La nouvelle du jeudi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

Aujourd’hui, sous le regard étonné des enfants de 2042, une exposition sur Compiègne autrefois, visite commentée par la ville elle-même. Au menu : l’Université, le mode de gouvernement, un vote libre et populaire, et tout ce qui aura changé dans une nouvelle conception de la société

 

Compiègne avant les années sobres

Voici mon témoignage. En quelques paragraphes, je vais vous raconter cette journée importante pour Thomas et sa famille. Je n’ai pas choisi n’importe quelle journée, évidemment, mais vous vous en rendrez compte par vous-même au fil des lignes, et peut-être comprendrez vous pourquoi elle est également importante pour moi, Compiègne…

Cela faisait plusieurs années que les citoyen⋅ne⋅s avaient prévu l’exposition. Par crainte que celle-ci ne soit trop rapprochée des événements traumatisants, les habitant·e·s avaient déplacé son inauguration jusqu’à aujourd’hui. Il s’était déroulé un nombre incalculable d’assemblées au cours desquelles elle avait été au cœur des discussions, suscitant des avis tranchés par les membres, tant opposés que favorables. Enfin, après cinq années, des affiches firent leur apparition devant la mairie, sur les places publiques et dans l’UPLOAD. Cependant, le titre ne faisait pas l’unanimité, surtout pas à mes yeux. « Compiègne avant les années sobres », semblait atténuer la gravité de la période sombre que nous avions traversée, celle de l’effondrement… L’exposition ayant enfin ouvert ses portes, de nombreuses personnes étaient impatientes d’admirer les œuvres exposées, particulièrement désireuses d’entendre les témoignages des plus âgées qui avaient tout vécu. Thomas faisait partie des guides bénévoles, dévoués à consacrer de leur temps à expliquer aux visiteurs et visiteuses ce qu’il s’était passé et pourquoi. Il était venu spécialement afin de faire découvrir l’exposition à ses enfants, en leur présentant tous ses éléments par des images.

Thomas entra dans la première salle consacrée à la présentation et l’évolution de l’UPLOAD. Placer celle-ci en premier ne me paraissait pas absurde. Après tout, c’est elle qui avait rendu tout cela possible. L’UPLOAD, l’Université populaire, libre, ouverte, autonome et décentralisée, constituait le point de départ de toutes les évolutions positives des années sobres.

Au début, l’UPLOAD était un projet étudiant dont le but était de modifier drastiquement le système éducatif de l’époque. L’éducation présentait des lacunes, les étudiant·e·s adoptaient un état d’esprit incompatible avec le risque d’effondrement que présentait la planète entière, et sortaient de leurs études avec une conception conformiste de ce qu’était le savoir. Chaque étudiant·e quittait l’institution en pensant que les mathématiques, la physique ou la chimie reflétaient l’intégralité des connaissances.

Initialement, l’UPLOAD occupait les locaux de l’université technologique de Compiègne et servait de lieu central où les étudiant·e·s se rencontraient. Progressivement, elle avait regroupé non seulement des étudiant·e·s mais aussi des habitant·e·s pour rassembler leur savoir et le transmettre aux autres. Tout cela s’était montré particulièrement utile dans les premières années de l’effondrement. Par la suite, elle était devenue un lieu communautaire, constitué de nombreux bâtiments, aux frontières moins définies.

Thomas et ses enfants arrivèrent devant la photo de l’ancienne mairie. On pouvait y voir un maire serrer la main du président de la république. L’un de ses enfants demanda alors ce qu’étaient un « maire » et un « président »… L’idée d’avoir une seule personne pour gouverner le pays lui était absolument impensable, comment un seul individu pourrait-il diriger tout un peuple ? Comment pourrait-elle prendre des décisions pour tous sans même connaître chacun et chacune ? Et pourquoi élire des maires ? À quoi servaient-ils, s’ils n’avaient aucun pouvoir ou presque ? Thomas se retrouvait bien surpris par toutes ces questions qu’il ne s’était jamais posées et qui pourtant lui paraissaient complètement légitimes. Afin d’y répondre, il décida de raconter d’où venait notre forme de politique actuelle.

« Avant l’effondrement, toutes les décisions ou presque était prises à Paris, c’est ce qu’on appelait un gouvernement centralisé. Le président et son gouvernement prenaient toute les décisions, et celles-ci étaient relayées par les préfets, puis par les maires. Ceux-ci n’avaient donc qu’un pouvoir très limité.

– Mais ils n’y a jamais eu d’autre forme de gouvernement avant ?

– Si bien sûr, il y a eu différentes formes de gouvernement, les plus notables sont la monarchie, où un roi gouvernait tout un peuple ; la théocratie, où le gouvernement agissait au nom d’un dieu ; l’oligarchie où un petit groupe de personnes gardait le pouvoir entre leurs mains et prenait toutes les décisions ; et il y avait bien d’autre formes encore. Celle que nous utilisons actuellement se rapproche beaucoup de la démocratie athénienne, où une partie du peuple votait les décisions ensemble. La différence est que notre forme de politique inclut tout le monde, alors que la leur excluait les femmes et les esclaves de la vie politique.

– Et pourquoi avons-nous changé de politique ?

– Lors de l’effondrement, l’ancienne organisation n’a plus fonctionné. Chaque région a connu des problèmes différents, notamment des pénuries d’eau, de nourriture, des inondations, des incendies… Mais comme ce fonctionnement obligeait le président à prendre des décisions pour tout le monde en même temps, il n’a pas pu répondre à tous les problèmes. Et c’est dans la panique qu’une nouvelle loi est passée, cédant la majorité des prises de décisions à une échelle plus locale, ville par ville », expliqua Thomas.

Cette décision avait été prise à peine 20 ans auparavant et pourtant elle avait tout changé. Cette politique décentralisée avait permis la mise en place d’un vote libre (et) populaire. Désormais, chaque loi était proposée par les citoyen·ne·s, puis votée dans un forum. Et l’ensemble des instances des villes sont assurées par des élu⋅e⋅s au service des citoyen⋅ne⋅s, renouvelé⋅e⋅s régulièrement. Thomas s’était mis en tête d’expliquer à Louka et Lucy comment votent les citoyen⋅ne⋅s, et il comprit que c’était bien compliqué pour des enfants de leur âge. Plutôt que tenter de vous l’expliquer je pense que la fiche explicative donnée lors de chaque vote sera bien plus claire :

 Le vote par note À la suite des débats sur les nouvelles lois à voter et les représentants à élire, chaque citoyen sera amené à donner son avis par un vote. Afin de rendre le vote plus représentatif de l’avis réel des citoyens, une nouvelle forme de vote a été établie. Vous serez donc amené à donner pour chaque vote, une note allant de 1 à 5 à chacune des propositions et/ou des représentants. Une fois tous les bulletins rassemblés, la moyenne des notes nous donnera l’avis du peuple. La note minimale à obtenir pour que la loi soit adoptée ou la personne élue dépendra de plusieurs situations: - Un candidat ne peut être élu dés que sa note descend sous 3/5. La personne avec la moyenne la plus haute est désignée victorieuse. - Une loi, ou partie de loi, est adoptée si sa note dépasse une certaine valeur définie. Cette valeur sera choisie selon la règle suivante : sans débat, la loi doit avoir une note supérieur à 3/5 cette note augmente de 0,3 point pour chaque demi-journée de débat La note limite ne peux excéder 4,5/5. exemple : Un projet de loi débattu tout une journée avant d'être voté, devra avoir une note supérieur à 3,6/5 pour être adopté. Nous invitons chaque citoyen à lire Du contrat social de Rousseau ainsi que les différents livres relatifs aux formes de vote se trouvant à la bibliothèque de l’UPLOAD pour comprendre pourquoi cette forme de vote est optimale.

Cette forme de vote a vraiment permis de rendre les choix et les décisions plus représentatives de la volonté des citoyen⋅ne⋅s.

« Bon laissez tomber, vous comprendrez sûrement quand vous serez plus grands… En attendant passons à la suite de l’exposition ! »

Le petit groupe s’avança alors devant une photographie d’un homme, apparemment désemparé, contemplant un graphique couvert de chandelles rouges et vertes. Il y était écrit : « NASDAQ, bourse de New York ».
« Papa, papa ! Qu’est ce qu’il fait celui-là ? demanda Lucy, la fille cadette de Thomas. Il se tourna vers elle, mit un genou à terre et pointa du doigt le cliché pendu au mur :
– Tu vois ça c’est ce qu’on appelait « la Bourse de New York », enfin ce qu’elle était quand j’étais jeune. À l’époque on pensait le monde en termes de croissance économique, de richesse pour les actionnaires et d’échange financiers. Le PIB, saint Graal des analystes économiques, était l’indicateur phare.»

Thomas voyait bien que son discours ne passionnait pas les foules, il surprit même ses enfants à bâiller devant ses dires. Pourtant il le savait, le changement de paradigme post-effondrement avaient rebattu toutes les cartes. Consciente qu’une croissance infinie n’était pas un modèle viable, la société avait cherché de nouveaux moyens de mesurer l’évolution de l’humanité. Une idée émergea alors, pourquoi ne pas intégrer la biodiversité dans tout les futurs projets de construction ? Une nouvelle loi avait alors été votée afin d’intégrer des indices de biodiversité, obligeant ensuite les autorités publiques à ne faire que des projets développant la biodiversité. Cette vision politique s’est cristallisée autour du RIP, Le Rapport d’Impact Projet. On pouvait savoir si un projet était bénéfique pour l’environnement en regardant le RIP. S’il était supérieur à 1, on pouvait alors lancer le projet, sinon il était mis de côté. Afin d’être au plus proche de la réalité, il avait fallu développer une vision multifactorielle, en se fondant par exemple sur l’abondance et la biodiversité ou sa diversité. Voici la formule employée dans le cadre de nouveaux projets.

RIP= impact du projet sur l'environnement/indice actuel de biodiversité

L’impact du projet sur l’environnement et l’indice actuel de biodiversité se définissent par des indicateurs d’abondance et de richesse spécifiques.

Cet indice a permis de choisir des projets plus durables et respectueux de l’environnement et de mieux comprendre les services rendus par certains bâtiments. Thomas s’était par exemple battu pour une grange menacée de destruction par une nouvelle route alors qu’elle servait de refuge pour les oiseaux nocturnes. Grâce au RIP, les élu⋅e⋅s s’étaient rendu compte que le tracé de la nouvelle nationale posait en fait beaucoup de problèmes et ils avaient pris la décision de le modifier.

Perdu dans ses pensées, Thomas ne s’était pas rendu compte que ses enfants s’étaient dispersés dans l’exposition.

Maintenant seul, Thomas parcourait l’exposition à leur recherche. Un peu inquiet, il s’arrêta à côté d’une personne âgée qui observait une photo d’un porte-conteneur chinois. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, Francis portait un béret bleu marine et une salopette vert bouteille. Ses manches retroussés laissaient voir des tatouages. Thomas lui fit signe et Francis lui esquissa un sourire.

« Bonjour monsieur, savez-vous que j’ai déjà travaillé sur un de ces bateaux ? Dans ma jeunesse si le monde tournait, c’est parce que ces gros engins mécaniques flottaient, expliqua Francis en se tournant vers Thomas.
– Oui bonjour, c’est vrai qu’aujourd’hui ces types de bateaux ont complètement disparu, répliqua Thomas.
– Vous savez, vous avez sûrement dû observer ce changement aussi, mais la principale raison de leur disparition c’est la mise en place du nouvel indice qui a supplanté le PIB. À cette époque la quantité d’échange de nature économique réalisée par un pays produisait sa valeur, ainsi on observait une intensification des échanges, une délocalisation de la production, bref on faisait des échanges pour faire des échanges.

Cette dynamique s’est totalement inversée, on a décidé de non plus mettre en valeur le nombre croissant d’échanges économiques, mais le faible nombre de celui-ci. Les pays se sont ainsi mis en concurrence dans des objectifs d’autonomie de leurs citoyen⋅ne⋅s. Moins un pays se repose sur une centralisation des productions, c’est à dire plus ses citoyen⋅ne⋅s sont autonomes dans la réalisation de leur quotidien, plus ce pays est mis en valeur.
– C’est vrai, j’étais encore assez jeune lors de ce renversement, mais j’avoue que je vois pas trop le lien direct avec la raison pour laquelle les porte-conteneurs ont disparu, s’interrogea Thomas.
– Bien, ça c’est grâce à un autre indice, il est encore présent aujourd’hui mais il est si bien incorporé par tout le monde qu’on a tendance à l’oublier, j’en ai même oublié le nom.
– L’indice de maniabilité ? proposa Thomas.
– Oui, c’est ça… l’indice de maniabilité. En fait, il permettait d’observer la dépendance d’une société à une technologie elle-même dépendante de ressource, d’énergie non-humaine. Le propos, c’est de dire que l’univers technique que produit l’Homme doit se baser sur les capacités physiques de l’Homme et non sur un asservissement de la nature comme ressource. De cette vision, il en découle une décroissance forte dans les usages des technologies à bouton, vous savez celle où on appuie sur un bouton et ça marche tout seul sans qu’on sache vraiment comment, mais ce que l’on sait, c’est que ça consomme un équivalent en énergie non-humaine, expliqua Francis.
– Et de cette manière tous les procédés d’automatisation, les moteurs énergivores et tous ces autres éléments techniques superflus, ont disparu progressivement.C’est tout de même fou qu’on ait pu penser de cette façon, un Homme hors de la nature quelle idée ! » reprit Thomas.
Francis sourit à Thomas, puis poursuivit sa visite. Thomas reprit sa quête.

Après avoir suivi cette conversation, des souvenirs de mon usage destructeur me frappèrent. Je suis et je serais toujours à l’image des Hommes qui me façonnent, mais tout de même l’évocation d’un ancien moi en opposition avec la nature, me donne des frissons.

Son père retrouva Louka près d’une ancienne carte de la région, regardant surpris de longs chemins de couleur grisâtre qui serpentaient dans la ville et au-delà.
« C’est quoi Papa ? c’est tout gris, dit l’enfant en pointant du doigt ces longs tracés.
– Ça tu vois, c’est une autoroute. Et là ce sont des routes nationales, ici les routes départementales et là les rues de la ville, expliquait Thomas.
Thomas poursuivit, décrivant à ces enfants ces voies de transports qu’ils n’avaient pas connues.
– À cette époque, nous utilisions des voitures pour nous déplacer dans la ville. La voiture c’est 4 sièges plus ou moins qu’on met dans une boite. Puis on met cette boite sur quatre roues, on lui rajoute un moteur avec de l’essence, et ça roule !
Thomas continua en disant que chaque voiture avait un « propriétaire» et de ce fait, on en faisait un usage individuel la plupart du temps.
– Mais, elle sont énormes ces voitures ! Pourquoi elles sont si grosses si on est seul dedans ? ça sert à rien ! s’étonna Louka.»
Face à la surprise de son fils, Thomas soupira. Il lui revint en mémoire ces heures de bouchon pour aller travailler au bureau, dans une compagnie d’assurances à 25 km de chez lui.

Son évocation des voitures me rappela le temps où les immeubles s’assombrissaient à cause de la pollution et où ces voies bruyantes, polluantes, et dangereuses me traversaient de toute part. Aujourd’hui, le vélo a remplacé la voiture mais les traces de ces anciennes routes n’ont pas pu être complètement effacées en si peu de temps. Elles sont maintenant recouvertes de terre, mais la nature peine à reprendre ses droits face au bitume, encore trop proche de la surface de la terre. Seul les routes en dehors de la ville subsistent encore, mais ceux qui possèdent une voiture doivent la garer à l’ancienne zone commerciale avant de prendre un autre moyen de transport pour rejoindre le centre.

Louka s’intéressa ensuite à de curieux bâtiments. De grandes structures de couleur blanche sont accompagnées d’immenses surfaces planes vides. Thomas décrivit ce lieu atypique comme un centre industriel destiné au soin.
« Mais ils sont tout le temps malades ? s’interrogea l’enfant.
Thomas, amusé de cette réaction inattendue, répondit :
– Non, à cette époque les gens ne savaient pas se soigner, du moins une majorité. Une certaine élite de la société trimait pour apprendre un nombre considérable de connaissances afin de soigner les gens. Ces personnes aux différentes spécialités se regroupaient dans des hôpitaux, cliniques ou tous les autres lieux dédiés au soin.» poursuivit Thomas.
Aujourd’hui, suite à une surcharge des hôpitaux durant l’effondrement, la centralisation des pratiques médicales, c’est terminé. Un processus de décentralisation des savoirs s’est enclenché. Des lieux de soins alternatifs sont apparus, ils regroupent un petit nombres de spécialistes. Ces lieux sont présents presque à chaque coin de rue, ils permettent de former les citoyen⋅ne⋅s aux pratiques médicales et de mettre à disposition un matériel médical spécialisé. Ainsi, tout le monde peut se soigner en consultant ces spécialistes gratuitement, et même se former afin de succéder à ces médecins. Désormais, les citoyen⋅ne⋅s se soignent en grande partie en autonomie ou en se soignant mutuellement.

