L’Affaire Copyright ou les aventures de Tintin au pays des ayants droit

L'Affaire Copyright - Couverture - PiccoloNous avons déjà eu l’occasion de le signaler dans notre billet sur Le Petit Prince. Fixer arbitrairement à une très longue période de 70 ans la durée des droits patrimoniaux après la mort de l’auteur au bénéfice des ayants droit est devenu quelque peu problématique à l’ère du réseau.

Ce qui se voulait au départ un équilibre équitable entre les droits du public et celui du créateur penche désormais très clairement en faveur du second (et de sa progéniture) sans autre réelle justification que le contrôle et le profit.

D’ailleurs à ce propos une petite parenthèse mathématique. Sans remonter le temps juste après la Révolution française où cette durée n’était que de 10 ans, on peut faire remarquer qu’en 1900 la durée était de 50 ans mais avec une espérance de vie dépassant à peine les 40 ans. Or aujourd’hui on a non seulement rallongé la durée des droits à 70 ans, mais l’espérance de vie approche les 80 ans[1].

Conclusion : Les ayants droit ont gagné en un siècle 20+40, soit 60 ans de plus en moyenne pour exploiter les œuvres !

Tout ceci n’est guère raisonnable. D’autant que cela aiguise les appétits des enfants et petits-enfants du créateur dans ce qui peut devenir là une source de revenus suffisante pour bien vivre, sans autre travail que de veiller jalousement au patrimoine du génie de la famille.

Capitaine HaddockCela leur fait même parfois un peu tourner la tête. Nous avions évoqué brièvement le cas de l‘anarchiste Léo Ferré, qui doit s’en retourner dans sa tombe. Mais la palme revient peut-être aux ayants droit de Tintin, ou plutôt de son papa Hergé, enfin surtout de ses héritiers, en l’occurrence sa veuve et son nouveau mari par l’entremise de la Société Moulinsart chargée de l’exploitation commerciale de l’œuvre du célèbre dessinateur.

Cette société a l’honneur d’un article sur Wikipédia. Extrait :

La gestion de l’œuvre d’Hergé reste très controversée par certains tintinophiles qui l’estiment parfois trop stricte, trop commerciale, voire maladroite. Le prix élevé des produits dérivés, le contrôle rigoureux des sites internet amateurs ou encore les ratés de certains projets (l’adaptation de Tintin au cinéma et le musée Hergé par exemple) sont souvent pointés du doigt. Ainsi, en octobre 2009, Moulinsart SA a fait condamner en appel le romancier Bob Garcia à une amende de plus de 48 000 euros pour des vignettes qu’il avait citées dans un ouvrage pour enfants édités à seulement 500 exemplaires, voire pour des vignettes qui n’étaient pas citées du tout dans les ouvrages de l’auteur. Celui-ci n’étant pas solvable, la société n’hésitera pas à faire saisir sa maison.

Pour en savoir plus sur cette sombre histoire, voir Moulinsart l’a tué, presque sur La république des livres, le blog de Pierre Assouline (l’un des biographes d’Hergé soit dit en passant).

Capitaine HaddockIl faut bien comprendre que la moindre reproduction de vignettes est interdite par les avocats de Moulinsart : « une vignette de bande dessinée est une œuvre à part entière, or une œuvre à part entière ne peut pas être citée (…) il y a environ mille vignettes par album, il y a donc mille dessins protégés par des droits d’auteur » (source JDD).

Impossible donc a priori de faire état d’un « droit de courte citation graphique ». Ainsi les quelques imagettes qui illustrent ce billet, d’un Capitaine Haddock abasourdi par la situation, sont en théorie illégales, sauf à penser qu’elles ne sont que des parties de vignettes et donc en quelque sorte des citations de vignettes (qu’elles proviennent indûment d’une photo d’exposition placée sous Creative Commons n’arrange évidemment rien à l’affaire).

Mais il n’y a pas que Bob Garcia qui ait eu à subir la vindicte de Moulinsart SA. On peut citer également les difficultés actuelles des éditions Bédéstory.

BédéStoryBédéStory publie sous le titre générique « Comment Hergé a créé… » des études portant sur la genèse de l’œuvre d’Hergé : Comment Hergé a créé Tintin au Congo, Comment Hergé a créé Tintin en Amérique, et ainsi de suite.

Des titres proches des originaux, quelques vignettes reprises çà et là, et c’est la sanction : Moulinsart SA attaque pour rien moins que contrefaçon ! Heureusement le tribunal (d’Évry) a logiquement débouté et condamné Moulinsart pour procédure abusive et ordonné la main-levée des ouvrages.

Mais cela n’a pas suffit. Ils ont en effet fait pression sur les distributeurs dont la FNAC et Amazon, pour qu’ils ne proposent plus la dite collection dans leur catalogue, une lettre non équivoque de Moulinsart à la FNAC ayant été interceptée. BédéStory s’en insurge : « Nous tenons à dénoncer avec force les méthodes commerciales scandaleuses utilisées par Moulinsart pour nous éliminer du marché sans le moindre jugement défavorable à notre encontre, ainsi que l’attitude lamentable de la FNAC qui n’a pas daigné répondre à notre demande d’explication. »

Capitaine HaddockL’ironie de l’histoire c’est que BédéStory a également publié tout récemment un album aux éditions « Parodisiaques » (histoire que ce soit bien clair) dont le titre, dans ce contexte, ne passe pas inaperçu : L’affaire copyright.

En voici sa présentation, parce que je ne vais pas me gêner pour en faire la publicité (la couverture, tout en haut, et la page de garde, tout en bas, sont de Piccolo) :

Dix scénaristes et dessinateurs de bande dessinée (Calza, Chabaud, Di Martino, Domas, Fortin, Mibé, Piccolo, Sen et Roulin) rendent hommage à Hergé à travers de courtes histoires parodiques (Brocante à Moulinsart, Tartarin et les cent dalles du pharaon, On a zappé sur Saturne, Cauchemar à Moulinbar, Remue-ménage à Moul1sard, Crincrin au chômage, Crincrin chez le psychanalyste, Les Aventures de Crincrin, Pinpin et la fin de l’or noir) en 52 pages quadri étonnantes d’imagination et d’humour. Ce recueil est le premier album parodique exclusivement consacré à Tintin.

Or, cette fois-ci, l’ouvrage ne va pas être retiré de la circulation, il ne va tout simplement pas être référencé !

Ces petits récits (dont la plupart ont déjà été publiées précédemment avec l’accord écrit de Moulinsart). ne constituent pas des suites des Aventures de Tintin. Elles sont des hommages très respectueux à l’œuvre de Hergé et à Tintin, réalisées avec passion et talent par une dizaine d’auteurs vraiment tintinophiles. Elles ne contiennent aucune violence, ni racisme, ni allusion politique, etc. et ne peuvent en aucun cas faire de tort à l’image de Tintin. Elles s’inscrivent parfaitement dans le strict droit de l’exception de parodie.

Or, la Fnac (et la plupart des grandes librairies bédé, sites de vente en ligne, etc.) refusent purement et simplement de référencer l’ouvrage « suite aux pressions et menaces de Moulinsart ». Donc, cette fois Moulinsart fait l’économie d’un procès. Il suffit que leurs avocats envoient des lettres types de menace pour que commercialisation de cet ouvrage – parfaitement légal – soit définitivement compromise.

Faute de trouver une meilleure solution pour l’instant, BédéStory a décidé de proposer cet ouvrage en vente directe à nos quelques clients fidèles et aux quelques libraires qui ont encore un peu de dignité.

Cet album vous intéresse ? Un message de soutien ?

Vous pouvez leur écrire à : bedestory AT gmail.com.

Tiens, il me vient en mémoire ce chinois qui, un sabre à la main, poursuivait Tintin dans Le lotus bleu : « Il faut trouver la voie ! Moi je l’ai trouvée. Il faut donc que vous la trouviez aussi… Je vais d’abord vous couper la tête. Ensuite, vous trouverez la vérité ! ».

Ce chinois était devenu fou. Lui aussi.

L'Affaire Copyright - Page de garde - Piccolo

Triste (et scandaleux) épilogue : Cet article a été mis en ligne le 22 février 2010. Une semaine plus tard, la Société Moulinsart gagnait un nouveau procès et obligeait BédéStory a mettre définitivement la clé sous la porte

Notes

[1] Les sources de ma parenthèse mathématique proviennent de cet article mais surtout de ce graphique.




Le chemin de croix du logiciel libre à l’école – Quand Mediapart mène l’enquête

Vauvau - CC byLe logiciel libre et sa culture n’ont toujours pas la place qu’ils méritent à l’école. Tel est l’un des chevaux de bataille de ce blog, qui a parfois l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau tant ce sujet ne donne pas l’impression de passionner les foules.

Dans ce contexte médiatiquement défavorable, nous remercions Mediapart de s’être récemment emparé du sujet à la faveur d’une enquête conséquente sur L’école à l’ère numérique.

Ces enquêtes approfondies sont l’une des marques de fabrique de ce pure player qui contrairement à d’autres ne mise pas sur le couple gratuit/publicité mais sur l’abonnement qui offre un accès privé et réservé à la majorité de ses contenus (si je puis me permettre une petite digression, le modèle utopique idéal serait pour moi un nombre suffisant d’abonnés à qui cela ne poserait pas de problèmes que le site soit entièrement public et sous licence de libre diffusion).

Ce dossier comporte cinq articles : Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel, A Antibes, un collège teste les manuels numériques[1], Thierry de Vulpillières : « Les TICE sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation »[2], Nouvelles technologies: remue-ménage dans la pédagogie ![3] et Le chemin de croix du logiciel libre à l’école.

Avec l’aimable autorisation de son auteure, nous avons choisi d’en reproduire le premier dans un autre billet et donc ici le dernier, dans la mesure où nous sommes cités mais aussi et surtout parce qu’ils touchent directement nos préoccupations.

Outre votre serviteur, on y retrouve de nombreux acteurs connus des lecteurs du Framablog. J’ai ainsi particulièrement apprécié la métaphore de la « peau de léopard » imaginée par Jean Peyratout pour décrire la situation actuelle du Libre éducatif en France[4].

Et si ce léopard se métamorphosait doucement mais sûrement en une panthère noire ?

Le chemin de croix du logiciel libre à l’école

URL d’origine du document

Louise Fessard – 12 février 2010 – Mediapart

Et le libre dans tout ça ?

