No Es Una Crisis : un documentaire à la fois déjà libre et bientôt libre !

Sorti en octobre 2013, No Es Una Crisis est un passionnant documentaire de Fabien Benoit et Julien Malassigné traitant de la situation politique et économique en Espagne dans le sillage du mouvement des Indignés.

Sa particularité : c’est, à notre connaissance, le premier web-documentaire professionnel créé et diffusé sous licence Creative Commons BY-SA[1] . Les images, les sons, les sous-titres, sont donc en effet réutilisables librement (à condition de citer les auteurs et de conserver les œuvres dérivées sous la même licence). Ce qui fait plus de 3h de média de qualité professionnelle accessibles pour tous.

Mais, ami-e libriste, ne te jette pas à clic perdu sur ce lien, ou ta déception risque d’être grande ! En effet, la diffusion se fait dans un format fermé (Flash), ce qui empêche sa visualisation sur de nombreux supports : smartphones, tablettes, GNU/Linux et même Windows XP (dont le support des dernières version de Flash était incomplet jusqu’à il y a peu).

Or, il se trouve que Framasoft partage le même bureau[2] que l’équipe de production de ce web-documentaire ! Nous leur avons donc proposé notre aide à deux niveaux. 

D’abord, nous avons hébergé les fichiers vidéos du web-documentaire, particulièrement sollicités lors de l’annonce sur différents sites de la presse nationale et espagnole. Grâce à l’aide précieuse de Rézopole (pour la mise à disposition de serveurs et surtout de bande passante) et de Fabien Bourgeois (notre autre voisin de bureau, pour l’aide à la configuration de ces serveurs), le webdoc a pu dépasser sans encombre les 60 000 visualisations, avec des pics à 2x200Mbps et plus de 6To transmis sur quelques jours.

Mais surtout, nous avons proposé aux auteurs de les aider à « libérer » totalement leur oeuvre en organisant mi-décembre un week-end de « conversion » de leur documentaire en Flash dans une technologie libre et ouverte (HTML5). Un « liberathon », en quelque sorte !

Vous en apprendrez plus à la fin de cette entrevue avec Jean-Baptiste Fribourg, producteur du documentaire à la Société de Apaches.


Bonjour Jean-Baptiste. Avant tout peux-tu te présenter et présenter La Société des Apaches ? 

La Société des Apaches est une jeune structure de production audiovisuelle, elle a tout juste un an. Elle s’est montée autour du projet de Julien et Fabien, ce web-documentaire NO ES UNA CRISIS. Au-delà de cette première réalisation, son objectif est de faire travailler de jeunes auteurs et réalisateurs de documentaires, pour qui il peut être parfois compliqué d’avoir une écoute auprès de sociétés de production déjà dans la place. Notre ligne éditoriale, pour la résumer en quelques mots, consiste à témoigner de notre époque comme un moment charnière, entre les soubresauts d’une époque révolue et les prémices d’un monde en train de se réinventer. Je m’occupe du suivi administratif des projets développés par La Société des Apaches, du travail de production en somme. Par ailleurs je suis preneur de son pour le cinéma documentaire, et réalisateur de documentaires radiophoniques.

Donc, vous avez produit le web-documentaire No Es Una Crisis. Peux-tu nous dire quelques mots sur la génèse de ce webdoc ? 

Fabien et Julien sont partis à Madrid à l’été 2011, intrigués par le mouvement indigné qui avait secoué l’Espagne à partir du 15 mai 2011 (d’ailleurs là-bas, ce mouvement s’appelle le 15M, en référence à cette date fondatrice). Frappés par ce mouvement social nouvelle génération, ils sont revenus en France avec la conviction qu’il y avait là une histoire à raconter, qu’il était essentiel même de transmettre cette expérience en France, où le traitement médiatique du 15M avait été au mieux léger, au pire caricatural. 

Au cours du travail d’écriture, il leur est apparu que pour parler du mouvement 15M, il fallait aussi parler de son contexte, à savoir la crise économique qui a déstabilisé l’Espagne suite à l’explosion de la bulle immobilière, et la sévère politique de rigueur qui a été l’unique réponse des gouvernants, de gauche comme de droite, face à cette crise. Ainsi, peu à peu, le propos de Julien et Fabien s’est élargi, pour parler de l’Espagne comme un double laboratoire : celui d’un système économique à bout de souffle qui cherche à se renouveler dans l’austérité, et celui de nouvelles pratiques sociales et politiques dans le sillage du mouvement du 15M. Quant au choix du format web-documentaire, il nous a semblé qu’il était tout à fait adapté pour traiter d’un mouvement social qui a su utiliser toute la puissance d’internet et des réseaux sociaux. Nous avons aussi pensé qu’il faciliterait une diffusion hors de France, ce qui s’est avéré avec un nombre de visites plus important en Espagne qu’en France.

Pour en savoir plus, voir http://blog.noesunacrisis.com/le-projet/

Comment avez-vous financé ce travail ? 

Ça a été un long processus, où nous avons sollicité différents guichets. D’abord, en tant qu’auteurs du projet, Fabien et Julien ont sollicité, et obtenu, une aide à l’écriture du CNC, dédiée aux projets dits « nouveaux médias ». C’était au printemps 2012, et forts de ce qui constituait en somme une « validation » de l’intérêt de leur projet, ils ont alors lancé une campagne de financement participatif, sur KissKissBankBank. L’idée était de pouvoir se payer un tournage en Espagne : 10 000€ sont alors levés. Parallèlement, un dossier de mécénat déposé à la Fondation Un Monde Par Tous nous permet d’obtenir 15 000€ supplémentaires. Avec toutes ces bonnes nouvelles, nous nous disons alors qu’il est temps de se doter de notre propre outil de travail, pour sortir un peu de l’esprit Do It Yourself qui avait prévalu jusque-là : La Société des Apaches est créée. Avec elle, nous serons en mesure de solliciter à nouveau le CNC, pour une aide à la production cette fois-ci, puis la Région Rhône-Alpes. Parallèlement nous avons développé des partenariats pour l’hébergement des vidéos, la conception du blog qui accompagne le webdoc, la communication autour du lancement, etc.

Vous avez choisi la licence Creative Commons BY-SA pour votre webdoc. Peux-tu nous expliquer les raisons de ce choix ? 

En fait ça nous a semblé une évidence dès le départ. Nous avons eu du mal à imaginer plaquer le modèle classique du droit d’auteur, qui doit concerner 99% de la production audiovisuelle, sur un format dédié au web. Il y avait pour nous quelque chose d’incongru d’apposer sur le web-doc la mention habituelle « tous droits réservés, toute duplication interdite, toute projection interdite, etc. ». Non ! Justement, le choix du webdoc était principalement motivé par la facilité de circulation du projet que ce format suppose. 

On trouvait aussi le principe du CC tout à fait en accord avec le financement participatif qu’on avait sollicité. Quant au choix de la licence, on était d’abord parti sur quelque chose de plus restrictif, à savoir NC[3] . Et puis on s’est dit qu’on ne prenait pas grand risque à l’ouvrir complètement, que le NC était restrictif sans raison : pour le dire autrement, une chaîne de TV privée ou une agence de pub va-t-elle réutiliser nos images ? On peut sérieusement en douter, d’où le choix au final évident du BY-SA. L’aboutissement de cette démarche a été de proposer en téléchargement toutes les séquences vidéo qui constituent le webdoc, avec leurs fichiers de sous-titrage. Ainsi chacun peut s’approprier notre matériel.

Avez-vous rencontré des difficultés, des réticences, lors du choix de cette licence ? 

