du 25 août 1991…
La première version diffusée sera la 0.02, quelques semaines plus tard.
En 1992, le logiciel devient officiellement libre – il n’était alors que gratuit – en adoptant la licence GNU GPL, et la version 1.0.0 sort en mars 1994.
Eh oui, car à l’époque, deux systèmes d’exploitation libres existent déjà : le fameux projet GNU dont le noyau Hurd n’était pas encore fonctionnel, et le projet BSD de l’université de Berkeley alors empêtré dans un procès avec AT&T.
Le gnou ignorait alors tout ce que cette déclaration avait de prophétique : aux dernières nouvelles, la version 0.9 de GNU Hurd est sortie en 2019.
C’est donc Linux qui tire son épingle du jeu, et naissent très vite les fameuses « distributions » Linux, qui associent le noyau Linux avec les utilitaires GNU, le système d’affichage X Window et bientôt des environnements de bureau comme Gnome ou KDE, des suites bureautiques, etc.
30 ans après l’annonce de son lancement, Linux a-t-il réussi ? Demandons donc l’avis au verre à moitié plein / à moitié vide.
Tout dépend donc de notre façon de mesurer la « réussite ». D’un côté, Linux équipe aujourd’hui de nombreux équipements informatiques…
… d’un autre, force est de constater que cette popularité s’est construite parfois bien loin des idéaux du projet GNU.
Souhaitons, malgré ces bémols, un joyeux anniversaire à Linux, sans qui le visage du numérique actuel serait sans nul doute fort différent…
Quand le militantisme déconne : injonctions, pureté militante, attaques… (7/8)
La question compliquée et parfois houleuse du militantisme nous intéresse depuis longtemps à Framasoft, aussi avons-nous demandé à Viciss de Hacking Social, de s’atteler à la tâche.
Voici déjà le septième épisode [si vous avez raté les épisodes précédents] de son intéressante contribution, dans laquelle des alternatives sont envisagées et des pistes proposées pour tenter d’échapper à la fâcheuse tendance au militantisme déconnant.
Nous publions un nouveau chapitre de son travail chaque vendredi à 13:37 sur le Framablog, mais si vous préférez, vous pouvez télécharger dès maintenant l’essai intégral de Viciss qui comprend une bibliographie revue et augmentée :
On a déjà pu apercevoir dans les points précédents qu’on se mettait à avoir des pratiques déconnantes non pas parce qu’on est persuadé que ce sont de bonnes pratiques, mais davantage malgré nous, parce que nos propres besoins sont sapés (par exemple faute d’avoir son autonomie comblée, on tente de contrôler l’autre, ce qui nous donne une satisfaction ponctuelle de notre besoin de compétence), parce que c’est le modèle de fonctionnement majoritaire dans nos environnements sociaux, parce qu’on manque d’informations, qu’on est surmené, etc.
Viser les besoins fondamentaux et vivre sa motivation intrinsèque
La solution est donc pour casser ce cercle vicieux est de commencer à nourrir les besoins fondamentaux à travers nos activités (tous les conseils dans les cadres jaunes des schémas précédents), tant les nôtres que ceux des autres en même temps. S’ensuivront des motivations de plus haute qualité pour l’activité, et celles-ci vont aussi nourrir en retour nos besoins en un cercle cette fois-ci vertueux. Et quand on aime profondément une activité, on cherche à en décupler le plaisir, donc on tente de la partager, les personnes aimant partager des émotions plaisantes écoutent et sont à leur tour entraînées dans une motivation à cette activité. Le truc serait juste de vivre et de communiquer pleinement sa motivation intrinsèque pour telle activité.
Cette transmission de la joie et du vécu positif pour une activité qu’on a avec une motivation intrinsèque (comme peuvent l’être tous les loisirs actifs, les disciplines qui ont pu passionner des personnes dans le monde) peut se faire dès qu’on lève toute crainte quant au jugement de celles et ceux qui pourraient observer ce vécu joyeux, crainte qui peut potentiellement s’effacer lorsqu’on est concentré dans l’activité elle-même. Généralement les gens perçoivent la passion, ressentent les émotions positives sincères lorsqu’elles sont explicitement vécues, de façon authentique (par exemple, on ne se forcerait pas à transmettre la joie de faire ceci, on serait juste effectivement joyeux de faire cela)1. La plus grande difficulté de ce partage de motivation intrinsèque réside dans la crainte des atteintes à la proximité sociale : être authentique, c’est être à nu, donc s’exposer potentiellement au jugement d’autrui, à son mépris, à son indifférence, à sa future ostracisation. On peut donc avoir des réticences à s’exposer sincèrement, tout particulièrement lorsqu’on a déjà vécu des situations de forte indifférence ou de mépris alors qu’on était pleinement authentique et bienveillant. Cela demande alors un même type de courage qu’un saut du plongeoir, on ne peut que se jeter à l’eau, s’immerger (ici dans le sujet, en vivant totalement avec lui), et nager jusqu’à l’atteinte du but. La crainte du regard d’autrui, son jugement potentiel est mis de côté, on se concentre sur son rapport authentique à sa passion. Vivre pleinement sa motivation intrinsèque et l’exposer n’est pas tant un effort, un travail, mais plutôt une immersion de l’attention qui est telle que les craintes liées au sapage de la proximité sociale sont pour le moment comme hors sujet.
Viser les motivations extrinsèques intégrées
Cependant, on sait aussi tous que la vie n’est pas forcément composée d’activité attractive. Changer la litière du chat, descendre les poubelles, suivre le Code de la route… Je ne connais personne qui ait de motivation intrinsèque pour ces activités, et c’est tout à fait normal parce que celles-ci peuvent avoir intrinsèquement des stimuli aversifs (l’odeur de la litière, des poubelles), demander des actions ennuyeuses qui n’apportent rien (attendre au stop n’est en rien une expérience qui nous apprend quelque chose), etc. De même, sans motivation intrinsèque, certaines activités militantes peuvent être tout aussi répulsives en premier lieu.
Toutefois on peut avoir des motivations extrinsèques intégrées pour ces actions répulsives, et celles-ci sont puissantes, durables sur le long terme et rendant l’acte moins pénible ou coûteux en efforts. On change alors la litière pour maintenir un foyer plus agréable pour ses habitants (y compris pour le chat qui vous remerciera en cessant de vous faire découvrir au petit matin de petites surprises puantes sur le sol du salon), on suit le Code de la route parce qu’on ne veut pas causer d’accident, on trie ses poubelles correctement pour faciliter le travail des éboueurs et de tous ceux qui travaillent sur le traitement des déchets.
Et comme c’est particulièrement intégré en nous, ça ne nous coûte rien de le faire, on ne rechigne pas, on n’a plus besoin d’y penser, on n’a pas de crainte d’être jugé, on ne sent pas de menaces, on n’agit pas par injonction.
L’autre avantage de cette motivation à régulation intégrée, c’est la résistance aux tentatives de manipulation/d’influence néfaste : par exemple, une personne à motivation intégrée pour le tri triera non seulement tout le temps sans que personne n’ait à lui ordonner quoique ce soit, sans qu’il y ait une seule pression, mais plus encore elle ne sera pas influencée par les arguments tentant de la convaincre que c’est pathétique de trier, et elle continuera son comportement. On a donc là une motivation très puissante, potentiellement préventive face aux menaces et aux tentatives d’influence.
Mais comment transmettre ça à un autre, sans être injonctif, saoulant, culpabilisant ?
Une expérience de la théorie de l’autodétermination est assez éloquente à ce sujet :
ℹ ⇢ Koestner et coll. (1984). Au travers d’une expérience sur la peinture avec des enfants, il a été testé différentes façons de présenter une règle consistant à respecter la propreté du matériel. Pour soutenir l’autonomie malgré une imposition de règles, il a été vu qu’il fallait présenter les choses ainsi :
Minimiser l’usage d’un langage contrôlant (« tu dois » « il faut »…),
Reconnaître le sentiment des enfants à ne pas vouloir être soigneux avec les outils,
Fournir aux enfants une justification de cette limite/règle (c’est-à-dire expliquer pourquoi on a voulu que les outils restent propres).
En présentant ainsi les limites de façon non contrôlante, la motivation intrinsèque des enfants pour la peinture était préservée et beaucoup plus haute que dans un cadre contrôlant (c’est-à-dire avec juste l’ordre de ne pas salir les outils, sans justification ni reconnaissance du sentiment de l’enfant).
Si on transpose cela à l’acte militant, vous avez plus de chances de réussir à transmettre un changement d’habitude, une nouvelle pratique qui supplante une ancienne, une alternative, en n’étant pas contrôlant dans son langage : on supprime l’impératif, « il faut » « tu dois ». À la place, on peut mettre « on peut », « il est possible de » ; je trouve que le conditionnel est aussi très doux pour montrer des possibilités. Et un discours non injonctif qui connote l’ouverture à des possibilités est un discours qui permettra d’éviter des comportements réactants.
❣ Reconnaître les émotions d’autrui, c’est soit se mettre en empathie cognitive avec l’autre (par exemple, imaginer ce que peut ressentir un militant antivax), soit essayer de comprendre ses émotions en l’écoutant activement, sans jugement.
Le thread suivant explique formidablement bien comment on peut communiquer avec « l’adversaire » à sa cause d’une façon qui respecte son autonomie, ses besoins (ici c’est la personne antivax, mais ça pourrait concerner un autre sujet, la méthode d’écoute des émotions et besoins serait tout aussi pertinente).
[Thread] Comment parler à une personne Antivax ? – (le) Deuxième Humain – @DeuxiemeHumain
❭ J’ai vu plein de gens parler de leurs proches qui veulent pas se faire vacciner / ont peur des vaccins / pensent qu’il faut pas faire confiance à la médecine, (4:24 PM · 21 mai 2021 · Twitter)
❭ et qui aimeraient bien les faire changer d’avis ou les pousser à se faire vacciner (pour rester en vie), donc voici quelques astuces pour y arriver :
❭ Précision : tout ce dont je vais parler ici concerne les proches / personnes qu’on connait plutôt bien.
❭ Malheureusement faire changer d’avis un·e inconnu·e sur twitter, surtout un sujet aussi chargé émotionnellement, ce n’est souvent pas un objectif réaliste. Mais si tu as de la patience et du temps, tu peux toujours essayer 🙂
❭ Le plus important c’est de ne pas prendre les personnes antivax pour des idiotes. C’est pas parce qu’on est antivax qu’on est plut bête qu’un·e autre.
❭ Et même si c’était le cas : se faire prendre de haut ça n’a jamais fait évoluer personne. Et ça n’a jamais n’a définitivement jamais fait évoluer personne de façon saine.
❭ Ne monopolisez pas la parole : c’est important d’avoir une vraie discussion où vous écoutez sincèrement la personne en face, sinon elle ne va pas avoir envie de vous écouter en retour et vous risquez de parler dans le vide.
❭ Il faut essayer d’avoir un véritable échange, ne placez pas uniquement les sources avec les faits ou statistiques sur les vaccins qui montrent que c’est mieux de se faire vacciner comme si vous étiez en train de jouer aux échecs.
❭ Écoutez. Écoutez. Écoutez. Personne ne « naît » antivax. Il y a toujours une raison derrière.
❭ Ça peut être une histoire personnelle, une peur des « élites », une peur ou une incompréhension de la science derrière les vaccins, une perte de confiance envers la médecine, des positions politiques ou religieuses…
❭ Et si la personne en face ne rentre pas dans les détails, posez des questions. Intéressez-vous sincèrement à la personne face à vous et aux raisons qui ont poussé à être contre les vaccins.
❭ Ça vous aidera à mieux l’aider à comprendre ce sujet et aussi à mieux la comprendre de manière générale dans la vie (et c’est toujours cool d’être plus proche de ses proches).
❭ Tant que vous y êtes : parlez de vous aussi. Pourquoi est-ce que vous êtes d’accord-vax ? (Je viens d’inventer ce mot, j’en suis très fier)
❭ Est-ce que vous avez eu des doutes à certains moments ? Comment avez-vous fait pour vous renseigner ? Qu’est-ce qui vous a fait vous décider ? Pourquoi vous faites-vous vacciner ?
❭ Je passe beaucoup de temps dessus, parce que c’est très important d’avoir une vraie discussion et de ne pas venir avec son Powerpoint, balancer plein de chiffres ou de noms qui font sérieux puis repartir direct.
❭ Et la deuxième étape, après avoir pris le temps d’écouter et de parler posément avec la personne antivax, c’est d’apporter des réponses ou des solutions à ses problèmes.
❭ La personne que vous souhaitez convaincre ne fait pas confiance aux positions du gouvernement parce que, honnêtement, c’est des positions qui changent toutes les 2 semaines c’est chelou ?
❭ Parlez-lui des recommandations de l’OMS-qui ont d’ailleurs plusieurs fois été gentiment ignorées par le gouvernement.
❭ Vous êtes face à quelqu’un qui a peur des effets secondaires potentiels ? Regardez ensemble quels sont les effets secondaires potentiels des vaccins et les effets primaires du Covid (Spoiler : le Covid a l’air franchement plus violent).
❭ Et vous pouvez aussi regarder la liste d’effets secondaires de médicaments courants ou qu’elle prends, pour lui montrer que ça n’est pas si différent et qu’il s’agit de cas rares. Ils existent, mais sont rares.
❭ Quelqu’un ne veut pas se faire vacciner parce que « c’est chiant je sais pas comment faire avec internet et tout » ? Vous pouvez l’aider à prendre rendez-vous, le faire pour elui voire même l’accompagner si vous êtes disponible !
❭ Rien que proposer de prendre des rendez-vous au même moment ça peut motiver certaines personnes qui n’étaient pas sûres : avec l’effet de groupe on se dit « allez, tant qu’on y est ! » et c’est toujours plus rassurant d’y aller à plusieurs, surtout avec des proches.
❭ Storytime : Quelqu’un dans ma famille (anonymysé·e pour des raisons d’anonymat) vient d’un pays où il y a littéralement eu des tests de vaccins et médocs faits sur la population « pour voir si ça fonctionne bien avant de les envoyer dans les pays riches ».
❭ Allez savoir pourquoi, cette personne n’a pas super méga confiance en la vaccination contre le Covid du coup. Et bah on va se faire vacciner avant elui, comme ça iel pourra voir si on va bien et aller se faire vacciner en ayant confiance.
❭ Le plus important c’est d’écouter les besoins ou peurs des personnes et les aider à les surmonter -et ça, quels que soient ces problèmes et ces peurs, même si elles nous paraissent ridicules : un peu de compassion punaise !
❭ Félicitations, vous êtes arrivé·es à la fin de ce thread ! Pour fêter ça vous pouvez le RT où l’envoyer à des gens que ça pourrait aider. Et pour me soutenir vous pouvez aller sur https://utip.io/vivreavec , ça nous soutient Matthieu et moi !
⚒ Concernant la justification rationnelle à apporter sur « pourquoi » selon le militant il faudrait changer de comportement (ne plus employer tel mot, tel logiciel ; porter le masque, se faire vacciner, ne pas croire ceci, etc.), des méta-analyses révèlent celles les plus convaincantes :
ℹ ⇢ Steingut, Patall et Trimble (2017) ont fait une méta-analyse de 23 expériences portant sur le soutien à l’autonomie qui fournissait une explication ou une justification rationnelle sur la tâche à faire. Ils ont découvert que cette explication augmente la valeur perçue de la tâche, mais peut parfois générer un effet négatif sur le sentiment d’être compétent. En effet, toutes les explications n’ont pas la même valeur autodéterminante, et peuvent être classées en 3 types :
contrôlantes : le comportement est dit important pour des raisons externes, tel que « cela vous rapportera de l’argent, une promotion », ou concernant l’apparence physique ou canalisant le sentiment de culpabilité ;
autonomes : le comportement est dit important pour soi, ses valeurs personnelles, son développement personnel « cela améliorera votre mémoire/votre indépendance/votre esprit critique… » ;
prosociales : le comportement est dit important pour autrui, « cela va apporter du confort et du bien-être à vos proches/aux personnes présentes ».
C’est lorsque l’explication ou la justification est prosociale que le comportement est ensuite le plus efficace, avec une meilleure motivation autonome, un meilleur engagement.