Thomas regardait Lucy et Louka jouer avec d’autres enfants. C’était beau. Avant l’effondrement, il était enfermé dans une compagnie d’assurance pour gagner une misère. Tous les savoirs acquis pour se reconvertir dans l’ébénisterie, auparavant personne n’y faisait attention. Aujourd’hui, les sociologues cherchent à représenter ces interactions sociales aux travers de modèles, les modèles de Densités EA2D (Echange, Acteurs, Diversité de savoir, Diversité de culture). Ces modèles tendent à valoriser les espaces d’échanges culturels, de savoir ou juste d’interaction sociales. On voit apparaître différents niveaux de EA2D. Avant, les structures du savoir étaient descendantes [Schéma 1 ci-dessous], avec peu d’acteurs et d’actrices transmettant un savoir en particulier. Suite à l’effondrement, d’autres structures se sont démocratisées, avec plus de diversité de savoirs [Schéma 2 ci-dessous] (limitant l’enfermement dans les bulles de filtres) et plus d’acteurs⋅actrices de cultures diverses permettant une mixité sociale importante [Schéma 3 et Schéma 4]. Des infrastructures comme l’UPLOAD reposent sur ces travaux pour élaborer des schémas d’interactions entre les individus afin de coller aux dimensions PAPS.

Schéma 1 : Peu d’acteurs distribuant le savoir à peu de personnes, apprentissage descendant

 

 Schéma 2 : davantage de savoir partagé, toujours dans un modèle descendant

 

Schéma 3 : davantage de savoir partagé, mise en réseaux des savoirs

 

Schéma 4 : diversité des interlocuteurs, chaque personne peut proposer et apprendre

 

Vous vous demandez sûrement à quoi correspond les dimensions PAPS n’est ce pas ? En plus de tous ces schémas et calculs, les hommes ont aussi développé une nouvelle vision de la société, fondée autour de 4 grandes dimensions : une dimension Pluriculturelle, Artisane, Pédagogique et Subsistantielle. Thomas est occupé avec ses enfants, je vais donc vous détailler à sa place ce qu’elles représentent.

1. La dimension Pluriculturelle
Cette dimension promeut l’ouverture à l’autre et le refus de l’enfermement des individus dans des bulles de filtres. Elle ne pose pas de hiérarchie entre les matières, les savoirs ou des savoirs-faire.

2. La dimension Artisane
Cet éclairage vise à produire et réparer les objets de son quotidien. En générant un nouvel environnement technique, cette dimension transforme le rapport à l’outil et permet aux individus de se réapproprier les moyens de productions.

3. La dimension Pédagogique
La dimension Pédagogique prône les concept de transmission, de réception et de partage du savoir sans limite ni barrière. Elle vise a proposer le savoir pour tous et par tous à la manière de structures comme l’UPLOAD ou d’autres lieux d’échanges plus petits.

4. La dimension Subsistantielle
L’autosuffisance passe aussi par une autosuffisance alimentaire. Dans cette optique, la société a cherché à créer des réseaux de savoirs pour la subsistance du commun. Un individu seul ne pouvant pas toujours subvenir à tout ces besoins, l’entraide devint le maître-mot de cette dimension. Le nouvel humain est connecté avec la nature à la manière de l’Homme selon Hans Jonas. Ce nouvel humain tend à préserver, et non plus à asservir la nature.

L’histoire de Thomas s’inscrit dans une histoire plus globale avec l’effondrement, ce sont l’ensemble des fondements sur lesquels reposaient la société qui se sont effondrés. Une société servicielle et fonctionnaliste qui s’est ordonnée en classe sociale et métier, le tout soumis aux principes d’une hiérarchie verticale. Avec la raréfaction des ressources et l’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles, les métiers sont devenus inutiles, la chaîne servicielle s’est brisée. Afin de rependre de l’activité, les humains se sont réinventés, ils ont imaginé une société organique où chacun, chacune possédait une multitude de savoirs. Ces savoirs sont partagées dans les communs.

De cette manière l’UPLOAD permet la formation aux principes d’une vie autonome à un large publique. Le citoyen apprend de cette manière à s’approprier les moyens de production, de subsistance et les moyens pédagogiques. Ces concepts sont réemployés dans la ville, à travers des ateliers communaux de production, autrement nommés des tiers-lieux. Ces lieux alternatifs sont l’extension de l’UPLOAD, ils permettent le partage des connaissances artisanales, ainsi que la mise en commun des outils de production et de réparation.
L’arrivée de ces nouveaux espaces m’a fait grandement du bien, il a renforcé le lien entre mes habitant⋅e⋅s et a permis de mettre en avant des pratiques non-destructrices de mon milieu.

Dans la dernière salle, une stèle était placée au centre de la pièce. Un panneau placé à sa droite donnait les explications suivantes :

L’effondrement est né de l’accumulation de différents facteurs. Au début du XXIe siècle, l’amplification des problèmes sociaux et sociétaux, l’absence de remise en cause du système économique capitaliste et l’inaction face aux enjeux environnementaux ont été le terreau fertile entraînant le déclin de la société. Une période sombre durant laquelle la raréfaction des ressources et la destruction du système économique par une récession qu’on n’a pas su empêcher, ont mis à mal la souveraineté alimentaire et l’accès au soin de chaque individu, d’autant plus fragilisé par la haute fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles. Les individus ont vu leur mode de vie se métamorphoser, se dégrader, ne pouvant plus se projeter dans l’avenir, devant lutter pour survivre pour répondre à leur besoins de première nécessité.

Dessiné au trait, un arbre dont on voit bien la base et tronc mais pas la houppe/ Un panneau écrit est posé contre le tronc sur une branche basse

Dessin de Martin ROUSSEL CC-BY-SA

Presque ému par tous ces mots, je vis Thomas et ses deux enfants quitter l’exposition, le cœur plein d’espoir pour cette future génération.

L’exposition en mon honneur était belle et poignante et montrait tout à fait à quel point il était important de ne pas tomber à nouveau dans nos anciennes habitudes. J’attends avec impatience et confiance l’exposition suivante, celle qui illustrera ce que je serai devenue demain..

Texte sous licence CC-BY-SA
Écrit par : AUBERT Paul, DETEVE Damien, DUFOUR Timothé, EGLES Lisa, ROUSSEL Martin
Co-éditrice : Numa HELL

 

 

Bibliographie

[1] COGNIE Florentin, PERON Madeleine. Mesurer la biodiversité [en ligne]. Conseil d’analyse économique, Septembre 2020 (généré le 18 janvier 2024). Disponible sur Internet : https://www.psychaanalyse.com/pdf/MESURER%20LA%20BIODIVERSITE%20FOCUS%202020%20(11%20Pages%20-%20569%20Ko).pdf

Comprendre un peu mieux les théories autour de l’effondrement :

À propos de la démocratie athénienne :

  • MOSSÉ, C. (2013). Regards sur la démocratie athénienne. Perrin.

Pour en apprendre plus sur les différentes méthodes de vote :

Pour comprendre d’où vient l’idée que plus une proposition provoque des débats, plus elle doit faire l’unanimité à la fin du débat :

  • ROUSSEAU, J. (1762). Du contrat social ou Principes du droit politique.

Pour comprendre nos hypothèses autour de l’université populaire libre ouverte, autonome et décentralisée, la définition de l’UPLOAD : https://upload.framasoft.org/fr/

Pour comprendre davantage ce dont nous parlions autour du « conformisme du savoir », l’utilité des connaissances :

  • GRAEBER, D. (2018) Bullshit Jobs.

Pour comprendre la bascule réalisée par l’UPLOAD dans la société :

  • FRIEDMANN, G.(1963). Où va le travail humain ?
  • ILLICH, I. (2014). La convivialité.
  • GORZ, A. (2008). Écologica. Editions Galilée.
  • PARRIQUE, T. (2022). Ralentir ou périr : L’économie de la décroissance.



La nouvelle du mercredi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

Aujourd’hui, des étudiants aux champs ou plutôt à la vigne, l’agro-écologie est au programme…

Jardins de demain, jardins malins

Découverte… et vive la grelinette !

J’ai la boule au ventre, pourtant je suis surexcité. Je me trouve maintenant devant l’UPLOAD. Je respire un grand coup et pousse la porte de l’amphithéâtre afin d’assister à la réunion de présentation.

Deux étudiants, Pierre et Émile ainsi que Pierrette, directrice de projet depuis 14 ans à l’UPLOAD nous expliquent le fonctionnement du campus. Ils nous détaillent les différentes matières proposées. Je suis légèrement déçu : pas de cours de mécanique pure. À défaut, j’opte pour un cours intitulé « machines agricoles », j’espère que ce sera intéressant… je vais vite le savoir, dans moins de deux heures je vais assister à une première séance.
La réunion de rentrée enfin terminée, je laisse mes jambes me porter en réfléchissant à toutes les informations qui nous ont été partagées. Émile nous a parlé de jardins. En effet, l’UPLOAD possède des serres avec plusieurs jardinières contenant différents légumes, racines, fruits et des arbres fruitiers en extérieur. Tous les membres de l’UPLOAD peuvent y participer. Mais moi, je n’ai pas envie. Je veux me former à la mécanique ! La campagne, j’en ai assez vu. Les jardins, fruits, légumes, etc. aussi. Mes parents sont épiciers, de nombreux agriculteurs venaient pour vendre leurs produits. J’ai envie de renouveau, de découvrir autre chose, une nouvelle thématique. Pierre nous a parlé des journées TVO, Travail Volontaire Obligatoire. Bizarre, ce truc, ça sent l’arnaque… Je vais devoir me renseigner… Bon, c’est maintenant que commence le cours de « machines agricoles ».

Après une brève présentation de la matière, notre professeur nous expose le programme des prochaines semaines. Les étudiants et les personnes qui assistent à son cours ont décidé de l’appeler M. Rotavator, car il adore tous les engins agricoles permettant de préparer la terre pour les semences [1]. Nous allons pouvoir fabriquer notre propre outil agricole, à savoir une grelinette. Un drôle de nom ! Une grelinette est un instrument agraire Low-tech qui aide à rendre le sol plus meuble sans pour autant la retourner. Il parait que ça permet de préserver les écosystèmes présents dans la terre. D’après la maraîchère présente dans la salle, c’est plutôt rapide et efficace tout en minimisant les efforts et en préservant le dos. J’ai jamais vu ça !

C’est un outil avec deux manches en bois reliés par un socle en métal, sur lequel se trouvent de longues dents en métal courbées. Le nombre de dents dépend évidemment de la surface à travailler. L’utilisation n’est pas très compliquée. Il suffit de planter les dents verticalement dans le sol puis de tirer les poignées de chaque côté de son corps. Une motte de terre sera alors soulevée. On aura plus qu’à reculer d’un pas en inclinant l’outil de gauche à droite. La grelinette permet, in fine, de faciliter le passage du râteau. Cet outil est vraiment génial ! Efficace et multifonction [2] !

M. Rotovator s’apprête déjà à nous partager ses connaissances sur la soudure, technique indispensable à la fabrication. C’est la technique de la soudure autogène oxyacétylénique. Pour le moment nous ne faisons aucune manipulation, il faut apprendre les bases de cette méthode qui repose sur la combustion d’un mélange d’oxygène et d’acétylène. Les températures atteignent les 3000 °C ! C’est incroyable !

« Grelinette 4 dents » par Arn, licence CC BY 4.0.

Pour souder les dents à la structure principale, nous allons utiliser des chalumeaux à débit variable à haute et basse pression d’acétylène. Pour ajuster l’importance de la flamme à l’importance des épaisseurs des métaux, il nous suffit de changer la buse du chalumeau [3]. La buse, c’est le petit élément en laiton qui se trouve au bout [4]. Le débit du gaz ainsi que la forme de la flamme sont contrôlés par cette pièce interchangeable. Le professeur a fait circuler plusieurs buses différentes dans l’amphi afin qu’on puisse avoir une idée de l’aspect de cet embout. Une buse est de forme conique avec une espèce de boulon fixé sur la base du cône. Ce cône est bien entendu percé pour laisser la passage du gaz [5]. De plus, pour minimiser les coûts économiques et écologiques, il est important de ne pas utiliser plus de métal que nécessaire. On doit bien connaître la taille, le sens et la direction des efforts subis par les différentes parties de la pièce. Ça me semble super dur ! Je ne suis que novice, j’espère que le professeur va nous aider avec cette partie [6].
« Je sais que j’ai beaucoup papoté, s’exclame M. Rotavator. Mais à l’UPLOAD les cours sont collaboratifs, il n’y a pas vraiment de hiérarchie entre étudiants et professeurs. Lorsque vous souhaitez ajouter une quelconque information, n’hésitez surtout pas ! Vous le saurez pour les prochaines fois. Cela s’applique évidemment à tous les cours. Donc est-ce que quelqu’un veut ajouter quelque chose ? termine le professeur en regardant les étudiants. »
Je décide alors de prendre mon courage à deux mains et de parler devant une cinquantaine de personnes jusque-là inconnues.
« Excusez-moi…Je me suis demandé si l’utilisation du manche en bois permettait bien d’atténuer les vibrations. Par exemple, le manche du marteau est en bois afin d’atténuer les chocs lorsque nous frappons avec ce dernier.
— C’est exactement ça ! Bravo, merci pour ta contribution. Comme nous l’a dit…c’est quoi ton prénom ?
— René.
— Le manche de la grelinette est en bois pour favoriser le confort des utilisateurs et utilisatrices pour les raisons mentionnées par René. Si d’autres personnes veulent partager leurs connaissances, n’hésitez pas à intervenir.
Silence…
— Je vois qu’il n’y a pas d’autres interventions. Je vais vous expliquer le déroulement des prochaines séances. Plusieurs étudiants ayant déjà suivi ce cursus vont intervenir pour vous aider lors de la soudure et de l’assemblage final de la grelinette. Je vous remercie de m’avoir écouté. Bonne journée à toutes et à tous et à la semaine prochaine. »

*Low-tech = système utilisant peu de hautes technologies et qui repose sur la simplicité d’utilisation et sa facilité de réparation.

BIBLIOGRAPHIE – Sitographie :
[1] Rotavator, tout savoir sur cet engin agricole, Machinery Machine, consulté le 18/01/2024
https://www.machinery-machine.com/article-rotavator-tout-savoir-sur-cet-engin-agricole/?utm_content=cmp-true
[2] Tout savoir sur la grelinette du jardin, Ma Grelinette, consulté le 18/01/2024
https://www.ma-grelinette.com/histoire-et-origine-de-la-grelinette/
[3] Travail thermique des métaux : la soudure autogène des métaux, L’ouvrier Moderne (revue), Vol n°2, n°2, page 69, édition DUNOD, 1919
https://www.mattech-journal.org/articles/mattech/abs/1919/02/mattech19190202p69/mattech19190202p69.html
[4] Comment choisir et dimensionner sa buse de brasage ou de soudage OXYA ?, Dominique ADMIN, soudeurs.com, consulté le 18/01/2024
https://www.soudeurs.com/site/comment-choisir-et-dimensionner-sa-buse-de-brasage-ou-de-soudage-oxya-1155/
[5] Buse de soudage, TuToTools, article consulté le 18/01/2024
https://tutotools.com/fr/buse-de-soudage
[6] Soudage, Prat. Ind. Méc., Vol.n°39, n°4, page 109, édition DUNOD, 1956
https://www.mattech-journal.org/articles/mattech/abs/1956/04/mattech19563904p109/mattech19563904p109.html

Des Pokémons dans le jardin

Une petite coccinelle rouge arrive aux abords de Compiègne. Les vrombissements du moteur cessent peu à peu à l’approche du panneau annonçant la ville.
Une femme d’une cinquantaine d’années en descend, elle regarde autour d’elle et semble ébahie par le décor qui se présente à elle. Comment la ville a-t-elle pu autant changer depuis la dernière fois où elle s’y est aventurée ? Les voitures, autrefois à chaque coin de rue, ont disparu, les arbres ont poussé pour agrémenter les chaussées, qui ont été réhabilitées pour les piétons. La verdure ne s’est pas seulement étendue sur les routes, elle a aussi escaladé certaines façades pour rejoindre les toits.
Il y a quelques années, personne n’aurait pu imaginer autant de changements. Elle se souvient des briques rouges des maisons de cette ville qui semblaient maintenant appartenir à un passé lointain. Et cette statue équestre, Jeanne d’Arc qu’elle apercevait de loin et paraissait si réelle, seule sa structure métallique rappelle sa véritable nature.
Marie continue son chemin à pied à travers les rues, découvrant à chaque pas l’impact du temps et des nouvelles politiques mise en place. Face à elle, une université se dresse, elle lui paraît si familière … mais aujourd’hui elle semble ne faire qu’une avec la nature. Qui aurait pu penser que ces murs en béton allaient un jour disparaître au profit de jardins ?
Elle avait quitté la ville trente ans plus tôt pour créer son cocon et développer une agriculture à son image, une agriculture respectueuse de l’environnement. Quand Charlène, une autre agricultrice lui avait parlé de son travail avec les élèves de l’UPLOAD, elle n’avait pas hésité une seconde à rejoindre le programme. Charlène était une de ses grandes amies, dans la viticulture depuis son plus jeune âge, elle avait accompagné Marie dans ses premiers pas en tant qu’agricultrice. Et maintenant c’est Marie qui veut partager son savoir comme Charlène l’avait fait pour elle à ses débuts. Ainsi ses méthodes vivraient à travers chacun et permettrait peut-être de créer un monde meilleur.