Alors d’abord je dois dire qu’on n’est absolument pas des spécialistes du CC ! Personnellement j’avais découvert ces licences en 2006, quand j’ai commencé à réaliser des documentaires radiophoniques pour ARTE Radio.com, la webradio d’Arte, qui diffuse toutes ses productions en CC-BY-SA-NC. A l’époque d’ailleurs, il me semble qu’ils étaient un peu des pionniers du CC. Mais à part ça, on a quand même beaucoup défriché tout ça tout seuls ! Ce qui nous a conduit à faire des erreurs, comme avec certaines musiques d’illustration, qui ont une licence BY-SA attribuée à NO ES UNA CRISIS, donc qui ne devraient pas être amenées à pouvoir circuler librement avec le reste du webdoc. Ca fait que NO ES UNA CRISIS est libre à 99% en vérité : on va dire que c’est cohérent avec le slogan « We are the 99% » cher aux mouvements Occupy et 15M ! Plus sérieusement, on constate que les cadres de production, même pour les webdocs, sont très inspirés des cadres classiques de la production audiovisuelle. Par exemple, pour prouver à un financeur public (CNC ou collectivité locale) que le producteur et l’auteur sont engagés l’un envers l’autre, le contrat qui les lie doit être accompagné d’un versement de droits d’auteur. Et pas de dossier de demande de subvention valable sans les justificatifs AGESSA correspondant ! (l’AGESSA est la Sécurité Sociale des auteurs). Je trouve ça curieux.

Quelques jours avant la diffusion du webdoc, vous avez eu un souci avec Dailymotion, que s’est-il passé ?

Nous avions convenu d’un partenariat avec Dailymotion, à propos de l’hébergement des vidéos du webdoc. Nous étions très heureux de ça, pensant avoir accès au nouveau service de Dailymotion, DM Cloud, qui nous permettait de développer notre propre player, de faire gérer les différentes versions linguistiques par Flash, etc; Sauf que, tout contents de ça, nous n’avions alors pas pris la peine de préciser les modalités de ce partenariat. Erreur de débutant de notre part, c’est clair… Du coup ça a été un peu terrible pour nous quand le malentendu est devenu flagrant, à savoir quand notre web-développeur a voulu récupérer les codes d’accès au service DM Cloud, et qu’on lui a répondu que c’était Dailymotion Premium qui était prévu ! Le hic, c’est que ça ne pouvait pas du tout fonctionner avec l’interface développée ! Nos contacts chez DM étaient conscients de la situation dans laquelle nous nous trouvions, aussi ils nous ont fait une proposition commerciale allégée pour l’accès à leur service Cloud. Mais ça restait très problématique pour nous, puisque la facture finale dépendant du débit utilisé : pour le dire autrement, plus NO ES UNA CRISIS serait vu, plus on paierait. Voire, s’il devait cartonner, nous mettrions la clé sous la porte ! On a donc eu quelques heures de sueurs froides, et c’est là que la magie de la mutualisation a opéré, et que nous voyant dans le pétrin, tu nous as dit peut-être pouvoir faire quelque chose…

Lorsque tu échanges avec d’autres équipes de réalisation de webdoc, tu leur parles de votre choix de licence ? Ça leur parle ? En d’autres termes, et si c’était à refaire, vous feriez le même choix ? 

Sans hésiter, nous referions le même choix, qui est cohérent par rapport au propos de NO ES UNA CRISIS et qui est en parfaite adéquation avec le format web-documentaire. En plus, de façon tout à fait pragmatique, ça nous donne un angle supplémentaire de communication pour parler du projet. Je suis toujours un peu étonné de voir que peu de webdocs sont diffusés en CC. Après il ne faut pas se leurrer, pour des projets futurs qui seraient amenés à être diffusés en télévision, l’enjeu économique ferait que le choix serait plus cornélien : vue la fragilité économique des auteurs dans le documentaire (ils peuvent parfois être les moins bien rémunérés dans une équipe de production), les droits d’auteurs leur sont indispensables. 

Il y a même une perversion du système, où le producteur va négocier à la baisse le salaire de l’auteur, en lui faisant miroiter les futurs droits d’auteur qu’il percevra de la SCAM après la diffusion télé. Personnellement, je ne suis pas contre le droit d’auteur par principe. Je suis même sociétaire de la SCAM pour mon activité radiophonique ! Mais j’estime que la licence libre a un immense intérêt pour permettre une meilleure diffusion des œuvres, et finalement, plus que les droits des auteurs, c’est les droits des producteurs qu’elle conteste, ces droits qui peuvent parfois être une rente. Je trouve dommage que des institutions comme la SCAM soit un peu obtue sur cette question du libre, elle gagnerait à mettre ses compétences au service des réflexions qui entourent ces nouveaux modes de diffusion, et les auteurs aussi y seraient gagnants.

Venons-en à la question qui fâche (au moins les libristes 😉 ) : pourquoi le choix de Flash comme technologie pour diffuser votre web documentaire, empêchant sa visualisation pour de nombreux internautes ?

Le choix de Flash est une très bonne illustration de ce que je disais tout à l’heure sur les licences CC : ce n’était pas notre univers, on s’y est mis peu à peu, on a voulu bien faire… et on s’est planté ! On a choisi Flash sans aucune idée des implications que ça pourrait avoir sur l’accessibilité du webdoc, un comble ! Le choix s’est principalement fait pour des raisons de budget. Notre web-développeur nous avait indiqué que Flash serait moins coûteux que HTML5, et comme à l’époque, on avait accepté son devis sans avoir encore bouclé le financement du projet, le choix de Flash nous permettait de réduire le risque financier. En plus, si on savait bien qu’avec Flash nous n’aurions pas accès aux tablettes, on s’était dit que l’audience des webdocs y étant encore assez confidentielle, on pouvait s’en passer. Par contre on ne savait pas que ça allait coincer sous Linux ! Donc Flash, c’est une erreur de débutant, mais dans un contexte budgétaire contraint.

D’où l’idée de monter ce « liberathon » avec Framasoft, donc. Peux-tu nous en dire plus ?

Effectivement, on invite tous ceux qui seraient prêts à nous aider sur ce challenge de basculer NO ES UNA CRISIS en HTML5 à nous rejoindre à Lyon les 14 et 15 décembre. Ça se passera à Locaux Motiv’ où nous avons nos bureaux, La Société des Apaches et Framasoft. Nous pourrons accueillir 15 personnes max (il faut donc se préinscrire). Venez avec vos machines, nous on s’occupe des conditions d’accueil (café à gogo, repas le midi, apéro). Puisque NO ES UNA CRISIS est captif de Flash, il s’agira de le libérer ! L’objectif est d’avoir, le dimanche soir, un webdoc aussi proche que possible de la version originale sous Flash.

Merci Jean-Baptiste, un petit mot pour la fin ? 

En me heurtant aux problèmes techniques qu’a connus NO ES UNA CRISIS (hébergement des vidéos, Flash…), et en étant aidé sur ces questions par Framasoft et Fabien Bourgeois, j’ai découvert que l’informatique était un monde de solutions.

Notes :

[1] Il existe plusieurs documentaires sous licence Creative Commons avec clause non commerciale, comme « Collaborative Cities », ou l’excellent « RIP! A remix Manifesto », mais si vous avez connaissance d’autres web-documentaires sous licence CC BY ou CC BY-SA, n’hésitez pas à nous le signaler en commentaire

[2] Pour rappel, le siège social de Framasoft est désormais situé à Lyon, à Locaux Motiv’, un espace mutualisé ouvert aux structures formelles ou informelles et qui entend favoriser l’implication de chacun, qu’il soit bénévole, salarié ou usager des lieux, en suscitant la coopération et l’échange.

[3] « Non Commercial », imposant une entente préalable avec les auteurs pour une utilisation dans un cadre commercial

Crédits images : La Société des Apaches, licence Creative Commons BY-SA




Chapitre VI — Comptes de la vie errante

Écrire, c’est faire des listes.

Depuis longtemps le site echolalie s’adonne aux délices des listes et méta-listes tous terrains, mais la prolifération virale des listes sur Internet et quelques magazines encore en papier est une mode récente. Nous retrouvons ainsi une très archaïque pratique dont certains estiment qu’elle est à l’origine même de l’écriture, et qu’elle répond au besoin de dénombrer. 

C’est ce même besoin peut-être qui a poussé notre ami Pouhiou, le vagabond duraille, à établir une sorte de bilan de ses déplacements et de leur coût financier, de même qu’il fait sans doute quotidiennement le bilan de son travail d’écriture en nombre de mots et de chapitres ou séquences. 