Des logiciels et des contenus garantissant à tous le droit d’usage, de copie, de modification et de distribution, ne devraient-ils pas prospérer au sein de l’éducation nationale ? Si l’administration de l’éducation nationale a choisi en 2007 de faire migrer 95% de ses serveurs sous le système d’exploitation libre GNU/Linux, la situation dans les établissements scolaires est bien plus disparate.

Le choix dépend souvent de la mobilisation de quelques enseignants convaincus et de la politique de la collectivité locale concernée. « On se retrouve avec des initiatives personnelles, très locales et peu soutenues », regrette l’un de ses irréductibles, Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques et fondateur de Framasoft, un réseau d’utilisateurs de logiciels libres.

« La situation ressemble à une peau de léopard, confirme Jean Peyratout, instituteur à Pessac (Gironde) et président de l’association Scideralle. Le logiciel libre est très répandu mais dans un contexte où aucune politique nationale n’est définie. C’est du grand n’importe quoi : il n’y a par exemple pas de recommandation ministérielle sur le format de texte. Certains rectorats vont utiliser la dernière version de Word que d’autres logiciels ne peuvent pas ouvrir. »

A la fin des années 1990, Jean Peyratout a développé avec un entrepreneur, Eric Seigne, AbulEdu, une solution réseau en logiciel libre destinée aux écoles et basée sur GNU/Linux. Selon Eric Seigne, directeur de la société de service et de formation informatique Ryxeo spécialisée dans le logiciel libre, environ 1000 des 5000 écoles visées à l’origine par le plan d’équipement « écoles numériques rurales », lancé à la rentrée 2009 par le ministère de l’éducation nationale, ont choisi d’installer AbulEdu. Faute de bilan national, il faudra se contenter de ce chiffre, qui ne concerne que le premier degré, pour mesurer l’importance du libre dans les établissements scolaires.

Autre exemple significatif, en 2007, le conseil régional d’Ile-de-France a choisi d’équiper 220.000 lycéens, apprentis de CFA et professeurs, d’une clé USB dotée d’un bureau mobile libre – développé par la société Mostick, à partir des projets associatifs Framakey et PortableApps.

« Pourquoi payer des logiciels propriétaires ? »

Le libre à l’école a plusieurs cordes à son arc. Jean Peyratout met en avant son interopérabilité – « Nos élèves sont amenés à utiliser à la maison ce qu’ils utilisent à l’école » –, la souplesse dans la gestion du parc – pas besoin d’acheter une énième licence en cas de poste supplémentaire – et surtout son éthique. « Faire de la publicité à l’école est interdit, plaide-t-il. Il me semble qu’utiliser un logiciel marchand à l’école alors qu’il existe d’autres solutions, c’est faire la promotion de ce logiciel. Pourquoi aller payer des logiciels propriétaires dont le format et le nombre limité de licences posent problème ? »

D’autant, souligne Eric Seigne, « qu’en investissant dans le libre, l’argent reste en local, alors qu’en achetant du propriétaire, la plus grande partie de l’argent part à l’étranger où sont implantés les gros éditeurs ». Reste à convaincre sur le terrain les enseignants, non experts et qui n’ont pas envie de mettre les mains dans le cambouis. A Saint-Marc-Jaumegarde par exemple, Emmanuel Farges, directeur d’une école primaire pourtant très technophile, est sceptique. « Seul notre site Internet repose sur un logiciel libre mais ça bogue souvent et il n’y a pas de suivi quand il y a un problème », explique-t-il.

A côté de la poignée d’enseignants militants du libre, se sont pourtant développés des professionnels. « Le fait que les logiciels soient gratuits éveille paradoxalement les soupçons de mauvaise qualité, note Bastien Guerry, doctorant en philosophie et membre de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (Aful). Mais il existe des associations locales de prestation de service en logiciel libre qui peuvent assurer un suivi. »

Des sites collaboratifs

« Aujourd’hui, les enjeux portent moins sur l’installation des postes que la mise à disposition de logiciels libres via l’environnement numérique de travail et des clefs USB », prévoit Bastien Guerry. A travers des sites participatifs comme Les Clionautes (histoire-géographie), WebLettres (français), et créés au début des années 2000, des enseignants s’adonnent avec enthousiasme à cette création de logiciels et surtout de contenus.

L’exemple le plus abouti en est Sésamath dont la liste de diffusion regroupe 8000 enseignants, soit un quart des profs de mathématiques français selon l’un des fondateurs du projet, Sébastien Hache, lui-même enseignant au collège Villars à Denain (Nord).

« Tous les enseignants créaient déjà eux-mêmes leurs ressources mais Internet leur a permis de les partager, explique-t-il. Et, comme il n’y a pas plus seul qu’un prof face à sa classe, ça évite à chacun de réinventer la roue dans son coin. » Grâce à la collaboration d’enseignants travaillant à distance, Sésamath a même édité « le premier manuel scolaire libre au monde ». « Les manuels des éditeurs sont d’ordinaire écrits par deux ou trois profs, nous, nous avons eu la collaboration d’une centaine d’enseignants avec de nombreux retours », se félicite Sébastien Hache.

400.000 exemplaires de ce manuel, qui couvre les quatre niveaux de collège, ont été vendus (11 euros pour financer les salaires des cinq salariés à mi-temps de l’association), la version en ligne étant gratuite et bien entendu modifiable en vertu de sa licence libre. L’autre activité du site consiste à créer des logiciels outils et des exercices s’adaptant aux difficultés des élèves. Beaucoup de professeurs de mathématiques sont aussi par ailleurs des développeurs passionnés!

Un foisonnement que s’efforce de fédérer le pôle de compétences logiciels libres du Scérén coordonné par Jean-Pierre Archambault. L’école doit désormais prendre en compte les « mutations engendrées par l’immatériel et les réseaux: enseignants-auteurs qui modifient le paysage éditorial, partage de la certification de la qualité, validation par les pairs, redistribution des rôles respectifs des structures verticales et horizontales… », jugeait-il en juin 2008.

Pas vraiment gagné, constate Alexis Kauffmann. « Rien ne laisse à penser que le ministère de l’éducation nationale comprend et souhaite encourager cette culture libre qui explose actuellement sur Internet », lance-t-il. Dernier exemple en date, l’Académie en ligne lancée par le Cned en juin 2009 propose des cours, certes gratuits, mais pas libres et donc non modifiables, manifestement uniquement conçus pour être imprimés! Pour la collaboration, il faudra repasser…

Notes

[1] On peut lire l’article A Antibes, un collège teste les manuels numériques dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[2] On peut lire l’article Thierry de Vulpillières : « Les TICE sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation » dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[3] On peut lire l’article Nouvelles technologies: remue-ménage dans la pédagogie ! dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[4] Crédit photo : Vauvau (Creative Commons By)




Pourquoi le logiciel libre est-il important pour moi ?

The unnamed - CC by-saBruce Byfield est un journaliste américain que nous avons souvent traduit sur le Framablog.

Il nous livre ici une sorte de témoignage confession autour de cette simple question : Pourquoi le logiciel libre est-il important pour moi ? Une question qui, vers la fin, en cache une autre : Pourquoi le logiciel libre n’est-il pas important pour les autres ?

La réponse m’a alors fait fortement penser à l’Allégorie de la caverne de Platon parce que « pour une grande majorité, le Libre contraste tellement avec ce qu’ils connaissent qu’ils peinent à concevoir que cela existe »[1].

Mais je ne vous en dis pas plus…

Pourquoi les 4 libertés du logiciel sont plus importantes que jamais pour les Linuxiens

Why ‘Free as in Freedom’ is More Important Than Ever for Linux Users

Bruce Byfield – 17 novembre 2009 – LinuxPlanet.com
(Traduction Framalang : Don Rico)

Une marionnette heureuse de sa condition

La Free Software Foundation organise un concours de vidéos sur le thème « Pourquoi le logiciel libre est-il important pour vous ? » C’est une question qui tombe à point nommé, en raison, d’une part, de la récente sortie de Windows 7, et d’autre part des bisbilles au sein de la communauté du Libre qui ont tellement gagné en virulence que ses partisans semblent en passe d’oublier leur objectif commun.

Je n’ai pas le talent pour monter une vidéo, mais ce concours m’a poussé à m’interroger : Pourquoi le logiciel libre est-il important pour moi ? Pourquoi la plupart de ceux qui m’entourent s’en soucient comme d’une guigne ? Ces deux questions sont plus intimement liées qu’on pourrait le croire au premier abord.

Une changement de logiciel et de relations

À certains égards, il m’est plus facile d’expliquer ce qui ne présente pas d’intérêt pour moi dans le logiciel libre que ce qui en présente. Par exemple, le code que j’écris se limite à des modifications d’un code existant, aussi avoir accès au code source n’est pour moi qu’un avantage indirect.

De la même manière, être journaliste spécialisé dans le domaine du logiciel libre ne présente que peu de bénéfices pour moi. J’aurais davantage de débouchés et de lecteurs si j’écrivais des rubriques sur le matériel, Windows, et même OS X.

La gratuité du logiciel m’importe peu elle aussi, car depuis des années je peux défalquer le prix des logiciels acquis de ma déclaration de revenus. D’ailleurs, utiliser des logiciels libres et gratuits est même un désavantage lorsque je déclare mes impôts, car j’ai moins de frais professionnels à déduire.

Je ne peux même pas avancer l’argument que je voue une vive haine à Microsoft – mon sentiment envers cette entreprise est plus une grande méfiance et le désir d’avoir le moins possible affaire à elle.

Microsoft a néanmoins contribué à me pousser vers le logiciel libre. Un mois à peine après l’acquisition de ma première machine, je pestais déjà contre les carences du DOS, que j’ai remplacé par 4DOS. 4DOS était alors un partagiciel (à l’époque, quasi personne ne connaissait l’existence des logiciels libres) et ses fonctionnalités plus riches m’ont appris que le prix de vente d’un programme n’avait rien à voir avec sa qualité.

C’est aussi cette recherche de qualité qui m’a conduit à préférer OS/2 à Windows 3.0, et à vouloir être en mesure de bidouiller mes logiciels.

L’abandon d’OS/2 par IBM sous la pression de Microsoft m’a fourni un enseignement supplémentaire : je ne pouvais compter sur une entreprise commerciale pour protéger mes intérêts en tant que client. Lorsque j’ai découvert le logiciel libre, je me suis aussitôt rendu compte que mes intérêts en tant qu’utilisateur seraient sans doute mieux protégés par une communauté. Au moins, la mise à disposition du code source réduisait les risques que l’on cesse de veiller à mes intérêts.