Autrement dit, l’humain étant un animal social, il est davantage motivé de suivre un comportement qui va clairement montrer que ça aide un autre humain ; ça le motive plus que les récompenses, l’argent, l’évitement de la culpabilité, ou la croissance de ces capacités ou compétences personnelles. À mon avis, cette justification prosociale, pour être transmise efficacement, pourrait être formulée au plus concret et proximal possible : dire que le tri des déchets va sauver l’humanité ne sera pas une justification qui motivera le locuteur à changer son comportement, par contre dire que ça facilite le travail de l’éboueur qu’on peut croiser de temps en temps dans sa rue sera bien plus efficace. Parce que la réussite « sauver le monde » est à la fois un défi trop important, quand bien même il serait réussi, il n’y aurait pas de feedback de réussite direct (« ah vous êtes le type qui avait eu une pratique écologique parfaite et depuis nous n’avons plus de pollution, merci beaucoup ! ») ; alors que voir les éboueurs de bonne humeur dans la rue parce qu’il n’y a pas de problème avec les poubelles et les déchets tels que les gens en ont pris soin, est un feedback directement visible, appréciable, concret.
☸ Soutenir l’autonomie (en n’étant pas contrôlant, en donnant des explications rationnelles et prosociales) est stratégiquement le plus approprié si on souhaite transmettre à la personne l’adoption d’un comportement à long terme, qui peut potentiellement « déborder » (Spill Over effect), c’est-à-dire entraîner un comportement analogue (par exemple on apprend un comportement écologique de tri, la personne va faire déborder ce comportement par elle-même en commençant à faire attention à sa production de déchets).
ℹ ⇢ Dolan et Galizzi (2015) ont constaté que cet effet de débordement est au plus fort lorsque les interventions visent la motivation intrinsèque ; et inversement, les interventions basées sur l’augmentation de la culpabilité ont les effets les plus négatifs.
La motivation intrinsèque + la motivation intégrée sont le carburant des résistants et génèrent, selon les situations, un courage, une créativité rebelle et une puissance exceptionnelle, qu’eux-mêmes ne comprennent pas quand elles adviennent2. En cela, il me semble que ce sont les motivations qu’on pourrait davantage tenter de nourrir lorsqu’on est militant ou engagé, puisqu’une seule personne avec une telle motivation peut transformer toute une situation concernant des centaines d’autres.
Un militantisme autodéterminateur plutôt que contrôlant
La théorie de l’autodétermination donne des outils vraiment très accessibles, testables, qui ont déjà démontré une forte efficacité. Mais avant de trop nous emballer, il y a malheureusement à se rappeler que même la militance la plus efficace ne pourra réparer immédiatement tout le mal que des décennies d’environnements sociaux déconnants ont pu générer, ni même réussir à combler les besoins d’individus qui sont encore aux prises d’environnements sociaux sapants. Un oncle peut arriver à rendre joyeux et libre son neveu, mais si l’enfant est battu par ses parents dès qu’il les retrouve, tout le travail de nourrissement des besoins par l’oncle est réduit en miettes. Parfois la meilleure aide à apporter à autrui est de l’aider à fuir des environnements sociaux destructifs, que ce soit la famille maltraitante, le travail où il y a harcèlement, ce village où il n’y a que surveillance, mépris et solitude, etc. Cet exemple peut apparaître éloigné des situations de militance, mais pas tant que ça : lorsqu’on discute, qu’on tente de comprendre l’adversaire ou le spectateur voulant rester dans sa routine et ne rien changer, ceux-ci nous décrivent rapidement des environnements sociaux dans lesquels ils sont sous emprise, parfois de manière très complexe, et dont on peut difficilement les aider à s’extirper pour de meilleurs environnements sociaux (par conséquent, le changement de comportement qu’on propose peut apparaître à la personne comme un effort trop grand, ou ridicule par rapport à la souffrance vécue).
Cependant, pour reprendre cette métaphore familiale, cet oncle qui aura rendu heureux cet enfant maltraité, quand bien même il n’a pas réussi pour le moment à trouver une solution pour libérer cet enfant, lui a tout de même offert un modèle d’environnement social sain, lui aura montré que les choses peuvent fonctionner d’une bien meilleure façon. Cet acte n’est absolument pas anodin, au contraire, il permet d’aider l’enfant à ne pas intérioriser le modèle maltraitant comme étant la bonne chose à reproduire (puisque le modèle concurrent est producteur de bonheur), et ça c’est extrêmement important pour le futur, pour son développement.
Voilà pourquoi ça vaut le coup d’essayer de nourrir les besoins fondamentaux des personnes, surtout dans un travail engagé/militant, quand bien même on n’arrive pas dans l’immédiat à résoudre les grands problèmes, ni à changer aucun comportement ou à convaincre. Il ne s’agit pas de placer un arbre de force, mais de distiller quelques graines ci et là. Si on a nourri un peu les besoins de la personne par notre écoute, c’est déjà beaucoup, parce que c’est montrer concrètement qu’un environnement social peut être nourrissant. Pour donner un exemple concret, des discussions sympas peuvent amener un adversaire à abandonner une idéologie qui le ravageait et se transformer : un incel3 raconte comment le fait d’avoir des discussions banales avec des féministes et autres personnes non-incel lui a apporté quelque chose de libérateur. Le fait de rencontrer d’autres environnements sociaux ne fonctionnant pas de la même manière peut constituer une expérience paradigmatique qui les transforment :
« Quand j’étais un incel je ne sortais jamais. Je n’avais jamais mis un pied dans un bar, un club, je ne connaissais rien de ce style de vie. Du coup, c’était facile de croire tout ce qui se racontait en ligne sur les bars, les clubs, les femmes, parce que je n’avais aucun élément de comparaison issu de la réalité qui m’aurait permis de séparer le vrai du faux.
La première fois que j’ai été dans un bar, j’ai vu un mec faisant bien 10 centimètres de moins que moi et le double de mon poids, installé dans le carré VIP avec plein de femmes sexy gravitant de son côté. Voir ça, ça a anéanti ma vision du monde. Parce que si on en croit la communauté des incels, ce que faisait ce mec, là, c’était littéralement impossible.
En gros, j’ai remplacé ce que j’ai appris des incels par des connaissances tirées d’expériences réelles. » (tiré de reddit.com, traduit par Madmoizelle.com)4.
Voilà ci-dessous tout ce que la théorie de l’autodétermination conseille pour nourrir les besoins et tout ce qui pourrait aider la personne à s’autodéterminer ; il y a aussi tout ce qu’il y a à ne pas faire car cela sape l’autodétermination, envoie les individus vers des motivations de basses qualités. Cependant, si vous êtes autoritaire et si vous visez le contrôle des individus afin d’en faire des pions, que vous avez d’énormes moyens afin de développer ce mode de contrôle (par exemple installer une surveillance massive de tout instant, embaucher de nombreux militants injonctiveurs tels que des chefs, sous-chefs, surveillants, contremaître, black hat trolls5, etc.), évidemment il serait incohérent de suivre les conseils autodéterminateurs puisque cela irait contre vos buts. À noter que ce ne sont pas des conseils juste lancés comme ça, tout a été testé par des expériences et études répliquées.
Recommandations de la SDT pour viser l’autodétermination (= motivation intrinsèque + motivation intégrée + besoins fondamentaux comblés + orientation autonome)
Ce qui aide à l’autodétermination et au bien-être des individus dans les environnements sociaux. (Environnements autodéterminants)
Ce qui empêche l’autodétermination, contribue au mal-être, et pousse les individus à être pion dans les environnements sociaux (Environnements contrôlants)
• Viser le bien-être
• Viser le comblement des besoins
• Chercher à ce que les individus soient autodéterminé, puissent s’émanciper grâce à nos apports ou être libres dans la structure (viser la préservation, le developpement, le maintien de la motivation intrinsèque, la régulation identifiée/intégrée, l’orientation autonome, l’amotivation pour les activités/comporte-ments sapant les besoins des autres/de soi)
• Formuler, transmettre, encourager et nourrir les buts et aspirations intrinsèques, montrer les possibilités de la situation
• Viser le mal-être
• Viser la frustration des besoins pour mieux déterminer son comportement/ses idées…
• Chercher à déterminer totalement les individus, a avoir un contrôle total sur eux (orientation contrôlée/impersonnelle, pas de motivation intrinsèque, introjection, régulation externe, amotivation pour les activi-tés/comportements nourrissant ses ou les besoins des autres)
• Formuler, transmettre, encourager et nourrir les buts et aspirations extrinsèques, éliminer/nier buts intrinsèques, montrer les impossibilités et les contrôles de la situation
Concevoir un environnement favorisant l’autonomie
Concevoir un environnement contrôlant
• transmission autonome de limites (pas de langage contrôlant ; reconnaissance des sentiments négatifs ; justification rationnelle et prosociale de la limite)
• proposition et soutien de vrais choix, pas simplement des options interchangeables
• fournir des explications claires et rationnelles
• permettre à la personne de changer la structure, le cadre, les habitudes si cela est un bienfait pour tous
• ne pas condamner les prises d’initiatives
• modèle horizontal, autogouverné, en appuyant sur le pouvoir constructif de chacun
• punitions
• transmission contrôlée des limites (langage contrôlant, déni des émotions, absence de justification)
• récompenses (conditionné à la performance, conditionnelles)
• mise en compétition menaçant l’ego
• surveillance
• notes / évaluations menaçant l’ego
• objectifs imposés/temps limité induisant une pression
• appuyer sur la comparaison sociale
• évaluation menaçant l’ego
• modèle de pouvoir hiérarchique, en insistant fortement sur son pouvoir dominant
Concevoir un environnement favorisant la proximité sociale
Concevoir un environnement niant le besoin de proximité sociale ou uniquement de façon conditionnelle
• faire confiance
• se préoccuper sincèrement des soucis ou problèmes de l’autre
• dispenser de l’attention et du soin
• exprimer son affection, sa compréhension
• partager du temps ensemble
• savoir s’effacer lorsque la personne n’a pas besoin de nous
• écouter
• ne jamais faire confiance
• être condescendant, exprimer du dédain envers les personnes
• terrifier les personnes
• montrer de l’indifférence pour les autres
• instrumentaliser les relations
• empêcher les liens entre les personnes de se faire
• comparaison sociale
• appuyer sur les mécanismes d’inflation de l’ego (l’orgueil, la fierté d’avoir dépassé les autres)
Concevoir un environnement favorisant la compétence
Concevoir un environnement défavorisant la compétence ou n’orientant que la compétence via la performance
• être clair sur les procédures, la structure, les attentes
• laisser à disposition des défis/tâches optimales, adaptables à chacun
• donner des trucs et astuces pour progresser
• permettre l’autoévaluation
• si besoin, proposer des récompenses « surprises » et congruentes (sans condition)
• donner des feed-back informatif, positif ou négatif, mais sans implication de l’ego.
• ne pas communiquer d’attentes claires, ni donner de structures ou procédures concernant les choses à faire
• donner des taches et défis inadaptés aux compétences des personnes voire impossible.
• Évaluer selon la performance
• donner des feedback menaçant l’ego de la personne (humiliation, comparaison sociale)
• donner des feedback flous sans informations
• traduire les réussites et échecs en terme interne allégeant.
• feed-back positif pour quelque chose de trop facile
• valoriser les signes extérieurs superficiels de réussite
Les recherches sur l’autodétermination démontrent que généralement les gens détectent et jugent très positivement les personnes à motivation intrinséque, passionnées, et souhaitant empuissanter autrui. Leur propre motivation intrinsèque augmente aussi via l’exposition à ces profils (que ce soit la ou le conjoint·e, les professeur·es, les coachs, les superviseurs, etc.). Cependant, s’ils sont contrôlants, sapent l’autonomie, cela ne marche pas du tout et fait l’effet inverse. Cf Deci, Schwartz, Sheinman et Ryan (1981) ; Ryan et Grolnick (1986) ; Deci et Ryan (2017).↩
Dans Un si fragile vernis d’humanité, banalité du mal, banalité du bien, Michel Terestchenko rapporte comment un routier, voyant une situation où un groupe de Juifs allait se faire expulser ou incarcérer en camp, s’est d’un coup fait passer pour un diplomate auprès des nazis et a pu interdire aux autorités de nuire à ce groupe. Il a fait ça sans l’avoir prémédité. On trouve quantité d’actes non prémédités d’altruisme hautement stratégique et très efficace également dans « Altruistic personnality » des Oliner (dont on a traduit des morceaux ici ; globalement, cela semble dû à un altruisme à motivation intégrée, ou à une amotivation autodéterminée à faire du mal qui a été forgée dans le passé, notamment grâce au fait que les désobéissants aient eu au moins un proche ou un ami nourrissant leurs besoins fondamentaux et présentant concrètement des actes altruistes.↩
Idéologie anti-femme / anti-couples qui considère (entre autres) que seuls certains hommes exceptionnellement beaux ou riches attireront les femmes, donc qu’ils seront célibataires à jamais. Il y a aussi chez eux un rejet des femmes non-blanches et/ou non-blondes, un rejet des femmes ne suivant pas un modèle traditionnel (par exemple, si elles travaillent, si elles ont fait des études), un rejet du fait qu’elles puissent être des personnes (l’incel considére que s’il rend service à une femme, elle doit coucher avec lui ; il y a une infériorisation de la femme et une objectivation). Ils disent haïr les femmes tout en disant crever d’envie d’être en couple avec elles. Les incels ont commis des tueries de masse à l’encontre des couples et des femmes, cf. le listing sur Wikipédia (il est malheureusement régulièrement mis à jour).↩
Ou « farfadet de la dialectique à chapeau noir ». Ceci n’est pas un terme de l’Académie française pour troll, mais une proposition d’un internaute qui a répertorié d’autres propositions ici.↩
(à suivre…)
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Apple veut protéger les enfants mais met en danger le chiffrement
Apple vient de subir un tir de barrage nourri de la part des défenseurs de la vie privée alors que ce géant du numérique semble animé des intentions les plus louables…
Qui oserait contester un dispositif destiné à éradiquer les contenus incitant à des abus sexuels sur les enfants ? Après tout, les autres géants du numérique, Google et Microsoft entre autres, ont déjà des outils de détection pour ces contenus (voir ici et là )… Alors comment se fait-il que la lettre ouverte que nous traduisons ici ait réuni en quelques heures autant de signatures d’organisations comme d’individus, dont Edward Snowden ?
Deux raisons au moins.
D’abord, Apple a construit sa réputation de protecteur intransigeant de la vie privée au point d’en faire un cheval de bataille de sa communication : « Ce qui se passe dans votre iPhone reste sur votre iPhone ». Souvenons-nous aussi qu’en février 2016 Apple a fermement résisté aux pressions du FBI et de la NSA qui exigeaient que l’entreprise fournisse un logiciel de déchiffrement des échanges chiffrés (un bon résumé par ici). La surprise et la déception sont donc grandes à l’égard d’un géant qui il y a quelques années à peine co-signait une lettre contre la loi anti-chiffrement que des sénateurs états-uniens voulaient faire passer.
Mais surtout, et c’est sans doute plus grave, Apple risque selon les experts de mettre en péril le chiffrement de bout en bout. Alors oui, on entend déjà les libristes ricaner doucement que c’est bien fait pour les zélateurs inconditionnels d’Apple et qu’ils n’ont qu’à renoncer à leur dispendieuse assuétude… mais peu nous importe ici. Le dispositif envisagé par Apple aura forcément des répercussions sur l’ensemble de l’industrie numérique qui ne mettra que quelques mois pour lui emboîter le pas, et en fin de compte, toute personne qui souhaite protéger sa vie privée sera potentiellement exposée aux risques que mentionnent les personnalités citées dans cette lettre ouverte…
Lettre ouverte contre la technologie de l’analyse du contenu d’Apple qui porte atteinte à la vie privée
Des experts en sécurité et en protection de la vie privée, des spécialistes en cryptographie, des chercheurs, des professeurs, des experts juridiques et des utilisateurs d’Apple dénoncent le projet lancé par Apple qui va saper la vie privée des utilisateurs et le chiffrement de bout en bout.
Cher Apple,
Le 5 août 2021, Apple a annoncé de nouvelles mesures technologiques censées s’appliquer à la quasi-totalité de ses appareils sous le prétexte affiché de « Protections étendues pour les enfants ».
Bien que l’exploitation des enfants soit un problème sérieux, et que les efforts pour la combattre relèvent incontestablement d’intentions louables, la proposition d’Apple introduit une porte dérobée qui menace de saper les protections fondamentales de la vie privée pour tous les utilisateurs de produits Apple.