Nous le retrouvons aujourd’hui à Limoges, c’est-à-dire autant chez lui qu’il est possible, parmi ceux qui l’entourent de leur amitié et contribuent ainsi à la création.

J’irai écrire chez vous épisode 6 : Limoges

Limoges est un passage obligé dans mes pérégrinations scripturales. Non pas pour la ville en elle-même (et certainement pas pour les porcelaines !)… Mais parce que j’y retrouve l’ami qui a tant de fois hébergé ma plume… et initié, quelque part ce défi fou.

Je n’ai pas écrit dans le train.

C’était pourtant mon espoir secret. Durant mon voyage, je suis tombé sur une promo SNCF, qui mettait le train au même pris que le co-voiturage. Ce qu’il y a de bien dans le co-voiturage, c’est qu’on y parle. C’est aussi mon problème : quand je parle, je n’écris pas. Voyant la promo, je me suis dit : en préférant le train, je pourrai bosser durant les temps de transports, et gagner ainsi quelques précieux mots. Car voyager tous les trois jours, c’est perdre quasiment une journée d’écriture à chaque fois.

Je n’avais pas prévu que mon voisin de train poserait un magazine sur la tablette que nous partagions. Que ce magazine serait ouvert à l’article « Numérisation des livres : l’enjeu de demain » (ou un truc du genre). Et que je pouffe devant ce titre, pensant au BookScanner de Benjamin Sonntag.

Résultat : 4 heures de train ET de discussions passionnées avec un inconnu dont je n’ai même pas su le prénom.

Étienne, mon ami bulle d’oxygène

À Limoges, il y a Étienne. Étienne, c’est le mec qui m’a appris à dire « et alors ? ». À mettre un peu de légèreté dans la gravitas avec laquelle je prenais la vie. Étienne, c’est le mec à qui je peux dire : « écoute ça fait trois mois que je fais mes recherches, ma structure, etc. là il faudrait que je me mette à taper ma pièce de théâtre, mais c’est la première, et je sais pas, et j’ai peur, et… » Et il va me fermer ma gueule. Me dire de venir dans sa chambre d’étudiant à Nancy. De décompresser.

Bandeau du site http://et-alors.net/

J’ai réussi à entamer l’écriture de Tocante chez lui. Puis j’y re-squatté chez lui, pour la 2e version de cette pièce, pour le théâtre en appartement. J’ai testé le principe des NoéNautes chez lui et Valérie, le fameux « cul de Fulbert » est né alors qu’il m’apprenait à couper du bois. J’ai fini #MonOrchide chez eux, inspiré par les phrases des lecteurs dont une d’Étienne. Je ne pouvais pas ne pas aller écrire chez eux.

J’ai écrit chez Étienne et Valérie

Résumé des épisodes précédents : le dernier jour chez Adrienne, premier jour du chapitre IV, je n’écris que 600 mots. Le jour suivant je n’écris pas dans le train vers Limoges. Le temps d’arriver, de retrouver Étienne et Valérie, manger un morceau ensemble (avec des amies communes), etc. On est déjà le soir. Je m’éclipse devant ma tablette et finalise le billet de blog contant le retour sur Paris. Il est minuit quand je m’attèle enfin au chapitre IV. Je n’en peux plus j’ai les yeux qui partent en couilles d’hirondelle (comme le dirait madame Marquet). Bien, on n’y arrivera pas aujourd’hui, on verra demain. Le lendemain, coup de mou. 2700 mots, presque 2 jours à rattraper, et aucune avance. Il est grand temps d’appliquer ce qu’Étienne m’a appris : le fameux “et alors ?”. Je me promène et j’écris. Je papote avec Étienne, Valérie et leurs proches et j’écris. On regarde United States of Tara et j’écris…

Un chapitre IV jouissif

Tout cela parce qu’au dîner la veille, on échangeait nos madeleines proustiennes. L’odeur du chocolat qui rappelle le papa menant à l’école en vélo, glissant une barre de chocolat dans le cartable avant de laisser l’enfant. Souvenirs, madeleines de Proust… J’ai eu envie de parler de deux collectionneurs de madeleines. C’est un premier jet. Le clavier bluetooth de ma tablette ajoute ses fautes de frappes aux miennes. Il y a beaucoup d’approximations qu’il faudra vérifier, mais pas le temps d’affiner les recherches. C’est un premier jet qui file entre les doigts… en 3 jours le chapitre est bouclé. Mais what a fucking premier jet ! Ça va tout seul, ça va loin, ça me ramène dans “mon” Palais des Papes (j’y ai été guide stagiaire dans une autre vie)… Et j’en profite pour explorer des angles littéraires qui ne devraient pas exister dans toute géométrie qui se respecte. Comme le dirait madame Marquet : ce livre m’espante de plus en plus.

La geste des transports

Mine de rien, ça coûte de la thune, de voyager. Surtout quand t’as pas beaucoup pour entamer le mois. On a commencé à Paris. Afin que je participe à la journée Domaine Public à l’assemblée Nationale, Framasoft m’a payé le billet de train (ce qui est une belle raison de plus de les soutenir de vos dons — et ce sera déductible des impôts en plus).

Mais profitant d’une promo SNCF, j’ai fini d’acheter mes billets de train. Du coup, juste en transports j’en suis à :

  • Paris-Rouen : 22 € (train, parce qu’un covoitureur me lâcha à la dernière minute)
  • Rouen-Brest : 30 € (covoiturage)
  • Brest-Rennes : 12 € (covoiturage)
  • Rennes-Paris : 20 € (covoiturage)
  • Paris-Limoges : 19 € (train)
  • Limoges-Toulouse : 19 € (train)
  • Toulouse-Foix-Toulouse : offert par la région Midi Pyrénées (c’est chou de sa part mais elle ne sait pas que j’use pour cela mes billets Midi-Pyrénées-emploi !)
  • Toulouse-Lyon : 29 € (train)
  • Lyon-Nice : 38 € (train)

Tout cela c’est sans compter les tickets Ratp, les bus à Rouen, Rennes, etc. ni le billet de retour Nice-Toulouse. Bref : 189 € en tout, comme quoi être vagabond ça coûte !

Le conte des comptes.

Qu’à cela ne tienne, j’ai eu des dons. 270 € de dons déjà ce mois-ci. Les deux derniers dons Paypal me touchent particulièrement. Deux personnes qui me connaissent, avec qui on bosse, qui m’ont déjà beaucoup aidé de leurs collaborations et soutiens indéfectibles… Qui en plus me soutiennent de leur argent. C’est un vrai privilège que de pouvoir instiguer ce genre d’échanges, de dynamiques. Alors voilà, tu vois que mes comptes s’équilibrent (plutôt peu que prou, mais bon…) Donc n’hésite pas à soutenir Framasoft qui permet abrite et relaie ce genre de vies, et à venir flattrer mes articles sur NoeNaute.fr (même que sur octobre j’ai touché 10 € 55 de Flattr !)

J’arrête là mes comptes, mon train arrive en gare de Foix…

La cité comtale pour y écrire des contes… Forcément !

À dans trois jours,

— Pouhiou.




Livre numérique : DRM gouvernemental contre l’amendement Attard !

Lecteurs contre les DRM

Livre numérique : DRM gouvernemental contre l’amendement Attard !

Jeudi dernier, l’Assemblée nationale approuvait un amendement à la loi rectificative de finances pour 2013, écrit par la députée Isabelle Attard et présenté par le groupe EELV.

Cet amendement constitue une réponse appropriée à plusieurs graves dérives du marché du livre numérique.

Il tire les pleines conséquences de la modification du statut économique du livre numérique « verrouillé », par des mesures techniques de protection (MTP ou DRM). Un livre que son lecteur ne peut consulter sur tous les appareils, ni céder, ni revendre ne constitue pas une propriété, tout au plus une licence d’utilisation. L’usage fait l’objet : un livre « infirmé », qui ne respecte pas les droits fondamentaux du lecteur, ne peut être qualifié de livre, ni recevoir les avantages matériels et fiscaux qu’accompagne cette qualification. C’est pourquoi il était proposé que les livres numériques vendus sans DRM et dans des formats ouverts se voient appliquer un taux de TVA favorable de 5,5%, alors que les livres verrouillés auraient été soumis à un taux de 19,6%.