Marie s’installe dans l’amphithéâtre qui accueille sa conférence sur l’agroécologie, une méthode agricole qui repose sur les interactions entre l’environnement, l’être humain et la biodiversité ainsi que sur les processus naturels tels que l’équilibre biologique entre les organismes ravageurs et les auxiliaires de cultures [1].
Elle commence avec une partie plus théorique en demandant à l’auditoire quels sont les piliers de cette agriculture. Les doigts des uns et des autres se lèvent, Marie prend soin d’écrire au tableau les mots-clés. Parmi eux, fixation de l’azote, alliance culture-élevage, pollinisation, rotation des cultures et biodiversité [2]…
« Commençons avec le biocontrôle ou en d’autres mots l’utilisation des mécanismes naturels comme l’équilibre entre les espèces qui détruisent les plantations et celles qui les neutralisent », lance Marie en se retournant.
Par exemple certains oiseaux comme les fauvettes se nourrissent d’insectes tels que les pucerons et les chenilles. Pour combattre naturellement les organismes ravageurs on peut donc attirer les auxiliaires de culture en plantant des haies ou en créant des mares [3]. Prenons un autre exemple de mécanismes naturels qui consiste à planter des œillets d’inde à proximité de vos plants de tomates pour repousser les insectes nuisibles [4]. »
Elle poursuit en définissant chacun des piliers relevés par l’auditoire.
« Finissons avec l’agroforesterie, ce principe consiste à planter des arbres à proximité des terres agricoles ou des élevages afin de créer un microclimat. L’agroforesterie permet de protéger les plantations des aléas climatiques comme les épisodes de froids intenses ou de sécheresses. Il est aussi important de noter que la biodiversité est favorisée par la présence de différents types de plantes dans un même espace [5]. Prenons l’exemple de la ferme de la Durette située à Avignon, son domaine s’étend sur 20 hectares : 10 sont réservés au verger, 7 à la prairie et 3 pour le maraîchage. Enfin, les animaux vivent en liberté sur tout le domaine. Le travail de cette ferme est aussi intéressant pour sa collaboration avec les agriculteurs afin d’avoir des retours entre les associations des différentes plantes et animaux et d’améliorer l’agroécologie[6]. »
Elle poursuit avec un moment d’échange sur les expériences de chacun, ravie qu’à la fin, un petit groupe d’élèves l’ait rejointe pour lui proposer de visiter leur jardin.

Marie est impressionnée par le petit écosystème qu’elle découvre, les jardins divisés en deux parties : l’une couverte et l’autre à ciel ouvert.
La première contient une zone de terre entourée de petites clôtures en bois fabriquées par des étudiants, il y a quelques années. On peut y voir les fanes de carottes pointer leur nez à travers la terre et, un peu plus loin, les choux qui attendent la récolte avec impatience. Un petit chemin conduit à une zone arborée qui entoure une petite mare où les salamandres paressent avant d’aller déguster les limaces qui mènent la vie dure aux différentes plantations [4].

Marie aime tellement être entourée par la nature et voir tant de personne s’investir pour rendre cet endroit merveilleux… son sourire s’agrandit. Elle poursuit sa visite par la partie adjacente en extérieur. Le vent doux de l’automne lui caresse le visage sans pour autant interrompre sa contemplation. Le verger, tout aussi beau que la serre, contenait plusieurs variétés d’arbres fruitiers : pommiers, poiriers et pruniers [7].

vue d'une rangée de pommiers, avec fruits rouges
« Apple orchard in Tasmania with fruit on trees DSC_5957 » by Apple and Pear Australia Ltd is licensed under CC BY 2.0.

Le terrain est entouré d’érables à feuilles de frêne, de magnifiques arbres, choisis pour leur résistance aux variations importantes de températures [8].
Elle se tourna vers un petit pommier envahi d’amas noir au niveau des feuilles recroquevillées sur elles-mêmes.
« Vous savez comment lutter contre ces pucerons qui sucent la sève de vos arbres ? demande Marie en pointant le petit arbre.
— Il faut attirer les prédateurs des pucerons pour apporter un équilibre et éviter qu’ils envahissent nos arbres, dit un jeune garçon du groupe.
— Effectivement, dit Marie de manière enjouée. Les auxiliaires de culture intéressants pour contrer les pucerons sont les coccinelles et les bourdons. Vous pouvez planter d’autres fleurs comme des rosiers ou des capucines pour les attirer. Les pucerons aiment s’y installer et comme c’est une source importante de leur nourriture pour elles, les coccinelles suivront. Vous pourrez les voir se développer sur les branches des arbres comme des Pokémons… mais vous ne devez pas connaître, les dessins animés ont changé de nos jours. »

Le groupe se mit à rire de bon cœur.

BIBLIOGRAPHIE-Sitographie :
[1] Agroécologie, Auteurs : Laurent Hazard, Claude Monteil, Michel Duru, Laurent Bedoussac, Eric Justes, Jean-Pierre Theau, consulté le 17/01/2024
https://dicoagroecologie.fr/dictionnaire/agroecologie/
[2] Les fondements de l’agro-écologie, Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, consulté le 18/01/2024
https://agriculture.gouv.fr/les-fondements-de-lagro-ecologie#:~: text=L’agro%2D%C3 %A9cologie%20est%20 l,%2C%20animaux%2C%20humains%20et%20environnement.
[3] Les auxiliaires de culture, les espèces, fiche n°4, agriculture et environnement en Languedoc-Roussillon, Conservatoire des Espaces Naturels du Languedoc-Roussillon, consulté le 18/01/2024
https://www.agrienvironnement.org/pdf/f4.pdf
[4] Le Végétal en fête promeut le jardin écoresponsable, Article Ouest France, consulté le 18/01/2024
https://www.ouest-france.fr/normandie/aunay-sur-odon-14260/le-vegetal-en-fete-promeut-le-jardin-eco-responsable-2512968
[5] L’agroforesterie : définition, avantages, exemples, Mutualia, consulté le 18/01/2024
https://www.mutualia.fr/agriculteur/infos/economie-et-societe/news/lagroforesterie-definition-avantages-exemples
[6] Agroforesterie, exemple de la ferme de la Durette, consulté le 18/01/2024
https://www.youtube.com/watch?v=x_ZXeNpgJeM
[7] Calendrier des fruits et légumes de saison en France métropolitaine, Greenpeace, consulté le 18/01/2024
https://www.greenpeace.fr/guetteur/calendrier/
[8] arbres remarquables, érables à feuilles de frêne, Direction Parcs & Jardins Ville de Beauvais, consulté le 18/01/2024
https://www.beauvais.fr/parcs-jardins/les-arbres-remarquables/erable-negundo.html

 

Dehors, et plus vite que ça !

Cela faisait plusieurs jours que Daniel fixait le plafond, toujours avec ce même regard vide. Il ne faisait plus rien de ses journées, ne se donnait plus la peine d’enfiler son costume, ses chaussures bien cirées, il ne prenait plus sa trottinette pour se rendre à son travail. Il n’en pouvait plus, il étouffait. Lui, il aurait aimé se sentir utile à la société. N’être qu’un simple pantin de REMOVE X était aux antipodes de ses idéaux.
Daniel avait bien conscience que la société avait changé : les voitures sont interdites dans Compiègne, les murs, autrefois bétonnés, arborent une fière verdure, on consomme davantage local, et les gens semblent plus heureux. Rien à voir avec son propre rôle dans son entreprise. Alors le voilà, toujours à fixer son plafond, à se sentir inutile. Quand soudain, un bruit lointain retentit. Si lointain que Daniel a mis longtemps à réaliser qu’il s’agissait de la sonnette de sa propre maison. Alors, avec son caleçon qu’il n’a pas changé depuis trois jours maintenant, et sans prendre la peine d’enfiler quelque chose par-dessus, Daniel se hissa péniblement en dehors de son canapé et marcha jusqu’à la porte.
« C’est qui ? »
Aucune réponse. Daniel poussa un râle d’énervement, et entrouvrit la porte. C’est Didier qui se tenait devant lui, droit comme un piquet et bien propre sur lui, comme à son habitude. Les deux, face à face, faisaient un violent contraste.
Cet homme de quarante-cinq ans, avec de l’embonpoint et de grande taille, vêtu d’une chemise toute blanche et bien repassée et sans un cheveu de travers, est l’ami d’enfance de Daniel. Ensemble ils forment les 2D, les inséparables. Alors il semblait normal que seul Didier arrive à motiver son ami d’aller prendre une douche, d’enfiler des habits, et d’enfin sortir dans la rue.
« Mais on va où ?
— Ça, c’est une surprise. »
Sans un mot, les amis arpentaient les rues. Au fond de lui, voir les rues de Compiègne sans une voiture, les maisons enchâssées dans la nature mettait la boule au ventre à Daniel. Lui, il n’arrivait pas à changer. Cette impression empira quand il vit l’UPLOAD. Même le nom de l’UTC avait changé. Un petit frisson de joie parcourut son corps lorsqu’il remarqua que l’emplacement de la cantine était toujours la même. Toujours de l’autre côté du trottoir, mais elle était devenue tellement plus imposante. Désormais, elle s’étalait du rond-point jusqu’à l’intersection de la rue Notre Dame de Bon Secours. Les 2D rentrèrent dans la cantine.
« Nan mais t’es sérieux ? Tu m’as fait sortir de mon canap’ pour aller à la cantine ?
— Arrête de râler, et regarde ».
C’était une organisation imposante, et minutieuse. À la façon des abeilles dans une ruche, les étudiants savaient exactement quel rôle leur incombait dans cette cantine. Les premiers étudiants qu’on pouvait observer étaient derrière le comptoir, et servaient les plats. Ils étaient chaleureux, affichaient un sourire permanent. Ils étaient proches de ceux qui y mangeaient, leurs amis, leurs professeurs. C’est cette proximité qui rendait les rendait si avenants. Plus loin, avant la sortie de la cantine, ils géraient le bon déroulement de la vaisselle.
« La vaisselle ? » se demanda Daniel. En effet, si l’on observait bien, on pouvait voir que chacun avait ses propres ustensiles, mais les assiettes, les verres, différaient d’une personne à l’autre. Daniel en déduisit que chacun devait les ramener de chez soi, pour ensuite les laver. « C’est malin ». Cette cantine avait pour ambition de réduire son émission de carbone. Une affiche expliquait que le plastique représente 3,4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et que même le carton, pourtant moins polluant car réutilisable, ne pouvait être entièrement recyclé [1]. Les 13 % du carton qui finit en décharge pouvaient abîmer les sols, et donc impacter l’environnement mais se dégradaient quand même plus rapidement que le plastique. Finalement, l’option lavable était préférable pour diminuer le bilan de carbone [2].
Didier entra dans une pièce, derrière le comptoir, mais à l’écart des cantines. C’était le Corridor, le lieu d’apport de la nourriture. Didier sortit de son gros sac des courgettes, des pommes et des poires [3]. Une étudiante en prit livraison, le remercia, et alla les donner en cuisine. Daniel fut surpris qu’elle ne donne pas de l’argent à son ami en échange.
« Allons manger maintenant ! s’exclama Didier.
— Attends… mais on est pas étudiant, on a pas le droit. Et pourquoi elle ne t’a pas payé ?
— Le principe du ReR, la cantine « Rires et Ratatouille », repose sur la collaboration de chacun à son bon fonctionnement. Pour y avoir accès, les élèves suivent des cours en rapport avec l’agriculture, et les personnes extérieures peuvent y manger si elles rapportent de la nourriture ou aident en cuisine. On a apporté des fruits et des légumes, on peut maintenant manger sans payer. Allez, à table ! »

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Cette explication replongea Daniel dans son passé, quand son professeur d’histoire de quatrième racontait à la classe le fonctionnement des différentes communautés. L’une en particulier l’avait marqué, celle des huttérites. Cette organisation dont l’importance était significative au XVIe siècle reposait sur le vivre-ensemble, dans des fermes collectives. En 1545, les huttérites possédaient 21 fermes, chacune comprenait des lieux d’habitation, des pièces pour les activités artisanales, des salles de classe, des cuisines et des entrepôts [4]. Cette communauté se trouvait majoritairement en Moravie du Sud et la production se faisait en grande partie en circuit fermé, mais Daniel n’avait pas tout retenu de ce cours qui datait de presque trente ans.
Didier avait pensé à prendre une assiette, des couverts et un verre pour Daniel. Le repas était délicieux. Il n’avait jamais aussi bien mangé dans une cantine. Les légumes étaient excellents, et fondaient dans sa bouche tant ils étaient tendres.
Ce repas, et l’ambiance si positive qui régnait dans ces lieux lui faisaient du bien. Après avoir fait leur vaisselle, et une fois dehors, Daniel ressentit comme un vide. Dehors, il ne faisait pas froid, et pourtant dans le ReR il avait si chaud. Sur le chemin du retour, cette cantine ne cessait de revenir dans ses pensées. Il voulait revenir là-bas. Non, plus que ça, il voulait participer à cette organisation. Il se sentirait utile, enfin en cohérence avec la société et ses changements.
« Dis, Dédé, comment t’as fait pour commencer dans l’agriculture ?
— Oh, c’est de famille. On se transmet les connaissances de père en fils.
— Ça veut dire que je ne pourrais jamais avoir tes connaissances ?
— Déjà, pour l’élevage bovin, il aurait été mieux que ta famille ait un troupeau et des terres. »
Daniel fit une moue de mécontentement.
« Mais Dany, rien ne t’empêche de commencer par la culture des arbres fruitiers.
— Mais je n’ai aucune connaissance dans ce domaine…
— Dany, je ne t’ai pas dit ? À l’UPLOAD, non seulement la cantine est ouverte à tous, mais les cours magistraux également. Je connais un étudiant qui donne des cours d’arboriculture à l’UPLOAD. Il s’appelle Émile, va le voir quand tu te sentiras prêt. c’est tous les mardis à 11 h »
Sur ces mots, Daniel et Didier se quittèrent. Daniel retrouva son clic-clac, et fixa le plafond. Il savait maintenant comment changer, comment s’adapter à cette nouvelle société. Maintenant, il devait juste trouver la force de sortir de son canapé.

BIBLIOGRAPHIE :
[1] Les rejets de plastique et les émissions de gaz à effet de serre sont en croissance, OCDE, consulté le 18/01/2024 https://www.oecd.org/fr/environnement/plastiques/augmentation-des-rejets-de-plastique-et-emissions-de-gaz.htm
[2] Quel est le bilan carbone des emballages alimentaires ?, Gautier Mulak, We are Green, 10/01/2023, consulté le 18/01/2024 https://wearegreen.io/article/quel-est-le-bilan-carbone-des-emballages-alimentaires
[3] Calendrier des fruits et légumes de saison en France métropolitaine, Greenpeace, consulté le 18/01/2024
https://www.greenpeace.fr/guetteur/calendrier/
[4] Huttérisme, Wikipédia, consulté le 18/01/2024
https://fr.wikipedia.org/wiki/Huttérisme

 

Les raisins de l’apaisement

La lame du sécateur racle la peau de ma cuisse. J’aurais jamais dû mettre un short. Le vieux chapeau trouvé au vestiaire partagé me gratte les oreilles. Tchic Tchac tchic tchac. Les lames s’activent avec vivacité. Une grappe puis l’autre. Pour le moment, je me contente de recueillir les lourdes grappes. Tiédis par le soleil d’octobre, les raisins roulent dans le large panier. C’est Luciole qui l’a réparé à l’atelier vannerie l’année dernière, alors j’évite de la traîner sur le sol. Peut-être que je pourrais bricoler des bretelles pour le porter sur le dos ?
Ça va faire presque deux heures que les vendanges collectives ont commencé et je déplie douloureusement mon dos. Il faudra que je sois plus attentif aux échanges sur l’ergonomie du travail, puisque je vais essayer de passer un peu de temps aux champs.
Je prends une grande inspiration. L’odeur sucrée des fruits presque trop mûrs envahit mes narines. L’été a été plus court que l’année dernière, la récolte arrive un peu tard. Finalement, s’adapter aux saisons, c’est bien complexe quand leurs marqueurs les plus anciens se sont effacés.
Au concert des outils tranchants s’ajoute le vrombissement d’un broustick, rare insecte encore visible depuis les grandes extinctions. J’essaie de visualiser le poster des pollinisateurs des toilettes de l’UPLOAD. C’est une affiche un peu vieillotte des années 90. Moustiques variés, abeilles noires et mouches, que des bestioles que je n’ai jamais croisées, la faute, entre autres, aux produits phytosanitaires. Il parait aussi qu’il y avait moins de haies et d’arbres, que les animaux qui permettaient le transport des gamètes ont vite perdu leur abri. Ce broustick un peu frêle, c’est un survivant ! Des ailes longues, de gros yeux à facettes, et détail auquel je n’avais jamais fait attention, une petite trompe poilue.