La technologie que se propose d’employer Apple fonctionne par la surveillance permanente des photos enregistrées ou partagées sur l’iPhone, l’iPad ou le Mac. Un système détecte si un certain nombre de photos répréhensibles sont repérées dans le stockage iCloud et alerte les autorités. Un autre système avertit les parents d’un enfant si iMessage est utilisé pour envoyer ou recevoir des photos qu’un algorithme d’apprentissage automatique considère comme contenant de la nudité.
Comme les deux vérifications sont effectuées sur l’appareil de l’utilisatrice, elles ont le potentiel de contourner tout chiffrement de bout en bout qui permettrait de protéger la vie privée de chaque utilisateur.
Dès l’annonce d’Apple, des experts du monde entier ont tiré la sonnette d’alarme car les dispositifs proposés par Apple pourraient transformer chaque iPhone en un appareil qui analyse en permanence toutes les photos et tous les messages qui y passent pour signaler tout contenu répréhensible aux forces de l’ordre, ce qui crée ainsi un précédent où nos appareils personnels deviennent un nouvel outil radical de surveillance invasive, avec très peu de garde-fous pour empêcher d’éventuels abus et une expansion déraisonnable du champ de la surveillance.
« Il est impossible de construire un système d’analyse côté client qui ne puisse être utilisé que pour les images sexuellement explicites envoyées ou reçues par des enfants. En conséquence, même un effort bien intentionné pour construire un tel système va rompre les promesses fondamentales du chiffrement de la messagerie elle-même et ouvrira la porte à des abus plus importants […] Ce n’est pas une pente glissante ; c’est un système entièrement construit qui n’attend qu’une pression extérieure pour apporter le plus petit changement. »
Le Center for Democracy and Technology a déclaré qu’il était « profondément préoccupé par les changements projetés par Apple qui créent en réalité de nouveaux risques pour les enfants et tous les utilisateurs et utilisatrices, et qui représentent un tournant important par rapport aux protocoles de confidentialité et de sécurité établis de longue date » :
« Apple remplace son système de messagerie chiffrée de bout en bout, conforme aux normes de l’industrie, par une infrastructure de surveillance et de censure, qui sera vulnérable aux abus et à la dérive, non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier », déclare Greg Nojeim, codirecteur du projet Sécurité et surveillance de la CDT. « Apple devrait abandonner ces changements et rétablir la confiance de ses utilisateurs dans la sécurité et l’intégrité de leurs données sur les appareils et services Apple. »
Le Dr. Carmela Troncoso, experte en recherche sur la sécurité et la vie privée et professeur à l’EPFL à Lausanne, en Suisse, a déclaré que « le nouveau système de détection d’Apple pour les contenus d’abus sexuel sur les enfants est promu sous le prétexte de la protection de l’enfance et de la vie privée, mais il s’agit d’une étape décisive vers une surveillance systématique et un contrôle généralisé ».
Matthew D. Green, un autre grand spécialiste de la recherche sur la sécurité et la vie privée et professeur à l’université Johns Hopkins de Baltimore, dans le Maryland, a déclaré :
« Hier encore, nous nous dirigions peu à peu vers un avenir où de moins en moins d’informations devaient être contrôlées et examinées par quelqu’un d’autre que nous-mêmes. Pour la première fois depuis les années 1990, nous récupérions notre vie privée. Mais aujourd’hui, nous allons dans une autre direction […] La pression va venir du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Inde, de la Chine. Je suis terrifié à l’idée de ce à quoi cela va ressembler. Pourquoi Apple voudrait-elle dire au monde entier : « Hé, nous avons cet outil » ?
« Si Apple réussit à introduire cet outil, combien de temps pensez-vous qu’il faudra avant que l’on attende la même chose des autres fournisseurs ? Avant que les applications qui ne le font pas ne soient interdites par des murs de protection ? Avant que cela ne soit inscrit dans la loi ? Combien de temps pensez-vous qu’il faudra avant que la base des données concernées soit étendue pour inclure les contenus « terroristes » ? « les contenus « préjudiciables mais légaux » ? « la censure spécifique d’un État ? »
Le Dr Nadim Kobeissi, chercheur sur les questions de sécurité et de confidentialité, a averti :
« Apple vend des iPhones sans FaceTime en Arabie saoudite, car la réglementation locale interdit les appels téléphoniques chiffrés. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres où Apple s’est plié aux pressions locales. Que se passera-t-il lorsque la réglementation locale en Arabie Saoudite exigera que les messages soient scannés non pas pour des abus sexuels sur des enfants, mais pour homosexualité ou pour offenses à la monarchie ? »
La déclaration de l’Electronic Frontier Foundation sur la question va dans le même sens que les inquiétudes exposées ci-dessus et donne des exemples supplémentaires sur la façon dont la technologie proposée par Apple pourrait conduire à des abus généralisés :
« Prenez l’exemple de l’Inde, où des règlements récemment adoptés prévoient des obligations dangereuses pour les plateformes d’identifier l’origine des messages et d’analyser préalablement les contenus. En Éthiopie, de nouvelles lois exigeant le retrait des contenus de « désinformation » sous 24 heures peuvent s’appliquer aux services de messagerie. Et de nombreux autres pays – souvent ceux dont le gouvernement est autoritaire – ont adopté des lois comparables. Les changements projetés par Apple permettraient de procéder à ces filtrages, retraits et signalements dans sa messagerie chiffrée de bout en bout. Les cas d’abus sont faciles à imaginer : les gouvernements qui interdisent l’homosexualité pourraient exiger que l’algorithme de classement soit formé pour restreindre le contenu LGBTQ+ apparent, ou bien un régime autoritaire pourrait exiger que le qu’il soit capable de repérer les images satiriques populaires ou les tracts contestataires. »
En outre, l’Electronic Frontier Foundation souligne qu’elle a déjà constaté cette dérive de mission :
« L’une des technologies conçues à l’origine pour scanner et hacher les images d’abus sexuels sur les enfants a été réutilisée pour créer une base de données de contenus « terroristes » à laquelle les entreprises peuvent contribuer et accéder dans l’objectif d’interdire ces contenus. Cette base de données, gérée par le Global Internet Forum to Counter Terrorism (GIFCT), ne fait l’objet d’aucune surveillance externe, malgré les appels lancés par la société civile. »
Des défauts de conception fondamentaux de l’approche proposée par Apple ont été soulignés par des experts, ils affirment que « Apple peut de façon routinière utiliser différents ensembles de données d’empreintes numériques pour chaque utilisatrice. Pour un utilisateur, il pourrait s’agir d’abus d’enfants, pour un autre, d’une catégorie beaucoup plus large », ce qui permet un pistage sélectif du contenu pour des utilisateurs ciblés.
Le type de technologie qu’Apple propose pour ses mesures de protection des enfants dépend d’une infrastructure extensible qui ne peut pas être contrôlée ou limitée techniquement. Les experts ont averti à plusieurs reprises que le problème n’est pas seulement la protection de la vie privée, mais aussi le manque de responsabilité de l’entreprise, les obstacles techniques au développement, le manque d’analyse ou même de prise en considération du potentiel d’erreurs et de faux positifs.
Kendra Albert, juriste à la Harvard Law School’s Cyberlaw Clinic, a averti que « ces mesures de « protection de l’enfance » vont faire que les enfants homosexuels seront mis à la porte de leur maison, battus ou pire encore », […] Je sais juste (je le dis maintenant) que ces algorithmes d’apprentissage automatique vont signaler les photos de transition. Bonne chance pour envoyer une photo de vous à vos amis si vous avez des « tétons d’aspect féminin » ».
Ce que nous demandons
Nous, les soussignés, demandons :
L’arrêt immédiat du déploiement par Apple de sa technologie de surveillance du contenu proposée.
Une déclaration d’Apple réaffirmant son engagement en faveur du chiffrement de bout en bout et de la protection de la vie privée des utilisateurs.
La voie que choisit aujourd’hui Apple menace de saper des décennies de travail effectué par des spécialistes en technologies numériques, par des universitaires et des militants en faveur de mesures strictes de préservation de la vie privée, pour qu’elles deviennent la norme pour une majorité d’appareils électroniques grand public et de cas d’usage. Nous demandons à Apple de reconsidérer son déploiement technologique, de peur qu’il ne nuise à cet important travail.
Quand le militantisme déconne : injonctions, pureté militante, attaques… (2/8)
Comme la question compliquée et parfois houleuse du militantisme nous intéresse depuis longtemps à Framasoft, nous avons demandé à Viciss de Hacking Social, de s’atteler à la tâche.
Voici déjà le deuxième épisode [si vous avez raté le début] de son intéressante contribution, dans laquelle elle analyse les protagonistes et composantes du « jeu » militant et leurs interactions.
Nous publions un nouveau chapitre de son travail chaque vendredi à 13:37 sur le Framablog, mais si vous préférez, vous pouvez télécharger dès maintenant l’essai intégral de Viciss qui comprend une bibliographie revue et augmentée :
Pour comprendre les différents problèmes, prenons la métaphore du jeu (game). Par « game1» j’entends la structure du jeu militant, c’est-à-dire ses buts, ses règles implicites et explicites qui définissent les possibilités ou les limites d’action ; cette structure peut être investie par la motivation singulière du militant, son « play », c’est-à-dire sa façon de jouer le jeu ou de le subvertir, et ce dans une forme de légaliberté2 (une liberté nouvelle qui s’exerce dans et par les règles singulières du jeu). Le jeu militant est donc une création de mouvements singuliers qui auparavant n’existaient pas dans la société.
Et dans ce jeu que je qualifierais de stratégie-gestion, les militants peuvent rencontrer plusieurs types d’acteurs : les alliés, les adversaires et les spectateurs.
Les alliés/soutiens
Les alliés peuvent partager avec les militants des mêmes buts, des mêmes valeurs liées à ces buts, ou une même valorisation/dévalorisation de certains comportements. Il y a une affinité commune quelque part, soit dans le groupe lui-même, soit à l’extérieur. Ce soutien peut être incarné par une personne comme par une structure (ou les deux à la fois si la personne représente une structure), ou encore par un autre « game » militant. Par exemple, durant l’occupation, les résistants qui s’attaquaient directement aux structures de l’ennemi pouvaient coopérer avec les sauveteurs3: s’ils trouvaient des enfants juifs en danger, ils contactaient des personnes dont l’activité était de les cacher, ils étaient donc alliés contre la destructivité nazie. Leurs actions étaient radicalement différentes, parfois même leurs valeurs n’étaient pas du tout les mêmes, mais ils visaient tous deux à entraver l’activité de l’adversaire (l’un en détruisant les moyens de destructivité, l’autre en empêchant de détruire davantage de personnes).
Les alliés le sont souvent via un but partagé, et cela n’a rien à voir ni avec des caractéristiques personnelles communes4 (caractère, physique, groupe d’appartenance, croyances, convictions…) ni avec des interactions positives personnelles (telles que l’amitié par exemple). On peut être militant allié de personnes avec qui on ne s’entend pas du tout, comme être adversaire politique de son meilleur ami, sans que cela se passe mal au quotidien.
L’allié n’est pas non plus identifiable comme tel. Dans une manif’ plutôt orientée thème du numérique, je me rappelle avoir vu un couple de personnes âgées observant la foule d’un regard sévère se mettre à hurler de façon très autoritaire à la foule de jeunes : « C’est formidable ce que vous faites !!! Bravo continuez !!! ». Jamais je n’aurais pu imaginer qu’ils soient des soutiens tant leur comportement semblait exprimer l’inverse, tant on aurait pu préjuger autre chose d’eux (par exemple, qu’ils ne s’intéressent pas aux questions numériques du fait de leur grand âge).
Les adversaires/l’adversité
Par rapport aux militants, les adversaires ne suivent pas les mêmes buts, n’ont pas les mêmes valeurs liées à ces buts, ni la même valorisation/dévalorisation de certains comportements. L’adversaire ne désigne pas nécessairement un individu, il peut être une structure (game) considérée par les militants/engagés comme causant de la souffrance ou des difficultés : par exemple, un système de benchmark au travail à la Caisse d’Épargne était perçu par ses opposants comme un adversaire à cause de la souffrance qu’il engendrait5, et cet adversaire était par extension niché dans les individus qui entretenaient, maintenaient et défendaient ce système problématique. Dans ce cas, un directeur avait joué le jeu du benchmark avec zèle, harcelant quotidiennement les employés mis en compétition constante et il y gagnait à pratiquer ce benchmark-game, car il remportait d’énormes primes, sans compter la « prestance » du statut. Mais par la suite, il a subi le même type de harcèlement, en a fait un infarctus, ce qui lui a fait prendre conscience de l’horreur à laquelle il avait participé. Dès lors, il a lancé l’alerte.
L’adversaire, ce n’était pas lui en tant que personne, l’adversaire se nichait dans sa soumission, dans son zèle et dans son allégeance à un système déshumanisant : en tant que personne, il a changé suite à son infarctus, il a pu lever son aveuglement, prendre conscience de sa soumission et de ce qu’il avait fait d’horrible.
Tout comme l’allié n’est pas défini par ses caractéristiques personnelles, l’adversaire ne l’est pas non plus à cause de caractéristiques personnelles, mais parce qu’il joue à un jeu adverse dans lequel il est aliéné. Cette aliénation peut être dite culturelle et s’alimenter par d’apparents gros avantages, comme un statut très supériorisé par rapport à autrui, de très fortes primes, des faveurs énormes dans la société… Tout cela contribue à rendre l’individu aveugle à certaines souffrances, parce que les regarder en face comporte le risque d’une prise de conscience qui entraînerait à son tour de la culpabilité, puis s’ensuivrait l’impératif compliqué de devoir tout changer. Ces énormes avantages et autres supériorisations sont aussi un contrôle sur l’individu : c’est la carotte qui fait avancer l’âne, et prendre conscience de cet état de pion peut être très pénible surtout quand on s’est senti si supériorisé pendant longtemps. L’individu expliquera le fait qu’il ait plus de carottes qu’autrui comme de l’ordre du mérite personnel, alors que dans de nombreux cas, soit c’est un pur hasard, soit c’est juste une façon d’entretenir sa pleine soumission.
L’individu soumis à l’adversaire peut donc s’embrumer dans le déni, refuser de voir les conséquences des actes qu’on lui ordonne (ou qu’il reproduit par obéissance à des injonctions implicites de la société), parce que la prise de conscience serait une claque majeure pour son ego et aurait un fort retentissement dans l’organisation de sa vie. En d’autres termes, il persiste dans cette aliénation car abandonner ses attitudes et comportements aurait un coût bien trop élevé, et lui donnerait le sentiment de s’être investi et engagé pour rien.
Cependant cette aliénation culturelle peut être levée. Un adversaire qui a causé de la souffrance un temps peut tenter d’apporter une réparation, voire aider les militants sans pour autant voler leur parole ou les dominer encore une fois ; dans le reportage sur le benchmark, le harceleur a lancé l’alerte via son témoignage, a pu donner une information précieuse sur le mode de fonctionnement destructif de ce système. On voit aussi dans cette affaire que les syndicats se sont attaqués à la structure, à l’entreprise pour régler le problème et non à l’individu en particulier (manager, directeur…) qui serait seul pointé du doigt et dont la simple démission/licenciement suffirait à tout régler, car ils savaient que l’ennemi principal était le benchmark. Et, suite à l’action syndicale, la justice a interdit à la Caisse d’Épargne d’employer ce mode de management.6
D’autres caractéristiques de l’adversité
■ Selon les combats militants, l’adversité peut être difficile à montrer aux autres, et il est donc difficile de faire comprendre qu’il y a bien un problème. Par exemple, la surveillance généralisée est rendue le plus invisible possible pour se perpétuer, voire est dissimulée sous des artifices fun et attractifs7. D’où le fait que les militants ont souvent besoin de faire un travail d’information préalable.
■ L’adversité peut être très complexe à montrer, car elle est souvent systémique. Quand on veut expliquer un problème (voire simplement le nommer), on arrive très rapidement, à des choses totalement abstraites, des concepts qui sont difficiles à représenter. Par exemple, la liberté, l’égalité et la fraternité sont des valeurs abstraites, et chacun y plaque sa propre représentation (par exemple pour Sade, la vraie liberté c’était aussi d’avoir le droit de tuer et de violer sans être réprimé8) qui s’oppose à d’autres représentations (la liberté entendue comme une responsabilité, qui inclut donc des limites, notamment celle de ne pas porter atteinte à autrui puisque ce serait trahir sa propre responsabilité).