Cette solution contribue à réguler les pratiques problématiques de nouveaux intermédiaires. Amazon se donne ainsi les moyens de pratiquer des prix inférieurs au marché en recourant à une politique d’optimisation fiscale intensive. Face aux difficultés qu’ils posaient aux consommateurs, Apple de son côté a abandonné les DRM sur les fichiers musicaux, mais pas pour les eBooks. Les mesures de protection de type DRM et les formats propriétaires étant privilégiés par ces nouveaux acteurs de l’économie numérique, une telle mesure fiscale serait de nature à rééquilibrer le marché.

Enfin, l’amendement pourrait faciliter les négociations actuellement en cours entre la France et l’Union Européenne autour de la fiscalité du livre. Pour l’Union Européenne, le livre numérique verrouillé serait assimilé à un service : il ne pourrait ainsi bénéficier d’une TVA réduite.

L’amendement n’a pas tenu 24 heures.

Dès vendredi le gouvernement appelait à le supprimer, au motif qu’il « existe un risque d’entraîner la condamnation de la France pour l’application du taux réduit de TVA au livre numérique ». L’amendement fragiliserait la position de la France vis-à-vis de la commission européenne, alors qu’il constitue justement une bonne piste de compromis. Le gouvernement souligne également que « la modulation de la TVA n’est pas le bon moyen » pour parvenir à réfréner les tendances monopolistiques du marché du livre numérique. Or, aucune mesure alternative n’est évoquée. En repoussant cet amendement, le gouvernement aura finalement défendu les DRM « au nom de l’accès pour tous à la culture et du livre ». Est-ce cela la conception française de l’exception culturelle ?

Cette intervention du gouvernement a manifestement eu lieu sous la pression de grands éditeurs français. Car bien que ces derniers soient prompts à se plaindre des acteurs comme Amazon ou Apple, ils ne sont pas plus respectueux des droits des utilisateurs et vendent leurs livres numériques verrouillés par des DRM. L’amendement ne visait pas spécifiquement Amazon ou Apple, il défendait le droit de lire, comme un bien commun, et l’attitude de ces éditeurs est instructive à cet égard.

La réaction du gouvernement n’est pas seulement infondée sur le fond. Elle constitue un déni de démocratie sur la forme. Voté par l’Assemblée nationale en pleine connaissance de cause, au terme d’un débat assez animé, l’amendement est retiré en toute discrétion. Le retrait a été proposé in extremis à la fin de la session de vendredi soir aux quelques députés présents. Il n’a fait l’objet d’aucun débat, ni même d’aucune présentation orale. Aucun nouvel argument n’a été apporté : le gouvernement s’est contenté de répéter une postion qui n’avait pas emporté l’adhésion la veille. Ajoutons que la Ministre de la Culture et de la Communication déclarait pourtant le 7 novembre dernier vouloir « mettre le public au cœur de l’acte de création, lui donner sa place dans l’espace numérique. Il s’agit de passer d’une politique de l’accès aux ressources culturelles numériques à une politique des usages ». Quelle ironie !

Dans un pays qui se targue d’être un modèle de démocratie, il n’est pas concevable que la moindre mesure allant à l’encontre des intérêts de quelques grands éditeurs soit immédiatement court-circuitée, au mépris des principes élémentaires du débat démocratique. Les députés, par leur vote, et la société civile, par ses nombreuses réactions favorables, montrent que cette mesure répond à une attente forte. Les évolutions accélérées de l’économie du livre appellent une révision rapide du cadre législatif existant, qui jusqu’à maintenant n’a pas eu lieu. Le levier fiscal est celui qui doit être privilégié pour réguler les rapports entre les acteurs du livre numérique et aboutir à une plus juste répartition de la valeur, plutôt que de passer par des mesures qui rognent sur les droits des utilisateurs, comme par exemple la remise en cause de la revente d’occasion qui a été annoncée récemment.

Le rapport Lescure lui-même, qui rappelons-le portait sur l’exception culturelle, considère que « le manque d’interopérabilité lié aux DRM limite les droits du consommateur et peut nuire au développement de l’offre licite de contenus culturels ». Il ajoute qu’ « en contribuant à la constitution d’écosystèmes fermés et oligopolistiques, il constitue une barrière à l’entrée, une entrave à la concurrence et un frein à l’innovation ». En repoussant cet amendement, le gouvernement socialiste et les députés qui l’ont suivi ont privé la France d’une solution pour remédier à ces problèmes, qui nuisent depuis trop longtemps à la culture.

Le débat sur la loi rectificative de finances va à présent se poursuivre au Sénat. SavoirsCom1, Framasoft, Vecam, April, La Quadrature du Net et l’Association des Bibliothécaires de France signataires de cette déclaration commune, appelons les sénateurs attachés au débat démocratique à réintroduire cet amendement afin qu’il puisse être discuté à nouveau. Nous invitons le gouvernement à ne pas entraver de nouveau un débat nécessaire. Nous appelons également tous les collectifs, associations et acteurs de l’édition numérique, soucieux de défendre les droits fondamentaux des lecteurs et l’accès à la culture, à se joindre à cette déclaration.




Chapitre V — Où Pouhiou use le plancher, démarre le diesel et se souvient qu’écrire c’est pour rire

Ça devait arriver. Comme tout héros de bon road-movie,  Pouhiou repasse sur ses traces et dévoile les dessous des nuits parisiennes du Libre : on y chante du Brel et du Brassens (sans le déclarer à la Sacem !) devant une chouette machine à libérer les livres de leur support matériel.

Mais le plus important c’est tout de même que Pouhiou envisage de renoncer à sa thèse de narratologie, tétanisé tout à coup par la pratique de l’écriture de deux gamins doués : eh oui c’est aussi ça le nanowrimo, redécouvrir qu’écrire est un jeu ! 

J’irai écrire chez vous épisode 5 : re-Paris

Ben oui : retour à la capitale, à mi-chemin de l’aventure. Pas par jacobinisme, mais parce que Paris est au centre des routes. Et qu’on y découvre de merveilleuses personnes.

Chez Adrienne

J’avais rencontré Adrienne sur Toulouse. Sur une conférence « culture libre » à la médiathèque. Lors de mon premier Capitole du Libre l’année dernière. D’ailleurs, cet évènement libriste toulousain aura lieu les 23 et 24 novembre prochains, j’y serai et j’en serai… si vous voulez qu’on s’y retrouve…
Sous un premier abord courtois et modéré, on sent vite que cette illustre wikipédienne a un caractère passionné et un humour pétillant. Néanmoins, si on s’était croisés et appréciés, on n’avait pas vraiment eu le temps de beaucoup échanger. Du coup, quand elle a proposé de m’héberger dans ce romanesque tour de France, je me suis dit que l’occasion était trop belle de découvrir et la personne et son univers.

Des discussions généreuses

Mes aïeux, quelle découverte ! Des soirées de papotages jusqu’à trois heures du matin, où tous les sujets se rencontrent, se répondent. Je ne connais pas, ou mal, le milieu libriste. Adrienne, avec ses nombreuses activités au sein de Wikimédia France, a rencontré tout ce joli monde et m’en a fait visiter une partie, telle une guide bienveillante. On a parlé histoire, littérature, anecdotes familiales, société, éducation, mentalités… J’ai découvert le projet Afripédia qui vise avec pertinence et respect à entrainer le continent africain (et ses cultures) dans cette aventure du savoir encyclopédique partagé… Quand on voit les résultats humains de projets nés du numérique, on ne peut plus dire que « le net, c’est pas de l’IRL, de la vraie vie ». Un peu à l’image de ces partages qui jalonnent mon voyage d’écriture : vrais, intenses, des moments où on est juste contents d’être humains.