Au cours des dix dernières années, l’évolution du monde des affaires et de la technologie n’a fait que renforcer ces convictions. À une époque où primait le bon sens, les ordinateurs et internet auraient été construits à partir de standards élaborés de façon collaborative et soumis à la régulation des pouvoirs publics, comme la télévision et la radio l’ont été au Canada et en Europe. Hélas, l’informatique et l’internet étant apparus à l’ère où dominait le conservatisme américain, ils ont été développés pour leur majeure partie par des entreprises privées.

Le résultat ? Qualité discutable, obsolescence programmée, et absence quasi totale de contrôle par l’utilisateur. Les utilisateurs de Windows et de Mac OS X ne possèdent même pas les logiciels qu’ils achètent, on leur accorde seulement un licence pour les utiliser. D’après les termes de ces licences, ils n’ont même pas le droit de contrôler l’accès que peuvent avoir Microsoft ou Apple à leur matériel ou à leurs données.

Du point de vue du consommateur, une telle situation serait inacceptable avec n’importe quel appareil. Qui tolérerait pareilles restrictions si elles s’appliquaient aux voitures ou aux cafetières électriques ?

La véritable liberté

Dans le domaine de l’informatique et de l’internet, pourtant, la situation est quasi catastrophique. Les ordinateurs pourraient être le plus formidable outil de tous les temps pour la promotion de l’éducation et de la liberté d’expression. De temps à autre, les entreprises propriétaires reconnaissent par un petit geste ce potentiel en créant des logiciels éducatifs ou en vendant leurs produits à bas prix aux pays en voie de développement.

Pourtant, dans la plupart des cas, ce potentiel n’est exploité au mieux qu’à 50% par les logiciels propriétaires. Leur coût élevé et l’absence de contrôle par l’utilisateur signifient que l’accès à ces outils reste bridé et filtré par leurs fabricants. À cause d’un hasard de l’Histoire, nous avons laissé des entreprises commerciales utiliser ces technologies, ce qui est bien sûr tout à fait acceptable, mais aussi avoir le contrôle sur tous ceux qui comme eux les utilisent.

Le logiciel libre, lui, reprend une partie de ce contrôle aux entreprises commerciales et rend l’informatique et internet plus accessibles à l’utilisateur moyen. Grâce aux logiciels libres, notre capacité à communiquer n’est plus restreinte par notre capacité financière à acquérir tel ou tel programme. Ce n’est pas la panacée, car le prix du matériel reste une barrière pour certains, mais il s’agit d’un pas de géant dans la bonne direction.

Pour résumer, le logiciel libre est une démocratisation d’une technologie privative. On retrouve cet esprit intrinsèque dans les communautés qu’il génère, dans lesquelles la norme est le bénévolat,le partage et la prise de décision collégiale. On le retrouve aussi dans l’utilisation de logiciels libres pour la création d’infrastructures dans les pays en développement, ou dans les initiatives que mènent l’Open Access Movement (NdT : Mouvement pour l’Accès Ouvert) pour affranchir les chercheurs universitaires des revues à accès restreint, de sorte que tout un chacun puisse les exploiter. En un mot, le logiciel libre, c’est un pas en avant pour atteindre les idéaux sur lesquels la société moderne devrait reposer.

On pourrait me rétorquer que d’autres causes, telles que la lutte contre la faim et la misère dans le monde, sont plus importantes, et je vous donnerais raison. Néanmoins, c’est une cause à laquelle je peux apporter ma modeste contribution. À mon sens, elle est non seulement importante, mais si essentielle pour les droits de l’homme et la liberté de la recherche que je peine à comprendre pourquoi elle n’est pas déjà universelle.

Hors du cadre de référence

Hélas, le logiciel libre ne peut se targuer que d’un nombre d’utilisateurs réduit, même si celui-ci augmente sans cesse. On cite souvent les monopoles, l’ampleur de la copie illégale, l’absence d’appui des constructeurs, les luttes intestines au sein des communautés et l’hostilité envers les non-initiés, pour expliquer pourquoi l’utilisation des logiciels libres n’est pas plus répandue. Toutes ces raisons jouent sans doute un rôle, mais je soupçonne les véritables causes d’être beaucoup plus simples.

« Je ne comprends pas qu’on puisse encore utiliser Windows », ai-je un jour grommelé en présence d’un ami. « Parce que c’est préinstallé sur tous les ordinateurs ? » a-t-il répondu. Il n’avait sans doute pas tort.

On pourrait penser que des gens qui passent de huit à quatorze heures devant leur machine souhaiteraient avoir davantage de contrôle sur elle. Mais il ne faut jamais sous-estimer la force de la peur du changement. Si les ordinateurs sont vendus avec un système d’exploitation préinstallé, la plupart des utilisateurs s’en accommodent, même s’ils passent leur temps à s’en plaindre ou à s’en moquer.

Je pense néanmoins que le frein principal à une adoption plus massive des logiciels libres est plus basique encore. Pour une grande majorité, le Libre contraste tellement avec ce qu’ils connaissent qu’ils peinent à concevoir que cela existe.

Le logiciel libre trouve son origine dans l’informatique universitaire des années 1960 et 1970, mais pour le plus grand nombre, l’histoire de l’informatique ne commence qu’avec l’apparition de l’ordinateur personnel sur le marché vers 1980.

Depuis, les logiciels sont avant tout des produits marchands, et le fait que les fabricants aient tout contrôle sur eux constitue la norme. Même si de temps à autre il arrive aux utilisateurs de râler, ils sont habitués à perdre les droits qui devraient être les leurs en matière de propriété dès qu’ils sortent leur logiciel de sa boîte.

De nombreux utilisateurs ignorent encore quels sont les objectifs du logiciel libre. Pourtant, s’ils sont un jour amenés à découvrir le logiciel libre, ils apprennent vite que ses aspirations sont radicalement différente.

Pour le mouvement du Libre, le logiciel n’est pas une marchandise mais un médium, comparable aux ondes télé ou radio, qui devrait être fourni à tous avec leur matériel informatique. Cette philosophie suggère que l’utilisateur moyen devrait être plus actif dans sa façon d’utiliser son ordinateur et modifier son rapport aux fabricants.

Face à des aspirations si opposées, quelle peut être la réaction de l’utilisateur moyen à part l’incompréhension et le rejet ? Il se peut que son premier réflexe consiste à penser que tout cela est trop beau pour être vrai. Il risque de ne pas croire à la façon dont sont conçus les logiciels libres, et craindre des coûts cachés ou la présence de logiciels malveillants.   Cet utilisateur n’est pas près de prendre ces promesses pour argent comptant, et il n’y a rien d’étonnant à cela.

Le logiciel libre diffère tant des logiciels qu’il utilise depuis toujours qu’il n’a pas de cadre de référence. Le fait que le Libre offre plus de souplesse et plus de possibilité de contrôle qu’il n’en a jamais eu ne fait pas le poids contre l’incapacité de l’utilisateur à le rapprocher du reste de son expérience avec les logiciels. Plutôt que de de se jeter dans les bras du Libre, il risque de le rejeter par incompréhension.

Retour aux fondamentaux

Lors de mon premier contact avec le Libre, je l’ai considéré comme un phénomène isolé. Ses similitudes avec d’autres tendances ou mouvements historiques ne me sont apparues que plus tard. Aujourd’hui encore, il m’arrive de temps à autre de négliger trop facilement son importance, et je soupçonne qu’il en va de même pour de nombreux membres de la communauté.

Cette remarque s’applique surtout pour ceux qui se définissent comme partisans de l’Open Source, lesquels accordent de la valeur au logiciel libre principalement pour la qualité supérieure que permet le code ouvert. Ils oublient parfois, comme me l’a un jour confié Linus Torvalds, que ce confort accordé aux codeurs n’est qu’un moyen permettant d’accéder à la liberté de l’utilisateur.

Mais négliger l’importance du logiciel libre a un effet encore plus profond. Nous, qui appartenons à la communauté, sommes conscients de cette importance, mais nous la prenons souvent pour acquise. Pris dans notre routine, nous perdons de vue que ce qui nous semble normal peut se révéler déroutant et menaçant pour qui en entend parler pour la première fois.

Chaque année, le logiciel libre accomplit de nouvelles avancées. Quand je fais le point sur mes dix ans d’activité dans ce domaine, je suis souvent stupéfait par les progrès dont j’ai été témoin, à la fois concernant les logiciels eux-mêmes et le succès qu’ils remportent en dehors de la communauté. Néanmoins, le logiciel libre pourrait rencontrer le succès plus vite si ceux qui participent au mouvement se remémoraient plus souvent son importance et se rendaient compte du caractère déconcertant qu’il peut avoir pour les néophytes.

Notes

[1] Crédit photo : The unnamed (Creative Commons By-Sa)




L’Éclaternet ou la fin de l’Internet tel que nous le connaissons ?

Raúl A. - CC byUne fois n’est pas coutume, nous vous proposons aujourd’hui une traduction qui non seulement ne parle pas de logiciel libre mais qui en plus provient de CNN, et même pire que cela, de sa section Money !

Et pourtant il nous semble pointer du doigt une possible évolution d’Internet, celle de son éclatement sous la pression des smartphones et autres objets connectés tels ces nouvelles liseuses et tablettes dont on vante tant les futurs mérites.

Une évolution possible mais pas forcément souhaitable car c’est alors toute la neutralité du Net qui vacille puisque les trois couches qui définissent le réseau d’après Lessig se trouvent ensemble impactées.

l’iPad ou le Kindle en sont des exemples emblématiques car ce sont des ordinateurs (la couche « physique ») dont Apple et Amazon contrôlent à priori les protocoles et les applications (la couche « logique ») et peuvent filtrer à leur guise les fichiers (la couche des « contenus »).

L’article s’achève sur une note optimiste quant au HTML5 et au souci d’interopérabilité. Encore faudrait-il avoir affaire à des utilisateurs suffisamment sensibilisés sur ces questions[1].

Hier encore on nous demandait : T’es sous quel OS, Windows, Mac ou Linux ? Aujourd’hui ou tout du moins demain cela pourrait être : T’es sous quel navigateur, Firefox, Internet Explorer ou Chrome ?

Et après-demain on se retrouvera à la terrasse des cafés wi-fi, on regardera autour de nous et on constatera, peut-être un peu tard, qu’à chaque objet différent (netbook, smartphone, iPad, Kindle et leurs clones…) correspond un Internet différent !