Dès lors, on peut tomber dans un puits sans fond d’explications très théoriques qui pourra rendre le combat militant élitiste, car il demande un certain niveau culturel ainsi qu’une veille quasi permanente des débats en cours afin d’être pleinement saisi. Ce faisant, le discours militant pourra d’une part paraître difficile d’accès pour le quidam et, d’autre part, ce haut degré de maîtrise théorique pourra décourager plus d’un à rejoindre cette militance, pourra même être vécu par d’autres comme une forme d’écrasement social et culturel, voire comme une forme de violence symbolique (quand il s’agit de classes sociales peu ou pas du tout favorisées). De plus, les militants eux-mêmes pourront perdre pied avec le terrain, se retrouver dans une tour d’ivoire sans prendre conscience de leur hauteur parfois condescendante. Au lieu de construire, d’agir, de se confronter aux adversaires, ils pourront perdre une énergie précieuse à force de débattre plus que de raison en interne sur des éléments secondaires, voire de se confondre dans des échanges interminables portant sur le sexe des anges.
■ L’adversité peut être très complexe à montrer, car hautement technique. On en revient au point précédent : si pour être un « bon » militant et comprendre le problème on doit maîtriser X langages de programmation, savoir bidouiller en profondeur tel OS, alors il n’y aura pas grand monde qui pourra voir qu’il y a effectivement un problème, ni même pour s’y confronter, tant ça demande de compétences et de savoirs. Pour contrer ça, les mouvements peuvent se centrer sur des problèmes plus accessibles aux personnes ou faciliter techniquement la militance.
■ L’adversaire, c’est souvent la soumission à l’autorité ou une allégeance d’un individu qui n’a pas conscience de son statut de pion. Au fond, les « vrais » ennemis qui auraient par exemple un plaisir sadique à voir la souffrance sont plutôt rares. On pourrait donc dans un mouvement militant s’interroger sur cet aspect, sur ce pourquoi il y a une soumission à telle attitude/comportement destructif et non à telle autre attitude/comportement constructif ; cela permettrait d’éviter de s’attaquer aux personnes elles-mêmes (car ça ne réglera pas le problème sur le long terme, on en discutera après), permettra plutôt de transformer leur rapport à l’adversité qu’ielles entretiennent, de les libérer de cette allégeance et de cette soumission, ce qui peut, à terme, leur faire éprouver une gratitude pour la cause militante.
C’est l’individu qui ne fait rien d’autre que poursuivre son train-train quotidien face à une situation qui éveillerait en principe l’action militante, ou dans laquelle les adversaires travailleraient à détruire. Il continue sa routine habituelle et ne fait rien pour ou contre les éléments qui se jouent dans la situation, qu’ils soient constructifs ou destructifs. La recherche a montré que plus on est dans une situation où il y a beaucoup de monde, moins on se sent acteur et moins on sera par exemple enclin à aider autrui si nécessaire, c’est l’effet spectateur/témoin10.
Être spectateur, ce n’est donc pas être insensible aux événements visiblement destructifs (harcèlement, agression), mais davantage ne pas savoir s’il faut intervenir ou ne pas savoir comment, ou encore avoir peur des conséquences si on sort de sa routine.
En situation militante, cela se complique davantage parce que l’individu lambda peut ne pas percevoir du tout le problème. Par exemple, un militant antipub repérera très vite en quoi tel panneau publicitaire sur la voie publique pose problème et pourrait vous donner mille arguments contre l’existence de cette pub. À l’inverse, le spectateur suit sa routine habituelle, est plongé dans ses pensées, c’est comme si les pubs n’existaient pas (et c’est exactement l’effet souhaité par les publicitaires, la pub s’adresse d’abord à nos processus inconscients11). Le spectateur peut être convaincu par les arguments des antipubs, peut-être qu’un temps il parviendra à analyser les panneaux pubs pour ce qu’ils sont, s’en énervera comme eux. Sa vision sera celle d’un antipub pendant un temps. Puis le quotidien reviendra lui effacer cette perspective, parce que nos processus attentionnels sont très limités et qu’on ne peut pas tout traiter consciemment en permanence. Le militant antipub aux stratégies constructives le sait, et le soulage en déboulonnant les pubs, en les hackant, en les subvertissant, il le libère ainsi de cette pollution mentale et attentionnelle le temps d’une action. Il y a là à la fois une confrontation avec l’adversaire ainsi qu’un soutien au spectateur car son espace visuel est libéré. Mais tout cela tombe à l’eau si la pub est remplacée par une injonction ou une attaque faite au spectateur.
Autrement dit, contrairement aux expériences de l’effet spectateur, la situation à potentiel militant ou dans laquelle un adversaire cause un problème a ceci de particulier que :
■ Le spectateur peut ne pas être informé ou ne pas pouvoir voir les problèmes de la situation. Et cela ne vient nullement du fait qu’il est « con », ses raisons peuvent être tout à fait légitimes, normales, banales. Je doute par exemple que les clients de la Caisse d’Épargne aient pu savoir que dans leur banque il y avait un tel harcèlement systématisé. Pour perdurer, la destructivité a besoin de se cacher, de se travestir, voire se parer d’arguments ou de promesses qui peuvent être très séduisants.
■ Le spectateur ne peut pas conscientiser en permanence tous les problèmes. Nos systèmes attentionnels sont vraiment très limités, et porter conscience sur une chose va demander de supprimer de l’attention sur une autre. Si on conscientise tout en même temps dans les détails, on ne peut qu’agir contre un seul des problèmes ou sur une seule chose à faire. Pire, l’hyperconscientisation peut être tellement massive qu’on en vient à ne plus rien faire tellement ça nous nous plonge dans un surmenage mental, ce qui est assez ironique. Tout comme on ne peut pas porter une centaine de kilos toute la journée en permanence, nos ressources mentales ne peuvent supporter mille attentions continuellement avec le même zèle.
■ Le spectateur peut ne pas avoir les capacités d’agir ou se sentir impuissant quant au problème conscientisé. Ça peut être le cas lorsqu’on évoque des problèmes d’ordre géopolitique ou qui nous paraissent bien éloignés. Soit le spectateur ressent de la détresse et cela peut le plomber parce qu’il ne peut rien faire, soit il va éviter le sujet parce qu’il sent déjà qu’il pourrait être plombé par un sentiment d’impuissance.
■ Le spectateur peut savoir, être conscient, mais sa situation ne lui permet pas de s’ajuster (d’ailleurs cela vaut aussi pour le militant) : par exemple, il peut savoir que les produits bio locaux sont bien meilleurs pour l’écologie, mais sa situation de pauvreté l’oblige à devoir rationaliser financièrement le budget nourriture (et donc acheter prioritairement ce qui est le moins cher) parce que c’est ça ou ne pas pouvoir payer le loyer, ou devoir sacrifier le chauffage l’hiver, etc.
■ Le spectateur peut savoir que ce problème gêne certains, mais il ne l’estime pas pour autant comme un problème prioritaire. Par exemple, il peut s’en foutre de respecter ou non l’orthographe et les recommandations de l’Académie (contrairement à un grammar nazi), parce que ce qui compte pour lui c’est de réussir à communiquer et à se faire comprendre, et ça marche y compris lorsqu’il y a des fautes.
■ Être un modèle de vertu ne va pas forcément avoir une influence positive qui sera imitée. Je précise cela parce que dans les expériences sur l’effet spectateur, si une personne va aider, alors tous les autres spectateurs vont sortir de leur passivité et aider à leur tour comme pour l’imiter. Mais s’il y a cet effet mimétique c’est parce que la souffrance est visible, que les spectateurs sentent qu’il y a un mal-être et ont besoin d’un exemple pour savoir que faire ou tout simplement s’autoriser à agir. Or, dans les situations à militance, la souffrance/les problèmes peuvent être en premier lieu totalement invisibles aux yeux du spectateur, qui ne saura même pas pourquoi vous faites cela. Je me rappelle un·e militant·e pour le zéro déchet qui rapportait son agacement car iel s’était fait·e envoyer bouler après avoir demandé à un traiteur d’utiliser sa propre boîte pour contenir les aliments plutôt que de suivre la procédure habituelle d’emballage du magasin12. Cette attitude n’est pas perçue comme « à copier » ni par l’employé (qui peut avoir perçu cela davantage comme une tentative de contrôle injuste de son comportement professionnel) ni par les autres clients dans la file (qui voient juste un autre client qui gaspille trop de temps et les fait attendre).
Cependant, face à l’adversaire, être un modèle vertueux peut effectivement être utile pour apparaître cohérent dans son combat : si on négocie avec les pouvoirs publics pour l’arrêt d’une politique polluante, mieux vaut ne pas arriver en SUV au premier rendez-vous, c’est un coup à se décrédibiliser totalement et à ne pas être écouté.
Certaines situations très particulières peuvent aussi renforcer l’importance d’être un modèle, notamment celles où n’importe qui peut faire la connexion entre ce comportement vertueux et une utilité sociale directe. Par exemple, durant la Première Guerre Mondiale, André Trocmé13, alors enfant, rencontre un soldat allemand qui lui propose à manger. Il refuse parce qu’on ne mange pas avec l’adversaire et Trocmé est déjà très patriote à l’époque (un jeu patriote rejetant toute interaction avec l’ennemi). Le soldat lui explique en toute sympathie qu’il n’est en rien un ennemi, car il a refusé de porter des armes, de tuer ou de faire du mal à qui que ce soit, il ne s’occupe que des communications. Trocmé est fasciné parce qu’il ne savait pas cela possible, ils continuent de parler, mangent le pain ensemble. Ce modèle restera gravé à jamais dans sa mémoire, et Trocmé participera plus tard avec sa femme et tout le village de Chambon-sur-Lignon à résister, à cacher et sauver entre 3500 et 5000 Juifs de la mort14; son patriotisme a évolué, et l’adversaire n’est plus vu dans l’individu, mais dans la destructivité auquel il peut être allégeant. À noter que la résistance de Chambon-sur-Lignon a été très particulière, car elle s’est faite sans chefs ni organisation formelle, simplement par une cohésion tacite.
Être un modèle même modeste dans ses actions, mais dont la prosociabilité de l’engagement est visible, indéniable pour les enfants, peut inspirer ceux-ci, pourra peut-être leur donner le courage de savoir quoi faire face une adversité qu’on n’aurait pas pu imaginer.
En fait, pour résumer ce débat « faut-il être un modèle de vertu/de pureté devant les spectateurs? ». Je dirais que cela n’a un impact positif que si les bénéfices prosociaux qu’apporte le comportement sont directement perceptibles par autrui (via moins de souffrances, moins de menaces, plus de relations sociales positives, plus de bonheur, etc.).
Que va faire le militant avec ce trio ?
En toute logique, on peut imaginer que le militant va donc tenter de renforcer la cohésion et la diversité des alliés, notamment en accordant de l’attention positive au spectateur (lui donner des informations utiles, lui faire vivre des prises de conscience qui l’aident aussi, prendre le temps de chercher à le comprendre pour mieux répondre à ses besoins, le libérer, etc.). Il va combattre l’adversité tant au niveau distal, mécanique, systémique que dans la recherche d’une prise de conscience chez l’adversaire (ce dernier comprendrait alors que ce sont les mécaniques adverses en lui qui l’empoisonnent, et pourrait donc décider de les abandonner, les transformer, etc.).
On peut déduire de cette logique trois pans d’actions (potentiellement cumulables/menés de concert) dans le jeu militant, à savoir : la confrontation, la construction et l’information.
La confrontation
Le militant se confronte à l’adversaire. Cela peut se faire via des négociations, du lobbying, des manifestations tout comme du sabotage, du hacking, via un combat direct. Dans les mouvements non violents15 du passé, cela a pu se manifester par l’appropriation de droits qui étaient pourtant interdits à certaines personnes de façon injuste : par exemple, Rosa Parks s’est assise dans le bus à une place qui lui était interdite par sa couleur de peau ; les militants afro-américains pour les droits civiques sont allés dans les restaurants, épiceries qui leur étaient interdits, etc. La réponse/riposte de l’adversaire a été parfois épouvantablement violente, frappant les militants, les emprisonnant, les tuant, mais ils ont tenu bon, ont continué à se confronter, en vivant, en étant là, dignes et laissant l’adversaire révéler son vrai visage de haine. La confrontation peut avoir des facettes très variées, allant d’une furtivité totale de ses membres (par exemple le sabotage, le hacking) jusqu’à une forte visibilité publique, elle peut accepter des actions illégales comme prendre appui sur la loi. Il y a vraiment énormément de possibilités de se confronter à l’adversaire, toutes très différentes dans leurs stratégies et buts.
La construction
Le militant construit un objet, un environnement social, des façons de faire/de s’organiser, etc. Ce qui est à l’opposé ou radicalement différent de ce que fait l’adversaire, et se pose comme concurrence au niveau du bien-être (ce qui est construit cause moins de souffrances, l’humain y trouve plus de bien-être, de bonheur, etc.). Par exemple, j’ai découvert parmi les hackers des façons de s’organiser do-ocratique « le pouvoir à celui qui fait », très différentes de la façon dont on se structure traditionnellement dans le monde du travail. Là, n’importe qui pouvait monter une opération avec un pouvoir de décision propre à son initiative ; ou si untel était connu pour avoir réussi tel aspect technique de l’opération, il était convié aux opérations impliquant ces mêmes techniques. Par contre, on pouvait l’envoyer balader s’il venait faire son chef dans une opération pour laquelle il n’avait rien fait, qu’importent ses faits d’armes dans tel autre domaine. Il y avait là des valeurs anti-autoritaires, anti-hiérarchiques qui étaient vécues concrètement dans le quotidien et qui pouvaient être perçues dans la façon d’organiser les actions.
Le groupe militant construit et vit dans des modes d’organisation qui peuvent aussi constituer une confrontation avec l’adversaire, dans le sens où cette construction révèle à quel point ces modèles adverses peuvent être périmés ou malsains, puisqu’il prouve de fait que l’inverse peut fonctionner mieux, de façon beaucoup plus humaine et plaisante.
L’information
C’est la révélation aux spectateurs/futurs alliés du problème, par exemple le lancement d’alerte, le témoignage, le leak… ; cela peut aussi se faire au travers d’ateliers/évènements à des fins d’éducation populaire, ou à travers toutes sortes de formes d’enseignement. Dans le milieu hacker (comme dans le milieu du renseignement), on considère l’information comme le pouvoir : on ne peut faire certaines choses que si on sait certaines choses. C’est ce qui fait que chez les hackers la libération de l’information à tous est considérée comme un empuissantement de la population et une victoire en soi : c’est par exemple ce qu’a fait Alexandra Elbakyan avec Sci-hub et qui permet à n’importe quel chercheur ou personne curieuse d’avoir accès à quasiment toutes les recherches scientifiques, sans avoir à se ruiner.
À l’inverse, l’adversaire a souvent des pratiques de rétention ou de déformation d’infos qui lui permettent d’avoir un contrôle sur les personnes et les situations.
Manipuler l’information (en donner certaines et pas d’autres, mentir sur les faits, informer certains et pas d’autres, inventer de fausses informations, etc.) peut aussi permettre de dominer une personne et la contrôler d’une façon ou d’une autre, que ce soit pour en tirer plus d’exploitation de force de travail ou obtenir une allégeance : si je fais croire à telle information fausse, alors j’obtiens de la légitimité auprès de ceux qui vont y croire, voire une certaine autorité, donc je peux mieux les exploiter (c’est ce que peuvent faire les acteurs d’un mouvement sectaire, par exemple la scientologie).
Le travail militant sur la libération de l’information n’est donc pas juste une façon d’informer/d’éduquer les spectateurs ou de renforcer la cohésion entre alliés. Il s’agit aussi de hacker les mécaniques de l’adversaire, d’entraver les façons dont il tire du pouvoir de domination. Ainsi, même le témoignage le plus simple révélant comment se déroule dans le détail une journée de travail dans telle entreprise (indépendamment d’une démarche militante) donne potentiellement du pouvoir d’agir à celui qui le lira, parce qu’il aura plus d’éléments pour décider de son comportement face à cette entreprise. Il y a très longtemps je me souviens d’un employé bossant à Quick qui avait été licencié et menacé de procès pour avoir simplement raconté ses journées sur Twitter16, tweets qui évoquaient les manquements à l’hygiène et qui le choquaient à raison (il y avait déjà eu un ado de 14 ans mort par intoxication17 après avoir mangé dans ce même restaurant) : c’est extrêmement révélateur à mon sens des mécaniques de domination car les entreprises ont besoin de garder le contrôle de l’information pour perpétuer leur contrôle, maintenir le statu quo, préserver leur levier d’exploitation, de profit.