Les petits monstres d’Adrienne

Des personnes au caractère vif, épanoui. Deux êtres mus par une vraie soif de découvrir l’autre en échangeant avec lui. C’est très agréable de voir des enfants qui n’essaient pas jouer à faire l’enfant, ou alors avec un second degré bien dosé. Le deuxième soir, j’ai eu droit à un joli cadeau : ils m’ont lu leurs histoires. Le récit fantastique qu’ils écrivent. Ils maîtrisent si bien les codes harrypotteriens (jeune héros découvre son pouvoir / va dans une école / découvre un univers magique et ses castes) qu’ils en jouent avec une aisance folle. Magie élémentaliste, portes dimensionnelles, architecture, moyens de transports, uniformes : tout est pensé, tout fait sens dans une belle unité.

Être le témoin d’un jeu : un privilège.

Jusque dans le style et la narration, leur travail est admirable. L’histoire est écrite avec un vrai sens de la mise en scène. Le premier chapitre débute sur un dialogue pour nous immerger, puis des explications parsèment les descriptions quand le héros découvre/nous fait découvrir le monde imaginaire… Une découverte faite de dialogues et anecdotes qui rendent l’exploration vivante et amusante. les enfants d'adrienne alix racontent leur histoire à pouhiou Le lendemain, juste avant mon départ, ils ont une remarque — à priori anodine — qui me parle terriblement. Je leur dis l’admiration que je porte à leur compréhension/maitrise des codes et à l’inventivité qu’ils y insufflent. Là ils me répondent de manière très naturelle : « mais tu sais, c’est un jeu… » #Blam. Oui, je sais que c’est un jeu. J’ai juste mis 15 ans à me le rappeler. Je peux pérorer, du haut de mes grandes théories de « je n’écris pas, je digère », ou de « je joue avec mes amis imaginaires et ainsi j’écris mes romans »… Eux ils savent déjà, et n’ont eu aucun besoin de rationaliser tout cela dans des addenda (lis ceux de #MonOrchide et tu comprendras).

J’ai aussi écrit chez Adrienne

Non parce que mine de rien, on a bouclé le chapitre III. Un chapitre où j’ai pas mal joué avec des savoirs acquis lors de mes études, souvent en les démontant. Du coup, premier jour du chapitre 4, je n’ai écrit qu’une pauvre page (genre 600 mots). Il y a un schéma qui commence à poindre : débuter un chapitre est long. Une journée de tâtonnements, de recherches, à user un plancher qui n’est pas le mien en faisant les cent pas… Ben oui : je n’ai pas préparé mon roman à l’avance pour mieux le laisser me surprendre. Sauf que cette fois-ci le temps est resserré. Qu’importe, il me faut le prendre pour laisser éclore ces débuts de chapitre. Un démarrage difficile, diesel, suivi de journées d’écritures prolixes, appliquées et prenantes. J’explose de rire quand je me vois tout triste d’écrire la tristesse d’un personnage. Je tergiverse et trépigne lorsque je ne veux pas écrire une scène qui sera horrible dans sa violence minimaliste et déshumanisée…

Les soirées parisiennes

Bon, vu que ça ne sortira pas des internetz, je peux l’avouer : on s’est rendus au Quadrapéro. Les apéros ouverts tenus mensuellement par la Quadrature du Net. Si je veux faire sérieux, je peux dire que cette soirée est l’occasion de faire un point informel et informatif sur tous les sujets liberticides du moment.

Je peux ajouter que découvrir le BookScanner monté par Benjamin Sonntag est un émerveillement, dont on a envie de voir plein de petits émules tourner constamment à plein régime. 

Je peux aussi dire que découvrir Benjamin, parler avec Sylvain, retrouver Lionel ou observer Jérémie en monsieur Loyal… Bref que voir tous ces gens est une joie, un réconfort pour les petits combats qui nous tiennent à cœur et demandent nos énergies. Mais ce serait éclipser que les pizzas coulent à flots (parfois aidées de quelque liqueur) et qu’on peut finir par entendre quelques paroles de Brel et Brassens s’élever dans les voix…

Et, au lendemain de la fête, on part vers Limoges…
À la fois fatigué et empli.

À dans trois jours,

— Pouhiou.




Pourquoi Microsoft Word doit-il mourir ?

Cet article est le fruit d’une traduction collaborative menée via la liste linuxedu sur un framapad.

Le titre original est : « Why Microsoft Word must Die? ». Son auteur Charles Stross est un écrivain britannique de science fiction. Très connu dans le milieu de la science fiction et du fantasy, il a obtenu plusieurs prix dont le prix Hugo.

Avant de pouvoir traduire son texte, nous lui avons demandé son autorisation ainsi que la licence qu’il souhaitait poser. Le texte suivant est donc en CC-By-Nc-Sa. Un grand merci à lui pour sa réactivité et surtout cet article très intéressant.

En tant qu’enseignants, nous ne pouvons que recommander cette lecture. On entend parfois comme argument que le système éducatif doit former à Word car c’est ce qui est présent dans le monde professionnel. Ceci est une véritable insulte à nos missions. Cela signifie que la qualité de notre enseignement est pauvre au point que nos élèves soient incapables de s’adapter à divers contextes logiciels ! Notre rôle est de les former à une classe de logiciel pas à un « outil » particulier aussi bon ou aussi mauvais soit-il. Vu les programmes actuels, peu d’élèves sortent en sachant utiliser correctement un traitement de texte. Le paradigme de la machine à écrire améliorée perdure.

Microsoft Word

Pourquoi Microsoft Word doit mourir ?

Je hais Microsoft Word. Je veux la mort de Microsoft Word. Je hais Microsoft Word avec une passion ardente et enflammée. Je hais Microsoft Word à la manière dont Winston Smith haïssait Big Brother. Et, de manière alarmante, nos raisons ne sont pas si différentes…

Microsoft Word est un tyran pour l’imagination, un dictateur mesquin, sans imagination et inconséquent qui est mal adapté à une quelconque utilisation créative par un écrivain. Pire : Il est en situation de quasi-monopole, dominant l’univers des traitements de texte. Son statut quasi monopolistique envahissant a fait un lavage de cerveaux aux développeurs de logiciels, à un point tel que peu d’entre eux peuvent imaginer un traitement de texte comme autre chose qu’une pâle copie du Monstre de Redmond. Mais qu’est-ce qui ne va pas exactement ?

J’utilise des traitements de texte et des éditeurs de texte depuis environ 30 ans. Il y eut une époque, avant la domination de Microsoft Word, où plusieurs paradigmes radicalement différents pour la préparation et le formatage de texte étaient en compétition dans un marché ouvert des idées. L’une des premières combinaisons, particulièrement efficace, était l’idée d’avoir un fichier texte, contenant des commandes imbriquées ou des macros, qui pouvait être édité avec un éditeur de texte pour les programmeurs (comme ed ou teco, ou plus tard vi ou emacs) puis alimenter divers outils : vérificateurs d’orthographe, correcteurs de grammaire, et des outils de mise en page tels que scribe, troff ou latex qui produisaient une image binaire de la page pouvant être envoyée à une imprimante.

Ces outils étaient rapides, puissants, élégants et extrêmement exigeants vis-à-vis de l’utilisateur. Quand les premiers ordinateurs personnels 8 bits apparurent (pour l’essentiel, l’Apple II et l’écosystème concurrent CP/M), les programmeurs tentèrent de développer un outil hybride, appelé traitement de texte : l’édition se faisait à l’écran et masquait à l’auteur les commandes compliquées et rébarbatives destinées à l’imprimante, en les remplaçant par une mise en surbrillance et en ne les affichant que lorsque que l’auteur demandait au logiciel de « montrer le code ».

Des logiciels comme WordStar ont ouvert la voie, jusqu’à ce que WordPerfect prenne le marché au début des années 1980 en introduisant la possibilité d’éditer simultanément deux fichiers ou plus, en scindant l’affichage à l’écran.

Puis, vers la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingts, des groupes de recherche au MIT (l’Institut Universitaire de Technologie du Massachusetts à Boston) et au centre de recherche de Xerox à Palo Alto en Californie ont commencé à développer des outils qui ont étoffé l’interface graphique de l’utilisateur des stations de travail comme le Xerox Star et, plus tard, l’ordinateur Lisa et Macintosh – et finalement l’imitateur nouveau venu Microsoft Windows. Une guerre éclata puis fit rage entre deux factions.