Photo par Samuel Mariot, licence CC BY-NC 2.0 Deed

 

Contrairement à la carte postale du hall du bâtiment agricole, ce qui se déploie devant moi n’a rien de monotone. Les champs sont parsemés de haies. Point de boue entre les rangs, on perçoit à peine le sol entre les herbes et les fleurs. Des arbres s’entrelacent entre les ceps, rendant la chaleur d’octobre acceptable. Ils ont une drôle de forme, avec des sortes de gros bubons d’où s’échappent de maigre branches.
« C’est pas très beau ces trognes, hein ? » dit une voix qui me sort de ma rêverie.
« On peut aussi appeler ça un têtard… en gros, pour éviter que les arbres deviennent trop grands et fassent de l’ombre à la vigne, on coupe régulièrement les branches du haut. Je viens souvent aider au trognage, comme ça je récupère les branches pour donner du fourrage à mes chèvres ! Et ensuite hop ! L’arbre cicatrise et forme une petite boule, un peu comme notre peau quand on se coupe ! »
Un sourire franc et un bras énergique, la femme qui m’interpelle n’a cessé de couper pendant qu’elle me parlait.
Notre échange va bon train, elle s’appelle Marie, elle est agricultrice. Et elle aime ça. Dans sa bouche, les herbes et les arbres ont des noms et prennent vie. Elle lit le milieu qui nous entoure, connaît le chant des oiseaux. Je demeure gauche avec mon sécateur, mais la sensation d’être de trop s’estompe un peu. Essayer de décomposer les gestes pour les comprendre. Les doigts engourdis se crispent sur le manche. Décidément, il faudrait repenser les outils de travail. Améliorer les lames, pour qu’elles s’émoussent moins vite. Faudra voir avec Charlène aussi, mais le transfert des raisins à la cuve de stockage a l’air périlleux. On pourrait peut-être mettre en place un système de poulies pour hisser les hottes de fruits ? SHLACK
« Fuck ! » le sang pulse sous l’ongle de mon pouce. Il est temps de prendre une pause !

 

Une passion qui se transmet

Marie aperçoit le bout du chemin. Elle profite du calme de la nature quelques derniers instants avant le début de cette journée frénétique. Dans la cour de la ferme, elle a à peine le temps de poser son vélo, qu’elle se fait embarquer par son amie Charlène, la vigneronne. Aujourd’hui, les étudiants de l’UPLOAD viennent aider aux vendanges et Charlène ne peut tous les encadrer seule, elle a donc demandé de l’aide à d’autres collègues, comme Marie. Cette dernière va devoir expliquer et montrer les bons gestes, soutenir les personnes fatiguées, en somme, superviser la récolte.
Marie se voit confier la responsabilité d’une vingtaine de personnes.
« Il va falloir se séparer en deux groupes. Le plus nombreux s’occupera de récolter le raisin. Vous aurez tous un sécateur et un panier. On coupe la grappe à sa base, en sélectionnant uniquement les plus mûres, et en évitant celles qui sont déjà pourries. N’hésitez pas à me demander si vous avez un doute, surtout au début, mais vous arriverez rapidement à faire la distinction vous-mêmes. Ensuite on les pose délicatement dans les paniers.
L’autre groupe, vous êtes chargés de transporter les paniers pleins hors des champs puis jusqu’à la cave.
Ces deux travaux sont très exigeants physiquement mais différemment, donc n’hésitez pas à alterner les postes entre vous. »[1]

Deux heures plus tard, tout le monde est au travail avec enthousiasme. Marie peut souffler un peu. Elle regarde autour d’elle, subjuguée par les paysages automnaux, elle sent le vent sur son visage, l’odeur du raisin fraîchement récolté. En fond sonore, des conversations enjouées, ponctuées par des soufflements d’efforts.
Marie aime voir toutes ces personnes travailler pour un objectif commun.
Elle sort soudain de ses pensées et revient à ses responsabilités du jour. Elle balaye la vigne du regard pour vérifier le bon déroulement des évènements, repérant ainsi un étudiant qui semble isolé. Ses mouvements ne sont pas empreints du même entrain que les autres. Est-il fatigué ? Alourdi par des soucis dans sa vie ? Poussée par la curiosité, elle s’approche tranquillement de lui. Il ne semble pas la remarquer, absorbé dans ses pensées. Marie se met donc au travail à ses côtés, prête à discuter lorsqu’il sera disposé.
Devant son air étonné face aux trognes, elle en profite pour lancer la conversation et lui expliquer leur origine. Elle a gagné son attention et enchaîne donc :
« Comment te sens-tu au milieu de tout ça ?
— C’est étrange, je me sens à la fois accueilli et étranger à cet environnement. Pas à ma place finalement. Et vous, pourquoi êtes-vous devenue agricultrice ? »
Marie prend quelques instants pour se concentrer sur ses sensations et ce qui la rend heureuse au quotidien.
« Je crois que l’agriculture s’est transformée ces dernières années, elle s’apparentait autrefois à un combat contre la nature. On utilisait de nombreuses techniques très néfastes pour les sols ou la biodiversité. La monoculture par exemple était responsable de l’appauvrissement des sols en matière organique, en azote, ou encore en vers de terre [2]. On faisait également un fort usage de nombreux pesticides qui avaient pourtant un effet désastreux sur la biodiversité ou encore la qualité de l’eau [3]. Petit à petit des pratiques bien plus éco-responsables se sont démocratisées : l’agro-foresterie, la polyculture, ou encore la permaculture. Aujourd’hui on cherche à construire un partenariat avec la nature. C’est comme une danse, on est en quête de l’équilibre parfait, d’harmonie avec cette entité immense d’une sagesse infinie. C’est une découverte de chaque instant et un émerveillement continu.
Pourtant, ça reste un travail très difficile. Il faut être en constante adaptation, nous sommes soumis aux aléas climatiques, et il faut travailler sans relâche. Les plantes et les animaux ne connaissent ni le week-end, ni les vacances. C’est épuisant physiquement aussi. Hier encore j’ai manié la grelinette toute la journée, et l’avancée du travail semble pourtant assez faible. Il faut savoir être patient, car nous avons encore du mal à allier productivité et respect de notre environnement. »
À son tour, René se confie. Il est passionné de mécanique, mais avait du mal à comprendre l’obsession de l’UPLOAD pour l’agriculture. Mais finalement, être dehors est agréable, et il aime à comprendre comment travaillent les agricultrices. Au fil de leurs échanges quand leur rythme ralentit, Marie décèle la véritable préoccupation de René pour ses conditions de travail. Avant de rejoindre le reste du groupe, qui les a depuis longtemps distancés, elle lui propose de se revoir : elle a besoin de réparer ses outils !

BIBLIOGRAPHIE :
[1] Vendange, Wikipédia, consulté le 18/01/2024
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vendange#Vendange_manuelle
[2] Effect of Crop Rotation and Cereal Monoculture on the Yield and Quality of Winter Wheat Grain and on Crop Infestation with Weeds and Soil Properties, Woźniak, A. Int. J. Plant Prod. 13, 177–182 (2019).
https://doi.org/10.1007/s42106-019-00044-w
[3] Impact of Pesticides Application on Aquatic Ecosystem and Biodiversity : A Review, Pawan Kumar, Kumar, R., Thakur, K. et al. Biol Bull Russ Acad Sci 50, 1362–1375 (2023)
https://doi.org/10.1134/S1062359023601386

Ces textes sont sous licence CC-BY-SA
Auteurs & autrices : Anthéa Cordeiro, Emna Bettaleb, Léonie Touzard, Camille Renaud, Pauline Henry




Pourquoi faire de l’éducation populaire au numérique ?

Julie et Romain, les deux cofondateurices de l’Établi numérique, ont fait un travail très intéressant d’introspection sur le sens de leur activité, faire de l’éducation populaire au numérique. Nous sommes ravi⋅es de leur laisser la parole.

Dès nos premières discussions, avant-même la création juridique de la structure, nous savions ce que nous voulions faire : de « l’éducation populaire au numérique ». Pour nous, c’est la meilleure manière de décrire ce que nous faisons. Mais concrètement, qu’est-ce qu’on veut dire quand on parle d’éducation populaire au numérique et pourquoi pensons-nous que c’est fondamental en ce moment ?

L’explosion du numérique

Il y a vingt ans, quand, profitant du climat politique du 11 septembre 2001, la Loi sur la Sécurité Quotidienne introduit l’obligation pour les fournisseurs de service de chiffrement de fournir leurs algorithmes aux autorités, les réactions sont très limitées dans le champ de la société civile et inexistantes au niveau politique. La Quadrature du Net n’existe pas encore pour faire un travail de veille juridique et de vulgarisation des enjeux, et les organisations professionnelles de journalistes (par exemple) ne se sont pas encore saisies de ces questions. À cette époque, nous étions peu en dehors des spécialistes à nous intéresser aux questions de surveillance.

Deux décennies plus tard, L’Etabli numérique est régulièrement sollicité pour des ateliers et des formations sur l’intimité numérique, et les livres, newsletters et autres podcasts sur les libertés numériques fleurissent. Qu’est-ce qui a changé sur cette période ? Beaucoup de choses, mais en particulier un évènement majeur : le numérique est devenu une partie intégrante du quotidien de la quasi-totalité de la population en France. Aujourd’hui, plus de 80% des personnes ont un smartphone et 83% se connectent à Internet tous les jours ; en 2000, moins de 15% de la population a un accès Internet. Il y a vingt ans, Internet a déjà commencé à transformer le monde, mais le réseau n’affecte qu’un petit nombre de secteurs, et impacte surtout la vie professionnelle des personnes concernées. Maintenant, impossible de ne pas être affecté⋅e d’une manière ou d’une autre par les transformations numériques en cours. Dans notre vie intime, dans nos interactions avec les administrations, au travail : le numérique est partout.

En 2001 donc, il était encore possible de ne pas être concerné⋅e par le numérique et ses impacts ; à l’époque, les expert⋅es et les spécialistes lié⋅es à l’industrie naissante de la tech monopolisaient le sujet, mais les enjeux étaient moindres. En 2023, le numérique affecte tout le monde ; il doit donc pouvoir être réfléchi, débattu et transformé par tout le monde. Faire de l’éducation populaire au numérique, c’est contribuer, modestement et avec nos moyens de petite structure, à la construction d’un espace démocratique de délibération autour du numérique.

Qu’on le veuille ou non, le numérique est là. Toute une infrastructure numérique faite de câbles, de machines et d’armoires à serveurs recouvre maintenant le globe entier. Plus encore, le numérique a transformé nos manières de vivre, de nous organiser et de nous déplacer d’une manière telle que tout retour en arrière soudain est impossible. Pour le meilleur et pour le pire, notre société est devenue profondément numérique.

Illustrations CC BY David Revoy

Un enjeu démocratique

En tant que citoyen⋅nes, nous n’avons (presque) pas été consulté⋅es tout au long de ce processus, mais c’est quand même à nous de faire l’inventaire et de déterminer ce que nous voulons faire de cette transformation. Le numérique est un sujet trop sérieux pour être laissé à des milliardaires, indépendamment de ce qu’on pense des milliardaires en question. Ce n’est pas d’un match de boxe entre Zuckerberg et Musk diffusé sur Twitch dont nous avons besoin, mais d’espaces de décisions où, à toutes les échelles, nous réfléchissons ensemble sur les communs numériques que nous souhaitons nourrir, renforcer ou réajuster.

Un des problèmes que nous avons à l’heure actuelle, c’est que le numérique est certes reconnu comme un enjeu de société, mais qu’il reste identifié comme un sujet technique malgré tout . Aujourd’hui encore, il faut être développeur⋅euse, chercheur⋅euse ou travailler dans la tech pour être légitime sur la question numérique. C’est l’industrie du numérique elle-même qui pose souvent les paramètres du débat sur les enjeux de la technologie, ce qui rend difficile toute réelle évolution. La Tech pense toujours pouvoir résoudre par plus de technologie les problèmes causés par la technologie, et nos dirigeant⋅es politiques sont souvent ravi⋅es de la suivre dans ce technosolutionisme naïf.

C’est là que l’éducation populaire intervient. Faire de l’éducation populaire au numérique, c’est fournir à chacun⋅e les clés de compréhension nécessaires pour pouvoir se positionner, mais c’est aussi déconstruire l’idée que la technologie est une question de spécialistes. Tout utilisateurice de la technologie a des retours à faire sur ce qui fonctionne ou pas, des idées de ce qu’il faut changer, des expériences à transmettre, bref une expertise. L’éducation populaire part d’une vérité simple : nous sommes tou⋅tes déjà expert⋅es du numérique, même si nous ne le sommes pas tou⋅tes à la manière d’un⋅e ingénieur⋅e. Plus encore, si on veut éviter de continuer à reproduire les problèmes systémiques du numérique tel qu’il est actuellement, cette expertise collective est indispensable.

L’objectif étant de permettre à tout un⋅e chacun⋅e de se saisir des enjeux du numérique, il est fondamental que les méthodes que nous utilisons invitent à la discussion, à la participation, à l’évolution. Participer à un atelier sur les impacts environnementaux du numérique, c’est déjà réfléchir à ce qu’on veut garder ou pas dans le monde numérique actuel, c’est déjà se confronter aux besoins et aux enjeux des autres, c’est rentrer dans une démarche de délibération autour du numérique. C’est pour cette raison que nous accordons une attention particulière aux méthodes pédagogiques dans les interventions que nous construisons. L’important, c’est que les participant⋅es à nos formations repartent équipé⋅es et confiant⋅es sur leur capacité à réfléchir et à prendre des décisions, pas que tout le monde soit d’accord à la fin, et encore moins que tout le monde finisse d’accord avec nous.

Sortir de la dystopie

En 2000, le numérique était une utopie qui allait nous libérer tou⋅tes des contraintes de notre quotidien et impulser une nouvelle ère de progrès social. Vingt ans plus tard, le numérique a réussi à s’imposer partout, mais a pris en chemin des traits clairement dystopiques : les réseaux sociaux ont parfois permis de coordonner des révoltes démocratiques, mais sont aussi un espace de discrimination ; le travail à distance fait émerger des nouvelles formes de travail plus riches, mais permet aussi un renforcement de l’intensité du travail  ; Internet donne accès à un savoir incroyable, mais permet aux rumeurs et à la désinformation de se propager toujours plus rapidement ; …

Faire de l’éducation populaire au numérique, c’est permettre à tou⋅tes de comprendre et de transformer cette réalité numérique complexe dans laquelle nous vivons maintenant. Sortir de la dystopie ne se fera pas par des débats de spécialistes, mais par l’intelligence collective.




La nouvelle du mardi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’UTC.

Aujourd’hui, la vie quotidienne sur le campus, on se bouge sans voitures à l’UPLOAD… Mais d’abord  cet apéritif riche en calories : le monologue d’un poêle de masse !

Confession d’un poêle de masse

— Enchanté, je suis le poêle de masse du foyer étudiant de l’UPLOAD ! Je trône dans ce grand salon collectif où vivent les étudiant·es, afin d’apporter de la chaleur à leur corps mis à rude épreuve par l’hiver picard et les pénuries énergétiques. Toutes les salles de l’université ne peuvent être chauffées, mais vous pourrez toujours compter sur moi pour vous apporter du réconfort physique et moral. Car attention, je ne suis pas qu’un vulgaire moyen de chauffage : oh non, je suis bien plus que ça ! Voulant réchauffer leurs corps, les étudiant·es se réunissent autour de moi, créant ainsi des moments festifs et intimes qui réchauffent aussi leurs cœurs. C’est sûrement pour ça que je suis l’un des rares objets du foyer à avoir mon propre surnom : “Poelito” qu’iels me nomment ! C’est bien sûr ironique, car je pèse plusieurs tonnes. Mais moi je n’ai rien à envier aux poêles classiques tout rachitiques, au contraire, c’est mon poids qui fait ma force en tant que poêle de masse ! Laissez-moi vous expliquer…

Wood Stove par Matt Kern, licence CC-BY 2.0 Deed

 

Je me nourris de bois, une ressource locale, abordable et renouvelable. Contrairement aux poêles classiques qui le consument lentement et réchauffent directement l’air ambiant, je le brûle violemment et le stocke dans la matière qui m’entoure. Il peut s’agir de brique, de pierre, de terre crue, de faïence, bref n’importe quoi d’assez dense pour retenir la chaleur par inertie. L’avantage, c’est que je libère de la chaleur par rayonnement tel un petit soleil, et ce à faible dose jusqu’à 24h voir 36h après ma combustion, ce qui est beaucoup plus agréable et pratique. Eh oui, il suffit de me nourrir de quelques bûches, et puis vous êtes tranquille pour le restant de la journée ! C’est très pratique quand l’étudiant·e responsable de ma combustion chaque matin a oublié son tour ou veut faire la grasse mat’ après une soirée bien arrosée à l’alcool de topinambour. Bon, en pratique je ne meurs jamais de faim car les étudiant·es aiment me nourrir sans cesse – tel des grand·es parent·es avec leur petit-enfant – faut dire que je ne suis pas compliqué. Grâce à ma combustion à haute température, je brûle plus efficacement tout type de bois, en produisant moins de pollution et ce pour un meilleur rendement (jusqu’à 90 %!) par rapport aux poêles classiques. Alors vous êtes convaincu·es ? Il n’y a plus qu’à me construire ! N’ayez pas peur, même des étudiant·es peuvent le faire, alors pourquoi pas vous !

Je suis né à l’occasion d’un projet scolaire d’étudiant·es de l’UPLOAD. Iels ont commencé par identifier les différents matériaux qui me constitueraient : des pierres taillées par les apprenti⋅es tailleur·euses du coin pour la structure principale en contact avec les flammes, des briques récupérées d’un vieux muret effondré pour la structure secondaire et la cheminée, quelques faïences artisanales pour un habillage étanche et classe, de la terre crue en briques ou enduits pour recouvrir le tout et faire des bancs chauffants à mes côtés. Vous me verriez, je suis unique en mon genre, le digne reflet des matériaux et savoir-faire locaux !