Cependant, précisons que nous avons la chance de vivre dans un monde où l’humanité n’a jamais eu autant accès à l’information, mais que la contrepartie est que nous sommes constamment bombardés de nouvelles infos, qu’il y a une très forte concurrence sur le marché de l’attention.
Autrement dit, il y a un autre enjeu qui se lie à cette problématique de l’information : la question de l’attention et des façons de la capter. L’information même la plus empuissantante est en concurrence avec des vidéos d’animaux mignons, de divertissement en général, des informations plus émotionnelles et donc plus attractives (forte colère, drama, peurs), et des stratégies puissantes de communicants qui jouent sur le grand échiquier de l’attention avec brio pour décider de ce qui occupera les esprits à tel moment (voir ce reportage absolument sidérant, je vous le conseille vraiment vivement :
Jeu d’influences – les stratèges de la communication, partie 1, partie 2.
Libérer l’information ne suffit plus, il y a aussi tout un art à développer pour la rendre accessible à tous, attractive, afin que son potentiel empuissantement et son utilité sociale soit mis en valeur.
Le jeu militant déconnant
Les milieux militants jouent en général sur ces trois registres en même temps, la construction permettant à la fois de renforcer la cohésion entre alliés et spectateurs, voire à séduire l’adversaire qui va alors laisser tomber sa destructivité ; la mission d’information visant souvent le soin des alliés ou spectateurs et la diminution du pouvoir de domination de l’adversaire ; et la confrontation se faisant contre les mécaniques adversaires et ses systèmes.
Alors pourquoi la militance déconnante fait-elle l’exact inverse, jouant un jeu aux règles inverses ?
Pourquoi se confronte-t-elle aux alliés et spectateurs (mais pas à l’adversaire) ? Comme les grammar nazis qui se confrontent à l’ensemble des gens faisant des fautes, mais jamais ne se confrontent de manière radicale à la langue et ses problématiques linguistiques qui pourtant sont directement en cause dans nos erreurs (erreurs qui sont d’ailleurs souvent très logiques).
Pourquoi la militance déconnante ne construit-elle rien et préfère s’attaquer à ceux qui construisent ?
Pourquoi la militance déconnante ne libère-t-elle pas l’information pour empuissanter, mais préfère l’utiliser comme une massue pour corriger les gens ? Comme ceux qui militent au nom d’une pseudo zététique via des échanges dont la dynamique est identique à celle des grammar nazis, reprochant à tout va les biais d’untel ou ses arguments mal construits, sans voir que les biais et la « mal-construction » des arguments n’a rien d’une faute, et en dit beaucoup plus sur les attentes, les besoins, les motivations des personnes concernées et que c’était peut-être cela qu’on pourrait peut-être prioritairement regarder.
C’est cela que j’appelle du militantisme déconnant : en combattant les alliés et spectateurs, en ne construisant rien d’utile, en n’informant que pour taper, il produit un dégoût pour son sujet. Qui veut se renseigner, soutenir, joindre quelque chose qui est perçu comme menaçant ? Plus grave encore, cette déconnance laisse tout le champ à l’adversaire de s’étendre, laisse les causes premières de la destructivité persister, invisibilise parfois les autres militances non déconnantes.
Autrement dit, les mêmes objectifs que ceux d’un saboteur, d’un ennemi au mouvement.
(à suivre…)
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Employer ce mot anglais plutôt que le français « jeu » est plus pratique (ici ou ailleurs) parce qu’en français (et d’ailleurs dans d’autres langues) nous n’avons pour seul mot que « jeu/jouer/jouet » dont l’orthographe est laborieuse pour séparer deux réalités totalement différentes : le game (jeu) ce serait le plateau de Monopoly, les règles, les buts ; le play (jeu) c’est l’élan du joueur, sa motivation, son énergie à saisir ce jeu qui peut être très variable, comme jouer de manière très conformiste et dogmatique (suivre toutes les règles au pied de la lettre, atteindre le but), de manière hacker (on change les règles pour que ce soit plus fun, moins injuste pour les enfants, etc.), tricheur (faire semblant de suivre les règles pour gagner plus facilement), etc. Les façons de play peuvent changer le game (ou pas si on le joue conformiste). Et ça vaut aussi dans l’emploi de métaphores comme « peser dans le youtubegame », qui se réfère au respect du game de YouTube dans son play conformiste (=augmenter son nombre d’abonnés/de vues, être en tendance, respecter les règles de copyright et les pressions implicites à ne pas parler de sujets qui fâchent les annonceurs, etc.), mais le play sur YouTube pourrait être différent (faire une vidéo antiyoutube en cherchant à ne pas fâcher les annonceurs, en respectant le copyright, etc.).↩
Terme provenant de Colas Duflot qui définit le jeu comme l’invention d’une liberté dans et par une légalité, et cette liberté singulière d’employer ce concept pour des structures qui ne sont pas du jeu, mais dans le champ de la recherche des game-designers portant sur la ludification/gamification, on peut constater que les différences entre une structure « sérieuse » et une structure de jeu ne sont pas si énormes, l’une se confondant avec l’autre, parfois volontairement, parfois involontairement. Sources (non exhaustives) : Colas Duflot, Jouer et philosopher, PUF, 1997 ; Eric Zimmerman et Katie Salen, Rules of play. Game Design Fundamentals, MIT Press, 2003.↩
Sauf dans le cas de groupes fascistes, ethnocentriques, autoritaires, qui filtrent selon la couleur de peau, l’origine ethnique, des caractéristiques physiques. Sauf également dans des groupes dogmatiques où il pourrait y avoir une exigence à être selon une norme extrêmement stricte, tout du moins d’un point de vue comportemental.↩
Je prends ici la question du benchmark qui a été mis en place à la Caisse d’Épargne, et qu’on peut voir décrite notamment dans ce numéro d’Envoyé spécial « Les patrons mettent-ils trop la pression ? », datant du 28 février 2013.↩
En captologie, B. J. Fogg dans « Persuasive Technology : Using Computers to Change What We Think and Do » rapporte qu’une application ludique pour enfants questionnait ceux-ci de temps en temps sur les habitudes personnelles de leurs parents. Il s’agissait d’obtenir des informations très personnelles en vue de profit, et tout cela de façon la moins détectable possible. Vu que c’était intégré autour d’un jeu fun, impossible pour l’enfant de détecter le problème.↩
Je garde prioritairement le terme « spectateur » plutôt que « témoin » ou « tiers », parce que d’une part c’est celui qui est le plus utilisé dans ma chapelle qui est la psychologie, et parce que d’autre part je trouve qu’il connote davantage la passivité face à un « spectacle » et pointe bien du doigt le problème. Le terme « tiers » (qui renvoie aussi au spectateur) est davantage utilisé dans l’analyse des génocides, notamment en histoire pour décrire l’inaction des États voisins alors qu’un génocide est imminent ou en cours mais qu’il y a passivité face à ce phénomène, voire un déni. J’utilise moins le mot témoin, parce qu’on aurait tendance à imaginer que celui-ci va un jour témoigner, ce qui est déjà ne plus être passif. Le témoignage peut potentiellement aider une victime, voire lancer l’alerte. Or, si aucune autorité ne le leur demande, les spectateurs n’apporteront pas leur témoignage pour autant, voire peuvent témoigner de façon incomplète pour cacher la passivité dont ils peuvent avoir honte a posteriori.↩
Vous pouvez consulter aussi l’expérience elle-même (Darley et Latané, 1968) ; plus d’infos aussi ici (Wikipédia).↩
Quand je parle de processus inconscients, je ne parle pas en langage psychanalytique, mais en termes neuro. On parle ici de processus cognitifs inconscients. Notre cerveau traite l’information même si on n’en a pas conscience, il enregistre les stimuli, les associations positives/négatives. Les décisions que l’on prend sont également d’abord prises de façon inconsciente avant d’arriver dans notre conscience. Les cours de Stanislas Dehaene expliquent ceci fort bien, vous pouvez les trouver ici. Je sais qu’il est « cancel » par certains notamment parce qu’il a bossé avec le gouvernement, il n’en reste pas moins que ses cours sont très bien foutus, très sérieux et accessibles et n’ont rien de néolibéral ou de macroniste, c’est de la psychologie cognitive et de la neuropsychologie.↩
Je ne retrouve plus la source, ça date, mais c’était peut-être issu de Béa Johnson dans son livre Zéro déchet à moins que ça ne vienne d’un témoignage masculin sur twitter ; d’où également mon emploi de « iel ».↩
Dans Magda et André Trocmé, Figures de résistance, textes choisis par Pierre Boismorand, Cerf, 2008.↩
À ne pas confondre avec la notion de pacifisme : les mouvements non-violents peuvent détruire également, saboter, « s’attaquer à », ou se défendre légitimement… Autrement dit, ils peuvent être des « fouineurs à chapeau gris ». C’est simplement qu’ils refusent de détruire les personnes. Même Gandhi, non-violent, disait à ses militants qu’il était OK de tuer l’adversaire si celui-ci s’apprêtait à le tuer. Il y avait des ateliers de défense physique (et mentale) chez les militants non-violents de Martin Luther King. Contrairement aux moqueries que je vois passer sur la toile et ailleurs, les non-violents étaient badass, n’avaient rien de tenants d’un pacifisme moralisateur et lâche se refusant à toute prise de risque, à toute confrontation.↩
Quand le militantisme déconne : injonctions, pureté militante, attaques… (1/8)
Le feuilleton en 8 épisodes dont nous entamons aujourd’hui la publication n’est pas un simple mouvement d’humeur contre certaines dérives du militantisme mais une réflexion de fond sous l’angle de la psychologie sociale, nourrie et illustrée d’exemples analysés.
Comme la question compliquée et parfois houleuse du militantisme nous intéresse depuis longtemps à Framasoft, nous avons demandé à l’autrice, Viciss de Hacking Social, de s’atteler à la tâche.
Voici une première partie introductive de son intéressante contribution, dans laquelle elle explique son cheminement, entre éloge du militantisme et constat lucide de ses dérives toxiques, qui l’ont amenée à adopter un regard analytique qu’elle partage avec vous.
Nous publierons un nouveau chapitre de son travail chaque vendredi à 13:37 sur le Framablog, mais si vous préférez, vous pouvez télécharger dès maintenant l’essai intégral de Vicissqui comprend une bibliographie revue et augmentée :
Si vous cherchez un article à charge contre le militantisme en général, je me dois de vous prévenir d’emblée, ce ne sera pas le cas ici : j’ai été militante à trois reprises, dans des milieux radicalement différents (en syndicat, parmi des hackers grey hat1, parmi des youtubeurs) et ces trois expériences ont été mémorables à bien des titres. J’ai appris énormément auprès des autres militant·es, dans l’action, même dans les moments les plus pénibles, comme ces moments de confrontation avec « l’adversaire » (celui qui représentait/défendait le maintien des problèmes structurels pour lesquels on luttait). J’ai eu des opportunités de faire des choses que je ne pensais jamais pouvoir faire dans ma vie. Cela m’a prouvé que même si l’on est officiellement « sans pouvoir », en fait si, on peut choper un pouvoir d’agir, pour transformer les choses, et ensemble ça peut marcher, avoir des effets conséquents. Jamais je ne regretterais d’avoir participé à tout ça, connu de telles expériences, même avec tous les aspects négatifs qu’elles ont pu avoir, que ce soit à travers les pressions, les déceptions, les difficultés, la violence et la paranoïa, les faux pas : parce qu’on était là, ensemble, et on sortait de l’impuissance, on créait quelque chose qui transformait un peu les choses, qui comptait, qui était juste.
J’ai aussi une énorme sympathie pour les milieux militants que je n’ai pas expérimentés. Par exemple, je n’ai jamais milité directement pour le libre, mais j’ai toujours eu plaisir à découvrir les nouveautés libres, à les tester, à les adopter parfois. Et ça vaut pour tout un tas de mouvements très variés.
Pourquoi cette sympathie et gratitude générale pour les militants ? Très sincèrement parce que leurs actions répondent parfois à mes besoins (psychologiques ou non) et ont une résonance particulièrement empuissantante que j’aime ressentir, que ce soit grâce à l’astuce d’une chimiste écolo pour fabriquer ses produits cools, les crises de rire devant le Pap 40, l’appréciation esthétique qu’offre le travail souvent engagé de Banksy, le réseau social libre qui me laisse plus de caractères que Twitter, la sororité féministe qui m’a permis d’éviter mes foutus biais d’internalité, l’accès à l’info rendu possible grâce par des grey hat qui littéralement me permet de travailler pleinement au quotidien (Merci Aaron Swartz, Alexandra Elbakyan, Edward Snowden, et tous les inconnu·es qui bidouillent dans l’ombre à libérer l’info), etc. Et si tout cela répond à mes besoins, résonne, m’augmente, aide à me développer, m’offre des solutions ou m’ouvre l’esprit à d’autres solutions, cela doit avoir cet effet bénéfique chez d’autres. Et c’est effectivement le cas, quand on étudie la militance sous une perspective historique, à travers les décennies.
Là, le bénéfice est à un autre niveau que je qualifierais de totalement épique : les changements sociaux proviennent toujours d’abord de collectifs qui militent pour faire avancer les choses.
On découvre que cette puissance de l’action militante résonne à travers les siècles, on peut la sentir lorsqu’on étudie l’histoire des Afro-américains et la conquête de leurs droits, l’histoire des résistances sans armes durant la Seconde Guerre Mondiale, l’histoire du féminisme, l’histoire LGBT, l’histoire des hackers et bien d’autres mouvements !
Tout, de la petite info à la petite innovation, du mouvement massif à l’action solitaire la plus risquée, nous offre un espoir de dingue : on peut changer le monde en mieux, on peut le faire ici et maintenant, on peut avoir ce courage, et ce qu’importe la taille de la destructivité contre laquelle on lutte, que ce soit contre un régime autoritaire, contre une situation de génocide, d’esclavage, de manipulation, de crise, d’oppression, de dangers… On peut tenter quelque chose pour que cette résistance fonctionne au mieux, même si on n’a rien. Et on peut le faire avec une arme de compassion massive qui irradiera pour des générations entières. Franchement, c’est à pleurer de joie et de soulagement prosocial que de lire les histoires des sauveteurs durant la Seconde Guerre Mondiale, c’est ouf la force de construction que transmettent les écrits de Rosa Parks, Martin Luther King, et tant d’autres.
J’ai tellement de gratitude pour toutes ces personnes, pour quantité de mouvements, c’est pourquoi je tente d’en parler quand je le peux, sous l’angle des sciences humaines : je suis partageuse de contenus sur le Net à travers Hacking-social/Horizon-gull depuis plus de 7 ans avec Gull, d’une façon engagée. On vulgarise les sciences humaines d’une façon volontairement non-neutre, c’est-à-dire en prenant parti contre tout ce qui peut détruire, oppresser, exploiter, manipuler les gens, et en partageant tout ce qui pourrait aider à viser plus d’autodétermination.
L’œuvre des militants, des activistes et autres engagés fait donc partie de ma ligne éditoriale depuis la création du site HS.
Mes angles éditoriaux se sont transformés au fil du temps, d’une part pour une raison assez positive qui est une addiction de plus en plus prononcée pour fouiner dans la littérature scientifique, et d’autre part parce que j’ai commencé à rechigner à parler des combats militants actuels, quand bien même je les soutenais, et parce que j’avais plein de choses positives à dire.
Progressivement, j’ai opté pour des compromis, comme parler de militance uniquement si celle-ci avait pu être étudiée au travers de recherches scientifiques en sciences humaines et sociales. C’est ce que j’ai pu faire d’ailleurs en toute tranquillité avec la justice transformatrice, qui aborde en partie le travail de militants abolitionnistes du système pénal, et qui a été bien accueilli sans doute parce que ce n’était pas un sujet ni d’actu, ni français. Ça n’a hurlé que très peu, et seulement sur un réseau social pour lequel je m’attendais à ce genre de réaction épidermique.