La fin de l’Internet tel que nous le connaissons, grâce à l’iPad et aux autres

End of the Web as we know it, thanks to iPad and others

Julianne Pepitone – 3 février 2010 – CNNMoney.com
(Traduction Framalang : Martin et Goofy)

Pendant plusieurs années, l’Internet a été relativement simple : tout le monde surfait sur le même réseau.

Plus on s’avance vers 2010, plus l’idée d’un même Internet « taille unique » pour tous devient un souvenir lointain, à cause de l’arrivée de l’iPhone, du Kindle, du BlackBerry, d’Android, et bien sûr du fameux iPad.

La multiplication des gadgets mobiles allant sur Internet s’accompagne à chaque fois d’un contenu spécifique pour chaque appareil. Par exemple, l’application populaire pour mobile Tweetie permettant de se connecter à Twitter n’est disponible que pour l’iPhone, alors que l’application officielle pour Gmail ne l’est que pour Android. Et si vous achetez un e-book pour le Kindle d’Amazon, vous ne pourrez pas forcément le lire sur d’autres lecteurs électroniques.

En même temps de plus en plus de contenus en ligne sont protégés par un mot de passe, comme la plupart des comptes sur Facebok et certains articles de journaux.

C’est un Internet emmêlé qui est en train de se tisser. Simplement, le Web que nous connaissions est en train d’éclater en une multitude de fragments. C’est la fin de l’âge d’or, selon l’analyste de Forrester Research Josh Bernoff, qui a récemment formulé le terme de « éclaternet » pour décrire ce phénomène (NdT : the splinternet).

« Cela me rappelle au tout début d’Internet la bataille de fournisseurs d’accès entre AOL et CompuServe » dit Don More, du fond de capital risque Updata, une banque d’investissement conseillère dans les technologies émergentes de l’information. « Il y aura des gagnants et des perdants ».

Dans ces premiers temps du Web, les utilisateurs accédaient aux contenus en utilisant des systèmes spécifiques ; ainsi les abonnés de chez AOL ne pouvaient voir que les contenus AOL. Puis le World Wide Web est devenu une plateforme ouverte. Maintenant les appareils nomades sont à noueau en train de morceler le Web.

D’après Bernoff, « Vous ne pouvez plus recoller les morceaux, la stabilité qui a aidé le Web à prendre forme s’en est allée, et elle ne reviendra plus ».

Des angles morts

Quand les utilisateurs d’appareils mobiles choisissent d’acheter un iPhone, un Motorola avec Android, un BlackBerry ou d’autres, ils sont effectivement en train d’opter pour certains types de contenus ou au contraire d’en abandonner d’autres, puisque toutes les applications ne sont pas disponibles sur tous ces gadgets.

D’après Don More de Updata, ce phénomène est en train de mettre le contenu dans des « communautés fermés ». Les fabricants de ces appareils peuvent (et ils le font) prendre et choisir quelles applications fonctionneront avec leur machine, en rejetant celles qui pourraient être en concurrence avec leurs propre produits, ou bien celles qu’ils estiment n’être pas à la hauteur.

Par exemple, Apple a rejeté l’application Google Voice sur l’iPhone, qui aurait permis aux utilisateurs d’envoyer gratuitement des messages et d’appeler à l’étranger à faible coût.

Et les limitations ne s’arrêtent pas seulement aux applications. Une affaire d’actualité : Le nouvel iPad ne prend pas en charge le lecteur Flash d’Adobe, ce qui empêchera les utilisateurs d’accéder à de nombreux sites.

Bernoff ajoute : « bien que (cette tendance) ne soit pas nécessairement mauvaise pour les consommateurs, ils devraient prendre conscience qu’ils sont en train de faire un choix. Quoi qu’ils choisissent, certains contenus ne leur seront pas disponibles ».

Des choix difficiles

Les entreprises qui créent les applications sont maintenant confrontées à des choix difficiles. Quels appareils choisiront-elles de prendre en charge ? Combien d’argent et de temps devront-elles prendre pour que leurs contenus fonctionnent sur ces gadgets ?

Quel que soit le choix des développeurs, il leur manquera toujours une partie des consommateurs qu’ils pouvaient auparavant toucher lorsque le Web était un seul morceau.

Sam Yagan, co-fondateur du site de rencontres OKCupid.com, ajoute : « quand nous avons commencé notre projet, jamais nous avons pensé que nous aurions à faire face à un tel problème. Réécrire un programme pour un téléphone différent c’est une perte de temps, d’argent, et c’est un vrai casse-tête ».

D’après Yagan, OkCupid emploie 14 personnes, et son application pour l’iPhone a nécessité 6 mois de travail pour être développée. L’entreprise envisage de créer une application pour Android, ce qui prendra environ 2 mois.

« C’est un énorme problème de répartition des ressources, surtout pour les petites entreprises », explique Yagan, « Nous n’avons tout simplement pas assez de ressources pour mettre 5 personnes sur chaque appareil qui sort ».

Chris Fagan, co-fondateur de Froogloid, une société qui propose un comparateur pour le commerce électronique, dit que son entreprise a choisi de se spécialiser sur Android, car il marche avec plusieurs téléphones comme le Droid, Eris, ou G1.

Selon Fagan « les consommateurs sont en train de perdre des choix possibles, et les entreprises sont en train de souffrir de ces coûts supplémentaires ». Mais il ajoute que la popularité en plein essor des applications signifie que les entreprises continueront à en concevoir malgré leur coût.

Et après ?

Comme un Internet plus fragmenté devient chose courante, Bernoff de Forrester pense qu’il y aura un contrecoup : une avancée pour rendre le contenu sur mobile plus uniforme et interopérable.

La solution pourrait bien être la nouvelle version du langage Web qui arrive à point nommé, le HTML5, qui d’après Bernoff pourrait devenir un standard sur les appareils nomades dans quelques années. Par exemple, le HTML5 permet de faire fonctionner des animations sur les sites Web sans utiliser le Flash.

Mais l’arrivée de n’importe quelle nouvelle technologie déclenchera une lutte pour la contrôler. Don More de Updata s’attend à voir « une bataille sans merci entre les entreprises (pas seulement Apple et Google, mais aussi Comcast, Disney et tous ceux qui s’occupent des contenus). Que ce soit les applications, les publicités, les appareils… tout le monde est en train d’essayer de contrôler ces technologies émergentes ».

Évidemment, personne ne peut prévoir le futur du Web. Mais Bernoff est au moins sûr d’une chose.

« Nous ne connaissons pas ce que seront les tous nouveaux appareils en 2011. Mais ce qui est certain, c’est que l’Internet ne fonctionnera plus comme on l’a connu. »

Notes

[1] Crédit photo : Raúl A. (Creative Commons By)




Au secours, l’Hadopi arrive en Belgique !

Yumyumbubblegum - CC byOn peut être éventuellement fiers d’exporter nos parfums et nos vins, mais certainement pas notre Hadopi !

C’est pourtant la menace qui plane en Belgique. Ce court extrait vidéo d’un récent débat télévisé de la RTBF vous rappellera en effet illico bien des souvenirs.

Pour en savoir plus nous avons recontré un membre d’une association locale qui souhaite sensibiliser et mobiliser le grand public pour éviter la contagion française.

PS : Désolé pour le choix de la photo clichée de la Belgique[1], mais ça symbolise les quatre majors du disque pissant dans les violons des artistes 😉

Entretien avec André Loconte du collectif NURPA

Bonjour, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

André Loconte, belge, étudiant ingénieur, politiquement orienté vers le logiciel libre, développeur et fervent défenseur de l’accessibilité du Web et de la neutralité du Net. Mes connaissances techniques liées à l’informatique sont issues principalement (pour ne pas dire « exclusivement ») du Net.

Je suis l’un des trois co-fondateurs de NURPA (avec Laurent Peuch et Frédéric Van Der Essen).

Qu’est ce que NURPA ? (et pourquoi un acronyme anglophone dans un pays qui a déjà trois autres langues officielles ?)

Nous sommes un collectif hétéroclite constitué initialement d’étudiants (sciences informatiques, ingénieurs, ..) bercés dans la culture du libre mais qui s’est très vite complété de citoyens de tous horizons professionnels, concernés par les problèmes que l’application de lois telles que celle proposée par le sénateur Philippe Monfils (Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet) serait susceptible d’engendrer. Deux des co-fondateurs ont contribué (et contribuent toujours) chacun à leur manière aux débats qui font rage en France.

La Net Users’ Rights Protecion Association (trad. Association de protection des droits des internautes) est la réponse collective de citoyens amoureux du Net et de leurs libertés, décidés à ne brader ni l’un ni l’autre au prétexte qu’un gouvernement flexible au poids des industries du divertissement tente d’imposer subrepticement une surveillance généralisée du Net. Si l’on écarte une hypothétique pression des lobbys, il est évident que nos politiques ont un retard considérable dans l’appréhension d’Internet et dans la compréhension de sa complexité. C’est donc avant tout dans une démarche pédagogique forte que s’inscrit NURPA : (in)former pour éviter de voir se reproduire en Belgique les erreurs qui ont conduit à la promulgation d’HADOPI en France (et qui ont poussé les députés à aller plus loin dans l’absurde avec HADOPI2, LOPPSI…).

En observateurs avisés des déboires français et du contexte européen, nous craignons que cet HADOPI à la belge ne soit qu’un cheval de Troie, le calme avant la tempête. L’ombre d’ACTA plane. Nous ne nous positionnons pas comme collectif uniquement contre l’HADOPI de Monfils, nous sommes évidemment contre cette loi, mais le débat ne s’arrête pas là.

Dans un pays qui possède trois langues officielles (l’allemand, le néerlandais et le français), l’utilisation de l’anglais pour la formation du nom, in fine de l’acronyme, a été pour nous une manière de passer outre cette indéniable barrière linguistique. Il nous a semblé que l’anglais était le meilleur choix pour garantir que notre but soit compris de tous.

Voici donc que la Belgique nous propose par l’entremise du sénateur Philippe Monfils son « Hadopi locale » baptisée tendancieusement « Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles sont les similarités et différences par rapport à la loi française ?