Après cet inventaire, les étudiant·es ont pu imaginer mon fonctionnement et mes plans. Comme tout poêle de masse, je suis composé d’un cœur de chauffe où se déroule la combustion, de circuits de fumées sinueux pour que la chaleur ait le temps d’être capturée par ma masse, de clapets pour rediriger l’air chaud en fonction des usages et d’un conduit de cheminée pour évacuer les fumées froides. Mais tous les poêles de masse n’ont pas autant de fonctionnalités que moi, je suis le top du panier ! J’ai une multitude de circuits pour envoyer l’air chaud vers différentes choses : l’air ambiant du foyer, l’eau des douches, les plaques de cuisine et même un mini-four à pizza directement au-dessus de mon cœur de chauffe. Je suis le cœur chauffant du foyer étudiant !

Une fois les plans faits, il a bien fallu me construire. C’est pas compliqué mais ça prend du temps : heureusement il y a plein de gens à l’UPLOAD prêts à donner un coup de main. Iels y ont mis du cœur à l’ouvrage ! Chaque participant·e a tracé son prénom et des petits dessins dans mon enduit en terre, créant ainsi une œuvre d’art commune et conviviale. Ma construction s’est conclue par une grande fête pour célébrer le travail collectif accompli et la joie d’avoir enfin du chauffage. C’était si émouvant, de quoi faire pleurer même un cœur de pierre comme moi !

Bibliographie
SZUMILO David au nom de l’association Oxalis, « Poêle de masse OXA-LIBRE », wiki du low-tech lab, consulté le 18 janvier 2024 : https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Po%C3%AAle_de_masse_OXA-LIBRE

Autrice : Morgane RIGAUD, texte sous licence CC-BY-SA

 

 

Mission dirigeable !

Auteur·rices : Anouk THOMAS, Carlotta JUGÉ, Chloé MATHIEU, Joris TRIART, Morgane RIGAUD, sous l’encadrement de Christophe MASUTTI et Jean-Bernard MARCON, Ce document est disponible sous licence CC-BY-SA.

Réveil en retard

Dissimulés entre les feuilles de la façade verdoyante de la résidence universitaire, de petits moineaux avaient fait leur nid sous la fenêtre de la chambre de Maura. Leur doux chant l’avait tirée d’un rêve captivant. Son réveil n’avait pas sonné ce matin-là, sûrement encore un faux contact. Ces vieux bidules des années 1980 n’ont jamais été réputés pour la fiabilité des circuits intégrés. Pas grave, elle irait le réparer au Fablab de l’université.

Maura se prépara pour une journée chargée à l’UPLOAD, l’Université Populaire Libre Ouverte Accessible et Décentralisée. Un détail attira son attention sur son calendrier de bureau : l’anniversaire de Théo prévu dans une semaine ! Il faudra lui trouver un cadeau. Réfléchissant à ce qui pourrait faire plaisir à son meilleur ami, elle fila vers la cuisine partagée. Pour faire le plein d’énergie, elle prit quelques graines et fruits secs en guise de petit déjeuner, ainsi qu’une infusion à l’ortie. Elle était en retard, elle le savait, mais le cours magistral sur les transports ne la réjouissait pas tellement. Ce qui lui plaisait, elle, c’était la bricole. Elle descendit de la résidence en vitesse par la tyrolienne et emprunta un vélo de la Ville pour gagner du temps.

Voyage jusqu’à l’UPLOAD

Sur la route, elle croisa le vieux Grégoire qui se déplaçait en tic-tic, sorte de tuk-tuk à la sauce compiégnoise. Elle se moquait souvent de ces véhicules – au principe tyrannique d’une personne tranquillement assise à l’arrière tandis qu’une autre s’essoufflait à tirer le tout – mais il fallait avouer que c’était bien pratique pour les personnes n’ayant pas la capacité de se déplacer à vélo par elles-mêmes.

« Alors Grégoire, tu penses arriver avant moi à l’UPLOAD ?
— On va bien voir ! Le premier arrivé garde une place à l’autre dans l’amphi.
— Ça marche ! »

Maura se mit à pédaler plus vite pour dépasser le vieil homme, mais il y avait pas mal de circulation. Elle entendit au loin des sirènes et vit une ambulance passer à vive allure. Sans doute encore un accident de vélos au croisement du Boulevard Gambetta. Les gens devraient vraiment davantage respecter les feux tricolores : c’était bien l’une des rares choses que la voiture avait apportées de bon, et l’une des rares choses que l’on avait gardées d’elle d’ailleurs.

À cause des pénuries de carburant, on avait délaissé les voitures pour finalement les interdire complètement. Vécue comme une privation au départ, la disparition de ces « bagnoles » avait montré des vertus salvatrices. L’air était plus pur et les rues plus sûres.

Le chant des oiseaux avait remplacé le grondement des moteurs. Les parkings étaient convertis en places de marché de quartier ou utilisés pour divers usages collectifs, ressourceries ou ateliers. Certaines routes avaient été décapées de leur bitume pour y replanter des arbres apportant de la fraîcheur lors des étés toujours plus chauds, et des voies routières d’autrefois revenaient désormais aux piétons et cyclistes. Les voitures uniformes avaient laissé la place une joyeuse hétérogénéité de vélos en tout genre. Certains étaient traficotés à partir des carcasses et composants d’anciennes voitures, dont le recyclage massif fournissait une source de matériel et de créativité pour de nouvelles inventions. Les ambulances à hydrogène faisaient partie des rares véhicules motorisés encore autorisés en ville, fonctionnant grâce aux quelques stations d’électrolyse installées çà et là.

Maura et Grégoire arrivèrent finalement en même temps au hall d’entrée de l’UPLOAD. C’était un lieu qui formait avant tout des ingénieur⋅es, mais aussi toute personne curieuse et désireuse de s’instruire dans les domaines techniques. L’université consistait en un regroupement de bâtiments végétalisés, rénovés ou fabriqués grâce à des ressources locales et des techniques de construction sobres. Mais le bâtiment préféré de Maura était le Fablab, un grand atelier où l’on avait tout le matériel et l’aide nécessaire pour réparer, recycler ou construire n’importe quoi. Le gardien du Fablab était Grégoire, un papy ronchon mais gentil de 64 ans. Malgré les taquineries qu’elle lui envoyait, Maura avait beaucoup d’estime pour lui. Il lui avait appris énormément sur la menuiserie et l’artisanat. Au-delà du Fablab, il y avait également de nombreuses salles pour que les élèves puissent organiser et assister à des conférences, ateliers pratiques et retours d’expériences. Et c’est justement en salle A100 que le cours sur les transports se déroulait.

Cours sur les transports

Maura et Grégoire ouvrirent la porte de l’amphi et s’assirent rapidement pour ne pas déranger l’exposé du professeur, un spécialiste des mobilités. Son cours introductif portait sur l’impact de l’effondrement sur nos modes de déplacements actuels. Maura, qui était certaine qu’elle allait passer une bonne partie du cours à somnoler, se décida à tout de même en écouter une partie :

« L’obsolescence des moyens de transports traditionnels suite à l’effondrement nous a poussés à totalement repenser l’urbanisme et la manière dont nous nous déplacions… ».

Le professeur vanta l’efficacité du tramway Compiègnois, décrivit en détails le processus d’aménagement et de création d’espaces verts pour les animaux de trait, s’attarda sur la transformation des routes en pistes cyclables et équestres, puis épilogua sur la quantité de voitures prêtes au recyclage qui gisaient à la déchetterie. La deuxième partie du cours portait sur la place prépondérante des dirigeables dans le transport de marchandises et de la place essentielle qu’occupait l’aéroport de Compiègne dans celui-ci.

Assis au premier rang, Théo, qui avait une grande fascination pour les dirigeables, rejoignit le professeur et commença à discuter avec lui des différents mécanismes utilisés par les dirigeables lors de changements d’altitudes, l’un défendait la compression des gaz et l’autre la descente assistée par propulsion. Maura crut qu’elle allait s’évanouir d’ennui. Soudain, la délivrance : la fin du cours était annoncée.

Enfin, la journée allait pouvoir commencer. Maura et Grégoire retrouvèrent Théo puis se dirigèrent vers la cantine collective pour le déjeuner. Aujourd’hui au menu : concombres verdoyants à la sauce vinaigrette en entrée, œufs au plat venus tout droit du poulailler de l’UPLOAD et une généreuse part de tarte aux pommes servie en dessert. Pour les étudiants qui souhaitaient cogérer le restaurant, des cours de nutrition étaient obligatoires. Les autres pouvaient aider à la préparation des repas du matin et du soir avec les aliments récoltés dans le potager. Après s’être servis, Théo, Maura et Grégoire s’installèrent à une table et dégustèrent le délicieux repas concocté par les étudiants.

« Vous voudriez assister à quel cours maintenant ? Je sais qu’il y a le temps de partage de savoir-faire en jardinage à 14h, ça pourrait être intéressant.
— Je suis d’accord, répondit Maura, en vrai j’aimerais bien apprendre à planter des tomates !
— Va pour l’atelier de jardinage !
— Moi je vous laisse, je retourne au Fablab faire l’inventaire, dit Grégoire en se levant.
— OK, à ce soir Grégoire ! »

Atelier jardinage

Avec enthousiasme, Maura et Théo se dirigèrent vers la serre et le potager. Un petit groupe s’était déjà formé et écoutait la présentation du jardinier :

« Bonjour à tous, j’espère que les concombres vous ont plu ce midi. Aujourd’hui le cours portera sur les différentes combinaisons de plantes. Cette technique appelée compagnonnage est née de l’observation et de la pratique.

Si je prends l’exemple des légumineuses qui enrichissent le sol en azote, il peut être judicieux de les associer à des plantes qui ont besoin de cet apport comme les tomates ou les cucurbitacées. De plus, certaines plantes aromatiques, grâce à leurs odeurs particulières, peuvent éloigner voire éliminer des insectes nuisibles comme le basilic qui est un fort répulsif de mouches et moustiques. Il s’associe parfaitement avec les tomates, asperges, poivrons, piments et aubergines. Maintenant c’est à vous de jouer : choisissez une combinaison dans le manuel et plantez-la en respectant les techniques de jardinage. »

Tous les étudiants mirent la main à la pâte et s’occupèrent en binôme d’une combinaison de plantes. Maura et Théo avaient choisi l’association thym-brocoli. Le thym planté à proximité permettrait d’éloigner les mouches blanches des brocolis. Après avoir fini leur plantation, le jardinier arriva pour inspecter les travaux finis.

« Pas mal, lâcha-t-il, pour une première, vous vous en sortez bien !
— Merci, c’est pas si dur en fait le jardinage ! Il y a des petites techniques à apprendre et puis notre potager se retrouve rempli de bons fruits et légumes, répondit Maura enthousiaste.
— C’est vrai, mais il y a aussi toute la partie entretien du potager ! objecta le jardinier. Il y a dans toutes disciplines des parties moins agréables mais essentielles qui nous rendent encore plus fiers du travail accompli. »
Le jardinier se tut, il semblait méditer. Théo saisit cette opportunité pour s’introduire dans la conversation.
« Moi quand je travaille sur les dirigeables, je suis toujours fier du travail accompli !
— Oh non, pas encore tes dirigeables ! s’exaspéra Maura.
— Vous saviez que les nouveaux dirigeables à panneaux solaires émettaient seulement l’équivalent d’1 % des émissions CO2 d’un avion pour du fret, alors que…
— Théo, reste concentré sur le potager ! lui intima Maura.
— Vous ferez moins les malins quand j’aurai un poste d’ingénieur dans une des usines d’assemblage !
— Les usines fluviales ? demanda le jardinier intrigué.
— Oui ! Elles sont placées à côté des fleuves, car les dirigeables ont besoin d’hydrogène, et pour produire de l’hydrogène on a besoin de beaucoup d’hydro-électricité, d’où les barrages !
— Tu parles de l’électrolyse ?
— Exactement ! » Le jardinier se tourna vers Maura, puis s’adressa à nouveau vers Théo :
« Vous m’avez l’air plutôt débrouillards, vous suivez le cours de recyclage ?
— Évidemment ! répondit Maura.
— On se verra certainement au cours de demain dans ce cas ! Je me suis inscrit récemment, mais bon j’y connais pas grand-chose, dit-il l’air gêné.
— T’inquiète pas on sera là pour t’aider ! Au fait moi c’est Maura ! s’exclama-t-elle.
— Je m’appelle Émile, enchanté ! »

Cours de recyclage

Le jour suivant, nos amis se retrouvèrent en cours de recyclage portant sur le chapitre des étapes menant à la réutilisation des composants de la voiture.

Théo était happé par le cours, qu’il trouvait utile pour son projet de conception de dirigeables. Il apprit ce jour-là que les voitures ne pouvaient pas encore être entièrement recyclées, la réutilisation et la valorisation des composants atteignaient seulement 80 % de la masse des véhicules. Pour cela, il fallait respecter plusieurs étapes : la dépollution, le démantèlement, le broyage et enfin le recyclage des composants. Tout d’abord, il fallait dépolluer en retirant tous les liquides de la voiture puis la démonter pour mettre de côté les pièces réutilisables. La carrosserie était ensuite broyée pour créer de la ferraille, utilisée dans les nouveaux produits en acier comme les ustensiles de la cantine collective, et le reste des composants, tels que le verre ou le caoutchouc, étaient également recyclés. Beaucoup d’objets dans la ville étaient issus de ce processus de recyclage, comme l’horloge centrale, les lampadaires et les machines des usines relocalisées.

Maura, assise derrière, chuchota à Émile et Grégoire :
« L’anniversaire de Théo c’est dans une semaine ! J’aimerais beaucoup lui faire une surprise, j’ai besoin de votre aide. J’ai pensé que ce serait une bonne idée de lui offrir un dirigeable… miniature ! Il adore ça et ne fait qu’en parler, c’est le cadeau idéal ! Ça vous dirait de m’accompagner ce soir pour aller chercher les matériaux ? »
Toujours prêt à aider les autres, Émile répondit sans hésitation:
« Carrément !
— C’est une très bonne idée Maura, dit Grégoire. Je me fais un peu vieux pour ce genre d’escapade à la déchetterie, mais je pourrai vous aider à le fabriquer au Fablab une fois tous les éléments réunis ! »

Escapade nocturne à la déchetterie

Émile et Maura bouillaient d’impatience, c’était le moment d’aller chercher les matériaux pour la confection du cadeau de Théo. Ils étaient déterminés à aller les récupérer à la déchetterie de la Ville, mais savaient que cette escapade ne se serait pas de tout repos. La déchetterie était commune à tous les habitants et pour avoir accès aux matériaux, il fallait une raison valable, ça devait être utile à toute la ville. La fabrication d’un cadeau pour un ami n’était certainement pas de première nécessité, c’est pourquoi ils devaient y aller de nuit, sans être repérés. Il y avait des gardes, certes, mais ça ne les intimidait pas. Ils avaient un plan d’action.
« Si on part à 22 h, il fera encore jour. Je pense que c’est mieux de partir vers minuit.
— Je suis d’accord, mais du coup le tramway ne passera plus à cette heure-là. On y va comment ?
— On pourrait emprunter un tic-tic, c’est toi qui pédaleras à l’aller et moi au retour, ça te va ? proposa Maura en esquissant un sourire.
— Ça me va ! Faudra le garer assez loin de la déchetterie sinon ils suspecteront quelque chose. »

Émile et Maura arrivèrent à la déchetterie à bout de souffle. Ils se faufilèrent par un petit trou du grillage que des rongeurs avaient grignoté. Ils fouillèrent partout dans les tas de matériaux sans parvenir à trouver de quoi fabriquer le dirigeable. La déchetterie était pleine d’épaves de voitures en tout genre. Il y avait des centaines de volants, de jantes, de sièges amovibles, de portières mais aucune trace de ballon ni de ficelle. Au bout d’un moment, les deux copains trouvèrent un coin isolé où s’empilaient nombreuses boîtes en carton dans lesquelles ils découvrirent tout ce dont ils avaient besoin, et plus encore ! Le Graal ! Avec excitation, ils s’emparèrent de quelques vis, une petite planche en bois et du fil élastique. Il y avait aussi une multitude de débris de carrosserie et une petite hélice.

« On a presque tout ce qu’il nous faut ! Les dirigeables sont fabriqués avec des matériaux bio-composites et de la fibre de carbone, mais d’après Théo on les fabriquait avec du bois, l’aluminium et du tissu, on peut déjà construire la nacelle, les ailes et les moteurs ! »
Il ne manquait plus qu’un ballon. En cherchant les dernières pièces du puzzle, ils trouvèrent un objet très étrange. Il ressemblait aux pales d’une éolienne mais ces pales étaient arrondies et trouées, de la taille d’une main et de couleur fluorescente.
« C’est quoi ça ? C’est trop bizarre ! s’exclama Maura.
— Aucune idée, mais ça pourrait être utile de le désosser et de voir comment ça fonctionne. On dirait qu’il y a un roulement à billes à l’intérieur ! »
Les deux aventuriers s’amusèrent à faire tourner l’objet dans leur main et en oublièrent presque le but de leur expédition. La lumière d’une lampe torche au loin les fit revenir à la réalité. Ils se dépêchèrent de trouver un ballon de baudruche mais en vain. Une bouteille en plastique de forme allongée était là par terre, elle ferait très bien l’affaire. Tous les matériaux étaient maintenant dans leur sac à dos, ils pouvaient déguerpir.