Une faction voulait prendre le modèle classique des codes imbriqués dans un ficher, et l’améliorer pour un affichage graphique : l’utilisateur sélectionnait une section de texte, le marquait « italique » ou « gras », et le traitement de texte injectait le code associé dans le fichier puis, au moment d’imprimer, modifiait le rendu graphique envoyé à l’imprimante à cette phase-là du processus.

Mais un autre groupe voulait utiliser un modèle beaucoup plus puissant : les feuilles de style hiérarchiques. Dans un système à feuilles de style, les unités de texte — mots ou paragraphes — sont étiquetées avec un nom de style regroupant un ensemble d’attributs qui sont appliqués à ce morceau de texte lors de l’impression.

Microsoft était au début des années 80 une entreprise de développement logiciel, surtout connue pour son interpréteur BASIC et le système d’exploitation MS-DOS. Steve Jobs approcha Bill Gates en 1984 pour écrire des applications pour le nouveau système Macintosh, et il accepta.

L’un de ses premiers travaux fut d’organiser le premier véritable traitement de texte WYSIWYG pour un ordinateur personnel – Microsoft Word pour Macintosh. La controverse faisait rage en interne : devait-on utiliser les codes de contrôle ou bien les feuilles de style hiérarchiques ?

Finalement, le verdict tomba : Word devrait mettre en œuvre les deux paradigmes de formatage. Bien qu’ils soient fondamentalement incompatibles et qu’on puisse tomber dans une confusion horrible en appliquant un simple formatage de caractères à un document à base de feuille de style, ou vice versa. Word souffrait en réalité d’un vice de conception, dès le début – et cela n’a fait qu’empirer depuis.

Entre la fin des années 80 et le début des années 90, Microsoft est devenu un mastodonte en situation de quasi-monopole dans le monde du logiciel. L’une de ses tactiques est devenue bien connue (et redoutée) dans l’industrie : adopter et étendre (NdT: il y a l’idée du « baiser de la mort » : étreindre pour mieux étouffer).

Confronté à un nouveau type de logiciel à succès, Microsoft rachètait l’une des entreprises à la pointe du secteur et déversait alors des moyens pour intégrer le produit à son propre écosystème Microsoft, si nécessaire en abaissant ses prix pour éjecter ses concurrents du marché. La croissance de Microsoft Word s’est faite par l’acquisition de nouveaux modules : publipostage, correcteurs orthographiques et grammaticaux, outils de chapitrage et d’index.

Toutes ces entreprises étaient des sociétés artisanales dynamiques, formant une communauté prospère d’éditeurs de produits concurrents qui tous luttaient pour produire de meilleurs logiciels qui leur permettaient de cibler leurs parts de marché. Mais Microsoft s’est infiltré dans chaque secteur et a intégré un par un les concurrents à Word, tuant de fait la concurrence et étouffant l’innovation. Microsoft a tué les outils d’index et de chapitrage sur Windows, a stoppé net le développement du correcteur grammatical, a étouffé celui des correcteurs orthographiques. Il existe un cimetière entier d’écosystèmes jadis prometteurs, et il s’appelle Microsoft Word.

Alors que le logiciel se développait, Microsoft déploya sa tactique « Adopte étend et étouffe » en vue de rendre les mises à jours incontournables, rendant ainsi les utilisateurs de Word captifs, par le biais de mutations constantes du format de fichier utilisé. Les premières versions de Word étaient interopérables avec ses rivaux comme Word Perfect, elles pouvaient importer et exporter dans les formats de fichier des autres logiciels. Mais au fur et à mesure que la domination de Word devenait établie, Microsoft a à plusieurs reprises modifié son format de fichier – avec Word 95, Word 97, en 2000, encore en 2003 et plus récemment encore.

Chaque nouvelle version de Word utilisait par défaut un nouveau format de fichier qui n’était plus reconnu par les versions précédentes. Pour échanger des documents avec quelqu’un d’autre, vous pouviez tenter d’utiliser le format RTF — mais la plupart des utilisateurs professionnels occasionnels ne prenaient pas la peine de regarder les différents formats du menu « Enregistrer sous… », et donc si vous deviez travailler avec d’autres, vous vous trouviez dans l’obligation de payer régulièrement la dime Microsoft même si aucune nouvelle fonctionnalité ne vous était utile.

Le format de fichier .doc a lui aussi été délibérément rendu opaque : au lieu d’un document interprétable contenant des métadonnées de formatage ou de macros, c’est en fait l’image mémoire des structures de données logicielles qu’utilise Word, avec les adresses pointant sur les sous-routines qui fournissent les données de formatage ou celles des macros. Et la « sauvegarde rapide » aggrava encore la situation en ajoutant un journal des différents changements à l’image mémoire du programme.

Pour analyser un fichier .doc vous devez virtuellement réécrire un mini Microsoft Word. Ce n’est pas un format de fichier contenant des données : c’est un cauchemar ! Au 21e siècle, ils ont essayé d’améliorer le tableau en le remplaçant par un schéma XML… mais ils n’ont réussi qu’à ajouter à la confusion en utilisant des balises XML qui se réfèrent à des points d’entrée de fonctions dans le code de Word, au lieu de décrire la structure sémantique réelle du document. Difficile d’imaginer qu’une multinationale telle que Microsoft, aussi importante et (habituellement) gérée avec compétence puisse commettre accidentellement une telle erreur…

Cette obsolescence programmée n’a pas d’importance pour la plupart des entreprises, dans lesquelles la durée moyenne de vie d’un document est inférieure à six mois. Mais d’autres domaines réclament la conservation des documents. En droit, en médecine ou encore en littérature, la durée de vie d’un fichier se compte en décennies si ce n’est en siècles. Les pratiques commerciales de Microsoft vont à l’encontre des intérêts de ces utilisateurs.

D’ailleurs Microsoft Word n’est même pas facile à utiliser. Son interface alambiquée, baroque, rend difficile ce qui est simple et quasi impossible ce qui est difficile. Ceci garantit la sécurité de l’emploi pour le gourou, mais pas la transparence pour l’utilisateur éclairé et intuitif qui souhaiterait simplement se concentrer sur son travail et pas sur l’outil avec lequel la tâche doit être accomplie. Word impose à l’auteur sa propre conception de la façon dont un document doit être structuré, une structure bien plus adaptée aux lettres commerciales et aux bilans (tâches pour lesquelles il est utilisé par la majorité de ses utilisateurs).

Ses outils de vérification et de suivi des modifications sont baroques, truffés d’erreurs et ne conviennent pas à un vrai travail collaboratif de conception d’un document ; ses possibilités de chapitrage et de notes sont piteusement primitives face aux besoins d’un écrivain ou d’un thésard. Quant aux recommandations à l’emporte-pièce de son correcteur grammatical, elles pourraient n’être qu’amusantes si les tournures commerciales qu’il impose, dignes d’un potache besogneux, n’étaient désormais si largement répandues.

Mais ce n’est pas pour cela que je veux la mort de Microsoft Office.

La raison pour laquelle je veux sa mort est que, tant que celle-ci ne sera pas arrivée, on ne pourra éviter Word. Je n’écris pas mes romans avec Microsoft Word. J’utilise toute une palette d’autres outils, depuis Scrivener (un logiciel conçu pour la structuration et l’édition de documents composites qui est à Word ce qu’un environnement de développement intégré est à un éditeur de texte rudimentaire) jusqu’à des éditeurs de texte classiques comme Vim. Mais d’une façon ou d’une autre, les principales maisons d’édition se sont laissé intimider et persuader que Word était l’incontournable clef-de-voûte des systèmes de production de documents.

Pire, cette prédominance nous rend aveugles aux possibilités d’amélioration de nos outils de création de documents. On nous a imposé presque 25 ans d’immobilisme, j’espère que nous trouverons bientôt quelque chose de mieux pour le remplacer.