Le sénateur Monfils, qui a déclaré « la culture gratuite, ça n’existe pas » (lors de l’émission InterMedia de la RTBF du 25 janvier 2010), explique que des systèmes de juste rémunération des artistes et de contrôle du Net ont fait leur preuve ailleurs et cite sans scrupule, .. HADOPI en France (page 5, paragraphe 5 de sa proposition de loi). Signe évident selon nous d’une part, de sa méconnaissance du contexte qui a entouré la promulgation du texte de loi non seulement dans l’hexagone mais également au niveau européen; d’autre part, de la nature inapplicable de la loi française.

Le texte belge est une version édulcorée de l’HADOPI français, on y retrouve d’ailleurs les erreurs de jeunesse d’HADOPI :

  • Pas de Haute Autorité de Contrôle mais des agents commissionnés par le ministère de l’économie : des agents qui ont un pouvoir d’investigation a priori illimité (car non-défini dans la proposition de loi), qui constatent les infractions et qui décident des sanctions.
  • Pas de mouchard mais une collaboration des FAI : les FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet) auront l’obligation juridique de fournir toutes les informations nécessaires pour l’association d’une personne physique à une adresse IP. Actuellement, obtenir ce type d’information nécessite l’ordonnance d’un juge, ce qui garantit le respect de la vie privée et limite les dérapages.

    Une différence importante par rapport au dispositif français qui pénalise le titulaire de la ligne en cas de défaut de sécurisation, le texte belge ne prévoit de peine que pour le titulaire qui télécharge illégalement du contenu soumis au droits d’auteur ou droits voisins sur sa propre ligne. On imagine aisément l’immense difficulté de prouver qu’il s’agit effectivement du titulaire qui s’est rendu coupable de téléchargements illégaux sur sa propre ligne.

  • Double peine : le paiement de l’abonnement à Internet dans sa totalité est d’application même si celui-ci a été suspendu pour raison de téléchargement illégal.
  • Théoriquement pas de coupure de la ligne mais un bridage du débit : « en théorie » car bien que cela semble être l’argument clé de Philippe Monfils, sa proposition de loi ne manque pas de préciser que la coupure serait tout à fait envisageable en cas de multiple récidive. Bridage du débit, c’est à dire : diminuer la vitesse de transfert de telle sorte que l’internaute puisse continuer à chercher du travail et à consulter ses mails (sic).

    On conçoit un peu mieux la qualité de ce texte quand on sait qu’un débit suffisant à la consultation de mail et à la recherche d’emploi est également suffisant au téléchargement de la plupart des fichiers (moins rapidement certes). Ne parlons même pas des mises à jour de sécurité qui vont devenir pénible à obtenir et toutes les conséquences fâcheuses que cela risquerait d’entraîner.

    Lors d’une coupure (en cas de récidive après le bridage), quid du téléchargement légal ? L’internaute qui verrait sa ligne coupée serait en effet dans l’incapacité d’acheter du contenu légalement en ligne. A cela s’ajoute la décision du 10 juin 2009 du Conseil Constitutionnel français qui présente Internet comme une composante de la liberté d’expression et de consommation nécessaire à l’exercice la liberté d’expression et de consommation tel que décrit dans l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme de 1789.

  • Enfin, le texte qui trouve sa justification dans la juste rémunération des artistes, ne contient pas une ligne à leur propos.

L’Hadopi est certes passée en France mais modifiée par rapport au texte initial (et non encore appliquée). Et puis « nous » avons coutume de dire que c’est une victoire à la Pyrrhus car « nous » avons gagné au passage la bataille de la médiatisation et des idées. Comment alors selon vous peut-elle encore servir d’exemple à d’autres pays ?

Je soulevais la question plus haut : profonde méconnaissance du dossier, incompétence technique, influence des lobbys du divertissement ? Probablement un savant mélange des trois.

Et pour citer un certain Jérémie Zimmerman (reprenant Michel Audiard) : « Les cons ça osent tout, c’est à ça qu’on les reconnaît ».

D’autres sénateurs (écologistes je crois) ont rédigé une proposition de loi visant à instaurer quelque chose qui ressembe à une « licence globale ». Approuvez-vous cette initiative ? A-t-elle une chance d’être comprise et entendue par les politiques en particulier et la société belge en générale ?

Cette idée de licence globale est en effet portée par Ecolo (à travers Benoit Hellings) et n’a pas encore été déposée. Il nous est donc impossible de nous prononcer précisément à son sujet. Les interventions télévisuelles de Benoit Hellings permettent cependant de dresser un rapide état des lieux : il semble que cette licence globale soit largement inspirée du livre de Philippe Aigrain « Internet & Création. Comment reconnaître les échanges hors-marché sur internet en finançant et rémunérant la création ? » (sic); que la contribution de l’internaute serait répercutée directement dans le prix de l’abonnement (sans sur-coût); que la grille de répartition des biens aux artistes serait semblable à celle actuellement en usage par la SABAM (NDLR : la SACEM locale). Il est évoqué également la possibilité de création d’un organisme indépendant chargé d’établir des statistiques sur les téléchargements sur base d’enquêtes anonymes.

Sans chercher à créer la polémique avant même que la proposition de loi d’Ecolo ne soit déposée, nous relevons déjà plusieurs points qui à n’en pas douter seraient problématiques s’ils étaient introduits dans la proposition de loi :

  • Je parlais de contribution directement répercutée dans le prix de l’abonnement, Benoit Heillings va plus loin : il suggère une retarification des connexions au Net selon le critère du téléchargement, en d’autres termes les « gros téléchargeurs » bénéficieraient, pour des tarifs semblables à ceux pratiqués actuellement, de vitesses de connexion plus élevées et d’une capacité de téléchargement supérieure (illimitée ?); les autres, pour un tarif plus modeste, de vitesses de connexion réduites et de capacité de téléchargement inférieure (permettant uniquement la consultation des mails et la recherche d’emploi). De notre point de vue, cette vision bipolaire du comportement des internautes (soit il télécharge, soit il ne télécharge pas du tout) traduit une fois de plus une méconnaissance profonde d’Internet et de ses usages.

    Ce n’est pas la première fois que le gouvernement belge est pris à défaut sur cette problématique, on se rappellera le courrier adressé par Microsoft au Ministre fédéral des télécommunications à propos des quotas de téléchargement en application en Belgique qui empêcheraient la firme de Redmond de déployer son service de VOD.

  • Ensuite, l’utilisation de la grille de répartition – déjà obsolète – de la SABAM ne permettrait en rien une meilleure rémunération des artistes.
  • Enfin, nous voyons d’un oeil méfiant la création d’un organisme indépendant, ô combien respectueux de l’anonymat soit-t-il. A quel niveau et de quelle manière s’effectuerait l’analyse des échanges ? Qui s’assurait que cet organisme respecte le cadre de ses attributions, la vie privée des internautes ? Quels moyens cet organisme serait-il capable de mettre en place afin d’observer les échanges via les VPN ou dans les Darknet ?

Nous n’hésiterions pas à leur faire part de ces remarques si nos craintes s’avéraient fondées à la lecture du projet de loi.

NURPA est-elle la seule structure belge à s’opposer ? Quelles sont les forces en présence ? Etes-vous en contact avec, par exemple, La Quadrature du Net ? Et quelles sont vos relations avec le tout jeune Parti Pirate belge ?

NURPA n’est heureusement pas la seule association que cette proposition de loi révolte. Citons par exemple « HADOPI mayonnaise » qui partage de nombreux points d’accord avec notre vision et avec qui nous collaborerons bientôt.

Quant aux forces en présence, le système de majorité étant différent en Belgique et en France, c’est avec la proposition Ecolo et la proposition annoncée du PS que les débats parlementaires se dérouleront. Contrairement à la situation qu’a connu la France avec l’UMP, la possibilité pour le Mouvement Réformateur (dont est issu P. Monfils) de faire passer sa loi de force est rendue complexe (pour ne pas dire impossible) tant la répartition des sièges à la Chambre et au Sénat est panachée.

Nous avons eu il y a quelques semaines, des échanges avec Jeremy Zimmerman, il nous a prodigué – fort de son expérience avec La Quadrature du Net – de précieux conseils d’ordre organisationnel. Des actions coordonnées pourraient être envisagées mais ne sont pas d’actualité.

Nous avons contacté le Parti Pirate belge afin de recueillir leur avis concernant la proposition de loi du sénateur MR. Notre interlocuteur (Germain Cabot) a manifesté un réel intérêt pour la question et nous a informé que le PP belge dressait un état des initiatives citoyennes afin d’envisager des collaborations. Le Parti Pirate belge fait les frais de sa jeunesse politique (création en juillet 2009), ne disposant pas de siège parlementaire, il verra son rôle limité à celui de commentateur sans avoir l’opportunité d’apporter un réel contre-poids politique.

Nous tenons à conserver une indépendance politique certaine, nos rapports au PP belge ne seront pas différents de ceux envers les autres partis politiques.

Quelles sont les échéances et quels moyens d’action envisagez-vous ?

Il n’y a pour l’instant pas d’échéances précises, en Belgique, un projet de loi met habituellement une année à passer à travers les rouages parlementaires. Bien que le projet de loi de P. Monfils ait été déposé, celui-ci est en cours de correction et de traduction. ECOLO n’a pas encore publié le leur et le PS s’en tient à des déclarations d’intention sans plus de précisions. Cela ne nous dispense pas de faire preuve de vigilence dès à présent, c’est un combat de longue haleine qui nous attend.

Nous allons principalement nous concentrer sur l’information et la sensibilisation de l’opinion publique et politique à ce sujet au travers d’analyses, de dossiers et de communiqués de presses, de rencontres et d’actions sur le terrain.

Nous avons, dès les premiers jours, mis à disposition un wiki afin d’asseoir l’aspect communautaire prépondérant de notre action.

Inspiré par le modèle de La Quadrature du Net, nous comptons également attirer les projecteurs des médias pour éviter que cette proposition de loi et les débats qui l’entourent soient passés sous silence.

Au delà d’Hadopi, vous dites être également sensible à des sujets comme le filtrage du Net ou la taxe sur la copie privée. En France on est actuellement mobilisé sur le front de la loi Loppsi et les cachotteries de l’Acta. Les libertés numériques dans leur ensemble sont-elles menacées ?

Lorsque l’on constate l’inconscience et l’incompétence avec laquelle les libertés numériques sont abordées par les politiques, on ne peut que craindre pour la pérennité de celles-ci. C’est pourquoi nous nous faisons un devoir d’éduquer et de sensibiliser les politiques à ces sujets.