L’histoire du Hand Spinner

— Alors les enfants, qu’est-ce que vous avez trouvé de beau ?
Émile et Maura vidèrent leur sac à dos sur le plan de travail. Grégoire était étonné de voir qu’il y avait un objet qu’il connaissait bien.
— Haha j’adore ! Vous avez trouvé un hand spinner, ça fait bien longtemps que j’en avais pas vu ! Vous savez, c’était à la mode vers 2017 ! Tout le monde en achetait pour s’amuser mais à la base c’était une aide pour les enfants autistes.
— Comment ça ?
— Eh bien, en 1997, une femme américaine avait décidé de fabriquer pour sa fille autiste un hand spinner. Il servait à la déstresser et à la calmer. Cet objet pouvait aider les enfants autistes ou ayant des troubles de l’attention à se concentrer.
— Mais c’est une trop bonne idée ! Je suis sûr que ça pourrait intéresser l’établissement de soins de la ville ! s’exclama Émile.
— Oui, dit Grégoire en regardant l’objet de près, ça me semble pas trop difficile de demander aux volontaires du Fablab d’en reproduire un certain nombre… »

De retour au campus, ils dessinèrent un croquis du futur dirigeable miniature puis commencèrent à en assembler les pièces.
« Je me demande pourquoi Théo est toujours autant à fond sur les dirigeables, s’interrogea Maura.
— Tu sais, je connaissais le père de Théo, répondit Grégoire. Je ne vous en ai jamais parlé, mais il y a dix ans, son père est mort pendant la troisième pandémie. C’était un ingénieur en aéronautique passionné de dirigeables. Et depuis ce jour, Théo s’est juré de suivre ses pas et de devenir à son tour ingénieur spécialisé en dirigeables. »

Image Public Domain via Wikimedia Commons

Anniversaire Surprise

La semaine suivante, Grégoire, Émile et Maura s’étaient cachés sous les tables de la cantine collective pour faire la surprise à Théo. Celui-ci fut plus que ravi du petit dirigeable bricolé avec amour par ses amis. Après l’avoir suspendu au plafond de la cantine où ils avaient installé leur petite fête, Théo fit un discours de remerciement où il se laissa aller à évoquer avec passion ses projets… de dirigeables !
«… jusqu’à présent, nous les avons employés depuis l’effondrement pour transporter du fret à moindre coût énergétique, mais il faudrait pouvoir passer à la vitesse supérieure en imaginant des transports à moyenne et longue distance ! Car pour les modes de déplacement intra-urbains, on est en passe de répondre aux besoins avec les tramways et vélos, mais il nous faut aussi envisager des modes de transports de ville à ville pour des passagers. Une métropole ne peut pas rester sans communications physiques avec les régions alentour ! C’est pourquoi j’ai conçu un prototype économe et spacieux, un peu plus élaboré que mon joli cadeau, ajouta-t-il en déclenchant des sourires, un modèle qui permettra de… »

Un des amis de Théo présents à la fête l’interrompit ::
« Hé Théo ! Il est joli ton discours, mais concrètement, comment tu vas réaliser ton prototype ? Ce sera quoi le gaz dans l’enveloppe ? Parce que l’hydrogène c’est dangereux non ?
— Alors, l’hydrogène c’est inflammable facilement en effet. Il y a eu pas mal d’accidents, dans les années 1920. Mais depuis l’effondrement, la recherche dans l’aéronautique s’est beaucoup penchée sur cette problématique, permettant de grandes avancées sur la sécurité des dirigeables. Et les normes de sécurité ont beaucoup évolué ! Elles sont très strictes, les matériaux utilisés sont plus judicieux, et le nombre d’accidents quasi nul. Comme pour les avions, à l’époque où on en utilisait. Tu peux avoir confiance dans les dirigeables actuels !
— Ok je vois ! Mais à quoi ils carburent les dirigeables ?
— Eh bien par exemple, mon prototype de dirigeable utilise la propulsion humaine : avec mes super muscles et mon pédalier, je m’envole ! Par contre, évidemment, ce n’est pas ce système qui est utilisé pour les dirigeables de fret. C’est surtout de la propulsion électrique grâce à des capteurs photovoltaïques. »

C’était parti, on n’allait plus pouvoir l’arrêter… Et tant mieux, car son enthousiasme était communicatif.

 

Bibliographie

« Le dirigeable à pédales de Stéphane Rousson », Velo-design, (April, 2018), URL

« Compagnonnage au potager : l’association de plantes amies », Autour du potager, URL

N. Guellier, « Association de plantes au jardin : la technique du compagnonnage », Le Monde.fr,
(2014, December 26), URL

C. Pflaum, T. Riffelmacher & A. Jocher, « Design and route optimisation for an airship with onboard solar energy harvesting », Tandfordonline
(2023 March 20), URL

Dr. Barry E. Prentice & R. Knotts, « Cargo Airships : an International Status Report », (2014), URL

S. K. Dash, S. Chakraborty & D. Elangovan, « A Brief Review of Hydrogen Production Methods and Their Challenges », Energies, (January 2023), URL

T. Terlouw, C. Bauer, R. McKenna & M ; Mazzotti, « Large-scale hydrogen production via water
electrolysis : a techno-economic and environmental assessment », Energy and Environmental Science, (2022), URL

H. Mason, « Next-generation airship design enabled by modern composites », CompositesWorld, (2023 September 20), URL

C. Chagny, « Le recyclage dans la filière automobile », Carnauto, (April, 2021), URL

Paprec, « Tout savoir sur les véhicules hors d’usage », (2020), [URL] (https://www.paprec.com/fr/comprendre-le-recyclage/tout-savoir-sur-les-matieres-recyclables/vehicules/)

 

 




La nouvelle du lundi 20:42

Chaque jour de cette semaine, à 20:42, une nouvelle de 2042 concoctée avec amour par les participant⋅es des ateliers #solarpunk #UPLOAD de l’Université Technologique de Compiègne (UTC).

Aujourd’hui, ça clashe sévère à la radio pirate…

Panique à bord de Padakor

Un texte du collectif Radio Padakor soumis à la licence CC-BY-SA 4.0

– Yo, les clodos !

Depuis qu’une députée avait utilisé ce terme pour désigner des réfu-clims, il avait essaimé dans les milieux militants, devenant un salut amical. Une façon de se rappeler pourquoi on luttait. Justement, Luciole avait besoin d’entretenir sa hargne. Elle serrait fort le micro.

– Le monde d’avant ne demande qu’à revenir. À nous de l’en empêcher. J’annonce la naissance de Radio Padakor, média d’information indépendant, local, éthique, vénère.

Elle balança London Calling.


Nouvelle journée, nouvelle émission. Un horaire, 18:30 et une fréquence, 98.6 FM : c’est tout ce dont l’équipe de Radio Padakor (AirPD) a besoin pour accomplir sa tâche informationnelle.

Aujourd’hui, autour de la petite table se trouvent deux invités : Jarvis le jardinier, un habitué des ondes qui n’est plus à présenter, et Victoire, une experte environnementale venue pour partager son point de vue sur la situation à Compiègne.

Après une brève introduction, l’émission peut enfin commencer. Le vieil homme qu’est Jarvis prend la parole le premier. Aujourd’hui, il est venu parler de tomates.

Agacé par les interférences qu’il entend dans son retour casque, il fait des signes au pauvre Mathias qui se débat avec sa console pour tenter de résoudre ces aléas techniques.

— Le bouleversement climatique nous a apporté son lot de catastrophes, mais il a fourni quelques compensations. On peut désormais envisager de cultiver des tomates en Picardie, à l’air libre, sur sol vivant. Il n’y a plus besoin de sélectionner des variétés hybrides et on peut facilement utiliser les graines issues des fruits de l’année précédente.

— Tout de même, ça doit être moins efficace » fait remarquer l’experte.

Jarvis, surpris d’avoir été interrompu, dévisage la jeune femme.

— C’est comme ça que fonctionne la nature ; c’est pour ça que les fruits produisent des graines.

— Ouais, ça va bien pour manger deux-trois salades de tomates par an, mais pas plus…

— Ça fait des décennies que je cultive des tomates, et croyez-moi, j’obtenais déjà de beaux rendements avant qu’il ne fasse aussi chaud en Picardie.

Il reprend.

— Il y a une contrainte à connaître, impérativement : c’est le principe de rotation. La tomate est gourmande en azote. Le sol qu’elle laisse derrière elle est appauvri. Il faut donc éviter de replanter des tomates au même endroit année après année, au risque de voir diminuer sa production. Idéalement, on attendra cinq ans avant de replanter des tomates dans une parcelle.

Il se tourne vers Victoire pour lui décocher cette flèche du Parthe : « C’est peut-être ça que vous ignoriez, madame. »

— Bah, de l’azote, on peut toujours en apporter, rétorque-t-elle sans s’émouvoir.

— Alors, en effet, il est indispensable d’amender sa terre. C’est bien pour ça qu’on fait du compost. Mais attention. La tomate est sensible au mildiou. Les pieds de tomates arrachés après la dernière récolte ne vont pas au compost. C’est dangereux, on risque de véhiculer la maladie. Je rappelle que le mildiou s’installe très rapidement. Il faut lutter contre lui dès les premiers signes, avec le meilleur des fongicides, le purin d’ortie. Je vous proposerai une émission sur l’ortie un de ces jours, c’est vraiment une plante fascinante, qui a de très grandes qualités.

— Une plante envahissante et urticante, merci bien ! ironise Victoire.

— Mais enfin, vous n’y connaissez rien ! L’ortie est une des clés de voûte de nos écosystèmes. Elle contient tous les acides aminés essentiels et représente un apport idéal en protéines végétales.

Pour en revenir aux tomates, vous pouvez désormais planter toutes les variétés pour lesquelles vous trouverez des graines. Toutes pousseront facilement sous nos latitudes, à condition de les protéger de l’humidité persistante qui apportera le mildiou. On arrose au pied, jamais les feuilles, et pas si souvent que ça ! Quand vous les cuisinez, conservez les graines que vous laverez et laisserez sécher afin de préparer l’année suivante.

Enfin, dernier conseil : ne laissez pas vos sols nus quand vous aurez arraché vos pieds de tomates désormais inutiles. Plantez des légumes d’automne peu exigeants, comme des légumineuses (par exemple des fèves) ou des légumes racines (carottes, navet, sans oublier notre betterave picarde) ou encore des engrais verts comme les épinards, la moutarde qui vont régénérer votre sol.

Mathias s’est laissé surprendre par cette fin abrupte. Il pensait que Jarvis, comme à son habitude, se laisserait emporter par la passion et parlerait plus longtemps.

— Merci, Jarvis, c’était très intéressant, comme toujours. Nous allons maintenant demander à Victoire de se présenter et de nous parler de son travail.

— Oui, dit Jarvis, taquin. Victoire, comment justifiez-vous votre existence ?

Ceux qui le connaissent bien doivent sourire derrière leur poste de radio ; il a coutume d’utiliser cette question d’Isaac Asimov.

La jeune femme explique qu’elle est écologue, arrivée dans la région depuis peu, sensible à la situation critique dans laquelle se trouvent les habitants de Compiègne. Radio Campus ayant refusé de lui donner la parole, dit-elle, la scientifique en quête de visibilité s’est tournée rapidement vers l’alternative plus libre qu’est AirPD.

En premier lieu, elle déclare vouloir parler de ce que l’entreprise qui l’emploie, Écorizon, apportera à la ville.

Mathias intervient.

— Oui, les habitants s’interrogent, ils craignent que l’installation de cette entreprise qui produit des semences modifiées génétiquement ne soit néfaste à Compiègne.

— De fait, la situation écologique est déjà critique, rappelle l’experte. En effet, la pollution de l’air est faible puisque l’utilisation des voitures individuelles a été divisée par dix depuis que les véhicules thermiques ont été interdits dans les Hauts-de-France, cependant la pollution des sols et des eaux reste forte.

Victoire ne manque pas d’évoquer, notamment, la situation écosystémique des eaux de l’Oise, et plus spécifiquement la prolifération des écrevisses de Louisiane, une espèce invasive qui brutalise la faune locale et détruit petit à petit les berges. Elle n’oublie pas de souligner que ces écrevisses, comme beaucoup d’autres d’espèces colonisatrices, sont apparues dans la région il y a plusieurs années, notamment à cause d’éleveurs peu scrupuleux. L’arrivée d’une nouvelle industrie en ville rappelle à tous et toutes les pénibles souvenirs du capitalisme décomplexé du siècle passé.

Cependant, l’experte soulève une question : « Peut-on réellement comparer la situation actuelle à la précédente ? ».

Mathias et Jarvis se regardent, quelque peu incrédules.

L’experte poursuit, afin d’expliciter ses propos. En effet, Écorizon serait, elle, bien plus soucieuse de l’environnement. La preuve en est : elle propose un projet de compensation écologique, de dépollution du canal.

Jarvis intervient rapidement et demande comment tout ceci est censé se dérouler, alors même que l’entreprise polluera l’eau et le sol par ses rejets organiques et chimiques.

La jeune femme ne se démonte pas ; elle a décidément réponse à tout. En réalité, les rejets seront minimes, explique-t-elle au micro.

— Pour ce qui est des déchets chimiques, ils restent rejetés en petites quantités et surtout toujours en dessous des seuils fixés par les réglementations sanitaires européennes. Dans le cas des résidus organiques, pas de souci non plus, il suffit de les laisser se décomposer et cela permettra même de revitaliser des sols. Tout a déjà été pensé, vous voyez.

Jarvis l’interrompt prestement :

— Comment des résidus organiques sont-ils censés se décomposer pour nourrir les sols, si les déchets en question sont issus de plants OGM spécifiquement conçus pour se conserver le plus longtemps possible après leur récolte ? »

Victoire ignore complètement cette intervention, probablement à cause de la difficulté de répondre face à un argument aussi pertinent, et déroule son discours comme si de rien n’était.

L’écologue monopolise l’antenne. Désormais, c’est sur les écrevisses qu’elle veut revenir. Ces crustacés sont, outre son dada manifeste – bien qu’on puisse, paradoxalement, observer une broche en forme de crabe sur la veste de la scientifique – une catastrophe pour l’écosystème local.

En effet, arrivées il y a quelques années, de toute évidence en ayant remonté l’Oise grâce aux porte-conteneurs naviguant sur le Canal Seine-Nord, ces dernières sont une des préoccupations écologiques de la ville, si ce n’est la plus grande. Les écrevisses de Louisiane étaient déjà un problème bien avant leur débarquement à Compiègne.

Elle enchaîne sur un véritable exposé.

— Il y a vingt ans, les écrevisses de Louisiane avaient colonisé près de 80 % du sol français. L’Oise restait pourtant épargnée de leur présence. Dès 2035, une fois le canal achevé, des doutes furent émis sur la possibilité qu’elles puissent, via les péniches, arriver jusqu’ici. Aujourd’hui, elles sont installées depuis près de cinq ans, et tout le monde en connaît les conséquences n’est ce pas ?

« Tout un chacun sait ce que font ces animaux invasifs, à savoir propager des maladies décimant la faune locale, en plus d’occuper des niches écologiques autochtones. Leur nidification pose un autre problème sérieux : l’érosion des berges. On parle ici en effet de galeries creusées à même la terre ou l’argile, fragilisant petit à petit les berges de l’Oise, ce qui provoque, au fil du temps, la destruction des zones de pêche et des zones portuaires locales.

« À ce problème de taille, Écorizon apporte pourtant une solution plus qu’inespérée : l’éradication des écrevisses de Louisiane serait comprise au sein du programme de compensation écologique proposé par la firme. Pour ce faire, nous proposons de relâcher, de manière ciblée, sur une zone limitée et temporairement, une toxine issue des de l’usine de traitement des eaux de l’Oise. Cette dernière ne viserait que les écrevisses, évidemment.

Jarvis est stupéfait : cela n’a aucun sens, il doit encore intervenir. Le vieil homme ne manque donc pas de couper la parole de l’écologue, une nouvelle fois, par un violent « *Shut up !* » tout droit sorti de son cœur d’Écossais.

Il confronte la soi-disant écologue à ses propos, il la questionne : comment une toxine, prétendument aussi efficace, pourrait-elle ne cibler que les écrevisses ?

Victoire, de nouveau, ne se démonte pas : la toxine, prétend-elle, passe uniquement par les branchies des crustacés. Jarvis s’énerve : les poissons aussi ont des branchies, cette toxine leur serait également inoculée.

— Faire mourir les quelques espèces locales encore présentes pour éradiquer une espèce envahissante, ce serait de la folie. Ce serait signer l’arrêt de mort de tout un écosystème qui, s’il est aujourd’hui fragilisé, serait demain complètement vide de vie. En plus, faire passer un de vos déchets comme un remède miracle, c’est vraiment du *bullshit !* »

Jarvis se tourne alors vers Mathias qui anime l’émission :

— Comment avez-vous pu inviter une pareille fantaisiste, qui ne sait pas de quoi elle parle et qui balance des contre-vérités depuis tout à l’heure ? »

La gêne de Mathias est palpable. Il essaie de répondre, mais sa voix se perd dans un bafouillis incompréhensible. Plutôt problématique pour un animateur radio ! D’autant que c’est le moment que choisissent les interférences pour revenir brouiller l’émission du signal. Il est encore plus désemparé quand son téléphone affiche un SMS de Luciole : « MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS ? STOPPE TOUT DE SUITE LA DIFFUSION !!! ».

en gros plan un micro de studio
Photo pxhere.com licence CC0

Jarvis enfonce le clou.