Je me rends compte aussi que plus les années ont filé, moins j’ai repartagé de contenus divers sur les réseaux sociaux (tout confondus), moins j’ai fait de posts sur ceux-ci, moins j’ai osé m’exprimer, poser des questions, faire des remarques, etc. Actuellement, je constate que je ne partage que des infos liées à nos thèmes habituels (alors que je croise tout un tas de contenus que je pourrais partager). Parfois, je n’informe même pas de notre activité sur certains réseaux sociaux parce que je n’ai pas l’énergie/la patience de gérer certaines réactions : l’énervement à cause d’une image/ de l’entête pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’article ; le mépris parce que j’ai posté ça aussi sur une plateforme impure liée aux GAFAM2 ; la colère parce que le sujet principal de l’article ne portait pas précisément sur celui que certains auraient voulu ; le dégoût parce qu’il y a un anglicisme/un néologisme ; les injonctions à mettre des TW3 ou autres balises alors que j’ai consacré des paragraphes complets à faire des avertissements dans l’article ; la condescendance pour la recherche/la statistique/l’expert·e citée, car elle a été pointée du doigt un jour par un tribunal pseudo-scientifique/pseudo-zététicien/pseudo-sceptique (que je prenne en compte pendant X pages de critiques scientifiques et que je les discutent ne compte pas, j’aurais dû ne pas en parler tout simplement, car y faire référence c’est déjà trop) ; le rejet par un tribunal grammar-nazi-académique parce que j’ai mis mes sources bibliographiques à la fin de l’article et non dans le corps de texte, etc.
Et dans ma tête, il y a ainsi une liste noire qui grandit au fur et à mesure, de sujets à ne pas ou ne plus aborder sur le Net, quand bien même je les estime avec amour ou qu’ils comptent à mes yeux, que je sens que ça pourrait être utile à autrui, parce que je sais que cela ne sera pas entendu de la sorte, et que, avouons-le, je n’ai pas le courage d’encaisser ce qui va s’ensuivre. J’ai autocensuré notamment des problématiques militantes pour lesquelles je suis directement concernée, parce que lisant comment cela se passait pour d’autres sur les réseaux sociaux, en découvrant la pureté requise pour pouvoir en parler, et la méfiance qu’on aurait d’emblée à mon égard de part mes « endogroupes »4 si je les révélais, je sais d’expérience que les attaques toucheraient trop à ma personne et que, sous le feu de l’émotion, je serais capable de m’auto-annuler, c’est-à-dire détruire mon existence sur le Net, et mon travail avec. Le fait d’avoir vu tant de collègues détruits de la sorte, alors qu’ils avaient un propos doux, juste, socialement tellement utile, créatif, me confirme malheureusement que cette liste noire de sujets, je dois la maintenir pour l’instant si je veux continuer à faire ce que je fais.
« Encore un boomer qui crie “on peut plus rien dire gnagnagnaa” parce que des militants soulignent ses erreurs et qu’il ne veut pas les assumer !! » pourriez-vous me dire ; je comprends tout à fait qu’on puisse avoir ce réflexe quand quelqu’un se plaint du militantisme-correcteur du Net. Mais cette liste noire qu’est la mienne ne veut pas dire que j’estime que je ne peux plus rien dire. Elle veut surtout dire que j’ai dû développer au fil du temps des stratégies et des hacks plus ou moins sournois non pas pour pouvoir m’exprimer sans me prendre des reproches plein la tête, non pas pour convaincre5, mais pour ne pas être dégoûtée de mes propres engagements à cause de quelques militants qui partagent ces mêmes engagements. Pour le dire plus simplement : j’ai peur du jugement des alliés.
Je n’ai pas d’angoisses particulières vis-à-vis des individus que je sais « adversaires » de ce dont je vais parler. Par exemple, je suis assez détendue sur le fait de parler de l’autoritarisme comme quelque chose de problématique et j’attends parfois avec impatience les défenseurs de l’autoritarisme pour discuter avec eux. Comme je ne cherche pas à convaincre, je n’ai absolument pas de problème à ce qu’ils rejettent le contenu avec véhémence, ce qui est d’ailleurs plutôt cohérent de leur part. Je peux même être admirative quand ils arrivent à exprimer pleinement, sans complexes, ce qui les gêne, parce qu’ils s’affichent sincèrement avec leurs valeurs, quand bien même elles sont parfois horribles (au hasard, en appeler à tuer les 3/4 de la population ou envoyer en enfer les gens comme moi). Et dans cette confrontation sincère, je récolte des informations précieuses pour de futurs contenus (les adversaires véhéments sont au fond d’excellents contributeurs involontaires).
Par contre, c’est vraiment dur de se prendre de la haine de la part d’individus qui, je le constate après discussion, ont les mêmes valeurs que celles diffusées dans le contenu qu’ils blâment, ont les mêmes engagements, les mêmes objectifs. Ils me crient dessus parce que je n’ai pas parlé de ceci ou de cela, que j’ai utilisé un mot qui ne leur plaît pas, un en-tête qui aurait dû d’une manière ou d’une autre contenir tout l’article, parce que je n’ai pas utilisé un mot ou cité une référence qui leur paraissait indispensable, etc. Bref, ces reproches et cette colère de la part d’alliés, de camarades, de confrères, j’ai eu beaucoup de mal à les digérer et à les comprendre, d’autant plus qu’ils sont advenus pour des sujets auxquels je ne m’attendais pas le moins du monde.
Un jour j’ai parlé par exemple d’une expérience d’éducation alternative6. Je me suis centrée sur ce qui s’y faisait et était particulièrement cool dans le développement de l’autonomie et de l’empuissantement de l’enfant, au top vis-à-vis de ce qu’on sait en psycho- et neuro-. Puis j’ai fait ce que j’estime à présent une erreur, j’ai repris toutes les critiques disponibles à l’encontre de cette expérience afin de les debunker. C’était du débunkage ultra simple, puisque les 3/4 des critiques portaient sur des éléments qui n’étaient même pas présents dans cette expérience ou encore s’attaquaient personnellement à la personne qui l’avait menée sous forme de procès d’intention, or ces caractéristiques n’avaient strictement aucun lien avec l’expérience elle-même. Plus important à mes yeux, les critiques vantaient parallèlement un mode d’éducation autoritaire, très conservateur (globalement, on revenait 100/150 ans en arrière) basé sur le contrôle ; ils voyaient le plein développement de l’autonomie chez l’enfant comme une menace. Scientifiquement7, on sait pourtant que le contrôle autoritaire sape la motivation et le potentiel des enfants ; le seul « atout » de l’éducation autoritaire est de transformer la personne en pion, contrôlable extérieurement par des autorités, et intérieurement par des normes pressantes.
Les critiques n’ont pas fait gaffe à ça, et se sont plutôt ralliés à ces autoritaires pour tenter de me convaincre à quel point la personne ayant mené l’expérience devait être annulée pour de soi-disant accointances avec le néolibéralisme (ce qui est totalement faux quand on analyse le travail dans les faits), ignorant totalement les détails de l’expérience et ses apports. Et ce type d’accusations venait d’individus qui, très souvent, était des militants actifs menant des expériences éducatives quasi similaires à celles que cette expérience vantait… C’était ouf, et même des années après publication de ce contenu je reçois encore des messages pour tenter de me convaincre que cette personne est mauvaise, donc que l’expérience l’est, et que je devrais annuler mon avis positif.
Tout ceci a été vraiment saoulant, d’autant plus que naïvement je pensais qu’on pouvait espérer une sorte de cohésion contre les modes éducatifs autoritaires/contrôlants, ce qui est le point commun à quasi toutes les expériences d’éducation alternative. Mais non. Ça a été l’article le plus « polémique » du site, je n’en reviens toujours pas.
Depuis ce jour, je n’ai plus parlé d’éducation alternative, même si pourtant d’autres militants m’avaient proposé de façon stratégiquement plus intéressante de faire découvrir leur école et leur mode de fonctionnement. Je suis passée à des sujets plus safe, l’un de mes pare-feux étant désormais de parler d’études, expériences, actions se déroulant hors de notre pays et n’étant pas d’actualité, ou très indirectement.
Aussi, je ne debunke plus rien (du moins, pas de cette façon officiellement affichée), parce que cela n’a strictement aucune résonance constructive8, et j’ai l’impression que certains se servent de ce qui est alors estimé comme « vrai » pour se permettre d’attaquer (de manière disproportionnée) ceux qui sont dans le « faux », ce qui est une dynamique qui ne m’intéresse pas du tout d’alimenter.
À la place, je bidouille pour trouver des sujets à écho et je les tricote d’une façon à ce que, quand même, ils fassent résonance avec ce que nous vivons ici et maintenant. D’un côté, cela aura eu le grand avantage de me pousser à chercher des sujets inédits et à développer une forme de créativité plus hackeuse que je n’aurais peut-être pas eu sans cette saoulance.
Bref, tout ça pour dire que je ne m’autocensure pas par peur des « ennemis », mais davantage par crainte de la punition des alliés et acteurs de cette cause commune que nous défendons. Je constate que d’autres créateurs de contenus partagent cette même crainte de l’endogroupe davantage que de leur ennemi :
Et ça vaut malheureusement aussi pour le libre : j’ai toujours autant de respect et de sympathie pour le libre, parce que j’ai la chance de connaître des libristes fortement prosociaux que j’adore, et que j’utilise au quotidien du libre – ça répond à mes besoins de compétence et de sécurité numérique –, et, ayant adopté depuis longtemps une certaine éthique hacker, j’adhère au discours libriste qui fait partie de la grande famille hacker.
Mais la campagne de certains militants pour PeerTube a été, malgré tout, extrêmement soûlante.
Au départ, Gull et moi-même étions enthousiastes pour promouvoir et publier sur PeerTube, on s’est vite renseignés, on a été hébergés sur une instance dès que cela a été possible. Parfois, il y avait des down sur l’instance en question, alors selon l’état de la mise en ligne, je partageais ou non le lien des vidéos via PeerTube. Qu’importe notre présence ou absence ponctuelle, on nous a reproché de ne pas être sur PeerTube, on nous a fait de longs messages condescendants pour nous expliquer pourquoi il fallait être sur PeerTube et pourquoi il fallait arrêter d’être sur YouTube, on nous a engueulés parce que l’instance était down et que de fait telle vidéo ne pouvait ponctuellement être vue que sur Youtube. On ne pouvait pas annoncer une vidéo avec joie sans que celle-ci soit instantanément rabattue par un commentaire reprochant notre manque d’éthique à mettre un lien Youtube et non PeerTube (alors qu’au début on partageait prioritairement le lien PeerTube) ou encore rappeler une énième fois ce qu’était PeerTube comme si nous l’ignorions et en quoi nous devions moralement y être. On faisait au mieux, on était déjà convaincus par PeerTube, on se démenait pour trouver des alternatives, même sur YouTube on avait pris le parti dès le départ de démonétiser tout notre contenu, mais visiblement ce n’était pas encore assez parfait.
J’étais également très enthousiaste à notre arrivée sur Mastodon, j’y postais même des trucs que je ne postais pas sur les autres réseaux, j’envisageais de faire là-bas un compte perso. Mais, à part quelques personnes que je connaissais et qui étaient bien sympas, progressivement les retours que j’avais sur un article, un dossier, un bouquin, un live, ne concernaient plus que notre faute à ne pas être des libristes avant toute chose, il y avait suspicion que ce qu’on utilisait était éthiquement incorrect (par exemple, la plateforme lulu pour publier mes livres – c’est sacrément ironique car justement je l’avais choisie exclusivement pour éviter la vague de reproches que des collègues peuvent avoir lorsqu’ils publient via Amazon…).
Et d’autres personnes ont pu rencontrer ce même type d’expérience :
C’est terrible, mais d’une plateforme pour laquelle j’étais enthousiaste, j’en suis venue à avoir la même politique de communication que celle que j’avais sur Facebook (plateforme que je déteste depuis des années), c’est-à-dire : un minimum de publications, pas d’interactions même quand il y a des remarques, écriture du message la plus épurée possible par anticipation des quiproquos, etc. Et si on me fait des corrections légitimes sur la forme, mais sur un ton condescendant, je les prends en compte à ma sauce (je n’obéis pas, je transforme d’une nouvelle façon), et je ne fais aucun retour. Je ne fais pas ça contre ce type de critiques, mais davantage pour rester concentrée sur mon travail et ne pas être plongée dans un énième débat où potentiellement je dois me justifier pendant des heures d’un choix incompris, débat qui est totalement infécond pour toutes les parties, et où j’ai l’impression d’être la pire des merdes tant je dois m’inférioriser pour calmer l’individu et lui offrir la « supériorité » morale/intellectuelle qui l’apaise.
J’ai pris des exemples libristes, mais si cela peut vous rassurer, j’ai le même vécu pénible avec des communautés zététiques/sceptiques qui ont été hautement moralisatrices et condescendantes, nous reprochant un manque de détails dans le report des données scientifiques ou suspectant que nous partagions une étude « biaisée » parce qu’ils n’avaient pas compris un résultat (alors qu’il suffisait d’aller simplement jeter un coup œil rapide à la source que nous mettions à disposition). Ça a eu un impact sur notre activité et notre motivation, nous amenant à un perfectionnisme infructueux qui consistait à donner encore plus de détails mais qui étaient pourtant inutiles à préciser, voire nuisibles à une vulgarisation limpide9. Plus grave, j’ai vu des phénomènes dans des communautés zététiques/sceptiques qu’on a décidé de quitter très rapidement tant le climat devenait malsain : des activités marrantes selon eux étaient de se faire des soirées foutage de gueule d’un créateur de la même communauté zététique, faire des débats sans fin inféconds sur l’usage d’un mot, et surtout ne jamais créer ensemble, coopérer, s’attaquer aux problèmes de fond, aux « véritables » adversaires qui ne sont pas tant des individus, mais des systèmes, des structures, des normes, etc. Mais que les zététiciens/sceptiques se rassurent, j’ai aussi vu ces mêmes mécaniques chez des membres de syndicat (par exemple, Gull s’est vu une fois reprocher d’aller simplement discuter avec des membres d’un autre syndicat…), chez des militants antipub (où Gull s’est vu corrigé non sans une pointe de mépris parce qu’il avait osé citer une marque pour la dénoncer car pour ce critique il était interdit de citer une marque…), etc.
Là encore, ce n’est pas qu’un souci qui nous arriverait par manque de bol, une fois de plus Contrapoints explique à merveille ces mécaniques qui arrivent potentiellement dans n’importe quel groupe réuni autour de n’importe quel sujet :
Le fait que je considère la culpabilisation, le jugement, le mépris, la condescendance, l’attaque, l’injonction, l’appel à la pureté, comme du militantisme déconnant (à entendre comme dysfonctionnel)10 n’est évidemment pas étranger au fait que je sois fragile, état que j’assume pleinement, parfois même avec fierté : oui je craque en privé devant ce militant pour l’Histoire qui, dans un mail de 3 pages, argumente sur le fait que je suis médiocre, inutile et tellement inférieure aux hommes présents à cette table ronde publique car j’ai osé utiliser le mot « facho », usage qui selon lui prouvait que je n’y connaissais strictement rien parce que X et Y (imaginez un cours d’histoire sur la Seconde Guerre Mondiale). J’ai répondu en partie en assumant l’un de mes défauts (être nulle à l’oral) et en envoyant les liens vers mon bouquin en libre accès sur le fascisme qui justifie en plus de 300 pages pourquoi je garde ce mot et pourquoi il est pertinent pour décrire certains contenus (il ne m’a pas répondu en retour).
J’assume aussi comme mon « problème » la déprime que je peux avoir quand j’ai pour premier commentaire une engueulade sur l’utilisation d’un anglicisme dans un article qui a nécessité des heures de recherches et d’écriture.
J’assume comme mon « problème » mon surmenage et la lâcheté que je me permets à ne plus avoir à me justifier ni répondre aux reproches hors-sujet.
J’ai ma sensibilité, mes faiblesses, mon temps et des capacités limitées, je fais avec, je ne me plains pas de souffrir de ces attitudes militantes qui me sont reloues, et je sais à peu près comment gérer ça et transformer ça11. Je ne me sens pas victime de quoi que ce soit, je ne suis pas à plaindre. Au final, j’estime que nous sommes très chanceux d’avoir une communauté si soutenante, de ne pas avoir été harcelés ou annulés massivement comme d’autres acteurs du Net.