Nous craignons que cet « HADOPI à la belge » soit le précédent nécessaire et suffisant à l’émergence d’autres lois plus pernicieuses encore. Je le disais en préambule, nous partons avec l’avance non négligeable que sont les enseignements tirés de l’expérience française.

Nous ferons ce qui est en notre pouvoir afin de nous assurer que ce projet de loi ne soit jamais promulgué et que LOPPSI et consorts demeurent le fait de l’exception française.

Brel disait « Je préfère les hommes qui donnent à ceux qui expliquent ».

La connaissance est parfois tout ce que l’on a à offrir. Tant qu’à la partager, autant que cela se fasse sous licence libre.

Que ferait le Grand Jacques aujourd’hui, il s’enfuirait aux Marquises ou résisterait debout ?

Il chanterait.

Pour NURPA, André Loconte

Notes

[1] Crédit photo : Yumyumbubblegum (Creative Commons By)




Libres extraits du rapport Fourgous sur la modernisation de l’école par le numérique

One Laptop Per Child - CC byLa « culture libre » va-t-elle enfin être reconnue, soutenue et encouragée à l’école française ?

Si vous êtes un lecteur régulier du Framablog, vous n’ignorez pas que c’est une question qui nous taraude depuis plusieurs années (sachant que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage).

Or on tient peut-être un début de réponse positive avec le rapport de la mission parlementaire du député Jean-Michel Fourgous sur la modernisation de l’école par le numérique. Sous l’égide d’un autre politique issu du monde de l’industrie, le ministre Luc Chatel, ce rapport ambitieux a pour titre Réussir l’école numérique et il a été remis aujourd’hui même à François Fillon.

70 mesures réparties en 12 priorités dans un document de 333 pages, le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont pas chômé. Enseignant, étudiant[1], parent d’élèves ou simple citoyen curieux de l’avenir du système éducatif dans la société actuelle de l’information et de la communication, je vous invite à le parcourir à votre tour car il y a beaucoup de choses intéressantes dans ce rapport, que l’on soit ou non d’accord avec les analyses, les constats et les pistes de propositions.

En attendant je me suis permis d’en extraire ci-dessous les quelques trop rares passages concernant plus ou moins directement la ligne éditoriale de ce blog. Parce quand bien même ce soit peut-être, ou sûrement, trop timide (est-ce volontaire ?), j’y vois quand même une avancée significative pour le « Libre à l’école » (expression valise que j’avais tenté de synthétiser dans un court article pour une brochure Sésamath).

Des passages dont ne parlent ni la dépêche AFP (et à sa suite tous les grands médias) ni le Café pédagogique (mais ça on sait pourquoi),

On notera que dans le cadre de la consultation préalable, l’April avait envoyé une lettre détaillée et argumentée à Jean-Michel Fourgous. Ceci participant certainement à expliquer cela.

Enfin n’oublions pas qu’un rapport parlementaire n’est qu’un document de travail qui n’augure en rien des décisions qui seront effectivement prises par le gouvernement. Sans compter, comme le souligne cette fois-ci le Café Pédagogique, qu’une « évolution de cette ampleur nécessite une école en paix, est-ce envisageable si l’austérité vient chaque année dégrader la situation scolaire ? »

Libres extraits du rapport Fourgous

URL d’origine du document

Page 29

Grâce aux wikis les contenus sont élaborés de façon collaborative. L’encyclopédie en ligne Wikipedia, les wikilivres (création de ressources pédagogiques libres) ou encore les wikicommons (banque de fichiers multimédias) traduisent la naissance de ce que Pierre Lévy appelle une « intelligence collective » où l’internaute passif, simple « récepteur », est devenu un « webacteur », un « élaborateur » de contenus.

Tiens, Wikipédia et quelques autres projets Wikimédia ont droit de cité. Un peu plus loin, page 141, il sera dit que 40% des « digital natives » consultent l’encyclopédie. Et surtout, le rapport ne craint pas de proposer des liens directs vers ses articles lorsqu’il s’agit d’expliciter certains termes (exemples : Machine to machine, Réalité augmentée, Modèle danois, Littératie, Échec scolaire, Ingénieur pédagogique ou encore Livre électronique). Une telle légitimité officielle est à ma connaissance une grande première dans le secteur éducatif. Serions-nous définitivement en route vers la réconciliation ?

Une note (un peu confuse) est collée aux ressources pédagogiques libres avec un lien Educnet :

Les contenus libres trouvent leurs origines dans le concept de copyleft (en opposition au monopole d’exploitation reconnu par le copyright et le droit d’auteur) né avec les premiers logiciels dit libres car leurs utilisations, copies, redistributions ou modifications étaient laissées au libre arbitre de leurs utilisateurs. L’accès au code source était libre (open source). Cette philosophie du partage et de la promotion du savoir et de sa diffusion s’est propagée ensuite à toutes les formes de créations numériques.

Page 234

Un paragraphe entier est consacré à des pratiques dont je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi on ne veut pas faire ou voir le lien avec la culture du logiciel libre.

Vers de nouvelles pratiques coopératives et collaboratives

« J’ai amélioré ma pratique enseignante parce que je l’ai enrichie de l’expérience de tous les autres »

Cette citation me parle.

Est ensuite fait mention des associations d’enseignants, en distinguant dans cet ordre mutualisation, coopération et collaboration (cf ces dessins).

Il n’est pas anodin de remarquer que l’association la plus avancée dans la collaboration, Sésamath pour ne pas la nommer, a depuis longtemps adopté les licences libres aussi bien pour ses logiciels que pour ses contenus. Il y a corrélation, mais le rapport ne le dira pas.

Le travail d’équipe est, de manière traditionnelle, peu pratiqué et non valorisé sur le plan professionnel. L’organisation des établissements et du service des enseignants ne le facilite d’ailleurs d’aucune manière. L’arrivée de l’Internet et des modèles de travail coopératif ou collaboratif bouleversent les habitudes.

En France, des associations toujours plus nombreuses (Sésamaths, WebLettres, Clionautes…) regroupent des enseignants qui mutualisent leurs supports pédagogiques. La mutualisation correspond à la mise en commun et à l’échange de documents personnels. Dans le travail coopératif chaque participant assume une tâche propre au sein d’un projet donné et dans le travail collaboratif, chaque tâche est assumée collectivement. Ainsi, si Clio-collège est un site de mutualisation, Mathenpoche un exemple de travail coopératif, les manuels Sésamaths sont un bon exemple de travail collaboratif.

(…) La mutualisation arrive officiellement dans les académies : dans celle de Versailles, un site, destiné à recueillir les ressources utilisées par les enseignants sur les tableaux numériques interactifs, a été créé. Les enseignants peuvent y partager les fichiers qu’ils réalisent. En attendant, l’interopérabilité de l’outil, les ressources sont réparties selon les marques de TNI.

C’est l’une des rares fois où l’interopérabilité est évoquée dans le rapport. Un gouvernement responsable n’est pas forcément obligé « d’attendre l’interopérabilité ». Il peut la suggérer fortement, voire l’inclure systématiquement dans ses cahiers des charges.

Les échanges et la communication permettent d’aboutir à une production collégiale finale riche et cohérente et les documents numériques deviennent accessibles et téléchargeables par l’ensemble de la communauté éducative.

(…) Le travail collaboratif prend le pas sur la coopération, comme en témoigne l’évolution depuis quelques mois des associations WebLettres et Clionautes vers ce mode de fonctionnement. Internet permet ainsi de faire évoluer la culture enseignante du « chacun pour soi » vers un travail en équipe.

Les associations Weblettres et Clionautes se dirigent donc vers la collaboration. Ma main à couper qu’elles rencontreront les outils et licences libres en chemin.

Page 267

Un passage important dont le titre est à la fois erroné (« libres de droit ») et peu téméraire (« quelques » avantages) :

Les ressources libres de droit offrent quelques avantages pédagogiques

Quant au corps du paragraphe il a le grand mérite d’exister (Jean-Pierre Archambault est cité dans la note de bas de page) :


Le logiciel libre (gratuit) est mis à disposition des utilisateurs qui peuvent à loisir le modifier ou l’adapter avec pour obligation de le mettre à leur tour à la disposition de tous. Cette technique du « don » permet de générer de la valeur, enrichissant le produit, des compétences et des idées de chacun. Le plus célèbre de tous les logiciels libres est sans conteste le système d’exploitation « Linux » et la suite « Open office » qui se placent en concurrents respectivement de Windows et du pack Office de Microsoft. On peut citer également « Gimp », pendant de Photoshop, le navigateur « Firefox »…

L’entrée du logiciel libre dans l’Éducation nationale s’est réalisée à la suite d’un accord cadre conclu en 1998 avec l’Aful (Association française des utilisateurs de Linux et des logiciels libres).

L’idée de partage et de gratuité a séduit le monde enseignant, mais changer d’environnement de travail nécessite du temps et de la formation.

Certes. Mais se borne-t-on à le constater ou bien agit-on en conséquence comme le Canton de Genève ?

Les avantages pour les élèves sont importants, notamment pour la lutte contre la fracture numérique : l’élève peut en effet télécharger le logiciel gratuitement à son domicile sans aucune difficulté ; en apprenant à utiliser des fonctionnalités plus que des outils, le libre habitue les élèves à la pluralité, à la diversité ; il permet d’entrer dans le programme informatique, de le comprendre voire de le modifier (pour les plus férus d’informatique) : les avantages pédagogiques sont donc plus nombreux.

Cela fait plaisir à lire.

Et pourtant un sentiment mitigé prédomine puisqu’une fois ceci exposé on n’en reparlera plus dans tout le rapport. C’est plus que dommage que dans les 70 mesures préconisées, le logiciel libre n’ait pas fait l’objet d’une mesure à part entière.

Page 274

L’offre libre a peu à peu pénétré le système éducatif : en effet, l’idée de partage et de gratuité (permettant à l’élève de télécharger le logiciel gratuitement à son domicile) a séduit le monde enseignant, de même que l’offre émanant des enseignants eux-mêmes : la collaboration dans le but d’élaborer des ressources adaptées à leurs attentes, remporte un franc succès auprès du monde éducatif. La vocation du métier d’enseignant sera donc sûrement d’évoluer vers plus d’élaborations de ressources, plus de créations, de passer d’un travail solitaire à un travail d’équipe.

Cela séduit le monde enseignant. Mais cela séduit-il le rapport ? Cela n’est pas très clair et ne séduira alors pas forcément le gouvernement.