Geektionnerd : TPP

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Un livre numérique avec DRM n’est pas un livre nous dit l’Assemblée

En réalité, avec Apple ou Amazon, ce ne sont pas des livres qui sont vendus, mais des licences de lecture…

« C’est inattendu et complètement fou », s’enthousiaste à juste titre le site ActuaLitté, qui poursuit : « Durant l’examen du Projet de loi de Finance 2014, le député Éric Alauzet est venu défendre l’amendement de la députée Isabelle Attard. L’idée était simple : imposer une TVA maximale pour les vendeurs comme Apple ou Amazon, qui ne proposent que des licences d’utilisation et non la vente de fichiers en propre. »

Or, contre tout attente, c’est-à-dire ici aussi bien l’avis défavorable du rapporteur que du gouvernement, l’amendement a été adopté hier à l’Assemblée !

Vous trouverez ci-dessous toute la (savoureuse) séquence en vidéo accompagnée de sa transcription[1]. Avec notamment un Noël Mamère qui conclut ainsi son propos : « C’est aussi donc un droit à l’information, un droit à la culture et un droit à la lecture qui doit être un droit inaliénable et considéré comme un bien commun. »

La TVA réduite concerne aujourd’hui les livres papiers. Si on veut qu’il en aille de même avec les livres numériques alors il faut qu’ils soient sans DRM sinon ce ne sont plus des livres. Tel est le message important qui est passé hier à l’Assemblée. Apple et Amazon en encapsulant leurs fichiers numériques et en imposant leurs périphériques ne nous vendent pas des livres mais un service à usage restreint et durée limitée dans le temps.

Merci au groupe écologiste en tout cas pour cette véritable avancée qui pourrait bien appeler d’autres conquêtes, comme en témoigne l’échange ci-dessous que nous avons eu avec Isabelle Attard sur Twitter

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Remarque 1 : Rien n’est joué cependant, comme nous le rappelle l’April, la loi de finances doit désormais être examinée par le Sénat puis par la navette parlementaire avant son adoption définitive.

Remarque 2 : Isabelle Attard vient également de déposer une proposition de loi visant à consacrer, élargir et garantir le domaine public (voir aussi cette vidéo qui évoque la question spécifique des musées).

—> La vidéo au format webm
—> Le fichier de sous-titres

Transcription

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet, pour soutenir l’amendement no 22.

M. Éric Alauzet. Alors que la vente de livres sous forme dématérialisée est en pleine croissance, deux types de produits sont disponibles. En proposant des livres en système fermé, les acteurs historiques ont trouvé le moyen de verrouiller leur clientèle : en réalité, ce ne sont pas des livres qui sont vendus, mais des licences de lecture, assorties de contraintes qui n’existent pas pour le livre de papier. Ainsi, quand vous achetez un livre numérique chez Amazon ou chez Apple, vous ne pouvez le lire que sur un appareil autorisé par cette entreprise.

Parallèlement, il existe des livres numériques en système dit ouvert, soutenus par la majorité des acteurs concernés – auteurs, éditeurs, bibliothécaires, responsables politiques –, qui revendiquent un plus grand respect des droits du lecteur, notamment en essayant de promouvoir l’interopérabilité des livres au format électronique. Le statut de ces livres est très proche de celui des livres de papier : vous pouvez les lire, les prêter, même les revendre – bref, en disposer à votre guise. De ce fait, nous considérons que, contrairement aux livres en système fermé, les livres en système ouvert ont toute légitimité pour bénéficier de la même TVA que les livres de papier, et c’est ce que nous proposons par cet amendement. Pour conclure, je souligne que, sur cette question, nous sommes observés par la Commission européenne, car il ne s’agit pas vraiment d’un livre, mais d’un service.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Eckert, rapporteur général. La commission estime qu’il s’agit là d’un sujet intéressant, mais complexe. Comme vous le savez, la France se bat pour que la TVA à taux réduit puisse s’appliquer aux livres électroniques. Or, vous proposez de faire de ce principe une exception. Je comprends votre intention, mais cela risque de fragiliser la position de la France dans les négociations en cours, où nous espérons obtenir une généralisation du taux réduit de TVA à tous les livres, quel que soit leur support. Je vous invite par conséquent à retirer votre amendement, monsieur Alauzet ; à défaut, je demanderai à notre Assemblée de le repousser.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous nous battons, au sein de l’Union européenne, pour que l’ensemble des supports de lecture bénéficie du taux réduit de TVA. C’est l’un des éléments de notre combat en faveur de l’exception culturelle, de l’accès pour tous à la culture et du livre. Comme vient de le dire M. le rapporteur général, prendre des dispositions dérogatoires ne peut que porter atteinte à la portée de notre combat, qui n’est déjà pas si facile à mener. En adoptant un tel amendement, nous risquons d’affaiblir notre position vis-à-vis de nos interlocuteurs, et de mettre en péril notre capacité à atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé. Je vous invite donc également à retirer cet amendement, monsieur le député.

Mme la présidente. La parole est à M. Noël Mamère.

M. Marc Le Fur. Allez-vous nous parler de la Bretagne, monsieur Mamère ?

M. Noël Mamère. Nous pourrions effectivement en parler, puisque nous parlons de livres et qu’il est de très bons auteurs bretons. Malheureusement, si ces livres sont publiés sous la licence d’Apple ou d’Amazon, nous ne pourrons pas les faire lire à nos enfants. De même, sous licence fermée, nous ne pourrons prêter aux personnes de notre entourage les excellents livres de Svetlana Alexievitch, qu’il s’agisse de La Fin de l’Homme rouge ou de La Supplication, ouvrage très instructif sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl.

M. le ministre nous dit, à juste titre, qu’il ne faut pas mettre en péril les négociations en cours, dans le cadre desquelles nous cherchons à nous opposer à l’accord sur le marché transatlantique qui se dessine entre l’Union européenne et les États-Unis. Nous avons, paraît-il, sauvé l’exception culturelle. Fort bien, mais si notre amendement n’était pas adopté, nous risquerions de lui porter un coup fatal en laissant libre cours à Apple et Amazon, sinon pour exercer leur dictature – le mot est un peu fort –, du moins pour mettre à bas l’exception culturelle dans le cadre du marché transatlantique.

Bref, nous devons nous protéger, au niveau français comme au niveau européen. Tel est l’objet de notre amendement, qui vise à sauver le droit à la lecture, notamment le droit à revenir sur un livre que l’on a déjà lu. Nous sommes sans doute nombreux ici à avoir apprécié des auteurs, dans les ouvrages desquels nous souhaitons à nouveau nous plonger. Or, avec le système d’Apple et d’Amazon, ce sera impossible. En même temps que le droit à la lecture, c’est donc aussi le droit à l’information et le droit à la culture que nous défendons, car il s’agit de droits inaliénables, considérés comme des biens communs.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Je n’ai pas l’expérience de M. le ministre en ce qui concerne les négociations européennes, mais je pense que le risque qu’il évoque n’existe pas. Au contraire, si risque il y a, c’est celui lié au fait de défendre le taux réduit de TVA sur ce qui est en réalité un service, et ce qui est à craindre ensuite, c’est que le livre électronique ouvert ne suive le livre électronique vendu sous système fermé. La transparence n’est pas vraiment le maître-mot en la matière, et les personnes achetant des livres électroniques vont finir par s’apercevoir, au bout de quelques semaines ou quelques mois, que le livre en leur possession ne fonctionne plus et qu’elles n’ont en réalité acquis qu’une licence, qu’elles vont devoir racheter au même distributeur ! Il y a, je le répète, un grand risque à ne pas dissocier le livre électronique vendu sous système fermé de celui vendu sous système ouvert.

Mme la présidente. Si j’ai bien compris, vous maintenez votre amendement, monsieur Alauzet ?

M. Éric Alauzet. Je le maintiens, madame la présidente.

(L’amendement no 22 est adopté.)

Notes

[1] Source de la vidéo et du texte sur le site de l’Assemblée.




Grâce à Wikileaks on a la confirmation que l’accord TPP est pire qu’ACTA

Merci à Wikileaks d’avoir révélé hier une version de travail tenue secrète de l’accord Trans-Pacific Strategic Economic Partnership, plus connu sous l’acronyme TPP.