Ce qui m’enrage dans un premier temps avec ces histoires de militance déconnante, c’est que cela a détruit l’œuvre de collègues très talentueux dont j’aurais voulu découvrir encore de nouvelles œuvres, qui avaient un magnifique potentiel d’influences positives, autodéterminatrices, émancipatrices. Mais merde, mais c’était tellement, tellement injuste de s’en être pris à eux, pour un mot, une tournure de phrase. De les avoir détruits pour ça, pas tant avec une seule remarque, mais bien avec cette répétition incessante de chipotage à chaque nouveau contenu. Tellement inapproprié de les voir en adversaire alors qu’il n’y avait pas meilleur allié.
À force de voir cette histoire de déconnance se répéter inlassablement partout dans tous les domaines, je m’inquiète pour les visées fécondes de ces mouvements. J’en viens à avoir peur que ces militants puristes dépensent une forte énergie pour des ennemis qui n’en sont pas, qui ne représentent pas une menace, qui au contraire sont de potentiels alliés qui feraient avancer leur cause. J’ai peur que cette division, voire hiérarchisation, entre personnes potentiellement alliées ne serve finalement qu’à donner davantage de pouvoir à leurs adversaires. Peur que toute cette énergie gaspillée, au fond, ne profite qu’à l’avancée de ce qu’on dénonce pourtant tous et que les acteurs des oppressions, des exploitations, des dominations, des manipulations, aient le champ libre pour développer pleinement leur œuvre destructrice, puisque les personnes pouvant les en empêcher sont plus occupées à s’entre-taper dessus pour ou contre le point médian, pour ou contre l’anglicisme, pour ou contre l’usage de Facebook, et j’en passe.
Au-delà de ces peurs, je me désole aussi que tant d’opportunités de collaboration, de construction commune, de coopération, d’entraide passent alors à la trappe au profit du militantisme déconnant qui ne fait que corriger, sanctionner et contrôler. Parce que toutes les réussites que j’ai pu voir étaient fondées sur une entraide, une cohésion et une convergence entre militants, entre des groupes différents, avec des acteurs qui, de base, ne suivaient même pas le combat, n’avaient pas les mêmes buts. Les réussites les plus belles que j’ai pu avoir la chance d’apprécier regroupaient à la fois des groupes militants assez radicaux (méthodes hautement destructives mais sans violence sur les personnes), des groupes militants faisant du lobbying auprès du monde distal12 (politiques, structures de pouvoir), spectateurs lambda (soutien et sympathie pour la cause), et résultat, une loi injuste ne passait pas, et tout le monde était en sympathie avec tout le monde, ce n’était que joie.
C’est pourquoi dans cet article on va tenter de comprendre pourquoi on peut avoir tendance à attaquer, injonctiver et pourquoi ça peut être déconnant vis-à-vis des buts d’un mouvement, et ce qu’on pourrait faire à la place de potentiellement plus efficace.
Avertissements sur ce contenu
Vous l’aurez sans doute compris, mais je précise pour éviter tout malentendu :
★ Cet article porte sur le militantisme déconnant, ou pureté militante, et non sur le militantisme tout court. Nous nous considérons nous-mêmes comme des personnes engagées à travers notre activité sur Hacking-social/Horizon-gull, et engagées contre l’autoritarisme sous toutes ses formes, et donc par définition, militantes.
★ Je ne catégorise pas tout le militantisme libriste comme uniquement associé à des pratiques déconnantes, pas du tout, d’autant que nous écrivons sur le Framablog, ce qui serait un comble. Idem, si vous avez des affinités avec un groupe dont je décris la pratique déconnante. N’endossez pas la responsabilité ou la culpabilité des pratiques déconnantes si vous ne les avez jamais faites mais que vous partagez le même groupe que ceux qui y ont recours. On ne peut pas être responsable du comportement des autres individus en permanence, ce serait un fardeau trop lourd à porter et impossible à gérer. La responsabilité incombe à celui qui fait l’acte, sans omettre, bien sûr, les raisons extérieures qui ont poussé celui-ci à faire l’acte (évitons d’internaliser ces problématiques aux seuls individus, nous verrons que c’est plus complexe que cela).
★ On parlera de militantisme interpersonnel, c’est-à-dire entre personnes ne représentant pas une autorité quelconque. Par exemple, untel corrige unetelle sur un de ses mots sur Internet/lors d’un repas de famille/lorsqu’elle se confie/lorsqu’elle présente une création/etc. ; untel critique untel car il a osé parler de fromages sans mettre de trigger warning13, etc. J’exclus de cette catégorie les rapports de pouvoirs entre personnes, par exemple une négociation entre un syndicat et un DRH autour d’un conflit, le débat public entre un individu fasciste et une personne au combat antifasciste, etc. Les deux derniers cas désignent des porte-paroles d’un groupe et la situation n’a rien du rapport interpersonnel habituel, il est hautement stratégique et préparé en amont pour les deux parties en confrontation.
★ On ne parlera pas du militantisme d’extrême-droite, fasciste ou lié à des poussées de haines sur une personne ciblée (par exemple les raids de harcèlement). Parce que – et c’est terrible à dire – il est cohérent avec l’autoritarisme de droite composé d’une valorisation de l’agressivité autoritaire, de la soumission autoritaire et du conventionnalisme14. Si c’est cohérent au vu de leur combat, alors ce n’est pas déconnant. Ils sont convaincus du bienfait d’attaquer et de soumettre une personne, donc il est logique de s’attendre à ce qu’ils attaquent une personne, qu’ils l’injonctivent, la poussent à rentrer dans des normes conventionnelles ou à fuir la sphère publique. Cependant, si cela vous intéresse : – voici un excellent article qui montre leur méthode militante : Un militant repenti balance les secrets de l’ultra-droite, (Midi Libre, 2012) ; – On a parlé d’autoritarisme aussi dans un dossier ; – et cet article, le résumé des recherches qui ont suivi ; – Et dans cette vidéo qui est le début d’une série.
★ Pour cet article, il serait incohérent que je m’autocensure par peur de la pureté militante, ainsi y aura-t-il des néologismes, des anglicismes, des points médians et parfois une absence de points médians, des liens YouTube ou pointant vers des réseaux sociaux, structures non-libres. Cependant, je justifierai parfois certains de mes choix « impurs » en note de bas de page quand j’estime que cela est nécessaire. J’y mettrai aussi les références. Désolée pour l’énervement futur que cela pourrait vous causer.
J’ai gardé le terme anglais parce qu’on croise rarement des personnes se disant « fouineuse à chapeau gris » comme le recommanderait l’Académie française. Les hackers grey hat désignent les hackers faisaient des actions illégales pour des buts prosociaux/activistes, à la différence des black hat qui vont faire des actions illégales pour leur seul profit personnel par exemple.↩
GAFAM = Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.↩
Endogroupe = groupe d’appartenance. On peut en choisir certains (supporter telle équipe et pas telle autre, être dans une communauté de passionnés pour telle discipline, etc.) et d’autres sont dus au pur hasard comme la nationalité à la naissance, le genre, la génération dans laquelle on appartient, la couleur de peau, etc.↩
Ça, c’est volontairement hors de mes buts, non pas que je sois défaitiste, mais parce que je ne vois pas l’intérêt de convaincre qui que ce soit : imaginons qu’untel serait par exemple convaincu que la justice réparatrice (un thème que j’aborde) c’est bien. Ok, super. Et ensuite ? Qu’est-ce que ça change ? Strictement rien. Au fond, je ne veux rien d’autre que ce que souhaiterait un blogueur tech : il partage un logiciel qu’il trouve cool et il est content si ça sert à d’autres qui vont l’utiliser pour d’autres besoins. Il peut même être super content de découvrir que ce logiciel qu’il a partagé a été hacké pour en faire un autre truc plus performant qui sert d’autres buts, parce qu’au fond, c’est la tech et son développement qui le font kiffer. Et c’est pas grave si les autres n’aiment pas, ne testent pas. Au fond, lui comme moi, on veut juste partager, c’est tout.↩
Je n’ai ni envie de donner le lien ni même de référence au sujet de cet écrit ; si le sujet vous intéresse intrinsèquement, vous le trouverez facilement.↩
Deci et coll. (1999) ; Deci et Ryan (2017) ; Csiszentmihalyi (2014, 2015) ; Della Fave, Massimini, Bassi (2011) ; Gueguen C. (2014, 2018) références non exhaustives.↩
Je parle de mes articles, je ne critique pas les débunkeurs en général. Il y a certains débunkeurs sur PeerTubeYouTube qui ont du talent, je ne doute pas qu’ils arrivent eux à avoir un écho positif.↩
Gull a d’ailleurs constaté que cette surenchère à préciser toujours plus de détails en vidéo, sous la demande parfois pesante de certains septiques, contribuaient à dissoudre le discours principal, à ennuyer de nombreux viewers se plaignant désormais d’un contenu « trop académique ».↩
J’emploie le mot « dysfonctionnel » pour qualifier les comportements militants tels que l’injonction, l’attaque, etc., car la fonction de la militance est, entre autres, de combattre un problème et non d’être perçue comme un problème par ceux que les militants peuvent chercher à convaincre. En cela, ça dysfonctionne, là où un militantisme « fonctionnel » opterait pour des comportements et actions qui résolvent un problème, s’attaquerait à la destructivité et non aux potentielles forces de construction.↩
Attention ces dernières phrases sont fortement imprégnées de mes biais d’internalité (ignorer les causes extérieures, se responsabiliser pour des problèmes extérieurs), je ne conseille pas du tout de reproduire la même dynamique que la mienne, potentiellement sapante. Si je les ai écrites, c’est parce que c’est ce que je ressens et que ce serait mentir que d’en enlever les biais d’internalité qui ont structuré ces sentiments.↩
En psycho- sociale, notamment dans le champ de la théorie de l’autodétermination, on emploie le terme d’environnement distal pour décrire des environnements qui sont « distants » des individus (mais pas moins influents), tel que les champs politique, économique, culturel ; il se distingue de l’environnement social proximal (famille, travail, et tout environnement social qui fait le quotidien la personne).↩
Exemple tiré d’un témoignage réel, disponible sur neonmag.fr.↩
Ce sont les caractéristiques de l’Autoritarisme de droite (RWA) telles que définies par la recherche en psychologie sociale et politique de ces dernières décennies, notamment par Altemeyer. Si une personne se disant de gauche a pour attitude principale l’agressivité autoritaire, la soumission et le conventionnalisme, alors il serait plus cohérent pour lui de se revendiquer d’un autoritarisme de droite, qui serait plus raccord avec ses attentes et valeurs. Plus d’infos sur hacking-social.com.↩
À l’ère de la surveillance numérique – Interview d’Antoine Tricot
Sur les ondes de France Culture, Antoine Tricot a récemment cosigné une série de quatre épisodes sur La Série Documentaire intitulée « À l’ère de la surveillance numérique ». Quatre épisodes pour parler du capitalisme de surveillance, de pouvoirs étatiques sur les outils numériques… et de comment s’y soustraire. Quatre épisodes que nous vous invitons à écouter, au contenu bourré d’informations, d’ambiances sonores, de témoignages de différents milieux professionnels, et dont nous avons souhaité interroger l’un des auteurs.
Bonjour Antoine, peux-tu te présenter ?
Je suis journaliste et je travaille principalement pour les émissions documentaires de la radio publique France culture. Je m’intéresse à des sujets très divers comme les quartiers populaires et les ruralités mais j’ai un petit tropisme sur les questions que posent à la société les technologies numériques et leurs usages. J’ai d’ailleurs commencé à France Culture en 2013 comme stagiaire dans l’émission Place de la Toile de Xavier De La Porte. J’ai ensuite pu organiser quelques émissions autour de ces sujets lorsque je travaillais pour l’émission Du Grain à Moudre, notamment celle intitulée « Que reste-t-il du logiciel libre ? » en 2016 où l’on a fait dialoguer Pierre-Yves Gosset de Framasoft et Bernard Ourghanlian de Microsoft ainsi qu’Amaëlle Guiton de Libération. Dernièrement, j’ai produit pour l’émission LSD – La Série Documentaire une série de 4 documentaires radio sur la surveillance numérique.
Le fonctionnement de LSD n’étant pas forcément connu de toutes et tous, peux-tu nous dire qui a travaillé sur ce documentaire audio ?
L’équipe d’un LSD est assez simple. Outre Perrine Kervran et Maryvonne Abolivier qui coordonnent l’émission, nous sommes une vingtaine de travailleuses et travailleurs indépendant.es qui proposons nos sujets régulièrement. Nous sommes ce que l’on appelle dans le jargon de la radio des « producteurs et productrices délégué⋅es ». Nous concevons les projets, proposons un découpage en quatre épisodes, nous choisissons les intervenant.es, préparons et dirigeons les interviews, écrivons et interprétons les voix-off (on appelle ça les « micros »)… Pour moi c’est un métier entre celui d’auteur et celui de journaliste. Nous travaillons avec un réalisateur ou une réalisatrice de France Culture pour monter les émissions, les mettre en son et en musique. Ici j’ai travaillé avec Rafik Zénine avec qui j’avais déjà travaillé avec plaisir sur une série autour des jeux vidéo. Et ce sont des technicien⋅nes du son qui s’occupent de la prise de son et du mixage final. Pour tous les citer, on a travaillé cette fois avec Laurent Macchietti, Martin Troadec, Valérie Lavallart et Eric Boisset.
Donc, concernant la série « À l’ère de la surveillance numérique » : comment t’es venue l’idée de ce sujet ? Et as-tu su comment la traiter dès le départ ?
L’idée de cette série est née durant le confinement. C’est un sujet que je suis depuis longtemps mais c’est à l’occasion d’un projet collectif réalisé pour LSD pendant le premier confinement et intitulé « Un printemps au temps du confinement » que j’ai commencé à en parler avec Perrine Kervran. Il me semblait que durant cette période si particulière, le débat notamment autour de l’application Stop Covid, des visioconférences et du télétravail, avait pris une amplitude rarement atteinte pour des sujets numériques qui ne mobilisent habituellement qu’une faible part de la population.
Au départ, je voulais donc surtout parler de ce que le numérique fait à nos vies et à notre société. Mais en rédigeant le projet, je me suis rendu compte que la question de la surveillance numérique revenait sans cesse. Elle était transversale à tous les autres sujets auxquels je pouvais penser. Y consacrer seulement un épisode sur quatre ne me semblait donc pas suffisant. D’autant plus que les ramifications de la question sont vraiment très complexes. J’ai donc proposé à France Culture d’angler toute la série autour de cette question et c’est ce qui a finalement été accepté à la fin de l’été 2020.
Par où as-tu commencé ?
Je commence toujours ma préparation de la même manière : par une boulimie de lectures. Que ce soit des articles scientifiques, des articles journalistiques, des livres mais aussi de la fiction en tout genre qui aborde d’une manière ou d’une autre le sujet. Sur des sujets internationaux comme celui-ci, j’essaie de varier les points de vue en lisant en français, en anglais et en allemand. Très vite, je me suis rendu compte que la surveillance numérique est extrêmement documentée et il a été difficile de faire un tri entre tout ce que je trouvais. J’ai rarement eu aussi souvent peur de passer à côté de quelque chose d’essentiel, de gommer la complexité, de tomber dans la caricature… Et à la fois, pour rendre intelligible le sujet pour toutes et tous, il était nécessaire de ne pas vouloir trop en dire de peur d’embrouiller les enjeux.
Sur la forme, toujours, comment s’est fait le choix des intervenant⋅es ?
C’est pour moi le plus difficile et une très grande partie du travail. Je ne cherche pas quelqu’un parce qu’il est connu et s’exprime beaucoup sur la question. Au contraire, le documentaire, en sortant de la maison de la radio, me semble permettre de donner la parole à d’autres que l’on entend moins. Je cherche des personnes qui ont une perspective particulière qui va éclairer la question de manière différente à chaque interview et permettre ainsi de faire avancer la narration.
Je cherche aussi des situations sonores. C’est-à-dire des situations qui vont faire entendre une ambiance, faire voyager l’auditeur quelque part où il n’irait pas forcément tout seul, lui faire comprendre des choses au-delà des mots par une ambiance. Ça peut-être par exemple la visite d’un Data Center (très sonore) ou bien le check-up des pisteurs présent sur mon smartphone avec une militante de Exodus Privacy. Cela permet des dialogues plus concrets, plus imagés, plus vivant aussi.
Un des enjeux est aussi de veiller à la parité (ou en tout cas essayer de s’en approcher) de voix féminines et masculines. Cela n’a pas été évident pour ce sujet même si les choses changent peu à peu et que certaines femmes deviennent un peu plus visibles. Il faut toujours un peu plus de temps pour trouver des interlocutrices plutôt que des interlocuteurs.