Page 292

Un long extrait tout à fait pertinent :

Une liberté pédagogique freinée

L’autre problème majeur reste les ressources mises à disposition de l’enseignant afin de préparer son cours : dans l’idéal, la technologie le permettant, chacun s’accorde à penser que les enseignants du XXIe siècle devraient pouvoir trouver sur la toile, toutes les ressources numériques, toute la documentation, toute l’aide qu’ils seraient en droit d’utiliser dans le cadre de leur enseignement.

Pourtant, les droits d’auteur les en empêchent et certains documents qui leur semblent pertinents pour illustrer leurs cours ne leur sont pas accessibles, sauf à se mettre hors la loi.

Ce que font tous les jours des milliers d’enseignants.

En ce temps d’Hadopi, que l’on n’a de cesse de présenter comme une loi « favorisant la création », c’est tout de même intéressant de remarquer qu’ici c’est le rôle castrateur des droits d’auteur qui est mis en exergue. Sans compter que…

Des solutions commencent à apparaître et se révèlent être un appui sérieux pour le travail collaboratif. Les licences creative commons (organisation née en 2001) sont ainsi un début de réponse, de même qu’en sont les cours en ligne sous licences libres proposés par les universités. Creative Commons propose gratuitement des contrats flexibles de droit d’auteur pour diffusions des créations. Ces « autorisations » permettent aux titulaires de droits d’autoriser le public à effectuer certaines utilisations, tout en ayant la possibilité de réserver les exploitations commerciales, les œuvres dérivées ou le degré de liberté (au sens du logiciel libre). Ces contrats peuvent être utilisés pour tout type de création : texte, film, photo, musique, site web… Les enseignants devraient ainsi être incités à partager leurs travaux en protégeant ceux-ci par l’emploi de licences de libre diffusion du type Creative CommonsBySA, GNU Free Documentation License ou Licence Art Libre…

Merci de l’évoquer. Ouf, c’en est fini du temps où l’on criait dans le désert. Mais que ce fut long !

Il y a une note, un peu étrange, concernant les Creative Commons (et Benoît Sibaud, l’excellent mais désormais ex-président de l’April, est cité) :

Creative Commons : Liberté de reproduire, distribuer et communiquer cette création au public, selon les conditions by-nc-sa (paternité, pas d’utilisation commerciale, partage des conditions à l’identique).

Et arrive alors le serpent de mer de « l’exception pédagogique » :

Cependant, beaucoup de ressources n’étant pas sous le « logo » creative commons, les enseignants sont freinés dans leurs pratiques et leur pédagogie (impossibilité de reprendre une publicité ou une photo afin de l’exploiter, de la disséquer pour mieux la comprendre…). L’exception pédagogique, déjà présente dans différents pays s’impose, notamment si on veut éduquer les enfants aux médias numériques et à l’impact de l’image.

Ce n’est pas gagné. Si vous avez cinq minutes, allez jeter un coup d’œil au tout récent Bulletin officiel n° 5 du 4 février 2010 concernant la propriété intellectuelle (partie 1 et 2). Pourquoi faire simple quand on peut faire tellement compliqué que cela en devient totalement incompréhensible !

Toujours est-il que contrairement au logiciel, on a droit à deux mesures bienvenues (dont une « en urgence ») :

Mesure 14 : Créer en urgence, dans le système juridique du droit d’auteur, une exception pédagogique facilitatrice et durable.

Mesure 23 : Favoriser le développement de ressources « libres » et la mise à disposition de ressources non payantes.

Restons sur cette note optimiste pour clore nos morceaux choisis. La balle est désormais dans le camp du législateur.

Pour lire le rapport dans son intégralité

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop Per Child (Creative Commons By)




Des statistiques plus qu’encourageantes pour OpenOffice.org

viZZZual.com - CC byUn site allemand a réalisé une étude originale sur l’usage planétaire et comparée des différentes suites bureautiques, MS Office et OpenOffice.org en tête.

L’échantillon est relativement faible (200 000 personnes) et la méthode pas forcément très fiable (à partir des polices installées sur les ordinateurs, sachant de plus qu’installation n’équivaut pas forcément à utilisation au quotidien), mais il n’empêche qu’elle dessine une carte du monde où OpenOffice.org possède une non négligeable part de marché[1].

Et qu’est-ce qui l’empêcherait de suivre la même dynamique ascendante que Firefox ? s’exclame alors un Glyn Moody des plus enthousiastes !

Remarque : Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, je signale également, mais vous le saviez déjà, que la version 3.2 vient de voir le jour avec plein d’intéressantes améliorations dedans.

L’irrésistible ascension d’OpenOffice.org a-t-elle commencé ?

Has the Irresistible Rise of OpenOffice.org Begun?

Glyn Moody – 8 février 2010 – ComputerWorld
(Traduction Framalang : Julien et Martin)

OpenOffice.org - StatistiquesLes lecteurs assidus de ce blog savent déjà que je suis un grand fan d’OpenOffice.org, et que je pense qu’il a le potentiel pour percer auprès du grand public. Peut-être que cette percée a déjà commencé, à en juger par ces récents chiffres (ci-contre) de Webmasterpro.de :

« Les statistiques ont été recueillies au moyen d’une nouvelle méthodologie : plus de 200 000 visiteurs du monde entier ont été analysés par le service de statistiques FlashCounter. En listant (via l’utilisation de Javascript) quelles polices de caractères étaient installées sur le système, nous avons pu identifier les suites bureautiques installées. »

Même répartis tout autour de la planète, ces 200 000 utilisateurs ne sont pas très nombreux, donc je prendrais ces chiffres avec des pincettes. Mais même dans leur orientation générale, ils sont assez significatifs. Par exemple, la Pologne compte 22% pour OpenOffice.org contre les 68% de Microsoft Office ; la République Tchèque compte aussi 22% contre 76% ; tandis que l’Allemagne fait bien avec 21% et 72%. Les pays suivants en ordre décroissant sont la France, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, la Belgique, la Suède et l’Autriche.

Le Royaume-Uni, c’est presque inutile de le préciser, tourne misérablement avec 9% – comme les États-Unis – aux côtés d’un massif et moutonnier 80% d’utilisation de Microsoft Office (75% aux États-Unis). La honte.

Ce qui est intéressant dans ces chiffres – en particulier les nombres élevés dans certains pays – est que cela place OpenOffice.org dans la même position de parts de marché que Firefox occupait il y a quelques années. Ce qui soulève deux questions intéressantes. Premièrement, sommes-nous en train d’assister à l’émergence du même type de trajectoire ascendante, et deuxièmement, comment la communauté open source peut-elle propulser plus rapidement OpenOffice.org le long de cette trajectoire ?

Comme Simon Phipps l’a à juste titre souligné sur Twitter, cette rapide évolution n’est pas le meilleur moment pour qu’Ubuntu retire OpenOffice.org de sa prochaine édition pour Netbook : au contraire, il devrait faire tout son possible pour promouvoir cette suite bureautique si son souci affirmé est d’élargir l’écosystème du logiciel libre. Peut-être bien que c’est quelque chose à quoi devrait réfléchir Matt Asay dans la première semaine de sa prise de fonction en tant que Directeur général de Canonical…

Notes

[1] Crédit photo : viZZZual.com (Creative Commons By)




9 prévisions open source pour l’année 2010

Sergis Blog - CC byQue va-t-il se passer en 2010 dans le monde de l’open source et du logiciel libre ?

Seul Nostradamux le sait.

Mais le journaliste Bruce Byfield s’est tout de même risqué au jeu des prédictions dans un article que nous avons traduit avec un petit mois de retard (ouf, il était temps !).

Tout comme nous, vous ne serez pas forcément d’accord sur tout. Il va alors sans dire que les commentaires sont là pour accueillir vos critiques et vos propres plans sur la comète[1].

L’open source en 2010 : Neuf prédictions

Open Source in 2010: Nine Predictions

Bruce Byfield – 30 décembre 2009 – Datamation
(Traduction Framalang : Cheval boiteux, Martin et Olivier)

Même si c’est la fin de la décennie seulement pour ceux qui ne savent pas compter, les rétrospectives semblent plus à la mode que les prédictions en ces derniers jours de 2009. Peut-être aussi qu’après une année de récession, les experts de l’avenir deviennent plus prudents.

Mais, n’étant pas de ceux qui suivent les tendances et n’étant pas du genre nostalgique, je préfère tourner mon regard vers le futur, pour envisager ce qu’il pourrait réserver aux logiciels open source. Tout bouge dix fois plus vite dans l’open source que dans l’informatique grand public, et 2010 risque bien de ne pas déroger à la règle.

Je pense que nous pouvons considérer comme acquis que l’open source va continuer à gagner en popularité. 2010 ne sera pas cette légendaire « Année où Linux se démocratise », mais nous devrions continuer à observer la même lente et constante progression de son adoption que dans la dernière décennie.

Mais quoi d’autre ? Permettez-moi de prouver ma témérité en faisant neuf prédictions sur ce que 2010 nous réserve sur le plan des communautés, de la technologie et de l’économie de l’open source.

1. L’arrivée des pilotes vidéos totalement libres

Les utilisateurs ont dû attendre longtemps pour avoir des pilotes vidéo open source aussi performant que leurs pendants propriétaires. Mais d’ici à la fin de l’année prochaine cela pourrait bien se concrétiser. Les pilotes Intel sont déjà stables, et utilisés sur plus de 25% des ordinateurs open source.

Quant aux autres cartes graphiques, le noyau 2.6.33 de Linux devrait apporter une meilleure gestion des cartes ATI et NVIDIA. Attendez-vous donc à de gros progrès d’ici à la fin de l’année. Et dans le pire des cas, si des fonctions manquent encore, elles devraient être au point pour la mi-2011[2].

2. La communauté crééra un fork de MySQL

Quand Oracle a racheté Sun Microsystems en avril 2009, ils ont également acquis MySQL, la base de données la plus populaire d’Internet. Huit mois plus tard, le sort réservé par Oracle à MySQL est toujours incertain et les gens s’inquiètent.

Richard Stallman a demandé publiquement à Oracle de rendre MySQL à la communauté, alors que Monty Widenius, le créateur de MySQL, a initié une campagne de rédaction de lettres à la Commission européenne pour éviter le démembrement de la base de données par Oracle.

Étant donné qu’il semble n’y avoir aucune logique juridique pour aider ces campagnes, je pense qu’ils vont échouer. S’ils y arrivent, la méfiance envers Oracle aura certainement raison de l’intégration de MySQL dans les distributions open source.