— Je pensais que l’équipe de Radio Padakor était plus rigoureuse que celle de Radio Campus, avec un véritable esprit journalistique. Je me rends compte que ce n’est pas le cas. Franchement, je regrette d’être venu et je ne reviendrai pas. »

Il pose violemment son casque sur la table, se lève et quitte le studio d’enregistrement.

La jubilation de Victoire se lit sur son visage : elle va pouvoir dérouler ses arguments sans être interrompue.

Mathias se secoue et récupère la main en coupant le micro de son invitée avant qu’elle ait eu le temps de reprendre la parole.

« Le temps qui nous était imparti arrive à son terme. Je remercie chaleureusement nos deux invité⋅es, je vous prie d’excuser les petits problèmes techniques que nous avons rencontrés. Vous retrouverez Luciole demain à la même heure. »

Dans sa précipitation, il lance What a Wonderful World, le morceau originellement proposé par Victoire pour clôturer l’émission, mais qui désormais résonne tout à fait différemment.

 

 

Bibliographie

 

 




Mickey dans le domaine public

Vous en avez sans doute entendu parler : Mickey entre enfin dans le domaine public. Enfin… c’est un peu plus compliqué que ça… Notre dessinateur Gee vous explique tout ça.

Note : cette BD reprend partiellement la chronique que Gee a donnée mardi dernier dans l’émission de radio de l’April, Libre à vous ! (dont le podcast sera disponible prochainement). Si la chronique et la BD partagent une trame commune, elles ne sont pas identiques mais complémentaires.

Mickey dans le domaine public

Le copyright étatsunien est un drôle d’animal qui, pendant des décennies, a grandi avec un autre animal : une petite souris.

1976. Un cadre de chez Disney dit : « Dites, avec ce copyright qui expire au bout de 50 ans, notre Mickey Mouse de 1928 va entrer dans le domaine public dans 3 ans… Ça va pas du tout. » Un politicien indépendant et intègre répond : « Oula, en effet ! Passons la durée du copyright à 75 ans après la publication de l'œuvre ! »

1998. Même image, le mec de chez Disney dit : « Dites, avec ce copyright qui expire au bout de 75 ans, notre Mickey Mouse de 1928 va entrer dans le domaine public dans 5 ans… Ça va pas du tout. » Un politicien indépendant et intègre répond : « Oula, en effet ! Passons la durée du copyright à 95 ans après la publication de l'œuvre ! »

2020. Même image, le mec de chez Disney dit : « Dites, avec ce copyright qui expire au bout de 95 ans, notre Mickey Mouse… » Le politicien le coupe en criant : « ÇA VA BIEN, MAINTENANT ! »

Bon, je ne suis pas sûr que ce soit un vrai sursaut de décence qui soit à l’origine de cet arrêt de l’augmentation de la durée du copyright

Quoi qu’il en soit, après bien des années d’attente, cette fois c’est fait :

Mickey Mouse entre dans le domaine public.

Mais alors attention, pas n’importe lequel : juste celui de Steamboat Willie, le fameux film d’animation de 1928.

Une image montre le Mickey de 1928, en noir et blanc, avec des gros yeux, pas de gants blancs, etc. Lui, c'est bon. Une autre image indique « Mickey de Fantasia (1940) », mais montre un autre personnage, « Marcel Morbac », une alternative libre, vu qu'on n'a pas le droit de réprésenter l'officiel… Marcel : « Salut ma couille, ça biche ? »

Ajoutons à ça la tripotée de marques que Disney a pris soin de déposer autour de sa mascotte…

Gee et la Geekette regardent une image de Mickey au gouvernail d'un bateau. La Geekette demande : « Devinette : cette image est-elle extraite du dessin animé de 1928 dans le domaine public ? Ou bien de la séquence d'intro de TOUS les films d'animation de Disney depuis 2007, marque déposée ? » Gee, dubitatif : « Euuuh … » La Geekette : « Questions subsidiaires : quel droit s'applique donc à cette séquence ?  Disney peut-il te poursuivre si tu l'utilises ? » Gee : « Euuuuuuh… » Le smiley, blasé : « Dans le doute, on va s'abstenir. C'est bien le but. »

Ajoutons aussi le nouveau design rétro de Mickey, très ressemblant à celui de 1928, que Disney a balancé en 2013, entre le fromage et le dessert. Histoire qu’il y ait toujours un petit doute sur lequel vous utilisez…

Gee, ironiquement, devant un comparatif : « Comme on dit, le confort du nouveau dans le charme de l'ancien… Le copyright du nouveau sur le design de l'ancien… » Le comparatif montre le Mickey de 1928, et le Mickey de 2013, remplacé à nouveau par Marcel Morbak qui dit : « Me revoilà, les aminches. On s'fait un p'tit morpion pour passer le temps ? »

Après, ne rigolons pas trop fort sur les délires du copyright étatsunien… de notre côté de l’Atlantique, c’est pas beaucoup plus reluisant.

La Geekette explique d'un air blasé : « Chez nous, c'est 70 ans après LA MORT de l'auteur ou autrice que ça entre dans le domaine public… » Gee, souriant : « Et donc, comme Antoine de Saint-Exupéry est mort en 1944, le Petit Prince n'est entré dans le domaine public qu'en 2015. »

La Geekette s'exclame soudain : « NON ! En tout cas, pas en France ! » Gee fait un bond en arrière en criant : « Hein ?! » La Geekette explique : « Saint-Ex étant mort pour la France, il profite d'une extension de droits d'auteur de 18 ans et n'entrera dans le domaine public qu'en 2033 ! » Gee : « What ze feuk ?! »

Je sais, là, vous allez me dire…

Mais POURQUOI cette extension ?

La justification est très simple :

Un connard cravaté explique, souriant mais transpirant, devant la Geekette et le Geek, pas convaincus. Il dit : « Ben comment vous dire… comme il est mort pour la France, il est mort jeune… et du coup il a pas pu écrire tous les bouquins qu'il aurait dû écrire… À cause de la France… Donc c'est logique que ses livres publiés soient protégés plus longtemps, comme ça il peut… enfin, ses descendants… lointains…  en 2030 quoi… ses descendants pourront continuer à gagner de la thune dessus, et c'est…  j'sais pas, c'est juste ? C'est équitable ? »

Bon, vous en pensez c’que vous voulez, mais moi je trouve qu’on nous prend un peu pour des moutons dans une boîte, avec cette histoire.

Gee : « Notez que le livre est dans le domaine public ailleurs : en Belgique, par exemple*. Le lien est en note de bas de page, mais évidemment, si vous résidez en France, NE CLIQUEZ PAS DESSUS, parce que ce serait quand même pas très gentil. » Marcel Morbak est là et commente : « Faudrait être sévèrement burné pour cliquer là-dessus. » Le smiley le regarde d'un air mauvais en disant : « Tu veux pas foutre le camp, toi ? »

Vous pouvez télécharger le livre dans le domaine public belge depuis saintexupery-domainepublic.be. Sauf si vous êtes en France, bien sûr, je le répète, mais déconnez pas, hein.

De toute façon, chez nous aussi on sait faire joujou avec le droit des marques, donc les héritiers de Saint-Exupéry ont déposé le Petit Prince comme marque de commerce, et c’est plié.

Gee commente : « Je propose donc qu'on réédite cette jolie histoire sous un autre nom. En Belgique, bien sûr. Je suggère “Le Petit Prolo”, vu que j'ai jamais pu encadrer les nobles. » Le Petit Prolo est représenté à côté : « S'il vous plaît, dessine-moi un patron. En prison. »

Bref, je suis personnellement d’avis que l’art est libre par essence, parce qu’il forme notre imaginaire collectif et qu’il est donc démocratiquement juste de se l’approprier, de le transformer et de le partager.

Gee lit : « Une jolie citation, pour conclure : “Avant la publication, l’auteur a un droit incontestable et illimité. (...) Mais dès que l’œuvre est publiée l’auteur n’en est plus le maître. C’est alors l’autre personnage qui s’en empare, appelez-le du nom que vous voudrez : esprit humain, domaine public, société. C’est ce personnage-là qui dit : Je suis là, je prends cette œuvre, j’en fais ce que je crois devoir en faire, moi esprit humain ; je la possède, elle est à moi désormais.*” » Un politicien s'énerve : « Quelle est la crème d'intégriste islamo-gauchistes qui a pondu cette ânerie ? » Gee : « Victor Hugo. » Le politicien : « Ah. »

Citation extraite du Discours d’ouverture du Congrès Littéraire International du 17 juin 1878 (à retrouver sur Wikisource).

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 19 janvier 2024 par Gee.

Sources :

Bon, et bien sûr, ce serait dommage de terminer cette BD sans vous proposer une affiche officielle pour le personnage de Marcel Morbak :

Parodie de l'affiche Steamboat Willie : « L'alternative libre à Mickey, Marcel Morbak, dans Steamboat Zizi ». On voit Marcel dans la même position que Mickey, tenant le gouvernail à deux mains, et avec également un gros joint allumé dans une autre main (vu qu'il en a quatre). Le sol semble être fait de peau humaine très poilue. Note : dessin sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessiné le 19 janvier 2024 par Gee.

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Ateliers Solarpunk – UPLOAD : bientôt des nouvelles de 2042

… et des extraits aujourd’hui pour l’apéritif !

Les ateliers de l’UTC  de l’opération #Solarpunk #UPLOAD ont été plus que fructueux ! Si vous avez raté le début, parcourez cet article récent et cet autre…

Sept groupes de participant⋅es ont collectivement imaginé puis scénarisé et finalement… rédigé des nouvelles dont voici quelques échantillons et dont nous publierons l’intégralité ici même au cours de la semaine prochaine.

En attendant, vous pourrez dès ce vendredi 19 janvier les écouter présenter leur travail et interpréter quelques passages sur la radio https://grafhit.net/ (et sur le 94.9 FM si vous êtes dans le Compiègnois). Soyez à l’écoute à partir de 12h !

 

Une radio punk, des dirigeables, un musée d’avant l’effondrement, des étudiant⋅es les mains dans la terre, d’autres bloqués sans réseau, une ferme et des dortoirs à rénover… C’est parti pour vous mettre l’eau à la bouche !

Soleil bicolore rouge/noir sur fond vert/jaune pour symboliser le solarpunk."Ancom or Ansyndie Solarpunk flag" by @Starwall@radical.town is licensed under CC BY-SA 4.0.

 

1.Un début de vive altercation sur Radio_Padakor, ça risque de tourner au vinaigre entre le jardinier et l’écologue experte de la startup…

… à ce problème de taille, continue Victoire, Écorizon apporte pourtant une solution plus qu’inespérée : l’éradication des écrevisses de Louisiane sera comprise au sein du programme de compensation écologique proposé par la firme. Pour ce faire, nous proposons de relâcher, de manière ciblée, sur une zone limitée et temporairement, une toxine issue des traitements de l’usine dans les eaux de l’Oise. Cette toxine ne viserait que les écrevisses, évidemment.
Jarvis est stupéfait : cela n’a aucun sens, il doit encore intervenir. Le vieil homme ne manque donc pas de couper la parole de l’écologue, une nouvelle fois, par un violent « Shut up! » tout droit sorti de son cœur d’Écossais.
Il confronte la soi-disant écologue à ses propos, en la questionnant : comment une toxine, prétendument aussi efficace, pourrait-elle ne cibler que les écrevisses ?
Victoire, encore, ne se démonte pas : la toxine, prétend-elle, passe uniquement par les branchies des crustacés. Jarvis s’énerve : les poissons aussi ont des branchies, cette toxine leur serait également inoculée !

extrait de Panique à bord de Padakor, récit complet sous licence CC-BY-SA Radio_Padakor, à paraître lundi prochain sur le Framablog

 

2. à l’UPLOAD, ça discute après l’effort dans le jardin collectif partagé…

« Pas mal, lâcha Émile, pour une première, vous vous en sortez plutôt bien !
— Merci, c’est pas si dur en fait le jardinage ! Il y a des petites techniques à apprendre et puis notre potager se retrouve rempli de bons fruits et légumes, répondit Maura enthousiaste.
— C’est vrai, mais il y a aussi toute la partie entretien du potager ! objecta le jardinier. Il y a dans toutes disciplines des parties moins agréables mais essentielles qui nous rendent encore plus fiers du travail accompli. »
Puis il se tut, il semblait méditer.
Théo saisit cette opportunité pour s’introduire dans la conversation.
« Moi quand je travaille sur les dirigeables, je suis toujours fier du travail accompli !
— Oh non, pas encore tes dirigeables ! s’exaspéra Maura.
— Vous saviez que les nouveaux dirigeables à panneaux solaires émettaient seulement l’équivalent d’1% des émissions CO2 d’un avion pour du fret-
— Théo, reste concentré sur le potager ! lui intima Maura.
— Vous ferez moins les malins quand j’aurai un poste d’ingénieur dans une des usines d’assemblage !
— Les usines fluviales ? demanda le jardinier intrigué. »

extrait de Mission dirigeable ! récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître mardi prochain sur le Framablog

 

3. Des enfants de 2042 visitent l’exposition « Compiègne avant la sobriété »…

Louka s’était rapproché d’une ancienne carte de la région, il était surpris car il voyait de longs chemins de couleur sombre qui serpentaient de ville en ville.
« C’est quoi Papa ? c’est tout gris, dit l’enfant en pointant du doigt ces longs tracés.
– Ça tu vois, c’est une autoroute. Et là ce sont des routes nationales, ici les routes départementales et là les rues de la ville, expliquait Thomas.
Thomas poursuivit, décrivant à ces enfants ces voies de transports qu’ils n’avaient pas connues.
– À cette époque, nous utilisions des voitures pour nous déplacer. Une voiture c’était 4 sièges plus ou moins mis dans une boite. Puis on mettait cette boite sur quatre roues, on lui ajoutait un moteur avec de l’essence, et ça roulait…
Thomas continua en précisant que chaque voiture avait un « propriétaire » et de ce fait, on en faisait un usage individuel la plupart du temps. Il montra une photo où figurait une file de véhicules anciens.
– Mais, elle étaient énormes ces voitures ! Pourquoi elles étaient si grosses si on était seul dedans ? … ça sert à rien ! s’étonna Louka.
Face à la surprise de son fils, Thomas soupira. Il lui revint en mémoire les heures de bouchon pour aller travailler dans un bureau d’une compagnie d’assurance située à 25 km de chez lui.

extrait de Compiègne avant les années sobres, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître mercredi prochain sur le Framablog

 

4. Quand on veut profiter de la cantine communautaire de l’UPLOAD, on participe d’abord…

C’était le Corridor, le lieu de livraison de la nourriture. Didier sortit de son gros sac à dos des courgettes, des pommes et des poires. Une étudiante les lui prit, le remercia, et alla les donner en cuisine. Daniel fut surpris qu’elle ne donne pas de l’argent à son ami en échange.
« Allons manger maintenant ! s’exclama Didier.
– Attends… mais on est pas étudiants, on a pas le droit. Et pourquoi elle ne t’a pas payé ?
– Le principe du ReR, la cantine « Rires et Ratatouille », repose sur la collaboration de chacun à son bon fonctionnement. Pour y avoir accès, les élèves suivent des cours et des activités en rapport avec l’agriculture, et les personnes extérieures peuvent y manger si elles apportent de la nourriture ou aident en cuisine. On a apporté des fruits et des légumes, on peut maintenant manger sans payer. Allez, à table ! »

extrait de Jardins de demain, jardins malins, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître jeudi prochain sur le Framablog

bouton d'accès avec une empreinte digitale "Fingerprint Biometric Lock" by Flick is licensed under CC BY-NC-SA 2.0.

5. Dans le bâtiment d’accès sécurisé où ils viennent de travailler toute l’après-midi, un groupe d’étudiant⋅es cherche à quitter les lieux…

Quelques heures passent encore, sans plus aucune interruption. Une fois leur première série d’expériences terminée, tous se dirigent vers la porte. Dylan pose son index sur le lecteur d’empreintes mais celui-ci s’allume en rouge. La sortie lui est refusée.
– Et merde, on est bloqués, la porte ne s’ouvre pas !
– Arrête de faire une blague c’est pas drôle, répond Adrien.
Les autres essaient à leur tour, en vain.
C’est Noah qui comprend tout à coup :
– Ah oui ! Ça doit être parce qu’il est plus de 14h.
– Comment ça ? chuchote Candice d’une voix blanche.
– Vous ne vous souvenez pas de l’annonce des opérateurs de télécom ? Ils avaient décrété que les réseaux de l’Oise allaient devenir intermittents. Internet n’est actif qu’entre 11h et 14h puis entre 22h et 6h. Ça ne vous dit vraiment rien ?

extrait de Un réseau d’émotions, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître vendredi prochain sur le Framablog

 

fromage à croûte orange en forme de cœur
Rollot par Bycro- Travail personnel, CC BY-SA 4.0

6. Est-ce que cet éleveur qui veut rénover son exploitation va pouvoir trouver des compétences à l’UPLOAD ?

— je suis dans l’élevage bovin et la production de lait. Mais ça devient dur et j’aimerais bien transformer une partie de mon vieux corps de ferme en un endroit sympa où les gens pourront acheter du fromage, du lait frais, du maroilles ou d’la tome au cidre. En plus de tout cas, j’prévois aussi d’avoir un coin pour avoir du stock… Tout ça, pour mettre en place du circuit court. Ça m’permettrait aussi de vendre les rollots que j’fais à plus juste prix.
— Ça me semble de très bonnes idées ! Je suis la responsable projet de l’UPLOAD, et nous recherchons des propositions des collaborations entre nos élèves en dernière année et les habitants de l’agglomération. Avez-vous…
Joël, d’une voix franche quelque peu irritée, coupe la parole à son interlocutrice.
— Je te coupe tout de suite m’dame, j’pense pas que ce genre de projet puisse être confié à des gamins étudiants. Faut des têtes bien pleines, des gens qui savent faire des calculs de structure, thermique et autres. J’ai pas envie que mon bâtiment tombe sur la tête des clients ou que mes fromages tournent.

extrait de Réno pour les rollots, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître vendredi prochain sur le Framablog

 

7. Pour rénover les dortoirs délabrés de l’UPLOAD, on choisit lowtech ou hightech ?

Apu, animé par la conviction que des solutions simples pouvaient avoir un impact majeur, commença à partager son histoire.