Trouver le bon équilibre entre tous ces critères est vraiment précaire et ça me terrorise jusqu’au dernier moment de ne pas avoir le bon casting. Tout se monte, mais la qualité des paroles récoltées fait beaucoup à la qualité d’un documentaire et au temps que l’on va passer sur le montage. Comme je ne veux pas faire perdre du temps aux gens en les interviewant pour ensuite m’apercevoir au montage que leur propos passe un peu à côté du sujet ou bien qu’on n’a pas la place de le mettre, je me mets énormément de pression. Malheureusement, ça arrive parfois que l’on soit obliger de passer à la trappe une interview pour de multiples raisons. On ne peut pas tout prévoir.
Et combien de temps l’ensemble du travail vous a-t-il pris ?
J’aurai du mal à dire exactement combien de temps j’y ai passé à temps plein. Environ 4 mois très chargés. En tout cas c’est très intense à chaque fois et je finis épuisé.
J’ai travaillé sur la préparation entre juillet et septembre 2020 en faisant d’autres projets à côté. Puis à temps (plus que) plein de mi-novembre à début janvier. Ensuite il y a eu 2 semaines de tournages, 5 semaines de montages, 2 semaines d’écriture de la voix off, puis 1 semaine de mixage ce qui nous a amené jusqu’à mi-mars 2021. Donc oui, 4 gros mois sans compter la rédaction du projet au départ.
Rentrons un peu dans le détail des épisodes.
L’épisode 1, « Capitalisme de surveillance » est évidemment un sujet qui nous touche particulièrement à Framasoft. Cela fait quelques années que nous participons à sensibiliser à cette problématique. Un de nos administrateurs bénévoles que tu as interviewé, Christophe Masutti, a même écrit un ouvrage dessus. Peux-tu nous en dire plus sur cet épisode, notamment sur ce qui t’a marqué, et ce que tu y as toi-même appris ?
Ce qui me semblait important c’était de partir de ce que l’on voit le plus au quotidien : la publicité ciblée puis de montrer petit à petit l’ampleur des enjeux que peut poser la collecte massive des données numériques par des entreprises privées.
Mais je voulais aussi montrer que l’on n’est pas arrivé par hasard à cette idée de faire des profits en vendant, louant, échangeant de l’information sur les clients en puissance que sont les usagers d’internet. C’est le résultat d’une longue évolution de l’économie, du marketing et de l’industrie, en particulier américaine. Christophe Masutti l’explique très bien dans son livre Affaires privées et dans ses articles. Mais c’est rarement rappelé dans les travaux journalistiques sur la question. Heureusement, les travaux de la chercheuse américaine Shoshana Zuboff ont enfin obtenu récemment un écho que toutes les autres personnes travaillant sur ces questions depuis longtemps espéraient avoir un jour.
Ce qui m’a le plus marqué c’est bien sûr les conséquences sur la vie politique que peuvent avoir ces pratiques de traitement et d’exploitation des données à grande échelle. Ce qu’a révélé le scandale Cambridge Analytica est pour moi décisif pour comprendre comment se fabrique la politique actuellement. Les politiques ne parlent plus à un peuple de citoyens mais à des segments de consommateurs. C’est ce qui explique des discours politiques qui paraissent parfois contradictoires pour ceux qui, comme les journalistes, se situent au-delà des bulles d’informations et les reçoivent tous en même temps. Mais il faut comprendre que très peu de personnes ont une vue globale de l’information à un instant T. Ce qui compte pour un politique n’est plus de persuader une majorité d’électeurs sur un sujet donné, mais de convaincre des groupes très restreints sur des sujets de niches en adoptant une posture qui les séduit. Ce n’est pas infaillible et c’est plus limité en Europe qu’aux États-Unis du fait d’une réglementation plus protectrice des données. Mais je pense qu’il faut aujourd’hui en être conscient et en informer les citoyens si l’on veut se positionner, comme le fait Framasoft, contre ce modèle de surveillance numérique et y apporter les bonnes réponses.
Le second épisode : « Géopolitique de la surveillance numérique » est un sujet assez peu traité par les médias. Là encore, quel sentiment gardes-tu de cet épisode ?
Je suis parti d’une question assez simple : est-ce que la NSA ou bien les services Chinois lisent mes SMS ? C’est un peu ce que tout le monde se demande depuis Snowden. Mais la réponse est en fait très difficile à donner pour une seule et bonne raison : on a très peu d’informations fiables sur le sujet. De manière pas tout à fait étonnante : les espions ne parlent pas beaucoup. Certes les révélations de Snowden et les quelques leaks qui ont touché les entreprises de sécurité ces dernières années nous donnent tout de même des pistes. Mais on parle de documents qui ont maintenant parfois plus de dix ou quinze ans et entre ce qu’affichent les entreprises ou les États en interne et la réalité des pratiques, il y a parfois de grandes différences. De plus, je me suis aperçu que pour comprendre les documents de l’Affaire Snowden, il fallait souvent interpréter d’obscurs schémas, notices, slides, etc. Alors un peu comme les exégèses religieuses, des visions différentes s’opposent. Certaines plus alarmistes, d’autre plus mesurées. Attention, tout le monde est d’accord pour dire que les agences de renseignements de la plupart des États scrutent ce qu’il se passe sur internet à grande échelle. Mais le débat porte sur les capacités des services secrets des différents pays à collecter de manière massive les données, ce qu’ils peuvent faire et qui ils surveillent exactement. On ne peut pas dire que ce soient des sujets qui sont peu abordés dans les médias depuis l’affaire Snowden. Au contraire même. Mais ils le sont souvent de manière schématique.
Je parle de géopolitique car c’est ce qui s’est imposé assez vite dans ma tête : cette question de la surveillance numérique a des conséquences concrètes pour les citoyens de nombreux pays, mais elle a un impact aussi très important sur les relations internationales. C’est aujourd’hui un véritable espace de compétition internationale et d’affrontement. Et ça ne va pas aller en s’arrangeant.
On se doute que tu n’as pas de boule de cristal, mais suite à ce que tu as lu/vu/entendu : comment imagines-tu la suite des événements concernant, justement, la géopolitique de la surveillance ? Dit autrement, si tu avais la possibilité d’aller enquêter plus avant, quels seraient les sujets que tu aimerais traiter ?
J’aimerais beaucoup être un petit lutin pouvant me glisser dans les centres de renseignements de la Chine et dans les bureaux de la NSA pour pouvoir répondre à cette question.
Ce qui me paraît probable c’est que la concurrence entre les pays pour récolter le plus d’informations possible ne va pas diminuer. Cela va ouvrir encore plus d’opportunités pour toute une industrie privée fabriquant des « armes » numériques. Il y a fort à parier que ces « armes » soient un jour réutilisées par des groupes criminels pour leurs propres usages. Donc, comme le dit la juriste Aude Géry dans le documentaire cette militarisation d’Internet va avoir et a déjà des conséquences rudes pour les usagers d’Internet. Par ailleurs, l’augmentation d’acteurs privés collaborant avec les services de renseignements étatiques soulèvent aussi des questions de contrôle de ces pratiques par les gouvernements et par les parlements.
La troisième séquence de la série s’intéresse à la « Safe city ». Honnêtement, c’est un sujet que nous maîtrisons moins. En plus des militant⋅es de La Quadrature (coucou !) qui coordonnent notamment la campagne « technopolice », tu t’es rendu à Roubaix au Centre de Supervision Urbaine qui organise entre autres la gestion des caméras de surveillance de la ville. C’est à la fois un petit choc cognitif d’entendre les deux parties (citoyenne/militante, et « forces de l’ordre », comme on les appelle maintenant), et pourtant, on sent chez l’officier directeur de ce centre à la fois un grand professionnalisme, mais aussi poindre la critique des limites d’un tel système, dépendant de technologies extérieures. La police dépendant des industriels pour faire leur travail, ce n’est pas forcément nouveau, mais avec ton regard de journaliste, comment perçois-tu cette transition vers le numérique (« digitalisation », dirait-on dans certain milieux) ? Notamment en ce qui concerne la question de l’intelligence artificielle ?
(HS: on en profite pour signaler à celleux que ça intéresse une autre émission de France Culture, « Pass sanitaire et identité numérique : quels dangers pour nos libertés ? » avec l’incontournable Olivier Tesquet, mais aussi William Eldin, CEO de l’entreprise XXII dont les technos nous font plus flipper que rêver, et que tu interviewais aussi dans cet épisode 3)
Pour moi la vidéosurveillance, d’autant plus si elle est automatique, est un parfait exemple de solutionnisme technologique et c’est là où une partie de l’approche de La Quadrature du net me parle. Toute une série de facteurs d’ordre économiques, sociaux, politiques créent des situations d’insécurité et de la violence dans la société. Mais plutôt que de se confronter aux causes réelles du phénomène, on présente une solution technique comme à même d’éliminer tous les symptômes. Alors certains mettent en place des dispositifs avec professionnalisme et déontologie comme c’est le cas de Christian Belpaire à Roubaix avec qui il est vraiment intéressant d’échanger sur ces questions. Certains entrepreneurs réfléchissent sincèrement comme William Eldin qui dirige l’entreprise XXII sur ce qu’ils produisent et sur les moyens d’utiliser à bon escient la vidéosurveillance automatique. Dans des situations particulières cela peut certainement être très utile. Mais à aucun moment on pose la question du rapport coût/efficacité/conséquences pour les Droits humains. La Cour des Comptes elle-même a mis en garde les collectivités locales contre les dépenses liées à la vidéosurveillance dans la mesure où aucune enquête ne prouve jusqu’à présent son efficacité pour lutter contre la délinquance par rapport aux dispositifs préexistant. Mais cela n’empêche pas les politiques d’en installer toujours plus. Je le vois concrètement à Saint-Denis où j’habite depuis les dernières élections municipales de 2020. Les entreprises ne s’y trompent pas non plus. La pression sur les collectivités locales est très importante car les sommes en jeu sont colossales. Et l’argent qui est utilisé là, n’est pas utilisé ailleurs.
Les investissements dans ce domaine participent d’une logique politique actuelle qui préfère mettre beaucoup de sous sur un temps réduit dans des équipements plutôt que de financer sur le long terme des salaires. Pourtant, j’ai passé beaucoup de temps dans les quartiers populaires à Dunkerque et j’ai pu observer l’impact positif que pouvait avoir la présence des éducateurs de rue sur la délinquance et bien d’autres situations de détresse. Et pourtant, je ne connais aucun politique qui actuellement se vante d’augmenter les ressources de ces dispositifs de prévention spécialisée.
Enfin, la quatrième et dernière partie s’intéresse aux solutions. Là encore, on y croise des gens proches de Framasoft ou qu’on aime beaucoup (coucou Geoffrey), et même des personnes de Framasoft (l’une de nos co-présidentes, Maiwann). Toujours sans redire ce qui s’est dit dans le documentaire, quels étaient tes sentiments en interrogeant ces chercheurs, journalistes, militant⋅es ? T’es-tu dit que c’était foutu ou qu’il restait de l’espoir ?
Je suis de nature optimiste. Des peuples ont renversé des autocrates tout puissants tout au long de l’histoire. Rien n’est définitif. On parle aujourd’hui plus que jamais de ces dispositifs de surveillance numérique. On commence à comprendre le danger qu’ils représentent pour la démocratie. Des structures comme Framasoft obtiennent une audience auprès du grand public qu’aucun bidouilleur du logiciel libre n’a eu jusqu’à présent. De plus en plus de personnes comprennent les nécessités d’étendre le chiffrement à toutes les communications numériques. L’application Signal s’impose comme une référence dans le domaine de la messagerie… Alors certes, la puissance des multinationales peu vertueuses et des autocraties sans scrupule n’en sort pas diminuée. Mais il y a de l’espoir. Et ce que j’aborde dans le documentaire n’est qu’une toute petite partie des initiatives et résistances qui existent et se développent aujourd’hui.
Au final, maintenant ce travail publié et diffusé, il y a forcément pour nous une frustration à ce que ce travail de vulgarisation et de sensibilisation, qu’on considère comme important et largement financé par de l’argent public, ne soit pas sous licence libre (si les hautes sphères de Radio France nous lisent et veulent en discuter, on est disponibles pour en parler !). Cependant, te concernant, quelles suites souhaiterais-tu voir donner à cette série ?
La licence n’est pas libre car actuellement Radio France tente de reprendre la main sur la diffusion de ses podcasts face aux plateformes qui réalisent des profits grâce aux productions du service public. Le paradoxe est donc qu’il faut restreindre la diffusion pour qu’elle soit plus pérenne et ne soit pas soumise au bon vouloir des Google, Apple et autres Spotify. Cependant toutes les productions de France Culture sont disponibles sur le site internet tant que Radio France restera un service public. On ne peut donc qu’espérer qu’un maximum de personnes écoute, partage, commente, critique et se réapproprie les pistes que j’ai déployées dans cette série documentaire. Ce n’est qu’une brique de plus dans les efforts fait pour documenter et réfléchir la place de la technologie dans la société et il reste beaucoup à dire et à faire.
Dernière question, traditionnelle : y a-t-il une question que l’on ne t’a pas posée ou un élément que tu souhaiterais ajouter ?
Demandez à Google et à la NSA… ils doivent bien savoir ce que l’on a oublié.
Merci Antoine !
[RÉSOLU] : désormais en italien !
Annoncé en juin 2020, [RÉSOLU] est un ensemble de fiches didactiques visant à favoriser et préparer l’adoption des logiciels libres. Elles sont destinées aux association d’éducation populaire et de manière générale à toutes les structures de l’Économie Sociale et Solidaire.
Les structures concernées par [RÉSOLU] n’existent évidemment pas uniquement en France. Et voici annoncée une version italienne qui trouvera sans conteste ses lecteurs et contributeurs ! Le projet de traduction a été initié par Nilocram qui suit et même propage de temps à autre les activités de Framasoft auprès de ses compatriotes italiens.
Nous lui laissons la parole pour l’annonce !
[RESOLU] Une traduction en italien très attendue
Par Nilocram
En décembre de l’année dernière, sur mon blog, j’ai présenté [RÉSOLU], un guide d’utilisation des logiciels libres s’adressant notamment aux organisations qui agissent pour l’économie sociale et solidaire.
Le guide a été créé par Framasoft en collaboration avec d’autres associations et publié en français, en format papier et numérique, par Framabook. Je l’ai trouvé très utile et intéressant. J’ai donc essayé d’en traduire un extrait (ici, en pdf).
Parfois ça m’arrive de traduire mes coups de cœur 🙂
J’ai conclu mon billet en constatant que vu l’intérêt et l’utilité du guide, il aurait été bien de le traduire de manière collaborative.
Reti Etiche e Soluzioni Aperte per Liberare i vostri Utilizzi
Ça peut paraître incroyable, mais cette fois c’est vraiment arrivé !
Les amis de l’association LinuxTrent ont décidé de relever le défi et de traduire l’intégralité du guide en italien.
LinuxTrent est une association qui rassemble un groupe important et actif d’utilisateurs de GNU Linux dans la province de Trente et ses environs. C’est une association à but non lucratif qui promeut le logiciel libre, l’hardware libre, les données ouvertes et les droits numériques des personnes dans la réalité de la région avec une attention particulière aux écoles et à l’administration publique.
Lorsque le président de l’association, Roberto Resoli, a lu l’extrait du guide, il a pensé qu’il s’agissait d’un travail de bonne qualité qui pourrait être d’une grande aide pour éveiller la conscience de ceux qui travaillent dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Il a demandè si quelqu’un avait envie d’aider, et il a obtenu une bonne réponse : c’est ainsi que la traduction a commencé.
Le travail de traduction a été organisé par LinuxTrent à l’aide des logiciels libres Nextcloud et Collabora Online (la version en ligne de LibreOffice).
Un grand merci à Ilario Quinson, Roberto Resoli, Danilo Spada, Daniele Zambelli qui avec leur travail ont permis l’achèvement de la traduction italienne à laquelle j’ai également apporté ma petite contribution.
Un an après la publication de l’édition française, voici enfin la traduction italienne !
[RÉSOLU] est téléchargeable à partir de cette page sur le site de LinuxTrent. Il est disponible en format .pdf et aussi en format .odt pour ceux qui veulent le modifier et le réutiliser, en améliorant peut-être la mise en page.
Note : la version italienne a tout récemment été retranscrite en markdown pour intégrer le dépôt GIT dédié au projet. La version web en italien ne saurait tarder.