Il y a de grandes chances que la communauté privilégie des forks existants de MySQL, probablement MariaDB de Widenius, qui est déjà intégrée au Launchpad d’Ubuntu. PostgreSQL, l’autre grande base de données open source, ne devrait pas tant en profiter car elle semble moins adaptée aux besoins des sites Web.

3. La sortie de Gnome 3.0 risque de déclencher une révolte chez les utilisateurs

Il y a deux ans, un vent de révolte accompagna la sortie de KDE 4.0, car cette nouvelle version instaurait une rupture avec les précédentes (des fonctions clés n’y étaient pas encore intégrées). GNOME 3.0, provisoirement prévu pour septembre 2010, ne devrait pas souffrir du même manque de fonctionnalités, mais les premières versions suggèrent un style nouveau, comme KDE 4.0 (et les premières réactions montrent que les utilisateurs y seront aussi hostiles).

L’avantage de GNOME est que ses développeurs peuvent bénéficier de l’expérience de KDE. Aucune hostilité n’est permanente, surtout si la prochaine version a une feuille de route claire.

Tout de même, les plaintes peuvent être spécialement fortes ou longues, qui sait ? Peut-être que les critiques envers GNOME attireront plus d’utilisateurs vers KDE ou vers des environnements graphiques moins connus comme Xfce.

4. La différence entre Logiciel Libre et Open Source va se creuser davantage

De l’extérieur, open source et logiciel libre sont des noms différents désignant le même phénomène. Cependant pour beaucoup de membres de communautés c’est comme dire que le Protestantisme n’est pas différent du Catholisisme. Malgré bon nombre de similarités l’open source est un mouvement de développeurs qui vise à perfectionner la qualité du code source, alors que le mouvement du logiciel libre se concentre sur les libertés accordées à l’utilisateur[3].

Dans la pratique, les deux philosophies coexistent (souvent à l’intérieur d’un même projet). Cependant, de temps à autre, ces membres rentrent en conflit. Le dernier conflit majeur était il y a deux ou trois ans à propos de la version 3.0 de la licence GNU GPL (GNU General Public License), qui donnait plus d’importance au logiciel libre que la version 2.0.

Le problème suivant qui provoquera un conflit reste incertaine. Cependant, les personnes soutenant le logiciel libre n’ont jamais été timides sur le fait d’exprimer leurs opinions, et les adhérents de l’open source sont devenus de plus en plus méprisants envers le logiciel libre en général et leur fondateur Richard Stallman en particulier. Dans la même veine, la rhétorique est devenue si méprisante que le conflit semble n’être qu’une question de temps.

Il y a deux ou trois semaines, le problème le plus probable apparaissait être le possible retrait de GNOME du projet orienté logiciel libre GNU, un changement qui ne signifierait presque rien dans la pratique, mais qui serait probablement perçu comme une preuve que GNOME est désormais clairement dans le camp de l’open source. Le problème, cependant, est plus complexe que la contestation du conflit lui-même.

5. L’open source sera encore confronté au sexisme

2009 nous a montré une série d’évènement dans lesquels des gens comme Richard Stallman[4] et Mark Shuttleworth ont été accusés de sexisme à cause de remarques faites en public.

Et avec l’observation que les femmes sont sous-représentées dans l’open source, 2009 a été l’année où la communauté a semblé découvrir cette problématique[5].

6. Google Chrome OS inaugurera les OS dans les nuages

Chrome OS, le système d’exploitation dans les nuages de Google, devrait sortir dans la deuxième moitié de 2010. Étant donné ce que l’on dit toujours sur l’état des version bêta des produits de Google, personne ne sera surpris que version finale soit retardée. Mais 2010 montrera, au moins, une version bêta avancée ou une release candidate. Malgré l’existence de Jolicloud, la majorité des utilisateurs verra Chrome OS comme le premier système d’exploitation dans les nuages.

Chrome OS devrait être téléchargé des millions de fois dans le premier mois de sa sortie, du fait de sa nouveauté. De plus, Google est en train de travailler avec les fabricants de matériel pour être sûr que Chrome OS sera supporté. Malgré tout, une grande partie des utilisateurs resteront sceptiques à l’égard de Chrome OS. Beaucoup d’entre-eux ont déjà de sérieux doutes sur les systèmes d’exploitations dans les nuages, et jusqu’à présent ils y sont moins à l’aise que sur les systèmes d’exploitations traditionnels, desquels ils sont censés être ainsi délivrés.

Je pense et j’espère que Chrome OS ne sera rien de plus qu’un produit de niche. De toutes les façons, on aura quand même le verdict sur la validité du concept avant la fin de 2010.

7. Mozilla Firefox et Google Chrome se disputeront la première place

Même si je ne me trompe pas en affirmant que Chrome OS ne suscitera que peu d’engouement, ce qu’il restera après sa disparition c’est bien le navigateur Chrome. Sa vitesse et son aspect multitâches sont des défis que devra relever Mozilla Firefox avec habileté pour lui faire face, d’autant plus que Chrome pourrait signifier une interruption du soutien de Google dans le développement de Mozilla.

Pour le moment, le plus grand avantage de Firefox réside dans ses milliers d’extensions. Bien que les premières extensions pour Chrome soient d’ores et déjà disponibles, elles ne battront pas celles de Mozilla en nombre ou en polyvalence avant quelques années (et ceci seulement s’il se forme une large communauté).

Cette situation veut dire que Chrome n’est pas plus prêt à dépasser Mozilla que Mozilla est prêt à dépasser Internet Explorer dans les prévisions futures. Cependant, en 2010, Chrome peut ronger la base des utilisateurs de Firefox sur le même principe que Firefox le fait avec ceux d’Internet Explorer.

8. Raindrop et Wave ne vont pas réussir à trouver des utilisateurs

Par coïncidence, deux des nouvelles applications que nous trouvons prometteuses pour 2010 sont Mozilla Raindrop, un outil de réseau social et de messagerie électronique one-stop[6], et Google Wave, un outil collaboratif.

Les deux sont intéressants pour les développeurs et les ergonomes. Cependant, à l’heure où j’écris ces lignes, Raindrop n’est pas encore sorti, et Wave est seulement accessible sur invitations. Je serais surpris que l’un ou l’autre devienne un grand succès. Il s’agit en effet de résoudre des problèmes que les utilisateurs ne voient pas comme tels. Je n’ai simplement pas l’impression que les utilisateurs souhaitent centraliser leur messagerie, ou soient particulièrement intéresses par une collaboration en temps-réel.

Même si les utilisateurs se montrent motivés, Raindrop et Wave sont tous les deux en l’état trop compliqués et spécialisés en l’état pour qu’ils soient réellement adoptés. Un réajustement est nécessaire. Les critiques seront probablement enthousiastes, parce qu’ils font partie des utilisateurs expérimentés. Et les autres utilisateurs ? Pas tellement.

9. Le Nexus One ne sera qu’un jouet pour les geeks

Dans le courant du mois de janvier, le Nexus One de Google va être disponible[7]. Le Nexus One a fait un gros (bien que pas totalement favorable) buzz à l’intérieur de la communauté des techniciens, mais on peut se demander se faire une place.

D’après des rapports, le Nexus One n’inclura pas de fonctionnalités qui aurait pu lui attirer les faveurs du grand public. En plus, il va entrer sur le marché des téléphones mobiles déjà saturé, et Google ne possède pas la réputation d’Apple. Sans compter qu’il sera d’autant moins aidé que, au début, il ne sera pas vendu par les opérateurs de téléphonie mobile, et ne sera pas non plus dans les boutiques. En ces circonstances, je pense que il se vendra principalement aux développeurs, et qu’il peinera à élargir ce cercle[8].

Avec un peu de recul

Cette liste a été établie en toute indépendance. Pourtant, en la relisant, je réalise que quatre des neuf prédictions impliquent Google. Cette observation suggère une meta-prédiction : 2010 sera une année cruciale pour Google. Son évolution de développeur en acteur majeur aussi bien dans le logiciel que dans le matériel se joue cette année.

Connaissant l’histoire de Google, le succès de cette entreprise me laisse pessimiste. Et pourtant, Google lance tellement d’innovations que tôt ou tard, elle est susceptible de sortir quelque chose d’incroyable, la démonstration du paradoxe du singe savant peut-être tout simplement[9].

Pour ce qui est de mes autres prédictions, même si je m’attends à des changements dans la communauté open source, je ne me prépare pas à l’Apocalypse. La communauté est vaste, les changements sont inéluctables, mais en même temps, cela n’aura pas forcément beaucoup d’impact sur les milliers de personnes qui envoient des correctifs quotidiennement. Sur le coup, les sentiments sont exacerbés, mais en fin de compte, la communauté poursuivra tranquillement sa route, même si de temps en temps le cours des choses sera perturbé par un événement imprévisible.

Et si jamais je me trompe ? Alors j’en appelle aux privilèges des voyantes et demanderait qu’il ne me soit pas tenu rigueur de mon manque de précision ou de mon incapacité à prévoir le futur et je me réserve le droit de retenter ma chance l’an prochain, sans que personne ne me rappelle à mes erreurs passées.

Notes

[1] Crédit photo : Sergis Blog (Creative Commons By)

[2] NDLR : À propos de vidéo, Byfield a rédigé son article avant la nouvelle guerre des formats du Web.

[3] NDLR : Pour mieux comprendre la nuance, il y a un livre intéressant sur le sujet 🙂

[4] NDLR : Byfield a consacré un article entier à ce sujet : Richard Stallman, Leadership, and Sexism.

[5] NDLR : Voir aussi ces deux articles du Framablog : Les femmes et le logiciel libre et Le code issu de Venus est-il meilleur que celui de Mars ?

[6] NDLR : Voir aussi l’article de Tristan Nitot : Thunderbird et Raindrop.

[7] Le Nexus One est déjà disponible, puisque nous publions cette traduction avec un mois de retard. On remarquera qu’il a les faveurs de Linus Torvalds

[8] NDLR : Le Nexus One ne sera peut-être pas un succès, mais il semblerait bien par contre qu’Android devienne lui un sérieux concurrent open source à Apple.

[9] NDLR : Le paradoxe du singe savant stipule qu’avec suffisamment de temps, un chimpanzé qui tape au hasard sur le clavier d’une machine à écrire pourra presque sûrement produire une copie intégrale d’une pièce de théâtre de Shakespeare.