La France ne faisant pas partie des pays directement concernés, on n’en parle pas beaucoup dans nos médias. Mais on sait depuis longtemps que ce sont les USA qui donnent le la dans tout ce qui touche au copyright international.

Plus que donner le la, ils dictent la loi. Et celle qui se prépare ici est tout simplement scélérate…

TPP

La fuite du chapitre sur la propriété intellectuelle du Partenariat Trans-Pacifique confirme que cet accord est pire qu’ACTA

TPP IP Chapter Leaked, Confirming It’s Worse Than ACTA

Glyn Moody – 13 novembre 2013 – TechDirt.com
(Traduction : Barbidule, Penguin, Genma, MFolschette, baba, mlah, aKa, Alexis Ids, Scailyna, @paul_playe, Mooshka, Omegax)

par le service du pas-étonnant-que-le-secret-soit-si-bien-gardé

Cela fait longtemps que nous attendions une fuite majeure du Partenariat Trans-Pacifique (TPP) rédigé en secret ; grâce à Wikileaks, nous en avons enfin une (voir aussi directement le pdf). Le texte est long et lourd à lire, en partie à cause de toutes les parties entre parenthèses sur les points où les négociateurs ne se sont pas encore mis d’accord. Même si le brouillon est assez récent — il est daté du 30 août 2013 — un grand nombre de ces points y restent ouverts. Heureusement, KEI a déjà rassemblé une analyse détaillée mais facilement compréhensible, que je vous encourage vivement à lire en entier. En voici un résumé :

Le document confirme les craintes sur le fait que les différentes parties sont prêtes à étendre les limites du droit de la propriété intellectuelle, et à restreindre les droits et libertés du consommateur.

En comparaison des accords multilatéraux existants, l’accord du TPP sur la propriété intellectuelle propose l’octroi de nouveaux brevets, la création d’une propriété intellectuelle sur les données, l’extension des termes de protection pour les brevets et copyrights, l’accroissement des privilèges des ayants droit, et l’augmentation des peines pour infraction à la propriété intellectuelle. Le texte du TPP réduit le champ des exceptions pour tous les types de propriété intellectuelle. Négocié dans le secret, le texte proposé est néfaste pour l’accès au savoir, néfaste pour l’accès aux soins, et profondément néfaste pour l’innovation.

Bien que de nombreux domaines soient concernés par les propositions de la copie de travail — l’accès aux soins vitaux seraient restreints, tandis que la portée des brevets serait étendue aux méthodes chirurgicales par exemple — les effets sur le copyright sont particulièrement significatifs et troublants :

Collectivement, les dispositions du droit d’auteur (dans le TPP) sont configurées de manière à étendre les termes du droit d’auteur de la convention de Berne au-delà de la vie plus 50 ans, créant de nouveaux droits exclusifs, et fournissant bon nombre de nouvelles directives spécifiques pour gérer le copyright dans l’environnement numérique.

Voici quelques-unes des extensions de durée proposées :

Concernant les durées de copyright, le TPP définit les bases comme suit. Les États-Unis, l’Australie, le Pérou, Singapour et le Chili proposent une durée de 70 ans après la mort de l’auteur pour les personnes physiques. Pour des œuvres appartenant à une entreprise, les États-Unis proposent 95 ans de droits exclusifs, alors que l’Australie, le Pérou, Singapour et le Chili proposent 70 ans. Le Mexique veut une durée de 100 ans après la mort de l’auteur pour les personnes physiques et 75 ans après la mort de l’auteur pour des œuvres appartenant à une entreprise. Pour des travaux non publiés, les États-Unis veulent une durée de 120 ans.

Un problème plus technique concerne l’utilisation du « test en trois étapes » qui agira comme une contrainte supplémentaire sur de possibles exceptions au copyright :

Dans sa forme actuelle, l’espace des exceptions tel que défini par le TPP est moins vaste et plus restrictif que celui du traité 2012 de l’OMPI à Pékin ou celui du traité 2013 de l’OMPI à Marrakech, et bien pire que l’accord ADPIC. Bien que cela implique des problèmes légaux complexes, les ramifications politiques sont simples. Les gouvernements auraient une marge de manœuvre plus restreinte pour évaluer les exceptions dans l’éducation, dans les citations, dans les affaires publiques, dans les actualités et dans les autres exceptions « spéciales » de la Convention de Berne ? Pourquoi un gouvernement voudrait-il abandonner son autorité générale pour réfléchir à l’aménagement de nouvelles exceptions, ou pour contrôler les abus des détenteurs de droits ?

Ceci est un bon exemple de comment le TPP n’essaie pas seulement de changer le copyright en faveur de ceux qui veulent l’étendre au maximum, mais essaie aussi d’instaurer un copyright qui serait facile à renforcer à l’avenir. En voici un autre, dans lequel le TPP veut empêcher le retour à un système de copyright qui nécessite une inscription — ce genre de système ayant été proposé comme un moyen de pallier aux problèmes qui surviennent à cause de la nature automatique de l’attribution du copyright :

Le TPP va au-delà de l’accord ADPIC pour ce qui est de l’interdiction de l’instauration de formalités pour le copyright. Bien que le problème des formalités puisse sembler être un problème facile à résoudre, il y a un bon nombre de flexibilités qui seront éliminées par le TPP. À l’heure actuelle, il est possible d’avoir des exigences de formalités pour des œuvres appartenant à la sphère nationale et d’imposer des formalités à de nombreux types de droits liés, incluant ceux protégés par la Convention de Rome. Ces dernières années, les créateurs et les théoriciens de la politique du copyright ont commencé à remettre en question les bénéfices de l’enregistrement des œuvres et autres formalités, en particulier à la lumière des problèmes liés aux durées de copyright étendues sur de nombreuses oeuvres orphelines.

Comme vous pouvez vous en douter, le TPP demande à ce qu’il y ait des protections solides de type DRM ; mais ici encore, il cherche à rendre les choses pires qu’elles ne le sont déjà :

La section sur le droit d’auteur inclut également un long discours sur les mesures de protection technique, et en particulier, la création d’un motif de poursuites spécifique contre le fait de casser les mesures techniques de protection. Les USA veulent que ce motif de poursuites spécifique s’étende même aux cas où le droit d’auteur n’est pas applicable, comme par exemple les œuvres du domaine public, ou bien les données qui ne sont pas protégées par le droit d’auteur.

Cela rendrait illégal le fait de contourner les DRM, même si ceux-ci sont appliqués à du contenu qui se trouve dans le domaine public — les enfermant alors une fois de plus, de façon efficace et permanente. Enfin, il est intéressant de remarquer que dans la sous-section fixant les dommages et intérêts pour violation de copyright, on peut y lire ce qui suit :

Pour déterminer le montant des dommages et intérêts en vertu du paragraphe 2, les autorités judiciaires seront habilitées à examiner, entre autres, toute mesure légitime de valeur que le détenteur du droit soumet, ce qui peut comprendre les bénéfices perdus, la valeur des biens ou des services concernés, mesurée en se basant sur le prix du marché, ou sur le prix de vente au détail suggéré.

C’est exactement la tournure qui a été utilisée pour ACTA, et qui a été retrouvée dans le récent accord de libre-échange entre l’UE et Singapour. Cela résume assez bien comment le TPP s’appuie directement sur ACTA, tandis que les autres mesures évoquées ci-dessus montrent comment il va bien au-delà et ce à plusieurs égards.

Voilà pour les mauvaises nouvelles. La bonne nouvelle, c’est que nous avons maintenant une version très récente de ce qui pourrait être la partie la plus controversée de l’accord. Dans les semaines à venir, nous sommes susceptibles de voir de nombreuses analyses détaillées exposant au grand jour le caractère ô combien pernicieux cet accord pour le public des pays participant aux négociations.

L’espoir étant qu’une fois qu’il en sera informé, il fera connaître son sentiment à ses représentants politiques comme il l’a fait avec SOPA et ACTA — et avec le même résultat final.