« Stella, tu sais, à Mumbai, j’ai vu comment des matériaux locaux simples peuvent faire une différence dans la vie quotidienne. Les briques en terre crue, par exemple, sont abondantes et peuvent être produites localement, réduisant ainsi notre empreinte carbone. »
Stella, initialement sceptique, écouta attentivement les explications d’Apu tout en esquissant quelques notes sur son propre cahier.
« Les briques en terre crue peuvent être une alternative aux matériaux de construction conventionnels, » suggéra Apu, esquissant un plan sur son cahier. « Elles peuvent être produites localement, réduisant ainsi notre empreinte carbone. »
Stella répondit:
« C’est intéressant, Apu, mais il faut voir au-delà de la simplicité. Moi je verrais bien des panneaux solaire, des éoliennes qui se fondent dans l’architecture, et l’utilisation de l’énergie hydraulique par exemple avec un barrage.

extrait de Renaissance urbaine, récit complet sous licence CC-BY-SA à paraître samedi prochain sur le Framablog

Soleil vert/jaune sur fond bleu/vert, "Solarpunk flag, blue diagonal" by @Starwall@radical.town is licensed under CC BY-SA 4.0.




Pourquoi se syndiquer dans l’informatique ?

On le sait, le syndicalisme ne se porte pas formidablement bien dans notre pays. Et dans certains métiers, il ne va pas forcément de soi. C’est pourquoi l’article de Cécile et Thomas, publié initialement sur 24joursdeweb nous a semblé essentiel, et nous sommes ravi⋅es de le partager ici.


Quand on parle de syndicalisme, on a souvent l’image de « Jojo-le-syndiqué-de-la-cégété », qui brûle des pneus devant l’usine en mangeant des merguez en manif. Ou encore de la mafia qui ne travaille que pour ses propres intérêts particuliers.

Dans l’informatique, milieu de cadres, le syndicalisme est tantôt mal vu, tantôt inexistant, souvent considéré comme inutile. Après tout, nous sommes des privilégié·es !

Pourtant quelques bribes commencent à émerger dans notre secteur. Il y a eu le mouvement, plutôt associatif, « On est la tech »  d’informaticien·nes, qui se sont mobilisé·es lors des premières manifestations contre le système de la retraite à points.

Dans le milieu du développement de jeux vidéo, bon nombre de syndicats ont agi contre les violences sexistes et sexuelles (on peut penser aux — trop nombreux — scandales chez Ubisoft et Quantic Dream).

Alors pourquoi des gens se syndiquent dans l’informatique ?

Être majoritairement cadres et avoir un salaire à plus de 40 K ne fait pas de nous des patrons. On reste des employé·es qui doivent arriver à l’heure au bureau et qui subissent de gros coups de pression dans les moments de rush.

D’un point de vue marxiste, nous sommes et nous restons du côté des « exploités » et pas des « propriétaires » ! (On vous rassure, on ne va pas vous faire un cours sur le marxisme… quoique !).

Vous allez me dire qu’il y a pire comme exploitation. Et vous avez raison… jusqu’à un certain point (!).

D’abord sur le côté temporaire. S’il est vrai qu’actuellement la conjoncture est plutôt bonne dans notre industrie, nous ne sommes pas à l’abri d’un retournement économique, qui est d’ailleurs dans l’actualité. Celleux qui ont vécu la crise des années 2000 de l’informatique peuvent en témoigner.

Par ailleurs, l’informatique est un métier où l’on vieillit avec ses technologies et ses modes : que vaudra votre expertise Node.js, votre certification Scrum Master ou votre expertise Window Server 2023 dans vingt ans ? Dans quarante ans ?

Parce que oui, au cas où vous ne l’auriez pas vu, vous risquez fortement de bosser jusqu’à soixante-sept ans ! Tout le monde n’aura pas la chance d’être un papy Cobol !

À quoi servent les syndicats ?

L’idée d’un syndicat est de regrouper des personnes qui partagent le même intérêt.

On trouve comme cela des syndicats de patron·es (MEDEF, CGPME…) et des syndicats de travailleuses et travailleurs. (Pour les plus connues : CGT, CFDT, SUD/Solidaires, FO…)

Les « intérêts » des salarié·es sont souvent les mêmes un peu partout et depuis toujours ; ça peut se résumer à : gagner plein d’argent, avoir une bonne ambiance au boulot (de préférence, sans harcèlement) et beaucoup de temps libre !

Les syndicats sont donc des personnes qui cherchent à se battre pour cela. Ils vont avoir quatre outils pour le faire :

  • les instances de négociation dans l’entreprise (on reviendra plus bas sur le CSE);
  • la loi ;
  • les pressions diverses ;
  • la grève.

Le comité social et économique (CSE) et les délégués syndicaux

Dans les entreprises de plus de onze salarié·es, il doit y avoir un CSE. Un lieu où les représentant·es des salarié·es, qui sont élue·es par les salarié·es, discutent avec la direction (qui elle n’est pas élue, mais qui a eu la bonne idée d’être riche au bon moment !) de sujets variés. Toutes les questions peuvent être posées à la direction, qui a pour obligation d’y répondre… avec plus ou moins de bonne foi !

Chaque syndicat ou liste qui a reçu plus de 10 % des voix aux élections va avoir des délégué·es syndicaux (DS). Ces fameux DS vont signer (ou ne pas signer) des accords d’entreprise avec la direction de l’entreprise.

Typiquement, il y a sûrement un accord d’entreprise sur le télétravail, sur l’accueil spécifique des personnes en situation de handicap ou sur les congés menstruels/hormonaux… Grâce à notre bon président (humour noir), les accords d’entreprise peuvent être moins bons que ce que propose le code du travail.

Les délégués syndicaux sont aussi ceux qui négocient les augmentations en fin d’année.

Enfin, c’est le CSE qui gère les activités sociales et culturelles (ASC), c’est-à-dire l’argent qui est donné pour les salarié·es pour les œuvres socioculturelles (les places de ciné, les réductions pour la salle de sport, la colonie de vacances de l’entreprise…).

Warning : dans notre milieu de cadres, il n’est pas rare de trouver des syndicats « jaunes », c’est à dire des syndicats pro-direction qui sont prêts a signer les pires accords d’entreprise pour les salarié·es en échange d’avancement de carrière ou de planques diverses dans la boîte…

Autre point, le CSE a aussi la responsabilité de veiller à la sécurité physique et psychologique des salarié·es. Cela se fait dans le sous-groupe du CSE appelé CSSCT : commission santé, sécurité et conditions de travail.

Bon, habituellement, les métiers de l’informatique ne présentent que peu de risques physiques, si ce n’est des problèmes de dos et aux yeux à rester trop longtemps devant un écran. Cela reste très soft par rapport à des gens travaillant dans d’autres secteurs, comme en usine ou dans le bâtiment.

En revanche, pour les questions psychologiques, c’est autre chose. Les syndicats ont un vrai rôle pour faire remonter les questions de harcèlement, de stress divers et de burnout. Même si la loi n’est pas très précise ni claire sur ces questions, faire remonter que le petit chef X est un harceleur ou qu’il y a eu quatre burnouts dans le service de M. Bidule auprès du PDG de la boîte fait toujours son petit effet.

La loi

Salarié·es comme RH ne connaissent pas toujours le droit du travail ni la loi. Le rôle des syndicats dans l’entreprise est là pour rappeler le droit du travail aux salarié·es, mais aussi à la direction quand elle se trompe ou oublie d’appliquer la loi (oups !). Et le droit du travail en France est assez lourd, mouvant et complexe.

D’ailleurs, il y a aussi une certaine superposition du droit qu’il faut avoir en tête : le Bureau International du Travail (BIT), les directives européennes, la loi française, le droit du travail, les conventions de branche et les accords d’entreprise.

Pour nous, cadres de l’informatique, on dépend très souvent de l’accord de branche qui regroupe les bureaux d’études techniques, les cabinets d’ingénieurs-conseils et les sociétés de conseils. L’accord s’appelle « SYNTEC » et a été mis à jour en mai dernier.

Connaître tout le droit est quasiment impossible. C’est pour cela que les élu·es au CSE ont des jours de délégation pour se former aux bases du droit du travail. Il y a aussi toutes les connaissances légales que les syndiqué·es apprennent et comprennent en discutant avec d’autres syndiqué·es.

Mais le gros du travail est souvent assuré par un avocat spécialiste en droit du travail.
En effet toutes les centrales syndicales ont des partenariats avec des avocats qu’ils peuvent mobiliser quand ils ont des demandes juridiques.

D’ailleurs saviez-vous que le statut de cadre (convention SYNTEC) oblige l’employeur à payer le train en première classe lors des voyages professionnels ?

Les pressions diverses

La loi, c’est bien, mais ça ne fait pas tout. Et surtout les procédures légales sont parfois longues, pour à la fin ne pas obtenir grand chose.

On aimerait vivre dans monde de bisounours où en demandant gentiment à la direction, elle nous donnerait des augmentations, des primes de télétravail et des jours de congés payés pour les enfants malades. Dans la réalité, il faut parfois savoir montrer les dents pour négocier.

Soyons francs, il y a des moments où mettre un petit coup de pression à la direction est bien plus efficace que des années de batailles juridiques.

Pour ça, les syndicats ont deux grands types de techniques : la communication interne et la communication externe.

La communication interne

En interne, on a vu que le CSE pouvait faire passer des messages à la direction.

Ces messages et ces questions sont écrites et portées à la connaissance des salarié·es. Cela permet souvent de mettre la direction face à ses contradictions.

Madame la RH, comment expliquez vous l’augmentation des dividendes aux actionnaires de 30 % quand les salarié·es ont une augmentation de 0,5 % en moyenne ?

Mais la communication interne, c’est aussi des mails possibles aux salarié·es :  dans une grosse boîte de jeux vidéos très connue, il était de notoriété publique que certains services et certains managers pratiquaient du harcèlement sexuel. Problème : aucune femme ne voulait porter plainte.

Il a suffi d’un mail à l’ensemble de la boîte (plusieurs milliers de personnes) appelant à dénoncer les violences sexistes et sexuelles qu’elles auraient subies et ce, notamment dans le service bidule de M. X ou machin de M. Z, pour que des femmes aient l’immense courage de porter plainte.

Effet corollaire, au minimum, les managers des services en question ont regardé leurs pompes pendant quelques mois après, ont raté leur augmentation et — après quelques mois — ont enfin fini par se faire virer !

La communication externe, plus compliquée mais aussi très redoutable

Aujourd’hui beaucoup de sections syndicales ont un compte X/Instagram/Mastodon ou un blog plus ou moins actif où ils dénoncent les problèmes de leur boîte. Quand sur le hashtag du nom de la boîte tu trouves diffusés au grand jour tous les problèmes de l’entreprise, tu écorches l’image de la boîte et la « marque employeur ».

Ça fait réfléchir à deux fois les directions avant de faire des saloperies…

Si on va plus loin ou que l’entreprise est connue, on peut aussi avoir des articles dans la presse spécialisée.

La grève

Le dernier outil qui reste aux syndicalistes, c’est la grève. L’arrêt de travail pur et simple. On est sur du classique et du médiatique mais ça reste un outil important pour pouvoir apporter du rapport de forces dans les négociations.

Même lorsque que c’est symbolique, la grève permet de désorganiser, fait prendre du retard sur des projets et, au final, peut faire perdre de l’argent à un actionnaire.

On ne va pas se mentir, jusqu’ici dans l’informatique en France, on n’a pas souvent eu des grèves massives qui ont eu un impact significatif sur le cours de la bourse de nos boîtes.

Mais on constate que, depuis les manifestations sur les retraites, on a des rangs qui grossissent à chaque nouvelle manifestation.

Une image d'ouvrières demandant de meilleures salaires
Image CC BY : Kheel Center sur Flickr

Faut-il avoir un poster de Lénine au-dessus de son lit pour être syndiqué ?

Alors oui et non. Vous le savez sans doute, certains syndicats sont plus « politiques » que d’autres. C’est-à-dire qu’ils vont s’intéresser à des sujets plus ou moins éloignés du monde du travail et de l’entreprise : les OGM, le conflit israélo-palestinien, la lutte contre l’extrême droite…

D’autres, au contraire, vont préférer se « mettre des œillères » et ne s’intéresser qu’à ce qu’il se passe dans l’open-space.

Une autre grille d’analyse est la dichotomie « syndicalisme de service » versus « syndicalisme de lutte ».
Les premiers sont souvent dans le « dialogue » avec la direction, les seconds vont plus volontiers aller au conflit.
Les premiers sont souvent qualifiés de « syndicalisme mou » voire de « traîtres » et les seconds sont souvent qualifiés « d’excités », de « brailleurs ».

À vous de voir ce qui vous intéresserait comme style de syndicalisme et pour cela, le meilleur moyen c’est d’aller parler avec les gens. Si les grandes organisations syndicales s’inscrivent dans ces axes (plus ou moins politique ; syndicalisme de service ou de lutte), sur le terrain, dans les entreprises, on peut avoir par les personnes des choses totalement différentes.

Oui, un militant Solidaires-Informatique peut être un vendu mou du genou et oui, il est possible qu’une section CFTC organise une grève dans une boîte en solidarité avec le peuple palestinien !

(Bon, c’est rare, mais justement, allez voir par vous-mêmes, sur le terrain, ce qu’il en est !)

Mais au final, pourquoi se syndiquer, qu’est-ce que j’y gagne ?

On peut y voir un intérêt personnel. Se syndiquer, c’est souvent profiter d’un réseau et d’un service juridique. Toutes les organisations syndicales ont des partenariats avec des avocats spécialisés en droit du travail et en cas de coup de dur, ça peut s’avérer très utile.

Se syndiquer, c’est aussi payer une cotisation : tous les mois, on alimente une grande caisse commune, qui permet de compenser les pertes de salaires pendant les grèves.

Et comme les syndicats de l’informatique ne font pas souvent grève, on a souvent des caisses bien garnies, qui permettent de donner à des associations chouettes, à des logiciels libres ou simplement d’autres syndicats qui ont des besoins plus urgents de solidarité.

Certain·es se syndiquent pour faire de la politique sur le terrain, avec des résultats directs et loin des partis politiques. Histoire d’appliquer ses idéaux sur quelque chose de visible : ses collègues de bureau.

D’autres se syndiquent par amitié, parce que c’est les copains de la machine à café, est-ce scandaleux ?
D’autres aussi — souvent en fin de carrière — se syndiquent pour changer de travail : parce que les liens humains finissent par intéresser davantage que les lignes de code… À moins que ce ne soit parce que l’expertise technique qu’ils avaient en début de carrière ne vaut plus rien aujourd’hui.
En se syndiquant, on trouve une place utile dans la société. On en a connu qui se syndiquent pour des raisons familiales : une tradition de CGTistes qui ont résisté pendant la Seconde Guerre mondiale et qui prennent leur carte de père en fille. Certain·es payent juste leur cotisation et ne s’engagent pas plus. D’autres sont ultra actifs sur le terrain mais refusent de payer leur carte par principe.

Bon, disons le tout net on ne fait pas du syndicalisme « pour gagner quelque chose ». C’est beaucoup d’énergie, beaucoup de temps, des risques sur sa carrière pour de maigres victoires.

Personnellement, j’ai connu quelqu’un qui s’est syndiqué parce qu’un jour je lui ai juste dit que le chef Bidule était un connard notoire. C’était le genre de petit chef qui pousse tout son service à bout en pinaillant sur des détails inutiles qui se transformaient en « manque de professionnalisme » dans ses mots. Ses équipes finissaient par bosser le soir et le week-end, le gars en question avait fini par entrer dans une sorte de dépression. Il m’a dit que mes mots l’avaient rassuré sur ses capacités et son professionnalisme. Je n’aurais jamais pensé que mes bêtes petits mots, assez banals, iraient jusqu’à ce qu’il adhère à un syndicat. Mais ça m’a rendue un peu fière.

Je crois qu’il y a parfois un côté « psychanalyste de comptoir d’entreprise » dans le syndicalisme. Et peut-être que c’est cela ma raison de me syndiquer.

Qu’importe votre motivation, qu’importe vos raisons profondes et vos besoins.

Se syndiquer, dans l’informatique ou ailleurs, c’est engager un contre-pouvoir, c’est créer de l’espoir pour soi, pour le bureau, et pour un monde meilleur.

Cet article est un appel à se syndiquer.

Image à la une en CC BY SA :  sur Flickr